H. INTERVENTION DE M. JAMES BORDAS

Si les bonnes intentions ne donnent pas toujours les meilleurs résultats, le groupe des Républicains et Indépendants approuve toutefois l'idée d'un renforcement des droits fondamentaux des citoyens européens.

Nous y sommes favorables par principe, car cela correspond à notre vision d'une société plus humaine et plus juste, qui prenne mieux en compte chaque individu en tant que tel.

Nous y sommes également favorables parce que ce projet peut contribuer à forger une identité européenne qui soit non seulement économique ou historique, mais également fondée sur des droits et des principes communs pour tous les citoyens de l'Union.

Cela étant dit, mon groupe est perplexe quant au résultat final.

Le débat sur la Charte des droits fondamentaux de l'Union repose, en effet, sur deux ambiguïtés majeures : ambiguïté vis-à-vis de la convention de protection des droits de l'homme, qui est déjà en vigueur dans le cadre du Conseil de l'Europe ; ambiguïté sur le contenu même de la future Charte, que beaucoup veulent étendre et que certains voient comme un embryon de Constitution européenne.

Il est indispensable de lever rapidement ces deux ambiguïtés. A défaut, le malaise que nous sommes déjà nombreux à ressentir se transformera en affrontement idéologique, au risque de faire échouer l'ensemble du processus.

Le débat d'aujourd'hui a donc beaucoup d'importance, et je rends hommage à M. Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, qui en a eu l'initiative.

Notre collègue nous a présenté les enjeux politiques et juridiques de la Charte des droits fondamentaux.

De mon côté, je souhaite vous faire part de mes interrogations en tant que sénateur membre de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Tout se passe comme si l'Europe découvrait la nécessité de garantir le respect des droits de l'homme.

Or, il existe déjà une convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : elle a été signée en 1950 au niveau du Conseil de l'Europe et elle dispose, depuis 1998, d'une cour unique et permanente dont les arrêts s'imposent aux Etats membres.

Pourquoi alors refaire à quinze ce qui existe déjà à quarante et un ? Pourquoi prendre le risque d'instituer un double ordre juridique, l'un dépendant de l'Union européenne, l'autre du Conseil de l'Europe ? Quelle serait alors la cour compétente ? Celle de Strasbourg ou celle de Luxembourg ?

Je veux témoigner de l'esprit d'ouverture dans lequel la question a été abordée au sein du Conseil de l'Europe, notamment par la commission juridique et des droits de l'homme dont je fais partie.

Nous avons à plusieurs reprises -et longuement- débattu de l'intention de l'Union européenne de se doter d'une Charte.

Je crois pouvoir assurer que le Conseil de l'Europe n'est absolument pas opposé à une telle initiative et ne cherche pas à préserver un quelconque monopole. Au contraire, le rapporteur de la commission juridique, M. Magnusson, a accueilli favorablement l'adoption de la Charte, la considérant comme un renforcement de la protection des droits de l'homme en Europe. Il s'est seulement inquiété, comme beaucoup, des risques de double emploi entre la Cour de justice de Luxembourg et la Cour de Strasbourg.

Tel était le sens de la proposition d'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'homme, qui serait ainsi venue s'ajouter aux adhésions individuelles des quinze Etats membres.

Tel est aussi le sens de la résolution adoptée le 25 janvier dernier par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui propose une autre solution, sous forme d'une incorporation dans la future Charte des droits garantis par la convention.

Dans les deux cas, cela permettrait de combler le vide juridique qui exclut aujourd'hui les actes et les décisions des institutions de l'Union européenne du champ d'application du contrôle du respect des droits de l'homme.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, ne nous voilons pas la face. Soyons conscients que le problème est non pas juridique mais politique. L'Union européenne, sous la pression du Parlement européen et de quelques Etats membres, cherche à renforcer son identité. Elle souhaite donc mettre en place son propre cadre juridique, dans tous les domaines, et je pourrais prolonger mon propos en parlant de ce que l'on appelle la " corbeille " des droits fondamentaux réservés aux citoyens de l'Union ou de celle des droits économiques et sociaux.

Il est clair que certains veulent étendre le contenu de la future Charte pour aller au-delà d'une simple codification du droit existant et lui donner un caractère contraignant, avec toutes les dérives que cela peut comporter.

Pour ma part, j'ai souhaité centrer mon intervention sur les risques liés à la coexistence de deux juridictions en matière de droits fondamentaux.

Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de faire table rase du passé. Il y a deux assemblées européennes mais une seule Europe. Les citoyens n'ont rien à gagner d'une lutte d'influence entre Strasbourg et Luxembourg.

Nous demandons en conséquence que la France mette tout en oeuvre pour clarifier la situation.

L'Union européenne et le Conseil de l'Europe ont des objectifs différents, mais une vision commune. Nous ne devons pas l'oublier.

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