sommaire

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

1. Procès-verbal

2. Hommage à Rainier III de Monaco

3. Eau et milieux aquatiques. - Suite de la discussion d'un projet de loi

Article 4 (suite)

Amendement no 644 de M. Jean Desessard. - MM. Jean Desessard, Bruno Sido, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable. - Rejet.

Amendements nos 537 rectifié de Mme Josette Durrieu, 522 de M. Pierre-Yvon Trémel, 362 rectifié, 361 rectifié, 367 rectifié de M. Ladislas Poniatowski, 300 rectifié bis de M. Alain Vasselle ; amendements identiques nos 12 de la commission et 321 de M. Henri Revol ; amendement no 332 de M. Jean-François Le Grand. - Mme Josette Durrieu, MM. Pierre-Yvon Trémel, Ladislas Poniatowski, Alain Vasselle, le rapporteur, Jean-François Le Grand, le ministre, Mme Dominique Voynet, MM. Jean Desessard, Henri Revol. - Retrait des amendements nos 537 rectifié, 522, 300 rectifié bis et 332 ; adoption des amendements nos 362 rectifié, 361 rectifié, 367 rectifié bis, 12 et 321.

Amendement no 368 rectifié de M. Ladislas Poniatowski. - MM. Ladislas Poniatowski, le rapporteur, le ministre. - Retrait.

Suspension et reprise de la séance

4. Référendum relatif au projet de loi autorisant la ratification du traité établissant une constitution pour l'Europe. - Débat sur une déclaration du Gouvernement

MM. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre ; Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères ; Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne ; Jean-Pierre Bel.

présidence de Mme Michèle André

MM. Bruno Retailleau, Josselin de Rohan, Michel Mercier, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jacques Pelletier, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Jean François-Poncet, Jacques Blanc, Jean Bizet.

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères.

Suspension et reprise de la séance

présidence de M. Guy Fischer

5. Rappel au règlement

MM. Jacques Baudot, le président.

6. Dépôt d'un rapport en application d'une loi

7. Saisine du Conseil constitutionnel

8. Eau et milieux aquatiques. - Suite de la discussion d'un projet de loi

Article 4 (suite)

Amendement no 333 de M. Jean-François Le Grand. - MM. Jean-François Le Grand, Bruno Sido, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable. - Retrait.

Amendement no 678 du Gouvernement. - MM. le ministre, le rapporteur. - Adoption.

Amendement no 540 de M. Bernard Cazeau. - MM. Paul Raoult, le rapporteur, le ministre. - Retrait.

Amendements nos 642 rectifié de Mme Josette Durrieu, 13 de la commission, 322 de M. Henri Revol et 197 rectifié de M. Claude Biwer. - MM. Pierre-Yves Collombat, le rapporteur, Henri Revol, Claude Biwer, le ministre. - Retrait des amendements nos 642 rectifié, 322 et 197 rectifié ; adoption de l'amendement no 13.

Amendements nos 323 de M. Henri Revol et 416 rectifié ter de M. Jean-Pierre Vial. - MM. Henri Revol, René Beaumont, le rapporteur, le ministre, Jean Desessard, Jean-Paul Emin, Gérard Delfau. - Retrait de l'amendement no 416 rectifié ter ; rejet de l'amendement no 323.

Adoption de l'article modifié.

Article additionnel avant l'article 5

Amendement no 355 rectifié de M. Gérard Bailly et sous-amendement no 686 de la commission. - MM. Charles Revet, le rapporteur, le ministre, Paul Raoult, Gérard Delfau. - Adoption du sous-amendement et de l'amendement modifié insérant un article additionnel.

Article 5

Amendement no 544 de M. Jean Desessard. - MM. Jean Desessard, le rapporteur, le ministre. - Retrait.

Amendement no 14 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption.

Amendement no 354 rectifié de M. Gérard Bailly. - MM. Georges Ginoux, le rapporteur, le ministre. - Retrait.

Amendement no 15 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption.

Amendement no 16 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption.

Amendement no 418 rectifié bis de M. Jean-Pierre Vial. - MM. René Beaumont, le rapporteur, le ministre. - Retrait.

Amendement no 541 de M. Bernard Cazeau. - MM. Paul Raoult, le rapporteur, le ministre, Daniel Soulage, Alain Vasselle. - Retrait.

Amendement no 17 rectifié de la commission et sous-amendement no 417 rectifié ter de M. Jean-Pierre Vial ; amendements nos 358 rectifié de M. Ladislas Poniatowski et 542 de M. Bernard Cazeau ; amendements identiques nos 294 rectifié de M. Daniel Soulage et 301 rectifié bis de M. Alain Vasselle. - MM. le rapporteur, René Beaumont, Ladislas Poniatowski, Paul Raoult, Daniel Soulage, Alain Vasselle, le ministre. - Retrait du sous-amendement no 417 rectifié ter et des amendements nos 358 rectifié, 294 rectifié et 301 rectifié bis ; adoption de l'amendement no 17 rectifié, l'amendement no 542 devenant sans objet.

Amendement no 18 rectifié de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption.

Amendement no 520 de M. Thierry Repentin et sous-amendement no 19 rectifié de la commission ; amendements nos 543 de M. Bernard Cazeau et 201 de Mme Françoise Férat. - MM. Thierry Repentin, Paul Raoult, le rapporteur, Daniel Soulage, le ministre. - Retrait des amendements nos 543 et 201 ; adoption du sous-amendement no 19 rectifié et de l'amendement no 520 modifié.

Amendement no 20 de la commission et sous-amendement no 347 rectifié bis de M. Michel Doublet. - Retrait de l'amendement, le sous-amendement devenant sans objet.

Amendement no 21 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption.

Adoption de l'article modifié.

Article additionnel après l'article 5

Amendement no 545 de M. Jean Desessard. - MM. Jean Desessard, le rapporteur, le ministre. - Rejet.

Article 6

Amendement no 547 de M. Bernard Cazeau. - MM. Paul Raoult, le rapporteur, le ministre, Jean Desessard. - Rejet.

Amendement no 433 de Mme Evelyne Didier. - MM. Bernard Vera, le rapporteur, le ministre. - Adoption.

Amendements nos 442 et 441 de Mme Evelyne Didier. - Mme Evelyne Didier, MM. le rapporteur, le ministre, Gérard Delfau, Alain Vasselle. - Adoption de l'amendement no 442 ; rejet de l'amendement no 441.

Amendements identiques nos 481 de Mme Evelyne Didier et 546 de M. Paul Raoult. - Mme Evelyne Didier, MM. Paul Raoult, le rapporteur, le ministre. - Rejet des deux amendements.

Adoption de l'article modifié.

Article additionnel après l'article 6

Amendement no 548 de M. Jean Desessard. - MM. Jean Desessard, le rapporteur, le ministre. - Rejet.

Article 7

Amendements nos 22 à 24 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre. - Rejet des trois amendements.

Amendement no 434 de Mme Evelyne Didier. - Mme Evelyne Didier, MM. le rapporteur, le ministre. - Retrait.

Amendement no 25 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption.

Amendement no 549 rectifié de M. Jean Desessard. - MM. Jean Desessard, le rapporteur, le ministre. - Rejet.

Adoption de l'article modifié.

Article additionnel après l'article 7

Amendement no 317 de M. Michel Esneu et sous-amendement no 684 du Gouvernement. - MM. Michel Esneu, le ministre, le rapporteur, Jean-François Le Grand. - Retrait du sous-amendement et de l'amendement.

Renvoi de la suite de la discussion.

9. Transmission de projets de loi

10. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

11. Dépôt de rapports

12. Ordre du jour

compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

HOMMAGE À RAINIER III de monaco

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom du Sénat tout entier, je voudrais rendre hommage à la mémoire de Son Altesse Sérénissime le Prince Rainier III, qui s'est éteint ce matin après plus de cinquante-cinq ans de règne sur le « Rocher » de Monaco. (M. le président, M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

Figure emblématique de la Principauté, héritier de la grande famille des Grimaldi, le Prince Rainier a beaucoup contribué au développement du rayonnement international de Monaco et à son ancrage européen, notamment grâce à sa récente adhésion au Conseil de l'Europe.

En même temps, il a toujours veillé à préserver l'autonomie d'un État si original.

Dans ce contexte, ce grand ami et voisin de la France s'est tout particulièrement attaché à l'amélioration des relations de coopération avec notre pays, lesquelles, autrefois marquées par quelques vicissitudes, sont désormais devenues excellentes.

En notre nom à tous, je veux présenter nos condoléances attristées à la population monégasque et à la famille princière, notamment à ses deux filles, Caroline et Stéphanie, ainsi qu'au prince Albert, à qui revient désormais la lourde responsabilité d'assurer la continuité de l'oeuvre entreprise par son père. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)

3

Art. 4 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques
Art. 4 (début)

Eau et milieux aquatiques

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques (nos 240, 271, 273, 272).

Dans la discussion des articles, nous poursuivons l'examen de l'article 4.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques
Art. 4 (interruption de la discussion)

Article 4 (suite)

I. - Il est ajouté, après la section 4 du chapitre IV du titre Ier du livre II du code de l'environnement, une section 5 ainsi rédigée :

« Section 5

« Obligations relatives aux ouvrages

« Art. L. 214-17. I. - Aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages constituant un obstacle à la continuité écologique des cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux qui sont en très bon état écologique ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée est nécessaire. La continuité écologique est caractérisée par un transport suffisant des sédiments et par la circulation des espèces vivantes.

« Le renouvellement de la concession ou de l'autorisation des ouvrages existants, régulièrement installés sur ces cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux est subordonné à des prescriptions permettant d'assurer le très bon état écologique des eaux ou la protection des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée.

« II. - Les ouvrages situés sur des cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer un transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs sont gérés, entretenus et, le cas échéant, équipés selon des règles définies avec l'autorité administrative.

« III. - Les cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux visés aux I et II ci-dessus sont énumérés sur des listes établies pour chaque bassin ou sous-bassin par le préfet coordonnateur de bassin après avis des conseils généraux intéressés et du comité de bassin.

« IV. - Les obligations résultant des dispositions de cet article entrent en vigueur à la date de publication des listes prévues au III. Toutefois, l'obligation instituée au II n'est faite aux ouvrages existants régulièrement installés qu'à l'issue d'un délai de cinq ans à compter de la publication de la liste.

« Ces obligations sont alors substituées à celles résultant des classements de cours d'eau prononcés en application de l'article 2 de la loi du 16 octobre 1919 et de l'article  L. 432-6 qui demeurent applicables jusqu'à cette date. Elles n'ouvrent pas droit à indemnité, à moins qu'elles ne fassent peser sur le propriétaire ou l'exploitant de l'ouvrage une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi par ces obligations.

« Art. L. 214-18. - I. - Tout ouvrage à construire dans le lit d'un cours d'eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l'installation de l'ouvrage ainsi que, le cas échéant, des dispositifs empêchant la pénétration du poisson dans les canaux d'amenée et de fuite.

« Ce débit minimal ne doit pas être inférieur au dixième du module du cours d'eau au droit de l'ouvrage correspondant au débit moyen interannuel, évalué à partir des informations disponibles portant sur une période minimale de cinq années, ou au débit à l'amont immédiat de l'ouvrage, si celui-ci est inférieur. Pour les cours d'eau ou parties de cours d'eau dont le module est supérieur à 80 mètres cubes par seconde, ce débit minimal ne doit pas être inférieur au vingtième du module du cours d'eau au droit de l'ouvrage évalué dans les mêmes conditions ou au débit à l'amont immédiat de l'ouvrage si celui-ci est inférieur. Toutefois pour les cours d'eau ou sections de cours d'eau présentant un fonctionnement atypique rendant non pertinente la fixation d'un débit minimal dans les conditions prévues ci-dessus, le débit minimal peut être fixé à une valeur inférieure.

« II. - Les actes d'autorisation ou de concession peuvent fixer des valeurs de débit minimal différentes selon les périodes de l'année, sous réserve que la valeur du débit minimal délivré en moyenne annuelle ne soit pas inférieure aux débits minimaux fixés en application du I.

« Lorsqu'un cours d'eau ou une section de cours d'eau est soumis à des étiages naturels exceptionnels, l'autorité administrative peut fixer, pour ces périodes d'étiage, des débits minimaux temporaires inférieurs au débit minimal prévu au I.

« III. - L'exploitant de l'ouvrage est tenu d'assurer le fonctionnement et l'entretien des dispositifs garantissant dans le lit du cours d'eau le débit minimal défini aux alinéas précédents.

« IV. - Pour les ouvrages existants à la date de promulgation du présent article, les obligations qu'il institue sont substituées, dès le renouvellement de leur concession ou autorisation et au plus tard le 22 décembre 2013, aux obligations qui leur étaient précédemment faites. Cette substitution ne donne lieu à indemnité que dans les conditions prévues au IV de l'article L. 214-17.

« V. - Les dispositions du présent article ne sont applicables ni au Rhin ni aux parties internationales des cours d'eau partagés. 

« Art. L. 214-19. - Un décret en Conseil d'État précise les conditions d'application de la présente section. »

II. - L'intitulé de la section 3 du chapitre II du titre III du livre IV est remplacé par l'intitulé suivant : « Obligations relatives aux plans d'eau ».

M. le président. Au sein de cet article, nous en sommes parvenus à l'amendement n° 644.

L'amendement n° 644, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin,  Boumediene-Thiery et  Voynet, est ainsi libellé :

I. Dans le premier alinéa du I du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement, avant les mots :

la vie, la circulation et la reproduction des espèces

insérer les mots :

, outre un bon état chimique et écologique des eaux,

II. Compléter le premier et le second alinéa du II du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du même code par les mots :

sans que ce débit puisse être inférieur au débit d'étiage de référence, ou le débit naturel si celui-ci est inférieur.

III. Compléter le III du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du même code par les mots :

, ainsi que d'adapter ces dispositifs à toutes les espèces susceptibles de fréquenter ces cours d'eau.

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Cet amendement, qui s'articule en trois parties, vise à renforcer la loi afin de la mettre en conformité avec les objectifs ambitieux de bon état écologique des eaux en 2015.

Il tend, dans le paragraphe I, à ajouter une condition générale de bon état chimique et écologique des eaux pour pouvoir réaliser un barrage.

Il vise, dans le paragraphe II, à garantir la pérennité de la vie aquatique en cas d'étiage exceptionnel et à éviter que ne devienne légale la mise à sec d'un tronçon de rivière.

Enfin, dans le paragraphe III, il prévoit que les dispositifs de maintien du débit réservé devront, le cas échéant, pouvoir être adaptés durant la vie de l'ouvrage si des opérations de restauration écologique de cours d'eau permettent le retour d'espèces qui ont aujourd'hui disparu de nos cours d'eau.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Les obligations qui résulteraient de l'adoption de cet amendement seraient à l'évidence disproportionnées pour les exploitants des ouvrages hydrauliques et se traduiraient par des surcoûts importants.

En outre, elles provoqueraient des pertes de production hydraulique importantes. Contrairement à ce que vous proposez, nous sommes favorables à ce que les politiques environnementales et énergétiques se concilient au mieux.

Pour ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable. Le paragraphe II de l'amendement n° 644 est satisfait par l'amendement n° 678 que je présenterai tout à l'heure, au nom du Gouvernement.

Par ailleurs, les autres dispositions prévues dans cet amendement sont de portée réglementaire.

Le Gouvernement souhaite donc le retrait de cet amendement. A défaut, il y sera défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 644.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de neuf amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 537 rectifié, présenté par Mme Durrieu, MM. Courteau et  Collombat, Mmes M. André et  Alquier, est ainsi libellé :

I - Dans la première phrase du second alinéa du I du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement, remplacer le mot :

dixième

par le mot :

vingtième

II - En conséquence, supprimer la deuxième phrase du même texte.

La parole est à Mme Josette Durrieu.

Mme Josette Durrieu. La fixation des débits réservés à un dixième du débit moyen annuel a déjà fait l'objet d'un débat hier. Il s'agit d'un vrai problème, monsieur le ministre, qui est d'ailleurs repris dans plusieurs amendements déposés à l'article 4 ; je pense notamment aux amendements n° 333, présenté par M. Jean-François Le Grand, n° 540, déposé par plusieurs sénateurs socialistes, et n° 197 rectifié, présenté par MM. Biwer et Béteille.

Depuis la loi pêche de 1984 et le décret correspondant du code rural, le débit réservé est fixé à un dixième du débit moyen annuel. On conserve une tolérance à un quarantième pour les ouvrages existant à la date de la parution de la loi, avec l'obligation de passer à un dixième lors du renouvellement du titre administratif.

Passer de un quarantième à un dixième, c'est sévère, monsieur le ministre ! C'est pourquoi nous proposons, dans cet amendement, de retenir le chiffre de un vingtième. Ce faisant, nous reprenons une demande largement répandue, car la fixation du débit réservé à un dixième du débit moyen provoquera - et provoque d'ailleurs déjà - des pertes de production hydroélectrique importantes qui sont d'ores et déjà estimées à plus de 4 % de la production hydraulique potentielle du pays.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire hier, mais je le répète, car c'est important, ces pertes représentent 3 milliards de kilowattheures, soit l'équivalent de la production d'hydroélectricité d'un département comme les Hautes-Pyrénées.

Ainsi que nombre de nos collègues l'ont rappelé après vous, monsieur le ministre, et après M. le rapporteur, l'énergie hydroélectrique est probablement la source d'énergie la plus propre, celle qui mérite sans doute le plus d'être valorisée. Il reste encore des sites à équiper. En tout état de cause, il faut continuer à développer cette source d'énergie plutôt que d'essayer de la limiter.

Dès lors, pourquoi s'acharner sur les microcentrales qui ont leur rôle, leur place, et qui sont rentables, à condition toutefois de prendre des mesures empreintes de prudence.

Monsieur le ministre, s'il convient en effet de réglementer la notion de débit réservé -  tout en réfléchissant bien avant d'arrêter un chiffre -, il convient également d'assouplir le dispositif. D'ailleurs, vous avez vous-même évoqué la nécessité d'adapter les dispositions actuelles dans votre intervention liminaire. En revanche, dans votre réponse, votre propos était beaucoup plus lointain et moins précis.

Monsieur le ministre, êtes-vous prêt, lorsque vous prendrez les décrets d'application de la future loi sur l'eau et les milieux aquatiques, à distinguer les différents cours d'eau et à les classer à l'échelle des bassins et des régimes ? En outre, les actes - autorisations ou concessions - devront prendre en compte toutes ces spécificités et prévoir les adaptations nécessaires. Je ne suis pas la seule à formuler ce souhait, tout le monde pose la même question, monsieur le ministre, et nous espérons que vous nous aurez entendus.

M. le président. L'amendement n° 522, présenté par M. Trémel, est ainsi libellé :

I. - Dans les deux premières phrases du second alinéa du I du texte proposé par cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement, après les mots :

du module du cours d'eau

insérer deux fois les mots :

en aval immédiat

II. - Dans le premier alinéa du II du même texte, après les mots :

les périodes de l'année

insérer les mots :

pour satisfaire à la fois la valorisation de l'eau comme ressource économique et les besoins spécifiques des milieux aquatiques et des espèces qui peuplent le cours d'eau

III. - Dans le second alinéa du II du même texte, après le mot :

naturels

insérer le mot :

sévères

 

La parole est à M. Pierre-Yvon Trémel.

M. Pierre-Yvon Trémel. Cet amendement tire son objet des difficultés constatées, ces dernières années, dans l'application du régime réservé au dixième du module interannuel dans certains cours d'eau.

Ces difficultés font naître des conflits permanents entre les administrations et certains usagers économiques de l'eau ; je pense en particulier aux pisciculteurs en Bretagne.

L'article 4 du projet de loi ouvre des perspectives nouvelles. L'objet de cet amendement est de l'améliorer sur trois points.

La première amélioration porte sur la possibilité de restitution de l'eau en aval immédiat de l'ouvrage de prise d'eau. Cette technique, dont l'application est déjà prévue par certains arrêtés préfectoraux, serait de nature à contribuer au respect du débit réservé en période d'étiage.

La deuxième amélioration réside dans la réintégration dans le projet de loi de la notion d'eau considérée comme une ressource économique, notion d'ailleurs présente dans la version du projet de loi qui a été transmise au Conseil d'Etat.

Enfin, la troisième amélioration possible consiste à abandonner la notion d'étiage exceptionnel, qui commence à poser problème : nous risquons malheureusement de connaître d'autres étiages comparables à celui de 2003. L'amendement tend donc à préférer l'expression d'étiages « sévères ».

M. le président. L'amendement n° 362 rectifié, présenté par MM. Poniatowski, Beaumont, Carle, César, Doublet, Ginoux, Mortemousque et Trucy, est ainsi libellé :

Dans la première phrase du second alinéa du I du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement, après les mots :

au dixième du module du cours d'eau

insérer les mots :

en aval immédiat ou

La parole est à M. Ladislas Poniatowski.

M. Ladislas Poniatowski. Le pompage ou la restitution de l'eau en aval immédiat de l'ouvrage de prise d'eau peut être considéré comme une des solutions pour respecter le débit réservé en période d'étiage, visé au second alinéa du I du texte proposé pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement. Certains préfets ont déjà adopté cette modalité technique, que l'on trouve clairement exprimée dans des arrêtés préfectoraux, notamment en Bretagne et dans les Landes.

Cependant, bien sûr, ce pompage ne devrait pas être obligatoire. En particulier, les zones de montagne, pour des raisons techniques, ne pourront y avoir recours, car la topographie des sites implique une prise d'eau assez éloignée des bassins de pisciculture, avec un dénivelé qui demanderait une forte puissance de pompage, donc un coût énergétique important, pour restituer l'eau au niveau de la prise.

Cet amendement a donc pour objet d'offrir la possibilité de remonter l'eau au pied du barrage en appliquant le débit réservé en aval immédiat de l'ouvrage et non pas au droit de celui-ci.

M. le président. L'amendement n° 361 rectifié, présenté par MM. Poniatowski, Beaumont, Carle, César, Doublet, Ginoux, Mortemousque et Trucy, est ainsi libellé :

Dans le premier alinéa du II du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement, après les mots :

selon les périodes de l'année,

insérer les mots :

pour satisfaire à la fois la valorisation de l'eau comme ressource économique et les besoins spécifiques des milieux aquatiques et des espèces qui peuplent le cours d'eau,

La parole est à M. Ladislas Poniatowski.

M. Ladislas Poniatowski. La notion d'eau considérée comme une ressource économique apparaît comme essentielle. L'eau est d'ailleurs la première richesse pour les piscicultures, qui ne la consomment pas mais la restituent intégralement au cours d'eau. Au demeurant, cette notion figurait dans la rédaction du projet de loi soumise au Conseil d'Etat.

L'amendement n° 361 rectifié vise donc à la réintégrer dans le texte qui nous est proposé.

M. le président. L'amendement n° 300 rectifié bis, présenté par MM. Vasselle, César, Texier, Mortemousque et Murat, est ainsi libellé :

Dans le second alinéa du II du texte proposé par cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement, remplacer le mot :

exceptionnels

par le mot :

sévères

La parole est à M. Alain Vasselle.

M. Alain Vasselle. Cet amendement est très proche de celui que va défendre notre collègue M. Poniatowski dans un instant.

Il faut en effet tenir compte de la situation que vit notre pays depuis quelques années, liée notamment aux changements climatiques. Nous devons être réalistes et ne pas en rester aux dispositions actuelles, que permettait le caractère exceptionnel des étiages : ceux que nous avons connus lors de l'été 2003 risquent malheureusement de se répéter et de perdre ce caractère exceptionnel.

C'est pourquoi l'amendement n° 300 rectifié bis vise à remplacer le terme « exceptionnels » par le terme « sévères ». Cette proposition me paraît de si grand bon sens que je ne vois pas en quoi la commission et le Gouvernement pourraient s'y opposer.

M. le président. L'amendement n° 367 rectifié, présenté par MM. Poniatowski, Beaumont, Carle, César, Doublet, Ginoux, Mortemousque et Trucy, est ainsi libellé :

Dans le second alinéa du II du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement :

I. - remplacer les mots :

des étiages naturels exceptionnels

par les mots :

un étiage naturel sévère

II. - remplacer les mots :

ces périodes d'étiage

par les mots :

cette période d'étiage

La parole est à M. Ladislas Poniatowski.

M. Ladislas Poniatowski. Je soutiens d'autant plus l'amendement de mon collègue Alain Vasselle qu'il est compris dans l'amendement n° 367 rectifié, lequel cependant va plus loin.

La possibilité donnée à l'autorité administrative de diminuer la valeur des débits minimaux autorisés doit relever d'une situation véritablement exceptionnelle et être destinée à faire face à une crise. Cette mesure a donc pour vocation de ne pas être mise en oeuvre de manière chronique et programmée, comme le laisserait supposer la rédaction actuelle, qui comporte un pluriel. En effet, la réitération systématique, chaque année, d'une telle dérogation aurait sur la faune piscicole des conséquences graves, de nature à menacer durablement la vie, la circulation et la reproduction des poissons obtenues par l'application de la valeur réglementaire du débit réservé le reste de l'année.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 12 est présenté par M. Sido, au nom de la commission des affaires économiques.

L'amendement n° 321 est présenté par MM. Revol et Le Grand.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Dans la deuxième phrase du second alinéa du I du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement, après les mots :

dont le module est supérieur à 80 mètres cubes par seconde

insérer les mots :

ou équipés d'ouvrages qui contribuent, par leur capacité de modulation, à la production d'électricité en période de pointe de consommation et dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat pris après avis du Conseil supérieur de l'énergie

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur. L'article L. 214-18 tend à réaffirmer que, à compter de la fin de 2013, les exploitants hydroélectriques devront laisser passer dans les cours d'eau sur lesquels se trouvent des barrages un débit minimal équivalent au dixième du module pour les rivières et au vingtième pour les cours d'eau les plus importants.

D'après les producteurs d'hydroélectricité, cette disposition pourrait avoir pour conséquence de faire perdre une production électrique, évaluée à trois milliards de kilowattheures, particulièrement utilisée pendant les périodes de pointe de consommation, sans que l'intérêt écologique d'une telle mesure soit démontré.

Au surplus, ces pertes de production devront être compensées par la création de moyens thermiques, fortement émetteurs de gaz à effet de serre. Or, faut-il le rappeler, la France est en Europe le pays qui émet le moins de CO2 du fait de la production énergétique.

Il convient donc, pour assurer la sécurité du système électrique français et pour maintenir ses points forts actuels, d'atténuer le dispositif contenu dans le projet de loi, afin de garantir les capacités de production françaises.

L'amendement n° 12 tend donc à instaurer une dérogation supplémentaire aux règles de débit réservé pour les ouvrages hydroélectriques qui jouent un rôle éminent en matière de production d'énergie de pointe. Il y est prévu que soit fixé au vingtième du module le débit réservé des ouvrages qui, par leur capacité de modulation, contribuent à fournir de l'énergie pendant les pics de consommation, ouvrages dont la liste est fixée par décret pris après avis du Conseil supérieur de l'énergie.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Le Grand, pour présenter l'amendement n° 321.

M. Jean-François Le Grand. Je n'ai pas besoin de faire de long discours, car je rejoins totalement les propos que vient de tenir M. le rapporteur. Il est toujours agréable de constater que nous sommes « en phase » et c'est le cas, au moins, sur ce point-là !

Au demeurant, dans la mesure où cet amendement est identique à celui de la commission, je le retire au profit de ce dernier.

M. le président. L'amendement n° 321 est retiré.

L'amendement n° 332, présenté par M. Le Grand, est ainsi libellé :

Compléter la deuxième phrase du second alinéa du I du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement par les mots :

sous réserve que ces mesures ne fassent pas obstacle au développement de l'hydroélectricité comme énergie renouvelable, en application des dispositions de la directive sur les énergies renouvelables du 27 septembre 2001.

La parole est à M. Jean-François Le Grand.

M. Jean-François Le Grand. Je ne répéterai pas l'exposé que j'ai déjà présenté la nuit dernière sur les raisons d'être de cette série d'amendements, qui relèvent tous de la même philosophie et participent de la réflexion qui a été menée au sein du Cercle français de l'eau, aux destinées duquel j'ai l'honneur de présider.

Nous regrettons que ne soit pas mieux défini le « bon état écologique des eaux ». Mais nous aurons l'occasion d'y revenir dans d'autres circonstances.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. Madame Durrieu, comme la commission, vous souhaitez que le potentiel de production hydroélectrique français ne soit pas trop affecté par les dispositions du projet de loi. Nous partageons les mêmes intentions ; toutefois, votre proposition est peut-être un peu radicale, car vous souhaitez fixer le débit réservé au vingtième du module pour tous les ouvrages. Or vous n'avez certainement pas oublié que nous avons également l'obligation d'atteindre le bon état écologique des eaux en 2015.

Je vous demanderai donc de bien vouloir retirer l'amendement n° 537 rectifié, étant entendu que l'amendement n° 12 de la commission vous apporte partiellement satisfaction, car y est prévu l'établissement d'une liste d'ouvrages qui ne passeront qu'au vingtième de module.

La commission a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 522, car elle préfère la rédaction proposée dans les amendements nos 362 rectifié et 361 rectifié de M. Poniatowski, qui, en outre, lui paraissent devoir apporter satisfaction à M. Trémel.

La commission est favorable à l'amendement no 362 rectifié de M. Poniatowski, car il apporte une précision qui peut s'avérer utile, même si elle souhaite obtenir quelques éclaircissements et quelques éclairages de la part du Gouvernement sur ce sujet.

Les critères que vise à introduire l'amendement n° 361 rectifié paraissent tout à fait pertinents et permettront d'établir un cadre général pour faciliter l'application de cette disposition relative à la fixation de valeurs de débit réservé différentes selon les années. La commission a donc émis un avis favorable.

Il me semble que poser dans la loi un critère d'exception pour la fixation de valeurs de débit réservé inférieures au dixième ou au vingtième de module garde toute sa pertinence et que le terme retenu dans le projet de loi est suffisamment général en même temps que précis pour être applicable.

En effet, si les étiages importants devaient devenir monnaie courante, le mot « exceptionnels » conserverait tout son sens puisqu'il caractériserait une situation différente de la normale : il y aurait translation, et le terme s'adapterait tout naturellement aux évolutions environnementales. Il me semble donc important de le conserver dans le texte de la loi.

Pour ces raisons, la commission souhaiterait le retrait de l'amendement n° 300 rectifié bis.

Elle a adopté la même position sur l'amendement n° 367 rectifié, qui est très proche du précédent.

Monsieur Le Grand, par définition, la fixation d'une valeur de débit réservé s'appliquant à une installation hydroélectrique a pour conséquence de réduire le potentiel énergétique de la centrale concernée. Ces obligations sont en effet fixées pour permettre de concilier développement de la vie aquatique et préservation du potentiel hydroélectrique français.

Même limitée aux plus gros cours d'eau, la précision que votre amendement n° 332 tend à apporter à l'article 4 du projet de loi risquerait de vider de leur sens les obligations relatives au débit réservé. Aussi vous demanderai-je, mon cher collègue, de bien vouloir retirer cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. L'amendement n° 537 rectifié a pour objet de fixer le débit minimal, ou débit réservé, au vingtième du module pour tous les cours d'eau, alors que le projet de loi propose de retenir le dixième. Or, en vertu de la loi de 1984, cette règle du dixième figure déjà à l'article L. 432-5 du code de l'environnement : le projet de loi qui vous est soumis ne fait que la reprendre en l'assortissant d'une date limite, qui jusqu'à présent n'était pas prévue, et ne procède nullement à un renforcement de l'objectif fixé pour les producteurs d'hydroélectricité, objectif connu depuis 1984.

Je tiens à souligner que de très nombreux ouvrages respectent déjà la valeur du dixième du module du cours d'eau. D'après toutes les études scientifiques dont nous disposons - et je réponds là également, au moins partiellement, aux arguments que M. le rapporteur a avancés à propos de l'amendement n° 12 -, ce débit réservé est à tout le moins essentiel pour assurer la vie biologique dans les cours d'eau en aval des barrages. L'objet du projet de loi étant d'atteindre et de respecter le bon état écologique des eaux, nous touchons là un aspect tout à fait fondamental.

C'est la raison pour laquelle j'émets un avis défavorable sur l'amendement n° 537 rectifié.

L'amendement n° 522 comporte plusieurs éléments.

La question de l'aval immédiat est également traitée par l'amendement de M. Poniatowski. J'y reviendrai donc ultérieurement.

S'agissant de l'insertion du mot « sévères », je ferai remarquer que, s'il peut y avoir des étiages sévères chaque année, auquel cas, évidemment, nous réduirons le débit réservé de façon systématique, il faut néanmoins conserver à cette mesure son caractère exceptionnel. C'est la raison pour laquelle j'émets un avis défavorable sur l'amendement n° 522.

J'attire votre attention sur le fait que des situations tout à fait atypiques pouvant correspondre à des étiages sévères systématiques sont prévues dans la rédaction actuelle du projet de loi, au dernier alinéa du texte proposé pour le I de l'article L. 214-18 : « Toutefois pour les cours d'eau ou sections de cours d'eau présentant un fonctionnement atypique rendant non pertinente la fixation d'un débit minimal dans les conditions prévues ci-dessus, le débit minimal peut être fixé à une valeur inférieure. » Il me semble donc inopportun de risquer d'affaiblir l'ensemble du projet de loi en insérant dans le texte le mot « sévères ». Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

L'amendement n° 362 rectifié vise à insérer les mots « en aval immédiat ». Il est vrai que la topographie, dans certains cas, permet de ramener l'eau directement au pied du barrage, le Gouvernement émet donc un avis favorable.

L'amendement n° 361 rectifié tend à préciser les conditions dans lesquelles le régime réservé peut être mis en oeuvre. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

L'amendement n° 300 rectifié bis vise à remplacer le mot « exceptionnels » par le mot « sévères ». Le Gouvernement émet un avis défavorable pour les raisons explicitées ci-dessus.

Sur l'amendement n° 367 rectifié, qui tend également entre autres à remplacer le mot « exceptionnel » par le mot « sévère », le Gouvernement émet le même avis défavorable.

J'en viens à l'amendement n° 12. Je comprends bien qu'il ne vise pas à généraliser la fixation du débit minimal au vingtième, il n'en demeure pas moins qu'il élargirait l'application de ce taux concernant certains cours d'eau ou tronçons de cours d'eau.

En tant que ministre de l'écologie et du développement durable, je suis bien évidemment chargé de la lutte contre l'effet de serre et je suis donc particulièrement sensible à la préservation du potentiel de production de pointe. Certes, les solutions de substitution sont souvent émettrices de gaz carbonique et certains ouvrages présentent un intérêt particulier de ce point de vue, mais ils sont en nombre limité.

Or l'amendement n'est pas suffisamment précis, dans la mesure où il ne vise pas certains ouvrages bien spécifiques mais des tronçons de cours d'eau. En procédant de la sorte, il sera difficile de refuser la même possibilité à l'ensemble des ouvrages situés sur lesdits tronçons.

Par ailleurs, si l'enjeu de l'effet de serre est important, il ne faut pas l'opposer à l'enjeu de la qualité écologique des cours d'eau. Il me semble que toute décision dérogatoire en la matière devrait s'appuyer sur un bilan écologique global. En passant progressivement d'un débit au dixième du module à un débit au vingtième du module, ce qui risque de se passer si cet amendement est adopté, le bon état écologique des eaux, qui est l'objectif central de ce projet de loi, s'en ressentira considérablement.

C'est la raison pour laquelle, monsieur le rapporteur, je suis au regret d'émettre un avis défavorable.

S'agissant de l'amendement n° 332, je ferai d'abord une réflexion sur la forme. En effet, cet amendement fait référence à la directive sur les énergies renouvelables. Or, monsieur le sénateur, il n'est pas d'usage de citer une directive dans une loi, on parle plutôt de sa transposition en droit français. Vous y serez certainement sensible en tant que membre du Parlement français.

Sur le fond, cette directive évoque toutes les énergies renouvelables et pas spécifiquement les problèmes d'énergie. Il y a lieu de satisfaire également aux exigences de la directive cadre sur l'eau.

S'il me semble important de tenir compte du potentiel hydroélectrique, cette analyse doit plutôt se faire sur l'ensemble des activités existantes et cette évaluation sera plus pertinente si elle est réalisée à une échelle plus globale, dans le cadre des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux, les SDAGE, et des schémas d'aménagement et de gestion des eaux, les SAGE. C'est notamment la raison pour laquelle il sera prévu par voie réglementaire que les SDAGE seront soumis pour avis au Conseil supérieur de l'énergie. Le Gouvernement a donc émis un avis défavorable.

M. le président. Madame Durrieu, l'amendement n° 537 rectifié est-il maintenu ?

Mme Josette Durrieu. Monsieur le rapporteur, vous m'avez demandé de retirer mon amendement. Je vais le faire parce que vous comprenez le sens de la démarche que je ne suis pas la seule à engager. Il convient de différencier les débits moyens annuels, parce que les régimes des cours d'eau sont différents, et fixer des débits minimaux diversifiés au cours des différentes périodes de l'année.

Les textes doivent être précis : il faut que les préfets sachent que, dans les actes administratifs qui vont être élaborés, ils sont autorisés à apporter ces correctifs.

Monsieur le rapporteur, vous avez laissé penser que cette proposition pourrait être reprise ultérieurement. Je vous transfère donc la responsabilité de la faire aboutir. Mais j'ai l'impression que vous allez avoir du mal car M. le ministre n'est pas dans les mêmes dispositions que vous et il ne répond jamais de façon précise.

M. le président. L'amendement n° 537 rectifié est retiré.

Monsieur Trémel, l'amendement n° 522 est-il maintenu ?

M. Pierre-Yvon Trémel. Le fait majoritaire étant un élément essentiel en démocratie, je me rallie à l'amendement de M. Poniatowski et je retire mon amendement. (Sourires.)

M. le président. L'amendement n° 522 est retiré.

Je mets aux voix l'amendement n° 362 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 361 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Monsieur Vasselle, l'amendement n° 300 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Alain Vasselle. J'ai dit tout à l'heure que cet amendement était un amendement de bon sens. J'ai été surpris d'entendre la commission et le Gouvernement émettre un avis défavorable. En effet, j'aurais préféré qu'ils me disent que cet amendement était satisfait dans la mesure où une phrase figurant dans le projet de loi, phrase qu'a citée M. le ministre, répond à la situation que nous voulions régler. Au demeurant, n'ayant aucune raison de le maintenir, je retire l'amendement.

M. le président. L'amendement n° 300 rectifié bis est retiré.

Monsieur Poniatowski, l'amendement n° 367 rectifié est-il maintenu ?

M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, je me rallie à vos explications sur un point : il vaut mieux en effet garder le mot « exceptionnel ». Mais mon amendement prévoyait aussi le passage du pluriel au singulier qui accentue ce caractère exceptionnel.

Aussi, je souhaite rectifier mon amendement en ne conservant que le passage du pluriel au singulier.

M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 367 rectifié bis, présenté par MM. Poniatowski,  Beaumont,  Carle,  César,  Doublet,  Ginoux,  Mortemousque et  Trucy, et ainsi libellé :

Dans le second alinéa du II du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement :

I- remplacer les mots :

des étiages naturels exceptionnels

par les mots :

un étiage naturel exceptionnel

II- remplacer les mots :

ces périodes d'étiage

par les mots :

cette période d'étiage

Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. La commission émet un avis favorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 367 rectifié bis.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote sur l'amendement n° 12.

M. Alain Vasselle. Je suis surpris de l'avis défavorable du Gouvernement sur l'amendement n° 12.

M. le ministre essaie de se plier à un exercice difficile qui consiste à concilier la garantie d'un bon niveau de protection des eaux et la limitation des émissions de CO2 pour lutter contre l'effet de serre. Or, justement, l'amendement me semble équilibré dès lors qu'il permet au Gouvernement de garder l'initiative sur les mesures à prendre dans ce domaine puisqu'il y est précisé que la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat pris après avis du Conseil supérieur de l'énergie.

Pour ma part, je serais plutôt favorable à l'adoption de cet amendement quitte à ce que, entre les deux lectures, le Gouvernement et la commission trouvent une rédaction qui serait de nature à leur donner satisfaction

Mes chers collègues, au cours d'un déplacement que je viens de faire en Europe du Nord, j'ai rencontré un des grands spécialistes des questions climatiques qui a laissé entendre que, dans un avenir qui n'est pas si lointain, à savoir 2045, il y aurait un réchauffement climatique lié à l'émission de CO2 qui entraînerait des conséquences majeures.

M. Jean Desessard. Les voyages forment la jeunesse !

M. Alain Vasselle. Il faut donc absolument prendre les mesures adaptées à une telle évolution, pour éviter des conséquences qui s'avéreraient beaucoup plus graves que celles que nous évoquons aujourd'hui à propos de la protection de l'eau.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Serge Lepeltier, ministre. La lutte contre le réchauffement climatique est en effet une question très importante, et je suis extrêmement heureux de constater à quel point certains sénateurs y sont sensibles. (Mme Dominique Voynet applaudit.) Nous devrons naturellement nous préoccuper de cet enjeu majeur du début du xxie siècle.

Prenons garde cependant à ne pas mettre en concurrence la lutte contre le changement climatique et la sauvegarde du bon état écologique des eaux, laquelle ne peut être sacrifiée. Il nous faut donc trouver le juste équilibre en la matière.

En définitive, la question de l'eau potable et celle du réchauffement climatique ne peuvent être mises en jeu l'une par rapport à l'autre. Certes, la France bénéficie d'un avantage considérable puisque 13 % de son électricité est d'origine hydroélectrique, ce qui constitue un niveau extrêmement élevé. Pour autant, cela ne doit pas nous conduire à remettre en cause d'autres domaines d'action.

Monsieur le sénateur, vous avez raison de dire que l'Etat doit tout de même garder la maîtrise de cette affaire et parvenir à un équilibre. Or l'adoption de l'amendement no 12 constituerait à mon avis un mauvais signal adressé par le législateur : le seuil fixé dans la règle générale risquerait ainsi d'être ramené au vingtième du module plutôt qu'au dixième, alors que toutes les études scientifiques montrent justement la nécessité de fixer, a minima, le seuil au dixième du module.

M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet, pour explication de vote.

Mme Dominique Voynet. Je voudrais, à mon tour, rappeler à notre collègue Alain Vasselle que les dégâts sur l'environnement ne se compensent pas : au contraire, ils se cumulent.

J'espère donc de tout coeur que notre collègue sera présent, à nos côtés, dans quelques semaines, pour éviter que le Sénat ne reproduise l'erreur qui vient d'être commise à l'Assemblée nationale. Cette dernière a en effet adopté un amendement qui aura pour effet de freiner singulièrement l'installation d'éoliennes dans notre pays.

Au moment où nous devons « muscler » l'arsenal des outils à notre disposition pour faire face au changement climatique et à l'accumulation des gaz à effet de serre, nous avons besoin de développer toutes les sources alternatives d'énergie, dont l'hydroélectricité et l'éolien. Or cela doit se faire, non pas au détriment de l'eau potable, mais en conciliant un haut niveau d'exigence et de protection des milieux, et ce dans tous les domaines.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Comme ma collègue Dominique Voynet l'a très bien dit, si les élus Verts ont choisi de défendre l'hydroélectricité, qui est à leurs yeux extrêmement importante, il est tout aussi important de préserver la vie aquatique.

Par conséquent, en l'espèce, nous soutenons la position de M. le ministre et nous voterons contre l'amendement de la commission.

M. le président. La parole est à M. Henri Revol, pour explication de vote.

M. Henri Revol. Je souhaite rappeler un élément du débat qui est passé, me semble-t-il, totalement inaperçu. Personne n'a pu oublier pourtant ce qui s'est passé tout récemment, à la fin du mois de mars : la situation se serait détériorée sans nos capacités hydrauliques, qui sont mobilisables dans la seconde. En effet, c'est en secondes que les choses se passent en matière d'hydraulique : en appuyant sur un bouton, on met en marche la turbine, ce qui permet d'éviter l'effondrement du réseau.

Mes chers collègues, arrêtons de rêver ! Bien sûr, il faut protéger l'environnement. Bien sûr, il faut préserver nos rivières et leur vie aquatique. Pour autant, il faut aussi éviter les conséquences majeures que pourrait causer l'effondrement de notre réseau électrique.

M. Gérard César. Très bien !

M. Henri Revol. Par cet amendement, nous souhaitons simplement pouvoir utiliser notre système hydraulique plus intensément dans les périodes de pointe et en cas d'urgence absolue.

Nous ne demandons pas la permission de construire de nouveaux barrages en France, ce qui serait d'ailleurs impossible, ou celle d'« inonder » notre pays de nouveaux équipements.

Notre pays est le premier producteur d'énergies renouvelables hydrauliques en Europe. Il doit pouvoir intervenir efficacement, lorsque les réseaux français et européen risquent de s'effondrer, ce qui n'arrive, heureusement, que deux ou trois fois par an. C'est tout ce que nous demandons. (M. Michel Doublet applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Serge Lepeltier, ministre. Monsieur Revol, le souci que vous venez d'exprimer a bien été pris en compte dans le projet de loi, plus précisément au II de l'article L. 214-18 du code de l'environnement, dont je vous donne lecture : « Les actes d'autorisations ou de concession peuvent fixer des valeurs de débit minimal différentes selon les périodes de l'année, sous réserve que la valeur du débit minimal délivré en moyenne annuelle ne soit pas inférieure aux débits minimaux », c'est-à-dire au dixième.

