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Exception d'irrecevabilité (début)
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité
Question préalable

NOMINATION DE MEMBRES

D'UN ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE

M. le président. Je rappelle que les commissions des affaires économiques, des affaires culturelles et des lois ont proposé des candidatures pour un organisme extraparlementaire.

La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.

En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame MM. Yves Détraigne, Ambroise Dupont et Jean-Pierre Schosteck membres du conseil d'orientation pour la prévention des risques naturels majeurs.

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ÉVOLUTIONS DE LA CRIMINALITÉ

Suite de la discussion d'un projet de la loi

en deuxième lecture

M. le président. Nous reprenons la discussion en deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

Question préalable

Exception d'irrecevabilité (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité
Art. additionnels avant le titre Ier

M. le président. Je suis saisi, par Mme Borvo, M. Bret, Mme Mathon et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 143, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

« En application de l'article 44, alinéa 3 du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (n° 90, 2003-2004). »

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Robert Bret, auteur de la motion.

M. Robert Bret. Monsieur le garde des sceaux, tel qu'il nous revient en deuxième lecture, votre projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité est loin, bien loin de l'objectif que vous aviez initialement affiché, à savoir la lutte contre la « grande criminalité ».

Votre texte s'attaque davantage à la petite et moyenne délinquance, certes la plus visible, qu'à la délinquance frauduleuse, européenne et internationale.

Mais il est vrai que, depuis les dramatiques événements survenus le 11 septembre 2001, un vent sécuritaire s'est mis à souffler à travers le monde.

En témoigne l'inquiétante escalade répressive qui s'est mise en place, tant aux niveaux européen et international, avec une nette propension à la restriction des libertés individuelles et publiques, qu'à l'échelon national, avec les dispositions répressives adoptées dans la foulée.

Thème principal des campagnes électorales pour l'élection présidentielle et les élections législatives de 2002, l'insécurité est devenue l'obsession de l'actuel gouvernement. Ce faisant, non seulement vous faites le lit de l'extrême droite, mais, de surcroît, vous contribuez à entretenir un climat de violence en France, où les actes racistes et antisémites se développent dangereusement.

En dix-huit mois, vous et votre collègue de la place Beauvau aurez fait adopter pas moins de quatre lois concernant directement la justice et la sécurité, et qui modifient pour une énième fois le code pénal et le code de procédure pénale. Je n'évoque même pas l'incidence sur ces mêmes codes de l'adoption de textes législatifs comme celui sur la violence routière.

A croire que notre système pénal est laxiste et que les 12 000 infractions répertoriées dans notre code pénal relèvent du virtuel !

Vous le savez, trop de lois tuent la loi.

En l'espèce, une telle avalanche de textes est caractéristique d'une certaine forme de fuite en avant du Gouvernement.

Ne pensez-vous pas qu'avant de légiférer de la sorte, d'en rajouter, y compris au fil des lectures, il eût été utile de procéder à un bilan, à une évaluation de l'application des lois précédemment votées plutôt que de superposer ainsi les réformes ?

Dès lors, il n'est pas étonnant que notre procédure manque cruellement de lisibilité et de cohérence, ce que dénoncent d'ailleurs les professionnels de la justice - magistrats, avocats et syndicats -, que vous avez effectivement entendus en commission, monsieur le rapporteur, et qui nous avaient déjà, lors de ces auditions, indiqué leurs inquiétudes et leurs oppositions.

Ces professionnels de la justice ont lancé un appel, comme l'a rappelé notre collègue Robert Badinter, pour un moratoire sur le présent texte. Cet appel, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen l'ont, bien entendu, cosigné.

Le Livre blanc sur l'institution judiciaire, publié par l'USM, l'union syndicale des magistrats, dénonce également ce manque de lisibilité et de cohérence.

Votre amendement n° 223, monsieur le ministre, visant à différer l'entrée en vigueur de certains articles de votre projet de loi en 2005, voire en décembre 2007, ne fait que confirmer son aspect « bricolé ».

Il est inconcevable que notre procédure pénale soit « ballottée » de la sorte au gré des changements de majorité politique ou, pis encore, au gré des faits divers.

A cet égard, alors que l'on aurait pu penser que la fameuse loi du 15 juin 2000, adoptée à l'unanimité, avait mis un terme à la guerre entre les partisans de la procédure accusatoire, d'une part, et de la procédure inquisitoire, d'autre part, vous opérez, avec votre projet de loi, un glissement en faveur de l'enquête policière au détriment du judiciaire. Vous avez dit que vous assumiez ce choix.

