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souhaits de bienvenue au gouverneur de l'Etat de Washington

M. le président. Mes chers collègues, j'ai le très grand plaisir de saluer la présence, dans notre tribune officielle, de M. Gary Locke, gouverneur de l'Etat de Washington, aux Etats-Unis d'Amérique, accompagné de M. Paul Girod, président du groupe d'amitié France-Etats-Unis, et de notre collègue Michel Guerry.

Nous sommes particulièrement sensibles à l'intérêt et à la sympathie qu'il porte à notre institution.

Au nom du Sénat de la République, je lui souhaite cordialement la bienvenue et je forme des voeux ardents pour que son séjour en France contribue à renforcer les liens anciens d'amitié entre nos deux peuples et nos pays, notamment à l'occasion du soixantième anniversaire du débarquement de Normandie, auquel le père du Gouverneur participa. (MM. les ministres ainsi que Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

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Autonomie financière des collectivités territoriales

Suite de la discussion d'un projet de loi organique

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi organique pris en application de l'article 72-2 de la Constitution relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Michel Mercier, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je précise d'emblée que, tout naturellement, la commission des lois et la commission des finances ont travaillé ensemble sur ce projet de loi organique et qu'elles sont, pour l'essentiel, pleinement d'accord entre elles.

Afin de bien comprendre les raisons de la présente discussion, après le vote de la réforme constitutionnelle de 2003, il faut avoir à l'esprit la situation qui existait et qui existe encore entre les collectivités locales et leurs élus, d'une part, et l'Etat, d'autre part.

Il ne peut y avoir de décentralisation sans confiance entre les élus locaux et l'Etat, et sans responsabilité des élus locaux vis-à-vis de leurs concitoyens. Or les maires, les présidents de conseils généraux, les présidents de conseils régionaux et l'ensemble des élus locaux avaient le sentiment que, petit à petit, on leur retirait toute capacité d'agir ou de réagir.

C'est pourquoi nous avons dû aller vers une idée qui apparaît un peu contradictoire avec notre Constitution, idée selon laquelle la libre administration des collectivités locales ne pourrait reposer que sur leur autonomie financière et fiscale.

En effet, chaque fois que l'on délègue une compétence à une collectivité, on lui retire en même temps, paradoxalement, toute autonomie de gestion, on lui dit comment elle doit s'y prendre et à quel résultat elle doit parvenir. Il ne lui reste plus, en fin de compte, pour donner corps au principe constitutionnel de libre administration, fondement même de la décentralisation, que l'autonomie fiscale et financière.

Jusqu'à présent, ni le constituant ni le Conseil constitutionnel n'ont précisément dit ce qu'était le principe de libre administration des collectivités territoriales. Ce sont la réforme de mars 2003 et la présente loi organique qui ont vocation à lui donner tout son sens à travers la définition de la notion d'autonomie fiscale et financière des collectivités territoriales.

Daniel Hoeffel l'a rappelé, nous avons vécu une période au cours de laquelle tous les textes fiscaux ont eu pour conséquence de réduire l'autonomie des collectivités, leur capacité à décider de leurs ressources. Et, au moment même où elles voyaient diminuer leurs marges de manoeuvre dans le domaine fiscal, elles étaient dotées de compétences pour lesquelles leur marge de manoeuvre était nulle ; je pense notamment à l'allocation personnalisée d'autonomie.

Ces deux phénomènes ont eu une conséquence assez grave pour la décentralisation : il y a eu une rupture de la confiance entre l'Etat et les élus locaux. En outre, a germé dans l'esprit de nos concitoyens l'idée selon laquelle la décentralisation devenait une affaire de spécialistes et qu'elle ne pouvait pas apporter plus de démocratie et plus d'efficacité.

A cet égard, les définitions que le Sénat va introduire dans cette loi organique ne présentent pas seulement un intérêt juridique : il s'agit, plus fondamentalement, de renouer le pacte de confiance entre les élus locaux et l'Etat ; ce sera en tout cas la ligne directrice de mon propos.

Notre histoire récente a montré qu'il fallait aller vers l'autonomie financière des collectivités. Dès 2000, lorsque nous avons examiné une proposition de loi constitutionnelle déposée par le président du Sénat, par le président du Comité des finances locales et par les présidents des trois grandes associations d'élus, il s'agissait de mettre fin au démantèlement de la fiscalité locale et de préserver une certaine idée de la décentralisation.