Ainsi, conformément à votre préoccupation, deux ou trois fois dans l'année, il sera tout à fait possible de moduler ce seuil minimum en fonction de ce qui est nécessaire, notamment en période de pointe. Ce point est très clairement inscrit dans le projet de loi.

L'amendement n° 12 a pour objet, lui, d'établir un seuil moyen fixé au vingtième du module sur l'année entière. S'il est légitime de satisfaire les besoins en période de pointe, il faut garantir un seuil minimal satisfaisant : s'il n'y avait plus d'eau, il n'y aurait plus de poissons !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n12.

M. Jean Desessard. C'est la gauche qui soutient le ministre !

(L'amendement est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Le Grand, pour explication de vote sur l'amendement n° 332.

M. Jean-François Le Grand. Si j'accepte de retirer mon amendement - encore que j'aurais pu le modifier ! -, je souhaite tout de même formuler une réflexion d'ordre général.

Nous avons le souci, honorable d'ailleurs, de privilégier une écriture législative qui soit élégante et conforme à nos traditions.

Cela étant, hier soir, j'ai décidé de m'abstenir sur un amendement défendu par M. Raoult pour une raison très simple : s'il est vrai que beaucoup de choses vont sans dire, bien souvent, lorsqu'on ne les dit pas, cela ouvre un champ très large à des recours judiciaires devant les tribunaux administratifs, qui viennent compliquer terriblement la vie des élus. Finalement, ces derniers sont quelque peu tétanisés devant les décisions à prendre, sous la menace constante de cette épée de Damoclès qu'est le recours devant le tribunal administratif.

Par conséquent, si les choses vont sans dire, je préfère, même si ce n'est pas très élégant, qu'elles soient spécifiées dans la loi. Cela étant, monsieur le président, je retire mon amendement.

M. le président. L'amendement n° 332 est retiré.

L'amendement n° 368 rectifié, présenté par MM. Poniatowski, Beaumont, Carle, César, Doublet, Ginoux, Mortemousque et Trucy, est ainsi libellé :

Supprimer la dernière phrase du second alinéa du I du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement.

La parole est à M. Ladislas Poniatowski.

M. Ladislas Poniatowski. La phrase que nous proposons de supprimer est la suivante : « Toutefois pour les cours d'eau ou sections de cours d'eau présentant un fonctionnement atypique rendant non pertinente la fixation d'un débit minimal dans les conditions prévues ci-dessus, le débit minimal peut être fixé à une valeur inférieure. »

Mes chers collègues, la notion de « cours d'eau présentant un fonctionnement atypique » n'est pas clairement établie. Il est à craindre que cette imprécision soit à l'origine d'une remise en cause de la règle générale pour des ouvrages construits sur des cours d'eau présentant plus ou moins des caractéristiques atypiques. Ces singularités pourraient être abusivement évoquées pour justifier la non-pertinence de la fixation d'un débit minimal suivant les modalités prévues, au détriment de la faune piscicole. Vous l'aurez tous compris, cela risque en outre de se traduire par un certain nombre de contentieux délicats.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. Mon cher collègue, vous craignez, légitimement d'ailleurs, que, à la suite de l'introduction, dans les dispositions relatives au débit réservé, d'une possibilité de dérogation à ces règles pour les cours d'eau atypiques, certains exploitants n'utilisent ce dispositif pour se soustraire à leurs obligations environnementales. Toutefois, je souhaite vous rassurer à cet égard.

En premier lieu, les décrets d'application devraient vraisemblablement définir de manière très précise les cours d'eau qui bénéficieront de cette dérogation. La loi doit rester suffisamment générale et ne pas caractériser l'ensemble des cours d'eau qui pourront entrer dans ce champ. M. le ministre pourra sans doute nous apporter des assurances sur ce point.

En second lieu, cette possibilité de dérogation me semble particulièrement intéressante et recouvre, en fait, des enjeux énergétiques très importants.

En effet, dans la pratique, cette disposition permettra de viser notamment le cas des cours d'eau très pentus, dans lesquels la vie aquatique ne peut se développer quel que soit le niveau du débit réservé. Je pense notamment aux pierriers sous les lacs de montagne.

Il serait absurde, pour ce genre de cours d'eau -  si l'on peut d'ailleurs parler de cours d'eau - que la loi impose un débit réservé important sans qu'il y ait un effet réel sur la qualité écologique du cours d'eau. En fait, ce serait de l'eau perdue gratuitement.

Au total, si les débits réservés élevés étaient fixés sans justification environnementale, cela conduirait à des pertes de production hydroélectrique qui devraient être remplacées par des moyens de production thermiques émetteurs de gaz à effet de serre, ce qui est contradiction avec les dispositions des accords de Kyoto.

Pour l'ensemble de ces raisons, la commission vous demande, mon cher collègue, de bien vouloir retirer votre amendement. A défaut, elle ne pourrait émettre qu'un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. En fait, monsieur Poniatowski, vous êtes en train de nous demander de retirer du texte la phrase qui permet justement, comme vous l'avez admis, de répondre à la préoccupation qui a été soulevée tout à l'heure, par M. Vasselle notamment.

Vous souhaitez supprimer la notion de cours d'eau atypique, au motif qu'elle n'est pas bien définie. Or cette notion a été introduite pour les cours d'eau qui ont un fonctionnement hydraulique tout à fait particulier. Je pense par exemple aux cours d'eau karstiques, qui, situés dans des zones calcaires où il peut y avoir des failles, sont susceptibles, d'un seul coup, de perdre tout leur débit. Je pense aussi aux cours d'eau qui ne sont en fait qu'une succession de retenues se jetant les unes dans les autres.

Dans de tels cas, il faut bien comprendre que la notion même de débit minimal ne peut pas suivre les mêmes règles que celles qui sont applicables aux cours d'eau en fonctionnement hydrologique normal. Nous devons prendre en compte de telles éventualités.

C'est la raison pour laquelle j'émets un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Monsieur Poniatowski, l'amendement n° 368 rectifié est-il maintenu ?

M. Ladislas Poniatowski. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 368 rectifié est retiré.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

Art. 4 (début)
Dossier législatif : projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques
Art. 4 (suite)

4

référendum relatif au projet de loi autorisant la ratification du traité établissant une constitution pour l'Europe

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur le référendum relatif au projet de loi autorisant la ratification du traité établissant une constitution pour l'Europe.

Monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce débat constitue une première. En effet, c'est la première fois que nous mettons en oeuvre le deuxième alinéa de l'article 11 de la Constitution, aux termes duquel le Gouvernement fait, devant chaque assemblée, une déclaration suivie d'un débat préalablement à tout référendum organisé sur sa proposition.

Permettez-moi, en cet instant, de rappeler que cette disposition constitutionnelle résulte d'un amendement d'initiative sénatoriale adopté lors de la révision constitutionnelle du 4 août 1995. La commission des lois du Sénat avait alors souhaité que le Parlement soit associé à la procédure référendaire, afin de permettre à chaque assemblée d'éclairer, en quelque sorte, le choix des Françaises et des Français.

Je forme le voeu que le débat qui s'ouvre au Sénat, succédant à celui qui s'est tenu hier à l'Assemblée nationale, permette de prendre pleinement la mesure des enjeux d'un référendum qui apparaît à bien des égards fondamental pour l'avenir de la France et de l'Europe.

La parole est à M. le Premier ministre, qui a tenu à être présent pour ouvrir ce débat, ce dont je le remercie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, je suis en effet très honoré d'ouvrir un tel débat qui, ayant été prévu lors de la révision constitutionnelle du 4 août 1995 voulue par le Président de la République, comme vous l'avez souligné, est organisé pour la première fois aujourd'hui au Sénat, conformément aux nouvelles règles définies à l'article 11 de la Constitution pour les projets de loi faisant l'objet d'un référendum.

Alors que les Français commencent à s'investir dans la campagne référendaire, en témoignant de leur intérêt et de leur sens des responsabilités, il est normal, naturel et essentiel que la représentation nationale ait son mot à dire pour éclairer leur choix.

En participant au nécessaire travail d'explication du traité constitutionnel pour l'Europe, je constate chaque jour que les Français ont besoin de connaître l'opinion de leurs élus, notamment de leurs sénateurs et sénatrices, pour prendre possession de ce texte fondamental.

Evidemment, le référendum ne remplace pas le Parlement. Au contraire, il fait des parlementaires les missionnaires du débat démocratique permettant aux Français de s'exprimer librement.

Par conséquent, mesdames, messieurs les sénateurs, votre responsabilité est grande, car la décision qui sortira des urnes le 29 mai prochain engagera non seulement la France, mais aussi les autres pays d'Europe, dont le destin est lié au choix de la France.

Si le oui l'emporte, la France aura, une fois de plus, apporté sa contribution à la construction européenne. Si c'est le non, notre génération devra assumer devant l'Histoire une rupture avec cinquante ans d'efforts pour construire un monde plus juste et plus sûr pour chaque européen.

C'est donc une épreuve de vérité qui est proposée aux Françaises et aux Français le 29 mai prochain. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Ce référendum est le dixième référendum national de la Ve République, depuis que le général de Gaulle a tenu à faire participer les Français à la décision nationale. Il sera le troisième référendum consacré à une question européenne.

En effet, le référendum du 23 avril 1972 avait permis à nos compatriotes de se prononcer à une large majorité en faveur du passage de l'Europe des six à l'Europe des neuf. Vingt ans plus tard, le 20 septembre 1992, le référendum avait permis d'approuver le traité établissant l'Union européenne et prévoyant la mise en place de la monnaie unique, qui ne s'appelait pas encore l'euro. Cette décision est entrée dans la vie quotidienne des Français non seulement par la présence d'une monnaie nouvelle, mais aussi par l'existence d'une zone économique nouvelle.

Aujourd'hui, il ne faut pas mésestimer l'intérêt de la zone euro. Nous sommes très préoccupés par la parité euro-dollar alors que nous réalisons les deux tiers de notre commerce extérieur dans la zone euro. La parité euro-dollar ne concerne donc qu'un tiers de notre commerce extérieur. En outre, la zone euro nous protège des dévaluations compétitives, toujours très tentantes pour un certain nombre de gouvernements.

De ces deux référendums, je retiens trois leçons : il faut s'opposer à l'abstention ; il faut combattre la confusion ; enfin, il faut faire preuve de conviction.

Il faut d'abord s'opposer à l'abstention.

Le référendum est une expression directe et élevée de la souveraineté populaire. Pour cette raison, il vous incombe en tant qu'élus de la nation, il incombe aux élus locaux, il incombe aux membres du Gouvernement de rappeler aux Françaises et aux Français que leur liberté doit s'exprimer dans le vote et qu'ils doivent participer à ce référendum.

On ne peut pas à la fois dénoncer le déficit démocratique de l'Europe et se dérober au référendum sur une question qui met en jeu l'organisation démocratique de l'Europe et l'engagement européen de la France.

Il faut ensuite combattre la confusion.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je le redis devant vous aujourd'hui : un référendum sur l'Europe n'est pas un plébiscite, le Président de la République lui-même l'a affirmé à plusieurs reprises. Ce référendum n'est pas non plus une motion de confiance ou une motion de censure.

La réponse que nous demandons à chaque Français est une réponse libre, indépendante des considérations partisanes et des échéances électorales.

La réponse que nous demandons à chaque Française et à chaque Français s'attache à la question posée, à toute la question.

La réponse que nous demandons aux Françaises et aux Français ne vaut pas seulement pour aujourd'hui : elle engage aussi l'avenir.

M. Robert Bret. Nous sommes bien d'accord !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Les jeunes qui sont aujourd'hui âgés de dix ou douze ans connaîtront à leur majorité la plénitude de ce traité. Il nous faudra penser à eux quand nous exprimerons notre choix le 29 mai.

Nous avons besoin d'un vrai débat.

Ce référendum est l'occasion de parler partout en France, y compris au sein de la Haute Assemblée, de l'Europe et de la France. Mais il est aussi l'occasion, pour toute une génération, d'approuver solennellement cinquante ans de construction européenne et d'ouvrir, avec ce traité, une nouvelle perspective européenne.

Pour les élus que vous êtes, ce référendum constitue un moment rare, de ceux qui donnent tout son sens à l'engagement d'une vie au service des Français et de la démocratie européenne.

Avec ce référendum, les Français vont décider de l'avenir de notre pays en Europe. Ils vont pouvoir se prononcer sur la grandeur de la France. Voulons-nous encore que notre voix porte au XXIe siècle ? Ou bien sommes-nous résignés à abdiquer petit à petit notre souveraineté économique et politique au profit de grandes puissances, anciennes ou nouvelles, qui aspirent à diriger le monde ?

A l'heure où chacun d'entre nous doit justifier de ses choix, je vous invite à porter ce débat à sa juste hauteur, celui des principes. Je vous propose de parler simplement de l'essentiel : l'avenir de la France.

Pour permettre à nos concitoyens de se prononcer en toute liberté, la campagne est organisée sur deux plans : celui de l'explication, celui de la conviction.

Mme Hélène Luc. Votre conviction !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. L'organisation de la campagne d'explication relève de la responsabilité du Gouvernement, sous l'autorité du Président de la République.

Chaque Française, chaque Français va recevoir le texte du traité établissant une Constitution pour l'Europe, ...

M. Robert Hue. Et son exposé des motifs !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. ... ainsi que le texte du projet de loi référendaire autorisant le Président de la République à ratifier ce traité.

Ce projet est précédé, comme tout projet de loi qui vous est soumis, d'un exposé des motifs qui explique l'objet et la portée du texte sur lequel les Français sont appelés à se prononcer.

M. Robert Hue. C'est une profession de foi !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. L'envoi de ces documents à chaque Française et à chaque Français se fait sous le contrôle du Conseil constitutionnel.

M. Robert Hue. Il va statuer demain.

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. La campagne de conviction est déjà engagée : chacun doit pouvoir librement et équitablement défendre ses convictions.

C'est pourquoi le Gouvernement a décidé, pour la première fois, de garantir un financement public de la campagne référendaire, dont la répartition obéit à des critères objectifs.

Pour ma part, personne n'en doutera, je n'économiserai pas mes efforts pour promouvoir le oui. Le Gouvernement que j'ai l'honneur de conduire a été l'un des plus européens par ses réalisations, je suis fier de le souligner. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Ce référendum nous donne la chance de parler ouvertement de notre ambition pour l'Europe, sans tabou ni mensonge.

Je le dis devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je le dis aussi aux Français par votre intermédiaire : c'est à nous de décider, par ce référendum, si nous voulons approfondir notre vie commune et lui donner un nouveau sens.

Il nous faudra expliquer aux Françaises et aux Français le contenu de cette Constitution européenne et les changements qu'elle prévoit.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et ses limites !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Ainsi, ceux qui refusent ce projet de Constitution européenne votent en fait pour une organisation européenne régie selon le traité de Nice, texte dont ils sont mécontents. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

Voter non aujourd'hui, c'est voter pour conserver l'imparfait ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Je vais vous exposer rapidement, mais avec conviction, les dix articles fondamentaux de ce texte, qui sont déterminants pour l'avenir des Françaises et des Français en Europe. (M. Roland Muzeau s'exclame.)

L'article I-22 promeut une Europe plus politique. Depuis longtemps, nous sommes nombreux dans cet hémicycle à nous battre pour l'idéal européen, pour une Europe politique capable d'assumer ses décisions.

Mais où est l'Europe politique quand l'instance politique, le Conseil européen, change de président tous les six mois ? C'est l'instabilité de la présidence qui donne de la puissance à l'administration ; c'est sa stabilité qui permettra au pouvoir politique de faire respecter ses décisions par l'administration. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

L'article I-22 dispose : « Le Conseil européen élit son président à la majorité qualifiée pour une durée de deux ans et demi, renouvelable une fois. » Le président du Conseil européen, qui pourra être élu cinq ans durant, sera responsable devant les peuples d'Europe des décisions politiques. Ainsi, nous aurons, les uns et les autres, un interlocuteur pour la démocratie européenne. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

L'article I-3 construit une Europe plus sociale : l'Union oeuvre pour une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social ; elle combat l'exclusion sociale et les discriminations et prône la justice et la protection sociale, l'égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l'enfant. L'Europe affiche son ambition sociale.

Pour la première fois également, l'Europe consacre le rôle des partenaires sociaux, et ce dans l'article I-48 du projet de Constitution.

Vous le savez, le Conseil européen se réunit chaque année au mois de mars. Dorénavant, le Conseil européen du printemps sera précédé par un sommet social tripartite entre le Conseil, la Commission et les partenaires sociaux. Cet article I-48 participe donc aux progrès de l'Europe sociale.

Nous souhaitons tous que l'Europe soit ouverte à la société civile, qu'elle soit « branchée » sur la vie des associations, de toutes les forces vives du pays. C'est précisément l'objet de l'article I-47, qui dispose notamment : « Les institutions entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives et la société civile. » Voilà une Europe qui s'ouvre enfin aux forces vives des peuples européens ! Nous en sommes satisfaits.

L'article I-43 est également très important, car il prône une Europe solidaire pour sa sécurité : « L'Union et ses Etats membres agissent conjointement dans un esprit de solidarité si un Etat membre est l'objet d'une attaque terroriste ou la victime d'une catastrophe naturelle ou d'origine humaine. » En d'autres termes, chacun des Etats est concerné par les malheurs qui peuvent survenir de manière naturelle ou par la faute de l'homme à l'un des Etats constituant l'Union.

Il s'agit là d'une vraie solidarité en faveur de la sécurité commune dans l'Union, élément qui, à mes yeux, est très important.

M. Robert Bret. Dans le cadre de l'OTAN !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Mais non !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Je suis tout à fait prêt à commenter les articles que je mentionne. Or ce que vous dites-là est inexact, monsieur Bret ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Protestations sur les travées du groupe CRC.)

J'en viens à l'Europe des Etats et à l'Europe des peuples, enfin réconciliées.

Depuis que nous nous intéressons, les uns et les autres, à la question européenne, nous avons pris conscience du débat qui existait entre ceux qui souhaitaient une Europe fédérale, une Europe intégrée, et les partisans d'une Europe des Etats, qui serait simplement une coordination d'Etats. Or ce débat est aujourd'hui obsolète, et il l'est précisément de par la règle de la décision à la majorité qualifiée.

En effet, pour pouvoir prendre une décision - c'est l'objet de l'article I-25 - « la majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 55 % des membres du Conseil, comprenant au moins quinze d'entre eux et représentant des Etats membres réunissant au moins 65 % de la population de l'Union. » Autrement dit, petits et grands Etats auront droit à la parole.

M. Hubert Haenel, président de la Délégation pour l'Union européenne. Ainsi, il n'y aura pas de blocage !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et l'harmonisation ?

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Par conséquent, nous avons bien ici affaire à la réconciliation de l'Europe des Etats avec l'Europe fédérale, c'est-à-dire, en définitive, à l'Europe des nations.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Des peuples !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. C'est là l'un des éléments essentiels du processus de décision.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est une interprétation abusive du traité !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Certes, ici ou là,...

M. Robert Hue. Regardez du côté de la majorité des Français !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. ...certains semblent craindre une perte de souveraineté.

Mais la souveraineté, mesdames, messieurs les sénateurs, nous pourrions la perdre si un pays, en vertu de la règle de l'unanimité, s'opposait à telle ou telle décision ! On pourrait ainsi se retrouver un jour face à un pays très respectable, tel que la Lituanie ou l'Estonie, par exemple, qui refuserait d'appliquer le taux de la TVA à 5,5 % pour la restauration.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. En d'autres termes, nous pourrions avoir à faire face à une décision concrète entraînant une perte de souveraineté si tel ou tel Etat décidait de bloquer le processus.

Désormais, on ne pourra bloquer la décision si on ne s'appuie pas non seulement sur des alliances politiques, mais aussi sur la représentation des peuples. Telle est cette nouvelle Europe, au sein de laquelle la France pourra faire valoir ses idées.

Mme Hélène Luc. Les Français n'ont pas l'air de vous suivre !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. S'agissant de l'élargissement, je voudrais attirer votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur l'article I-57.

Le voisinage ne signifie pas automatiquement l'adhésion. A cet égard, l'article I-57 est clair : « L'Union développe avec les pays de son voisinage des relations privilégiées, en vue d'établir un espace de prospérité et de bon voisinage, fondé sur les valeurs de l'Union et caractérisé par des relations étroites et pacifiques reposant sur la coopération. »

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Voilà !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Cela veut dire que l'Europe a les moyens de construire, avec ses voisins, des relations de coopération privilégiées, ce qui constitue, de mon point de vue, une opportunité importante. L'Europe est libre de sa décision, c'est-à-dire que le peuple français pourra choisir le moment venu, à condition que tel pays parvienne au bout des négociations, entre la relation d'adhésion et la relation de voisinage. Quoi qu'il en soit, grâce à la révision de la Constitution que vous avez votée, c'est le peuple français qui aura le dernier mot !

Je voudrais citer encore trois articles qui sont importants, car il me semble que les Françaises et les Français attendent qu'on leur parle du contenu de la Constitution européenne.

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Le débat ne saurait se limiter à des slogans ou à des prises de position désinvoltes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

L'article I-12 relatif à l'équilibre du monde prévoit que « l'Union dispose d'une compétence pour définir et mettre en oeuvre une politique étrangère et de sécurité commune, y compris la définition progressive d'une politique de défense commune. » Il s'agit là, selon moi, d'un élément très important.

La génération de nos parents a construit l'Europe pour que la paix s'installe à l'intérieur de nos frontières, pour que l'Europe soit un espace de paix.

Notre génération doit, aujourd'hui, conforter cette Europe afin que celle-ci porte ces valeurs universelles partout sur la planète. En effet, il n'y aura de paix ni au Proche-Orient ni ailleurs si l'Europe n'est pas présente, avec ses valeurs.

Nous savons qu'un monde où ne s'exprimerait qu'une seule force, une seule puissance serait un monde de domination. Or nous avons besoin d'un monde multilatéral, d'un monde dans lequel l'Europe se donne les moyens, par la voie de la diplomatie et par une politique de défense commune, d'agir pour promouvoir ses valeurs dans l'ensemble du monde. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Robert Bret. Dans le cadre de l'OTAN!

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Je voudrais maintenant insister sur le  paragraphe 4 de l'article I-44, qui prévoit que « les actes adoptés dans le cadre d'une coopération renforcée ne lient que les Etats membres participants ». Cet article est très important pour ceux qui sont attachés à l'existence, au sein de la grande Europe, de « petites Europes » qui veulent aller plus vite et être plus fortes dans le cadre de coopérations renforcées.

Il faut donner à la France et aux pays que préoccupent les mêmes sujets, à l'intérieur de la grande Europe, les moyens de mener la construction européenne à leur propre rythme.

Je voudrais, enfin, vous faire part, mesdames, messieurs les sénateurs, de deux idées.

En ce qui concerne les services publics, qui font débat, j'entends ici ou là, comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, se manifester l'inquiétude de nombreux maires ruraux.

M. Robert Bret. Comme on les comprend !

Mme Hélène Luc. Ils ont raison !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Je vous suggère de leur lire l'article II-96 de la nouvelle Constitution européenne qui est proposée au choix des Français : « L'Union reconnaît et respecte l'accès aux services d'intérêt économique général tel qu'il est prévu par les législations et pratiques nationales » (Protestations sur les travées du groupe CRC.), - par conséquent, tel qu'il est prévu par la législation française - « conformément à la Constitution, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l'Union. » J'insiste bien sur le mot « territoriale ». C'est une avancée très importante pour les services publics en milieu rural. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

On oublie souvent de citer cet article II-96, qui, pourtant, est significatif des progrès accomplis par l'Union européenne ! (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Roland Muzeau. Cela ne donne pas lieu à des tonnerres d'applaudissements !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. L'on ne peut pas passer son temps à applaudir ! (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Il faut aller au fond des choses, étudier les articles. Nous menons un débat sérieux qui ne saurait se satisfaire de slogans ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Il s'agit d'expliquer aux Français ce que contient la Constitution et non pas de mener des combats partisans qui, souvent, sont des combats d'arrière-garde.

Mme Hélène Luc. La moitié des Français ne sont pas d'accord !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à affirmer avec force que cette Europe qui vous est aujourd'hui proposée à travers le traité constitutionnel est fidèle à l'humanisme français.

En effet, non seulement, dans son article I-9, « L'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux qui constitue la partie II », mais elle respecte également la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'humanisme français, fondé sur la grande déclaration, est donc aujourd'hui au coeur du texte européen.

Aussi les idées qui sont les nôtres, ...

Mme Annie David. Les vôtres !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. ...ces valeurs qui sont celles de la France d'aujourd'hui sont proposées pour devenir les valeurs de l'Europe.

Il s'agit là d'un enjeu considérable, d'un progrès inestimable. En effet, pendant des années et des années, des Françaises et des Français se sont battus pour que notre société reconnaisse des valeurs qui sont maintenant inscrites dans le projet européen, si toutefois nous décidons qu'il en soit ainsi, si nous sommes suffisamment attachés à la défense de ce patrimoine intellectuel, culturel et moral de la France. C'est la raison pour laquelle, je vous le dis comme je le pense profondément : certes, la France a besoin de l'Europe, mais, plus encore, l'Europe a besoin d'un oui de la France ! (Applaudissements prolongés sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'on ne peut que se féliciter de la tenue de ce débat aujourd'hui. Comme cela a été dit, le mérite en revient à notre commission des lois, qui, lors de la réforme constitutionnelle de 1995, avait pris l'initiative d'inscrire le principe d'un débat parlementaire préalable à une consultation référendaire.

Dix ans plus tard, c'est sur un sujet européen majeur, et qui va engager notre avenir collectif, que cette disposition est mise en oeuvre pour la première fois.

Si, sur un tel sujet, le choix du référendum est, en effet, parfaitement légitime, le débat parlementaire n'en est pas moins nécessaire.

Le référendum proposé par M. le Président de la République est légitime en ce que son résultat engagera la France et les Français sur une nouvelle étape de leur destin européen. C'est donc à chacun de nos compatriotes, à chacun d'entre nous, qu'il revient de se prononcer en connaissance de cause.

Cela étant, le débat n'en est pas moins nécessaire pour au moins deux raisons : tout d'abord, parce que c'est au Parlement que la plupart des traités européens - que le traité constitutionnel rassemble et clarifie - ont été débattus et votés ; ensuite, parce que l'un des aspects majeurs de ce traité est précisément l'influence accrue des parlements nationaux dans le fonctionnement de l'Union, il est donc naturel que celui de la France en débatte.

On a coutume de dire que l'Europe relève de moins en moins des affaires étrangères. Son fonctionnement et sa législation concernent en effet de plus en plus chacune de nos commissions permanentes, ainsi, bien évidemment, que notre délégation pour l'Union européenne, qui en rassemble les représentants.

Mais si l'Europe relève de moins en moins des seules relations internationales, ces dernières ont, quant à elles, de plus en plus besoin de l'Europe, d'une Europe forte, cohérente, crédible et efficace.

En quoi le traité constitutionnel donne-t-il à l'Union européenne les moyens de mieux s'affirmer sur la scène internationale ?

J'évoquerai donc les principales avancées que permet la Constitution pour ce qui relève de la politique étrangère et de sécurité commune et, en particulier, la politique de sécurité et de défense communes.

Dans ces deux domaines, le traité propose des progrès importants, dont certains traduisent d'ailleurs, en droit, la dynamique remarquable qu'a connue dans les faits la défense européenne depuis cinq ans.

En matière de politique étrangère, tout d'abord, de quoi avons-nous besoin, sinon d'une Europe politiquement active et opérationnelle sur les grands dossiers internationaux ?

A cet égard, la création d'une présidence stable de l'Union et celle d'un ministre européen des affaires étrangères représentent deux innovations capitales.

Président du conseil Affaires étrangères et vice-président de la Commission, assisté d'un service diplomatique étoffé rassemblant des fonctionnaires du conseil, de la Commission et des Etats membres, ce ministre aura la responsabilité de coordonner et de mettre en oeuvre l'ensemble des relations internationales de l'Union, qu'elles relèvent de la diplomatie, du développement, de l'action humanitaire ou de la défense.

Le traité apporte donc une réponse sérieuse à la question du « qui fait quoi pour mieux affirmer l'Europe dans le monde ? ».

Certes, la règle de l'unanimité continuera de régir, pour l'essentiel, les orientations et les actions diplomatiques de l'Union.

Cette règle est souvent perçue comme un facteur de blocage, mais j'ai la conviction que, dans le domaine diplomatique, elle ne sera pas forcément un frein à une politique étrangère européenne efficace. J'en veux pour preuve les consensus auxquels les Européens ont abouti sur bien des sujets majeurs ; je pense à la question iranienne, à la lutte contre les armes de destruction massive et le terrorisme, à l'approche, commune depuis déjà longtemps, du dossier israélo-palestinien, ou encore à l'unité d'action maintenue lors de la crise politique ukrainienne de l'automne dernier.

Tout est affaire de volonté politique. Il est vrai que celle-ci ne se décrète pas, mais, pour peu que cette volonté continue de s'affirmer, la Constitution lui permettra demain de se traduire beaucoup plus efficacement sur les grands dossiers internationaux.

Comme la diplomatie, la défense commune est un enjeu central sur lequel le traité innove en plusieurs points.

Tout d'abord, tous les états membres sont concernés par l'introduction de deux clauses nouvelles : la clause de solidarité, en cas notamment d'attaque terroriste, et la clause de défense mutuelle, en cas d'agression armée sur le territoire d'un pays membre.

Sur ce point, les partisans du non font souvent un mauvais procès. Ils arguent du rôle prétendument exorbitant et prééminent que le traité reconnaîtrait à l'OTAN,...

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est faux !

M. Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères. ...vous venez d'en parler, monsieur le Premier ministre.

Or avec un minimum de bonne foi on voit que, sur ce point précis, le texte n'ajoute ni n'enlève rien par rapport à ce qui existe. Le paragraphe 7 de l'article 41 du traité constitutionnel ne porte rien d'autre, dans une rédaction différente, que ce qui figure déjà au deuxième alinéa de l'article 17 du traité sur l'Union européenne.

De quoi s'agit-il ? Il s'agit de la « défense collective » des Etats membres de l'Union et de l'OTAN, c'est-à-dire de la solidarité des alliés en cas d'agression militaire classique sur le territoire de l'un d'entre eux. Ce principe de solidarité est prévu à l'article 5 du traité de Washington du 4 avril 1949 portant création de l'Alliance atlantique, traité que la France a signé en 1949 et qu'elle n'a jamais remis en cause. L'article 41 du traité constitutionnel n'évoque que cela et rien d'autre.

L'action de l'OTAN s'exerce bien plus aujourd'hui dans la gestion des crises, en Europe et ailleurs, que dans la défense collective. On le voit bien à travers les opérations auxquelles la France participe activement, comme en Afghanistan et au Kosovo, où elle va d'ailleurs jusqu'à prendre le commandement de ces opérations internationales extérieures.

M. Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères. Enfin, innovation majeure dans le domaine de la défense, le traité ouvre la possibilité pour un groupe d'états d'établir entre eux une coopération structurée permanente pour atteindre des objectifs ambitieux de capacités militaires.

Cette nouvelle forme de coopération renforcée permettra de combler les lacunes constatées. Elle donnera à l'Union la possibilité de répondre en tant que telle, de façon réactive et efficace, aux besoins de gestion des crises exprimés, par exemple, par le Conseil de sécurité des Nations unies.

La coopération, dans le cadre de la nouvelle agence européenne de défense, permettra d'aller plus loin dans la voie de l'harmonisation des besoins opérationnels, de poursuivre le lancement de programmes de recherche et d'acquisition communs et de mettre en place un marché européen des équipements militaires pour une réelle autonomie industrielle.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelle serait l'image de la France dans le monde si le traité venait à être rejeté ? Qu'adviendrait-il de la volonté de la France de faire de l'Europe un acteur crédible sur la scène internationale ?

Que pourrions-nous dire à tous ceux qui, en Europe et au-delà, ont toujours soutenu la France dans son ambition de mettre l'Europe en situation d'établir un dialogue plus équilibré avec les Etats-Unis sur les relations internationales ?

Quelle victoire ce serait pour ceux qui, depuis toujours, contestent à l'Europe le rôle qu'elle entend tenir dans la solution des problèmes du monde si notre pays, qui a toujours été le moteur de cette ambition pour l'Europe, venait à se marginaliser de lui-même !

Plus généralement, ce qui sera fondamentalement en cause le 29 mai, c'est notre avenir collectif dans l'Europe.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !

M. Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères. Oui, ce texte met un terme de la meilleure manière possible à la dialectique élargissement-approfondissement, qui n'a cessé d'alimenter le débat européen depuis le traité d'Amsterdam.

L'élection d'une présidence stable, la simplification législative, l'amélioration du processus de décision, le renforcement du contrôle des élus nationaux et européens, la garantie des droits fondamentaux partagés sont autant d'innovations du traité qui composent une réforme de bon sens et de progrès, pour donner sa chance à l'Europe et pour donner leur chance à la France et aux Français dans l'Europe.

C'est sur cet enjeu, non sur les rancoeurs d'un jour ou les rancunes passées, qu'il nous faut convaincre les Français de se prononcer favorablement, en votant « oui » à ce traité constitutionnel. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la délégation pour l'Union européenne.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, il faut toujours revenir à l'essentiel, à la question précise, à la question à laquelle, le 29 mai, les Françaises et les Français devront répondre par oui ou par non : « Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe ? ».

C'est à cette question et à elle seule qu'il faut répondre. Il n'y aura qu'un seul tour, sans « session de rattrapage ».

Il faut dire aux Français que le traité constitutionnel a ceci de nouveau et d'original qu'il n'a pas été préparé par des gouvernements. Il a été élaboré dans une enceinte, la Convention, où les représentants des gouvernements étaient certes présents et actifs, mais très minoritaires. La grande majorité de la Convention était composée de représentants des parlements - parlements nationaux et Parlement européen - et ces représentants ont joué un rôle décisif au moment du compromis final.

La Conférence intergouvernementale qui a suivi a repris pour l'essentiel les résultats des travaux de la Convention. Elle ne les a pas « détricotés ».

La Constitution européenne n'est donc pas issue de tractations à huis clos entre gouvernements : c'est d'abord l'expression de la démocratie parlementaire européenne.

La Constitution - faut-il le répéter ? - n'est ni de droite, ni de gauche. M. Michel Barnier le sait bien, la Convention, qui statuait par consensus, était partagée à peu près pour moitié entre gauche et droite. La Conférence intergouvernementale, qui s'est prononcée à l'unanimité, comprenait des gouvernements de gauche comme des gouvernements de droite. Le nouveau traité, en réalité, traduit la communauté de vues de vingt-cinq pays.

C'est pourquoi la position de ceux qui se réclament d'un non qui serait pro-européen me laisse perplexe. Etre pour le non quand on est souverainiste est une attitude cohérente et naturelle. Etre pour le non tout en se réclamant de la construction européenne me paraît une fuite hors de la réalité.

Mme Hélène Luc. C'est votre point de vue !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. L'Europe, ce n'est pas la France en plus grand. C'est un ensemble de vingt-cinq pays, bientôt davantage, qui ont chacun leur histoire, leur vie politique, leur situation économique, leurs problèmes prioritaires. Etre européen, c'est accepter que la France soit une des composantes de cet ensemble dans lequel, autant que nous, les autres ont le droit de défendre leurs intérêts et leurs visions des choses.

La Constitution européenne, résultat d'un patient travail d'élaboration de plus de deux ans, est l'expression de la volonté partagée des vingt-cinq pays membres.

Voudrait-on repartir de zéro que l'on arriverait, au mieux, à un résultat inférieur, sinon à un échec. Croire que dire non permettrait l'adoption d'un texte allant plus loin dans la voie de l'intégration, c'est tout simplement une vue de l'esprit.

Soyons clair : si le non l'emporte, nous en resterons pour longtemps au traité de Nice. Tout le reste n'est qu'un rideau de fumée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Josselin de Rohan. Absolument !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Or la Constitution est un vrai progrès par rapport au traité de Nice, M. le Premier ministre en a fait la démonstration.

Il faut rappeler que, si l'Europe s'est engagée dans un processus constitutionnel, c'est justement parce que le traité de Nice avait laissé un sentiment d'insatisfaction et de malaise. C'est même à Nice que l'on a décidé d'instituer la Convention.

Le traité de Nice a certes été une grande étape de la construction européenne, (Approbation sur les travées du groupe socialiste.) parce qu'il a permis l'élargissement de l'Union à dix nouveaux membres. C'était la division de l'Europe enfin surmontée. C'était la réparation de Yalta. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

On sentait bien, cependant, que les changements limités qu'apportait le traité de Nice n'étaient pas à la hauteur d'une telle évolution. La construction européenne avait besoin d'un acte refondateur ; c'est pourquoi le processus constitutionnel a été lancé.

La Convention a commencé ses travaux. Pendant plus de deux mois, un grand débat s'est tenu sur le sens du projet européen, sur ce que les citoyens attendaient de l'Europe. Quelle Europe voulons-nous ? Quelle Europe ne voulons-nous pas ?

Des lignes de force sont apparues.

La première était un refus : le refus d'une Europe centralisée et uniformisatrice. La devise qui a été retenue, « Unie dans la diversité », exprime bien ce choix : les Européens ne suppriment pas leur diversité, ils la considèrent au contraire comme un patrimoine commun.

C'est pourquoi l'article 5 garantit le respect des identités nationales de manière beaucoup plus précise et complète que ne le faisaient jusqu'à présent les traités.

C'est pourquoi, de plus, l'article 11 met en place un nouveau mécanisme de garantie du principe de subsidiarité, mécanisme qui donne pour la première fois un rôle aux parlements nationaux dans le processus de décision européen.

Une deuxième ligne de force était le refus de toute régression sociale. Contrairement à ce qu'on entend dire ici et là, le traité constitutionnel contient dans ce domaine plus de garanties qu'aucun des textes qui l'ont précédé.

Les objectifs de l'Union comprennent désormais la lutte contre l'exclusion sociale et les discriminations, la justice sociale, la solidarité entre les générations, la protection des droits de l'enfant. Pour la première fois, une clause sociale générale est applicable à toutes les politiques de l'Union.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Sans harmonisation.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Pour la première fois, le rôle des partenaires sociaux est reconnu à l'échelon européen.

Enfin, je rappelle que les droits sociaux reconnus par la Charte des droits fondamentaux reçoivent désormais une garantie constitutionnelle. Or les partisans du non ne parlent jamais de la Charte, ou très rarement. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

M. Robert Hue. Mais si !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Les droits sociaux qui se trouvent ainsi garantis sont nombreux et importants. Je ne citerai pas les dix articles qui concernent ces droits sociaux, mais sont affirmés : le droit à l'information et à la consultation des travailleurs au sein de l'entreprise, la protection en cas de licenciement injustifié, le droit de négociations et d'actions collectives, le droit à des conditions de travail justes et équitables ou encore le droit à la sécurité sociale et à l'aide sociale.

On entend dire parfois qu'il faudrait un « traité social » pour l'Europe. En réalité, ce traité social existe déjà : c'est le traité constitutionnel. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.) Que pourrait-on inscrire en effet dans un traité social, qui ne figure déjà dans la Constitution ?

A côté de ces deux refus - refus de la centralisation et refus de la régression sociale -, les débats de la Convention ont fait ressortir des attentes positives, une demande d'Europe dans certains domaines et le souhait d'un meilleur fonctionnement de l'Union.

Ces attentes concernaient d'abord l'affirmation de l'Europe sur la scène internationale, l'idée d'une « Europe- puissance », autrement dit, selon le mot du général de Gaulle, une Europe qui « ait sa propre politique ».

Pour répondre à cette attente, la Constitution prévoit, répétons-le, des changements de grande ampleur, tels qu'une présidence stable pour le Conseil européen, un ministre des affaires étrangères pour l'Union, doté de son propre service diplomatique, l'attribution à l'Union de la personnalité juridique, une clause de défense mutuelle, comme l'a rappelé M. Vinçon, une clause de solidarité antiterroriste entre Etats membres, le lancement d'une « coopération structurée » en matière de défense, afin d'améliorer les capacités militaires pouvant être mises en commun.

Les débats ont également fait apparaître une autre attente forte : il faut se donner les moyens de lutter contre la délinquance transnationale.

Là encore, la Constitution permet des avancées significatives : le conseil des ministres, actuellement paralysé par la règle de l'unanimité, statuera désormais presque toujours à la majorité qualifiée ; les pouvoirs d'Europol et d'Eurojust seront renforcés ; un système commun de gestion des frontières extérieures sera mis en place.

Mais une des demandes les plus insistantes au sein de la Convention était celle d'institutions à la fois plus légitimes et plus efficaces, qui permettraient d'éviter que l'élargissement n'affaiblisse la capacité de décision de l'Union.

La Constitution nous apporte enfin des réponses à la mesure du problème : une Commission européenne resserrée, un nouveau système de vote au sein du Conseil, fondé sur une double majorité des Etats et des populations, un pouvoir de codécision pratiquement généralisé pour le Parlement européen.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. On voit bien, dans ces différents exemples, comment la Convention, puis la Conférence intergouvernementale ont travaillé. Elles ont pris pour point de départ les attentes communes des citoyens européens, les demandes qu'ils exprimaient, et elles ont construit des réponses, sans hésiter à bousculer les habitudes diplomatiques de l'Europe.

Les citoyens français peuvent, je crois, pleinement se reconnaître dans ces réponses. Ils peuvent s'y reconnaître comme citoyens européens, partageant de nombreuses préoccupations avec les citoyens des autres pays membres. Mais ils peuvent aussi s'y reconnaître comme citoyens français, car le traité constitutionnel fait une grande place aux thèses françaises, bien plus que les traités d'Amsterdam ou de Nice, par exemple.

Nos gouvernements successifs n'ont cessé de dire que l'élargissement appelait l'approfondissement ; c'est précisément cet équilibre que rétablit la Constitution. Ils n'ont cessé de militer pour une Europe politique et sociale ; avec la Constitution, nous en jetons les bases. Nos gouvernements successifs ont plaidé pour une gouvernance économique propre à la zone euro, pour une meilleure garantie des services publics, pour la reconnaissance de la notion de cohésion territoriale, pour le maintien de l'exception culturelle ; tout cela figure en bonne et due forme dans le traité constitutionnel.

Nous sommes face à un véritable paradoxe : voilà un traité qui, indiscutablement, fait progresser l'Europe et, en même temps, fait droit aux demandes françaises dans une proportion inespérée. Et pourtant, les sondages nous montrent que nos concitoyens sont sur la réserve, inquiets, tentés par un vote négatif, alors que, dans leur immense majorité, les Françaises et les Français sont attachés à la construction européenne.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. D'où vient ce paradoxe ? Pourquoi les citoyens ont-ils du mal à se projeter dans les enjeux européens ?

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Au risque de me répéter, je dirai que nous n'avons pas su adapter notre vie politique française à l'Europe.

L'Europe, ce n'est pas seulement notre avenir, c'est déjà notre présent, lequel est en réalité pétri d'Europe. Toutefois, nos discours et notre vie politique n'ont cessé de maintenir les questions européennes à la marge, et cela depuis des dizaines d'années ! Jamais la portée de nos engagements européens n'a été vraiment expliquée. Si l'on se met à l'écoute des électeurs, on constate que les passages de la Constitution qui les inquiètent sont souvent la reprise de dispositions en vigueur depuis bien longtemps.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. La primauté du droit communautaire, les principes de libre concurrence ou de libre prestation de services ne sont pas des nouveautés ; ce sont des réalités européennes, et cela depuis, parfois, des décennies ! Au lieu d'y voir des données de base et d'essayer d'en tirer le meilleur profit, il est vrai que nous avons, tous ensemble, préféré en minimiser la portée.

Les doutes de l'opinion publique sont finalement un révélateur des carences de notre vie politique, carences dans lesquelles nous avons tous une part de responsabilité. C'est pourquoi il ne faudrait surtout pas que, au soir du 29 mai, après le « oui », que je souhaite de tout mon coeur, le grand « ouf ! » de soulagement suivi de « on a eu chaud ! », nous en revenions à nos vieilles habitudes et qu'il ne se passe plus rien.

Au contraire, nous devrons tirer toutes les leçons de ces difficultés, de ces avertissements, et cela à l'échelon du Gouvernement, du Parlement. Monsieur le Premier ministre, c'est un aspect central de la réforme de l'Etat.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat référendaire est l'occasion d'engager ce changement, de parler pour une fois de l'Europe et seulement de l'Europe. Car c'est bien de l'Europe qu'il s'agit, de la France en Europe, c'est-à-dire de notre avenir !

Permettez-moi simplement d'ajouter ceci : à l'avenir, ne remisons pas l'Europe au vestiaire de nos débats, de nos ambitions, de nos politiques, de l'organisation de l'Etat. Faisons en sorte que l'Europe soit, enfin, au coeur de la France, des Françaises et des Français ! C'est, je crois, l'un des grands engagements que nous devons prendre. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 61 minutes ;

Groupe socialiste, 40 minutes ;

Groupe UC-UDF, 17 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 13 minutes ;

Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes ;

Dans la suite du débat, la parole est à M. Jean-Pierre Bel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, chers collègues, après le Congrès de Versailles, nous voici à nouveau réunis pour débattre du traité constitutionnel et, par conséquent, de l'avenir de l'Europe.

J'ai, moi aussi, le sentiment qu'à cette occasion la France va engager une part de son destin. J'ai ce sentiment, car j'ai à l'esprit ce que disait François Mitterrand : « Depuis la fin de la guerre, j'ai adopté tous les textes européens. Je me serais renié si j'avais abandonné en cours de route ». Dans le même temps, comment ne pas comprendre l'exigence absolue des Français dans cette période : ils veulent être respectés, ils veulent donc être consultés et savoir de quoi on leur parle.