En faisant de l'accusation le moteur du procès lors du jugement par un recours accru à la composition pénale et par l'instauration du plaider-coupable, vous modifiez, monsieur le ministre, les fondements mêmes de notre système pénal sans engager au préalable de débat public dans le pays.

Or, vous le savez pertinemment, le choix entre système accusatoire et système inquisitoire est loin d'être anodin et il ne relève pas exclusivement d'un débat technique entre juristes.

Les changements que vous nous proposez - le renforcement des pouvoirs de la police et du parquet au détriment du juge du siège et la remise en cause des droits de la défense, du droit à un procès équitable et, plus généralement, des libertés publiques et individuelles - vont vous permettre, en réalité, de faire appliquer à la lettre votre politique sécuritaire.

Surtout, votre texte induit de fait la mise en place d'une justice à deux vitesses : il y aura ceux qui auront les moyens d'aller jusqu'au procès et les autres, qui n'auront plus, le cas échéant, qu'à plaider coupable !

Votre politique pénale, prise dans sa globalité, notamment en élargissant les conditions du placement en détention provisoire, en créant de nouveaux délits, en aggravant les peines et en multipliant les possibilités de comparution immédiate, véritable machine à incarcérer, crée les conditions d'un accroissement sans précédent de la population carcérale, avec les conséquences que l'on sait sur les conditions de détention et de travail des personnels pénitentiaires.

C'est peu de dire que vous prenez ici l'exact contre-pied, monsieur le ministre, des divers travaux et réflexions menés à la suite de la parution du livre-témoignage du docteur Véronique Vasseur, médecin-chef à la maison de la Santé, qui a suscité en son temps une réelle émotion, doublée d'une prise de conscience des difficultés inhérentes à l'univers carcéral. Mais qui se souvient encore de l'année 2000 qui a vu la création de deux commissions d'enquête parlementaires sur « les conditions de détention dans les prisons françaises », dont les conclusions et recommandations sont pourtant toujours d'actualité ?

Cette même période a connu des évolutions législatives positives pour le système pénitentiaire français, avec bien évidemment la fameuse loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes, avec la création de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, ou encore l'entrée de l'avocat au prétoire avec la loi du 12 avril 2000. Ces évolutions positives sont intervenues sur un fond de consensus politique entre la droite et la gauche qu'il convient de rappeler ici.

Je ne parle pas des rapports non moins importants remis cette même année 2000 : celui de la commission dirigée par M. Farge, concernant la question des libertés conditionnelles, et celui de la commission présidée par M. Canivet, portant sur l'amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires.

La perception citoyenne de la prison a connu à cette époque une évolution remarquable, dont les perspectives étaient si intéressantes qu'une grande loi pénitentiaire devait voir le jour. Vous connaissez la suite, je n'y reviens pas. Il est vrai qu'on nous annonce un nouveau projet de loi avant la fin de la législature !

Faut-il rappeler que les enquêtes parlementaires avaient toutes clairement conclu qu'il était nécessaire d'incarcérer moins pour incarcérer mieux et de s'interroger sur le sens de la peine, qu'il était nécessaire de savoir qui mettre en prison et de réfléchir aux alternatives à l'incarcération, aux libérations conditionnelles, à la détention provisoire, à la gestion des longues peines, à la future réinsertion des détenus, à la lutte contre la récidive et contre les suicides en prison ?

Or force est de constater, près de quatre années plus tard, que non seulement rien n'a changé, mais que, de surcroît, la situation a empiré, monsieur le ministre, du fait que votre politique pénale est fondée sur la seule incarcération, sans réflexion aucune quant aux conséquences sur la vie en prison.

A cet égard, les constats dressés par l'Observatoire international des prisons sur les conditions de détention en France pour la période de janvier 2002 à juillet 2003 sont véritablement alarmants.

Cette inflation carcérale, qui a connu en juillet 2003 un pic sans précédent depuis plus de cinquante ans, avec près de 61 000 détenus pour 48 000 places, est la conséquence des modifications législatives que vous nous proposez depuis votre arrivée au gouvernement, monsieur le ministre.

Compte tenu de la surpopulation carcérale, comment voulez-vous que l'administration pénitentiaire puisse convenablement remplir les deux missions qui lui incombent : la garde et la réinsertion ?