Tout tourne autour d'un double thème : premièrement, la libre administration des collectivités territoriales est garantie par la perception de ressources fiscales dont elle vote les taux dans les conditions prévues par la loi ; deuxièmement, les ressources fiscales représentent une part prépondérante des ressources des collectivités locales.

Aujourd'hui, la situation a changé, mais pas suffisamment. Il y a eu la réforme constitutionnelle de mars 2003, qui apporte une garantie. Encore faut-il lui donner un contenu. Le Conseil constitutionnel a précisé en décembre dernier que l'on ne pourrait utilement invoquer cette réforme que lorsque le présent projet de loi organique serait adopté.

En attendant, les inquiétudes des élus locaux demeurent, en particulier en ce qui concerne le devenir de la taxe professionnelle, notamment dans le cas des communautés de communes qui ont choisi la taxe professionnelle unique comme principale ressource et où l'on se pose des questions sur les budgets futurs.

En vérité, l'autonomie de gestion des collectivités locales n'est pas plus importante cette année qu'elle ne l'était l'année dernière.

Tout récemment, discutant un texte relatif aux assistants familiaux, nous avons fixé leur mode de recrutement, les tâches qu'il fallait leur confier, la durée de leur formation, etc. Il serait plus simple de donner un peu plus d'autonomie de gestion : on parlerait moins de l'autonomie fiscale !

Messieurs les ministres, notre objectif est simple : nous devons, avec le présent projet de loi organique, rétablir clairement la confiance des élus locaux, avant de procéder le plus tôt possible - et pourquoi pas en juillet ? -à la deuxième lecture du projet de loi relatif aux responsabilités locales, de manière que cette réforme puisse être mise en oeuvre le 1er janvier prochain et qu'on ne laisse pas « s'effilocher » la décentralisation à travers des considérations techniques.

M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur. Monsieur le rapporteur pour avis, me permettez-vous de vous interrompre ?

M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Je vous en prie, monsieur le ministre.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué, avec l'autorisation de M. le rapporteur pour avis.

M. Jean-François Copé, ministre délégué. Je ne peux que répondre avec beaucoup d'enthousiasme à cette demande. Vous savez combien le Gouvernement est attaché à ce que ce chantier si important de la décentralisation, ouvert il y a deux ans, trouve son aboutissement logique dans les meilleurs délais et, bien entendu, dans les conditions de dialogue qui s'imposent, afin que nous puissions mettre en oeuvre, à compter de 2005, l'ensemble des dispositions que vous aurez adoptées dans ce cadre.

M. Gérard Delfau. Et la péréquation, monsieur le ministre ?

M. Jean-François Copé, ministre délégué. Il va de soi que cela concerne les différents aspects de la décentralisation, aussi bien son volet financier, c'est-à-dire en particulier les dotations et le principe désormais constitutionnel de la péréquation, que le contenu concret des compétences.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. René Garrec, président de la commission. de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je comprends l'enthousiasme de M. Mercier : la commission des finances, elle, n'est pas saisie au fond. Le sujet est certes intéressant, monsieur le ministre, mais il conviendrait peut-être de l'évoquer plus paisiblement.

M. Jean-François Copé, ministre délégué. J'en suis tout à fait d'accord, mais je tenais à apporter cette précision à M. Mercier.

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur pour avis.

M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Le débat sera paisible, serein et, je l'espère, efficace.

Ce projet de loi organique, qui, je le répète, doit rétablir la confiance des élus locaux, comporte un certain nombre de dispositions techniques à propos desquelles je partage complètement l'avis de M. Hoeffel et sur lesquelles je ne reviendrai donc pas.

Au-delà, deux idées principales semblent se dégager : premièrement, la libre administration des collectivités territoriales est garantie par la perception de ressources propres ; deuxièmement, ces ressources propres doivent constituer une part déterminante des ressources des collectivités locales.

S'agissant de la première idée, aucune définition ne s'impose, pas plus aujourd'hui qu'hier. Le pouvoir fiscal des collectivités territoriales n'existe pas dans notre système institutionnel. La Constitution de 1958 a prévu une compétence exclusive au profit du Parlement pour voter les règles relatives au taux, à l'assiette et au recouvrement des impositions de toutes natures. C'est l'illustration par excellence du parlementarisme rationalisé qu'ont souhaité mettre en place les constituants de 1958.