Le parti socialiste est le seul parti en France à avoir questionné tous ses adhérents. Le 1er décembre 2004, avec une participation très importante - de 83 % -, 60 % des militants ont dit qu'ils approuvaient le traité constitutionnel. Ce choix, mûrement réfléchi, a conduit les socialistes à s'inscrire dans la tradition historique du socialisme européen. Comme le disait Léon Blum : « L'instauration d'une Europe unie - unie économiquement, politiquement, socialement - est dans la tradition du socialisme international ».

Pour ceux qui sont attachés à cette histoire, on peut souhaiter que les Français parviennent à répondre à la seule question qui leur est posée et qui porte sur la ratification du traité constitutionnel.

On le sent bien, l'erreur historique consisterait à jeter le bébé avec l'eau du bain, ...

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. En gardant le bain ! (Sourires.)

M. Robert Bret. Drôle de bébé !

M. Jean-Pierre Bel. ... à rejeter en bloc le gouvernement Raffarin avec la question posée.

Le contexte français actuel, marqué par la gestion politique que l'on connaît des enjeux économiques et sociaux de notre pays, n'est pas favorable à l'approbation de ce traité. Mais, c'est dans ma nature, je veux rester optimiste, ...

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Merci !

M. Jean-Pierre Bel. ... car je sais que, spontanément, les Français sont portés, en grande majorité, par l'espérance européenne et par l'idéal de réconciliation entre tous les peuples d'Europe. A deux mois du référendum, j'ai tendance à penser que la nature passionnée des débats est, dans le fond, de bon augure.

En effet, paradoxalement, en organisant ce référendum, qui réveille toutes les passions, et parfois les plus improbables, on aura au moins contribué à rapprocher les Français de l'Europe : c'est déjà ça.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est vrai !

M. Jean-Pierre Bel. Alors que nous débattons à la télévision, dans la presse, à la radio, des avancées de ce traité, l'espace public européen est en train de naître sous nos yeux ; c'est déjà une première victoire.

Nous qui sommes les représentants du peuple français, nous savons que la construction de l'Europe ne sera possible que par l'adhésion réelle des citoyens eux-mêmes. Mais, à l'heure où nous parlons, tous les Français ne connaissent pas le traité constitutionnel, loin s'en faut.

M. Jean-Pierre Bel. Lorsque les Français auront le traité constitutionnel en main, ils pourront sans doute faire la part des vérités, des approximations et des caricatures.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est vrai !

M. Jean-Pierre Bel. C'est pourquoi il nous appartient, à nous les responsables politiques, d'en expliquer le sens, afin de conduire un débat citoyen qui soit digne et à la hauteur des enjeux.

J'ai entendu dire, comme vous : « Il est urgent de faire de l'Europe une affaire populaire, pas seulement réservée aux politiques et aux techniciens. L'épreuve montre que c'est difficile si l'on ne s'explique pas suffisamment ». Je lance donc un appel à la pédagogie.

Je lance un appel à la pédagogie, car j'ai l'intime conviction qu'une lecture attentive de ce texte nous épargnera les amalgames et les contrevérités. Je veux tenter ici de vous expliquer pourquoi.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est très bien !

M. Jean-Pierre Bel. Les Français s'interrogent sur ce qui fait l'essentiel de l'Europe, c'est-à-dire sur l'apport de la construction européenne pour notre pays. Au fond, cette question fondamentale revient à s'interroger sur la raison d'être de l'Europe ; elle est légitime. Pourquoi cette grande et belle bataille politique sur un sujet majeur ne mériterait-elle pas que l'on s'engage, et même que l'on se batte pour elle ? Cette bataille est cruciale, car elle relève de l'idée que l'on se fait de la France et de la place de la France dans l'Europe.

S'exprimant récemment, François Hollande - pardonnez-moi de le citer - revenait sur notre histoire : « Cette construction européenne, Jaurès l'avait rêvée, avant de tomber sous les balles de ceux qui voulaient l'empêcher de prévenir la Première Guerre mondiale. Léon Blum en avait eu l'intuition au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, parce qu'il savait bien que, pour préserver la paix, il fallait changer les règles du droit national et faire enfin l'Europe. Et François Mitterrand, enfin, en a eu la volonté. Le rêve, l'intuition et la volonté... »

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Léon Blum évoquait déjà la nécessité pour la France de participer à la construction de l'Europe pour l'édification d'une communauté universelle. A cette époque, les chefs d'Etat qui s'étaient réunis au Congrès de La Haye, sous la présidence de Churchill, n'avaient en tête qu'un seul objectif : déclencher le processus de construction européenne pour que s'ouvre enfin une ère de paix, de stabilité et de prospérité dans une Europe meurtrie par deux guerres mondiales en l'espace de quelques décennies.

Ce qui est remarquable depuis ce temps-là, c'est que, en dépit de quelques incidents de parcours - le rejet de la Communauté européenne de défense, la politique de la chaise vide de la France, etc. -, la politique française est marquée par une extraordinaire continuité. Cette idée de continuité dans la construction européenne l'a toujours emporté sur toute autre considération. C'est peut-être ce qui a fait dire à François Mitterrand : « Je crois à la nécessité historique de l'Europe ». C'est peut-être aussi ce qui justifie que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, François Mitterrand ait adopté tous les textes européens.

Cette nécessité historique a été intériorisée par les membres fondateurs de l'Europe. Elle a marqué de son sceau l'extraordinaire aventure de la construction européenne, au point que le destin de la France et celui de l'Europe sont indissolublement liés.

La France a marqué l'histoire de l'Europe ; elle a profité, elle profite encore aujourd'hui, de l'ouverture des frontières européennes pour se développer considérablement, développer ses régions, pour devenir puis rester l'une des cinq grandes puissances économiques du monde. La France a été partie prenante de tous les grands projets de l'Union, jusqu'à la monnaie unique. Bref, la France est au coeur de l'Europe, et l'Europe attend la réponse de la France.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est très bien !

M. Jean-Pierre Bel. Nous avons besoin de l'Europe, mais pas de n'importe quelle Europe !

Mme Hélène Luc. Tout est là !

M. Jean-Pierre Bel. L'Europe que nous voulons doit être une Europe forte, capable de peser sur la scène internationale et dans le mouvement planétaire.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !

M. Jean-Pierre Bel. L'Europe que nous voulons est, vous n'en serez pas étonnés, une Europe de gauche.

François Mitterrand - j'y reviens - n'envisageait d'Europe que sociale, même s'il avait conscience que, pour faire ses premiers pas, l'Europe ne pouvait ignorer le cadre économique. Visionnaire, le président de la République d'alors envisageait l'Europe à travers le prisme de son rôle social : « N'est-ce pas une oeuvre exaltante, passionnante que de donner un contenu social à l'Europe ? N'est ce pas le travail des mois et des années prochains ? Je regarderai, de l'extérieur, à ce moment-là, les avancées sociales et je me réjouirai chaque fois que je verrai ensemble des représentants européens s'associer au-delà de leurs divisions naturelles et de leurs opinions diverses pour que l'Europe à construire ne soit pas qu'un jeu de mécano, mais soit l'oeuvre puissante d'hommes qui construisent leur histoire. »

Ce que François Mitterrand nous a légué en héritage, c'est ce désir d'Europe sociale ; or la satisfaction de ce désir ne peut passer que par l'édification d'une Europe politique forte, surtout quand elle compte non plus douze, mais vingt-cinq Etats membres.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est vrai !

M. Jean-Pierre Bel. En cette période européenne mouvementée, l'Europe doit prendre, dans le coeur des Français, un nouveau départ. J'ai la profonde conviction qu'il n'y aura pas de nouveau départ si l'Europe néglige ou craint de se doter d'un projet politique. Or, aujourd'hui, il n'y a pas vraiment de projet politique en Europe.

Comme le disait François Hollande, « cette Europe est sans doute trop anonyme dans ses décisions, trop imparfaite dans ses règles, trop lointaine ». Or, pour la première fois, avec ce traité constitutionnel, l'Europe se donne les moyens d'incarner une vision, un projet politique.

Le traité constitutionnel prévoit des objectifs et des principes qu'il définit comme un socle de valeurs communes : « L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité. [...] Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes. » Le texte de l'article I-2 parle de lui-même !

L'affermissement de l'Europe politique passe par la reconnaissance officielle de ces valeurs communes : elles nous donnent une identité politique fondatrice. Mais cette identité ne serait rien sans relais institutionnels solides. Or, pour la première fois dans l'histoire de la construction européenne, cette Europe du traité constitutionnel dispose de leviers politiques majeurs, qui peuvent nous permettre, à la faveur d'un changement de majorité politique, de mettre en oeuvre des politiques publiques européennes différentes.

Par exemple, il crée le poste de président du Conseil européen, dont le titulaire, aux yeux des citoyens, incarnera l'Europe et pourra parler en son nom.

Ce traité étend aussi les domaines dans lesquels le Conseil européen se prononcera à la majorité qualifiée et non plus à l'unanimité, ce qui réduira la possibilité, pour un Etat ou un groupe d'Etats, de bloquer une décision européenne.

Les traités précédents, sous-tendus par un objectif de rapprochement économique communautaire, ne nous permettaient pas de mettre en oeuvre de telles exigences. En effet, l'Europe économique, nous le savons, a débuté à Rome ; elle est passée par Maastricht, et s'est arrêtée à Bruxelles, où fut signé ce traité constitutionnel. Plus qu'un arrêt, c'est une étape, et une étape décisive dans l'édification de l'Europe politique.

Ce traité européen donne en effet un premier contenu à l'Europe sociale, car aujourd'hui celle-ci a au moins fait l'objet d'une reconnaissance officielle : le plein emploi et l'économie sociale de marché ont été désignés comme les objectifs de l'Union, et l'on sait combien les préambules constitutionnels ont une valeur politique qui dépasse celle d'une simple déclaration d'intention.

Les Français reprochent souvent à l'Europe son manque de représentativité démocratique. Nous savons que l'Europe souffre d'une trop grande complexité institutionnelle qui la rend peu lisible pour nos concitoyens. Ils ont le sentiment qu'elle s'éloigne d'eux à mesure qu'elle s'élargit.

Il était donc urgent de répondre à cette attente. Faisons avancer l'Europe pour faire avancer la démocratie : avec ce traité constitutionnel, un pas dans la bonne direction est fait.

En effet, le traité constitutionnel accroît l'emprise du citoyen sur l'Europe en renforçant le contrôle des citoyens sur l'Union. Ainsi, la législation européenne sera soumise à l'examen des parlements nationaux, qui pourront vérifier si les propositions de la Commission s'inscrivent bien dans son domaine de compétence exclusive. Le choix du président de la Commission sera soumis au Parlement européen, qui pourra le révoquer.

Le traité constitutionnel rapproche l'Europe de ses citoyens en leur donnant un droit d'initiative en matière législative : si un million d'Européens le demandent, la Commission pourra déposer un projet de directive allant dans le sens souhaité par eux.

En outre, il renforce et protège les droits des citoyens. L'incorporation de la Charte des droits fondamentaux aura pour effet de permettre aux citoyens de saisir la Cour de justice européenne en cas de violation de cette dernière.

Puisque la question a été posée, il faut redire que le traité ne porte pas atteinte au principe français de laïcité.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est vrai !

M. Jean-Pierre Bel. J'ajouterai, pour calmer les craintes attisées par certains, que l'article I-52 instaure un « dialogue » avec les Eglises qui ne constitue nullement une remise en cause de la laïcité, comme l'a indiqué le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 novembre 2004. De toute façon, les principes de la Charte ne peuvent être mis en oeuvre que dans les domaines de compétence de l'Union. La laïcité au sein de l'école n'est donc pas concernée.

Enfin, la méthode d'adoption même de ce traité doit être saluée pour son caractère démocratique. On ne peut reprocher à ce texte d'avoir été adopté « en catimini » : il l'a été dans des conditions de transparence inédites dans l'histoire de la construction européenne.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Une transparence totale !

M. Jean-Pierre Bel. La méthode conventionnelle est inspirée des méthodes de la démocratie directe, que n'auraient peut-être pas reniées les pères fondateurs de notre République. En 2004, à l'échelle européenne, cette méthode a porté ses fruits. Elle a permis à des parlementaires européens, des représentants des gouvernements et de la Commission, de travailler tous ensemble à l'élaboration d'un texte modifié à la marge par les chefs d'Etat et de gouvernement lors de la CIG.

Ne sous-estimons pas les difficultés rencontrées par les conventionnels pour trouver, dans les temps qui leur étaient impartis et malgré leurs différences de culture, un accord sur un sujet aussi complexe que le fonctionnement de l'Europe politique à vingt-cinq. L'ampleur de la tâche était immense, tant sur le fond que sur la forme.

Comment mettre d'accord tous les représentants des pays membres en un temps record ? Les travaux de la Convention ont duré dix-sept mois ; ses membres ont tenu vingt-six sessions plénières pendant cinquante-deux jours au total, entendu plus de 1 800 interventions, fourni 386 contributions écrites à l'ensemble de la Convention et 773 aux groupes de travail.

Sur le fond, comment trouver un point d'accord avec les représentants des pays candidats à l'entrée dans l'Union européenne qui étaient autorisés à participer aux débats ? En effet, trente-neuf des membres de la Convention venaient de pays alors candidats, appelés à proposer des réformes pour des institutions auxquelles ils n'étaient pas encore parties prenantes. Mettre au point un texte aussi long et aussi compliqué avec des participants si divers parlant des langues si variées n'était pas chose simple.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Non ! C'est une prouesse !

M. Jean-Pierre Bel. Pourtant, ces débats ont été menés dans le respect de la démocratie et du pluralisme. Dans cette oeuvre collective et représentative, les socialistes français ont été parmi les plus actifs des membres de la Convention pour obtenir des avancées pour l'Europe et pour ses citoyens.

M. Jean-Pierre Bel. Je tiens à saluer ici notre collègue Robert Badinter, qui a fait bénéficier la Convention de son expérience constitutionnelle. Sa participation à cette oeuvre aura été de la première importance.

Enfin, la participation de ce que l'on a pris l'habitude d'appeler la société civile aux travaux de la Convention doit être soulignée. Cette dernière a reçu 1 264 contributions émanant de la société civile, qui fut informée, en temps réel, de l'avancée des travaux, mis en ligne sur le site internet de la Convention.

Cette méthode originale a permis que se dégage pour la première fois un « esprit public européen », s'efforçant de transcender les intérêts nationaux.

Ce débat parlementaire n'est que le prélude au nouveau dialogue que les parlements nationaux et le Parlement européen pourront instaurer grâce aux nouvelles procédures prévues par le traité constitutionnel.

Ainsi, le mécanisme de l'avis motivé prévu par le traité et désormais introduit à l'article 88 de notre Constitution doit inciter les parlements nationaux à se concerter, puisque la Commission ne sera tenue de réexaminer sa position que si un tiers des parlements nationaux au moins lui ont adressé un avis motivé.

Par ailleurs, la possibilité donnée aux parlements nationaux de saisir la Cour de justice européenne en cas de violation du principe de subsidiarité par un acte législatif européen ouvrira des perspectives nouvelles à nos institutions, en les mettant directement en rapport avec les institutions de l'Union.

Lorsque l'on sait que le principe de subsidiarité, pourtant énoncé dans le traité de Maastricht de 1992, n'a jamais été utilisé par un quelconque gouvernement,...

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est vrai !

M. Jean-Pierre Bel. ... on mesure la responsabilité qui incombera désormais aux parlements nationaux, en particulier à notre assemblée. Nous serons, chers collègues, comptables de l'application, et donc de la violation, de ce principe.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est vrai !

M. Jean-Pierre Bel. Cela signifie que nous devrons, à l'avenir, intégrer encore davantage la dimension européenne dans nos travaux législatifs.

Cela signifie également que nous serons responsables devant les Français si les institutions européennes sortent de leur champ de compétence et empiètent sur celui des Etats membres.

Nous exercerons donc une responsabilité partagée pour le respect de la répartition des compétences entre l'Europe et la France. Le traité constitutionnel renforce le contrôle démocratique de l'Europe ; en cela il répond à l'un des reproches qui étaient adressés aux institutions européennes par nos concitoyens.

Il reste à envisager la crainte de l'Europe libérale.

En effet, les Français redoutent l'Europe libérale, à juste titre. L'Europe actuelle est marquée par une vague de régression sociale due aux effets non maîtrisés de la mondialisation de l'économie, mais aussi à l'orientation politique libérale de la majorité parlementaire au sein des institutions européennes.

Les craintes exprimées par les Français sont donc légitimes, je le répète. Mais ne nous y trompons pas : comme le disait François Mitterrand, « les marchés ne sont que des moyens, des mécanismes dominés, trop souvent, par la loi du plus fort ».

Ces mécanismes peuvent engendrer l'injustice, l'exclusion, la dépendance, si des contrepoids nécessaires ne sont pas apportés par ceux qui peuvent s'appuyer sur la légitimité démocratique.

Il appartient donc aux responsables politiques et aux élus de travailler à l'encadrement politique des forces du marché. Lorsque ces élus sont désignés par les citoyens pour défendre et représenter l'Europe sociale, comme c'est notre cas, les effets de leur action s'en trouvent démultipliés.

A cet égard, le traité constitutionnel donne aux parlementaires européens et aux instances européennes davantage de moyens pour encadrer le marché.

D'une part, il fixe à l'Europe des objectifs auxquels la gauche peut s'identifier : « le plein emploi et le progrès social »,...

Mme Hélène Luc. Oui, mais pour le moment...

M. Jean-Pierre Bel. ... « la promotion de la justice et de la protection sociale », la lutte contre « l'exclusion et la discrimination ». Avec l'incorporation de la Charte des droits fondamentaux, l'Union sera tenue de promouvoir l'égalité des sexes, la solidarité entre les générations, la protection des droits de l'enfant ou encore des conditions de travail justes et équitables. L'ensemble de ces objectifs forme un cadre juridique qui oblige les politiques de l'Union à prendre en compte la promotion d'un niveau d'emploi élevé.

D'autre part, il impose à tous les pays membres le respect d'un ensemble de normes sociales dans tous les secteurs industriels.

Sur ce plan, l'exemple des délocalisations est significatif. Les délocalisations, dont les effets se font sentir depuis quelques années déjà, inquiètent - à juste titre, pourrais-je ajouter, moi qui suis issu d'une région textile. Mais il importe d'être précis : pour l'essentiel, les délocalisations ne s'effectuent pas, on le sait, au sein de l'Union européenne. Par conséquent, le traité constitutionnel ne pourra en aucun cas être désigné comme la cause des délocalisations, processus qui a commencé voilà déjà bien longtemps.

Il faut ajouter que l'éventuelle concurrence fiscale et sociale résultant de l'intégration des nouveaux pays membres sera, à terme, limitée par les règles européennes découlant du traité, qui impose en effet à tous les Etats membres le respect de l'acquis communautaire, c'est-à-dire le respect des niveaux sociaux et syndicaux.

On peut ainsi considérer et espérer que, à court terme, les nouveaux pays membres rattraperont les niveaux fiscaux et sociaux européens, comme cela a été le cas pour l'Espagne et l'Irlande. Souvenez-vous, mes chers collègues, de tout ce qui a pourtant pu être dit à l'époque de l'adhésion de ces deux pays à l'Union européenne !

L'Europe doit être forte pour résister à la concurrence des pays d'Asie, qui, eux, exercent un dumping social dangereux.

Ce traité illustre bien le fait que, à côté des marchés, il y a place pour les activités économiques et sociales fondées sur la solidarité, la coopération, l'association, la mutualité, l'intérêt général, bref le service public.

Pour la première fois, en effet, un traité européen reconnaît le service public comme un instrument indispensable au renforcement de la « cohésion sociale dans l'Union européenne ».

Un nouvel article du traité, l'article III-122, invite l'Union à respecter les services d'intérêt économique général -ce terme désigne les services publics en Europe -, notamment leur organisation et leur financement par les Etats membres. Les aides publiques apportées par les Etats membres aux services publics sont reconnues comme indispensables à l'accomplissement de la mission d'intérêt général de ces derniers.

Enfin, le traité prévoit que le Parlement européen adoptera un statut particulier pour les services publics en Europe, ce qui leur donnera une existence juridique de nature à les protéger. C'est là un progrès incontestable.

Nous avons tracé les contours de l'Europe sociale ; quand nous serons au pouvoir, nous pourrons lui donner un contenu. Nous pourrons ainsi faire écho aux efforts des conventionnels socialistes, qui se sont battus pour que soient reconnus le statut du service public et la Charte des droits fondamentaux.

Nos concitoyens pensent aussi que l'Europe manque d'envergure dans le concert mondial des nations, ce qui affecte sa crédibilité lorsqu'elle tente par exemple de s'opposer aux Etats-Unis.

Ce traité nous donne pourtant les moyens de renforcer le poids politique de l'Europe sur la scène internationale. Il tend à créer un ministre européen des affaires étrangères, qui représentera l'Union européenne dans le monde et qui pourra parler d'égal à égal avec le ministre des affaires étrangères des Etats-Unis ou celui de la Chine.

Enfin, le traité constitutionnel met en place les instruments nécessaires pour construire une Europe de la défense forte et indépendante.

L'Union européenne aura désormais « une capacité opérationnelle s'appuyant sur des moyens civils et militaires ». L'Europe gagnera ainsi en force politique vis-à-vis de ses partenaires internationaux, le traité précisant d'ailleurs qu'aucune action de l'OTAN ne pourra être dirigée contre l'Union.

M. Robert Bret. Encore heureux !

M. Jean-Pierre Bel. Naturellement, l'Europe continuera à bénéficier de la protection militaire de l'OTAN, mais elle poursuivra le développement de son autonomie en termes de défense militaire, dans une coopération avec les Etats-Unis.

Je finirai par une interrogation sur l'histoire, que j'ai déjà beaucoup évoquée.

Quand François Mitterrand se battait courageusement pour la ratification du traité de Maastricht, il défendait un traité qui, au premier abord, ne concernait pas directement l'Europe sociale. Vous le savez, mes chers collègues, les critères de convergence étaient porteurs d'une rigueur financière et monétaire nécessaire à la mise en place de l'euro ; c'était le prix à payer.

François Mitterrand, avec l'ensemble du parti socialiste de l'époque, y compris ceux qui aujourd'hui sont les pourfendeurs les plus virulents de ce traité constitutionnel, s'était engagé en faveur d'une Europe qui n'était alors que monétaire. Nous pouvons et nous devons lui rendre hommage : il était alors préférable que le franc, devenu monnaie forte grâce au respect des critères de convergence, donne à la France un pouvoir de décision incontournable dans le concert des Etats européens.

Mais il lui fallait singulièrement croire à l'Europe sociale pour appeler à la ratification d'un texte qui n'y faisait pas référence.

Je suis d'accord avec ceux - ils se reconnaîtront - qui disaient, en 1992 : « On m'objecte à gauche que le cadre de Maastricht est libéral. Et alors ? Fallait-il refuser la République tant que Baboeuf n'avait pas écrit sa Constitution ? » Je vous demande de vous référer à cette citation, qui se poursuit ainsi : « La Constitution de la Ve République nous empêche-t-elle de mener la lutte pour son dépassement ? »

M. Jean-Pierre Bel. En effet, le traité constitutionnel ne nous empêche pas de mener des politiques économiques et sociales que nous saurons imposer par le combat politique.

Je le dis aux camarades qui s'interrogent : au nom de quoi peut-on refuser de ratifier un traité dont les quelque cinquante articles réellement nouveaux par rapport au traité existant ne se préoccupent que de renforcer l'Europe politique, démocratique et sociale au bénéfice des peuples ?

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !

M. Jean-Pierre Bel. Comment peut-on avoir la prétention de renégocier seul un texte contre la totalité des partenaires socialistes européens ? (Très bien ! sur les travées de l'UC-UDF.) Et avec qui et pour faire quoi?

Lors de prochaines échéances électorales européennes, les peuples choisiront la politique qu'ils entendent voir appliquer.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Absolument !

M. Jean-Pierre Bel. Elle sera soit de gauche, soit de droite. Ce sera à eux de décider !

Par conséquent, je veux dire ici à quel point ce texte est fondamental pour l'avenir. Nous avons besoin de ce traité afin d'aller plus loin. Je ne dis pas qu'il est parfait et qu'il ne faudra pas, plus tard, le modifier, mais je souhaite qu'on le ratifie et qu'on l'applique d'abord.

Le traité constitutionnel permettra, par exemple, à certains Etats d'aller plus vite et plus loin. En assouplissant le mécanisme des coopérations renforcées, il offre à un groupe d'Etats la possibilité de mettre en commun leurs forces afin de former une avant-garde.

Je donnerai un autre exemple : l'Europe économique souffre d'un manque de reconnaissance officielle, ce qui l'affaiblit par rapport à la Banque centrale européenne. Or ce traité est le premier à donner une existence réelle à l'Eurogroupe, qui pourra constituer un contrepoids, je l'espère efficace, aux impératifs monétaires.

J'ai du mal à comprendre les raisons qui, aujourd'hui, pousseraient à ne pas accepter le traité constitutionnel. Quant aux arguments de politique intérieure, ne nous y trompons pas : le rejet du traité n'entraînera pas, bien évidemment, la démission de M. Chirac ni la remise en cause de sa politique. On peut compter sur lui pour ce qui est de la persévérance !

Il ne faut pas mélanger les sujets ni instrumentaliser un sujet aussi crucial pour la France. La ratification, qui est un grand acte, par oui ou par non à une question essentielle pour le présent et l'avenir de la France est l'affaire du peuple.

Bien sûr, l'Europe que nous voulons est une Europe de gauche. A l'évidence, elle n'est pas de gauche aujourd'hui, mais faut-il attendre qu'elle le soit pour adhérer au projet de construction ?

Ne nourrissons pas la prétention absurde et déplorable de vouloir faire l'Europe tout seuls. Rappelez-vous de ce que disait Léon Blum : « Nous n'avons nullement l'intention d'attendre le jour où tous les pays de l'Europe auront une majorité socialiste au Parlement et un gouvernement socialiste homogène ».

M. Jean-Pierre Bel. Avec tous les socialistes européens et la majeure partie des syndicalistes européens, ...

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est vrai !

M. Jean-Pierre Bel. ... je voterai oui au traité constitutionnel le 29 mai !

Avant de terminer mon intervention, comment ne pas rappeler, une fois de plus, avec enthousiasme - mais la formule est tellement belle -, les mots de François Mitterrand : « La France est ma patrie, l'Europe est son avenir. » (Vifs applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste. - Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP, de l'UC-UDF et du RDSE.)

(Mme Michèle André remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le traité constitutionnel est une occasion manquée de bâtir une autre Europe, moins technocratique, moins procédurière et, surtout, plus proche des peuples et plus attentive à leurs aspirations.

Le 29 mai, je vois au moins trois bonnes raisons de dire non à cette Constitution et oui à une nouvelle Europe.

Première raison : la Constitution porte un projet qui ne peut pas réussir, car celui-ci propose une abstraction indéfinie, à savoir une Europe sans mémoire, née de nulle part, sans histoire ni géographie.

M. Michel Mercier. Ça fait un peu beaucoup !

M. Bruno Retailleau. Cette absence de limite en dit long sur le refus de se définir culturellement et politiquement. Pourtant, en coulisse, on prépare déjà activement l'entrée de la Turquie. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP, de l'UC-UDF et du groupe socialiste.)

M. Alain Gournac. Ne mélangez pas tout !

M. Bruno Retailleau. Il y a l'élargissement et l'approfondissement. Les deux sont liés !

M. Yannick Bodin. Vous avez peur !

M. Bruno Retailleau. Monsieur le ministre, l'ambassadeur de France en Turquie, M. Paul Poudade, a déclaré le 11 mars dernier : « La France se réjouira de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne ... L'opposition du peuple français à l'égard de l'adhésion de la Turquie ne lie pas la politique de l'Etat français ».

Et savez-vous, mes chers collègues, où aura lieu la prochaine réunion du groupe d'élargissement du parti populaire européen, le PPE, le 26 mai prochain, soit trois jours avant le référendum ? Elle se tiendra à Ankara !

M. Alain Gournac. Et alors ?

M. Bruno Retailleau. Le PPE aurait au moins pu choisir Istanbul ... en Europe !

En outre, ce projet ne peut pas réussir, car une abstraction ne peut pas suffisamment nourrir un élan partagé, un même sentiment d'appartenance parvenant à dépasser toutes les autres différences. C'est ainsi que l'on réduit l'Europe à organiser un simple collage, une méticuleuse juxtaposition de minorités On la condamne au communautarisme. Ainsi, on ne compte plus les mentions - dès l'article I-2 ! - qui proclament le droit des minorités, en opposition avec notre tradition républicaine qui ne reconnaît que des citoyens sans distinction d'origine, de situation ou de religion.

Enfin, ce projet ne peut pas réussir sur le plan économique, car il préfère les principes aux résultats. Les résultats sont-ils médiocres ? Peu importe, on ne change pas une politique qui perd !

On laisse la Banque centrale européenne à son obsession monomaniaque : l'inflation plutôt que la croissance ou l'emploi.

Au lieu de faire comme les Etats-Unis, qui savent parfaitement protéger leur marché intérieur lorsque l'intérêt national l'exige - ils le font pour l'agriculture, ils l'ont fait pour l'acier, et ils sont en train de faire jouer la clause de sauvegarde pour le textile -, nous en appelons, nous, Européens, avec un angélisme béat, à la disparition des barrières douanières et aux aides de l'Etat aux entreprises.

Dois-je rappeler que les grands projets industriels, outre-atlantique ou en France, comme le TGV par exemple, ont toujours nécessité des investissements publics ? L'efficacité doit primer sur la doctrine.

Dois-je aussi rappeler que, en voulant appliquer sa conception dogmatique de la concurrence libre et non faussée, la Commission avait refusé à Péchiney le rachat du canadien Alcan ? Depuis, c'est Alcan qui a racheté Péchiney et qui est en train de le dépecer. Il suffit d'écouter les commissaires européens pour savoir dans quel sens va la pente : lorsque Mme Danuta Hübner ou M. Günter Verheugen justifient les délocalisations, ils ne commettent pas de gaffe ; leurs déclarations traduisent très précisément l'état d'esprit de la Commission.

De plus, avec l'article III-122, on nous propose de communautariser les services d'intérêt général, c'est-à-dire de perdre, pour une large part, le contrôle de nos services publics, de leur définition comme de leurs conditions de fonctionnement.

Mes chers collègues, je voudrais également balayer un argument que l'on entend souvent : que la France doive se réformer, j'en suis convaincu, mais elle doit d'abord compter sur elle-même, c'est-à-dire sur le courage des Français - et ils en ont ! - et de leurs hommes politiques, qui n'en manquent pas non plus. Toute réforme implique des efforts qui ne peuvent être demandés et consentis par les Français que dans le cadre de la démocratie nationale. Le salut ne viendra pas d'ailleurs : il ne peut venir que de nous-mêmes.

Deuxième raison : cette Constitution aggrave encore le déficit démocratique de l'Europe.

M. Bernard Frimat. Ce n'est pas vrai !

M. Bruno Retailleau. Elle l'aggrave de trois façons.

D'abord, plus on éloigne un pouvoir, moins on rend simple et efficace son contrôle et plus on perd en qualité démocratique. C'est d'ailleurs l'argument qu'a souvent avancé M. Raffarin pour justifier ce qui est, à mes yeux, une bonne réforme, à savoir les lois de décentralisation.

Ensuite, l'Union sera de plus en plus dirigée par des experts et non par des élus. En effet, on renforce considérablement le rôle de la Commission. Ainsi, avec l'article I-26, elle sera chargée de l'« intérêt général européen », qu'il aurait plutôt fallu confier au Conseil. En outre, son monopole d'initiative, qui enfreint la règle de la séparation des pouvoirs, acquerra une redoutable efficacité en s'appliquant à des compétences toujours plus vastes, et avec un processus de décision à la majorité qualifiée.

Enfin, la Constitution marginalise les démocraties nationales. En dehors du processus de révision simple, sans processus de ratification, les parlements nationaux gagnent le pouvoir d'émettre des avis, mais, en échange, ils perdent en grande partie le pouvoir de faire la loi.

L'inspiration de ce texte est en fait d'établir une abstraction démocratique, apolitique dans laquelle les décisions publiques seront prises en charge par une avant-garde éclairée, tandis que l'on voudrait réduire l'existence collective des peuples aux seules activités du marché et de la société civile.

Troisième raison : cette Constitution tente d'imposer un cadre étatique fédéral à l'insu des peuples.

Ecoutons un court instant un orfèvre en la matière, Valéry Giscard d'Estaing : « dans la Constitution, le mot  "fédéral"  a été remplacé par le mot " communautaire ", ce qui veut dire exactement la même chose ».

Voici les instruments de cet engrenage fédéral : une Constitution, la personnalité juridique de l'Union, la primauté absolue du droit européen sur tout droit national, y compris postérieur ou constitutionnel, la majorité qualifiée, et, enfin, cette espèce de boulimie de compétences qui fait que nous aurons une Europe qui se mêlera de tout plutôt qu'une Europe subsidiaire, qui aurait été la bonne voie. C'est cet engrenage qui blessera mortellement notre souveraineté, c'est-à-dire la maîtrise par les Français de leurs choix et de leur destin.

La souveraineté, qu'elle soit populaire ou nationale, c'est la liberté de choisir. D'ailleurs, je ne connais pas de meilleure définition que celle donnée par Abraham Lincoln dans son discours devant le Congrès le 4 juillet 1861 alors que la guerre de Sécession avait éclaté : la souveraineté, c'est une communauté politique, sans supériorité politique. Ce ne sera plus le cas !

J'avais d'ailleurs été très étonné, en lisant pour la première fois la fameuse directive Bolkestein, de constater que son premier objectif était la politique d'intégration des peuples, c'est-à-dire que tout était bon pour créer de toutes pièces non seulement un territoire unique, mais aussi un droit unique, un peuple unique et peut-être, demain, un Etat unique. Or l'Europe n'a jamais été aussi diverse depuis l'élargissement. Quant au peuple européen, il n'existera pas avant de longues décennies !

Le vote du 29 mai, ce sera le choix entre deux modèles européens : un modèle souple, qui s'appuie sur la coopération entre les Etats, et un modèle supranational hypercentralisé que nous propose cette Constitution, qui veut supprimer toute différence afin de parvenir à créer plus tard un « super Etat ».

Le problème est que, demain, à vingt-sept, cela ne peut pas marcher, sauf à imposer une discipline de fer et une production toujours plus importante de règles, de normes et de procédures tatillonnes. Les peuples finiront par se détourner de cette construction utopique, car la nation est non seulement le lieu naturel de l'exercice de la démocratie, mais aussi la seule communauté humaine qui soit à la fois à la taille de l'homme et à l'échelle du monde.

Je sais bien que derrière ce texte constitutionnel, pour certains esprits, il peut y avoir l'idée que la nation serait un obstacle à la communion planétaire. J'ai ainsi entendu Jack Lang déclarer : je vote oui, parce que je suis internationaliste. C'est une profonde erreur ! Comme l'a très bien écrit un philosophe contemporain, Pierre Manent : « La nation européenne est parvenue de façon incomparable à réaliser l'articulation du particulier et de l'universel : chaque grande action, chaque grande pensée que produit l'une de nos nations est un défi et une proposition pour les autres nations, une proposition d'humanité pour l'humanité ».

Mes chers collègues, l'Europe que nous appelons de nos voeux est une Europe vraiment européenne, sans la Turquie, une Europe démocratique qui s'appuie sur les démocraties nationales sans chercher à les diluer et, enfin, une Europe qui nous protège et mette l'économie et surtout la monnaie au service de l'homme et non l'inverse. (M. Philippe Darniche applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Josselin de Rohan. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Josselin de Rohan. Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 29 mai prochain, les Français devront effectuer un choix majeur : accepter ou repousser le projet de traité constitutionnel pour l'Europe.

Quelle que soit la décision, nous savons qu'elle sera lourde de conséquences pour l'avenir. La procédure référendaire place donc chacun d'entre nous devant ses responsabilités.

Depuis près de soixante ans, tous nos projets de Constitution ont été soumis au suffrage populaire. Il eût été difficilement concevable d'agir autrement lorsqu'il s'agit de donner à l'Europe des institutions qui impliquent des délégations de souveraineté et répartissent les compétences entre l'Union européenne et les Etats qui la composent. Le recours au référendum n'est pas sans risque, surtout si nos concitoyens entendent se prononcer sur le contexte plutôt que sur le texte, mais il est inéluctable si l'on veut donner au traité une sanction démocratique irréfutable.

Tel qu'il se présente, le traité établissant une constitution pour l'Europe est tout à la fois un aboutissement et une promesse. Il est le fruit d'une longue maturation qui a duré plus d'un demi-siècle, reflet des péripéties qui ont retenti sur l'histoire de l'Europe, avec des périodes d'accélération rapide ou, au contraire, de stagnation mais, jusqu'à présent, jamais de régression.

Une nouvelle ère s'ouvre aujourd'hui qui peut permettre à l'Union européenne, grâce à la constitution dont elle se dotera, d'élaborer et de conduire des politiques dans des domaines stratégiques capables de renforcer la cohésion, le dynamisme et le poids dans le monde de notre vieux continent. A chaque génération ses défis : celle qui nous a précédés a su relever l'Europe de ses ruines, réconcilier entre eux des peuples mus par des haines séculaires et créer un espace économique facteur de développement et de prospérité. Il appartient à la génération présente d'édifier une nouvelle Europe reposant sur des institutions fortes et respectées, inspirées par les principes de liberté, de démocratie et de solidarité.

La réussite de ce grand dessein est d'autant plus indispensable que s'opèrent dans le monde de grands regroupements et que se constituent de grands ensembles économiques avec lesquels les peuples de l'Europe ne sauraient se mesurer s'ils agissent isolément mais avec lesquels l'Europe peut se comparer si elle sait unir ses forces.

Le traité constitutionnel est un aboutissement : celui de l'évolution d'une union économique vers la création d'une entité politique.

Chacune des phases qui ont conduit à cette évolution porte la marque d'une influence française et témoigne d'une grande continuité de notre politique alors que l'on se plaît souvent à dénoncer notre inconstance. La Communauté européenne du charbon et de l'acier est une idée française dont le mérite revient à Jean Monnet et à Robert Schuman.

La conception comme la mise en oeuvre du traité de Rome ont tenu pour l'essentiel à la volonté des hommes politiques français, toutes tendances confondues, de faire de l'Europe une communauté qui ne se réduise pas à une simple zone de libre-échange, mais qui soit capable de construire des politiques communes et de tendre à l'harmonisation des législations. L'entente franco-allemande, qui a su donner l'impulsion nécessaire à toutes les avancées européennes, a été le souci de tous les chefs d'Etat français qui se sont succédé sous la Ve République et le moteur de toutes les avancées.

Sans l'engagement déterminé de François Mitterrand, le traité de Maastricht, qui a mis en place l'Union économique et monétaire ainsi que la création de l'euro, n'aurait sans doute pas vu le jour.

C'est de l'implication permanente du président Chirac dans le domaine de la politique européenne que résultent la préservation de l'exception culturelle, le maintien jusqu'à 2013 de la politique agricole commune et la volonté de donner une dimension sociale à la construction européenne.

Tous les observateurs, enfin, s'accordent à reconnaître la part remarquable prise par les membres français, de toutes origines, lors de la convention préparatoire du traité de Rome II, ainsi que le rôle irremplaçable joué par le président Giscard d'Estaing dans l'élaboration de ce traité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Josselin de Rohan. Le traité constitutionnel est bien un aboutissement parce qu'il remédie, sans doute encore imparfaitement, à deux faiblesses de l'Union européenne : l'insuffisance du contrôle démocratique et l'absence d'une véritable organisation politique.

Les critiques portant sur le caractère technocratique des décisions bruxelloises étaient loin d'être infondées.

Nombre d'entre elles semblaient émaner d'organismes opaques, lointains, imperméables à toute discussion et surtout incontrôlés. Il en est souvent résulté une véritable diabolisation des institutions et une grande incompréhension - pour ne pas parler de répulsion - de la part des opinions publiques à l'égard de tout ce qui émanait de Bruxelles.

Les dispositions du traité constitutionnel, en permettant le droit de pétition, en élargissant très sensiblement les domaines d'action et de contrôle du Parlement européen ainsi que ses responsabilités financières et en accordant aux parlements nationaux le pouvoir de se prononcer sur un projet de loi européen avant son adoption et de contrôler la « constitutionnalité » des lois européennes, apportent de sérieuses garanties aux citoyens européens, celles que leurs préoccupations, leurs appréhensions et leurs revendications seront entendues.

L'absence d'une véritable organisation politique n'a que peu favorisé l'harmonisation des politiques étrangères ou de défense des états de l'Union.

L'exemple du Proche-Orient ou de l'Irak illustre l'étendue des progrès à accomplir pour que l'Union ait une politique étrangère qui soit vraiment la sienne. Par ailleurs, nombre de nos partenaires estiment encore que la défense européenne ne peut s'exercer que dans le seul cadre de l'OTAN.

L'instauration d'un ministre des affaires étrangères de l'Union, chargé de mettre en oeuvre la politique étrangère et de sécurité commune et de coordonner l'action extérieure, est un premier pas vers une « Europe européenne », pour reprendre l'expression du général de Gaulle « qui existe par elle-même, pour elle-même, et qui ait sa propre politique. »

Dans le domaine de la défense, tant le président de la commission des affaires étrangères que notre ami Hubert Haenel ont expliqué quelles étaient les avancées qui interviendraient.

De tels progrès ne seraient pas possibles sans un minimum d'institutions. Le conseil des affaires étrangères devrait, grâce à la confrontation régulière des responsables de la diplomatie des Etats membres, favoriser l'éclosion d'une politique extérieure cohérente de l'Union dans un très grand nombre de domaines. L'avènement d'une politique européenne de la défense prendra sans doute plus de temps, mais les coopérations renforcées devraient, à terme, rapprocher les points de vue et les actions des Etats membres de manière concrète et significative.

La France, mes chers collègues, a trop souvent déploré, dans le passé, l'insuffisante affirmation de son identité par l'Union européenne, sa trop grande dépendance par rapport à la politique étrangère des Etats-Unis, son influence négligeable ou son absence d'initiatives dans diverses régions du monde face aux grands problèmes politiques ou aux conflits qui l'agitent pour ne pas se réjouir de voir, enfin l'Union se donner les moyens de jouer un rôle conforme à ses idéaux et à son poids dans le concert international.

Le traité constitutionnel est la promesse d'une nouvelle Europe.

Les institutions prévues par le traité n'ont d'autre objet que de servir d'outil et de cadre à des politiques communes dont la finalité est de donner une forte impulsion à l'édification d'une nouvelle Europe.

La nouvelle Europe est d'abord une union fondée sur le respect des libertés publiques et des droits de l'homme. Le continent qui a inventé et théorisé, voilà plus de quinze siècles, la démocratie doit demeurer un modèle et un exemple de respect du droit et des valeurs tel que le définit le préambule du traité et de la charte des droits fondamentaux. Les institutions prévues par le traité sont les garantes de ces valeurs.

Tous les pays candidats à l'adhésion savent que la mise en application de ces principes dans leur pays conditionne leur entrée dans l'Union européenne.

En consacrant la notion de citoyenneté européenne, le traité donne une extension remarquable aux droits et aux prérogatives des habitants de l'Union, car outre la libre circulation ou le libre séjour, il leur assure le droit de vote et l'éligibilité aux élections municipales et européennes, la protection des autorités de tout Etat membre et le recours au médiateur.

La nouvelle Europe représente la perspective d'un espace économique moderne, puissant et dynamique, s'appuyant sur des politiques coordonnées et un gouvernement économique dans la zone euro. Les objectifs qu'elle s'assigne sont la croissance équilibrée de l'économie, la stabilité des prix, la liberté de concurrence et la liberté d'entreprise.

Certains voient dans l'affirmation de ces principes une dérive vers l'ultralibéralisme et le droit pour le plus fort d'écraser le plus faible. C'est oublier que la libre concurrence, comme la liberté d'entreprendre, figure dans tous les traités précédents et que la réglementation de la concurrence est le domaine où la Commission a fait preuve de l'activité la plus grande depuis l'origine du traité de Rome. C'est oublier aussi que le traité évoque une économie sociale de marché « qui tend au plein emploi et au progrès social », ce qui est le contraire du libéralisme débridé. Mais qui peut sérieusement croire que, dans une économie aussi ouverte que celle du monde contemporain, la compétitivité d'une entreprise soit une tare ?

Il est vrai que les délocalisations, le dumping fiscal ou social seraient des obstacles sérieux à l'établissement d'une bonne gouvernance économique de l'Europe, de même que le laxisme dans le domaine de la lutte contre les déficits excessifs. Le renforcement du rôle du Parlement européen, l'émergence d'une opinion publique européenne, les réactions des Etats membres et les coopérations renforcées conduiront sans doute à remédier aux lacunes ou aux insuffisances des politiques actuelles. Ce devrait être l'un des acquis du traité.

La nouvelle Europe sera sociale. Le Premier ministre nous en a donné des exemples extrêmement concrets ; il a cité des articles du traité qui ne font aucun doute à cet égard. Ainsi, onze articles du traité sont consacrés à la protection sociale, aux conditions de rémunération des travailleurs, aux congés payés, à l'institution d'un fonds européen visant à promouvoir l'emploi, la mobilité géographique et professionnelle des salariés au sein de l'Union. Nous sommes loin du paysage dévasté décrit par les critiques du traité, qui voient dans son adoption les prémices d'une Europe où les salariés seraient livrés à l'arbitraire des entreprises, sans recours ni protection !