Les personnels de l'administration pénitentiaire n'ont pas les moyens humains et matériels de prendre en charge la réinsertion des détenus et ne s'occupent en conséquence que de la garde.

Faute de préparation ou d'aménagement en fin de peine, on assiste donc à des sorties « sèches », qui, le plus souvent, mènent à la récidive, et donc au retour en prison. Or la réinsertion des détenus est indispensable à la prévention de la récidive, afin d'éviter tout retour en prison : l'intérêt de la société dans son ensemble est que le détenu, qui, a priori, a vocation à sortir de prison un jour, ne retombe pas dans la délinquance.

Rappelons que 40 % des détenus en centrale récidivent à leur sortie lorsqu'ils ont effectué la totalité de leur peine ; ils ne sont que 10 % à récidiver lorsqu'ils sortent à mi-peine avec des mesures d'accompagnement.

La question de la réinsertion n'a de sens que si l'on se place du point de vue du sens de la peine. Aller vers la « prison utile » est une nécessité absolue, monsieur le garde des sceaux !

Il est donc indispensable de revoir le contenu des missions des agents pénitentiaires pour que l'insertion prime enfin sur la garde. C'est une question de volonté politique, qui implique, bien entendu, des moyens supplémentaires.

Mais il est clair que votre souci est très éloigné de ces considérations, pourtant essentielles à mes yeux. En présentant l'enfermement comme unique réponse à la délinquance, en investissant dans la construction de cellules supplémentaires, vous optez pour une solution de facilité, pour un affichage politique, sans vous soucier de l'efficacité en matière de prévention et de lutte contre la délinquance dans le long terme.

La privation de liberté ne sert qu'à punir et à éloigner momentanément un individu de la société : ce ne peut qu'être une solution à court terme. Il faut donc réfléchir à l'après-prison et, par exemple, renforcer le recours à la libération conditionnelle, qui permet de préparer au mieux la sortie de prison, donc la réinsertion, notamment par l'élaboration d'un « projet de sortie » pour le détenu, au lieu que ce dernier attende passivement la date de sa sortie ou les remises de peine automatiques. Cela nous donnerait également la possibilité de mettre notre pays en conformité avec la recommandation adoptée le 24 septembre 2003 par le comité des ministres du Conseil de l'Europe sur la libération conditionnelle, recommandation qui semble avoir été volontairement passée sous silence.

Il faut également proposer des alternatives à l'incarcération qui viendraient réellement se substituer aux peines d'emprisonnement et non s'y ajouter.

Parce que le monde carcéral, chacun le sait, est une école de la récidive en même temps, parfois, qu'un facteur déstabilisateur et aggravant, il convient de reconsidérer la peine privative de liberté de manière qu'elle ne soit plus le référentiel d'exécution des peines, mais qu'elle constitue plutôt un des éléments du système répressif, à côté d'autres formes d'exécution de la peine.

Quant aux longues peines, elles se révèlent inconciliables avec l'objectif de réinsertion. Il est admis que, jusqu'à quatorze ou quinze ans de détention, la réinsertion est encore possible ; au-delà, elle est beaucoup plus improbable. Cela implique de revoir l'échelle des peines prévues dans le code pénal et de préciser que l'énoncé des peines s'entend comme des maxima.

En Europe, la France est quasiment le seul pays à avoir instauré une période de sûreté. Or nul n'a intérêt à ce que quiconque reste quinze ou vingt ans en prison : ni le détenu ni l'ensemble de la société.

Lutter contre la surpopulation carcérale ne signifie pas uniquement construire de nouvelles prisons, comme vous le préconisez ; car, qui dit nouveaux établissements dit tentation, voire volonté de les remplir, l'expérience le prouve.

Concentrer l'essentiel des crédits de l'administration pénitentiaire sur la construction de prisons, c'est persister dans la voie du « tout-carcéral ». Ce n'est pas satisfaisant, quand bien même on invoque, pour le justifier, l'encellulement individuel - prévu pour 2003 et repoussé à 2008 faute de moyens ! - et l'amélioration des conditions de détention et des conditions de travail des personnels.

Pourquoi ne pas investir dans le milieu ouvert, qui présente le double avantage d'être moins coûteux et d'éviter ou d'écourter le contact avec le monde carcéral, contact qui se révèle trop souvent criminogène ? Je pense en particulier au rôle important que jouent les services pénitentiaires d'insertion et de probation, qui cependant manquent toujours cruellement de moyens.