Cette compétence exclusive du Parlement n'est évidemment pas remise en cause par l'article 72-2 de la Constitution. Il appartient donc au Parlement de créer les impôts locaux et d'autoriser leur perception. Toutefois, le Parlement peut décider de déléguer aux collectivités locales un certain nombre de facultés en matière fiscale. Il peut mettre en place un pouvoir fiscal dérivé et, dans les limites qu'il fixe, autoriser les collectivités locales à fixer l'assiette, le taux ou le tarif d'un certain nombre d'impositions.

Les décisions du Conseil constitutionnel ne donnent aucune définition de la notion de ressources propres. Toute latitude est donc laissée au législateur organique pour définir la notion de ressources propres.

Une définition est proposée dans le texte qui nous est soumis. Pour le Gouvernement, les choses sont assez simples : le troisième alinéa de l'article 72-2 renvoie à son deuxième alinéa et la Constitution ne fait aucune distinction entre les recettes fiscales dont les collectivités locales déterminent l'assiette et le taux et celles dont les collectivités locales n'ont pas le droit de voter l'assiette et le taux.

Il n'y a là aucune innovation juridique. Le Gouvernement en déduit que constituent des ressources propres les recettes fiscales de toutes natures, que les collectivités aient la possibilité d'en voter l'assiette et le taux ou qu'elles puissent seulement percevoir le produit d'un impôt entièrement décidé par le législateur.

Personne ne conteste le fait que cela est conforme à la Constitution. Mais alors, on peut se demander ce qu'apporte la révision constitutionnelle.

Heureusement, il existe une autre vision, que l'on peut fonder sur un vieux principe d'interprétation des textes juridiques : l'effet utile des textes en droit. Il faut donc rechercher quel est l'effet utile de ce texte et se poser la question de savoir si ces dispositions ont un sens ou si elles n'apportent aucune notion juridique nouvelle.

Quelle a été, au fond, l'intention du constituant dans la réforme de mars 2003 ? Je peux l'affirmer à cette tribune, elle a bien été de signifier que constituent des ressources propres des collectivités locales celles dont elles peuvent voter l'assiette, le taux ou le tarif, dans les limites fixées par la loi.

On pourrait même ajouter que, s'il y a deux alinéas, c'est qu'un seul ne suffisait pas. Cela peut apparaître comme une tautologie, mais il n'est pas inutile d'avoir recours à un tel argument dans le raisonnement juridique. Si l'on a consacré dans la Constitution un alinéa aux ressources propres des collectivités, cela signifie bien que toutes les recettes fiscales ne constituent pas des ressources pouvant relever de cette appellation.

La question n'est pas seulement juridique : elle est aussi largement politique. Encore une fois, nous voulons rétablir la confiance entre les élus locaux et l'Etat et nous estimons que, dès lors, seule cette seconde interprétation peut et doit être reconnue.

La confiance est le maître mot. C'est ce qui doit inciter le Sénat, sur l'article 2 du projet de loi organique, à voter les amendements présentés par la commission des lois et par la commission des finances.

Pour mesurer l'autonomie des collectivités locales, il est précisé dans la loi fondamentale que leurs ressources propres doivent représenter une part déterminante de leurs ressources globales. Cette part est déterminante lorsque, comme l'établit depuis des lustres le Conseil constitutionnel, la libre administration des collectivités territoriales est garantie. Mais, une fois qu'on a dit cela, on n'a pas dit grand-chose : on n'a fait que répéter ce qui est écrit un peu plus haut.

Pour donner du contenu à cette règle, le Gouvernement nous propose de préciser que cette part déterminante ne peut être inférieure au niveau atteint en 2003, ce qui se comprend parfaitement dans sa logique.

Cependant, lorsque le Sénat aura adopté les amendements identiques de la commission des lois et de la commission des finances, il faudra que nous nous penchions un peu plus sur la question. Evidemment, dire que cette part doit représenter 33% ne soulève pas un enthousiasme particulier.

M. le président. C'est le moins que l'on puisse dire ! (Sourires.)

M. Joël Bourdin. Loin de là !

M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Mais la Constitution fait désormais apparaître un objectif nouveau : la péréquation. Si la part de ressources propres dont chaque collectivité dispose aujourd'hui est conservée, on pourra parler de la péréquation pendant très longtemps et ne jamais la faire !

M. Gérard Delfau. C'est vrai !

M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. C'est peut-être la raison pour laquelle on parle sans cesse de la péréquation : en parler toujours, ne la faire jamais ! Cela convient probablement à beaucoup de gens...