M. Roland Muzeau. C'est pourtant bien cela !

M. Josselin de Rohan. La nouvelle Europe, enfin, sera un espace de liberté, de sécurité et de justice.

Qui ne voit que, seule une politique coordonnée dans le domaine de l'immigration peut aboutir à une véritable régulation des flux migratoires et à une protection efficace des frontières de notre continent grâce à une législation appropriée luttant contre l'immigration clandestine ou la traite des êtres humains ?

Qui ne sent que la lutte contre l'insécurité et le terrorisme, pour donner des résultats, passe par une coopération étroite et une mise en commun des informations ou des ressources des Etats membres ?

Qui ne comprend que l'adoption de règles de procédure pénale et de règles minimales définissant les infractions et les sanctions pour des crimes tels que le trafic de drogue ou le blanchiment d'argent conditionnent l'efficacité de la lutte contre ces fléaux ?

A un journaliste qui s'apprêtait à l'interroger, Woody Allen annonça : « La réponse est non ; quelle est la question ? » (Sourires.)

C'est uniquement sur le projet de constitution que les Français doivent se prononcer. II faut, pour l'avenir de l'Europe comme pour le nôtre et celui de nos enfants, que nos ambitions l'emportent sur nos inhibitions.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Josselin de Rohan. La France ne peut pas tourner le dos à cinquante ans d'efforts tenaces et continus pour édifier une Europe forte, unie et libre où elle ne manquerait pas, de par son histoire, ses ressources et son ingéniosité, d'exercer une influence déterminante sur la conduite des politiques européennes.

Le président du Parlement européen lui-même l'a mise en garde : un vote négatif nous ferait reculer vingt ans en arrière, décevrait cruellement tous ceux qui voient en la France l'un des artisans les plus convaincus, les plus efficaces de la construction européenne et porterait une grave atteinte à sa crédibilité au plan international.

Croire possible la renégociation d'un nouvel accord après un rejet du traité est une chimère.

Ceux qui ont dû faire des concessions pour consentir à une Europe aux pouvoirs plus étendus ou à un modèle social plus éloigné de leurs conceptions traditionnelles ne trouveraient aucune raison de les réitérer. L'Europe a minima comprend de nombreux partisans. Le système de votation pour le calcul des majorités qualifiées, mis en place par le traité de Nice, convient mieux à certains de nos partenaires que celui qui est envisagé par le projet de traité, plus avantageux pour la France. Les détracteurs de la PAC n'attendent que le non français pour la démanteler. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Curieux paradoxe que celui de voir confortée une Europe uniquement « libre-échangiste » par ceux qui se proclament les ennemis les plus irréductibles du libéralisme ! (Murmures sur les travées du groupe CRC.)

L'avènement d'une nouvelle Europe est une chance pour la France, une aventure qui mérite d'être vécue, un combat qui vaut la peine d'être mené parce qu'il ouvre des horizons et des champs d'expérimentation nouveaux aux générations futures.

Aujourd'hui, il s'agit non plus de panser les plaies du passé, mais de construire un modèle politique, économique et social original pour notre temps.

Un modèle qui respecte les traditions, la culture, l'identité de chacun des Etats composant l'Union, qui leur assure la plus large autonomie mais qui sache mobiliser les énergies afin que, dans des domaines politiques essentiels, l'Europe parle d'une seule voix pour peser sur les affaires du monde.

Un modèle qui permette d'élaborer des politiques économiques, scientifiques et technologiques qui placent l'Union parmi les ensembles les plus performants et les plus compétitifs de notre époque comme cela a été le cas pour Ariane, Airbus, Galileo, Huyghens et demain pour Iter.

Un modèle qui conjugue le développement économique et le progrès social afin que les fruits de la croissance puissent être équitablement répartis entre ceux qui sont à sa source et que ne s'établissent point de disparités entre catégories sociales et territoriales qui nuiraient à la cohésion de l'Europe.

Mes chers collègues, aucun avenir ne se fonde sur les peurs et sur les rancoeurs ou sur les règlements de compte, aucune perspective ne s'ouvre si elle ne débouche pas sur l'espérance ou l'enthousiasme. Aucune alternative n'est concevable à partir de majorités hétéroclites unies dans la seule négation.

M. Josselin de Rohan. La jeunesse de notre continent, notre jeunesse, est conviée au démarrage d'un grand et exaltant chantier, celui de la nouvelle Europe. Nous faisons confiance à sa générosité, à son ardeur, à sa capacité de trouver en elle les ressorts nécessaires pour la mener à bien.

Ainsi l'Europe, si marquée pendant tant de siècles par une histoire tragique et glorieuse, par les guerres, les crises et les déchirements, mais si riche en hommes de génie, en découvertes et en chefs-d'oeuvre, s'engagera-t-elle dans un nouveau millénaire avec la volonté de cesser d'être un mythe pour devenir enfin une puissance. (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Roland Muzeau. Encore un oui !

M. Michel Mercier. Sans problème, monsieur Muzeau !

M. Roland Muzeau. Où sont les non ? Où est le peuple ?

M. Michel Mercier. Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 29 mai prochain, les Françaises et les Français sont appelés à se prononcer, par voie de référendum, sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe.

Il nous faut d'abord affirmer très clairement que, si cette procédure de ratification est sûrement la plus difficile, c'est la seule qui soit acceptable, compte tenu du sujet. Seuls les Françaises et les Français peuvent valablement dire s'ils sont, ou non, favorables à une Constitution pour l'Europe. C'est cette voie exigeante que le Président de la République a choisie pour ratifier le traité instituant cette Constitution, et ce choix recueille pleinement notre soutien et notre engagement.

Depuis le début, la France a joué un rôle singulier dans la construction de l'Europe : tantôt moteur, tantôt frein, mais toujours essentiel.

M. Michel Mercier. C'est la France qui a été très largement, après la guerre, à l'origine de la construction européenne, c'est elle aussi qui y a porté un coup de frein, le 30 août 1954, lorsque l'Assemblée nationale a rejeté le projet de Communauté européenne de défense dont elle avait été l'initiatrice.

C'est dire que le vote des Françaises et des Français, le 29 mai prochain, sera observé...

M. Michel Barnier, ministre. Absolument !

M. Michel Mercier. ...et aura un effet d'entraînement pour l'Europe tout entière, pour les Européens qui auront à se prononcer directement et pour les parlements qui auront à ratifier le traité.

Si le  non  est respectable dès lors qu'il repose sur des raisons explicables, dire que la France fera progresser l'Europe en disant non, c'est abuser les Françaises et les Français et renier toute l'histoire de la construction européenne !

M. Michel Mercier. Par notre refus, en 1954, nous avons simplement permis aux Etats-Unis de devenir la seule grande puissance mondiale. Lorsque nous regrettons tous, régulièrement, que l'Europe reste un nain politique, c'est parce que, un jour, nous avons dit non à la construction d'une Europe politique ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. C'est une vision partisane !

M. Robert Hue. Les communistes et les gaullistes, ça vous déplaît !

M. Michel Mercier. Mon cher collègue, il faut dire les choses telles qu'elles sont : c'est ainsi que nous ferons honneur au suffrage universel direct ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.) Raconter des histoires qui peuvent, certes, faire plaisir, mais qui n'ont rien à voir avec la réalité, c'est aussi, d'une certaine manière, manquer à la démocratie !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Où est le gaullisme, franchement ? Ils réécrivent l'Histoire !

M. Michel Mercier. Alors, le 29 mai, quelles raisons avons-nous de voter oui pour ratifier le traité établissant une Constitution pour l'Europe ?

M. Guy Fischer. Cela commence mal !

M. Roland Muzeau. Le MEDEF le veut !

M. Michel Mercier. Ces raisons ont été largement expliquées par les orateurs précédents ; je voudrais simplement les reprendre et les organiser autour de quelques idées simples.

Les deux premières parties de la Constitution, composées des soixante articles institutionnels et de la Charte des droits fondamentaux de l'Union, répondent parfaitement, me semble-t-il, à l'idée que nous nous faisons, nous Français, d'une Constitution. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en son article 16, dispose que « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a point de Constitution ».

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est un juriste qui nous dit cela !

M. Michel Mercier. Or le traité constitutionnel organise clairement les pouvoirs, au service d'un modèle social défini. Des institutions plus claires, plus compréhensibles, nécessaires à la démocratie : quand on sait qui fait quoi, on sait qui est responsable !

Désormais, le Conseil européen, le Conseil des ministres - en fait, la seconde chambre de l'Europe -, le Parlement européen, la Commission européenne voient leurs rôles respectifs clairement précisés, définis. Le fonctionnement de ces pouvoirs est formellement décrit par la Constitution. Les parlementaires européens que nous élirons désormais auront à Bruxelles un vrai pouvoir ; ils ne seront pas simplement envoyés en mission de par le monde pour voir comment les choses se passent, ils seront aussi à Bruxelles pour travailler, pour voter les lois.

Clarifier les institutions ne vaut que si l'on connaît l'objet de l'organisation ainsi mise en place. Or, jamais des textes européens ayant une valeur normative n'ont été aussi clairs. L'article 3 de la première partie de la Constitution définit les objectifs de l'Union. C'est la première fois qu'un texte définit aussi nettement le modèle social européen. Vivre dans une économie sociale de marché hautement compétitive pour lutter contre les délocalisations, qui tend au plein emploi et au progrès social, tel est le but de l'Union européenne. C'est ce pourquoi nous nous battons le 29 mai !

La Charte des droits fondamentaux proclamée à Nice, dont le contenu est extrêmement fort et important, acquiert une valeur normative dans la deuxième partie du traité constitutionnel. Sans entrer dans le détail, on y trouve les droits politiques proclamés par la Déclaration de 1789 et par la République lorsqu'elle s'est installée en France ; les droits sociaux du préambule de la Constitution de 1946, mais aussi des droits sociétaux que nous n'avons pas encore inscrits dans nos textes, relatifs à l'égalité entre les femmes et les hommes, aux droits des enfants, au droit de vivre sa vie comme on l'entend. Ces droits de société sont particulièrement actuels et répondent aux besoins de la civilisation européenne d'aujourd'hui.

Enfin, avec des institutions claires, un modèle de civilisation à défendre nettement défini, il faut que l'Europe soit forte. Pour la première fois depuis 1954, percent les éléments d'une Europe-puissance, avec l'expression d'une politique extérieure et de sécurité commune, un ministre des affaires étrangères de l'Union européenne, les prémices d'une politique de défense commune, mais aussi l'affirmation que, lorsqu'un Etat est attaqué, les autres lui portent assistance - ce qui n'est pas si mal - et, naturellement, la solidarité entre tous les Etats européens.

Un modèle de civilisation servi par des institutions et par une Europe-puissance, voilà le premier apport de la Constitution qui nous est proposée.

Cette Constitution - par définition, ai-je envie de dire - apporte un « plus » à la démocratie parce que l'on sait qui fait quoi et comment cela fonctionne. Depuis trop longtemps, nos concitoyens ont pris l'habitude d'incriminer Bruxelles lorsque quelque chose ne va pas ou qu'une règle est incompréhensible. Eh bien, si nous votons cette Constitution, une telle attitude ne sera plus possible parce que la démocratie se trouvera renforcée au niveau européen.

J'ai évoqué le rôle du Parlement européen, qui deviendra un parlement « normal », votant toutes les lois. De plus, la règle de la majorité qualifiée, telle qu'elle est établie au sein du Conseil des ministres, est fondamentale. La démocratie, nous le savons bien, c'est d'abord la loi de la majorité, non pas seulement des institutions étatiques, mais aussi des citoyens. Instaurer une majorité fondée, certes, sur le plus grand nombre possible d'Etats, mais représentant au moins 65 % des citoyens européens, c'est affirmer l'émergence d'un peuple européen qui deviendra l'acteur essentiel du fonctionnement des institutions communes.

Voilà donc une démocratie renforcée à l'échelon européen, mais aussi à l'échelon national. Ce dernier aspect ne devrait pas manquer de nous intéresser tous, en particulier les parlementaires.

Demain, la Constitution ayant été approuvée - je le souhaite et nous nous battrons pour cela -, chaque chambre du Parlement français, comme de tous les autres parlements des Etats de l'Union, aura deux rôles. D'une part, veiller à ce que l'Union européenne exerce exclusivement les compétences qui lui ont été confiées, les autres restant du ressort des parlements nationaux, selon le principe de subsidiarité. D'autre part, se prononcer sur tous les projets de loi européens, quelle que soit leur catégorie juridique. C'est à nous de nous organiser. Nous ne pourrons plus dire que 50 % de la législation est faite à Bruxelles ; nous aurons prise sur la totalité de la législation qui intéresse nos concitoyens.

Cette Constitution est donc un texte bien plus important et qui change bien plus de choses qu'on ne l'a dit. Bien entendu, il décrit et met en place des institutions, mais c'est nous, par nos voix, en tant que citoyens européens, qui les feront vivre.

Le besoin d'Europe est évident. Sans l'Europe, seules les lois du laisser-faire s'exerceront. Le besoin d'Europe, nous le ressentons tous, mais au-delà, lorsqu'un référendum est en oeuvre, il faut susciter le désir. Eh bien, pour conclure, je voudrais dire à tous nos concitoyens que ce désir d'Europe répond à ce que nous sommes !

Nous sommes tous attachés à notre manière de vivre. Nous sommes tous attachés à notre système de protection sociale. Nous sommes tous attachés à une certaine civilisation, à une culture. Aujourd'hui, le cadre national ne suffit plus à protéger tout cela, car il éclate sous les coups de boutoir de la mondialisation. Seul un cadre plus vaste, plus fort - notamment démographiquement -, pourrait nous apporter une solution.

Au moment où l'Amérique s'organise - pas seulement l'Amérique du Nord, mais aussi l'Amérique du Sud - au moment où l'Asie s'éveille, au moment où les continents s'organisent, seule l'Europe peut protéger notre façon de vivre, nous permettre d'être Français.

Je souhaite que cela donne à toutes et à tous un désir d'Europe qui se traduira par un oui le 29 mai prochain. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Plusieurs sénateurs du groupe CRC. Enfin un non !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je regrette que M. le Premier ministre ait quitté cet hémicycle. Il y est venu, en tant que chef de la majorité, défendre le traité constitutionnel. Nous attendions de lui qu'il écoute tous les groupes !

M. Jacques Blanc. Le Gouvernement est représenté !

Mme Fabienne Keller. Il y a trois ministres !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, oui, c'est notre peuple qui se prononcera le 29 mai, par référendum.

Je voudrais dire, au nom des sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, que cette consultation populaire, nous l'avons voulue ; nous avons milité pour qu'elle ait lieu. Ce traité, en effet, devrait engager la France, comme les autres pays de l'Union, pour longtemps, sur un véritable choix de société.

La question est la suivante : voulons-nous continuer l'Europe telle qu'elle s'est construite jusqu'ici, en pérennisant les dogmes libéraux, ou, au contraire, voulons-nous changer de cap ?

Le choix est d'importance. Nos concitoyens ont droit à un débat serein, démocratique. Aussi, nous ne pouvons que déplorer le fait que le matériel officiel soit un véritable outil de propagande pour le oui, ...

M. Robert Bret. Et avec l'argent des contribuables ! (Marques d'approbation sur les travées du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... que le ministre de 1'éducation nationale censure un document destiné aux enseignants, que les fonctionnaires soient sommés de ne pas participer aux manifestations publiques qui auront lieu entre le 16 et le 29 mai.

M. François Autain. C'est scandaleux !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le débat démocratique mérite mieux que l'invective de ministres de la République qui qualifient de « mensonges » ou de « hooliganisme verbal » les propos des partisans du non !

Le débat démocratique, c'est la possibilité pour nos concitoyens qui vont se prononcer de se forger une opinion, d'entendre des arguments sur le contenu du traité tel qu'il est, de le lire, de juger par eux-mêmes, à partir de leur propre expérience. La démocratie, c'est pouvoir dire non !

Croyez-vous un instant que les habitants de notre pays n'ont pas la finesse d'établir un rapport entre la dégradation de leur situation et l'enthousiasme de M. Seillière, du Président de la République et du Gouvernement pour le traité constitutionnel ?

M. Robert Bret. Eh oui !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, les mobilisations populaires qui ont lieu depuis des mois des salariés du privé et du public, des chercheurs, des lycéens, des urgentistes aujourd'hui, portent une aspiration à sortir du carcan libéral. Or, le traité veut les y enfermer encore davantage.

Si les premiers articles du traité annoncent des valeurs d'égalité, de démocratie, de liberté, seul, en fait, l'article I-3, qui prône que « L'Union offre à ses citoyens [...] un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée », sera développé et assorti d'obligations largement détaillées dans les trois cent vingt et un articles de la partie III, dont vous ne parlez guère !

Au moins à trois reprises, le titre III du traité affirme que la politique économique - donc, ce texte traite de politique économique ! - est conduite conformément au respect du principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre.

Ce dernier s'accompagne, tout naturellement, du dogme de la libre circulation des capitaux. Ainsi, l'article III-156 interdit toute restriction aux mouvements des capitaux et la règle de l'unanimité gouverne toute décision qui constituerait un recul sur ce droit.

De même, les mesures d'harmonisation de la fiscalité, de transparence, de taxation des mouvements de capitaux, de lutte contre l'évasion fiscale, tout comme les mesures sociales, sont subordonnées à un vote à l'unanimité. Elles sont donc figées. Ainsi, toute évolution dans ces domaines et toute politique alternative sont interdites par le traité constitutionnel, sauf à ce qu'il soit révisé !

Par ailleurs, le traité ne connaît ni les services publics ni les services d'intérêt général ; il ne traite que des services d'intérêt économique général. Ce n'est pas un hasard sémantique : ces services sont concurrentiels.

Une constitution, disent les partisans du oui, n'empêche pas de mener la politique économique et sociale de son choix. Mes chers collègues, cette Constitution, unique en son genre, fixe justement dans le détail une politique ultralibérale pour l'Union et les pays membres.

Comment l'Europe favoriserait-elle des politiques contre le chômage ? Comment les pays européens mèneraient-ils des politiques audacieuses et ambitieuses d'investissements utiles, de soutien au pouvoir d'achat, de santé publique ou d'éducation ? Ces politiques se heurteraient au traité constitutionnel.

Le budget européen doit être strictement équilibré, ce qui complète l'interdiction signifiée à la Banque centrale européenne de faire crédit aux institutions européennes. L'indépendance de cette dernière et sa toute puissance interdisent aux instances politiques de peser sur elle pour qu'elle assouplisse sa politique monétaire afin de lutter contre le chômage ou pour toute autre raison.

Mettre fin au dumping social se heurte directement à l'unanimité qui est requise pour modifier les règles fiscales.

C'est l'expérience que font nos concitoyens et les peuples européens depuis des années et que l'agenda de Lisbonne prévoit de poursuivre, sans se soucier du traité dont l'adoption est donc considérée comme acquise, ce qui n'est pas démocratique ! En revanche, cela signifie bien que le traité ne sera d'aucune gêne pour les projets de libéralisation en cours.

Aussi, comment croire ceux qui nous expliquent que la directive Bolkestein n'a rien à voir avec le traité ?

L'article III-144, inclus dans la sous-section 3 « Liberté des prestations de services », est éclairant : « Dans le cadre de la présente sous-section, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de la prestation. »

Les articles III-145, III-147 et III-148 précisent la libéralisation de la prestation de service, sans jamais donner une quelconque garantie en matière de salaires ou de conditions de travail.

Par ailleurs, reste à venir le projet de directive sur l'aménagement du temps de travail, au titre particulièrement évocateur : la durée du temps de travail ne doit pas excéder 48 heures en Europe, cette durée pouvant être calculée sur sept jours ou sur quatre mois. C'est ce que l'on appelle pudiquement l'annualisation et, plus franchement, la flexibilité. La directive propose de porter la période de calcul à douze mois pour amadouer les dirigeants anglais qui ne respectent même pas les 48 heures.

Le rapporteur du texte au Sénat rappelle que la Commission a fixé la durée maximale de travail sur une semaine à 65 heures. C'est ce que l'on appelle un garde-fou souple ! Même si cette disposition repose sur la base du volontariat, le rapporteur souligne qu'il s'agit d' « une régression sociale dommageable ».

M. Bernard Frimat. C'est vrai !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il précise que, « dans le contexte actuel, notamment dans les débats sur la ratification du traité constitutionnel, l'Europe semble donc apparaître comme impuissante à améliorer la protection des salariés : par exemple, il est naturellement préjudiciable à la construction européenne d'afficher un volume maximum hebdomadaire de travail de 65 heures ! »

Dois-je rappeler au rapporteur que rien, dans le traité, n'empêchera l'application de cette directive ?

M. Jacques Blanc. Elle n'a pas été prise !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien au contraire, la référence constante à la libre concurrence justifie cette politique d'abandon du social aux règles drastiques du marché.

M. Jacques Blanc. Vous dites n'importe quoi !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec tout autant de précision, je pourrais vous montrer le lien qui existe entre le traité et les directives ou les règlements libéralisant les activités portuaires ainsi que le transport ferroviaire : privatisation larvée du rail et libéralisation des transports régionaux par la mise en concurrence des transports express régionaux, lesTER.

L'éclatement de La Poste, la privatisation d'EDF-GDF, dont on annonce qu'elle sera reportée au lendemain du référendum - excusez du peu ! -, les retraites, l'assurance maladie et même l'éducation : tous les secteurs sont entraînés dans ce vaste mouvement de marchandisation.

Alors même que la France n'a pas encore voté la transposition de la directive sur la libéralisation de La Poste, la Commission, considérant que les pays à monopole postal sont bien trop longs à mettre en oeuvre la libéralisation totale du service postal, tient « au chaud » - paraît-il - un règlement destiné à accélérer le processus.

Les partisans du oui soutiennent que « c'est la première fois que l'on parle de social dans un traité européen », comme M. Sarkozy nous l'a dit lors de sa trois centième minute pour convaincre, ...

M. Robert Bret. Il est le meilleur ! (Sourires.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... lui dont le credo politique est la suppression des charges sociales, la généralisation des contrats à durée déterminée, le financement privé des universités. Curieuse conception du social !

Quoi qu'il en soit, le terme « social » existe depuis belle lurette dans les textes européens ! C'est la Charte sociale européenne, promulguée en 1961 et révisée en 1966. C'est la Charte des droits sociaux fondamentaux, signée en 1989 et incluse sous forme de protocole au traité de Maastricht. C'est le Livre blanc pour la croissance, la compétitivité et l'emploi - tout un programme ! - publié en 1994. C'est enfin la promulgation, par la conférence intergouvernementale de Nice, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en décembre 2000.

Or l'expérience que font les Français n'est pas concluante et ils le disent !

Les partisans du oui nous expliquent que la Charte des droits fondamentaux est maintenant dans la Constitution. Oui, mais elle n'est pas contraignante.

La délégation du Sénat pour l'Union européenne apporte un éclairage bienvenu sur ce point. Commentant l'article III-112, elle indique : « Il s'agit de bien marquer le fait que la reconnaissance de certains droits par la Charte ne les érige pas pour autant automatiquement en droits justiciables, voire en droits imposant une obligation de faire aux institutions européennes.

« Ces droits (par exemple le droit d'accès aux prestations de la sécurité sociale, le droit de travailler - et non pas au travail, je le signale ! - ou le droit à la protection à la santé) correspondent à des objectifs, à des " principes " qu'il convient évidemment de respecter, et même de promouvoir [...], sans imposer pour autant une obligation de résultat. »

Avec la Charte, nous sommes bien loin de l'obligation de résultat. En revanche, l'obligation d'entrer dans le carcan financier de Maastricht, sous peine d'astreinte financière, est elle bien réelle !

Commentant l'article III-111, la délégation précise que la Charte s'impose aux Etats membres, « mais uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union (pour les réglementations et législations strictement nationales, le respect des droit fondamentaux par les Etats membres s'apprécie au regard du droit interne [...]

« Par rapport à l'actuel article 51 de la Charte, cet article de la Constitution n'apporte pas de modification de substance. »

Comment, alors, ne pas souscrire aux inquiétudes des féministes, qui constatent que la Charte s'abstient de toute avancée ? « L'égalité des femmes et des hommes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail » est énoncée, mais l'article ne s'applique pas aux rémunérations.

Le droit à disposer de son corps - contraception et avortement - est absent. Aucune avancée n'est donc prévisible pour les femmes du Portugal, de Pologne, d'Irlande.

Le droit au mariage est inscrit, mais pas le droit au divorce ! L'esclavage et le travail forcé sont interdits, mais la prostitution n'est pas explicitement citée.

Mme Jacqueline Gourault. Vous mélangez tout ! C'est incroyable !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il s'agit donc d'une charte qui n'est pas contraignante et qui ne se fixe pas d'objectifs ambitieux en matière de droits individuels et de droits sociaux : c'est un comble !

Elle est en deçà des objectifs de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 !

Quant à la peine de mort, les abolitionnistes, dont je fais partie, ont raison d'être déçus. Des dérogations, en cas de guerre ou de risque de guerre, restent possibles : quelle avancée !

Madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, la méthode Coué, le rouleau compresseur de la propagande ont toujours leurs limites !

Les partisans du oui ont bien du mal à faire croire que voter oui, c'est voter pour l'Europe et que voter non, c'est être antieuropéen ! Nos concitoyens, la jeunesse aspirent à une Europe sociale, démocratique, à une Europe de paix, à une Europe qui joue un rôle positif dans le monde. C'est ce que la France a porté en s'opposant à l'intervention militaire en Irak. Quel souffle avons-nous alors donné à tous les pacifistes !

Dire non à ce traité, c'est dire non à la politique libérale du gouvernement actuel, c'est dire non aux politiques libérales européennes actuelles et à venir. La voix de la France sera entendue !

Le journal L'Humanité - qui a publié le traité dans son intégralité dès le mois d'octobre dernier -, ...

M. Guy Fischer. Eh oui !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... met en exergue aujourd'hui une citation de Victor Hugo que je vous invite à méditer : « L'Europe ne peut être tranquille tant que la France n'est pas contente » !

Dire que l'Europe va s'arrêter si le non l'emporte en France n'est pas crédible. L'aspiration à l'Europe est forte, durable ; elle n'est pas subordonnée à un traité.

Sur le plan institutionnel, les choses sont claires. En cas de non-ratification, le traité de Nice continue de s'appliquer et « le Conseil se saisit de la question ». En un mot, on renégocie.

Quant à son sens, les choses seront tout aussi claires : le non en France, pays fondateur de l'Europe, sera un non aux politiques libérales. Cela signifie un non au dumping social, un non à l'harmonisation par le bas, un non à la casse des services publics, un non à la hausse des dépenses d'armement inscrites dans le traité, un non à la mise sous tutelle de l'Europe par l'OTAN !

Nous sommes des « politiques ». Alors, comment peut-on dire que rien d'autre n'est possible ? Quel pessimisme et quel mépris des peuples !

Le refus du traité par la France modifiera le paysage politique. Non, la France ne sera pas isolée ! Le non de la France ouvrira de nouvelles perspectives pour tous ceux qui veulent une Europe de progrès social, une Europe de l'égalité, de la solidarité, des services publics, de la coopération. Ce non à l'Europe libérale rassemble ! Il est porteur d'espoir.

Madame, messieurs les ministres, les sénatrices et les sénateurs de notre groupe feront tout ce qui est en leur pouvoir pour que notre peuple, s'exprime le 29 mai. Toutes les voix sont égales dans l'urne ; celle du salarié de l'entreprise délocalisée aura le même poids que celle de M. Seillière. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Pelletier.

M. Jacques Pelletier. Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous allons bientôt nous prononcer sur le traité constitutionnel sur l'Europe, adopté à Rome le 29 octobre 2004 par les vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement.

Certains de nos compatriotes ont déjà fait leur choix ; d'autres, nombreux, hésitent encore. Ce sont ces derniers que nous devons convaincre, soit de voter non, soit de voter oui. Pour ma part, je me situe bien évidemment dans le camp du oui.

A tous, j'aimerais d'abord dire ceci : ne nous trompons pas de cible, ne nous trompons pas de débat ! Ceux qui agitent des chiffons rouges pour attiser les peurs, qui amalgament politique nationale et débat constitutionnel ou prétendent que voter oui permettra l'entrée de la Turquie dans l'Union sont hors sujet et sont quelquefois animés d'arrière-pensées politiciennes.

Voilà quelques jours, j'ai rencontré des personnes que je connais bien : elles étaient persuadées que si nous votions oui, la Turquie, dès le lendemain du référendum, le 30 mai, serait dans l'Europe. C'est incroyable ! C'est une désinformation extraordinaire !

M. Robert Hue. C'est ce que dit Sarkozy !

M. Jacques Pelletier. C'est pour cette raison que nous devons les uns et les autres prendre notre bâton de pèlerin pour expliquer vraiment la réalité des choses.

La Constitution européenne est un texte collectif, issu des travaux d'une convention composée de parlementaires européens et nationaux ainsi que de représentants des gouvernements. Tant les entreprises que les syndicats ont été consultés. La Constitution est le résultat d'un consensus que nous devons au président Giscard d'Estaing et aux conventionnels de qualité qui l'entouraient.

Rappelons que la Constitution européenne ne favorise pas en soi l'éventuelle adhésion de quelque Etat que ce soit. Au contraire, elle nous permet d'être plus exigeants vis-à-vis des pays candidats, parce .qu'elle conditionne l'appartenance à l'Union au respect de notre héritage culturel et humaniste et à celui de valeurs telles que la démocratie, les droits de l'homme et des minorités, l'Etat de droit ou l'égalité entre les hommes et les femmes.

Agir en politique ne peut conduire à des réflexes mécaniques. La seule « bonne » façon de voter, c'est de répondre à la question posée. Elle n'est rien d'autre que celle-ci : « Voulez-vous de cette Constitution pour l'Europe ? »

M. Jacques Pelletier. Quand je voterai oui le 29 mai, je ne dirai oui ni à Jacques Chirac, ni à Jean-Pierre Raffarin, ni à François Hollande. Je dirai oui à la Constitution européenne !

Mme Hélène Luc. Ne vous justifiez pas !

M. Jacques Pelletier. A ceux qui refusent ou craignent l'Union européenne, je rappellerai qu'elle est déjà faite et que la France a tout à y gagner ; elle y a, d'ailleurs, déjà beaucoup gagné.

Depuis la Communauté européenne du charbon et de l'acier, la CECA, et la Communauté européenne de l'énergie atomique, EURATOM, au début des années cinquante, beaucoup de chemin a été parcouru. Le traité de Rome a conçu la Communauté économique ; l'Acte unique a achevé le grand marché européen ; Maastricht a offert une nouvelle ambition avec la monnaie unique ; enfin, Amsterdam, puis Nice, ont ouvert la voie à la Constitution.

De petit pas en petit pas, à force de volontarisme et de compromis, l'Union européenne s'est dotée d'un ensemble de règles et d'institutions communes. Aujourd'hui, elle s'étend à presque tout le continent.

Certains ne voient que les aspects contraignants de l'Union. Qu'ils songent aussi à ce que cette construction nous a apporté : la réconciliation et la paix durable entre des pays si longtemps ennemis - depuis des siècles, nous n'avions pas connu cinquante ans de paix avec l'ensemble de nos voisins, que ce soient l'Allemagne, l'Angleterre, l'Espagne ou l'Autriche -, la possibilité de circuler, de résider, d'étudier, de commercer sur un vaste territoire et, enfin, le développement grâce à la solidarité.

On n'insiste pas assez souvent sur ce dernier aspect. Les fonds structurels européens ont permis à l'Espagne, au Portugal et à la Grèce, ainsi, du reste, qu'à certaines régions françaises, de combler leur retard. Qui peut s'en plaindre aujourd'hui ? Pourtant, en 1986, que n'a-t-on entendu de la part de certains de nos concitoyens, spécialement de ceux résidant dans le sud-ouest ? On allait les étrangler, on allait les ruiner ! Finalement, le rattrapage de leur retard par l'Espagne, le Portugal et la Grèce a été très profitable à l'ensemble de leurs voisins.

Pourquoi accuser les nouveaux adhérents de vouloir en profiter ? Ils ont les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres. Nous verrons que ces pays rattraperont vite leur retard, car ils n'ont pas perdu la culture du développement.

L'Europe est bien là, n'en déplaise à ses détracteurs, et un non au référendum ne nous fera pas revenir en arrière. Il nous fera simplement stagner pendant de nombreuses années. La France, dans cet ensemble, perdrait alors beaucoup de son autorité.

En acceptant de transférer ou de partager certaines compétences, non seulement la France n'abandonne ni son identité ni son indépendance, mais elle y gagne.

Qui peut prétendre aujourd'hui que notre pays a suffisamment de poids face aux Etats-Unis, à la Chine, à l'Inde, demain face au Brésil, pour défendre ses positions et ses intérêts ? Qui peut affirmer que notre pays peut lutter seul contre le terrorisme et l'immigration clandestine ou peut protéger seul son environnement ?

Faisons donc preuve de modestie, de réalisme et d'honnêteté en admettant que seule une Europe structurée et puissante sera capable de protéger notre modèle de société et nos intérêts. En son sein, la France peut continuer d'exercer son influence dans le monde.

Mes chers collègues, sur cent citoyens du monde, un seul est français. Il faut quand même bien trouver le moyen de s'arranger avec quelques-uns de ces quatre-vingt-dix-neuf autres ! Il est préférable de le faire avec des gens qui partagent notre vision, notre idéal, nos valeurs. Or qui les partage, sinon les pays d'Europe qui nous sont les plus proches ?

A ceux qui s'interrogent sur le contenu de la Constitution, j'indiquerai simplement quelques-unes des raisons qui motivent le groupe du Rassemblement démocratique et social européen à voter oui.

Nous voterons oui parce que la Constitution européenne consolide les acquis européens et parce que nous sommes convaincus que nous sommes plus forts ensemble pour préserver nos emplois, notre agriculture, notre culture et notre technologie dans la compétition internationale. Les réussites éclatantes, telles que celles d'Airbus ou d'Ariane, en témoignent.

Nous voterons oui parce que, pour la première fois, un traité européen définit un modèle politique et social pour l'Union et parce que celui-ci s'inspire fortement de notre modèle républicain.

Respect de la dignité humaine, droits des minorités, égalité entre les hommes et les femmes, développement durable, accès à l'aide sociale et aux services publics, plein emploi, lutte contre l'exclusion, cohésion territoriale, solidarité entre les générations, droits syndicaux : ces valeurs, ces objectifs ou ces droits fondamentaux, inscrits pour la première fois dans la Constitution européenne, ne reflètent pas franchement une conception ultralibérale !

Un rejet du traité compromettrait les espoirs de placer l'homme au coeur du projet européen et de faire avancer l'Europe sociale. Le grand vainqueur serait finalement le seul marché unique, dont nombre de partisans du non déplorent la vision libre-échangiste et anglo-saxonne.

Nous voterons oui parce que la Constitution européenne permet un fonctionnement de l'Union plus transparent et plus démocratique.

Au fil des traités, nous avons conçu, comme le disait Jacques Delors, un objet politique non identifié. L'Europe n'est pas un Etat, mais ce « non-Etat » dispose d'un budget propre et légifère, selon des procédures qui sont incompréhensibles pour le grand public, par des autorités qui échappent au bulletin de vote des électeurs européens et, en général, dans l'indifférence des médias.

Le texte constitutionnel redonne justement la main au politique en soumettant la Commission à un contrôle renforcé du Parlement européen et des parlements nationaux. Cela est important pour nous car nous serons bien davantage consultés à l'avenir que dans le passé. Du reste, les directives deviendront des projets de loi soumis à débat et à vote.

Enfin, nous voterons oui parce que la Constitution européenne est un premier pas vers une Europe de la défense, nécessaire pour bâtir une « Europe-puissance » et assurer la sécurité des citoyens.

Au-delà de la création d'un poste de ministre des affaires étrangères, qui donne une voix à l'Europe, la principale avancée est certainement l'introduction d'une clause de défense mutuelle.

Pour conclure, je me permettrai d'interroger sur le sens de leur démarche ceux qui, malgré tout, diraient non à la Constitution européenne.

Veulent-ils rompre le pacte qui nous lie depuis cinquante ans à nos partenaires ? Ils prendraient alors de lourdes responsabilités, celle d'enlever toute crédibilité à la France, qui a inspiré l'édifice européen et a beaucoup oeuvré à sa construction, celle d'isoler notre pays et de le priver du moyen de défendre ses intérêts dans le monde. Je vous en supplie : pas de repli frileux sur l'hexagone !

Veulent-ils que la Constitution européenne soit renégociée ? Ils ne sont pas sérieux ! Il a fallu deux ans pour élaborer et faire accepter ce texte par tous les Etats membres.

M. Jacques Pelletier. La France ne pourra pas demain exiger des autres ce qu'elle n'a pu obtenir hier ! On en resterait alors au traité de Nice, dont tout le monde sait qu'il ne permet pas de fonctionner correctement à vingt-cinq, d'autant que la règle de l'unanimité s'applique à de nombreux domaines. On bloquerait ainsi toute possibilité d'avancer pendant plusieurs années.

Quant à ceux qui abordent le débat caricaturalement ou le prennent en otage pour servir des stratégies individuelles, pour d'autres échéances, ils ne sont respectueux ni de nos partenaires ni des Français.

Il faut certes entendre les inquiétudes exprimées par nos concitoyens sur leur avenir et y répondre. Mais rétablissons la vérité une bonne fois pour toutes : tout partisan du oui n'est pas un ultralibéral patenté ou un fossoyeur de la France ! Notre oui, au groupe RDSE, est un oui de responsabilité tout autant qu'un oui de conviction.

La Constitution pour l'Europe est sans doute perfectible. Elle est déjà une promesse de liberté et de progrès pour chaque citoyen européen, bien plus réelle que le vide qui serait laissé par un éventuel non le 29 mai prochain.

L'Europe, mes chers collègues, est définitivement une réalité. Elle est désormais unie au terme d'expériences amères pour de nombreux pays. Elle entend avancer sur la voie de la civilisation et de la prospérité, pour le bien de tous ses habitants.

Elle veut demeurer un continent ouvert à la culture, au savoir et au progrès social. Elle souhaite oeuvrer pour la paix, la justice et la solidarité dans le monde. A nous de réaliser ce « rêve européen » que le préambule et le contenu de la Constitution nous permettent d'entrevoir et que nos enfants et nos petits-enfants attendent. L'Europe, alors, aura la politique de sa pensée. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP. M. Daniel Reiner applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour que tous les Européens se prononcent sur le texte du traité, les Verts avaient souhaité une consultation transnationale, à l'initiative des institutions communautaires.

Il s'agissait de donner d'emblée une visibilité à l'ampleur de l'enjeu, à la dimension territoriale du débat, et d'éviter la juxtaposition de messages nationaux, très dépendants de chaque opinion publique envers son gouvernement du moment.

Cela n'a pas été possible, et nous voici face au mécontentement majoritaire des Français devant le sort qui leur est fait.

Mécontentement aggravé, car le message des régionales n'a pas été entendu par le Gouvernement.

Mécontentement enraciné et mal dirigé, car, depuis des décennies, certains font passer pour les choix « des technocrates de Bruxelles » leurs mauvais coups élaborés par les multinationales, ou relayés par les politiques ultra-libéraux.

Mécontentement durable, car vous avez oublié cyniquement le large front républicain de 2001, embrayant sur un train de réformes funestes.

Pour autant, c'est contre ce gouvernement, contre ses choix destructeurs pour la solidarité et la nature que nous luttons ; ce n'est sûrement pas contre le cadre européen où s'expriment des exigences plus protectrices.

Les Verts sont pour un oui européen solidaire. Certes, ce traité ne définit pas l'Europe de nos rêves, mais il ouvre un espace élargi, pacifié au plan diplomatique pour la construire, un espace à ensemencer et à cultiver pour mener vers un mieux-disant social et environnemental dans la démocratie et la transparence.

Nous venons de loin : la construction européenne n'a-t-elle pas commencé par l'union monétaire et économique, par une Commission cooptée par les chefs d'Etat, peu soucieuse de l'avis du Parlement, par des travaux du Conseil à huis clos ? N'a-t-elle pas été rythmée par des traités écrits et validés sans la participation des représentants des peuples ?

Mais ce n'est pas au moment où tout cela peut changer qu'il faut freiner ! A l'élaboration sont maintenant associés des parlementaires. Il y aura codécision du Conseil et du Parlement. Celui-ci gagne vingt-sept nouveaux domaines de compétence, dont l'agriculture.

Les droits s'affirment, et la Charte, tout en favorisant les mieux-disant nationaux, rend contraignantes les exigences minimales.

Il y va de l'égalité hommes-femmes, de la limitation du dumping social, du droit des minorités, de la démocratie participative, du développement durable, du droit du travail, du droit des personnes expulsées.

En matière de culture, nos modes de soutien à la création sont préservés : « pas d'harmonisation législative et culturelle », dit le traité. Et s'il y avait un risque « d'atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'Union », un vote à l'unanimité serait requis.

Ce que nous défendons ici avec force - l'aide à la création, à la diffusion et à l'emploi artistique - est davantage menacé par des choix nationaux que par des obligations qui s'imposeraient à la France.

Reste le marché et son cortège de gains de productivité à coup de renoncements sociaux et environnementaux : la route est encore longue pour que la solidarité et le respect des milieux naturels garantissent à chacun la santé, l'épanouissement et le droit de gagner dignement sa vie. Mais du chemin a été parcouru et ceux qui brandissent les seules « règles de la concurrence » omettent de dire qu'elles régissaient déjà hier les échanges, et que le travail des militants et des élus a permis d'ajouter « dans la mesure où l'application de ces dispositions ne fait pas échec à l'accomplissement de la mission particulière qui leur a été impartie ».

On peut vouloir rester au texte précédent, mais je ne suis pas certaine que les missions et les salariés d'EDF, de La Poste ou de France Télécom en sortent gagnants !

M. Jean-Pierre Bel. Très bien !

Mme Marie-Christine Blandin. A ceux qui ont peur de l'Europe, rappelons qu'en matière d'environnement les directives européennes sont plus fiables que les discours du Président Chirac. D'ailleurs, nous sommes menacés de poursuites pour non-respect des arrêts de la Cour européenne de justice sur six affaires : préservation de la nature, accès à l'information, protection de l'eau, gestion des déchets et micro-organismes génétiquement modifiés !

Pour les consommateurs, il y a plus de protection possible dans une Europe où le Parlement veille que dans celle d'hier où le Président français enrayait d'un coup de téléphone le programme REACH, cédant aux intérêts de l'industrie chimique.

M. François Marc. Très bien !

Mme Marie-Christine Blandin. Où est la menace libérale pour les travailleurs : dans une Europe qui exige, pour le démontage des matériaux amiantés, la surveillance de l'exposition, les pauses intermédiaires en démontage, l'apprentissage de la décontamination, la surveillance et la conservation des dossiers médicaux pendant quarante ans, ou en France, pays qui n'exige aucune qualification des entreprises d'enlèvement des matériaux à fibres captives ?

Mais est-il bien utile d'argumenter rationnellement ? Le non n'est-il pas devenu le porte-voix de la colère contre le Gouvernement et les méfaits de la spéculation mondiale, et le traité le bouc émissaire d'une population malmenée ?

Je laisse de côté certains porteurs du non, enkystés dans un souverainisme d'un autre âge ou le nationalisme revanchard d'une époque qui désignait déjà Jean Jaurès comme ennemi de la France, avant de sauter dans les bras de tous les reniements belliqueux.

Je laisse aussi le  non du repli et du conflit, alors que la majorité des Européens appellent au dépassement des égoïsmes nationaux, seule voie vers une paix durable.

J'alerte sur un non qui se trompe de cible, un non qui déconstruirait des outils qui peuvent nous protéger, faire pièce au libéralisme mondial débridé, pour peu que l'on y travaille, un non qui plairait à George Bush et dédouanerait Tony Blair de sa responsabilité.

Mme Jacqueline Gourault. Tout à fait !

Mme Marie-Christine Blandin. Ne cédons à aucune simplification : le oui n'est heureusement pas la sanctification d'un projet européen de société libérale. Et ne nous faisons aucune illusion : le non ne portera pas un coup d'arrêt fatal à la casse des acquis sociaux.

En revanche, un travail militant sur les textes à venir nécessite que soit voté le traité qui rend pouvoir au Parlement. Des députés Verts y travaillent. Ce sont eux qui ont demandé le retrait de la directive « Services » au profit d'une directive « Services d'intérêt général », une évaluation d'impact global sur les conséquences économiques, sociales et environnementales, le vote par appel nominal sur le paragraphe 6 - écrit par la droite - qui lie l'ouverture du marché des services à la croissance et l'emploi. Cet appel nominal eut pour effet la mise en minorité des promoteurs et le retrait du paragraphe 6 !

En hommage au travail pugnace et assidu de nos députés européens Verts, nous souhaitons leur garantir de plus grandes marges de manoeuvre : le traité le permettra.