Par ailleurs, il est indispensable de renforcer le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, comme le proposait la commission d'enquête sénatoriale. Le Sénat a fait un premier pas en ce sens en votant à l'unanimité une proposition de loi tendant à créer un organe de contrôle externe, indépendant des établissements pénitentiaires et doté de larges pouvoirs d'investigation. Je regrette d'autant plus que ce texte n'ait jamais été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale que le contrôle des prisons ainsi préconisé va se révéler plus que jamais indispensable en raison de la hausse importante du nombre de personnes incarcérées que suppose votre politique, monsieur le ministre.

Mais là n'est pas votre préoccupation. Lorsque vous évoquez les prisons, vous le faites uniquement sous l'angle sécuritaire, en vous intéressant à la lutte accrue contre les évasions, à la fermeture des portes des cellules en centrale, à la construction de « supercentrales » destinées à regrouper les détenus les plus dangereux, au brouillage des téléphones portables, à la prise d'empreintes biométriques...

Ce ne sont pas, en l'espèce, les quelques mesures avancées par M. Warsmann en matière de peines alternatives à la détention qui vont fondamentalement changer le fond du problème, et ce d'autant moins que ces propositions portent essentiellement sur des mesures et sanctions pénales - permission de sortir, placement à l'extérieur, semi-liberté et placement sous surveillance -, qui ne modifient pas le temps passé sous écrou.

S'il est souhaitable de développer de telles mesures, encore faut-il qu'il s'agisse de réelles alternatives à l'enfermement. Or, bien souvent, l'existence d'alternatives de ce genre permet de condamner des personnes qui, le cas échéant, ne l'auraient pas été ; ainsi, loin de se substituer à des peines d'enfermement, elles permettent en réalité d'élargir le contrôle social.

Pour résumer, monsieur le ministre, vous menez une véritable politique de répression, d'enfermement et d'exclusion sans aucun traitement social de fond de la délinquance, alors que l'on sait que celle-ci prend racine dans l'aggravation des inégalités sociales, avec, d'un côté, la marginalisation, la précarisation, la dégradation de l'habitat, l'échec scolaire, la mal-vie, et, de l'autre, l'accumulation des richesses.

Je ne pense pas que l'insécurité ait atteint des proportions telles qu'il faille prendre des mesures aussi sécuritaires que celles que vous nous proposez. Il convient au contraire de replacer ces questions à leur juste place sur l'échelle des problèmes de notre société, derrière, notamment, le chômage et les inégalités sociales. En effet, la première des insécurités est économique et sociale.

Dans un contexte où la conjoncture économique et sociale ne cesse de se dégrader, monsieur le ministre, vous n'avez rien trouvé d'autre que la répression pour pouvoir mettre en oeuvre votre politique ultra-libérale, qui, chaque jour, accentue les inégalités et les exclusions, et qui a pour nom suppression des emplois-jeunes, diminution du nombre des surveillants de collèges, réforme des retraites, décentralisation, remise en cause de la solidarité nationale dans le financement de la sécurité sociale, casse du code du travail...

Ce sont la généralisation de cette insécurité sociale et l'accroissement des inégalités qui nourrissent la ségrégation et la criminalité. Et l'Etat voudrait mettre en prison les personnes qu'il n'a pas voulu éduquer, soigner, loger, nourrir...

Ne note-t-on pas, d'ailleurs, un certain déplacement depuis le milieu que je dirai « ordinaire » vers le milieu pénitentiaire de certaines catégories de populations, les plus pauvres, les précaires, les exclus, les malades, les toxicomanes, les immigrés, les sans-papiers : en un mot, les populations dites à problèmes ? Ne sont-elles pas surreprésentées dans les établissements pénitentiaires ? Vous vous enferrez dans le tout-sécuritaire, dans le tout-carcéral, alors que cela n'a jamais donné de bons résultats en matière de lutte contre l'insécurité et de prévention de la délinquance et de la récidive.

Certains remèdes avancés en France - je pense notamment à la tolérance zéro, au couvre-feu, à la suppression des allocations familiales versées aux parents des délinquants, au durcissement de la répression des mineurs - s'inspirent de l'exemple américain. Cette tendance va conduire, comme aux Etats-Unis, à la généralisation du contrôle social doublée d'un envol du taux d'incarcération.