M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. ... puisque cela permet de conserver les choses en l'état.

M. François-Poncet pourra évoquer cette question tout à l'heure. Il a conduit de façon excellente les études d'un groupe de travail et démontré que, pour certains, il n'était pas utile de trop oeuvrer dans ce domaine. Ainsi, on bloque la péréquation et on empêche toute réforme de la fiscalité locale. Sauf à considérer que, demain, un gouvernement pourrait proposer la suppression de tous les impôts directs des collectivités locales et les remplacer par des impôts partagés, lesquels constitueraient naturellement des ressources propres au sens de ce qui nous est proposé aujourd'hui. Mais où serait, alors, la responsabilité des élus locaux ?

M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Ils n'auraient pas d'autonomie de gestion et ils recevraient des parts d'impôts partagés sur lesquelles ils n'auraient d'autre pouvoir que celui de les dépenser.

Pour notre part, nous affirmons que la décentralisation, c'est aussi la responsabilité des élus locaux et des collectivités locales !

Avant de conclure, je souhaiterais évoquer la réforme - bonne réforme - de la dotation globale de fonctionnement que nous avons réalisée l'année dernière. Nous avons dit qu'il s'agissait désormais d'un prélèvement sur recettes. Cela signifie que l'on prélève la DGF sur des impôts. C'est une sorte de partage des impôts : avant la discussion budgétaire, on prélève le montant de la DGF sur le produit des impôts que l'Etat encaisse, puis on le reverse aux collectivités territoriales suivant les règles que le Parlement a fixées.

L'année dernière, nous avons par ailleurs décidé de transférer la gestion du RMI aux départements. Pour cela, une partie de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP, leur a été transférée sans qu'ils puissent en modifier le taux.

Un certain nombre de nos collègues ont saisi le Conseil constitutionnel, qui leur a répondu que cela ne mettait pas en cause la libre administration des collectivités territoriales et que le Parlement n'était jamais obligé de créer, au profit des collectivités territoriales, le droit de voter le taux d'un impôt. Mais il a surtout indiqué que, si le produit de la TIPP n'était pas suffisant pour garantir aux collectivités territoriales un niveau de recettes identique à ce que l'Etat consacrait au RMI avant le transfert de cette compétence, l'Etat devrait abonder le produit de la TIPP.

Au final, moi, je ne vois pas où est la différence entre la DGF, prélèvement sur recettes, et la TIPP abondée par une autre ressource de l'Etat : c'est aussi une sorte de prélèvement sur un impôt. Nous arrivons à un résultat qui est juridiquement similaire.

Cette question ne mérite pas que nous nous opposions les uns aux autres, d'autant qu'un vrai problème se pose aujourd'hui : il n'y a plus d'impôts à transférer !

M. Jean-Jacques Hyest. Et voilà ! C'est bien la question !

M. Gérard Delfau. Il ne reste que des charges !

M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Des charges, nous arrivons même à en créer !

Pour l'avenir, la question qui se pose est la suivante : quels sont les impôts que l'on pourra transférer aux collectivités locales ? En effet, une fois qu'aura été transférée la totalité de la taxe sur les conventions d'assurances, ce que nous attendons avec quelque impatience, il ne restera plus que des impôts à partager.

La façon dont vous résolvez cette question, messieurs les ministres, ne peut satisfaire les élus locaux : ils ne peuvent se contenter de produits d'impôts partagés. Il faut aller plus loin et, pour ce faire, il convient que le législateur, tout en respectant le cadre de l'article 34 de la Constitution, institue et organise, sur une partie de ces impôts transférés, un véritable pouvoir des collectivités locales quant au montant encaissé par celles-ci. Cela existe dans des Etats voisins, et qui ne sont pas des Etats fédéraux.

C'est cette coresponsabilité fiscale qui doit, selon moi, être recherchée, car c'est là, nous le savons tous, que se trouve la solution pour demain.

Pour aujourd'hui, grâce à la définition que nos deux commissions vous proposent, mes chers collègues, il s'agit de rétablir la confiance avec les élus locaux et, pour demain, de voir comment des impôts partagés pourront être aussi des impôts locaux.

La commission des finances vous propose donc de suivre la commission des lois et de voter ce projet de loi organique assorti des amendements que nous présentons en commun. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la délégation.