Je terminerai en citant un grand auteur français, qui s'étonnait, voilà un siècle, de l'embrasement de l'opinion pour une mauvaise cause : « Dans les affreux jours de trouble que nous traversons, au moment où la conscience publique paraît s'obscurcir, c'est à toi que je m'adresse, France, à la nation, à la patrie. Chaque matin, en lisant dans les journaux ce que tu sembles penser (...), ma stupeur grandit, ma raison se révolte davantage. Eh quoi ? France, c'est toi qui en es là, à te faire une conviction des plus évidents mensonges (...), à t'affoler sous l'imbécile prétexte que l'on insulte ton avenir (...), lorsque le désir des plus sages, des plus loyaux de tes enfants, est au contraire que tu restes, aux yeux de l'Europe attentive, (...) la nation d'humanité, de vérité et de justice ? Et c'est vrai, la grande masse en est là, surtout la masse des petits et des humbles, le peuple des villes, presque toute la province et toutes les campagnes, cette majorité considérable de ceux qui acceptent l'opinion des journaux ou des voisins, qui n'ont le moyen ni de se documenter, ni de réfléchir. Que s'est-il donc passé, comment ton peuple, France, ton peuple de bon coeur et de bon sens, a-t-il pu en venir à cette férocité de la peur (...) ? »

Ce texte est de Zola. Il a été publié la veille de J'Accuse et est moins connu. En voici l'original (L'oratrice présente le feuillet.) ; « l'Europe attentive » y figurait déjà. Je n'ai modifié qu'un mot, le terme « armée », qui ne convenait qu'à l'affaire de 1898.

Bien sûr, ni les acteurs, ni la gravité, ni les conséquences ne sont ceux de notre débat. Et pourtant, nous, tenants d'un oui de lutte et de gauche, nous avons aujourd'hui aussi un devoir d'alerte pour préserver la Constitution européenne et sa construction. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. Gérard Delfau. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean François-Poncet.

M. Jean François-Poncet. Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, - en tout cas, ceux d'entre vous qui sont présents sur ces travées et dont je salue la détermination et le courage parlementaire (sourires) -, année après année, les enquêtes d'opinion révèlent qu'une large majorité de Français - environ 65 % - sont favorables à la construction européenne. Nos concitoyens la jugent positive, pour l'Europe et pour la France.

Or le non à la Constitution européenne l'emporte, sondage après sondage. D'où vient ce paradoxe ? D'où vient cette contradiction ? Pourquoi une majorité de Français dit-elle oui à l'Europe et non à la Constitution ?

Nous savons tous, évidemment, dans nos différents départements, que le non à la Constitution, pour beaucoup, est le non au chômage, aux délocalisations, à la réforme de l'école, à la directive Bolkestein, à l'entrée de la Turquie ; c'est le destin malheureux mais congénital de tous les référendums.

Mais la mauvaise humeur n'explique pas tout, loin de là. La vérité, c'est que, derrière l'adhésion globale à l'unité de l'Europe, se profilent un malaise latent, une source d'hostilité à l'encontre de l'Europe telle qu'elle s'est construite à Bruxelles.

On lui reproche - nous avons tous ces reproches présents à l'esprit - de s'occuper de tout, d'avoir laissé la bride sur le cou à la technocratie, d'avoir accordé la portion congrue à la démocratie. On lui reproche de s'élargir sans fin, d'être divisée et impuissante, sans voix lorsque des événements aussi graves que ceux qui sont survenus en Irak exigeraient l'union de tous.

Le fait est que la Convention a pris en compte tous les reproches qui sont adressés à la Constitution. Ceux qui m'ont précédé à cette tribune - je ne reprendrai pas leurs propos - nous ont indiqué que la Constitution répondait complètement à tous ces reproches, que, si les dispositions de cette Constitution qui nous ont été décrites étaient mises en oeuvre, ces avancées remettraient l'Union européenne sur des rails qu'elle n'aurait probablement jamais dû quitter.

Mais qui le sait ? Les contre-vérités répandues par les partisans du non rencontrent plus d'écho que les explications honnêtes développées par ceux du oui. Notre information est encore insuffisamment simple, convaincante, réellement audible. Heureusement, il n'est pas trop tard pour rattraper le temps perdu.

Mes chers collègues, la montée du non a aussi une autre cause, plus pernicieuse, sur laquelle il est essentiel de s'arrêter. J'y consacrerai l'essentiel de mon propos.

Les adversaires de la Constitution ne font pas campagne contre la construction européenne. Au contraire, à les entendre, ils en seraient les meilleurs serviteurs. Ils ne la combattent pas, ils volent à son secours, au nom d'une autre Europe, la vraie, la leur. Mais cette Europe, ils se gardent bien de la décrire, en dehors de quelques plates généralités, comme celles qui viennent d'être énoncées à cette tribune. (Sourires sur les travées de l'UMP.)

A cela, il y a deux raisons. Premièrement, ils ne sont d'accord entre eux sur rien ! Deuxièmement, s'ils avaient un projet et se risquaient à l'exposer, on s'apercevrait instantanément que personne n'en veut, ni en France ni en Europe !

Aussi se contentent-ils, pour l'essentiel, de banaliser les conséquences du non. Rassurez-vous, nous disent-ils, le rejet de la Constitution ne provoquera pas de grande commotion : le traité de Nice reprendra du service et la crise sera salutaire, comme les crises européennes l'ont toujours été. Vient enfin l'argument suprême : grâce à la crise, « la France reprendra la main », selon le titre d'un récent article.

Le moment est venu de dire clairement aux Français où en seraient l'Europe et la France si le non l'emportait le 29 mai prochain. M. le ministre est sans doute en mesure de le faire ; je vais quant à moi m'y essayer, à mes risques et périls...

S'il est vrai que, dans le passé, l'Europe a surmonté les crises qui ont jalonné sa route et si elle a pu, chaque fois, rebondir et même progresser, c'est pour la seule et unique raison que la France et l'Allemagne les ont affrontées ensemble, au coude à coude.

Les différends qui ont si souvent secoué leur couple n'ont jamais durablement entamé leur entente fondamentale sur l'Europe. La France et l'Allemagne ont toujours élaboré conjointement et fait accepter par leurs partenaires les solutions qui ont permis à l'Europe de surmonter les crises et d'en sortir par le haut. Or tel ne serait plus le cas si le non l'emportait en France, alors que le Bundestag s'apprête à approuver le projet de Constitution à la quasi-unanimité de ses membres.

Nous touchons ici à l'essentiel : pour la première fois en cinquante-cinq ans, les chemins de la France et de l'Allemagne se sépareraient en ce qui concerne l'Europe, c'est-à-dire non pas sur un sujet secondaire, mais sur une question fondamentale. En effet, avec la Constitution, il s'agit de poser un toit sur l'édifice que nous avons patiemment construit ensemble pendant un demi-siècle. Imaginez, mes chers collègues, la stupeur des Allemands et ce qui subsisterait, outre-Rhin, de notre crédit !

Je ne cherche pas à dramatiser. Le traité de l'Elysée continuerait de s'appliquer. Le Chancelier allemand et le Président de la République française se concerteraient. M. le ministre des affaires étrangères parlerait avec son homologue et ils feraient de leur mieux pour limiter les dégâts et sauver ce qui pourrait l'être.

Mais on découvrirait très vite, à mon avis, que l'Europe a changé de centre de gravité et que, grâce à la France, l'heure attendue par la Grande-Bretagne depuis un demi-siècle a finalement sonné. Londres ramasserait les morceaux et prendrait les rênes.

Mes chers collègues, permettez moi d'évoquer un souvenir personnel.

En 1957 - qui, parmi vous, était né à cette époque ? (sourires) -, en tant que jeune fonctionnaire, j'accompagnais chez le Premier ministre britannique de l'époque, Harold Mac Millan, le ministre français qui avait, au nom de la France, négocié le traité de Rome.

La Grande-Bretagne, qui ne croyait pas au succès de cette négociation, n'y avait pas participé. Après la signature du traité, nous avions donc été envoyés à Londres afin d'inviter les Britanniques à nous rejoindre au sein de l'Union.

Harold Mac Millan, avec une exquise courtoisie, nous expliqua pourquoi le traité de Rome n'était pas fait pour la Grande-Bretagne. Il évoqua le Commonwealth, les liens particuliers de son pays avec les Etats-Unis et son ouverture au grand large. Puis, après un long silence, il ajouta en souriant : « Mais si vous réussissez, nous vous rejoindrons ».

Mes chers collègues, si le non l'emportait, c'est la France qui rejoindrait la Grande-Bretagne. Celle-ci aurait-elle d'ailleurs encore besoin de voter ? Je n'en suis pas certain.

Ne voyez pas dans mes propos Dieu sait quelle forme d'anglophobie ! La Grande-Bretagne est un grand pays. Elle est notre alliée, une alliée courageuse, dont l'économie, grâce aux réformes imposées par Mme Thatcher, et auxquelles Tony Blair a eu l'intelligence de ne pas toucher, est l'une des plus performantes d'Europe.

Le niveau de vie des Britanniques, qui était largement inférieur à celui des Français, le dépasse aujourd'hui. Enfin, avec un taux de chômage de 4 %, la Grande-Bretagne fait mieux que les Etats-Unis !

Voulons-nous pour autant d'une Europe à l'anglaise ?

Celle-ci aurait deux caractéristiques principales.

Tout d'abord, à l'intérieur, il s'agirait d'une zone de libre échange, où le marché délimiterait l'espace laissé aux politiques sociales et où la concurrence servirait d'arbitre entre les systèmes fiscaux. Quant à la politique agricole, elle serait rapidement vouée à la renationalisation.

Ensuite, à l'extérieur, l'Europe deviendrait une province de l'ensemble atlantique. Ses priorités seraient fixées par l'OTAN, en étroite liaison avec Washington. L'Europe européenne rejoindrait le général de Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises.

Cette Europe à l'anglaise est celle que les partisans du non prétendent combattre par dessus tout. Or, c'est celle qu'ils installeraient eux-mêmes aux commandes si le non l'emportait.

Je viens de parler de l' « Europe à l'anglaise ». J'ai eu tort. En effet, si la Grande-Bretagne était seule, au début, à défendre ce modèle, aujourd'hui, de nombreux pays sont prêts à y souscrire, non seulement les dix nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale, mais aussi les social-démocraties scandinaves, qui s'en accommoderaient aussi bien que les travaillistes britanniques.

L'Allemagne elle-même, qui nous a suivis et qui penche comme nous pour une économie sociale de marché et pour une Europe indépendante au sein de l'Alliance, s'y rallierait si la France, par son vote, reniait l'oeuvre commune. Elle le ferait d'autant plus volontiers que le parti de la démocratie chrétienne, la CDU, qui se rapproche davantage du pouvoir à chaque nouvelle élection régionale, verrait probablement sans trop d'états d'âme l'Allemagne rejoindre sa place traditionnelle de bon élève de la classe atlantique.

Mes chers collègues, j'ai mis l'accent sur le nouvel équilibre des forces que le non de la France installerait en Europe. Il ne faudrait pas pour autant sous-estimer la multitude des retombées négatives qu'entraînerait le retour au traité de Nice. Mais je n'y reviens pas, de peur de vous lasser, car les orateurs qui m'ont précédé l'ont très bien expliqué.

J'attirerai simplement votre attention sur deux observations, dont il a rarement été fait état.

La première concerne directement la France. En substituant le critère de la population aux pondérations arbitraires de Nice, la Constitution fait passer le poids de la France dans les institutions européennes de 9 % à 13 %, le poids du couple franco-allemand de 18 % à 31 %, et celui de l'Europe des six à l'intérieur de l'Europe des vingt-cinq de 36 % à 49 % : l'acquis pour la France et pour ceux qui partagent sa conception de l'Europe se passe de tout commentaire.

La seconde observation concerne la Turquie. Cette question est hors sujet, c'est une affaire entendue, mais nous l'abordons dans toutes nos réunions.

S'il est vrai que la Turquie n'a pas sa place au sein d'une Europe politique, en l'occurrence celle qui est prévue par le projet de Constitution, rassemblant des pays unis par une histoire et une civilisation que la Turquie, qu'on le veuille ou non, ne partage pas, on voit mal pourquoi on exclurait ce pays d'une union purement économique, fondée sur le libre échange et exposée à tous les vents.

C'est le non, mes chers collègues, qui ouvrirait la porte à la Turquie, et non pas le oui ! Il nous faut en convaincre l'opinion publique.

M. Jean François-Poncet. La construction européenne survivrait probablement à un non de la France, mais elle cesserait d'être française ou franco-allemande : elle deviendrait anglo-saxonne et nous ne pourrions que nous y résigner.

Cinquante ans d'audace et d'efforts, conduits par cinq présidents de la République, soutenus par des majorités autant de gauche que de droite, se trouveraient balayés par un « coup de lune ». Or l'ascension spectaculaire de la Chine annonce l'émergence, beaucoup plus rapide qu'on ne le prévoyait, d'un monde multipolaire, qui aura grand besoin d'une Europe puissante et indépendante, de son expérience, de ses valeurs et de sa sagesse.

L'Europe ne sera européenne que si, en votant oui, la France continue de lui imprimer sa marque.

Il est grand temps de « dire non au non », avec toute la force de conviction et de persuasion dont nous sommes capables, dans nos villes et dans nos campagnes, en mobilisant nos amis qui sommeillent, en éclairant les hésitants qui s'interrogent et en convainquant ceux qui veulent voter non sans mesurer les conséquences de leur vote.

Mes chers collègues, au travail ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me contenterai de reprendre quelques points de ce débat, dont la qualité mérite d'être soulignée : répondant à l'ensemble des interrogations, il devrait balayer les argumentations fallacieuses développées par les tenants du non. A ceux qui voudraient transformer ce référendum et le réduire à un vote partisan - pour le Gouvernement, pour le Président de la République - je tiens à rappeler qu'il recouvre, au contraire, un enjeu majeur.

Pourquoi ce débat, qui vient, c'est vrai, à un moment où la campagne du non est sans doute plus lancée que celle du oui, ne serait-il pas le déclic dont notre pays a besoin pour prononcer un oui d'espérance, un oui de confiance en l'avenir de la France, en l'avenir de l'Europe ?

Après les propos remarquables qu'a tenus M. Jean François-Poncet, qu'il me suffise de dire que, si le non l'emportait, nous n'aurions aucune chance de retrouver l'accord de vingt-cinq pays sur un nouveau texte. C'est d'ailleurs aux qualités des membres de la Convention - M. Hubert Haenel, le président Valéry Giscard d'Estaing, sans oublier l'acteur éminent que vous avez été vous-même, monsieur le ministre - que nous devons d'avoir fait émerger un accord sur un texte.

Y avoir réussi, c'est tellement extraordinaire que nous devrions aujourd'hui nous laisser emporter par cet élan pour faire partager notre ardeur et notre enthousiasme en expliquant ce qui se passerait en cas de victoire du non ! Il n'y a aucune chance qu'un autre traité, meilleur, puisse être conclu demain ! Cessons de le laisser croire, et essayons, en revanche, de mettre en valeur l'élément d'espérance que porte cette Constitution.

Mes chers collègues, quels que soient nos sentiments, chacun mesure bien ici, après la mort du Pape, l'universalité de la place de l'homme. Or, la place de l'homme est au coeur de la Constitution.

A ceux qui voudraient utiliser des références chrétiennes pour combattre ce texte, vous me permettrez de rappeler ce communiqué des églises chrétiennes dont on a peu parlé et qui, dans le respect des uns et des autres, souligne que la communauté de valeurs au service de l'homme est bien au coeur même de cette Constitution.

De ce communiqué établi dans le respect de nos consciences, signé du président de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France, du président de la Fédération protestante de France, du président de la Conférence des évêques de France, la conclusion qui se dégage, c'est la place de l'homme dans cette Constitution. Elle en fait un élément d'espérance pour tous.

Et je voudrais saisir cette occasion pour balayer les attaques de ceux qui, au motif que la Constitution emploie, non le mot de « chrétien», mais celui de « religion », développent des campagnes injustifiées.

De même, il nous appartient de répondre aux arguments de ceux selon lesquels cette Constitution, ouverte au seul jeu de la concurrence, oublierait les droits fondamentaux des individus.

Mes chers amis, comment assurer un développement économique qui garantisse l'épanouissement des uns et des autres autrement qu'en votant oui  à cette Constitution ? Arrêtons de faire supporter par l'Europe les conséquences de situations parfois difficiles, alors qu'elle est le seul remède à ces maux !

Au monde de l'agriculture, je rappellerai ce que l'Europe lui a apporté. Qu'il n'oublie pas que l'action du Président de la République, lors de l'accord de Luxembourg, a permis de pérenniser jusqu'en 2013 un soutien financier qui atteint 8 milliards, voire  9 milliards d'euros. Pour nos agriculteurs, c'est la garantie que si la Constitution est votée, la politique agricole commune évoluera, certes, mais dans le respect de la conception qui a toujours été la nôtre, celle de l'exploitation agricole familiale.

Bien sûr, nos agriculteurs devront adopter des techniques de production plus respectueuses de l'environnement ; bien sûr, ils devront se conformer à un certain nombre d'exigences ; mais leur avenir sera assuré, alors qu'il serait condamné si la France, en choisissant de se tenir de l'écart, n'était plus en mesure de défendre leur cause.

Que les agriculteurs de France prennent deux minutes pour réfléchir qu'à se laisser aller, parce qu'ils ont des problèmes et qu'ils éprouvent des difficultés, ils risquent d'avoir demain des réveils terribles !

Pour apaiser certaines craintes, je dirai le fond de ma pensée : le mérite du débat sur le référendum, c'est d'avoir tout à coup permis dans notre pays une meilleure prise de conscience que la réalité européenne, c'est cette Europe à vingt-cinq, qui avait été oubliée et qui existe. Faute de se donner des règles de vie qui correspondent à cette nouvelle réalité, elle tombera en panne. L'angoisse que provoque chez certains cette prise de conscience, il nous appartient de la calmer.

De même, il nous revient de répondre aux interrogations de ceux qui ont peut-être besoin de mieux se faire expliquer ce que cette Constitution va leur apporter, notamment le fait que le pouvoir sera bien, désormais, un pouvoir politique ; et c'est en ce sens qu'on peut bel et bien parler de Constitution.

Ne nous laissons pas enfermer dans le débat consistant à savoir si, en l'absence d'Etat, il y a ou non une Constitution. Ce texte apporte une réponse vraie à la situation particulière d'une construction qui, après avoir associé les Etats, associe aujourd'hui davantage les citoyens.

Employons-nous donc à bien démontrer que le pouvoir sera, non pas le pouvoir des technocrates, mais un pouvoir politique nouveau. En effet, à travers un président élu pour un mandat renouvelable de deux ans et demi, le Conseil aura une voix politique et le ministre des affaires étrangères, qui parlera au nom de l'Europe, aura une chance que sa voix soit écoutée dans le monde.

Apportons la démonstration que le Parlement européen, élu par les citoyens, voit ses pouvoirs incontestablement renforcés. Et expliquons à ces électeurs que nous, parlementaires nationaux, allons désormais gagner une dimension d'action supplémentaire, celle  de gardiens de la subsidiarité.

A ce titre, nous pourrons, de concert avec d'autres parlements, bloquer un certain nombre de textes et rappeler l'exigence de voir chacun remplir davantage son rôle, si possible au plus près du terrain. Et ce pouvoir, nous l'exercerons d'autant mieux que les compétences, exclusives, partagées, ou de soutien, sont définies dans le texte.

Nous avons aussi à rappeler que cette volonté embryonnaire de rapprocher les citoyens des responsables européens à laquelle a répondu la création du Comité des régions d'Europe sera renforcée. Cette instance aura, en effet, la capacité de saisir la Cour pour assurer le respect de la subsidiarité.

Il est capital pour nous de démontrer que, loin de créer des opportunités supplémentaires pour l'exercice d'un pouvoir technocratique, ce texte est, au contraire, l'occasion de faire émerger une réalité politique. Nous ne tomberons pas dans le piège !

De la fameuse  « directive pour les services », je dirai, d'abord, qu'elle n'existe pas. Il y a eu un projet de directive, dont, je le rappelle ensuite, la délégation du Sénat pour l'Union européenne s'était saisie. Elle a fait un rapport. Et on sait très bien que, demain, la Constitution renforcera la capacité politique de blocage de tels projets.

Enfin, comme cela a été dit, face à la mondialisation, nous avons besoin aujourd'hui de cette organisation. Veut-on que l'Europe ait un poids ? Dans ces conditions, comment peut-on envisager que la France soit isolée ?

Je souhaite, pour ma part, que l'Europe vienne assurer la réalité de cette organisation multipolaire du monde, dans laquelle une place particulière serait faite à l'espace euroméditerranéen.

M. Jacques Blanc. L'équilibre en Europe exige une politique de voisinage. Elle donnera une nouvelle dimension aux échanges avec des pays qui, sans avoir vocation à entrer dans l'Europe, ont vocation soit à accompagner ses actions, soit à être accompagnés par elle.

Il exige aussi une politique interne. Monsieur le ministre, lorsque vous étiez commissaire, vous avez été de ceux qui ont permis de faire intégrer, dans cette Constitution, à côté de la cohésion sociale, la cohésion territoriale.

Nous tous, ici, voulons que ce pays vive en équilibre. Grâce l'aménagement du territoire, nous souhaitons qu'il soit mis un terme au mouvement d'hyperconcentration urbaine et de désertification de nos montagnes ou de notre pays rural.

Tout comme l'aménagement du territoire donne une réponse pour un modèle de civilisation, notre Constitution est bien un modèle de civilisation fait pour assurer l'épanouissement de chacun dans notre société. Nous pouvons tous ensemble nous mobiliser pour faire gagner le oui. C'est un oui d'espérance et un oui de conviction que nous voulons porter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la construction européenne est le fruit d'une longue marche, l'aboutissement d'une quête incessante vers plus d'harmonisation, plus de cohésion, plus d'efficacité.

Que de chemin parcouru depuis la création de la Communauté économique du charbon et de l'acier, en 1951, le traité de Rome, en 1957, et la signature, le 29 octobre 2004, par les vingt-cinq chefs d'Etat et de Gouvernement, du traité établissant une Constitution pour l'Europe ! Car en fait, un grand pays a besoin, plus que d'un traité, d'une Constitution.

Cette construction s'est déroulée avec le souci constant de faire de l'Europe une confédération d'Etats nations. Parallèlement à une élémentaire harmonisation, l'identité et la lisibilité des peuples et des nations qui la composent ont été préservées. Cet équilibre dans l'harmonisation était souhaité par les pères fondateurs de l'Europe.

Dans un monde de plus en plus ouvert, il était important de permettre à nos concitoyens de garder leurs repères et leurs racines. Ces repères et ces racines sont aujourd'hui, de par leurs différences mêmes, une vraie source d'enrichissement. Cela doit rassurer nos concitoyens : tout risque d'uniformisation est ainsi écarté.

Mais, aujourd'hui, la France doute ; elle n'a plus confiance en elle. Ecartelée entre le xxie siècle et ses nouvelles technologies et un xxe siècle où elle avait surmonté tant de soubresauts, la France est rongée d'inquiétude. Cette société inquiète est prête à basculer à tout moment dans le refus, voire dans la révolte. Que ce soit dans les villes ou dans les campagnes, la France se trouve dans l'incapacité d'accepter les mutations qui lui permettraient d'affronter l'évolution du monde qui l'entoure.

La France se réveille ainsi au milieu de 450 millions d'Européens et d'une mondialisation qu'elle subit alors qu'elle a les potentialités d'en être un acteur majeur.

Je salue les efforts du Gouvernement, qui a entamé les indispensables évolutions de nos structures et de nos modes de fonctionnement. Je reconnais l'ampleur des réformes réalisées, mais elles sont loin, malgré tout, d'être suffisantes. C'est là que l'Europe doit prendre le relais et nous inciter à réformer encore davantage.

Côtoyant, au sein de la délégation pour l'Union européenne, des parlementaires d'autres Etats membres, je mesure à chaque rencontre le fossé qui nous sépare. Entre les quinze pays de 1995 et les dix nouveaux entrants, on décèle une incompréhension naissante : une soif d'avancer pour les uns, une inquiétude face à l'avenir pour les autres.

On fait le reproche à l'Europe d'aujourd'hui de n'avoir pas su résister à la mondialisation. C'est un procès facile et c'est aussi un faux procès. La meilleure façon de résister à la mondialisation, c'est tout simplement de la précéder en assurant une meilleure compétitivité de l'Union européenne, une marche vers plus d'innovation, de réactivité et de souplesse. C'est, en fait, la stratégie de Lisbonne. Ce n'est pas de l'ultralibéralisme, c'est tout simplement du réalisme face à d'autres continents qui sont engagés sans état d'âme dans une quête de modernité. De quel droit pourrions-nous les en empêcher ? Aucun !

La Constitution européenne a précisément été pensée pour permettre à l'Europe d'évoluer et de replacer l'homme et les parlements nationaux au coeur de son fonctionnement, en lui redonnant davantage de proximité et de démocratie.

En créant un président permanent du Conseil, un ministre des affaires étrangères, la Constitution donnera plus de lisibilité, de réalité et d'influence à l'Europe sur la scène internationale, rééquilibrant ainsi l'importance des blocs constitués désormais par les Etats-Unis d'un côté, l'Asie et la Chine de l'autre côté. La Chine et l'Asie, ne l'oublions pas, constituent déjà 40 % de la population mondiale et leur ouverture vers la modernité n'a pas fini de bouleverser l'équilibre mondial au sein duquel l'Europe doit trouver sa place et son rôle.

En substituant le vote à la majorité au vote à l'unanimité dans vingt-cinq domaines, notamment dans celui de la protection sociale, L'Europe aura plus de réactivité et de souplesse.

En institutionnalisant la création de l'Eurogroupe, qui réunira désormais les ministres des finances de la zone euro derrière son président élu pour deux ans, les orientations de la politique économique seront plus lisibles et gagneront en efficacité et en rationalité.

Enfin, la reconnaissance d'un droit d'initiative aux citoyens de cette nouvelle Europe est une invitation à émettre une proposition législative près de la Commission, qui permettra de rapprocher les citoyens de ceux qui les gouvernent. Il s'agit d'une notion fondamentale face au fossé qui les sépare aujourd'hui dangereusement, au risque d'entraîner une vraie rupture sociétale. La cohésion sociale doit demeurer au coeur de nos préoccupations ; elle est très fragile en ce début de xxie siècle.

Nous sommes, avec cette Constitution, loin des règles, assez rigides il est vrai, du traité de Nice, qui avait été élaboré pour régir quinze Etats, et quinze Etats seulement. Elle est adaptée et à notre époque et aux 450 millions d'Européens.

Aux Français de comprendre l'ampleur de ces enjeux le 29 mai. « Rien n'est possible sans les hommes », disait Jean Monnet, en ajoutant aussitôt : « mais rien n'est durable sans les institutions ».

Je salue le travail accompli par les cent cinq conventionnels, dont nos collègues Hubert Haenel et Robert Badinter, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing. Ils ont ainsi doté l'Europe de règles institutionnelles pour affronter les grands défis de demain. Nous devons leur en être reconnaissants.

En invitant les Français à se prononcer sur cette Constitution par la voie du référendum, le Président de la République accomplit un acte de confiance et de respect à leur égard. Leur vote, le 29 mai, n'en aura que plus de valeur aux yeux de l'Histoire. Puissent-ils ne pas l'insulter ! Car c'est bien de l'avenir, de notre avenir, qu'il s'agit. Si, par malheur, les Français devaient refuser ce « pas en avant » dans la construction européenne, notre pays serait désormais un pays sans influence, seul, isolé, affaibli et incapable d'affronter les défis qui se présentent à lui. M. Jean François-Poncet, avec son expérience, son esprit de synthèse et de prospective, l'a expliqué mieux que quiconque.

En ces temps où l'on ne doit pas méconnaître les difficultés de nos concitoyens, sachons les aider à se rassembler sur l'essentiel, qui se résume à cette seule phrase : si la France demeure notre pays, car c'est là que sont nos repères et nos racines, l'Europe est déjà notre présent, comme l'a rappelé M. Hubert Haenel, et plus encore l'avenir des générations futures. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères. Mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie chacune et chacun d'entre vous, quelles que soient les positions que vous avez exprimées, de votre attention et de la qualité de vos interventions. Me souvenant des années où je siégeais à vos côtés, je pense que c'est l'honneur et la tradition du Sénat de placer le débat d'idées au niveau où il doit l'être.

Mes remerciements s'adressent en particulier au président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Serge Vinçon, et au président de la délégation pour l'Union européenne, Hubert Haenel, pour la clarté, la conviction et la précision de leur propos.

Enfin, je ferai une mention particulière, pleine d'humilité, à l'un de mes prédécesseurs au quai d'Orsay, M. Jean François-Poncet, que j'écoute toujours avec beaucoup de respect et de profit.

Comme l'ont tout à tour indiqué Hubert Haenel et Jean-Pierre Bel, dans ce débat auquel les Français ont droit et auquel vous participez d'une si belle manière, de nombreuses questions se confondent, ce qui explique la confusion, voire, pour une bonne part, les raisons qui font aujourd'hui l'attrait du non. En fait, il s'agit plutôt d'un non de précaution.

Dans le débat confus auquel nous assistons, toutes les interrogations sont utiles et respectables. Toutes expriment des inquiétudes, des préoccupations, parfois de la mauvaise humeur mais, finalement, comme vous l'avez tous souligné, le 29 mai, les Français devront répondre à une seule question.

Comme l'a rappelé Jean-Pierre Raffarin, il ne s'agit pas de voter pour ou contre le Président de la République, pour ou contre le Premier ministre : ce choix-là, les Français le feront en 2007. Il ne s'agit pas davantage de voter pour ou contre l'adhésion de la Turquie. Si les négociations d'adhésion vont jusqu'à leur terme, ce choix-là, les Français le feront dans dix, quinze ou vingt ans.

Monsieur  Retailleau, il n'était pas convenable, pour étayer votre démonstration, de faire appel à un ambassadeur de France qui s'acquitte de sa mission de manière parfaite. Il n'a fait que rappeler la position de la France lorsque le Conseil européen a décidé, avec beaucoup de précaution - et nous y avons contribué -, en posant de nombreuses questions, du début des négociations, qui ne sont d'ailleurs pas encore engagées et qui seront très longues. Jamais notre ambassadeur à Ankara n'a préjugé de la décision que prendront les Français le jour où ils seront consultés, s'ils le sont, sur l'éventuelle adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Je tenais à apporter cette précision.

Alors, mesdames, messieurs les sénateurs, intéressons-nous à la question qui sera posée le 29 mai et parlons de la Constitution.

Comme vient de le rappeler Jacques Blanc, j'ai été l'un des artisans de cette Constitution. Membre du présidium de la Convention, j'ai ardemment travaillé aux côtés de plusieurs d'entre vous. Permettez-moi, après  Jacques Pelletier et Jacques Blanc, de saluer non seulement le président de cette convention, M.  Valéry Giscard d'Estaing, qui a fait preuve de beaucoup d'autorité et de son intelligence habituelle pendant dix-huit mois, mais aussi  Hubert Haenel et Robert Badinter, qui ont beaucoup contribué, avec l'appui de leurs collaborateurs, que je n'oublie pas, à la qualité de nos débats.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette Constitution n'est pas un projet, c'est un outil au service du projet européen, un cadre, une règle, je serais tenté de dire un règlement de copropriété entre vingt-cinq nations. Il ne s'agit pas de créer une nation européenne ; nous ne rêvons ni d'une nation européenne ni d'un super Etat fédéral, monsieur Retailleau.

Ce que les Gouvernements qui se succèdent font depuis cinquante ans n'a jamais été réalisé dans l'histoire autrement que par la force - les empires - et n'existe nulle part ailleurs dans le monde sous cette forme : des nations, petites et grandes, anciennes et nouvelles, dirigées par des gouvernements de droite ou de gauche, chacune restant attachée à sa culture, à ses traditions, à sa langue - nous n'accepterons jamais de renoncer à notre identité et à notre différence - s'engagent sur la voie de la mutualisation.

C'est ce mot « mutualisation » qui me paraît le mieux caractériser, depuis cinquante ans, le projet européen. Nous mutualisons pour être mieux respectés, pour compter davantage, pour nous protéger avec plus d'efficacité.

Pour que les vingt-cinq nations réussissent la mutualisation d'une partie de leurs ressources, de leurs intelligences, de leurs politiques, il faut établir un règlement de copropriété. Il ne peut s'agir ni du traité de Rome ni des suivants ; c'est l'objet de cette Constitution.

Le général de Gaulle, que plusieurs d'entre vous ont invoqué - je me sens donc autorisé à y faire référence à mon tour - avait déclaré : « Il ne faut pas que l'Europe broie les peuples comme dans une purée de marrons ». Aujourd'hui, la preuve est faite : depuis cinquante ans, quelles qu'aient été les craintes, l'Europe n'a pas broyé nos peuples dans une purée de marrons. Chacun a conservé ses différences, son identité, sa langue, sa culture. Il me semble même que, « pas à pas », comme le disait Jean Monnet, la construction européenne nous a permis de trouver ou de retrouver une force qui, dans le monde d'aujourd'hui, naît souvent de l'union.

Monsieur Retailleau, et cette question s'adresse aussi au groupe communiste républicain et citoyen : que restait-il de notre souveraineté monétaire ? Le franc était dominé par le deutsche mark, lui-même dominé par le dollar.

Vous pouvez évoquer le passé avec nostalgie ; à mon sens, on fait de la politique avec des souvenirs précis, avec des racines. On peut toujours se souvenir avec nostalgie de la force du franc, voilà quelques années, ...

M. Bruno Retailleau. Il y avait des résultats ! Voyez le chômage aujourd'hui !

M. Michel Barnier, ministre. ... mais nous avons retrouvé, grâce à la mutualisation et à la monnaie unique, une souveraineté monétaire bien supérieure à celle qui résultait de l'addition de nos souverainetés nationales.

Pour que l'Europe fonctionne bien, mesdames, messieurs les sénateurs, il faut la doter d'un règlement de copropriété.

Cet outil, lui, est au service du projet qu'ont si bien su décrire Michel Mercier ou Jean Bizet. Ils ont rappelé le rôle fondamental qu'a joué la France : ce projet est d'inspiration française, d'inspiration franco-allemande. Restons fidèles à cet héritage qui nous vient, notamment, de Jean Monnet et de Robert Schuman.

On peut rappeler, comme vous l'avez fait, monsieur Jean François-Poncet, le rapport des forces tel qu'il a toujours été, tel qu'il reste, renforcé même par la Constitution, et tel qu'il ne sera plus, en effet, si, par un non, nous donnons un coup d'arrêt au mouvement européen.

On peut aussi rappeler l'attente des autres Etats membres. Parcourant tous les pays européens jour après jour - j'étais hier encore en Slovaquie -, je puis témoigner que nous sommes observés, que nous sommes attendus, que le choix que nous allons faire touche tous nos partenaires et que la France, avec ce référendum, est plus que jamais au coeur du projet européen.

On peut également rappeler - je viens de le faire, je n'insisterai pas - que dans le monde d'aujourd'hui, un monde qui bascule démographiquement vers la Chine, l'Inde ou l'Afrique, un monde dangereux où les inégalités sont toujours plus grandes et les risques plus nombreux, notamment les risques écologiques, mais aussi ceux que fait courir le terrorisme, nous ne nous protégerons bien, nous n'existerons réellement qu'en étant ensemble, qu'en créant la « masse critique suffisante », comme l'appelaient Robert Schuman et Jean Monnet, qui nous permettra de compter et d'être respectés.

On peut encore rappeler qu'en cas d'échec de cette Constitution, si l'un ou l'autre des pays de l'Union la refusait - je l'affirme parce que je pense que c'est la vérité - c'est le projet européen tout entier qui serait en panne.

Pour en revenir rapidement à ce texte, à l'élaboration duquel j'ai eu l'honneur de contribuer, je veux vous dire en conscience, mesdames, messieurs, qu'il ne recèle aucun recul par rapport aux textes actuels : il ne comporte que des progrès. Pas tous, en effet : dans le domaine social, sur la question de la majorité qualifiée, préférable au droit de veto qui, à vingt-cinq, est source d'impuissance et de blocages, en matière de gouvernance économique, j'aurais souhaité davantage de progrès. Avec d'autres, je me suis battu en ce sens ; finalement, nous sommes parvenus à vingt-cinq à un résultat improbable au départ, et le compromis est dynamique.

Le texte, je le répète, ne comporte que des progrès, et tout d'abord pour la démocratie en Europe, grâce au rôle du Parlement européen, grâce à la place nouvelle des parlements nationaux, grâce au droit d'initiative populaire. Nous sommes loin, avec cette addition des dialogues et la recherche de consensus, de ce que Jacques Blanc craignait en évoquant tout à l'heure la bureaucratie et le diktat de Bruxelles. On trouve de la bureaucratie à Bruxelles, certes, je l'y ai d'ailleurs rencontrée pendant cinq ans,...

M. Charles Revet. Il n'y a pas qu'à Bruxelles !

M. Jacques Blanc. Tout à fait !

M. Michel Barnier, ministre. ... mais, en cherchant bien, on en trouverait probablement ailleurs aussi !

C'est une démocratie originale que nous voulons construire par ce traité, à la fois indirecte avec le Conseil, directe avec le Parlement européen, participative avec l'initiative populaire, consultative avec le Comité économique et social, le Comité des régions, les partenaires sociaux, le dialogue avec les Eglises, enfin, une démocratie décentralisée grâce au rôle nouveau des parlements nationaux.

Le texte représente également un progrès pour la sécurité, notamment en ce qui concerne la politique pénale européenne, la lutte contre la grande criminalité transfrontalière, la lutte contre l'immigration clandestine, le devoir d'assistance.

En matière de défense, Serge Vinçon a évoqué tout à l'heure la clause de solidarité entre les pays européens. J'ai moi-même proposé cette idée, puisque j'ai présidé au sein de la Convention le groupe qui a travaillé sur la défense européenne. Mesdames, messieurs les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, elle n'a rien à voir avec l'OTAN, puisqu'elle vaut à l'intérieur du territoire européen ! Jamais l'OTAN n'est ni ne sera appelée à agir à l'intérieur de nos Etats, au grand jamais !

Cette clause a pour objet qu'en cas de catastrophe naturelle, malheureusement toujours possible, ou en cas d'attentat terroriste contre l'un de nos pays - imaginez un Madrid multiplié par trois ou quatre, et c'est malheureusement possible aussi - il soit prévu par avance de mutualiser l'intervention de nos polices, de nos justices, de nos douanes, de nos protections civiles à l'intérieur du territoire européen. L'OTAN ne fera jamais cela ! Voulons-nous ou non de cette clause de solidarité ? Sincèrement, je ne vois pas comment on pourrait refuser un tel progrès !

S'ajoutent à cela toutes les nouvelles dispositions concernant l'Europe de la santé publique, caractérisées par le partage des tâches entre les Etats et l'Union, et celles qui concernent la protection civile.

S'agissant de la sécurité, Jean Bizet le soulignait, nous avons l'occasion de mieux nous protéger de certains risques de la mondialisation.

Le texte constitue encore un progrès pour l'emploi, Josselin de Rohan l'a démontré mieux que je ne pourrais le faire. C'est, mesdames, messieurs, le texte européen le plus social qui ait jamais été écrit. Grâce à la prise en compte par toutes les politiques européennes des exigences sociales et de l'emploi, grâce à la clause sociale générale, grâce à la possibilité de protéger les services publics par la loi européenne, grâce enfin à la reconnaissance dans la Constitution du droit des travailleurs, tout ce qui figure dans la Charte trouve enfin une valeur et une solidité constitutionnelles.

J'aurais voulu que nous allions plus loin. Je peux cependant affirmer que, à l'échelle de l'histoire de la construction européenne, cette Constitution marque un tournant social. Le défi, désormais, est d'utiliser cet outil pour réaliser l'harmonisation par le haut, pour bâtir une Europe dans laquelle on gagne les uns avec les autres - la preuve en fut faite avec l'Espagne et le Portugal - et non pas les uns contre les autres. C'est ce qui nous permettra de résister à toutes les formes de délocalisation, de dumping social ou fiscal.

Mme Borvo Cohen-Seat s'est absentée, mais je suppose qu'on lui transmettra les réflexions que m'inspirent ses propos.

M. Guy Fischer. Elles figureront au Journal officiel !

M. Michel Barnier, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, comme l'a relevé Jean François-Poncet, nombreux sont ceux qui rêvent d'une Europe différente de celle qui s'est construite depuis quelques années, d'une Europe qui soit une sorte de supermarché, de grande zone de libre-échange où la seule règle serait celle de la compétition fiscale et sociale. Ceux-là, ne vous y trompez pas, ne souhaitent pas la Constitution, parce qu'ils ne veulent pas d'une économie sociale de marché qui comporte des règles, des mécanismes de régulation et de redistribution !

Ce qui me choque, ce que je ne comprends pas, ce que je n'arrive pas à accepter, c'est que des élus communistes et socialistes sincères combattent cette Constitution alors que c'est elle qui permettra d'empêcher une telle dérive vers l'Europe supermarché, vers l'Europe grande zone de libre-échange. Ne doutez pas d'une chose, mesdames, messieurs : aucune politique forte ne se fait jamais avec des institutions faibles ; et si nos institutions sont faibles parce que nous n'aurions pas accepté la Constitution, alors, les politiques seront faibles. Les premières politiques qui seront touchées, ce sont la politique agricole commune, la politique régionale et, madame Blandin, la politique de l'environnement. De même, tous nos espoirs d'élaborer une stratégie industrielle seraient passés par pertes et profits.

Enfin, la Constitution marque un progrès sur la voie d'une Europe crédible et respectée dans le monde. Serge Vinçon et Jean François-Poncet l'ont souligné, la défense européenne, la stabilité de la représentation de l'Union grâce à un président élu pour deux ans et demi, grâce à un ministre des affaires étrangères européen, appuyées par de nombreuses autres dispositions, nous permettront d'éviter les divisions que nous avons connues au moment du déclenchement du conflit en Irak et, plus dramatiquement encore, de la partition tragique de la Bosnie-Herzégovine et de la Yougoslavie qui, faute d'avoir été anticipée, nous a conduits à subir sur notre propre continent une guerre qui a provoqué 210 000 morts.

Encore une fois, ce texte apporte des progrès. Voulons-nous utiliser ces progrès ? Voulons-nous utiliser cet outil ?

Je pense que nous avons besoin de cette Constitution. Au fond, le résultat assez improbable auquel nous sommes parvenus a consisté non pas dans l'élaboration d'un traité de plus, mais dans la restructuration, la reconstruction de tous les traités existants. Il a permis de récrire un peu plus lisiblement les soixante premiers articles et de bâtir, en quelque sorte, un nouveau traité de Rome.

J'ai dit l'hommage que nous devons tous rendre, et vous l'avez fait, au travail des conventionnels. C'est la première fois qu'un texte européen est élaboré non pas dans le secret d'une conférence diplomatique, mais de manière démocratique, toutes portes et fenêtres ouvertes. C'est probablement ce qui explique que nous soyons parvenus à ce résultat inespéré.

En chacun de nous, mesdames, messieurs, se livre un débat ou un combat, reconnaissons-le franchement, entre l'inquiétude et l'espérance, entre la déception et le volontarisme, selon les moments, selon les endroits où nous nous trouvons.

Mais ce débat et ce combat ne peuvent se dérouler entre la France et l'Europe. Depuis cinquante ans, le choix n'est pas entre la France et l'Europe, car elles vont ensemble ! Comme vous avez été nombreux à le relever, notamment Jacques Pelletier ou Jacques Blanc, le choix est entre une Europe européenne, indépendante, et une Europe sous influence. Pour ma part, je ne me résoudrai jamais à ce que le continent que nous organisons démocratiquement, que la Constitution nous permettra de mieux organiser encore, soit un continent sous influence.

Josselin de Rohan, tout à l'heure, citait ce joli mot de Woody Allen : « La réponse est non ; quelle est la question ? » Je préfère retourner la phrase : quelle est la question ? Elle est de savoir si nous voulons de cette Constitution pour renforcer tant le fonctionnement d'une Union européenne qui soit effectivement européenne que le rôle de la France dans cette Union. La réponse est oui. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Le débat est clos.

Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le numéro 283 et distribuée.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Guy Fischer.)

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

5

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. le président. La parole est à M. Jacques Baudot, pour un rappel au règlement.

M. Jacques Baudot. A la suite du débat sur la ratification du traité établissant une constitution pour l'Europe, auquel je ne participais pas mais que j'ai suivi, je tiens à indiquer que certains propos tenus dans cet hémicycle sur les incompétents et les bas de plafond, dont je suis puisque je vote pour le « non », sont inadmissibles. Chacun a le droit de voter comme il l'entend, et de telles critiques ne devraient pas être formulées dans cette enceinte.

Dans ces conditions, monsieur le président, je n'assisterai pas à la séance de ce soir : je considère qu'un incompétent n'a rien à faire ici ! (M. Paul Raoult s'exclame.)

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Nous n'y sommes pour rien, nous !

M. le président. Je vous donne acte de votre déclaration, monsieur Baudot.

6

DÉPÔT D'UN RAPPORT EN APPLICATION D'UNE LOI

M. le président. M. le président a reçu de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques le huitième rapport d'activité de la commission pour l'année 2004, établi en application de l'article 26 bis de la loi n° 90-55 du 15 janvier 1990.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

7

Saisine du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel une lettre par laquelle il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi, le 6 avril 2005, en application de l'article 61, alinéa 2 de la Constitution, par plus de soixante députés, d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi relative aux aéroports

Acte est donné de cette communication.

Le texte de cette saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

8

Eau et milieux aquatiques

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques.

Dans la discussion des articles, nous poursuivons l'examen de l'article 4.