La banalisation de l'insécurité dissimule en réalité un tout autre enjeu que la volonté d'endiguer la délinquance qu'affiche le Gouvernement. Votre but est de redéfinir les missions de l'Etat, qui se retire de l'arène économique et réduit son rôle social, et d'élargir en la durcissant son intervention pénale. Il y a, d'un côté, l'idéologie économique et sociale fondée sur l'individualisme et la marchandisation ; de l'autre, sa traduction dans le domaine de la justice : la criminalisation de la misère et la normalisation du travail précaire. Tel est le véritable projet de société que votre gouvernement et sa majorité veulent mettre en place.

Une société qui ne propose comme moyen de lutte contre l'insécurité qu'une réforme du code pénal et du code de procédure pénale, avec pour pendant l'augmentation du nombre de cellules, est une société en échec, une société, monsieur le ministre, qui n'a pas d'avenir !

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, vous comprendrez que nous ne puissions qu'être opposés à ce texte et que nous vous demandions de vous prononcer en faveur de cette motion tentant à opposer la question préalable, dont l'adoption entraînera la suspension de l'examen du présent projet de loi.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Comme vient de le souligner M. Bret, adopter la motion tendant à opposer la question préalable signifierait l'arrêt immédiat de nos débats. Or vos propos, monsieur Bret, montrent à quel point ce serait dommage, tant il est vrai que les sujets que vous abordez figurent dans le projet de loi.

Ainsi, dans son chapitre relatif à l'application des peines, le texte contient de nombreuses propositions visant à aménager les peines de courte durée, ou encore à améliorer les conditions de la sortie de prison, conditions que vous dénonciez à l'instant, de façon que celle-ci ne soit plus aussi brutale qu'aujourd'hui.

Ces simples exemples témoignent qu'il y a matière à débattre, raison pour laquelle il faut nous opposer à l'adoption de la motion tendant à opposer la question préalable.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 143, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain et citoyen.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)


M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 132 :

Nombre de votants314
Nombre de suffrages exprimés312
Majorité absolue des suffrages157
Pour112
Contre200

En conséquence, nous passons à la discussion des articles.

Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté de texte identique.

Articles additionnels avant le titre Ier

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité
Art. additionnel après le titre Ier

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 228, présenté par Mme Borvo, M. Bret, Mmes Mathon, Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès, est ainsi libellé :

« Avant le titre Ier, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

« A compter de l'entrée en vigueur de la présente loi, le Parlement s'engage pour un an à instaurer un moratoire d'un an sur la création de toute nouvelle infraction pénale. »

L'amendement n° 229, présenté par Mme Borvo, M. Bret, Mmes Mathon, Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès, est ainsi libellé :

« Avant le titre Ier, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

« A compter de l'entrée en vigueur de la présente loi et pour un an, la création de toute nouvelle infraction pénale devra faire l'objet d'une évaluation préalable, justifiant la nécessité de cette création et appréciant l'impact des dispositions envisagées sur le droit en vigueur et l'activité des juridictions. »

La parole est à Mme Nicole Borvo.

Mme Nicole Borvo. En octobre dernier, lors de la première lecture de ce projet de loi, j'avais souhaité citer le rapport du groupe de travail mené par M. Massot sur la responsabilité pénale des décideurs publics, qui en appelait au législateur pour mettre en place un moratoire sur la création de nouvelles infractions pénales : « On constate une propension, tant du législateur que du pouvoir réglementaire, à assortir d'une sanction pénale toute méconnaissance d'une obligation. Comment s'étonner ensuite de la pénalisation croissante de la société et de la tendance à rechercher de plus en plus systématiquement l'intervention du juge pénal ? »

Face à l'inflation de textes créant de nouvelles sanctions pénales, face au désarroi des professionnels de la justice devant la complexification croissante du droit, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen souhaitent s'associer à ceux qui poussent aujourd'hui un cri d'alarme. Ils proposent donc que le Parlement prenne l'initiative de s'engager fermement à mettre en place un moratoire : pendant un an, nous ne créerions pas de nouvelles infractions pénales. Suivant les préconisations du groupe de travail Massot, nous ferions de cette année non pas une année d'impunité, mais une année de stabilisation du droit pénal qui nous permettrait de procéder à une réelle évaluation des textes pénaux, notamment de ceux que nous avons adoptés depuis deux ans, et d'en apprécier sereinement les conséquences, d'identifier les lacunes du droit existant, d'apprécier la pertinence des sanctions prévues et d'envisager la suppression des sanctions inappropriées ou inadéquates.