M. Jean François-Poncet, président de la délégation du Sénat pour l'aménagement et le développement durable du territoire. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la décentralisation a vingt-deux ans d'âge. Aussi est-il difficile, pour ne pas dire impossible, de juger d'un texte la concernant sans l'éclairer de l'expérience acquise. Cela est d'autant plus vrai que le projet de loi organique qui nous est soumis traite d'une question fondamentale pour toutes les collectivités territoriales, à savoir l'équilibre entre les compétences que la décentralisation leur dévolue et les ressources qu'elle leur transfère pour les exercer.

Or l'expérience du dernier quart de siècle a mis en évidence trois graves écueils.

Premier écueil : les ressources transférées depuis vingt-deux ans aux collectivités locales n'ont que très rarement et très partiellement couvert les charges qui leur sont imposées, les obligeant à augmenter - de façon considérable dans certains départements - les impôts locaux.

Deuxième écueil : la substitution de dotations de l'Etat à des impôts locaux a très largement porté atteinte à l'autonomie financière des collectivités locales et, partant, à leur libre administration.

Troisième écueil : la décentralisation, en raison de l'insuffisance notoire des mécanismes de péréquation, a considérablement accru les inégalités entre collectivités riches et collectivités pauvres, au point de créer une véritable fracture territoriale.

M. Gérard Delfau. C'est vrai !

M. Jean François-Poncet, président de la délégation du Sénat pour l'aménagement et le développement durable du territoire. La décentralisation, j'ai le regret de le dire, a renvoyé les riches à leur richesse et les pauvres à leur pauvreté.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Jean François-Poncet, président de la délégation du Sénat pour l'aménagement et le développement durable du territoire. Ces dysfonctionnements, le Président de la République et le Gouvernement ont entendu les corriger avant d'engager l'acte II de la décentralisation. Qu'ils en soient ici félicités, et ce d'autant plus que, pour rendre les nouvelles règles intangibles, ils les ont fait inscrire dès leur prise de fonctions dans le marbre de la Constitution.

C'est ainsi que le présent texte met en oeuvre le troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution. Il protégera dans l'avenir, moyennant l'adoption de certaines modifications, les collectivités contre les atteintes qui pourraient éventuellement être portées à leur autonomie financière.

En revanche, le texte reste muet sur le troisième écueil, à savoir l'inégalité entre collectivités, que la décentralisation aggrave et que le même article 72-2, dans son cinquième alinéa, prescrit au législateur de corriger par une loi ordinaire et non pas, il est vrai, par une loi organique.

Or ces deux écueils sont étroitement liés l'un à l'autre. En effet, l'essentiel de la péréquation se fait de manière « verticale », au travers des flux financiers de l'Etat vers les collectivités locales. Plus ces flux sont réduits, plus la marge dont dispose l'Etat pour la péréquation est faible et plus on augmente la part des ressources propres des collectivités dans l'ensemble de leurs ressources, plus ces flux diminuent. Autant dire que l'autonomie ne fait pas bon ménage avec la péréquation !

La commission des finances l'a parfaitement compris, ce dont la délégation à l'aménagement du territoire tient à lui rendre hommage. La part des ressources propres des collectivités dans l'ensemble de leurs moyens doit, comme le souhaite la commission des finances, laisser à la péréquation une très large place, une place dont la délégation à l'aménagement du territoire vous demande, messieurs les ministres, quel usage le Gouvernement entend faire.

Pour faciliter la tâche du Gouvernement, notre délégation a procédé à une évaluation des inégalités de ressources et de charges entre les départements et les régions ; elle n'a pas, pour le moment, étendu ses investigations aux communes.

Cette évaluation, aussi étrange que cela puisse paraître, personne à ce jour ne l'avait entreprise. Il existe, certes, depuis longtemps, des comparaisons entre les potentiels fiscaux des départements et des régions - on a même critiqué la valeur que peut avoir le potentiel fiscal -, mais le texte de la Constitution concernant la péréquation nous fait obligation de prendre en compte, outre les ressources, les charges qu'assument les départements et les régions, ce qui d'ailleurs se comprend fort bien.

En effet, dans la mesure où des collectivités disposant de ressources importantes supportent souvent des charges particulièrement élevées, une péréquation réalisée selon le seul critère des recettes potentielles les pénaliserait injustement.

Encore fallait-il que, dans l'évaluation de ces charges, ne soit pas accordée une sorte de prime aux collectivités les plus dépensières, c'est-à-dire à celles dont la gestion est laxiste. Aussi la délégation n'a-t-elle pris en compte que les dépenses obligatoires et a-t-elle mis au point pour les évaluer un indice qui neutralise en amont les différents choix budgétaires des collectivités.