Article 4 (suite)

Art. 4 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques
Art. additionnel avant l'art. 5

I. - Il est ajouté, après la section 4 du chapitre IV du titre Ier du livre II du code de l'environnement, une section 5 ainsi rédigée :

« Section 5

« Obligations relatives aux ouvrages

« Art. L. 214-17. I. - Aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages constituant un obstacle à la continuité écologique des cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux qui sont en très bon état écologique ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée est nécessaire. La continuité écologique est caractérisée par un transport suffisant des sédiments et par la circulation des espèces vivantes.

« Le renouvellement de la concession ou de l'autorisation des ouvrages existants, régulièrement installés sur ces cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux est subordonné à des prescriptions permettant d'assurer le très bon état écologique des eaux ou la protection des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée.

« II. - Les ouvrages situés sur des cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer un transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs sont gérés, entretenus et, le cas échéant, équipés selon des règles définies avec l'autorité administrative.

« III. - Les cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux visés aux I et II ci-dessus sont énumérés sur des listes établies pour chaque bassin ou sous-bassin par le préfet coordonnateur de bassin après avis des conseils généraux intéressés et du comité de bassin.

« IV. - Les obligations résultant des dispositions de cet article entrent en vigueur à la date de publication des listes prévues au III. Toutefois, l'obligation instituée au II n'est faite aux ouvrages existants régulièrement installés qu'à l'issue d'un délai de cinq ans à compter de la publication de la liste.

« Ces obligations sont alors substituées à celles résultant des classements de cours d'eau prononcés en application de l'article 2 de la loi du 16 octobre 1919 et de l'article  L. 432-6 qui demeurent applicables jusqu'à cette date. Elles n'ouvrent pas droit à indemnité, à moins qu'elles ne fassent peser sur le propriétaire ou l'exploitant de l'ouvrage une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi par ces obligations.

« Art. L. 214-18. - I. - Tout ouvrage à construire dans le lit d'un cours d'eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l'installation de l'ouvrage ainsi que, le cas échéant, des dispositifs empêchant la pénétration du poisson dans les canaux d'amenée et de fuite.

« Ce débit minimal ne doit pas être inférieur au dixième du module du cours d'eau au droit de l'ouvrage correspondant au débit moyen interannuel, évalué à partir des informations disponibles portant sur une période minimale de cinq années, ou au débit à l'amont immédiat de l'ouvrage, si celui-ci est inférieur. Pour les cours d'eau ou parties de cours d'eau dont le module est supérieur à 80 mètres cubes par seconde, ce débit minimal ne doit pas être inférieur au vingtième du module du cours d'eau au droit de l'ouvrage évalué dans les mêmes conditions ou au débit à l'amont immédiat de l'ouvrage si celui-ci est inférieur. Toutefois pour les cours d'eau ou sections de cours d'eau présentant un fonctionnement atypique rendant non pertinente la fixation d'un débit minimal dans les conditions prévues ci-dessus, le débit minimal peut être fixé à une valeur inférieure.

« II. - Les actes d'autorisation ou de concession peuvent fixer des valeurs de débit minimal différentes selon les périodes de l'année, sous réserve que la valeur du débit minimal délivré en moyenne annuelle ne soit pas inférieure aux débits minimaux fixés en application du I.

« Lorsqu'un cours d'eau ou une section de cours d'eau est soumis à des étiages naturels exceptionnels, l'autorité administrative peut fixer, pour ces périodes d'étiage, des débits minimaux temporaires inférieurs au débit minimal prévu au I.

« III. - L'exploitant de l'ouvrage est tenu d'assurer le fonctionnement et l'entretien des dispositifs garantissant dans le lit du cours d'eau le débit minimal défini aux alinéas précédents.

« IV. - Pour les ouvrages existants à la date de promulgation du présent article, les obligations qu'il institue sont substituées, dès le renouvellement de leur concession ou autorisation et au plus tard le 22 décembre 2013, aux obligations qui leur étaient précédemment faites. Cette substitution ne donne lieu à indemnité que dans les conditions prévues au IV de l'article L. 214-17.

« V. - Les dispositions du présent article ne sont applicables ni au Rhin ni aux parties internationales des cours d'eau partagés. 

« Art. L. 214-19. - Un décret en Conseil d'État précise les conditions d'application de la présente section. »

II. - L'intitulé de la section 3 du chapitre II du titre III du livre IV est remplacé par l'intitulé suivant : « Obligations relatives aux plans d'eau ».

M. le président. Au sein de cet article, nous en sommes parvenus à l'amendement n° 333.

L'amendement n° 333, présenté par M. Le Grand, est ainsi libellé :

Dans le premier alinéa du II du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement, après les mots :

fixer des valeurs de débit minimal différentes selon les périodes de l'année

insérer les mots :

et en fonction des cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux, en concertation avec les acteurs locaux

La parole est à M. Jean-François Le Grand.

M. Jean-François Le Grand. Afin de nous conformer le plus possible à l'esprit de la directive européenne, selon laquelle il faut « réduire les obstacles réglementaires et non réglementaires à l'augmentation de la production d'électricité à partir de sources d'énergies renouvelables », cet amendement vise à ajouter les mots : « et en fonction des cours d'eau, parties de cours d'eaux ou canaux, en concertation avec les acteurs locaux ».

Monsieur le ministre, vous nous avez dit tout à l'heure qu'il était difficile de segmenter les cours d'eau. Cela dit, un cours d'eau n'est pas seulement un long fleuve tranquille, et des aménagements pourraient donc être prévus à certains endroits.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Cette précision me semble relever du domaine réglementaire. Par ailleurs, elle alourdirait la procédure prévue par le projet de loi visant à permettre des valeurs de débit minimal différentes selon les périodes de l'année.

En conséquence, la commission invite M. Le Grand à retirer cet amendement. A défaut, elle émettra un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable. Cet amendement vise à raisonner en fonction des cours d'eau.

Le choix de recourir au régime réservé - le débit réservé est le minimum en moyenne alors que le régime réservé est le débit à un moment donné - se fait non par cours d'eau ou partie de cours d'eau mais par ouvrage, puisqu'il est lié à un acte d'autorisation ou de concession. Par conséquent, un exploitant d'ouvrage peut demander à substituer ce régime réservé au débit réservé, par exemple pour mieux valoriser la ressource en eau.

Quant à la valeur elle-même du débit réservé, elle est fixée pour chaque cours d'eau ou partie de cours d'eau selon les dispositions du paragraphe I de l'article L.214-18 du code de l'environnement, et c'est autour de cette valeur qu'est modulé le régime réservé.

On ne peut donc pas raisonner à ce niveau-là en fonction du cours d'eau lui-même ; il faut en revenir à l'ouvrage. A cet égard, le texte est suffisant, et l'amendement introduirait plutôt une confusion. Telle est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable.

M. le président. Monsieur Le Grand, l'amendement est-il maintenu ?

M. Jean-François Le Grand. Je le retire, monsieur le président. J'aurais néanmoins préféré entendre que mon amendement était satisfait, qu'il avait été tenu compte de nos observations et que les dispositions proposées étaient d'ores et déjà prévues ! C'est beaucoup plus positif que les mots : « avis défavorable » !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur. Monsieur Le Grand, mon expression était en quelque sorte un raccourci. Comme l'amendement était satisfait, j'en demandais le retrait.

M. le président. L'amendement n° 333 est retiré.

L'amendement n° 678, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

A la fin du premier alinéa du II du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement, remplacer les mots :

sous réserve que la valeur du débit minimal délivré en moyenne annuelle ne soit pas inférieure aux débits minimaux fixés en application du I

par les dispositions :

sous réserve que la moyenne annuelle de ces valeurs ne soit pas inférieure aux débits minimaux fixés en application du I. En outre, le débit le plus bas doit rester supérieur à la moitié des débits minimaux précités.

La parole est à M. le ministre.

M. Serge Lepeltier, ministre. Cet amendement vise à apporter une souplesse pour répondre à une difficulté que nous pourrions rencontrer quant à la définition du débit réservé, lequel est, en moyenne sur l'année, le dixième du module, et au fait que le régime réservé, à un instant T, peut être inférieur à ce débit réservé. Nous n'avons en effet pas toujours besoin, en fonction de la période de l'année, de la chaleur de l'eau et du débit lui-même, de ce dixième du module.

Néanmoins, cette souplesse ne doit pas signifier que, à un moment donné, nous descendrions à un niveau beaucoup trop bas pour le respect de l'équilibre écologique des eaux. Il y aurait alors un risque puisque, dans l'application même du projet de loi, on pourrait à l'extrême dire que l'on accepte, à un certain moment, un débit nul.

C'est donc pour répondre à cette difficulté que l'amendement n° 678 prévoit un niveau minimal de sorte que le débit le plus bas reste supérieur à la moitié des débits minimaux précités ; en l'occurrence, le débit réservé étant fixé à un dixième du module, nous ne descendrions jamais en dessous du vingtième, notre objectif étant toujours d'avoir un bon état écologique des eaux.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. Le dispositif proposé par l'article 4 du projet de loi permet à l'autorité administrative de fixer des débits réservés différents selon les périodes de l'année.

Dans la pratique, une telle disposition permettra d'offrir de la souplesse dans le fonctionnement des installations hydroélectriques qui devront, en moyenne annuelle, respecter une règle de débit réservé fixée - au fond, monsieur Le Grand, c'est bien la réponse à votre amendement - au dixième ou au vingtième du module, selon le cas.

Toutefois, sans s'adapter aux périodes de l'année, aux conditions climatiques et aux besoins en électricité, les actes d'autorisation pourront autoriser des valeurs dérogeant à cette règle générale à condition que la moyenne annuelle soit égale au dixième ou au vingtième du module.

L'amendement n° 678 permettra de fixer une limite basse pour les débits réservés dérogeant aux règles générales afin que ces seuils dérogatoires ne soient pas de nature à aggraver les étiages.

En conséquence, la commission a émis un avis tout à fait favorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 678.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 540, présenté par MM. Cazeau et  Raoult, Mme Alquier, MM. Madrelle,  Miquel et  Vézinhet, est ainsi libellé :

Après le premier alinéa du II du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Il sera établi dans chaque bassin hydrographique un schéma global de répartition des débits qui permette de respecter sur chaque cours d'eau les exigences fixées par la directive cadre sur l'eau. »

La parole est à M. Paul Raoult.

M. Paul Raoult. Cet amendement tend à prévoir des règles de fixation des débits réservés en fonction de la typologie de chaque cours d'eau. Cet article doit renvoyer à un texte d'application précisant les règles, pouvant varier selon une classification des cours d'eau à établir, de fixation des débits réservés afin qu'ils s'accordent avec les objectifs généraux donnés au cours d'eau.

Si la règle du dixième me paraît bonne, j'ajouterai, en tant qu'ancien géographe, que chaque cours d'eau a sa propre typologie dans le débit et dans les régimes, et qu'une région de climat océanique et semi-continental est marquée par une extrême variabilité des cours d'eau du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest.

Imposer une règle générale sur l'ensemble du territoire national paraît donc quelque peu absurde. Il faut au contraire prévoir une grande souplesse dans l'application de cette règle de manière que l'on arrive à maintenir un bon état écologique et que l'on puisse donner le maximum de puissance hydroélectrique.

Il nous faut néanmoins bien fixer un minimum, et c'est ce en quoi je suis d'accord avec le Gouvernement. En effet, face à la pression économique représentée par les grandes entreprises d'hydroélectricité, et sachant que le pouvoir local attend de ces dernières taxe professionnelle et emplois locaux, la puissance environnementale représentée par les pêcheurs est toujours perdante, surtout dans l'esprit des gens.

Il est donc absolument nécessaire qu'une loi défende l'environnement par rapport aux moyens d'actions d'une telle puissance économique.

Cela étant, il faut pouvoir faire confiance aux élus locaux pour que, autour d'une table, le bon sens et la raison permettent de trouver le juste équilibre, rivière par rivière, voire affluent par affluent, entre le maintien de la production électrique et la préservation du bon état écologique de nos rivières.

Le Nord est un département dans lequel on pourrait penser qu'il ne se passe pas grand-chose en la matière. Si la plupart des rivières présentent un très faible débit, certaines ont cependant subi des régimes variables qui ont occasionné de fortes crues et des inondations. Ce fut ainsi le cas dans mon canton où les dégâts ont été extrêmement importants.

Quoi qu'on fasse, quoi qu'on dise, quelles que soient les conclusions des études, notre climat est soumis à des variabilités extrêmement grandes.

Au-delà de cette règle du dixième que nous nous sommes imposée, le bon sens nous commande d'analyser les situations rivière par rivière. En effet, les études sur la géologie et la nature des sols, sur la variabilité du climat et sur le degré de la pente donnent des résultats totalement différents d'une rivière à l'autre.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. Tout en ayant bien compris les préoccupations de M. Raoult, la commission estime que cet amendement est satisfait.

En effet, la procédure de classement est renvoyée aux autorités administratives déconcentrées, notamment les préfets coordonnateurs de bassin qui auront donc une vision cohérente sur la gestion des débits réservés. Au demeurant, puisqu'il s'agit de se mettre autour d'une table pour parler de sujets importants, vous admettrez qu'un fonctionnaire vaut bien un élu !

Par conséquent, mon cher collègue, la commission vous invite à retirer cet amendement. A défaut, elle émettra un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Comme l'a très bien dit M. Raoult, l'objet de l'amendement est d'apporter de la souplesse pour essayer de définir des débits correspondant réellement aux caractéristiques de chaque bassin hydrographique.

Or la loi prévoit de la souplesse en la matière, la fixation de tels objectifs par bassin relevant d'ores et déjà des SAGE, les schémas d'aménagement et de gestion des eaux. M. le rapporteur l'a souligné, le présent texte comporte des dispositions qui renforcent l'opposabilité de ces schémas et qui permettent de répondre à vos préoccupations, monsieur le sénateur.

Cet amendement étant satisfait, je vous demande donc de bien vouloir le retirer. A défaut, je serai contraint d'émettre un avis défavorable.

M. le président. Monsieur Raoult, l'amendement n° 540 est-il maintenu ?

M. Paul Raoult. Monsieur le président, j'ai été convaincu à la fois par M. le rapporteur et par M. le ministre. Compte tenu des textes qui ont été votés jusqu'à présent, nous pouvons considérer que les études seront véritablement menées dans le détail, bassin hydrographique par bassin hydrographique.

Par conséquent, je retire cet amendement. (M. Jean Desessard applaudit.)

M. le président. L'amendement n° 540 est retiré.

Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 642 rectifié, présenté par Mme Durrieu, MM. Courteau et Collombat, Mmes M. André et Alquier, est ainsi libellé :

Supprimer le IV du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement.

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Il s'agit de supprimer un alinéa dont les dispositions ne nous paraissent pas du tout réalistes.

M. le président. L'amendement n° 13, présenté par M. Sido, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :

Dans le IV du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement, remplacer les mots :

du présent article

par les mots :

de la loi n°.... du .... sur l'eau et les milieux aquatiques

et remplacer la date :

22 décembre 2013

par la date :

1er janvier 2014

et remplacer la référence :

IV

par la référence :

III

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur. Il s'agit d'un amendement rédactionnel.

M. le président. L'amendement n° 322, présenté par MM. Revol et Le Grand, est ainsi libellé :

Dans la première phrase du IV du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement, après les mots :

et au plus tard le 22 décembre 2013

insérer les mots :

, après intervention du décret prévu au deuxième alinéa du I du présent article,

La parole est à M. Henri Revol.

M. Henri Revol. Nous proposons une précision qui va de soi ; mais cela irait mieux en le disant !

L'augmentation du débit minimal en 2014 des ouvrages existants nécessite l'intervention préalable du décret prévu par les amendements identiques nos 12 et 321, qui ont été adoptés. Ce décret fixera la liste des ouvrages fournissant de l'électricité en période de pointe pour lesquels le débit minimal passera au vingtième du module.

Par coordination, le présent amendement a pour objet de prévoir que les nouvelles dispositions relatives au débit réservé s'appliquant aux ouvrages existants n'entreront en vigueur qu'après promulgation du décret définissant cette liste d'ouvrages.

M. le président. L'amendement n° 197 rectifié, présenté par MM. Biwer et Béteille, est ainsi libellé :

Compléter la première phrase du IV du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement par les mots :

tout en tenant compte des enjeux énergétiques du pays

La parole est à M. Claude Biwer.

M. Claude Biwer. Toujours dans le même esprit, puisqu'il s'agit d'obtenir pour nos rivières la meilleure qualité écologique possible, je propose que les opérations dans ce domaine soient organisées « tout en tenant compte des enjeux énergétiques du pays ».

Si nos besoins écologiques doivent être satisfaits, il ne faudrait pas, dans le sens contraire, que nos besoins énergétiques soient menacés. Par conséquent, les autorités déconcentrées qui auront à se pencher sur ces problèmes devraient veiller à la protection de l'ensemble des intérêts.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. La disposition que l'amendement n° 642 rectifié tend à supprimer est indispensable pour rendre la loi applicable et permettre la transition entre les anciennes et les nouvelles règles relatives au débit réservé. En conséquence, la commission ne peut être que défavorable à cet amendement.

En ce qui concerne l'amendement n° 322, monsieur Revol, vous craignez que le décret fixant la liste des ouvrages contribuant à la production des énergies en période de pointe et pour lesquels le débit minimal passera au vingtième du module ne soit jamais publié. La commission, partageant pleinement vos préoccupations, a émis un avis favorable sur cet amendement.

Par l'amendement n° 197 rectifié, vous avez bien entendu raison, monsieur Biwer, de souligner la nécessité de tenir compte de la politique énergétique de la France.

Toutefois, en l'état, l'adoption de cet amendement poserait des problèmes juridiques. En effet, en vertu de la loi du 29 juin 1984 relative à la pêche en eau douce et à la gestion des ressources piscicoles, les ouvrages hydrauliques devaient parvenir à un objectif du dixième du débit réservé, avec un objectif intermédiaire fixé au quarantième. Dans l'article 4 du présent projet de loi, le Gouvernement redéfinit ces obligations relatives au débit réservé, en réaffirmant l'objectif du dixième du module, objectif ramené au vingtième pour certains cours d'eau, et fixe des dérogations pour les cours d'eau atypiques ou permet des valeurs de débit réservé différentes selon l'année.

Il n'est donc pas possible de prévoir des atténuations à ces obligations. L'adoption d'un tel amendement poserait, je le répète, des problèmes juridiques. Pour autant, la commission amende sans aucune concession, article après article, le projet de loi qui nous est soumis. En l'espèce, monsieur Biwer, votre amendement est finalement satisfait, et je vous demande donc de bien vouloir le retirer. A défaut, j'émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l'amendement n° 642 rectifié, dont l'adoption aurait pour effet de supprimer toutes les obligations faites aux ouvrages, ce qui serait totalement contradictoire avec les objectifs du projet de loi.

Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 13 de la commission, qui est d'ordre rédactionnel.

La modification proposée dans l'amendement n° 322 est d'ordre réglementaire. Or, au nom du Gouvernement, je m'engage formellement à ce que le décret en question soit effectivement pris avant 2013 (Sourires) ! Sinon, cela signifierait que le fonctionnement de l'Etat n'est véritablement pas cohérent. Cet engagement étant pris, l'amendement n'a plus d'objet, et j'y suis donc défavorable.

Les auteurs de l'amendement n° 197 rectifié souhaitent mentionner dans le texte la nécessité de tenir compte des enjeux énergétiques de notre pays.

Je tiens à rappeler que la règle du dixième retenue pour la fixation de la valeur du débit réservé figure déjà dans l'actuel article L. 432-5 du code de l'environnement. En la matière, le projet de loi a pour objet de fixer une date d'application. S'il me semble effectivement très important de tenir compte du potentiel hydroélectrique sur cette question du débit réservé, l'évaluation d'un tel potentiel doit, à mon sens, se faire sur l'ensemble des activités existantes, et donc prendre en compte l'ensemble des usages. Naturellement, l'enjeu énergétique est important, en particulier au regard des émissions de gaz à effet de serre et du changement climatique.

De plus, cette évaluation serait plus pertinente si elle se faisait à une échelle plus globale, dans le cadre des SDAGE, les schémas directeurs d'aménagement et de gestion, et des SAGE, les schémas d'aménagement et de gestion des eaux. Or il sera prévu par voie réglementaire que les schémas seront soumis pour avis au Conseil supérieur de l'énergie, qui a pour mission de tenir compte des enjeux énergétiques du pays. C'est la raison pour laquelle j'émets un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Monsieur Collombat, l'amendement n° 642 rectifié est-il maintenu ?

M. Pierre-Yves Collombat. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 642 rectifié est retiré.

Je mets aux voix l'amendement n° 13.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Monsieur Revol, l'amendement n° 322 est-il maintenu ?

M. Henri Revol. M. le ministre s'étant engagé à tenir sa promesse et à me donner rendez-vous le 22 décembre 2013 (Sourires), j'en prends acte et je retire donc mon amendement.

M. le président. Cela correspond à un renouvellement du Sénat ! (Rires.)

L'amendement n° 322 est retiré.

Monsieur Biwer, l'amendement n° 197 rectifié est-il maintenu ?

M. Claude Biwer. M. le ministre ayant précisé que les SAGE seront pris en considération, je retire cet amendement. Il ne faudra évidemment pas attendre 2013 pour tenir compte de ces indications, car il s'agit tout de même d'une échéance très lointaine.

M. le président. L'amendement n° 197 rectifié est retiré.

Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 323, présenté par MM. Revol et Le Grand, est ainsi libellé :

Dans le V du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement, remplacer les mots :

ne sont applicables ni au Rhin ni aux parties internationales des cours d'eau partagés

par les mots :

ne s'appliquent pas au Rhin, au Rhône et aux parties internationales des cours d'eau partagés

La parole est à M. Henri Revol.

M. Henri Revol. L'exclusion du Rhône, qui avait été actée lors de la rédaction de la loi « pêche » de 1984, se justifie dans la mesure où le cours de ce fleuve est pour partie conditionné par la gestion du lac Léman, qui relève des autorités suisses.

En période d'étiage, la délivrance des débits réservés sur le Haut-Rhône est complètement dépendante des autorités suisses. Ce mode de gestion du fleuve fait l'objet d'une convention franco-suisse.

L'exclusion du Rhône prévue par la loi de 1984 n'a en rien empêché la mise en place d'une politique cohérente de fixation des débits réservés, dans le cadre d'une concertation locale qu'il est indispensable de préserver.

Tel est l'objet de cet amendement.

M. le président. L'amendement n° 416 rectifié ter, présenté par MM. Vial et du Luart, Mme Gousseau, MM. Billard,  Belot,  Pierre,  Beaumont, Hérisson, Doublet et Braye, est ainsi libellé :

Compléter le V du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement par les mots :

, ni au Rhône, en raison de son influence internationale

La parole est à M. René Beaumont.

M. René Beaumont. Je partage tout à fait les arguments développés par Henri Revol. Par conséquent, je retire l'amendement n° 416 rectifié ter au profit de l'amendement n° 323, dont la rédaction me semble meilleure.

M. le président. L'amendement n° 416 rectifié ter est retiré.

Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 323 ?

M. Bruno Sido, rapporteur. Après avoir recueilli quelques informations auprès du ministère de l'industrie, il apparaît que la gestion du Rhône, pour sa partie en aval, comme l'a très bien indiqué notre collègue Henri Revol, est très dépendante des décisions prises par les autorités suisses.

Je rappelle que le Rhône, comme le Rhin d'ailleurs, prend sa source dans le massif du Saint-Gothard, en Suisse. Il se déverse dans le lac Léman, avant de pénétrer en France. Nous n'avons donc pas la maîtrise pleine et entière de ce fleuve.

En outre, l'enjeu énergétique de cette exclusion serait particulièrement important puisque près de 300 gigawatts-heures sont concernés.

Par conséquent, la commission a émis un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais que vous mesuriez bien les conséquences de l'adoption d'un tel amendement. Le Rhône est tout de même l'un des principaux fleuves français. S'il était décidé que les dispositions du projet de loi relatives à l'ensemble des fleuves français ne lui sont pas applicables, cela supprimerait, de fait, toutes les obligations qui doivent concourir au bon état écologique de ses eaux.

Les dispositions du texte proposé pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement ne s'appliquent pas aux parties internationales des cours d'eau partagés, pour lesquelles des modalités sont retenues, en accord, naturellement, avec les pays concernés.

La partie internationale du Rhône, comme celle des autres cours d'eau qui constituent la frontière entre la France et un autre pays, est visée par le présent projet de loi.

Or la partie internationale du Rhône ne concerne que six kilomètres du fleuve. Faut-il étendre l'exception prévue au V du texte proposé pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement à l'ensemble du cours du Rhône du fait que six kilomètres sur quatre cents kilomètres sont internationaux ? C'est une vraie question !

M. Gérard Delfau. Ce n'est pas sérieux !

M. Serge Lepeltier, ministre. Il est vrai que nous avons installé des ouvrages hydroélectriques sur ce fleuve. Mais que signifierait le fait de prévoir des obligations pour les autres fleuves si le Rhône en était exempté ?

Tout en comprenant vos préoccupations par rapport aux engagements internationaux de la France, je ne suis donc pas certain que toutes les conséquences de cet amendement aient bien été identifiées. Le fait que la partie amont du Rhône ne se trouve pas en France et que ce fleuve possède une partie internationale ne doit pas aboutir à ce que, sur le reste du fleuve, nous nous interdisions d'adopter toute disposition destinée à obtenir un bon état écologique des eaux.

C'est la raison pour laquelle je crois vraiment que vous devriez retirer cet amendement, monsieur Revol. A défaut, je serais obligé d'émettre un avis défavorable.

En effet, si nous adoptions cet amendement, il serait inutile de prévoir des obligations pour la Loire, qui, elle, est totalement française !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur. Monsieur le ministre, vous venez de me donner un cours de géographie ! J'ignorais en effet que la partie internationale du Rhône ne faisait que six kilomètres !

M. Paul Raoult. Il fallait en effet un cours de géographie !

M. Bruno Sido, rapporteur. Effectivement, dans ces conditions, on ne peut pas comparer le Rhin au Rhône, puisque le premier est un fleuve international sur plus de cent cinquante kilomètres, de Bâle à Wissembourg.

Par conséquent, au nom de la commission, je me range, monsieur le ministre, à votre explication.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Ces deux amendements ne sont pas anodins.

Les auteurs de l'amendement n° 323, qui ont décidé de mettre en avant la partie internationale du Rhône, ont essayé de « fouiller » le sujet. La ficelle est un peu grosse, mais pas trop voyante.

Quant aux auteurs de l'amendement n° 416 rectifié ter, ils évoquent l'« influence internationale du Rhône » ! Les châteaux de la Loire ont aussi une influence internationale ! Dans ces conditions, monsieur Beaumont, vous auriez donc pu tout aussi bien exclure la Loire des dispositions prévues par l'article 4 ! Et pourquoi ne pas exclure la Seine puisque Paris possède également une renommée internationale ?

Si je plaisante ainsi, c'est parce que, derrière ces amendements, il ne s'agit pas de savoir si un fleuve possède ou non une partie internationale. Il s'agit en fait de l'opposition d'un certain nombre de personnes à l'évolution de la loi s'agissant de l'amélioration de la qualité écologique des rivières et des fleuves.

Ces personnes défendent certains intérêts, malheureusement de façon dispersée : en effet, deux amendements ont été déposés, ce qui montre bien qu'il n'y a pas une cohérence d'esprit, une logique, qui sous-tendrait une telle position. Ces personnes cherchent, par tous les moyens, à exclure un certain nombre de rivières et de fleuves des dispositions de ce projet de loi.

Une telle volonté est particulièrement frappante dans les amendements nos 323 et 416 rectifié ter.

Par ailleurs, monsieur le président, s'agissant du bon déroulement de nos débats, j'observe que le texte des amendements nos 416 rectifié bis et 416 rectifié ter est identique. Dois-je en conclure que le numéro de l'amendement change lorsque la liste des signataires est modifiée ? Je pense que nous pourrions nous dispenser de telles complications, ce qui permettrait d'alléger le travail de l'ensemble des fonctionnaires lors de l'examen d'un long texte et de réduire le nombre de documents que nous devons manipuler en séance. Un peu de sérieux, mes chers collègues !

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Emin, pour explication de vote.

M. Jean-Paul Emin. Riverain du Rhône, je connais particulièrement bien ce secteur géographique et je ne suis pas convaincu par l'argument pourtant très frappant selon lequel la partie internationale du Rhône ne fait que six kilomètres.

En effet, en amont, en Suisse, se trouve une très grosse installation hydroélectrique. Certes, la partie du fleuve située après le lac Léman et avant la frontière avec la France s'étend effectivement sur six kilomètres. Mais la gestion hydraulique est complètement gouvernée par les Suisses, qui maintiennent le lac Léman à un niveau compatible avec les activités qui y sont liées, notamment les activités touristiques.

Par conséquent, nous n'avons pas la maîtrise objective de ce qui se passe sur le Rhône, à tel point que, lorsque nous cherchons à créer une navigabilité sur cette partie du Haut-Rhône qui traverse le département de l'Ain, nous n'arrivons pas à obtenir de nos voisins suisses - de nombreuses discussions sont d'ailleurs en cours avec eux sur ce sujet - des garanties concernant le niveau de navigabilité.

C'est donc bien la preuve que l'argument relatif à la non-dépendance de la France par rapport à la Suisse pour ce fleuve ne me paraît pas, pour en avoir quotidiennement la preuve, défendable.

Personnellement, je suis donc favorable à l'amendement déposé par M. Revol.

M. le président. La parole est à M. René Beaumont, pour explication de vote.

M. René Beaumont. Il ne s'agit bien sûr pas de défendre l'amendement que j'ai retiré tout à l'heure. En effet, monsieur Desessard, si je l'ai retiré, c'est parce qu'il ne me semblait pas très bien rédigé. J'aurais préféré le modifier, en mentionnant la « situation internationale » du fleuve plutôt que son « influence internationale ».

Cela dit, je partage tout à fait, sur le fond, les arguments développés à l'instant par Jean-Paul Emin.

S'il est vrai, monsieur le ministre, que la partie internationale du Rhône ne couvre que six kilomètres, l'influence du débit, contrôlé par le gouvernement helvétique, du lac Léman sur l'ensemble du fleuve s'étend sur cent kilomètres. Cette partie du fleuve est d'ailleurs nommée le Haut-Rhône, terme judicieusement employé par l'homme de terrain qu'est Jean-Paul Emin.

Je crois donc qu'il faudrait exclure le Haut-Rhône de ces dispositions, afin que sa gestion soit réglée par une convention internationale, comme c'était le cas jusqu'à présent et comme la loi « pêche » l'avait prévu.

Bien évidemment, cela ne doit pas soustraire l'ensemble du Rhône, en particulier la partie du fleuve qui s'écoule à partir de la retenue de Génissiat ou de Belley - la limite se situe dans cette région -, des règlements qui s'imposeront aux autres fleuves. Sur ce point, je suis tout à fait d'accord avec M. le ministre.

Nous ne maîtrisons pas du tout le Haut-Rhône, si ce n'est à travers une convention internationale beaucoup plus complexe que ce texte puisqu'elle règle non seulement le débit de Génissiat, mais également celui du barrage-usine suisse de Chancy-Pougny.

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, pour explication de vote.

M. Gérard Delfau. Je ne comprends pas, dans le raisonnement présenté par nos collègues à l'instant, comment une difficulté de relation ou de négociation entre la France et la Suisse serait réglée par cet amendement, qui aurait pour conséquence de rendre caduques toutes les dispositions que nous sommes en train d'adopter pour l'ensemble des fleuves.

Manifestement, il y a là un problème entre le Gouvernement français et son homologue suisse, ce qui ne doit pas nous conduire à déclarer la guerre !

Quoi qu'il en soit, je ne réussis pas à saisir la rationalité d'un tel amendement.

M. Jean Desessard. La bataille de l'eau !

M. le président. Monsieur Revol, l'amendement n° 323 est-il maintenu ?

M. Henri Revol. Né près du Rhône, j'ai une certaine connaissance de sa géographie. Par ailleurs, il est bien connu que l'amont commande l'aval. Or le lac Léman n'est pas un petit étang : c'est un lac extrêmement important en termes de volume, qui a une influence considérable sur tout ce que l'on qualifie, effectivement, de Haut-Rhône.

La loi « pêche » de 1984, dont les dispositions excluaient justement le Rhône, avait d'ailleurs bien reconnu cette spécificité. Je ne me range donc pas à l'avis donné par M. le ministre, et je maintiens cet amendement.

M. Ladislas Poniatowski. Pourquoi ne pas modifier l'amendement en précisant qu'il s'agit du Haut-Rhône ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Serge Lepeltier, ministre. Monsieur Revol, le débit de référence dont nous parlons est mesuré à partir de la frontière française.

Par ailleurs, il n'existe pas de risque en amont puisque la France a signé avec la Suisse la convention du Léman, qui définit très précisément le débit à la frontière.

Or les obligations générales en matière de débit réservé dépendent du débit de référence, qui, naturellement, est calculé à partir de la frontière française et ne concerne donc que la France.

Selon moi, cela répond à vos préoccupations, qui sont traitées dans le cadre des accords internationaux.

Par rapport à l'objectif du projet de loi, il me semblerait que le fait d'exclure le Rhône, qui est l'un des plus grands fleuves français, reviendrait à adresser un signe extrêmement négatif à l'égard des autres territoires. Sans compter que la situation du Rhône lui-même nécessite de telles obligations !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 323.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 4, modifié.

(L'article 4 est adopté.)

Art. 4 (suite)
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Art. 5

Article additionnel avant l'article 5

M. le président. L'amendement n° 355 rectifié, présenté par MM. Bailly et  Revet, Mme Sittler, MM. César,  Mortemousque,  Ginoux et  Vasselle, est ainsi libellé :

Avant l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans chaque département, le préfet établit la liste des cours d'eau.

La parole est à M. Charles Revet.

M. Charles Revet. Cet amendement a pour objet d'obliger le représentant de l'Etat dans le département à établir la liste des cours d'eau. En effet, cette définition, qui repose essentiellement sur la jurisprudence, peut varier d'un département à l'autre. Pour éviter des contentieux et des incertitudes, il est indispensable que l'Etat fixe des principes généraux tendant à définir les cours d'eau.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. Nous sommes au coeur du texte en abordant les problèmes liés à l'écoconditionnalité, question sur laquelle M. Bailly était revenu plusieurs fois à la charge. Cette politique justifie toutes les redevances prévues à l'article 37 et le fait que les agriculteurs ne paieront pas de redevance sur les nitrates.

Entre le 25 et le 31 décembre, M. le ministre de l'agriculture nous a envoyé, à nous, agriculteurs, deux fascicules fondamentaux.

Le premier fascicule indiquait les sanctions, alors que nous n'avions encore rien fait de mal. Le second fascicule visait à mettre en place une véritable politique d'écoconditionnalité.

Je voudrais d'abord dire que cette politique « proposée » aux agriculteurs, et assortie de sanctions en cas de non-application des règles édictées, est une réalité. En particulier, il est proposé aux agriculteurs - c'est un euphémisme ! - de prévoir des bandes enherbées le long des cours d'eau. Après négociation entre les directions départementales de l'agriculture, les DDA, de chaque département et les syndicats représentatifs - dont les adhérents paient une cotisation volontaire et non obligatoire -, il a été décidé qu'il s'agirait des traits pleins en bleu sur les cartes de l'Institut géographique national, l'IGN, les plus récentes. Cette précision est importante.

Les agriculteurs se retrouvent dans une situation d'insécurité juridique tout à fait majeure. En effet, cette politique d'écoconditionnalité prévoit à leur encontre des sanctions financières pouvant aller jusqu'à 5 %, voire 100 % en cas de mauvaise foi et de volonté affirmée de ne pas respecter cette écoconditionnalité.

Notre éminent collègue M. Bailly a donc eu une très bonne idée en suggérant de définir les cours d'eau. C'était le bon sens paysan. En effectuant des recherches, on s'est d'ailleurs aperçu que les premières tentatives de définition dataient de l'époque de Jules César au moins. Le contentieux était extraordinairement important en la matière. D'ailleurs, les traces écrites dont nous disposons remontent à l'époque de Louis XIV, voire à une période antérieure. Elles démontrent que l'on connaissait déjà des difficultés pour définir les cours d'eau. Cela se comprend parfaitement : en raison de l'extraordinaire diversité de la France, les cours d'eau du midi de la France n'avaient strictement rien à voir avec ceux du Nord ou de l'Est, par exemple. Il est donc extrêmement difficile de définir un cours d'eau.

L'idée de notre collègue Bailly d'établir la liste des cours d'eau me paraît très bonne : la France est maillée d'un réseau géographique assez fin composé de cent départements ; elle dispose d'une autorité d'Etat capable de prendre ses responsabilités et flanquée des directeurs départementaux de l'équipement, des directeurs départementaux de l'agriculture, des directeurs départementaux des affaires sanitaires et sociales, bref, de tout un aréopage susceptible de définir dans chaque département les cours d'eau.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut adopter cet amendement parce qu'il est plus que subtil, il est intelligent. Plutôt que de chercher à définir les cours d'eau, il vaut mieux demander à l'autorité administrative de les désigner. Ainsi, les agriculteurs auront toute sécurité juridique en la matière. En tout état de cause, la commission émet un avis favorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Je comprends bien l'argumentation de M. le rapporteur, mais je vais tenter d'apporter quelques éclaircissements.

Il y a un risque à mélanger une liste de cours d'eau au sens général avec les exigences de la politique agricole commune concernant les bandes enherbées.

Comme l'a précisé M. le rapporteur, la définition des cours d'eau a été construite par la jurisprudence, adaptée depuis plusieurs siècles en fonction de la diversité des situations que l'on peut rencontrer, qu'il s'agisse d'un cours d'eau au régime méditerranéen à sec l'été ou d'une source importante donnant naissance à un cours d'eau. Tout cela est extrêmement compliqué.

La qualification juridique de cours d'eau, distinct d'un simple canal ou d'une ravine, est importante pour les propriétaires, puisqu'elle emporte des obligations relatives notamment à l'entretien des cours d'eau. Elle entraîne également l'obligation de contrôle par l'administration des ouvrages intéressant le libre écoulement des eaux.

Cependant, vous avez raison, monsieur le rapporteur, cette définition n'est pas suffisamment connue sur le plan local. C'est la raison pour laquelle j'ai adressé aux préfets, le 2 mars dernier, une circulaire pour leur rappeler cette définition des cours d'eau et les inviter à harmoniser la position des différents services de l'Etat et de ses établissements publics. Je leur ai également demandé de mettre en oeuvre toute la concertation qui s'avérerait nécessaire avec les différents acteurs, en particulier avec la profession agricole.

Enfin, j'ai engagé avec mes collègues des ministères de l'intérieur, de l'agriculture, de l'équipement et de l'industrie une réflexion pour réformer les services chargés de la police de l'eau afin de regrouper les services actuellement éclatés et en assurer la cohérence.

Il existe en effet un risque d'inadéquation entre la jurisprudence résultant de la tradition et la liste des cours d'eau établie par le préfet, liste qui risque d'être attaquée. Cette situation sera très compliquée et pourra être à l'origine de contentieux du fait de l'existence de certains droits juridiques.

Parallèlement, dans le cadre de la politique agricole commune, il est prévu de mettre en place des bandes enherbées le long des cours d'eau ou le long des axes hydrauliques importants pour lutter contre les pollutions diffuses. Je parle volontairement d'axes hydrauliques, et pas seulement de cours d'eau, parce que l'intérêt de bandes enherbées pour lutter contre les pollutions diffuses n'est pas lié à la qualification juridique d'un cours d'eau. La mise en place de bandes enherbées le long d'un canal peut ainsi se révéler efficace sans que ce canal ait obligatoirement le statut juridique de cours d'eau.

Dans tous les cas, les agriculteurs qui sont concernés par la conditionnalité des aides de la PAC doivent savoir précisément à quoi s'en tenir. Pour éviter toute confusion entre la définition du cours d'eau qui va être inévitablement donnée par cette liste et les obligations liées à la PAC, il me semblerait judicieux que les préfets précisent, après concertation locale, la définition des axes hydrauliques nécessitant la mise en place de bandes enherbées.

Même si je comprends les motivations des auteurs de l'amendement, je ne suis pas favorable à l'insertion d'une telle qualification juridique dans la loi, qui risquerait d'entraîner une confusion.

C'est la raison pour laquelle je vous proposerai plutôt d'attendre la deuxième lecture de ce texte afin que nous fassions entre-temps une étude juridique de tout cela. Nous pourrons ainsi apporter une réponse sur ce risque de confusion qui existe entre la définition du cours d'eau et les obligations des agriculteurs liées à la PAC.

A ce stade, monsieur le sénateur, je vous invite donc à retirer votre amendement.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur. Je comprends bien le souci de M. le ministre. A partir du moment où le préfet établit la liste des cours d'eau, d'autres conséquences que celles sur la PAC et l'écoconditionnalité peuvent en résulter.

Par conséquent, je dépose, au nom de la commission, un sous-amendement visant à compléter l'amendement n° 355 rectifié par les mots suivants: « le long desquels il est nécessaire, en application des critères d'écoconditionnalité, d'implanter des bandes enherbées. »

M. Jean Desessard. Ces dispositions relèvent de décrets !

M. Bruno Sido, rapporteur. Non, on ne peut attendre ni décrets ni deuxième lecture. Les agriculteurs seront contrôlés à partir du 1er mai 2005.

M. le président. Je suis donc saisi d'un sous-amendement n° 686, présenté par M. Sido, au nom de la commission des affaires économiques, et ainsi libellé :

Compléter in fine le texte proposé par l'amendement n°355 rectifié par les mots :

le long desquels il est nécessaire, en application des critères d'écoconditionnalité, d'implanter des bandes enherbées

Quel est l'avis du Gouvernement sur ce sous-amendement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Ce sous-amendement répond complètement à la demande que j'ai exprimée tout à l'heure concernant l'établissement d'une liste de cours d'eau de façon générale et non pas ciblée sur un objectif qui serait celui de la conditionnalité des aides dans le cadre de la politique agricole commune. Nous sommes donc bien là au coeur du sujet.

Il nous restera, dans le libellé du texte définitif, à savoir si le mot « écoconditionnalité » entre bien dans notre vocabulaire. Mais, au fond, la loi est aussi faite pour introduire de nouvelles expressions qui sont parfaitement connues dans le langage courant. Et nous commençons à comprendre ce que signifie l'« écoconditionnalité » ! Le Gouvernement est donc favorable à ce sous-amendement.

M. le président. La parole est à M. Paul Raoult, pour explication de vote.

M. Paul Raoult. J'ai l'impression que l'on va voter dans la confusion. Un problème se pose effectivement aujourd'hui pour les agriculteurs : où doivent être prévues les bandes enherbées ? Mais est-ce à l'occasion de l'examen d'un projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques que l'on peut régler cette question ?

Vous le savez très bien, sur les cartes de l'IGN, les fleuves sont en bleu, et des tirets bleus représentent des eaux intermittentes, comme il peut y avoir dans les zones de craie ; ce sont les vallées sèches : il y a de l'eau quand il pleut, et vingt-quatre heures après, il n'y en a plus. Faudra-t-il prévoir une bande enherbée le long de ces vallées sèches alors que le débit n'est pas continu ? Telle est la question concrète qui est posée ;

Est-ce à l'occasion de ce projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques que l'on peut régler ce problème ? Une concertation s'impose avec les chambres d'agriculture et les préfets pour établir une carte, département par département et région par région.

Prenons le cas du Nord-Pas-de-Calais : les rivières se moquent des limites administratives, et il ne faudrait pas qu'un préfet décide d'une façon et que le préfet du département voisin prenne une autre décision.

Il existe un problème réel, important, qu'il faut tenter de résoudre ; M. le ministre en a parfaitement conscience. Pour y parvenir, il faut agir dans la concertation en fonction de la nature des sols, pays par pays. Il y a quand même urgence.

Quant au texte qui nous est proposé, les choses ne sont pas toujours aussi simples qu'elles en ont l'air. J'ai le sentiment - peut-être mes propos vont-ils être mal interprétés - que la culture environnementale de nos préfets n'est pas toujours égale. Il suffit de voir comment a été appliqué le programme Natura 2000 d'une région à l'autre, comment les préfets réagissent par rapport à la législation sur les parcs naturels régionaux pour se rendre compte que l'écho que l'on peut trouver auprès de nos chers esprits préfectoraux n'est pas toujours identique. Parfois, il suffit que le préfet change pour que la sensibilité environnementale s'exprime d'une manière totalement différente.

Par conséquent, si je fais confiance aux préfets et à la façon qu'ils ont d'obéir à leur ministre, il m'arrive tout de même parfois de constater certaines différences notables. En d'autres termes, il me semble que, si ce domaine est certes de nature régalienne, il doit relever d'un niveau supérieur à celui du préfet. C'est pourquoi il nous faut définir des règles permettant au ministère de donner des instructions précises aux préfets pour qu'ils puissent répondre à ces questions de manière tout aussi précise.

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, pour explication de vote.

M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens simplement à faire part de mon étonnement devant le fait que l'on devrait régler par la loi, à la sauvette, avant le 1er mai - nous sommes déjà le 6 avril ! - un problème posé par l'Europe. Il s'agit là d'une façon de légiférer qui est indigne du Sénat !

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 686.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 355 rectifié, modifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l'article 5.