Cette démarche s'inscrit en outre, très logiquement, dans la perspective d'une réflexion de fond sur le sens de la peine, plus particulièrement sur le développement de la pluralité des modes d'exécution des peines. On connaît nos réticences vis-à-vis de la peine alternative, alors que nous souhaitons que la prison cesse d'être la référence.

Ce travail n'aura évidemment d'intérêt que si les départements ministériels concernés acceptent de se prêter à cet exercice, ce qui nous semble tout à fait indispensable pour la santé législative de notre pays. « Trop de lois tuent la loi », affirme-t-on généralement, comme l'a fait récemment encore le président de l'Assemblée nationale. Il est urgent de tirer les conséquences de cet adage.

En ce qui concerne l'amendement n° 229, il s'agit en quelque sorte d'un amendement de repli par rapport au précédent.

Que les représentants de la nation s'engagent dans un processus d'évaluation de l'application des textes serait un acte fort sur le plan symbolique. C'est pourquoi nous proposons, au travers d'une rédaction qui ne se heurtera pas aux objections d'ordre constitutionnel, de prévoir que le Parlement, avant de créer une nouvelle infraction pénale, devra procéder à une « étude d'impact » des dispositions envisagées sur le droit en vigueur et l'activité des juridictions.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Par l'amendement n° 228, Mme Borvo nous demande de prendre l'engagement de ne pas instaurer de nouvelle infraction pénale avant un an. Je ne comprends pas vraiment la logique de sa démarche, puisqu'elle nous propose précisément, un peu plus loin, d'en créer.

S'agissant de l'amendement n° 229, il paraît difficile de subordonner la création d'une nouvelle infraction pénale à l'étude de son incidence sur la charge de travail des magistrats.

La commission est donc défavorable à ces deux amendements.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement est défavorable aux deux amendements.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 228.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 229.

(L'amendement n'est pas adopté.)

TITRE Ier

DISPOSITIONS RELATIVES

À LA LUTTE CONTRE LES FORMES NOUVELLES

DE DÉLINQUANCE ET DE CRIMINALITÉ

Art. additionnels avant le titre Ier
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité
Art. 1er

Article additionnel après le titre Ier

M. le président. L'amendement n° 226, présenté par Mme Borvo, M. Bret, Mmes Mathon, Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès, est ainsi libellé :

« Après le titre Ier, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

« Les dispositions du présent titre, destinées à améliorer la lutte contre la délinquance et la criminalité organisées, sont adoptées, à titre expérimental, pour une durée allant jusqu'au 31 décembre 2005.

« Le Parlement sera saisi par le Gouvernement, avant l'expiration de cette date, d'un rapport d'évaluation sur l'application des dispositions du présent titre. »

La parole est à Mme Nicole Borvo.

Mme Nicole Borvo. Le titre Ier du présent projet de loi vise à mettre en place un dispositif renforcé de lutte contre les formes « nouvelles » de délinquance et de criminalité.

Or ce titre pose un double problème.

Tout d'abord - nous aurons l'occasion de le répéter -, il s'articule largement autour de la notion très floue de criminalité organisée, dont on sait qu'elle est susceptible de donner lieu à toutes les extensions : les ajouts successifs intervenant au fil des lectures le démontrent amplement, qu'il s'agisse des jeux de loterie, des taxis clandestins ou d'autres dispositions encore.

Surtout, ce nouveau concept justifie l'instauration de dispositifs procéduraux dérogatoires au droit commun et la mise en place de juridictions d'exception. De fait, les procédures d'exception finiront, du fait du caractère extensif des délits visés, par constituer le droit commun de la procédure pénale. Il n'est pas possible de ne pas évoquer ce risque, qui est réel, aussi surprenant que cela puisse paraître.

Ce risque étant reconnu, il semblerait particulièrement logique de prendre les mesures adéquates pour l'écarter. C'est à cette fin que nous proposons la mise en place d'un suivi de l'application de la loi, à l'instar de ce qui était déjà prévu dans les articles de la loi relative à la sécurité quotidienne concernant la lutte contre le terrorisme, dont la durée d'application a été prolongée par la loi pour la sécurité intérieure, la « loi LSI », jusqu'au 31 décembre 2005.