En combinant l'évaluation du potentiel de ressources et l'évaluation des charges obligatoires ainsi définies, la délégation a établi un indice synthétique qui reflète de façon totalement objective la richesse relative des départements et des régions. Je tiens à préciser que le rapport que nous avons rendu a été entériné et par la commission des affaires économiques et par la commission des finances du Sénat.

A quelles conclusions les travaux de la délégation aboutissent-ils ?

Première conclusion : la dotation globale de fonctionnement dans son ensemble, telle qu'elle existe, n'affiche aucune corrélation véritable avec le degré de pauvreté des départements.

Cela résulte, d'une part, du fait que la DGF est corrélée à la population et non pas au niveau des ressources et, d'autre part, du fait que la dotation de fonctionnement minimale, la DFM, qui fait partie de la DGF et qui est destinée aux départements les moins bien pourvus - vingt-quatre d'entre eux en bénéficient -, ne représente à ce jour que 5 % de la DGF et que nombre de départements pauvres en sont étrangement exclus.

On observe en effet que la DFM n'a de corrélation ni avec le pourcentage des personnes de plus de soixante ans, ni avec le nombre des RMIstes, ni avec le revenu par habitant, ni avec la proportion de logements sociaux. Il s'agit là d'une situation éminemment curieuse, que le Gouvernement, nous l'espérons, aura à coeur de corriger.

La deuxième conclusion à laquelle ont conduit nos travaux est la suivante : au regard de l'indice synthétique qui, je le rappelle, combine potentiel de ressources et charges obligatoires, et après versement de la DGF, l'écart entre les départements et les régions les plus pauvres et les départements et les régions les mieux pourvus reste considérable, de l'ordre de un à six. Cet écart s'accroîtra encore si la nouvelle étape de la décentralisation ne s'accompagne pas d'une péréquation véritable.

Troisième conclusion : il est urgent d'agir, messieurs les ministres ! En effet, les travaux du groupe de travail, corroborés par plusieurs autres études, notamment celle qui a été conduite par le sénateur Philippe Adnot dans le cadre de l'Assemblée des départements de France, ont mis en évidence l'impossibilité, pour plusieurs conseils généraux, de faire face à leurs charges obligatoires dans des conditions de pression fiscale et de niveaux de prestation acceptables.

J'en arrive à la quatrième et dernière conclusion, qui, elle, est rassurante, contrairement aux trois autres : la délégation a montré qu'en utilisant la dotation globale de fonctionnement telle que la loi de finances pour 2004 l'a reformatée, il est possible, en cinq ans, de réduire très significativement les écarts et de parvenir ainsi à une égalité relative - personne n'a l'ambition d'aboutir à une égalité totale - entre départements et entre régions sans que la DGF d'aucun département ni d'aucune région diminue et sans qu'il soit porté atteinte, bien entendu, à la nécessaire autonomie financière de ces collectivités.

Je terminerai mon intervention en soulevant trois interrogations.

En premier lieu, nous souhaiterions connaître le dosage entre autonomie et péréquation envisagé par le Gouvernement, les deux objectifs revêtant, à nos yeux, la même importance.

En deuxième lieu, nous aimerions savoir si, dans la définition de la péréquation, il sera tenu compte non seulement des ressources propres et des ressources mises à disposition,mais également des charges obligatoires objectivement évaluées.

Nous souhaiterions, enfin, que vous nous confirmiez qu'un projet de loi réformant les dotations de l'Etat et répondant aux préoccupations du Sénat en matière de péréquation sera bien présenté au Parlement pour être voté à la fin de l'année et mis en oeuvre le 1er janvier 2005.

Monsieur le ministre, la matière est aride, mais l'enjeu est fondamental. Il s'agit non seulement de mettre en oeuvre le principe républicain de l'égalité des citoyens devant la loi, mais aussi de valoriser l'un des atouts de la France dans l'Union européenne : son espace rural. Les départements les plus démunis sont très souvent des départements ruraux. Or, à l'heure où la qualité de vie est devenue un facteur essentiel de la localisation de l'activité économique, l'espace rural français, qui est le plus attractif d'Europe, n'est plus un chef-d'oeuvre en péril qui s'agit de sauver : il est devenu le lieu d'une nouvelle modernité dont le Gouvernement doit avec lucidité favoriser l'éclosion. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(M. Bernard Angels remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)