Art. additionnel avant l'art. 5
Dossier législatif : projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques
Art. additionnel après l'art. 5

Article 5

I. - Le code de l'environnement est ainsi modifié :

1° Au troisième alinéa de l'article L. 215-2, les mots : « le curage conformément aux règles établies par les articles L. 215-14 à L. 215-24 » sont remplacés par les mots : « l'entretien conformément aux dispositions de l'article L. 215-14 » ;

2° L'article L. 215-4 est ainsi modifié :

- à la fin du premier alinéa, sont ajoutés les mots : « sous réserve que ces mesures ne fassent pas obstacle à la réalisation d'une opération entreprise pour la gestion de ce cours d'eau en application de l'article L. 211-7. » ;

- au deuxième alinéa, après les mots : « peuvent, dans l'année » sont ajoutés les mots : « et dans les mêmes conditions, » ;

3° La section 3 du chapitre V du titre Ier du livre II est remplacée par les dispositions suivantes :

« Section 3

« Entretien et restauration des milieux aquatiques

« Art. L. 215-14. - Sans préjudice des articles 556 et 557 du code civil et des dispositions des chapitres Ier, II, IV, VI et VII du présent titre, le propriétaire riverain est tenu à un entretien régulier du cours d'eau, notamment par enlèvement des dépôts, embâcles et débris, flottants ou non, par élagage ou recépage de la végétation des rives. L'entretien a pour objet de maintenir le cours d'eau dans son profil d'équilibre, de permettre l'écoulement naturel des eaux, d'assurer la bonne tenue des berges et de contribuer à son bon état écologique où, à défaut, à son bon potentiel écologique.

« L'entretien des cours d'eau peut être réalisé selon les anciens règlements ou d'après les usages locaux sous réserve de la conformité de ceux-ci avec les lois et règlements en vigueur.

« Art L. 215-15. - Les conditions dans lesquelles l'entretien peut faire l'objet d'opérations groupées et celles dans lesquelles il peut être recouru au curage ainsi qu'au dépôt et à l'épandage des matières de curage sont définies par décret en Conseil d'État.

« Art. L. 215-16. - Si le propriétaire ne s'acquitte pas de l'obligation d'entretien régulier qui lui est faite par l'article L. 215-14, la commune, après une mise en demeure restée infructueuse, peut y pourvoir d'office à la charge de l'intéressé.

« Le maire émet à l'encontre du propriétaire un titre de perception du montant correspondant aux travaux exécutés. Il est procédé au recouvrement de cette somme au bénéfice de la commune, comme en matière de créances de l'État étrangères à l'impôt et au domaine.

« Art. L. 215-17. - Toutes les contestations relatives à l'exécution des travaux, à la répartition des dépenses et aux demandes en réduction ou en décharge formées par les imposés sont portées devant la juridiction administrative.

« Art. L. 215-18. - Pendant la durée des travaux, les propriétaires sont tenus de laisser passer sur leurs terrains les fonctionnaires et les agents chargés de la surveillance, les entrepreneurs ou ouvriers, ainsi que les engins mécaniques strictement nécessaires à la réalisation de travaux, dans la limite d'une largeur de six mètres.

« Les terrains bâtis ou clos de murs à la date du 3 février 1995 ainsi que les cours et jardins attenant aux habitations sont exempts de la servitude en ce qui concerne le passage des engins.

« Ce droit s'exerce autant que possible en suivant la rive du cours d'eau et en respectant les arbres et plantations existants. »

 II. - L'article 130 du code minier est ainsi modifié :

1° Au deuxième alinéa, les mots : « les opérations de dragage des cours d'eau et » sont supprimés ;

2° Le troisième alinéa est abrogé.

III. - Au 3° de l'article L. 151-36 du code rural, les mots : « Curage, approfondissement, redressement et régularisation des canaux et cours d'eau non domaniaux et des canaux de dessèchement et d'irrigation » sont remplacés par les mots : « Entretien des canaux et fossés ».

M. le président. L'amendement n° 544, présenté par M. Desessard et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Dans la première phrase du premier alinéa du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 215-14, du code de l'environnement, après le mot :

régulier

insérer les mots :

et sélectif

et après le mot :

enlèvement

insérer le mot :

limité

et après le mot :

recépage

insérer le mot :

limité

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le ministre, nous apprécions que, dans ce projet de loi, la notion d'entretien soit substituée à la notion de curage, afin que l'entretien des rivières et des cours d'eau se fasse de manière douce et non au moyen de bulldozers, de pelleteuses ou autres engins qui détruisent l'environnement alentour.

Cet amendement, comme les deux suivants, ont donc une portée pédagogique, et visent à préciser la notion d'entretien.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. La commission comprend bien le souci de M. Desessard, qui nous propose de préciser ce que recouvre l'entretien.

Toutefois, à force de vouloir minorer les choses et d'évoquer l'entretien régulier « et sélectif », l'enlèvement « limité », le recépage « limité », etc., l'on aboutit quasiment à ne plus rien entretenir du tout !

La définition de l'entretien qui résulterait de cet amendement, s'il était adopté, a paru à la commission trop restrictive. C'est pourquoi celle-ci a émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Les modifications proposées dans cet amendement risquent d'entraîner des difficultés d'interprétation, alors que des précisions peuvent parfaitement être apportées par décret.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.

M. le président. Monsieur Desessard, l'amendement est-il maintenu ?

M. Jean Desessard. Au regard des hautes responsabilités qui sont les nôtres par rapport à ce projet de loi, je ne voudrais pas compliquer les choses et faire courir ensuite à la loi le risque d'être soumise à diverses interprétations.

Par conséquent, étant en cela plus responsable que ceux de mes collègues qui tiennent absolument à maintenir certains termes relevant du domaine réglementaire, je retire cet amendement.

M. le président. L'amendement n° 544 est retiré.

L'amendement n° 14, présenté par M. Sido, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :

Dans la première phrase du premier alinéa du texte proposé par le 3° du I de cet article pour l'article L. 215-14 du code de l'environnement, remplacer le mot :

dépôts

par le mot :

atterrissements

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur. Cet amendement vise à souligner l'imprécision de la notion de dépôt. En outre, le texte permet déjà aux personnes responsables de l'entretien d'enlever les embâcles et débris, qu'ils soient ou non flottants.

En revanche, il convient de prévoir dans la loi que l'entretien doit également permettre d'enlever les atterrissements, c'est-à-dire les bancs de sable, de terre ou de limon qui se forment au milieu des rivières.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Le terme « atterrissements » étant effectivement plus approprié, le Gouvernement est favorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 14.

(L'amendement est adopté à l'unanimité.)

M. le président. L'amendement n° 354 rectifié, présenté par MM. Bailly,  Revet,  César,  Mortemousque,  Ginoux et  Vasselle, est ainsi libellé :

Compléter la première phrase du premier alinéa du texte proposé par le 3° du I de cet article pour l'article L. 215-14 du code de l'environnement par les mots :

, sans qu'une autorisation soit nécessaire.

La parole est à M. Georges Ginoux.

M. Georges Ginoux. Cet amendement a pour objet de préciser que les propriétaires riverains, dans le cadre de leurs obligations légales d'entretien des cours d'eau et des berges, n'ont pas besoin d'obtenir une autorisation de la part de l'administration pour effectuer ces tâches d'entretien. En effet, bien souvent, les propriétaires sont verbalisés pour des travaux qu'ils réalisaient pourtant de bonne foi, croyant respecter les principes généraux de l'entretien.

Cet amendement vise donc à éviter que de telles situations ne se reproduisent.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. Le projet de loi, dans un premier temps, définit ce qu'est l'entretien, et, dans un second temps, dispose que les propriétaires riverains sont tenus de réaliser cet entretien ; dans ces conditions, il va de soi que ce dernier ne nécessite pas d'autorisation de la part de l'administration, sauf si les travaux effectués sur son fondement conduisent à l'extraction de quantités importantes de matériaux.

Cela dit, il n'est peut-être pas inutile d'insérer une telle précision dans le texte. C'est pourquoi la commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement, en attendant de connaître la position du Gouvernement.

M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Il convient de rappeler que la réglementation sur l'eau repose sur une nomenclature qui définit les seuils de déclaration ou les seuils d'autorisation. Or les travaux d'entretien individuels se situent en dessous de ces seuils, sans qu'il soit par conséquent nécessaire de le préciser.

En revanche, il n'est pas exclu que le propriétaire ait à veiller au respect d'autres aspects de la protection de l'environnement, et votre proposition, monsieur Ginoux, entraînerait donc des risques de confusion entre les diverses procédures.

Par ailleurs, je voudrais souligner qu'une démarche de simplification de la police de l'eau est en cours, en application de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit, et le projet d'ordonnance devrait être publié avant la deuxième lecture, ce qui serait, je crois, de nature à répondre à votre préoccupation, monsieur le sénateur.

Je vous demande donc de bien vouloir retirer cet amendement puisqu'il sera satisfait par la publication du projet d'ordonnance.

M. le président. Monsieur Ginoux, l'amendement est-il maintenu ?

M. Georges Ginoux. Compte tenu des explications que vient de m'apporter M. le ministre, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 354 rectifié est retiré.

L'amendement n° 15, présenté par M. Sido, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :

Dans la seconde phrase du premier alinéa du texte proposé par le 3° du I de cet article pour l'article L. 215-14 du code de l'environnement, remplacer les mots :

à défaut

par les mots :

le cas échéant

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur. Il s'agit d'un amendement rédactionnel.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 15.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 16, présenté par M. Sido, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :

Supprimer le second alinéa du texte proposé par le 3° du I de cet article pour l'article L. 215-14 du code de l'environnement.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur. Il s'agit, cette fois, d'un amendement de coordination.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 16.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 418 rectifié bis, présenté par MM. Vial et  du Luart, Mme Gousseau, MM. Billard,  Belot,  Pierre , Beaumont, Doublet et Braye, est ainsi libellé :

Compléter le texte proposé par le 3° du I de cet article pour l'article L. 215-14 du code de l'environnement par deux alinéas ainsi rédigés :

« La procédure de déclaration d'intérêt général constitue la référence administrative unique légitimant l'intervention des collectivités locales en matière d'entretien du lit des cours d'eau tel que défini au présent article.

« La déclaration d'intérêt général s'applique sans limitation de durée. Toutefois, elle peut être révisée ou dénoncée à l'initiative motivée du préfet ou de la collectivité locale.

La parole est à M. René Beaumont.

M. René Beaumont. Il s'agit d'un amendement de simplification administrative et de cohérence tendant simplement à prévoir que la procédure de déclaration d'intérêt général constitue la référence administrative unique légitimant l'intervention de tous ceux qui sont appelés à intervenir, qu'il s'agisse des collectivités locales, des syndicats mixtes, voire, le cas échéant, des associations privées habilitées.

La déclaration d'intérêt général s'applique sans limitation de durée, même si, bien sûr, elle peut être révisée ou dénoncée sur l'initiative du préfet ou de la collectivité locale concernée.

Il convient d'étendre à toute autorisation administrative et à tout gestionnaire d'ouvrage ou d'entretien la possibilité de programmes pluriannuels.

En fait, il s'agit pour les collectivités de disposer d'un programme pluriannuel cohérent de travaux d'entretien des cours d'eau en tenant compte des financements qu'elles auront pu rassembler au cours des années.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido. Nous abordons ici un sujet que nous examinerons plus en détail ultérieurement, lorsque viendra en discussion l'amendement n° 17, présenté par la commission.

Sur le fond, il me semble préférable de fixer un délai pour l'application de la déclaration d'intérêt général.

C'est la raison pour laquelle la commission souhaiterait que les auteurs de l'amendement n° 418 rectifié bis se rallient à l'amendement n° 17, et retirent par conséquent leur amendement ; à défaut, la commission émettra un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Pour les mêmes raisons que celles qu'a invoquées M. le rapporteur, le Gouvernement émet un avis défavorable.

M. le président. Monsieur Beaumont, l'amendement est-il maintenu ?

M. René Beaumont. Je fais confiance à M. le rapporteur, me réservant le droit d'intervenir sur l'amendement n° 17 si je considérais ne pas avoir obtenu satisfaction. Je retire donc l'amendement n° 418 rectifié bis.

M. le président. L'amendement n° 418 rectifié bis est retiré.

L'amendement n° 541, présenté par MM. Cazeau et  Raoult, Mme Alquier, MM. Madrelle,  Miquel,  Vézinhet et  Desessard, est ainsi libellé :

Compléter le texte proposé par le 3° du  I de cet article pour l'article L. 215-14 du code environnement, par deux alinéas ainsi rédigés :

« L'obligation d'entretien destinée à favoriser l'équilibre écologique des cours d'eau est étendue aux cours d'eaux domaniaux de l'État ou des collectivités.

« Dans le cadre des schémas d'aménagement coordonnés, la prise en compte des impératifs de gestion équilibrée des cours d'eau dans l'élaboration des plans locaux d'urbanisme est garantie.

La parole est à M. Paul Raoult.

M. Paul Raoult. Cet amendement tend à prévoir les mêmes obligations d'entretien pour les rivières domaniales et non domaniales.

Pour ce faire, le premier alinéa tend à modifier le code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure ; quant au second alinéa, il vise à éviter des aménagements anarchiques sur les bords des cours d'eau, tant il est vrai qu'un certain nombre de cours d'eau domaniaux, qui mériteraient des travaux d'entretien significatifs, se heurtent assez souvent à un refus de l'Etat d'intervenir. Or, il me paraît indispensable que l'Etat accomplisse son devoir.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. Monsieur Raoult, cet amendement est satisfait par l'amendement n° 21 de la commission, que nous examinerons ultérieurement et qui prévoit d'introduire une modification de même nature dans le code du domaine public fluvial.

Je vous invite donc à retirer votre amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. La procédure prévue par cet amendement est intéressante, mais le domaine public fluvial ne relève pas du code de l'environnement que cet amendement tend à modifier.

Comme l'a dit M. le rapporteur, l'amendement n° 21 de la commission vise à modifier le code du domaine public fluvial dans le sens que vous souhaitez, monsieur le sénateur. C'est pourquoi je vous invite à retirer votre amendement.

M. le président. La parole est à M. Paul Raoult, pour explication de vote.

M. Paul Raoult. Monsieur le ministre, j'insiste pour que soit rappelé le devoir de l'Etat en matière de nettoyage, de curage, d'entretien des cours d'eaux domaniaux.

Alors que je demandais le nettoyage et l'entretien de la Sambre, dans un parc naturel régional que je connais bien, on m'a répondu qu'il n'y avait rien à faire ! Pourtant, nous savons pertinemment que des milliers de tonnes de sédiments doivent être enlevés de cette rivière.

Certes, il y a peut-être des métaux lourds dans la Sambre, et ce nettoyage devrait donc coûter relativement cher. Il n'empêche que la Sambre n'est plus aujourd'hui navigable tant le fond du canal est encombré de sédiments.

M. le président. La parole est à M. Daniel Soulage, pour explication de vote.

M. Daniel Soulage. En tant qu'agriculteur, je voudrais vous faire part de mon inquiétude. Je suis né au bord d'une rivière, et j'exploite de petites bandes de terres qui courent, sur près d'un kilomètre, le long d'un ruisseau.

Mon inquiétude est simple : si je suis tout à fait d'accord avec les termes qui ont été employés, j'ai néanmoins l'impression que nous ne mettons pas tous la même chose derrière les mots.

J'entends le mot « entretien », et je comprends qu'il doit se faire à la main : on me dit « sans pelle mécanique ». Si ce n'est pas mécanique, l'entretien se fait à la main !

On me parle d'enlever les atterrissages, mais non les embâcles. Peut-être savez-vous le faire, mais je vous garantis, pour avoir eu à y procéder à la main, sous un moulin, que ce n'est pas évident.

Il faudra donc recommander la prudence aux corps de contrôle, et instituer peut-être un code de bonne conduite, avant la deuxième lecture du texte.

Ayant présidé pendant vingt ans un syndicat intercommunal, je peux dire que l'application du texte à l'assainissement ou à l'entretien des ruisseaux sera sans doute très difficile.

Par conséquent, il sera nécessaire, avant l'application de cette loi, de préciser le sens des termes employés. Qu'est-ce, par exemple, qu'un « entretien significatif » ? Et que serait un entretien qui ne serait pas significatif ?

Il ne s'agit pas ici, pour moi, de faire du mauvais esprit : en tant que maire et donc en tant qu'arbitre, j'ai été amené à connaître de nombreuses situations de ce type : elles sont plus fréquentes qu'on ne le pense.

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.

M. Alain Vasselle. Je voudrais attirer l'attention de M. le ministre sur certaines situations.

L'article L. 215-14 du code de l'environnement ne vise que la responsabilité des propriétaires. Il est pourtant des cas où l'entretien des berges et des cours d'eau est assuré non par les propriétaires mais par des syndicats de communes.

Une situation un peu particulière m'a été rapportée par un ensemble de propriétaires riverains de la Sauldre, rivière qui traverse le Cher et coule également dans le Loir-et-Cher.

Dans le département du Cher, un syndicat a décidé de nettoyer l'ensemble de la partie arbustive se trouvant de part et d'autre de la Sauldre. L'opération a été si bien faite que toute la végétation arbustive a été supprimée ! Les berges se sont effondrées, le lit de la rivière a bougé et a atteint une partie de la propriété concernée.

Du fait de ce détournement et de l'action des eaux dans un certain nombre de méandres, le propriétaire a vu ses terres amputées d'une partie de leur surface. Un certain nombre d'arbres, déstabilisés, sont tombés dans la Sauldre.

Le syndicat a alors affirmé qu'il n'y pouvait rien, et que c'était au propriétaire d'enlever les arbres tombés ! Dans cette circonstance, c'est pourtant bien le syndicat et non le propriétaire qui avait réalisé ce travail de façon non adéquate.

Il faut donc, quand nous votons des dispositions législatives, trouver la bonne mesure pour ne pas faire supporter au propriétaire une dépense résultant d'une action qui n'a pas été menée correctement par un syndicat de communes en ayant pris la responsabilité.

M. le président. Monsieur Raoult, l'amendement est-il maintenu ?

M. Paul Raoult. Je confirme les propos de notre collègue Daniel Soulage. Je lis ainsi, dans l'amendement n° 17, que « le dépôt ou l'épandage des produits de curage est subordonné à l'évaluation de leur innocuité vis à vis de la protection des sols et des eaux ».

Nous sommes tous des élus. L'agriculteur situé en aval d'une rivière et qui, du jour au lendemain, voit son champ recouvert de tonnes de boue constate neuf fois sur dix que le terrain devient stérile, même lorsque cette boue est dépourvue de métaux lourds.

On perd ainsi des quintaux de blé à l'endroit où se sont étalés les atterrissements de la rivière. J'ai souvenir de vaches, mortes d'avoir mangé l'herbe qui poussait sur ces atterrissements.

C'est une réalité quotidienne, et il arrive que les élus se déchargent du problème sur les propriétaires et les agriculteurs, sans se soucier du reste.

Il s'agit là d'un problème compliqué : traiter toutes ces boues, même en l'absence de métaux lourds, est un travail difficile. Il faut pourtant se mettre un peu à la place des propriétaires et des agriculteurs riverains de ces parcelles.

De plus, les parcelles sont configurées de telle façon qu'un propriétaire peut avoir une parcelle de 500 mètres de long sur 40 ou 50 mètres de large tout le long de la rivière. Du même coup, ce propriétaire devra payer pour les autres !

Voilà des problèmes concrets qui sont parfois difficiles à résoudre.

Cela étant, je m'en remets aux arguments de M. le rapporteur et de M. le ministre, et je retire donc l'amendement n° 541, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 541 est retiré.

Je suis saisi de cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 17, présenté par M. Sido, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le texte proposé par le 3° du I de cet article pour l'article L. 215-15 du code de l'environnement :

« Art. L. 215-15. - I. - Les opérations groupées d'entretien régulier d'un cours d'eau, canal ou plan d'eau sont menées dans le cadre d'un plan de gestion établi à l'échelle d'une unité hydrographique cohérente et compatible avec les objectifs du schéma d'aménagement et de gestion des eaux lorsqu'il existe. L'autorisation de ce plan de gestion au titre des articles L. 214-1 à L. 214-6 peut avoir une validité pluriannuelle.

« Lorsque les collectivités territoriales ou leurs groupements prennent en charge cet entretien en application de l'article L. 211-7, l'enquête publique prévue pour la déclaration d'intérêt général est menée conjointement avec celle prévue à l'article L. 214-4. La déclaration d'intérêt général a, dans ce cas, la même durée de validité que l'autorisation au titre des articles L. 214-1 à L. 214-6.

« Le plan de gestion peut faire l'objet d'adaptations, en particulier pour prendre en compte des interventions ponctuelles non prévisibles rendues nécessaires à la suite d'une crue ou de tout autre événement naturel majeur, ainsi que toute opération s'intégrant dans un plan d'action et de prévention des inondations.

« II. - Lorsque l'entretien visé à l'article L. 214-14 n'a pas été réalisé, le plan de gestion mentionné au I peut comprendre une première phase de restauration prévoyant des interventions ponctuelles telles que le curage. Le recours au curage doit alors être limité aux objectifs suivants :

« - remédier à un dysfonctionnement du transport naturel des sédiments de nature à remettre en cause un ou plusieurs usages, à empêcher le libre écoulement des eaux ou à nuire au bon fonctionnement des milieux aquatiques ;

« - lutter contre l'eutrophisation ;

« - aménager une portion de cours d'eau, canal ou plan d'eau en vue de créer ou de rétablir un ouvrage ou de faire un aménagement.

« Le dépôt ou l'épandage des produits de curage est subordonné à l'évaluation de leur innocuité vis à vis de la protection des sols et des eaux.

« III - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur. La rédaction proposée par le projet de loi pour l'article L. 215-15 du code de l'environnement n'est pas satisfaisante, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, elle renvoie au décret le soin de préciser le cadre général des opérations groupées d'entretien des cours d'eau qui peuvent être menées par des collectivités territoriales.

Elle ne précise pas non plus les conditions dans lesquelles il peut être procédé au curage des rivières et à l'épandage des matières de curage, dont a parlé M. Vasselle.

Cet amendement propose une rédaction plus précise et plus explicite pour l'article L. 215-15.

Il prévoit que les opérations groupées d'entretien sont menées à une échelle hydrographique cohérente, dans le cadre d'un plan de gestion qui doit être autorisé au titre de la police de l'eau. Cette autorisation peut avoir une validité pluriannuelle.

Il indique que les collectivités territoriales, lorsqu'elles mènent des travaux nécessités par l'urgence ou l'intérêt général, doivent recourir à une déclaration d'intérêt général.

L'amendement prévoit surtout que le plan de gestion peut faire l'objet d'adaptations, en particulier pour entreprendre des interventions rendues nécessaires par la survenance d'une crue ou pour prévenir le risque d'inondations. La prévention des crues sera ainsi reconnue comme une justification des opérations d'entretien.

En outre, cet amendement dispose que le curage est autorisé dans les cas où l'entretien n'a pas été réalisé, et uniquement dans un certain nombre de cas, définis limitativement.

Enfin, il précise que le dépôt ou l'épandage des produits de curage est subordonné à l'évaluation de leur innocuité vis à vis de la protection des sols et des eaux.

M. le président. Le sous-amendement n° 417 rectifié ter, présenté par MM. Vial et du Luart, Mme Gousseau, MM. Billard,  Belot,  Pierre,  Beaumont,  Doublet,  Lecerf et  Hérisson, est ainsi libellé :

Après le deuxième alinéa du I du texte proposé par l'amendement n° 17 pour l'article L. 215-15 du code de l'environnement, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque les travaux d'entretien de cours d'eau projetés font l'objet d'une déclaration d'intérêt général, par application des obligations de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau, les travaux peuvent être entrepris par l'autorité publique ou privée après simple déclaration au préfet.

La parole est à M. René Beaumont.

M. René Beaumont. Compte tenu de l'amendement n° 17, je vais retirer le sous-amendement n° 417 rectifié ter. J'aimerais néanmoins faire une observation.

Tout à l'heure, je parlais de cohérence et de simplification.

Or, si la rédaction proposée par M. le rapporteur dans l'amendement n° 17 me paraît source de nombreuses simplifications, j'y vois également une incohérence notoire, que j'aimerais voir disparaître.

Si la première phrase du texte proposé pour le  I de l'article L. 215-15 est remarquable, il n'en est pas de même de la deuxième, qui détruit tout l'effet positif.

La première phrase montre bien que l'on met en place un vrai plan de gestion, et que cela ne se fera clairement pas en trois semaines : « Les opérations groupées d'entretien régulier d'un cours d'eau, canal ou plan d'eau sont menées dans le cadre d'un plan de gestion établi à l'échelle d'une unité hydrographique cohérente et compatible avec les objectifs du schéma d'aménagement et de gestion des eaux lorsqu'il existe. »

On lit ensuite ceci : « L'autorisation de ce plan de gestion au titre des articles L. 214-1 à L. 214-6 peut avoir une validité pluriannuelle. »

Cette phrase pose deux problèmes.

D'une part, il s'agit ici non pas de « l'autorisation de ce plan de gestion », mais de l'autorisation d'exécution de ce plan de gestion.

D'autre part, il est indiqué que cette autorisation « peut avoir une validité pluriannuelle ». Si la validité peut n'être qu'annuelle, il n'est pas nécessaire de mettre en place un tel plan de gestion. Cette rédaction est donc totalement incohérente.

J'aimerais par conséquent que la commission modifie le texte de l'amendement en tenant compte de ces deux points, afin de prévoir que l'autorisation d'exécution du plan de gestion a une valeur pluriannuelle. Les décrets régleront la pluriannualité.

Cela étant dit, je retire mon sous-amendement.

M. le président. Le sous-amendement n° 417 rectifié ter est retiré.

Monsieur le rapporteur, que pensez-vous de la suggestion de M. Beaumont ?

M. Bruno Sido, rapporteur. Je l'accepte, monsieur le président, et je rectifie par conséquent l'amendement n° 17 en ce sens.

M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 17 rectifié, présenté par M. Sido, au nom de la commission des affaires économiques, et ainsi libellé :

Rédiger comme suit le texte proposé par le 3° du I de cet article pour l'article L. 215-15 du code de l'environnement :

« Art. L. 215-15. - I. - Les opérations groupées d'entretien régulier d'un cours d'eau, canal ou plan d'eau sont menées dans le cadre d'un plan de gestion établi à l'échelle d'une unité hydrographique cohérente et compatible avec les objectifs du schéma d'aménagement et de gestion des eaux lorsqu'il existe. L'autorisation d'exécution de ce plan de gestion au titre des articles L. 214-1 à L. 214-6 a une validité pluriannuelle.

« Lorsque les collectivités territoriales ou leurs groupements prennent en charge cet entretien en application de l'article L. 211-7, l'enquête publique prévue pour la déclaration d'intérêt général est menée conjointement avec celle prévue à l'article L. 214-4. La déclaration d'intérêt général a, dans ce cas, la même durée de validité que l'autorisation au titre des articles L. 214-1 à L. 214-6.

« Le plan de gestion peut faire l'objet d'adaptations, en particulier pour prendre en compte des interventions ponctuelles non prévisibles rendues nécessaires à la suite d'une crue ou de tout autre événement naturel majeur, ainsi que toute opération s'intégrant dans un plan d'action et de prévention des inondations.

« II. - Lorsque l'entretien visé à l'article L. 214-14 n'a pas été réalisé, le plan de gestion mentionné au I peut comprendre une première phase de restauration prévoyant des interventions ponctuelles telles que le curage. Le recours au curage doit alors être limité aux objectifs suivants :

« - remédier à un dysfonctionnement du transport naturel des sédiments de nature à remettre en cause un ou plusieurs usages, à empêcher le libre écoulement des eaux ou à nuire au bon fonctionnement des milieux aquatiques ;

« - lutter contre l'eutrophisation ;

« - aménager une portion de cours d'eau, canal ou plan d'eau en vue de créer ou de rétablir un ouvrage ou de faire un aménagement.

« Le dépôt ou l'épandage des produits de curage est subordonné à l'évaluation de leur innocuité vis à vis de la protection des sols et des eaux.

« III - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article. »

L'amendement n° 358 rectifié, présenté par MM. Poniatowski, Beaumont, Carle, César, Doublet, Ginoux, Mortemousque et Trucy, est ainsi libellé :

Au début du premier alinéa du texte proposé par le 3° du I de cet article pour l'article L. 215-15 du code de l'environnement, ajouter les mots :

Les règles générales d'intervention dans le lit du cours d'eau, ...

La parole est à M. Ladislas Poniatowski.

M. Ladislas Poniatowski. L'amendement n° 17, tel qu'il a été rectifié, me convient tout à fait. En effet, le plan de gestion, avec sa validité pluriannuelle, répond à l'inquiétude qui était la mienne et qui avait justifié le dépôt de l'amendement n° 358 rectifié. Je retire donc ce dernier.

M. le président. L'amendement n° 358 rectifié est retiré.

L'amendement n° 542, présenté par MM. Cazeau et Raoult, Mme Alquier, MM. Madrelle, Miquel et Vézinhet, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 215-15 du code de l'environnement, remplacer les mots :

opérations groupées

par les mots :

opérations planifiées

La parole est à M. Paul Raoult.

M. Paul Raoult. Le présent amendement permettrait de conserver des opérations ponctuelles dès lors qu'elles font partie d'un plan cohérent.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 294 rectifié est présenté par MM. Soulage, Deneux et les membres du groupe Union centriste-UDF.

L'amendement n° 301 rectifié bis est présenté par MM. Vasselle, César, Texier, Mortemousque et Murat.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Compléter le texte proposé par le 3° de cet article pour l'article L. 215-15 du code de l'environnement par un alinéa ainsi rédigé :

« Toutefois, les propriétaires riverains ne sont assujettis à recevoir sur leurs terrains les matières de curage que si leur composition n'est pas incompatible avec la protection des sols et des eaux, notamment en ce qui concerne les métaux lourds et autres éléments toxiques qu'elles peuvent contenir. »

La parole est à M. Soulage, pour présenter l'amendement n° 294 rectifié.

M. Daniel Soulage. L'épandage de boues de curage polluées a conduit à des contaminations importantes de sols agricoles dans le nord de la France notamment, mais pas seulement. C'est aussi le cas dans la région Aquitaine.

La faculté pour les riverains de s'opposer à l'épandage sur le terrain de matières de curage polluées - cette faculté est prévue actuellement par l'article L. 215-15 du code de l'environnement - doit être explicitement maintenue dans la loi. Or cette disposition ne figure pas dans le projet de loi actuel.

Ce point est d'autant plus important que des industriels du secteur agroalimentaire inscrivent désormais dans le cahier des charges de leurs producteurs l'obligation de ne pas déposer ni régaler des boues de curage le long des cours d'eau, sous peine de refuser la récolte sur la totalité de la parcelle. Le risque pour les agriculteurs est donc loin d'être négligeable.

Afin de protéger les sols et d'assurer des productions agricoles saines, il convient par conséquent de conserver la rédaction du deuxième alinéa de l'article L. 215-15 du code de l'environnement et de rechercher les moyens financiers à mobiliser pour traiter ces boues.

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour présenter l'amendement n° 301 rectifié bis.

M. Alain Vasselle. Monsieur le président, comme l'amendement n° 17 rectifié de la commission vise à une réécriture complète du texte de l'article L. 215-5, son adoption rendrait sans objet mon amendement n° 301 rectifié bis, ainsi d'ailleurs que l'amendement identique n° 294 rectifié ! Il faudrait par conséquent transformer ces derniers en sous-amendements à l'amendement n° 17 rectifié pour que les dispositions qu'ils prévoient aient une chance d'être adoptées.

M. le président. C'est exact !

M. Alain Vasselle. Cela dit, MM. Soulage, Deneux et les membres du groupe Union centriste-UDF ainsi que mes collègues MM. César, Texier, Mortemousque, Murat et moi-même posons un problème réel. En effet, on ne peut pas, d'un côté, imposer aux agriculteurs français l'écoconditionnalité et, de l'autre, prendre quelques libertés avec eux en leur répondant que les boues de curage déposées et régalées le long des rivières sur leur terrain sont leur affaire ! Il est nécessaire de clarifier les choses, afin que ne subsiste aucune ambiguïté.

Connaissant le souci de notre ministre de l'écologie, je ne doute pas un seul instant que M. Serge Lepeltier m'apporte la réponse pertinente à la remarque que je viens de faire, laquelle, je l'espère, ne sera pas considérée comme moins pertinente que la réponse qui va nous être faite ! (Sourires.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. Outre le fait que je préfère très largement les mots « opérations groupées » aux mots « opérations planifiées », l'amendement n° 542 n'est pas compatible avec l'amendement n° 17 rectifié. C'est pourquoi la commission y est défavorable.

S'agissant des amendements identiques nos 294 rectifié et 301 rectifié bis, je comprends bien que nos collègues n'aient pas vraiment eu le temps non seulement de lire la nouvelle rédaction de l'amendement n° 17 rectifié, qui réécrit complètement l'article L. 215-5, ni d'en apprécier toute la précision. Nous travaillons effectivement dans des conditions difficiles, à la fois par la densité et la rapidité.

Mais j'attire l'attention de mes collègues Daniel Soulage et Alain Vasselle sur l'avant-dernier paragraphe de l'amendement de la commission : « Le dépôt ou l'épandage des produits de curage est subordonné à l'évaluation de leur innocuité vis-à-vis de la protection des sols et des eaux. » J'estime que cette rédaction leur donne satisfaction et, par conséquent, je leur propose, à l'un et à l'autre, de retirer leur amendement.

M. le président. Monsieur Soulage, l'amendement n° 294 rectifié est-il maintenu ?

M. Daniel Soulage. Non, monsieur le président, je le retire.

M. le président. Monsieur Vasselle, l'amendement n° 301 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Alain Vasselle. Je le retire également, monsieur le président.

M. le président. Les amendements identiques nos 294 rectifié et 301 rectifié bis sont retirés.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 17 rectifié, dont la rédaction est bonne. Cette dernière présente l'avantage de préciser le dispositif que j'envisage de mettre en place pour faciliter les opérations groupées d'entretien régulier des milieux aquatiques, et principalement des cours d'eau.

Vous avez été nombreux, sénateurs et députés d'ailleurs, à attirer mon attention sur les difficultés qui sont rencontrées pour assurer cette tâche, et mon ministère a reçu un abondant courrier des parlementaires sur ce sujet.

Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 542. Tout comme M. le rapporteur, je pense en effet que la différence est très grande entre les qualificatifs « planifiées » et « groupées ». En effet, à travers les opérations groupées, l'objectif est d'intervenir de manière cohérente à une échelle adaptée, alors que la planification d'opérations ponctuelles n'apporte pas de garanties suffisantes sur la cohérence de l'ensemble, pour répondre exactement au terme qui avait été employé.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 17 rectifié.

(L'amendement est adopté à l'unanimité.)

M. le président. L'amendement n° 542 n'a plus d'objet.

L'amendement n° 18, présenté par M. Sido, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :

Après le texte proposé par le 3° du I de cet article pour l'article L. 215-15 du code de l'environnement, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

« Art. L. 215-15-1. - L'entretien régulier peut être effectué selon les anciens règlements et usages locaux relatifs à l'entretien des milieux aquatiques pour autant qu'ils soient compatibles avec les objectifs mentionnés aux articles L. 215-14 et L. 215-15. Dans le cas contraire, l'autorité compétente met à jour ces documents en les validant ou en adaptant les textes correspondants ou en abrogeant, le cas échéant, les dispositions devenues sans objet. A compter du 1er janvier 2014, les anciens règlements et usages locaux qui n'ont pas été mis à jour cessent d'être en vigueur. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur. Monsieur le président, je souhaite rectifier cet amendement afin d'ajouter, dans la seconde phrase, le qualificatif « administrative » après le mot « autorité ».

M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 18 rectifié, présenté par M. Sido, au nom de la commission des affaires économiques, et ainsi libellé :

Après le texte proposé par le 3° du I de cet article pour l'article L. 215-15 du code de l'environnement, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

« Art. L. 215-15-1. - L'entretien régulier peut être effectué selon les anciens règlements et usages locaux relatifs à l'entretien des milieux aquatiques pour autant qu'ils soient compatibles avec les objectifs mentionnés aux articles L. 215-14 et L. 215-15. Dans le cas contraire, l'autorité administrative compétente met à jour ces documents en les validant ou en adaptant les textes correspondants ou en abrogeant, le cas échéant, les dispositions devenues sans objet. A compter du 1er janvier 2014, les anciens règlements et usages locaux qui n'ont pas été mis à jour cessent d'être en vigueur. »

Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur. Cet amendement a pour objet de préciser l'avenir qu'il convient de réserver aux usages locaux ou anciens règlements encore en vigueur en matière d'entretien. Certains datent effectivement de Louis XIV !

Ces textes, parfois très anciens pour certains, doivent évoluer du fait de la nouvelle définition de l'entretien des cours d'eau qui est donnée dans le projet de loi. Je ne méconnais pas l'intérêt de discuter, le soir au coin du feu, de ces procédés, de ces méthodes, de ces droits, mais enfin...

Cet amendement prévoit que, si ces textes sont en contradiction avec les dispositions du projet de loi, l'autorité administrative doit les mettre à jour. Il fixe donc une date butoir pour leur validité, en précisant que, s'ils n'ont pas fait l'objet d'adaptations - nous laissons une porte de sortie -, ils cessent d'être en vigueur à compter du 1er janvier 2014. Cela laisse du temps pour discuter de leur adaptation, le soir au coin du feu ! (Sourires.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Cet amendement vise à permettre la mise à jour des anciens règlements à usage locaux en matière d'entretien des cours d'eau, afin d'adapter si nécessaire ces règlements aux objectifs nouveaux qu'il nous est demandé de respecter, notamment les exigences de la directive-cadre sur l'eau en matière de bon état des eaux à l'horizon 2015.

La rédaction de cet amendement me semblant bonne, j'émets un avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 18 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 520, présenté par MM. Repentin et Raoult, Mme Bricq, M. Collombat, Mme Alquier, MM. Pastor, Piras, Lejeune et Trémel, Mme Herviaux, MM. Cazeau, Dauge et Peyronnet, Mme Y. Boyer, MM. Lise, Marc, Le Pensec, Domeizel et Roujas, Mme M. André, MM. S. Larcher, Guérini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le texte proposé par le 3° du I de cet article pour l'article L. 215-16 du code de l'environnement :

« Art. L. 215-16 - Si le propriétaire ne s'acquitte pas de l'obligation d'entretien régulier qui lui est faite par l'article L. 215-14, la commune, le groupement de communes ou le syndicat compétent, après une mise en demeure restée infructueuse dans laquelle sont rappelées notamment les dispositions de l'article L. 435-5, peut y pourvoir d'office à la charge de l'intéressé.

« Le maire, ou le président du groupement ou du syndicat compétent, émet à l'encontre du propriétaire un titre de perception du montant correspondant aux travaux exécutés. Il est procédé au recouvrement de cette somme au bénéfice de la commune, du groupement ou du syndicat compétent, comme en matière de créances de l'Etat étrangères à l'impôt et au domaine. »

La parole est à M. Thierry Repentin.

M. Thierry Repentin. Cet amendement a un double objet.

Pour prendre en compte la situation des propriétaires riverains, qui, notamment pour des motifs financiers, ne remplissent pas toujours leurs obligations, cet amendement a d'abord pour objet de prévoir dans l'article L. 215-16 qu'il doit être rappelé aux propriétaires qu'ils peuvent bénéficier de fonds publics, moyennant le transfert pendant cinq ans du droit de pêche. Nous y reviendrons lors de l'examen de l'article 9 du projet de loi.

Le second objet de l'amendement est d'ouvrir la possibilité aux structures intercommunales, souvent compétentes en ce domaine, d'engager les travaux à la charge des propriétaires car, dans les faits, cette compétence n'est pas toujours assumée par le maire de la commune ; elle est bien souvent déléguée au président soit d'un syndicat intercommunal, soit d'un groupement de communes.

Il s'agit, sous le sceau du développement de l'intercommunalité, de toiletter un certain nombre des dispositions adoptées successivement qui régissent la vie quotidienne de nos concitoyens et que les maires doivent prendre en compte.

M. le président. L'amendement n° 543, présenté par MM. Cazeau et Raoult, Mme Alquier, MM. Madrelle, Miquel, Vézinhet et Desessard, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 215-16 du code de l'environnement, remplacer deux fois les mots :

commune

par les mots :

collectivité ou son groupement

et le mot :

maire

par les mots :

maire ou président

La parole est à M. Paul Raoult.

M. Paul Raoult. Cet amendement va dans le même sens que le précédent, même s'il est moins circonstancié.

La référence aux seules communes méconnaît le fait que certaines ont délégué cette compétence à des structures intercommunales. « Cela va de soi », va-t-on, j'imagine, me rétorquer une nouvelle fois. Je pense néanmoins que cela va encore mieux en l'écrivant dans la loi.

M. le président. L'amendement n° 19, présenté par M. Sido, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :

Dans le premier alinéa du texte proposé par le 3° du I de cet article pour l'article L. 215-16 du code de l'environnement, après les mots :

une mise en demeure restée infructueuse

insérer les mots :

à l'issue d'un délai déterminé

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de précision, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 201, présenté par Mme Férat et les membres du groupe Union centriste - UDF, est ainsi libellé :

Dans le premier alinéa du texte proposé par le 3° du I de cet article pour l'article L. 215-16 du code de l'environnement, après le mot :

infructueuse

insérer les mots :

dans laquelle elle aura préalablement rappelé les dispositions de l'article L. 435-5

La parole est à M. Daniel Soulage.

M. Daniel Soulage. Le propriétaire riverain d'un cours d'eau est souvent contraint de s'exonérer de son obligation d'entretien pour des motifs financiers. Aussi semble-t-il opportun que les termes de la mise en demeure lui précisent, à titre incitatif, qu'il peut bénéficier, sur demande, de subventions publiques pour la remise en état ou l'aménagement des rives et des fonds.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. La commission est sensible à la précision apportée par les auteurs de l'amendement n° 520, qui vise notamment à permettre aux structures intercommunales d'intervenir dans le domaine de l'entretien.

Cet amendement précise par ailleurs que le texte de la mise en demeure rappelle aux propriétaires qu'ils peuvent faire appel à des fonds publics pour l'entretien d'un cours d'eau, en contrepartie d'un transfert, désormais pendant cinq ans, de leur droit de pêche.

L'adoption de l'amendement n° 520 étant incompatible avec celle de l'amendement n° 19, je transforme par conséquent ce dernier en sous-amendement à l'amendement présenté par M. Repentin.

M. le président. Je suis donc saisi d'un sous-amendement n° 19 rectifié, présenté par M. Sido, au nom de la commission des affaires économiques, et ainsi libellé :

Dans le premier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 520 pour l'article L. 215-16 du code de l'environnement, après les mots :

une mise en demeure restée infructueuse

insérer les mots :

,à l'issue d'un délai déterminé,

Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur. La commission est défavorable à l'amendement n° 543, car elle préfère la rédaction de l'amendement n° 520, complété par le sous-amendement n° 19 rectifié de la commission.

La précision apportée par l'amendement n° 201 est intéressante, mais elle est prise en compte dans l'amendement n° 520 de M. Repentin. C'est pourquoi j'invite M. Soulage à retirer son amendement.

M. le président. Monsieur Raoult, l'amendement n° 543 est-il maintenu ?

M. Paul Raoult. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 543 est retiré.

Monsieur Soulage, l'amendement n° 201 est-il maintenu ?

M. Daniel Soulage. Je le retire également, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 201 est retiré.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. L'amendement n° 520 vise à rappeler que les propriétaires riverains faisant l'objet d'une mise en demeure pour défaut d'entretien d'un cours d'eau peuvent bénéficier d'aides publiques pour la remise en état ou l'aménagement des rives et des fonds, en contrepartie de la rétrocession de leurs droits de pêche.

Je pense que c'est là une bonne formule, qui répond à l'intérêt général. Il semble équitable qu'une telle information soit donnée ; par conséquent, le Gouvernement émet un avis favorable.

Le sous-amendement n° 19 rectifié tend à apporter une précision rédactionnelle, et le Gouvernement y est favorable.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 19 rectifié.

(Le sous-amendement est adopté à l'unanimité.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 520, modifié.

(L'amendement est adopté à l'unanimité.)

M. le président. L'amendement n° 20, présenté par M. Sido, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le III de cet article :

III. - L'article L. 151-36 du code rural est ainsi modifié :

1° Dans le premier alinéa, les mots : « de l'article L. 166-1 du code des communes » sont remplacés par les mots : « de l'article L. 5721-2 du code général des collectivités territoriales ».

2° Le 3° est ainsi rédigé : 

« 3° Entretien des canaux et fossés ; »

Le sous-amendement n° 347 rectifié bis, présenté par MM. Doublet,  Belot,  Bailly,  Branger,  César,  Dulait,  Grignon et  Bertaud, Mme Sittler, MM. Le Grand,  Girod et  Cambon, est ainsi libellé :

Dans le dernier alinéa du texte proposé par l'amendement n°20, après le mot :

entretien 

insérer les mots :

des cours d'eau,

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 20.

M. Bruno Sido, rapporteur. Je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 20 est retiré.

En conséquence, le sous-amendement n° 347 rectifié bis n'a plus d'objet.

L'amendement n° 21, présenté par M. Sido, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

IV. - L'article 14 du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure est ainsi modifié :

1° Dans le premier alinéa, les mots : « Le curage » sont remplacés par les mots : « L'entretien, tel que défini aux articles L. 215-14 et L. 215-15 du code de l'environnement », les mots : « au curage » sont remplacés par les mots : « à l'entretien » et les mots : « de curage » sont remplacés par les mots : « de l'entretien » ;

2° Dans le deuxième alinéa, le mot : « curage » est remplacé par les mots : « l'entretien ».