On le sait, les parlementaires communistes étaient résolument opposés à l'institution de règles pénales dérogatoires qui restreignaient considérablement les droits et libertés individuels. Au-delà des contrôles dans les zones maritimes et aéroportuaires, il s'agissait, je le rappelle, d'étendre très largement les contrôles d'identité, les perquisitions et les mises sur écoute, ainsi que d'autoriser les fouilles à corps par des vigiles privés.

Conscient du caractère exceptionnel de ces dispositions, le Gouvernement avait souhaité mettre en place un système d'évaluation : le second alinéa de l'article 22 de la loi relative à la sécurité quotidienne, tel que modifié par la loi LSI, dispose en effet que « le Parlement sera saisi par le Gouvernement, avant le 31 décembre 2003, d'un rapport d'évaluation sur l'application des dispositions du présent chapitre adoptées pour une durée allant jusqu'au 31 décembre 2005. Un second rapport lui sera remis avant le 31 décembre 2005. »

Or, sauf erreur de ma part, nous sommes le 20 janvier 2004, et aucun rapport n'a été fourni au Parlement ! C'est un réel problème : encore une fois, on nous demande d'enregistrer des lois, sur l'application desquelles nous n'avons aucun pouvoir de contrôle ! Lorsqu'une loi impose au Gouvernement la remise au Parlement d'un rapport d'évaluation et qu'il passe outre, c'est la démocratie parlementaire qui est remise en question.

M. André Lejeune. Tout à fait !

Mme Nicole Borvo. Cette attitude nous paraît particulièrement grave au regard des droits et libertés individuels, et le fait que peu d'entre nous s'en émeuvent m'inquiète. Pour ma part, je refuse de donner un blanc-seing au Gouvernement s'agissant de dispositifs restreignant des droits aussi précieux que les droits de la défense et le droit à un procès équitable.

A moins qu'un rapport d'évaluation n'ait été déposé sans que j'en aie eu connaissance - mais alors il serait dommage qu'un tel document reste secret, puisque son élaboration a été inscrite dans la loi -, je demande au Sénat d'adopter cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Mme Borvo propose que les dispositions du titre Ier, relatif à la lutte contre la criminalité organisée, ne soient applicables qu'à titre expérimental, jusqu'au 31 décembre 2005. Cela m'inspire deux réflexions.

Tout d'abord, il est sans doute optimiste de penser que la délinquance et la criminalité organisées auront disparu d'ici au 31 décembre 2005 !

Ensuite, je ne comprends pas la logique qui sous-tend cet amendement : d'un côté, on nous demande de légiférer à titre expérimental ; de l'autre, on réclame un moratoire !

Mme Nicole Borvo. Vous avez refusé le moratoire, alors je m'adapte !

M. François Zocchetto, rapporteur. La commission ne peut vous suivre dans votre raisonnement, madame Borvo, et émet donc un avis défavorable sur l'amendement n° 226.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, contre l'amendement.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. En fait, je voudrais proposer à nos collègues du groupe CRC de demander la réserve du vote de leur amendement jusqu'au terme de l'examen du titre Ier.

En effet, au travers de la rédaction de cet amendement, les dispositions du titre Ier sont considérées comme étant d'ores et déjà adoptées, alors que le Sénat n'a pas encore commencé à en débattre et que nous allons, pour notre part, nous y opposer !

Il n'est donc pas question, pour l'heure, que nous votions l'amendement n° 226. Ce n'est qu'au terme de la discussion du titre Ier que nous pourrons valablement statuer à son égard.

M. le président. Madame Borvo, que pensez-vous de la suggestion de M. Dreyfus-Schmidt ?

Mme Nicole Borvo. La remarque de mon collègue Michel Dreyfus-Schmidt est tout à fait pertinente. Je vais donc demander la réserve du vote de l'amendement jusqu'après l'examen du titre Ier, même si je ne me fais pas trop d'illusions sur le sort qui sera fait à cette requête !

Cela étant, je n'ai obtenu aucune information sur les rapports d'évaluation qui auraient dû être remis au Parlement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur cette demande de réserve ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. Je consulte le Sénat sur la demande de réserve formulée par Mme Nicole Borvo.

(La réserve n'est pas ordonnée.)

M. le président. Je mets donc aux voix l'amendement n° 226.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le groupe socialiste s'abstient.

(L'amendement n'est pas adopté.)