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur. Cet amendement a pour objet d'étendre aux cours d'eau domaniaux les nouveaux concepts d'entretien des cours d'eau définis à l'article 5 du projet de loi.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Il semble en effet normal d'avoir les mêmes exigences à l'égard des collectivités publiques propriétaires d'un domaine public fluvial qu'à l'égard des particuliers.

Le Gouvernement est donc favorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 21.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 5, modifié.

(L'article 5 est adopté à l'unanimité.)

Art. 5
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Art. 6

Article additionnel après l'article 5

M. le président. L'amendement n° 545, présenté par M. Desessard et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article L. 211-5 du code de l'environnement est rédigé comme suit :

« Art. L. 211-5.- I. - Le préfet et le maire intéressés doivent être informés, dans les meilleurs délais par toute personne qui en a connaissance, de tout incident ou accident présentant un danger pour la sécurité civile, la santé publique ou la qualité écologique des milieux aquatiques, ou de toute situation de péril imminent susceptible de produire ces mêmes effets.

« La personne à l'origine de l'incident ou de l'accident et l'exploitant ou, s'il n'existe pas d'exploitant, le propriétaire sont tenus, dès qu'ils en ont connaissance, de prendre ou faire prendre toutes les mesures possibles pour prévenir l'apparition prochaine d'une cause de danger ou d'atteinte au milieu aquatique, y mettre fin en cas de survenance, évaluer les conséquences de l'incident ou de l'accident et y remédier.

« Le préfet peut prescrire aux personnes mentionnées ci-dessus, après avoir invité les intéressés à faire connaître leurs observations sauf urgence, les mesures nécessaires pour prévenir un péril imminent ou mettre fin au dommage constaté ou en circonscrire la gravité et, notamment, les analyses ou contrôles à effectuer, y compris, le cas échéant, la suppression d'un ouvrage, d'un dépôt, d'un aménagement, d'une opération ou de travaux, ou la fermeture d'une installation ou d'une occupation des sols.

« Sans préjudice de l'article L. 216-1 du présent code et des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, en cas de carence des personnes intéressées, et s'il y a un risque grave et immédiat de pollution ou de destruction d'un milieu naturel aquatique remarquable et notamment de zones humides, ou de danger affectant la sécurité civile et notamment celle des personnes, ou encore pour la santé publique et notamment la sécurité de l'alimentation en eau potable, le préfet peut, après avoir invité les intéressés à faire connaître leurs observations sauf urgence, faire exécuter directement les mesures prescrites nécessaires, aux frais et risques des personnes responsables.

« II. - Le préfet et le maire intéressés informent les populations par tous les moyens appropriés des circonstances de l'incident ou de l'accident, de ses effets prévisibles et des mesures prises pour y remédier ou en prévenir l'avènement immédiat ou le renouvellement.

« Les agents des services publics d'incendie et de secours ont accès aux propriétés privées pour mettre fin aux causes de danger ou d'atteinte au milieu aquatique et prévenir ou limiter les conséquences de l'incident ou de l'accident.

« Sans préjudice de l'indemnisation des autres dommages subis, les personnes morales de droit public intervenues matériellement ou financièrement ont droit au remboursement, par la ou les personnes à qui incombe la responsabilité de l'incident ou de l'accident, des frais exposés par elles. A ce titre, elles peuvent se constituer partie civile devant les juridictions pénales saisies de poursuites consécutives à l'incident ou à l'accident. »

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Le texte de cet amendement étant assez long, je n'entrerai pas dans ses détails, bien qu'il soit extrêmement bien écrit, intéressant et pertinent ! (Rires.)

Il a pour objet de donner au préfet les moyens de prévenir toute crise susceptible de nuire au milieu aquatique, sans plus attendre la survenance de la crise pour intervenir. Il s'agira en quelque sorte pour lui de donner l'alarme.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. Cet amendement est long et très bien écrit, comme vient de le dire M. Desessard, mais il est aussi dense. Aussi avons-nous eu trop peu de temps pour l'examiner à fond comme il le méritait, eu égard à sa qualité ! Nous souhaiterions donc connaître l'avis du Gouvernement (Rires sur les travées du groupe socialiste), qui, lui, dispose de plus de temps pour étudier ce genre de question.

M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Le Gouvernement a naturellement eu tout le temps d'étudier à fond cet amendement ! (Sourires.)

M. Jean Desessard. Avec l'aide de ses collaborateurs !

M. Serge Lepeltier, ministre. Le projet de loi comporte déjà des sanctions administratives qui permettent d'obtenir la suppression ou la fermeture des installations en cause. Il est vrai que le présent amendement vise plus précisément les cas d'urgence et de péril imminent, mais la rédaction proposée n'est pas tout à fait synthétique et va très loin, puisqu'elle concerne par exemple les installations classées.

L'application de telles dispositions pouvant présenter des risques et entraîner des conséquences inopportunes, dont nous avons d'ailleurs amplement pu prendre la mesure dans le temps qui nous était imparti (Nouveaux sourires), j'émets un avis défavorable sur cet amendement.

Mme Nicole Bricq. M. le ministre applique le principe de précaution !

M. le président. Quel est maintenant l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. Au terme d'une lecture trop superficielle de cet amendement, nous pressentions bien que certains problèmes se posaient. Les explications complémentaires apportées par le Gouvernement nous amènent à émettre nous aussi un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 545.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 6

Art. additionnel après l'art. 5
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Art. additionnel après l'art. 6

La section 1 du chapitre VI du titre Ier du livre II du code de l'environnement est remplacée par les dispositions suivantes :

« Section 1

« Travaux d'office et sanctions administratives

« Art. L. 216-1. - Indépendamment des poursuites pénales éventuellement encourues, en cas de méconnaissance des dispositions des articles L. 211-2, L. 211-3, L. 211-5, L. 211-7, L.  211-12, L. 214-1 à L. 214-9, L. 214-11 à L. 214-13, L. 214-17 et L. 214-18 ou des règlements et décisions individuelles pris pour leur application, l'autorité administrative met en demeure l'exploitant ou, à défaut, le propriétaire d'y satisfaire dans un délai déterminé.

« Si, à l'expiration du délai fixé, il n'a pas été obtempéré à cette injonction, l'autorité compétente peut, par décision motivée et après avoir invité l'intéressé à faire connaître ses observations :

« 1° L'obliger à consigner entre les mains d'un comptable public une somme correspondant au montant des travaux à réaliser avant une date qu'il détermine. La somme consignée est restituée à l'exploitant ou au propriétaire au fur et à mesure de l'exécution des travaux. À défaut de réalisation des travaux avant l'échéance fixée par l'autorité administrative, la somme consignée est définitivement acquise à l'État afin de régler les dépenses entraînées par l'exécution des travaux en lieu et place de l'intéressé.

« Cette somme bénéficie d'un privilège de même rang que celui prévu à l'article 1920 du code général des impôts. Il est procédé à son recouvrement comme en matière de créances de l'État étrangères à l'impôt et au domaine. Le comptable peut engager la procédure d'avis à tiers détenteur prévue par l'article L. 263 du livre des procédures fiscales ;

« 2° Faire procéder d'office, en lieu et place de l'exploitant ou, à défaut, du propriétaire et à ses frais, à l'exécution des mesures prescrites ; 

« 3° Suspendre le fonctionnement des installations et ouvrages, la réalisation des travaux ou l'exercice des activités jusqu'à l'exécution des conditions imposées et prendre les mesures conservatoires nécessaires, aux frais de l'exploitant ou du propriétaire.

« Art. L. 216-1-1. - Lorsque des installations ou ouvrages sont exploités, que des travaux ou activités sont réalisés sans avoir fait l'objet de l'autorisation ou de la déclaration requise par l'article L. 214-3, l'autorité compétente met en demeure l'exploitant ou, à défaut, le propriétaire de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine en déposant, suivant le cas, une demande d'autorisation ou une déclaration. Elle peut, par arrêté motivé, édicter des mesures conservatoires et, après avoir invité l'intéressé à faire connaître ses observations, suspendre le fonctionnement des installations et ouvrages ou la poursuite des travaux ou activités jusqu'au dépôt de la déclaration ou jusqu'à la décision relative à la demande d'autorisation.

« Si l'exploitant ou, à défaut, le propriétaire, ne défère pas à la mise en demeure de régulariser sa situation ou si sa demande d'autorisation est rejetée, l'autorité compétente peut, en cas de nécessité, ordonner la fermeture ou la suppression des installations ou ouvrages, la cessation définitive des travaux ou activités. Si l'exploitant ou, à défaut, le propriétaire n'a pas obtempéré dans le délai imparti, l'autorité compétente peut faire application des procédures prévues aux 1° et 2° du II de l'article L. 216-1.

« L'autorité compétente, après en avoir préalablement informé le procureur de la République, peut faire procéder par un agent de la force publique à l'apposition des scellés sur des installations, ouvrages, matériels utilisés pour des travaux ou activités, maintenus en fonctionnement soit en infraction à une mesure de suppression, de fermeture ou de suspension prise en application de l'article L. 214-3, de l'article L. 216-1 ou des deux premiers alinéas du présent article, soit en dépit d'un refus d'autorisation.

« Art. L. 216-1-2. - Lorsque des installations, ouvrages, travaux ou activités sont définitivement arrêtés, l'exploitant ou, à défaut, le propriétaire remet le site dans un état tel qu'aucune atteinte ne puisse être portée aux objectifs de gestion équilibrée de la ressource en eau définis par l'article L. 211-1. Il informe l'autorité compétente de la cessation de l'activité et des mesures prises. Cette autorité peut à tout moment lui imposer des prescriptions pour la remise en état, sans préjudice de l'application des articles 91 et 92 du code minier.

« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux installations, ouvrages et travaux des entreprises hydrauliques concédées au titre de la loi du 16 octobre 1919.

« Art. L. 216-2. - Les décisions prises en application de la présente section peuvent être déférées à la juridiction administrative dans les conditions prévues au I de l'article  L. 514-6. »

M. le président. L'amendement n° 547, présenté par MM. Cazeau et  Raoult, Mme Alquier, MM. Madrelle,  Miquel,  Vézinhet et  Desessard, est ainsi libellé :

Après le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 216-1 du code de l'environnement, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« L'autorité administrative compétente présentera annuellement un bilan des actions de police de l'eau au comité de bassin. »

La parole est à M. Paul Raoult.

M. Paul Raoult. Avant de décider l'aggravation des sanctions, il serait utile de disposer d'un bilan de l'application des textes actuellement en vigueur concernant la police de l'eau, afin de rendre plus lisible la politique de l'eau au travers des actions de police menées. En l'absence d'un tel bilan, il semble délicat de vouloir renforcer des sanctions qui, d'une manière générale, sont rarement mises en application.

En effet, mon expérience personnelle m'amène souvent à regretter que la police de l'eau soit absente ou inefficace. On vote des lois, on publie des décrets, mais, sur le terrain, on constate que ceux qui n'appliquent pas la loi sont rarement punis.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. Je rappelle que le préfet représente l'administration dans les comités de bassin. L'information peut donc circuler entre les autorités administratives, les collectivités territoriales et les utilisateurs de l'eau, même si c'est de façon informelle. La procédure que les auteurs de l'amendement proposent de rendre obligatoire me paraît lourde, et c'est pourquoi la commission a émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Je suis, sur le principe, favorable à la proposition formulée par M. Raoult. Cependant, inscrire une telle obligation dans la loi me semblerait vraiment excessif, dans la mesure où la disposition présentée ne relève pas du domaine législatif.

Le préfet et le directeur régional de l'environnement, qui siègent au comité de bassin, peuvent naturellement établir un tel bilan quand c'est nécessaire ; mais imposer qu'il soit dressé annuellement de façon systématique alourdirait la procédure. Or tous ceux qui exercent des responsabilités dans des collectivités savent que la loi contraint parfois à établir des bilans très lourds que plus personne ne lit !

Il vaut donc mieux qu'un bilan soit fait, quand cela est utile, à l'échelon des comités de bassin. C'est la raison pour laquelle je sollicite le retrait de cet amendement, tout en comprenant le souci de ses auteurs.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Vous avez indiqué, monsieur le ministre, qu'il convient d'établir un bilan « quand cela est utile » : permettez-moi d'être en désaccord avec la formulation que vous avez employée.

En effet, quand est-il utile de dresser un bilan des actions de la police de l'eau ? Quand tout va très mal ? Je croyais que l'on voulait que tout aille mieux ! Il est tout de même intéressant, dans toutes les situations, de pouvoir disposer d'un tel bilan et de connaître le nombre des infractions commises, sauf à juger que les statistiques de police, de manière générale, sont superflues ! Pourtant, ces statistiques de police sont parfois non pas annuelles, mais mensuelles ! Considère-t-on que, quand il s'agit d'écologie, de milieux aquatiques, il n'est pas utile de dresser un bilan des infractions ?

Je crois qu'il convient de maintenir cet amendement, et j'invite l'ensemble de mes collègues à le voter.

M. le président. La parole est à M. Paul Raoult, pour explication de vote.

M. Paul Raoult. Monsieur le ministre, peut-être estimez-vous que ma proposition est superfétatoire. Il n'empêche que nous sommes devant un véritable problème.

En effet, comme je l'ai déjà dit, de nombreux préfets manquent de culture environnementale. J'ai en outre le sentiment que beaucoup de procureurs présentent également une telle lacune, car, lorsque des atteintes graves à l'environnement sont constatées - je parle bien d'atteintes graves -, les plaintes déposées sont souvent classées. Je trouve très regrettable que l'on ne prenne pas les atteintes à l'environnement au sérieux, au même titre que les vols à la tire ou d'autres délits.

Il s'agit peut-être d'un phénomène purement culturel, mais il faut aussi que le législateur incite ceux qui n'ont pas encore compris la valeur de l'environnement à appliquer la loi avec fermeté.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Serge Lepeltier, ministre. Il n'est naturellement pas question de considérer que, parce qu'il s'agit d'écologie, établir des bilans serait moins nécessaire que dans d'autres secteurs.

La police de l'eau joue, évidemment, un rôle fondamental, à tel point que, en novembre dernier, j'ai pris par voie de circulaire, avec plusieurs de mes collègues, la décision de placer sous la responsabilité d'une seule administration la police de l'eau, qui concernait auparavant jusqu'à sept services différents, lesquels se contredisaient parfois complètement sur le terrain.

M. Jean Desessard. Cela ne ferait donc qu'un bilan, monsieur le ministre, et non pas sept !

M. Serge Lepeltier, ministre. Plus personne ne s'y retrouvait, et nous entendons aujourd'hui assurer la cohérence de la police de l'eau. La volonté du Gouvernement est vraiment de renforcer cette dernière, mais nous considérons que retenir votre proposition, monsieur Raoult, alourdirait inutilement le dispositif, même si ce type de bilan est tout à fait utile, je le répète, sur le plan du principe. A l'échelon des comités de bassin, la problématique que vous soulevez est amplement évoquée.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 547.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 433, présenté par Mme Didier, MM. Billout et  Coquelle, Mme Demessine, MM. Le Cam,  Vera et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Dans la première phrase du deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 216-1-1 du code de l'environnement, remplacer les mots :

peut, en cas de nécessité, ordonner

par le mot :

ordonne

La parole est à M. Bernard Vera.

M. Bernard Vera. Cet amendement, qui peut paraître purement rédactionnel, vise cependant à instiller plus de volontarisme dans la prise de décision de l'autorité administrative et dans son action pour mettre en demeure l'exploitant ou le propriétaire de respecter ses obligations.

Ainsi, la rédaction actuelle du projet de loi nous paraît insatisfaisante à deux niveaux.

En effet, lorsque l'exploitant ou le propriétaire ne répondra pas à la mise en demeure de régulariser sa situation, l'autorité compétente aura la possibilité d'agir, à condition d'avoir déterminé si, oui ou non, elle se trouve en présence d'un cas de nécessité.

En définitive, alors même qu'une infraction serait constatée, rien n'oblige l'autorité à agir. Il serait donc paradoxal de ne pas prendre les mesures adéquates en présence d'un contrevenant.

Pourtant, il est primordial que les installations ou les ouvrages - ou toute activité qui en découlerait - fassent l'objet d'une autorisation préalable. Si l'exploitant ou, à défaut, le propriétaire ne déférait pas à la mise en demeure ou en cas de rejet de la demande d'autorisation, nous proposons que l'autorité compétente « ordonne » la fermeture ou la suppression des installations ou ouvrages, et la cessation définitive des travaux ou activités.

Cette rédaction va dans le sens d'une plus grande efficacité en cas de manquement aux obligations prévues par la loi. C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, nous vous proposons d'adopter notre amendement.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. La précision apportée par l'amendement n° 433 rendrait moins souple l'application du dispositif.

Il nous semble utile que l'autorité administrative puisse avoir toute latitude pour décider des sanctions à mettre en oeuvre.

La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Il semble également préférable au Gouvernement de laisser une certaine latitude à l'administration pour ordonner ou non ces mesures lorsqu'il y a une mise en demeure. Mais il est vrai que la question de l'efficacité peut se poser.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat. (Marques d'approbation sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 433.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Monsieur Vera, c'est un coup de maître ! (Sourires.)

L'amendement n° 442, présenté par Mme Didier, MM. Billout et Coquelle, Mme Demessine, MM. Le Cam, Vera et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Dans la seconde phrase du deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 216-1-1 du code de l'environnement, remplacer les mots :

peut faire

par le mot :

fait

L'amendement n° 441, présenté par Mme Didier, MM. Billout et Coquelle, Mme Demessine, MM. Le Cam, Vera et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 216-1-1 du code de l'environnement, remplacer les mots :

peut faire

par le mot :

fait

La parole est à Mme Evelyne Didier, pour présenter ces deux amendements.

Mme Evelyne Didier. Je ne sais pas si je serai aussi efficace que M. Vera ! (Sourires.) Toujours est-il que ces amendements procèdent du même esprit : rien ne sert de prévoir des sanctions si on ne les applique pas. C'est un peu comme si un maître d'école menaçait cent fois sans punir. On le sait, cette méthode ne fonctionne plus au bout d'un certain temps.

Comme on a pu le constater, certains ouvrages n'ont pas été mis aux normes avant cinq, dix ou quinze ans, malgré les demandes répétées de l'administration. C'est pourquoi, par le biais de quatre amendements, nous avons cherché à proposer une rédaction plus volontariste.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 442, car elle a estimé que sa rédaction était trop rigide et laisserait moins de latitude à l'autorité administrative.

Mme Evelyne Didier. C'est vrai !

M. Bruno Sido, rapporteur. Toutefois, j'avoue que je suis sensible au volontarisme dont fait preuve le groupe CRC. J'aimerais donc connaître l'avis du Gouvernement sur ce point.

L'amendement n° 441, quant à lui, réduirait la souplesse nécessaire à l'action administrative dans le domaine de la police de l'eau. Il semble donc préférable d'en rester à la rédaction du projet de loi. La commission émet donc un avis défavorable. Cependant, je souhaiterais également connaître l'avis du Gouvernement en la matière.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Je note avec intérêt que M. le rapporteur s'en remet parfois à la sagesse du Gouvernement.

M. Bruno Sido, rapporteur. Elle est légendaire !

M. Serge Lepeltier, ministre. L'amendement n° 442 vise des situations où il n'y a pas d'autorisation, ni même de déclaration de fait. Nous sommes donc clairement dans le cadre d'actions totalement illégitimes.

Cet amendement, en renforçant l'action obligatoire de l'administration, me semble mettre en place une bonne mesure. Le Gouvernement émet donc un avis favorable, et ce d'autant plus volontiers que le Sénat a su montrer sa grande sagesse sur l'amendement n° 433. (Sourires.)

M. Bernard Vera. Très bien !

M. Serge Lepeltier, ministre. En revanche, l'amendement n° 441 va trop loin, car il lie l'administration en l'obligeant à apposer les scellés sur les installations en infraction. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

M. le président. Monsieur le rapporteur, la commission se rallie-t-elle, finalement, à l'avis du Gouvernement ?

M. Bruno Sido, rapporteur. La commission émet en effet un avis favorable sur l'amendement n° 442 et maintient son avis défavorable sur l'amendement n° 441.

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, pour explication de vote sur l'amendement n° 442.

M. Gérard Delfau. J'approuve le volontarisme de nos collègues du groupe CRC. Mais je voudrais faire observer à M. le ministre que le Gouvernement devra en tirer les conséquences.

Dans la suite de nos débats, nous aborderons la question des forages. Or, qu'ils soient autorisés ou non, ils ne sont jamais contrôlés, malgré les risques majeurs qu'ils suscitent. A cet égard, le rapport que le syndicat intercommunal d'approvisionnement de l'eau de l'Hérault m'a confié, et dont j'ai pu vérifier la réalité, constate que seuls un ou deux fonctionnaires sont chargés de la police des eaux dans ce département, qui est très peuplé. Et encore, selon les spécialistes, ils peuvent parfois être chargés d'autres missions !

Je suis donc tout à fait convaincu qu'il faut clarifier les textes et, dans un certain nombre de cas, durcir les recommandations. Toutefois, je le répète, le Gouvernement doit ensuite en tirer les conséquences.

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.

M. Alain Vasselle. Tout cela est bien gentil, mais tout dépendra du délai qu'accordera l'administration à l'intéressé pour régulariser sa situation ! Si ce délai est très court, il ne pourra pas agir, d'autant que, comme une obligation se substitue à une possibilité, il est sûr de passer à la trappe !

Par conséquent, j'aimerais que M. le ministre publie une circulaire d'application afin d'éviter que certaines personnes se retrouvent dans des situations inacceptables. Il peut très bien arriver que certains propriétaires réalisent des opérations de bonne foi, sans volonté d'enfreindre la loi !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 442.

(L'amendement est adopté à l'unanimité.)

M. Ladislas Poniatowski. Mme Didier nous aura eus au charme ! (Sourires.)

M. Gérard Delfau. Et il est puissant ! (Nouveaux sourires.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 441.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 481 est présenté par Mme Didier, MM. Billout et Coquelle, Mme Demessine, MM. Le Cam, Vera et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

L'amendement n° 546 est présenté par M. Raoult, Mme Bricq, M. Collombat, Mme Alquier, MM. Pastor, Piras, Lejeune et Trémel, Mme Herviaux, MM. Cazeau, Dauge et Peyronnet, Mme Y. Boyer, MM. Repentin, Marc, Le Pensec, Domeizel et Roujas, Mme M. André, M. Guérini et les membres du groupe Socialiste.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Dans la première phrase du premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 216-1-2 du code de l'environnement, après les mots :

ressource en eau

insérer les mots :

et des écosystèmes aquatiques

La parole est à Mme Evelyne Didier, pour présenter l'amendement n° 481.

Mme Evelyne Didier. La remise en état d'un site après l'arrêt définitif d'une installation par le propriétaire ou l'exploitant ne peut se faire en ne prenant en compte que la gestion quantitative de la ressource en eau. En effet, comment pourrait-on, en matière de protection de l'eau et des milieux aquatiques, considérer indépendamment l'aspect quantitatif et l'aspect qualitatif, notamment chimique et biologique, de la ressource elle-même ?

Bien que définis dans l'article L.211-1 du code de l'environnement, il me semble indispensable de voir apparaître clairement dans le projet de loi les mots « écosystèmes aquatiques » aux côtés des mots « gestion équilibrée de la ressource en eau ». Ces deux notions sont intimement liées, et nous souhaitons qu'elles ne soient pas dissociées.

M. le président. La parole est à M. Paul Raoult, pour présenter l'amendement n° 546.

M. Paul Raoult. Mme Didier ayant défendu avec beaucoup de talent un amendement identique, je n'ai pas grand-chose à ajouter.

Comme ma collègue, je considère que l'on doit être non seulement attentif à la quantité, mais également à la qualité des eaux concernées. Cette notion est aujourd'hui devenue importante dans la façon de gérer les problèmes de l'eau dans notre pays.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. Je serais tenté de dire, monsieur le président, que si Mme Didier avait été seule à présenter un tel amendement, la commission aurait pu l'accepter. Mais avec M. Raoult, ... c'est non ! (Rires.)

Plus sérieusement, l'article 6 pose un principe important, puisqu'il oblige les exploitants à remettre le site en état après l'arrêt des activités. Ce dispositif précise que cette remise en état doit être réalisée de telle manière qu'elle ne puisse porter atteinte aux objectifs de gestion équilibrée de la ressource en eau.

Le fait de préciser que cette obligation s'attache également aux écosystèmes aquatiques semble excessif car, contrairement aux objectifs de la gestion de la ressource en eau, ce concept potentiellement très vaste ne fait pas l'objet d'une définition précise.

Aussi la commission émet-elle un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. La protection des écosystèmes aquatiques est un objectif essentiel, mais celui-ci est déjà pris en compte par l'article L. 211-1 du code de l'environnement.

Dans la mesure où ces deux amendements sont déjà satisfaits, le Gouvernement émet un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 481 et 546.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 6, modifié.

(L'article 6 est adopté.)

Art. 6
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Art. 7

Article additionnel après l'article 6

M. le président. L'amendement n° 548, présenté par M. Desessard et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'article 6, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article L. 214-11 du code de l'environnement, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :

« Art. L. ... - L'Etat contrôle annuellement dans chaque département 10 % des installations, ouvrages, aménagements, activités, opérations qui relèvent du régime de l'autorisation administrative préalable, et 5 % de ceux qui relèvent du régime de la déclaration administrative, en application de la présente section, à compter du 1er janvier 2008. »

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Cet amendement a le même objet que l'amendement n° 547, qui visait à obtenir un bilan annuel des infractions. Je n'ai d'ailleurs toujours pas compris pourquoi cette disposition n'avait pas été acceptée.

Dans la mesure où la police de l'eau réalise des bilans mensuels, il faut également mettre en place un contrôle. Nous proposons donc de fixer des objectifs quantitatifs annuels de contrôle à la police de l'eau.

Je signale à M. le ministre, avant qu'il n'émette un avis défavorable sur cet amendement, que la notion d'objectif fait aujourd'hui partie des principes que nous nous fixons : la police de l'eau doit en effet remplir un certain nombre de missions. Des éléments quantitatifs étant fixés, je ne vois pas pourquoi - mais j'anticipe un peu la réponse de la commission et du Gouvernement - on ne pourrait pas procéder à un contrôle systématique, sauf à considérer que l'écologie n'est pas importante et passe au second plan.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. L'Etat n'a pas besoin, me semble-t-il, qu'on lui fixe des objectifs, car il est tenu, dans l'intérêt de la protection de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité civile, d'exercer la police de l'eau.

Au surplus, un tel dispositif s'apparente à une injonction au Gouvernement, ce qui est anticonstitutionnel.

La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Il s'agit là, en effet, d'une injonction extrêmement stricte faite à l'Etat.

Dans ce cas précis, c'est au ministre que je suis qu'il appartient de fixer le niveau des contrôles et les priorités. C'est d'ailleurs ce que je fais chaque année : une circulaire est envoyée aux préfets pour fixer les thèmes de travail des DRIRE, les directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, ainsi que les contrôles prioritaires.

C'est également ce que je prévois pour la police de l'eau. Une injonction s'immisçant dans les compétences de l'Etat présenterait un véritable risque dans le cadre de l'équilibre des pouvoirs.

L'avis du Gouvernement est donc défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 548.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 7

Art. additionnel après l'art. 6
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Art. additionnel après l'art. 7 (début)

I. - Au premier alinéa du I de l'article L. 216-3 du code de l'environnement, la référence aux articles L. 214-17 et L. 214-18 est ajoutée après la référence à l'article L. 214-13 et, au deuxième alinéa du même I, les mots : « de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes » sont supprimés.

II. - La deuxième phrase du premier alinéa de l'article L. 216-4 du même code est remplacée par les dispositions suivantes :

« Ils peuvent consulter tout document utile à la recherche et à la constatation des infractions. Les propriétaires et exploitants sont tenus de leur livrer passage et de leur communiquer les documents mentionnés ci-dessus. »

III. - Au premier alinéa de l'article L. 216-5 du même code, la référence aux articles L. 214-17 et L. 214-18 est ajoutée après la référence à l'article L. 214-13.

IV. - L'article L. 216-7 du même code est remplacé par les dispositions suivantes :

« Art. L. 216-7. - Est puni de 12 000 € d'amende le fait :

« 1° D'exploiter un ouvrage ne comportant pas l'équipement mentionné au II de l'article L. 214-17, nécessaire pour assurer la circulation des poissons migrateurs ;

« 2° De ne pas respecter le débit minimal prévu par l'article L. 214-18 ;

« 3° De ne pas respecter les prescriptions définies par l'acte déclaratif d'utilité publique prévu par l'article L. 214-9, sans préjudice de la responsabilité encourue vis-à-vis du bénéficiaire du débit affecté. »

V. - Au premier alinéa de l'article L. 216-9, les mots : « des articles L. 216-6 et L. 216-8 » sont remplacés par les mots : « de l'article L. 216-6, des 1° et 2° de l'article L. 216-7 et de l'article L. 216-8 ».

M. le président. L'amendement n° 22, présenté par M. Sido, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi le I de cet article :

I. - Le I de l'article L. 216-3 du code de l'environnement est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, après les mots : « à L. 214-13, » sont insérées les références : « , L. 214-17, L. 214-18, » ;

2° A la fin du deuxième alinéa (1°), les mots : « de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes » sont supprimés.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur. C'est un amendement rédactionnel.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 22.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 23, présenté par M. Sido, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi le III de cet article :

III. - Au premier alinéa de l'article L. 216-5 du même code, après les mots : "à L. 214-13," sont insérées les références : ", L. 214-17, L. 214-18".

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur. C'est également un amendement rédactionnel.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 23.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 24, présenté par M. Sido, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :

Dans le deuxième alinéa (1°) du texte proposé par le IV de cet article pour l'article L. 216-7 du code de l'environnement, remplacer les mots :

ne comportant pas l'équipement mentionné au II

par les mots :

ne respectant pas les dispositions du 2° du I

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur. C'est un amendement de coordination avec les amendements que la commission vous a proposés à l'article 4 pour l'article L. 214-17 du code de l'environnement, relatif au classement des cours d'eau.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 24.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 434, présenté par Mme Didier, MM. Billout et Coquelle, Mme Demessine, MM. Le Cam, Vera et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Compléter le 1° du texte proposé par le IV de cet article pour l'article L. 216-7 du code de l'environnement par les mots :

ou dont l'équipement n'est pas maintenu en bon état de fonctionnement

La parole est à Mme Evelyne Didier.

Mme Evelyne Didier. L'article 7 prévoit de punir de 12 000 euros d'amende le fait d'exploiter un ouvrage ne permettant pas d'assurer la circulation des poissons migrateurs.

La finalité de cette disposition est de permettre la circulation de ces poissons. Or, pour atteindre cet objectif, l'exploitant d'un ouvrage ne peut pas se contenter de disposer de l'équipement permettant cette libre circulation. L'exploitant doit également entretenir cet équipement, pour qu'il soit réellement en état de fonctionner.

Par le biais de cet amendement, nous proposons simplement d'étendre la sanction pécuniaire aux exploitants d'ouvrages dont l'équipement ne serait pas en bon état de fonctionnement. Bien entendu, nous prévoyons des délais de remise en état, mais nous considérons qu'il est inutile d'avoir un équipement qui ne sert à rien.

Pour que cette disposition soit pleinement efficace, nous vous proposons d'adopter cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. Cet amendement est incompatible avec l'amendement n° 24 de la commission. De plus, les préoccupations exprimées par Mme Didier sont pleinement prises en compte depuis hier avec l'adoption de l'amendement n° 9 rectifié de la commission, qui précise que, sur certains cours d'eau classés, les ouvrages hydrauliques doivent être gérés, entretenus et, si nécessaire, équipés de façon à assurer la continuité écologique.

L'amendement n° 24 de la commission prévoit une sanction si ces règles ne sont pas respectées. L'obligation de maintenir en bon état le fonctionnement des ouvrages s'imposera donc pleinement aux exploitants du fait de la référence à l'entretien dans le 2° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement.

Je vous demande donc, madame Didier, de bien vouloir retirer cet amendement. Si tel n'était pas le cas, la commission émettrait un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Pour les mêmes raisons que la commission, et en particulier parce que cet amendement est satisfait par l'amendement n° 24 qui a été précédemment adopté, le Gouvernement émet un avis défavorable.

M. le président. Madame Didier, l'amendement n° 434 est-il maintenu ?

Mme Evelyne Didier. Je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 434 est retiré.

L'amendement n° 25, présenté par M. Sido, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :

Dans le troisième alinéa (2°) du texte proposé par le IV de cet article pour l'article L. 216-7 du code de l'environnement, remplacer les mots :

le débit minimal prévu

par les mots :

les dispositions relatives au débit minimal prévues

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur. C'est un amendement de coordination.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 25.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 549 rectifié, présenté par M. Desessard, est ainsi libellé :

Compléter le texte proposé par le IV de cet article pour l'article L. 216-7 du code de l'environnement par un alinéa ainsi rédigé :

« En cas de condamnation, le tribunal peut ordonner qu'il soit mis fin aux opérations, à l'utilisation de l'ouvrage et de l'installation, jusqu'à mise en conformité légale, le cas échéant dans le cadre de la procédure prévue à l'article L. 216-9. L'exécution provisoire de cette décision peut être ordonnée. »

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Si nous avons déposé cet amendement, c'est parce que nous sommes toujours guidés par cette logique de délits écologiques et de délits environnementaux, qui ne consiste pas simplement à dire que la nature finira bien par s'arranger de ces choses. Nous savons qu'aujourd'hui la nature ne peut plus s'en arranger, et qu'il faut prendre des mesures.

En cas de condamnation, le tribunal doit donc pouvoir ordonner qu'il soit mis fin aux opérations, à l'utilisation de l'ouvrage et de l'installation, jusqu'à mise en conformité légale, le cas échéant dans le cadre de la procédure prévue à l'article L. 216-9. En outre, l'exécution provisoire de cette décision doit pouvoir être ordonnée.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Sido, rapporteur. Il me semble que l'ensemble des outils dont l'Etat et les tribunaux disposent pour faire assurer le respect des dispositions relatives à la police de l'eau est déjà fort complet.

La création d'une peine complémentaire apparaît excessive. La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Cet amendement tend à renforcer les sanctions en enjoignant au tribunal, en cas de condamnation, de prononcer la suspension du fonctionnement de l'installation jusqu'à sa mise en conformité.

Or le dispositif de sanction est renforcé par l'article 6 du projet de loi. C'est la raison pour laquelle je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'en prévoir d'autres.

Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 549 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 7, modifié.

(L'article 7 est adopté.)

Art. 7
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Art. additionnel après l'art. 7 (interruption de la discussion)

Article additionnel après l'article 7

M. le président. L'amendement n° 317, présenté par M. Esneu, est ainsi libellé :

Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article L. 218-10 du code de l'environnement, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. L. ... - Le fait pour un navire, pénétrant dans les eaux territoriales ou intérieures françaises, afin d'accéder aux ports français ou à des installations terminales situées dans les eaux territoriales ou intérieures françaises sans avoir au préalable :

« - soit vidangé, les volumes de coques affectés à cet effet, des eaux de ballast et des sédiments qu'ils contiennent, en dehors des eaux territoriales et eaux intérieures françaises ou dans des zones désignées par le représentant de l'Etat en mer ;

« - soit effectué un échange de lest, par remplacement à flot continu, en dehors des eaux territoriales et eaux intérieures françaises ;

« constitue une infraction punie de 1 000 000 euros d'amende.

« Cette disposition s'applique aux :

« - navires-citernes d'une jauge brute égale ou supérieure à 150 tonneaux ;

« - navires autres que navires-citernes d'une jauge brute égale ou supérieure à 500 tonneaux. »

La parole est à M. Michel Esneu.

M. Michel Esneu. Il s'agit de protéger nos cultures marines et nos côtes en insérant dans le code de l'environnement un article faisant obligation, pour un navire qui pénètre dans les eaux territoriales ou intérieures françaises, soit de vidanger les volumes de coques affectés à cet effet des eaux de ballast et des sédiments qu'ils contiennent en dehors des eaux territoriales et eaux intérieures françaises ou dans des zones désignées par le représentant de l'Etat en mer, soit d'effectuer un échange de lest, par remplacement à flot continu, en dehors des eaux territoriales et eaux intérieures françaises.

Dans le cas contraire, cela constituerait une infraction punie d'un million d'euros d'amende, cette disposition s'appliquant aux navires-citernes d'une jauge brute égale ou supérieure à 150 tonneaux et aux navires autres que navires-citernes d'une jauge brute égale ou supérieure à 500 tonneaux.

Je précise que l'on estime que 3 milliards à 10 milliards de tonnes d'eau sont transportées chaque année par les ballasts de navires, transférant ainsi d'une région à une autre de nombreuses espèces vivantes qui peuvent s'avérer envahissantes lorsqu'elles sont relâchées dans un environnement différent.

M. le président. Le sous-amendement n° 684, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Compléter le texte proposé par l'amendement n° 317 pour insérer un article après l'article L. 210-10 du code de l'environnement par un alinéa ainsi rédigé :

« Un décret en Conseil d'Etat fixe la date d'entrée en vigueur et les modalités d'application du présent article »

La parole est à M. le ministre.

M. Serge Lepeltier, ministre. Je retire ce sous-amendement, monsieur le président.

M. le président. Le sous-amendement n° 684 est retiré.

Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 317 ?

M. Bruno Sido, rapporteur. L'amendement n° 317 est très technique et procède, en première analyse, à la transposition dans notre droit interne de la convention internationale pour le contrôle et la gestion des eaux et sédiments de ballast adoptée par l'OMI, l'Organisation maritime internationale, le 13 février 2004.

La commission des affaires économiques, qui juge ce dispositif intéressant, souhaiterait néanmoins obtenir quelques précisions techniques de la part du Gouvernement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Serge Lepeltier, ministre. Le problème posé par cet amendement est, vous le savez, excessivement important puisque les transferts d'eau liés aux déballastages - les grands vraquiers transportent de 15 000 à 100 000 tonnes d'eau de lest - représentent 3 milliards à 10 milliards de tonnes d'eau par an selon l'Organisation maritime internationale. Ils ont entraîné l'apparition d'espèces nouvelles dans un certain nombre d'écosystèmes.

C'est pourquoi une convention internationale pour le contrôle et la gestion des eaux et sédiments de ballast a été mise en chantier. Adoptée le 13 février 2004 à l'issue de la conférence diplomatique organisée par l'OMI à Londres du 9 au 13 février, elle entrera en vigueur douze mois après sa ratification par trente Etats représentant au moins 35 % du tonnage de la flotte mondiale.

A ce jour, la France n'a pas encore ratifié cette convention, mais elle a inscrit cette ratification parmi ses objectifs.

Le principe de la convention est que les rejets d'eaux de ballast à la mer sont autorisés, à condition que ces eaux soient d'une qualité minimale définie par la convention et que le navire se trouve à plus de 200 milles - alors que l'amendement propose 12 milles - ou, à défaut, 50 milles de la terre la plus proche et par des fonds d'au minimum 200 mètres dans tous les cas.

Ces installations seront nécessairement coûteuses et la notion de « qualité minimale » nécessite encore beaucoup d'études.

Je comprends votre souhait, monsieur le sénateur, de vouloir édicter dès maintenant des règles, mêmes moins strictes, que la future convention, dont la date d'entrée en vigueur peut paraître lointaine.

Cependant, la mise en oeuvre d'une telle mesure, unilatéralement au niveau communautaire et international - comme le font cependant les Etats-Unis - est difficile.

Par ailleurs, tous les navires ne sont pas équipés de dispositifs de vidange-ballastage en flux continu pour éviter les variations d'assiette du navire, ce qui risque parfois de pénaliser les ports français par rapport à leurs concurrents, même si l'on peut supposer que ces navires ne sont pas les plus modernes.

Aussi, favorable sur le fond mais conscient des difficultés d'application de cette mesure de façon unilatérale en France alors que c'est une démarche communautaire voire internationale qui serait la plus efficace, je vous propose de retirer cet amendement.

Le Gouvernement s'engage, je vous le confirme, à travailler à la ratification de cette convention, en collaboration avec le secrétaire d'Etat à la mer.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Le Grand, pour explication de vote.

M. Jean-François Le Grand. J'ai entendu les arguments de M. le ministre, mais je tiens à remercier notre collègue Michel Esneu d'avoir présenté un amendement concernant les eaux de baignade. En effet, comme nous l'avons évoqué au cours de la discussion générale, la vidange des eaux de ballast influe directement sur les eaux de baignade.

J'ai eu l'occasion, à trois reprises, d'assister à des réunions de l'OMI. Ce docte organisme profère beaucoup d'incantations et d'imprécations, il émet un certain nombre de recommandations, mais il faut des années et des années avant de voir poindre les prémices d'une décision à l'horizon ! Dans le même temps, les zones côtières sont exposées aux mauvaises pratiques opérées dans des zones de non-droit.

Monsieur le ministre, au-delà de votre engagement de travailler à la ratification de la convention, ne serait-il pas envisageable d'introduire dans la loi une disposition qui, sans être trop normative, constituerait un début de transposition ?

En effet, de retard en report, les zones côtières continuent à être les victimes de ceux qui ne respectent rien. Une simple promenade le long des côtes, un « grèvage », comme on dit dans le département de la Manche, vous permettrait de constater le nombre impressionnant de déchets et les conséquences des déballastages - les eaux de ballast étant souvent, de surcroît, mélangées à d'autres produits - sur les eaux de baignade.

C'est la raison pour laquelle je me permets d'insister, monsieur le ministre, pour que vous accordiez un plus grand intérêt à l'amendement de notre collègue Michel Esneu. En tout cas, je m'associe à sa requête.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur. J'ai bien entendu les arguments avancés par le Gouvernement et par M. Le Grand.

Nous nous soucions, bien évidemment, des eaux de baignade, des eaux littorales et des eaux territoriales jusqu'à 200 milles nautiques au large des côtes. Néanmoins, en attendant l'entrée en vigueur de la convention, nous nous rallions aux explications du Gouvernement et nous sommes défavorables à cet amendement.

M. le président. Monsieur Esneu, l'amendement n° 317 est-il maintenu ?

M. Michel Esneu. Je noterai deux aspects : premièrement, la convention internationale pose des exigences supérieures à celles que je suggérais ; deuxièmement, compte tenu de l'importance du problème, la volonté de ratifier la convention est réelle.

Je comprends tout à fait la nécessité de l'harmonisation des règles. Dans ces conditions, je retire l'amendement.

M. le président. L'amendement n° 317 est retiré.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

9

Art. additionnel après l'art. 7 (début)
Dossier législatif : projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques
Art. 8

TRANSMISSION De PROJETs DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé des sportifs.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 284, distribué et renvoyé à la commission des affaires culturelles, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'assurance.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 285, distribué et renvoyé à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

10

TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Avant-projet de budget rectificatif n° 2 au budget général 2005. Etat général des recettes. Etat des recettes et des dépenses par section. Section I - Parlement. Section II - Conseil. Section III - Commission. Section IV - Cour de justice. Section V - Cour des comptes. Section VI - Comité économique et social européen. Section VII - Comité des régions. Section VIII Partie A - Médiateur européen. Section VIII Partie B - Contrôleur européen de la protection des données.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-2823 (annexe 2) et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Communication de la Commission. Livre vert. Face aux changements démographiques, une nouvelle solidarité entre générations.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-2848 et distribué.

11

DÉPÔT DE RAPPORTS

M. le président. J'ai reçu de M. André Boyer un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant certaines dispositions législatives relatives aux modalités de l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs de police en mer (n° 253, 2004-2005).

Le rapport sera imprimé sous le n° 280 et distribué.

J'ai reçu de M. Gérard Dériot un rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux droits des malades et à la fin de vie (n° 90, 2004-2005).

Le rapport sera imprimé sous le n° 281 et distribué.

J'ai reçu de M. Charles Revet un rapport fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan sur la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, relative à la création du registre international français (n° 265, 2004-2005).

Le rapport sera imprimé sous le n° 282 et distribué.

12

ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, jeudi 7 avril 2005 :

A neuf heures quarante-cinq :

1. Suite de la discussion du projet de loi (n° 240, 2004-2005) sur l'eau et les milieux aquatiques ;

Rapport (n° 271, 2004-2005) fait par M. Bruno Sido, au nom de la commission des affaires économiques et du Plan ;

Avis (n° 273, 2004-2005) de Mme Fabienne Keller, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation ;

Avis (n° 272, 2004-2005) de M. Pierre Jarlier, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.

A quinze heures et le soir :

2. Questions d'actualité au Gouvernement.

3. Suite de l'ordre du jour du matin.

Délai limite pour les inscriptions de parole et pour le dépôt des amendements

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux droits des malades et à la fin de vie (n° 90, 2004-2005) ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 11 avril 2005, à dix-sept heures ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 11 avril 2005, à seize heures.

Question orale avec débat n° 15 de M. Louis de Broissia à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer sur les modalités de transfert des routes nationales d'intérêt local aux conseils généraux ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 12 avril 2005, à dix-sept heures.

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant certaines dispositions législatives relatives aux modalités de l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs de police en mer (n° 253, 2004-2005) ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 12 avril 2005, à dix-sept heures ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 13 avril 2005, à dix-sept heures.

Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, relative à la création du registre international français (n° 269, 2004-2005) ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 12 avril 2005, à dix-sept heures ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 12 avril 2005, à dix-sept heures.

Personne ne demande la parole ?...

La séance est levée.

(La séance est levée le jeudi 7 avril 2005, à zéro heure trente-cinq.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD