compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

DÉmission de deux sénateurs

M. le président. M. le président du Sénat a reçu deux lettres par lesquelles se démettent de leur mandat sénatorial, à compter de ce lundi 27 juin, à minuit :

- M. Claude Bertaud, sénateur de la Vienne ;

- M. Jean-Pierre Chauveau, sénateur de la Sarthe.

Acte est donné de ces démissions.

3

Modification de l'ordre du jour

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement, la lettre suivante :

« Monsieur le président,

« En application de l'article 48 de la Constitution et de l'article 29 du règlement du Sénat, le Gouvernement modifie comme suit l'ordre du jour de la séance du mercredi 29 juin 2005, en accord avec la commission des lois :

« Mercredi 29 juin, l'après-midi :

« - Suite du projet de loi relatif au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale ;

« Mercredi 29 juin, le soir :

« - Projet de loi de sauvegarde des entreprises.

« Je vous prie d'agréer, monsieur le président, l'expression de mes sentiments fidèles et dévoués.

Signé : Henri CUQ.

Acte est donné de cette communication.

L'ordre du jour de la séance du mercredi 29 juin est ainsi modifié et le début de la discussion du projet de loi de sauvegarde des entreprises est avancé au mercredi 29 juin, au soir.

4

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification de la convention des Nations unies contre la corruption
Discussion générale (suite)

Convention des Nations unies contre la corruption

Adoption d'un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification de la convention des Nations unies contre la corruption
Art. unique (début)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification de la convention des Nations unies contre la corruption (nos 356, 395).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes, à qui je tiens à souhaiter la bienvenue, puisque, pour la première fois, elle va défendre un projet de loi à cette tribune.

Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la corruption est l'une des menaces majeures de notre époque.

Parce qu'elle est à la fois un phénomène social, culturel, économique et politique, elle se manifeste de manières diverses et complexes, minant la confiance dans l'action publique et dans les institutions, faussant la concurrence entre les entreprises, décourageant l'esprit de compétition.

Au-delà de tel ou tel aspect, elle agit toujours en corrodant le pacte social. C'est pourquoi il est de notre responsabilité de la prévenir et de la réprimer.

Si, fort heureusement, cette prise de conscience n'est pas nouvelle dans notre pays, au plan international, toutefois, il en est longtemps allé autrement, jusqu'à ce que la mondialisation mal maîtrisée et les défis qu'elle engendre poussent la communauté internationale à se doter des instruments adéquats pour combattre la corruption.

Depuis une dizaine d'années, plusieurs instruments internationaux anti-corruption ont vu le jour. La France les a d'ores et déjà appliqués, ou se donne les moyens de les ratifier et de les mettre en oeuvre dans les meilleurs délais.

Je citerai, ainsi, la convention du 26 mai 1997 relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des Etats membres de l'Union européenne, la convention du 17 décembre 1997 sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, adoptée sous l'égide de l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, et, enfin, les conventions pénale et civile du Conseil de l'Europe sur la corruption du 27 janvier 1999 et du 4 novembre 1999.

Tous ces instruments auront maintenant leur clef de voûte avec la convention des Nations unies contre la corruption, dont l'examen et la ratification nous réunissent aujourd'hui.

Ce texte marque une nouvelle étape en ce qu'il constitue le premier instrument à la fois universel et global en la matière. En fixant un ensemble cohérent de principes et de règles communs, en matière tant de prévention que de répression de la corruption, il devrait favoriser la coopération internationale entre un nombre important d'Etats et contribuer ainsi à la mise en place d'une véritable action internationale de lutte contre la corruption et d'une culture internationale de l'intégrité.

Le nouvel instrument prévoit, en effet, un large éventail d'incriminations et de mesures préventives touchant aussi bien le secteur public que le secteur privé. II instaure des mécanismes de coopération pénale efficaces, mais, surtout, il établit des mécanismes juridiques nouveaux de portée obligatoire en matière de recouvrement des avoirs illicites issus de la corruption.

Ces dispositions de coopération judiciaire permettront aux Etats affectés par les différentes formes de corruption de recouvrer les avoirs dont ils sont propriétaires auprès de l'Etat où ils se trouvent.

Il s'agit, sans aucun doute, du domaine dans lequel la convention constitue l'avancée la plus significative par rapport au droit existant, et, pour nos partenaires du Sud, d'un élément déterminant.

Une forte volonté politique a été nécessaire, parmi les différentes délégations, pour conclure la négociation de ce texte. Cette volonté leur a permis de surmonter leurs divergences et de doter la communauté internationale d'un instrument de standard élevé et exigeant de lutte contre le fléau de la corruption.

La France n'a pas été la moins à l'ouvrage, notamment en formulant une proposition novatrice dans le domaine de la restitution des fonds publics détournés.

Parce qu'elle était le reflet de la priorité politique que notre diplomatie accorde à cette convention, nous l'avons signée dès le premier jour de la conférence de signature, le 9 décembre 2003, à Mérida, au Mexique.

Dix-huit mois après sa signature, la convention des Nations unies contre la corruption est en passe de recueillir les trente ratifications nécessaires à son entrée en vigueur, ce qui témoigne de son importance et des fortes attentes qu'elle suscite.

Par les actions de coopération technique qu'elle permettra, cette convention est appelée à ouvrir un nouveau chapitre de l'action internationale contre la  société « incivile ». Complétant le dispositif prévu par la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, à laquelle notre pays est partie depuis le 29 octobre 2002, elle sera un levier essentiel pour conduire notre planète vers davantage de paix, de sécurité, de développement et de respect des droits individuels.

En la ratifiant rapidement, la France démontrera qu'elle est fidèle à ses engagements. Elle manifestera son souci d'intégrer dans son action de coopération internationale les exigences de renforcement de l'état de droit qui doivent s'inscrire désormais - chacun en convient - au coeur de toute politique d'aide au développement.

Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle, de ma part, la convention de Mérida, qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. André Rouvière, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. « La corruption est un mal insidieux qui appauvrit de nombreux pays, compromet les résultats économiques, affaiblit les institutions démocratiques et l'état de droit, fragilise le tissu social et favorise la criminalité organisée, le terrorisme et les autres menaces à la sécurité. »

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ainsi s'exprimait le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, dans son message adressé aux participants à la conférence de Mérida, au cours de laquelle fut signée, le 9 décembre 2003, la convention des Nations unies contre la corruption qu'il nous est demandé d'approuver aujourd'hui.

Kofi Annan soulignait également que, touchant les pays pauvres de manière disproportionnée, la corruption détournait les maigres ressources destinées à des besoins essentiels comme l'alimentation, la santé et l'éducation, et constituait « un obstacle majeur à la stabilité politique et à un développement économique et social réussi ».

La lutte contre la corruption figure depuis une décennie à l'ordre du jour des principales organisations internationales.

J'ai mentionné, dans mon rapport écrit -  vous les avez citées, madame la ministre - les diverses conventions adoptées sous l'égide de l'Union européenne, de l'Organisation des Etats américains, de l'OCDE, du Conseil de l'Europe ou, plus récemment, de l'Union africaine.

On doit également rappeler que l'incrimination de la corruption des agents publics nationaux figure parmi les dispositions de la convention dite de Palerme contre la criminalité transnationale organisée, adoptée en 2000 sous l'égide des Nations unies.

Il est permis de s'interroger : compte tenu de ce foisonnement d'initiatives, pourquoi élaborer un nouveau traité ? Qu'apportera-t-il par rapport aux différents traités existants ?

Premièrement, il apparaît que l'essentiel des conventions en vigueur ont été conclues dans un cadre régional et se limitent à quelques pays.

Ainsi, la convention de l'OCDE ne lie que les trente Etats de l'Organisation et trois Etats non membres. Les conventions du Conseil de l'Europe ont été ratifiées par trente Etats en ce qui concerne la convention pénale et vingt-trois Etats en ce qui concerne la convention civile. Les conventions interaméricaine et interafricaine n'ont été approuvées que par une partie des Etats de ces continents.

Le premier objet de la convention des Nations unies est donc d'aller au-delà du champ géographique, encore trop restreint, des instruments actuels, mais aussi de couvrir un champ d'application matériel plus large.

En effet, les conventions existantes ne traitent que certains aspects des phénomènes de corruption.

Le cas le plus flagrant est celui de la convention de l'OCDE, qui ne s'intéresse qu'à la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales. La préoccupation se limite, ici, à ne pas fausser la concurrence entre les exportateurs des grands pays développés, en proscrivant la pratique des commissions pour l'obtention de marchés ou de grands contrats.

Quant à la convention contre la criminalité transnationale organisée, elle comporte un seul article sur la corruption. Celle-ci est traitée comme une activité connexe des différentes formes de criminalité internationale.

C'est donc en vue d'aborder de la manière la plus complète et la plus globale possible la lutte contre la corruption, puis de donner aux principes retenus une portée mondiale, que l'Assemblée générale des Nations unies décidait, à la fin de l'année 2000, de lancer la négociation d'une convention internationale contre la corruption.

Adopté à l'automne 2003, le texte qui nous est aujourd'hui soumis comporte une liste précise des infractions que les Etats parties devront sanctionner dans leur législation pénale, en particulier la corruption active et passive d'agents publics nationaux, la corruption active et passive d'agents publics étrangers ou de fonctionnaires d'organisations internationales publiques pour l'obtention d'un marché en matière de commerce international, le détournement de biens par un agent public, le blanchiment du produit du crime, le recel et l'entrave au bon fonctionnement de la justice. Les Etats parties devront également établir un régime de responsabilité pénale des personnes morales impliquées dans la corruption.

Mais la particularité de cette convention est qu'elle va au-delà des dispositions à caractère pénal. Ses deux volets les plus originaux concernent la prévention de la corruption - avec des engagements visant à promouvoir un environnement administratif et juridique plus favorable à la lutte contre la corruption - et surtout, vous l'avez souligné, madame la ministre, la réparation des préjudices. Elle érige en principe fondamental la restitution des avoirs détournés et décrit les mesures à prendre pour leur recouvrement direct, en permettant les actions civiles destinées à faire reconnaître l'existence d'un droit de propriété au profit des Etats spoliés et en établissant une procédure de confiscation.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a, bien entendu, approuvé cette convention. C'est certainement la première fois qu'un instrument international aborde de manière aussi complète et aussi détaillée tous les aspects de la lutte contre la corruption. Cette convention constitue donc un incontestable pas en avant, même si demeurent certaines interrogations quant à sa mise en oeuvre effective.

L'une des principales faiblesses du texte réside sans doute dans son mécanisme de vérification et de suivi, qui nous paraît guère étoffé et peu contraignant. En effet, celui-ci repose entièrement sur la conférence des Etats parties, dont les attributions sont définies de manière assez vague. De plus, aucune procédure de mise en demeure d'un Etat qui manquerait à ses obligations n'est prévue. Nous sommes ici très en retrait par rapport aux mécanismes mis en place dans le cadre des conventions du Conseil de l'Europe ou de l'OCDE, qui font appel à des groupes d'experts et à des procédures d'examen et d'évaluation mutuelle de nature à exercer une pression beaucoup plus forte sur les pays qui n'adaptent pas suffisamment leur législation.

Par ailleurs, en dépit du souci d'exhaustivité que traduit la convention, on peut douter qu'elle soit à même de colmater toutes les brèches par lesquelles s'alimentent les circuits financiers de la corruption. Je pense, en particulier, aux centres offshore, qui ont adopté une réglementation d'exception pour les activités financières internationales.

Néanmoins, ces réserves ne doivent pas masquer l'importance de la convention des Nations unies contre la corruption. Il s'agit, je le répète, d'une étape symbolique, importante, forte, et d'un instrument utile pour amener un plus grand nombre d'Etats à progresser sur la voie de la bonne gouvernance et de l'état de droit.

La France, qui a déjà largement adapté sa législation pour se mettre en conformité avec les conventions de l'Union européenne, de l'OCDE et du Conseil de l'Europe, entend rapidement rejoindre les vingt-sept pays déjà parties à la convention, laquelle entrera en vigueur après le dépôt de trente instruments de ratification.

Nous approuvons cette volonté d'agir, en regrettant toutefois qu'un an et demi se soit écoulé entre l'adoption de la convention et le dépôt du projet de loi.

D'une manière plus générale, permettez-moi, madame la ministre, de réitérer un voeu déjà formulé à plusieurs reprises auprès de plusieurs gouvernements successifs, qu'ils soient d'ailleurs de gauche ou de droite. Tous les ministres que j'ai interpellés m'ont répondu que cette idée était excellente et qu'ils y donneraient suite...

Nous pensons qu'il serait bon que le Parlement, régulièrement sollicité pour approuver de nombreux instruments internationaux, soit également tenu périodiquement informé de l'état d'application des engagements souscrits dans le cadre de ces divers accords et traités.

En effet, nous votons des textes internationaux, mais nous ne savons pas ce qu'ils deviennent. Il serait intéressant de faire périodiquement, peut-être une fois par an, le bilan de leur application, de leurs succès ou de leurs insuccès. Cela nous permettrait de nous assurer qu'ils ne restent pas lettre morte. J'espère donc, madame la ministre, que vous serez la première à concrétiser le voeu que je formule et qui est également celui, unanime, de la commission.

Sous réserve de ces observations, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous demande, mes chers collègues, d'adopter ce projet de loi. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ayant signé la convention des Nations unies contre la corruption, à Mérida, dès le premier jour de son ouverture à la signature, le 9 décembre 2003, la France est impliquée dans « le groupe des amis de la convention ». Son rôle, lorsque ce traité sera ratifié, sera de promouvoir la convention dans le monde, dans le cadre du G8, et de veiller à l'équilibre relatif des signataires quant à leur situation géographique et à leur niveau de développement.

Puissance européenne, patrie de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la France s'est toujours posée en garante des droits de l'homme et de l'état de droit dans le monde. Ces deux notions vitales, consubstantielles à la démocratie, sont encore aujourd'hui mises à mal, comme la démocratie d'ailleurs, dans un certain nombre d'Etats - dans des pays en développement, des démocraties naissantes, bien sûr, mais pas uniquement - par un mal qui la ronge : la corruption.

Attachée à la promotion de la démocratie dans le monde, il était normal que la France souhaite s'engager plus avant dans la lutte contre la corruption. L'entrée dans l'Union européenne d'un Etat candidat est en partie subordonnée à sa capacité à endiguer la corruption, qui nuit à son développement économique, à l'instauration de l'état de droit - il dépend, en particulier, du bon fonctionnement de sa justice - mais aussi, et prioritairement, à la promotion de la justice sociale.

Comme l'a relevé M. le rapporteur, la lutte contre la corruption a été au coeur d'un grand nombre d'actions au sein de plusieurs organisations régionales ou regroupement d'Etats - l'OCDE, le Conseil de l'Europe, dont je suis membre, l'Union européenne, l'Organisation des Etats américains, l'Union africaine - cherchant à stabiliser leur territoire et à y instaurer durablement paix et démocratie. Cette lutte a donc donné naissance à une législation florissante et à des instruments variés, qui ont permis de mettre en place de nombreux outils à l'efficacité très variable et, parfois, relative.

Néanmoins, force est de constater que, comme le terrorisme, la corruption n'a pas de frontières et utilise même cette caractéristique comme un atout face à des Etats dont la capacité à agir dépend très largement de la coordination de leurs efforts. Les Nations unies ont donc choisi d'inscrire la lutte contre la corruption, qui est nuisible à l'état de droit et à la démocratie, dans la liste de leurs objectifs. Complémentaire à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée adoptée en 2000, la présente convention est un nouvel instrument dont la portée est plus globale. Elle traite pour la première fois tous les aspects de la corruption.

Le texte qui nous est soumis prévoit en effet un grand nombre d'instruments visant à créer des normes universelles d'investigation afin de pouvoir sanctionner le phénomène, en particulier en harmonisant les règles de droit et de procédure pénale pour permettre une coopération internationale accrue. La convention comporte également un volet prévention, qui s'attaque aux ferments mêmes de ce mal, dont le contexte est clairement déterminé.

Au coeur de ces mesures, le chapitre IV de la convention réaffirme les principes de la coopération internationale en matière pénale. Les Etats parties doivent se prêter mutuellement assistance dans les enquêtes et les procédures concernant les affaires civiles et administratives relatives à la corruption. Ils doivent coordonner leurs procédures judiciaires, d'enquêtes, prévoir des accords d'extradition et de transfèrement des personnes condamnées, d'entraide judiciaire ou de coordination entre les services de détection et de répression.

En matière de prévention, la convention impose aux Etats parties, par le biais de directives, la mise en oeuvre d'un certain nombre de mesures qui concernent tant le secteur public que le secteur privé et qui sont les garanties de base de l'instauration de l'état de droit : transparence et objectivité des règles de recrutement ; code de conduite pour les fonctionnaires et les entreprises ; principes de base visant à renforcer la transparence et la responsabilité dans la gestion des finances, du financement des campagnes électorales - en France, nous y avons mis bon ordre - et des marchés publics, mais aussi de la comptabilité des entreprises ; enfin, prévention du blanchiment d'argent. L'instauration d'une législation très stricte dans le domaine de la commande publique revêt un caractère impérieux pour les Etats fragiles, afin qu'ils puissent maîtriser la passation des marchés publics.

En matière d'harmonisation des législations nationales visant à incriminer, à détecter et à sanctionner les délits en matière de corruption, le chapitre III de la convention est très précieux. Il prévoit en effet l'incrimination des faits de corruption active et passive et d'un ensemble de comportements liés, en particulier en ce qui concerne les agents publics, dont la définition est harmonisée.

La convention impose d'incriminer toute une série d'actes : corruption active d'agents publics étrangers et de fonctionnaires internationaux dans le cadre des transactions commerciales internationales, détournement de biens par un agent public, blanchiment de produits de crimes ou encore entrave au bon fonctionnement de la justice.

Il faut tout de même regretter que certaines dispositions d'incrimination, bien qu'importantes, restent facultatives : elles concernent, en particulier, le trafic d'influence, l'abus de fonctions, l'enrichissement illicite, la corruption privée ou encore la soustraction de biens dans le secteur privé et le recel. Tous ces délits font déjà l'objet de poursuites dans les Etats les plus avancés. Il est dommage que cela ne soit pas le cas dans les autres pays et que ces dispositions ne soient pas élevées au niveau de la norme internationale.

Enfin, mesure centrale et, selon moi, principale innovation de la convention, le chapitre V aborde la question de la restitution des avoirs, que vous avez évoquée, monsieur le rapporteur. Le principe de restitution est pour la première fois consacré en droit international. Il vise à permettre à un Etat ayant formé la demande de coopération de récupérer les produits des infractions de détournement de fonds publics et de blanchiment de ces fonds.

Cette mesure a été fortement défendue par la France, qui répondait à la demande des pays du Sud. En effet, l'évasion des fonds de leur territoire constitue un manque à gagner parfois considérable pour leur économie, enrichissant d'autres états et pénalisant ainsi très lourdement leur développement. Or, celui-ci figure désormais, rappelons-le, parmi les objectifs prioritaires de la France, de l'Union européenne et des Nations unies pour ce millénaire.

Ce texte va dans le bon sens ; il permet un grand nombre d'avancées pour l'établissement stable de l'état de droit dans le monde, primordial pour une mise en oeuvre durable de la paix, ainsi que la promotion des valeurs universelles au fondement de la démocratie que nous ne pouvons que soutenir. C'est pourquoi les membres du groupe de l'Union centriste-UDF voteront ce projet de loi en vue d'une ratification, que nous espérons rapide, de la convention.

Aucun des articles de ce texte n'est malheureusement d'application directe, madame la ministre. Par conséquent, la valeur de cette convention dépendra très largement de la capacité de la société internationale à la promouvoir et à la faire appliquer. La France a le devoir et la responsabilité de se donner des moyens qui soient à la hauteur de cette ambition.

Espérons enfin qu'un certain nombre d'Etats dans lesquels la démocratie reste fragile, voire est en danger, traduiront la ratification de la convention par une évolution positive de leur droit, par le biais d'une transposition fidèle et malgré une lacune flagrante du texte qui ne prévoit pas de mécanismes de vérification et de suivi suffisamment contraignants.

M. le président. La parole est à M. Robert Del Picchia.

M. Robert Del Picchia. Madame la ministre, je suis tout à fait d'accord avec les propos qui viennent d'être tenus.

J'interviens simplement pour vous témoigner le soutien que vous apportent les Français établis hors de France. En effet, nos compatriotes de l'étranger sont aussi victimes de la corruption dans leur travail, dans leur entreprise, au sein de leur pays de résidence. Ils soutiennent donc totalement cette convention, que nous approuverons, bien entendu.

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l'article unique.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification de la convention des Nations unies contre la corruption
Art. unique (fin)

Article unique

Est autorisée la ratification de la convention des Nations unies contre la corruption, adoptée à New York le 31 octobre 2003, dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté à l'unanimité.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures trente, est reprise à quinze heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

Art. unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification de la convention des Nations unies contre la corruption
 

5

 
Dossier législatif : projet de loi relatif au développement des services à la personne et à diverses mesures en faveur de la cohésion sociale
Discussion générale (suite)

Services à la personne et mesures en faveur de la cohésion sociale

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au développement des services à la personne et à diverses mesures en faveur de la cohésion sociale
Question préalable

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale (nos 411,414).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai le plaisir de vous présenter, avec Catherine Vautrin, ce projet de loi qui a fait l'objet d'une longue concertation avec les acteurs du secteur des services à la personne.

Tout d'abord, permettez-moi de souligner la qualité du travail réalisé par la commission des affaires sociales, présidée par M. Nicolas About, et de transmettre à ce dernier un message affectueux de la part de Catherine Vautrin et de moi-même en ce moment particulier. Permettez-moi également de souligner le travail remarquable effectué par M. Dominique Leclerc, rapporteur.

C'est dans le cadre de l'élaboration des différents programmes du plan de cohésion sociale que nous avons identifié, suite à de nombreux rapports qui nous ont été remis, le fort potentiel de ce secteur d'activité. Ces rapports mettent en évidence que les services à domicile ou à la personne sont bien développés en France dans le secteur sanitaire et social alors qu'ils sont quasi inexistants dans les autres secteurs qu'ils pourraient concerner. Les chiffrages relatifs aux gisements d'emplois figurant dans les rapports précités sont considérables.

Un constat s'impose : en Occident, le secteur des services à la personne est celui qui progresse le plus vite ; en France, il emploie 1,2 million de personnes et présente la plus forte croissance. Néanmoins, on sent bien qu'il existe dans ce secteur des potentialités d'activité. Pour l'instant, ces dernières sont bloquées pour un certain nombre de raisons que les principaux acteurs du secteur - l'économie solidaire, le tissu associatif, les entreprises, ou encore les particuliers employeurs - ont parfaitement décelées.

Ce projet de loi n'est que la concrétisation des divers points qui ont été soulevés par les différents partenaires de ce secteur. Selon ces derniers, le besoin en matière de services à la personne est immense et résulte d'un phénomène de société. Il traduit le nouvel équilibre entre vie familiale et vie professionnelle. L'accès à ces services doit être simplifié. Enfin, le développement de services complémentaires permettra de doubler les capacités du secteur.

Ces partenaires concluent ainsi : aidez-nous à lever les obstacles que rencontrent les personnes utilisatrices quant au coût des services, à la complexité des procédures, au problème de la qualité.

Aidez-nous à lever les obstacles que rencontrent les salariés du secteur : droits sociaux souvent au rabais, temps partiel imposé, faible niveau de rémunération et insuffisance de la formation dans certains cas.

Enfin, aidez-nous à lever les obstacles que rencontrent les employeurs, qu'il s'agisse d'associations, d'entreprises ou de particuliers, au niveau de la complexité des procédures d'agrément et du poids des charges sociales.

La démarche qui vous est soumise aujourd'hui consiste à s'attaquer simultanément et massivement à l'ensemble de ces freins. Il s'agit d'un plan global qui s'inscrit dans la durée et qui repose sur une dynamique d'accords mutuellement gagnants entre les différentes catégories d'acteurs.

Le projet de loi que je vous propose est assez pragmatique. Il a pour vocation de réussir cette révolution des services à la personne, de permettre d'améliorer la qualité de vie de nos compatriotes, notamment des femmes qui travaillent, et de développer un gisement d'emplois important non délocalisables, des emplois, selon la délicate expression d'une journaliste, «qui rendent service ».

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Exactement !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Le premier objectif de ce projet de loi est de rendre l'accès aux services à la fois plus simple et moins coûteux pour nos concitoyens grâce à l'institution du chèque-emploi-service universel. Comme le chèque emploi-service, il est conçu comme un outil de simplification, mais il sera utilisable pour tous les prestataires, ce qui est une révolution.

Il permettra d'abaisser le coût du service pour le particulier puisqu'il pourra être abondé par l'entreprise, dans des conditions défiscalisées.

Je résumerai en disant que le CESU simplifiera les procédures, réduira les coûts, sera d'utilisation rapide et de diffusion large.

A ce propos, entre le moment où nous avons présenté ce texte et aujourd'hui, l'Association française des banques nous a notifié qu'elle souhaite diffuser le CESU sur l'ensemble des réseaux bancaires et, de surcroît, le rendre endossable. Il deviendra donc un véritable titre de paiement, une nouvelle monnaie affectée au développement des services à la personne.

Le deuxième objet de ce projet de loi est de promouvoir l'offre et d'améliorer les conditions d'exercice des métiers de service à la personne. Il s'agit donc d'élargir à des activités connexes, proches des services traditionnels à la personne, la gamme de services pour augmenter le temps de travail par la polyvalence. Dans ce secteur, au-delà de la prestation solvabilisée - type loi de 2002 - il y a toute une palette de services qui peuvent être fournis et qui doivent avoir les mêmes avantages que les activités plus classiques, le tout étant coordonné et développé par une Agence nationale des services à la personne.

Quand nous avons commencé à examiner ce dossier, vingt-trois administrations différentes relevant de onze ministères avaient à en connaître. Il était donc nécessaire de mettre en place l'Agence nationale des services à la personne, une structure légère - trois ou quatre personnes, il ne s'agit pas de créer un grand établissement - pour promouvoir, aider et développer les services à la personne dans notre société qui a souvent tendance à complexifier.

Les autres aspects de ce projet de loi concernent la formation professionnelle et les conventions collectives. A cet égard, les deux branches professionnelles concernées ont annoncé la semaine dernière leur volonté d'établir une convention collective commune.

Les professionnels du secteur ont affirmé être en mesure de doubler leur progression dans les trois ans ; à vrai dire, ils envisageaient de la quadrupler, mais nous avons retenu l'hypothèse la plus basse.

Ce secteur n'est pas constitué d'une succession de tâches. C'est un secteur global, avec une organisation, des directions des ressources humaines, du temps partagé de compétences, et c'est aussi un secteur qui a besoin de qualifications professionnelles, de garanties de prestation. C'est pourquoi nous aiderons au financement des grandes enseignes, celles-ci ne produisant pas d'activité mais garantissant aux personnes concernées qu'elles peuvent, où qu'elles soient et rapidement, avoir accès à une prestation d'une heure ou de deux heures avec une garantie de qualité d'une des grandes enseignes telles que la Caisse d'épargne, le Crédit mutuel, le groupe Banque populaire, AG2R, l'UNASSAD, l'ADMR, et bien d'autres.

Actuellement, cinq grands réseaux représentant quarante millions de sociétaires se mettent en place.

Les deux grandes fédérations, l'Union nationale des associations de soins et services à domicile, l'UNASSAD, et l'association d'aide à domicile en milieu rural, l'ADMR, souhaitent avoir leurs propres enseignes.

Nous avons confirmé le soutien de l'Etat au financement de ses enseignes à l'UNASSAD, qui tenait son assemblée générale vendredi dernier, lesquelles enseignes seront prêtes avant Noël. Par ailleurs, l'UNASSAD a annoncé lors de cette assemblée générale le recrutement pour cette année, si le texte est voté, de 30 000 personnes dans son seul réseau.

L'Assemblée nationale a adopté quelques amendements complémentaires.

Certains concernent une dématérialisation au moins partielle du CESU.

D'autres tendent à garantir l'habilitation, sachant que la loi de 2002 doit garder son plein effet dès lors qu'il y a solvabilisation par les conseils généraux : il s'agit d'étendre ce qui existe déjà, et non de transformer.

Une précision apportée par le rapporteur, M. Giro, tend à cantonner le nombre d'heures par prestation ouverte par le nouveau dispositif.

Telles sont, pour l'essentiel, les amendements adoptés par l'Assemblée nationale.

Par ailleurs, le texte comporte quelques mesures complémentaires au projet de loi de programmation sur la cohésion sociale, qui sont principalement : l'adaptation des contrats d'avenir, à la demande du FNASS, le Fonds national d'action sanitaire et sociale, et de l'UNIOPSS, l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux, aux chantiers d'insertion par l'aide à l'autonomie, afin de pouvoir adapter le temps à la réalité des chantiers d'insertion ; la possibilité de modifier par anticipation l'indice des logements ; la mise en place d'une caisse de garantie des revenus locatifs, garantie qui avait été négociée avec les partenaires sociaux.

Il s'agit là d'ajustements complémentaires. L'essentiel du projet de loi concerne bien le développement du secteur des services à la personne, secteur dans lequel nous avons des acteurs très performants qui souhaitent pouvoir étendre leur gamme d'activités. Alors que la population française souhaite améliorer ses conditions de vie, nous avons des opérateurs autres que ceux de l'économie solidaire qui souhaitent pouvoir y travailler dans des conditions où la qualité professionnelle est contrôlée par l'Etat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui est très attendu : attendu par un secteur économique en pleine évolution - je dirai même, en vous reprenant, en pleine révolution -, celui des services à la personne, des services de proximité ; attendu par tous les acteurs du secteur, comme j'ai pu le constater au cours des nombreuses auditions que j'ai menées ; attendu aussi par nos concitoyens qui expriment de plus en plus le souhait d'accéder plus facilement et à moindre coût à un certain nombre de services.

Ce projet est, de plus, l'une des mesures phares du Gouvernement, un élément essentiel dans la bataille pour l'emploi, et je suis convaincu de l'impact réel qu'il aura sur le terrain.

Aussi, il mérite que nous lui apportions notre soutien et notre confiance.

Les mesures les plus novatrices du texte figurent dans sa première partie, les services à la personne. Le Gouvernement fait le pari de l'émergence rapide d'un secteur économique encore insuffisamment développé et de l'existence vraisemblable d'un réel gisement d'emplois.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué le chiffre de 500 000 nouveaux emplois en trois ans. Le Conseil d'analyse économique, dans un rapport, envisage la création de un million d'emplois si chaque ménage recourt à deux heures de service par semaine.

J'utilise à dessein le mot pari, car nos concitoyens n'ont pas encore pris l'habitude de recourir à ces services. Or, cette situation doit à l'avenir évoluer, notamment du fait du vieillissement de la population. Un large public de retraités a incontestablement les moyens de recourir à des services de proximité.

De même, l'augmentation du taux d'activité des femmes et l'accroissement du nombre de personnes devant faire face, seules, aux nécessités de la vie quotidienne sont autant de facteurs qui militent en faveur d'un rapide essor de ce secteur.

Un tel essor nécessite néanmoins que les ménages fassent des arbitrages différents sur leur budget. Ceux qui le feront gagneront, en échange, en termes de qualité de vie et de lien social. La variété des services envisageables et du type d'intervenants étant large, chacun doit pouvoir y trouver un intérêt.

Le projet a trois objectifs principaux : solvabiliser la demande de services afin de promouvoir un accès universel à des services de qualité ; simplifier l'accès aux services, notamment par la création du chèque-emploi-service universel, le CESU ; professionnaliser le secteur et garantir la qualité des prestations.

Premier objectif, la solvabilisation de la demande passe par une série d'avantages et d'exonérations qui, à mon sens, sont réellement incitatifs : la suppression de toute cotisation patronale pour les prestataires ayant reçu un agrément de l'Etat, dans la limite d'un plafond ; l'allégement de quinze points de charges au profit des particuliers employeurs ; l'exonération de cotisations sociales sur la partie du CESU financée par l'employeur, et cela dans la limite de 1 839 euros par an et par salarié ; un crédit d'impôt de 25 % pour les entreprises sur la base de cet abondement ; le maintien du taux de TVA réduit à 5,5 % pour les professionnels du secteur ; enfin, une réduction d'impôt sur le revenu à hauteur de 50 % des sommes dépensées pour l'emploi d'un salarié à domicile, dans la limite de 15 000 euros par an.

J'ajoute que le Gouvernement s'est clairement engagé à ce que le manque à gagner de la sécurité sociale lié à toutes ces exonérations soit intégralement compensé par l'Etat.

J'imagine, monsieur le ministre, madame la ministre, que vous pourrez nous le confirmer ici au Sénat. Vous savez à quel point notre commission des affaires sociales est attentive à cette question.

Deuxième objectif du texte, la simplification de l'accès aux services est notamment permise par la création du chèque-emploi-service universel, qui regroupe les fonctionnalités des actuels chèques-emploi-service et titres emploi service dont il étend le champ d'utilisation, par exemple, au paiement des assistants maternels agréés.

Les entreprises pourront participer au financement des CESU qui, dans ce cas, seront pré-remplis et pourront être utilisés pour toutes les prestations qui entrent dans le champ de la loi. Cet aspect du dispositif est très important, car il peut permettre d'orienter une partie de la politique sociale des entreprises et de leurs comités d'entreprise vers l'activité économique et la création d'emplois.

Je souligne au passage que les emplois créés dans ce secteur des services à la personne sont des emplois de proximité, par définition non délocalisables, ce qui est actuellement un élément important.

Le grand intérêt que les banques manifestent pour le CESU devrait lui assurer une très large diffusion.

Le troisième objectif, enfin, concerne la professionnalisation du secteur et la qualité des prestations.

Le principal outil utilisé sera l'agrément, qui devra être donné sur des critères de qualité.

Le régime applicable aux services rendus aux publics vulnérables - enfants, personnes âgées, personnes handicapées, personnes dépendantes - restera néanmoins inchangé, en particulier les modalités actuelles de l'autorisation, et cela est important. Nous souhaiterions, monsieur le ministre, que vous puissiez nous le confirmer. En effet, nous sommes nombreux à vouloir que les personnes fragiles puissent bénéficier de prestations fiables et de qualité. Le système mis en place à cet effet est en cours d'organisation. Il est important qu'il puisse continuer à oeuvrer en faveur de ces publics vulnérables.

Pour piloter la mise en oeuvre de la réforme, une Agence nationale des services à la personne est créée. C'est un élément essentiel, car plus d'une vingtaine d'administrations différentes sont compétentes et il est important que l'on puisse disposer d'un interlocuteur unique.

Votre intention, monsieur le ministre, est que cette agence soit mise en place dès le mois de septembre prochain. C'est une bonne chose, car il est nécessaire d'appliquer rapidement les dispositifs que nous votons.

Le CESU devrait, quant à lui, être disponible à partir du 1er janvier 2006.

Cette première partie du texte me semble recueillir un assez large consensus,...

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas sûr !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. ... qui témoigne de la concertation longue et approfondie qui a précédé son élaboration.

C'est pourquoi la commission n'envisage pas de remise en cause fondamentale du titre Ier. Néanmoins, elle proposera quelques amendements ayant pour objet de clarifier la définition de la situation de mandataire, quel que soit l'intervenant, association ou entreprise ; de prendre en compte des situations d'urgence afin de permettre à titre exceptionnel l'utilisation de CESU préfinancés sans mention du nom du bénéficiaire ; de remplacer l'exonération de cotisations sociales patronales de quinze points applicable aux particuliers employeurs par une exonération de 50 %, ce qui présente l'avantage d'offrir une meilleure lisibilité en même temps que de rendre possible une évolution proportionnelle à celle du taux des cotisations à l'avenir ; enfin, d'assouplir légèrement les règles du code de la consommation pour permettre le développement, sous forme d'abonnement, de l'activité « homme toutes mains », c'est-à-dire du petit bricolage.

Le titre II du projet de loi, vous nous l'avez dit, monsieur le ministre, relève en revanche plutôt du « repentir ».

Il comporte différentes mesures tendant à corriger, mais à la marge seulement, plusieurs dispositions de la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale afin d'en améliorer l'efficacité.

Ces correctifs concernent les contrats aidés et l'apprentissage.

D'abord, des précisions utiles sont apportées s'agissant du contrat d'avenir et du CI-RMA, le contrat d'insertion-revenu minimum d'activité.

La durée du contrat d'avenir pourra être inférieure à deux ans, avec un plancher de six mois, pour les ateliers et les chantiers d'insertion, lesquels fonctionnent le plus souvent avec un système de missions auquel le seuil de deux ans n'était peut-être pas le mieux adapté. En revanche, pour les autres catégories d'employeurs, la durée de droit commun demeure fixée à deux ans pour aider réellement les bénéficiaires du contrat d'avenir à sortir de la précarité.

A cet égard, le texte prévoit la possibilité pour les communes d'engager elles-mêmes des chantiers d'insertion ; la commission propose que les établissements publics de coopération intercommunale qui ont choisi de se doter de la compétence facultative d'action sociale d'intérêt communautaire puissent également porter ces dispositifs.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Bonne idée !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. En outre, le contrat d'avenir et le CI-RMA seront désormais ouverts aux titulaires de l'allocation aux adultes handicapés afin de leur offrir une voie supplémentaire d'entrée sur le marché du travail.

La commission, très attachée à l'insertion professionnelle des personnes handicapées, a salué unanimement cette disposition, d'autant plus opportune qu'elle s'inscrit dans le sens d'une plus grande équité des droits ouverts aux titulaires des différents minima sociaux et répond donc au souhait que nous avions émis dans un récent rapport d'information.

Le titre II tend ensuite à conforter les moyens de développement de l'apprentissage.

Afin de favoriser les embauches d'apprentis, il est proposé d'assouplir les conditions de travail de nuit des apprentis mineurs,...

M. Roland Muzeau. Pourquoi ne pas l'autoriser dès la naissance ?

M. Dominique Leclerc, rapporteur. ... ainsi que le dimanche et les jours fériés. Seuls, on le sait, certains secteurs sont visés : la pâtisserie, les courses hippiques pour le travail de nuit,...

M. Roland Muzeau. C'est honteux !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. ... bref, toutes les activités dont les spécificités le justifient et dont la liste sera fixée par décret en Conseil d'Etat...

M. Roland Muzeau. Cela ne rassure personne !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. ... pour le travail le dimanche et les jours fériés.

Toutes ces dérogations doivent, bien entendu, demeurer exceptionnelles.

M. Guy Fischer. C'est ce qu'on dit !

M. Roland Muzeau. C'est inadmissible ! Envoyez donc vos enfants travailler le week-end !

M. Josselin de Rohan. Allons ! Calmez-vous, mes chers collègues !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement afin de mieux coordonner et d'encadrer ces diverses évolutions.

Par ailleurs, les critères permettant à une entreprise de bénéficier d'un crédit d'impôt au titre de l'emploi d'un ou de plusieurs apprentis seront assouplis.

Dans la législation actuelle, le bénéfice de ce crédit d'impôt est subordonné à une présence minimale de six mois de l'apprenti dans l'entreprise. Or la majorité des contrats d'apprentissage débutent à l'automne, soit trop tard pour que ce critère soit rempli à la fin de l'année civile, ce qui rend le dispositif fiscal faiblement incitatif. Le texte prévoit donc de réduire le temps de présence minimum à un mois.

La commission s'est cependant inquiétée des effets d'aubaine que pourrait engendrer cette modification. C'est pourquoi, pour limiter la précarité des apprentis tout en incitant les entreprises à utiliser ce mode de recrutement, elle vous proposera, mes chers collègues, de fixer le temps de présence minimum de l'apprenti à trois mois.

Enfin, un volet « logement » a été joint au texte lors de son examen par l'Assemblée nationale, avec pour unique objet de permettre la mise en application rapide de certaines mesures annoncées dans le discours de politique générale du Premier ministre.

M. Roland Muzeau. Et aussi la location des chambres de bonne !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Quatre dispositions favorisant le développement de l'offre sociale et privée de logements à destination des personnes les plus défavorisées ont ainsi été adoptées.

La garantie contre les impayés de loyer est améliorée afin d'inciter les propriétaires à louer leurs biens aux ménages les plus modestes, grâce à un double mécanisme de compensation et de crédit d'impôt en contrepartie du respect d'un cahier des charges social fixé par l'Union d'économie sociale du logement.

La durée du bail des logements meublés loués aux étudiants pourra être ramenée d'un an à neuf mois afin d'alléger les frais de logement de ces derniers.

Une exonération temporaire d'impôt sur les plus-values de cession d'immeubles ou de terrains vendus à des bailleurs sociaux par des personnes physiques est instituée pour accélérer les projets de construction de logements sociaux.

Enfin, le projet de loi prévoit la création, à compter du 1er juillet 2006, d'un nouvel indice de référence des loyers, qui remplacera l'actuel indice du coût de la construction qui sert de référence pour la révision annuelle des loyers.

Comme vous l'avez annoncé, monsieur le ministre, ce nouvel indice, dont les modalités de calcul doivent être fixées par décret après concertation, combinera l'indice des prix à la consommation, l'indice du coût de la construction et l'indice des prix d'entretien et d'amélioration du logement. Il reflétera ainsi plus fidèlement l'évolution du pouvoir d'achat des locataires et, surtout, il devrait limiter l'amplitude de variation des loyers constatée ces dernières années.

Telle est donc, mes chers collègues, l'économie générale du texte qui est soumis à notre examen, texte dont l'ambition est de favoriser la création dans notre pays d'un pôle d'excellence dans le secteur des services à la personne. Je souhaite que notre soutien lui soit total, ici comme sur le terrain, afin d'en garantir la réussite. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France, chacun le sait, souffre d'un chômage structurel élevé qu'aucun gouvernement - je dis bien « aucun » - n'a été capable de résorber pour l'instant.

Selon l'OCDE, le faible taux d'activité contribue à la persistance du déficit budgétaire et aggrave les pressions exercées par le vieillissement de la population sur les finances publiques. Et si la baisse de l'emploi industriel n'a pas été plus marquée en France que chez ses partenaires internationaux, en revanche, la création d'emplois dans les services y a été plus limitée.

Or les services aux particuliers ont un fort potentiel de développement. Ils représentent un gisement privilégié d'emplois, particulièrement pour des personnes peu ou pas qualifiées, qui peuvent être formées rapidement à ces nouveaux métiers. On pense aux services utilisés par les personnes âgées, par les parents pour faire garder leurs enfants en bas âge, par les personnes seules ou handicapées.

Il existe effectivement un gisement de nouveaux besoins, et donc d'emplois, pour choisir, livrer, utiliser, entretenir et réparer les biens, mais aussi, et c'est important, pour améliorer la qualité de vie : formation des jeunes ou des adultes, loisirs, détente, entretien des résidences et des jardins, etc.

Il convient donc de favoriser l'essor de ces nouveaux métiers correspondant parfaitement à l'évolution d'une société de services. C'est ce à quoi tend le présent projet de loi, puisqu'il prévoit un cadre légal attractif.

Ainsi, la liste des activités ouvrant droit à la réduction d'impôt pour les emplois à domicile a été actualisée, les conditions d'accès aux allégements de charges pour les particuliers employeurs sont simplifiées et le taux de TVA réduit pour les services à la personne est conservé.

Le cadre légal est en outre simplifié puisque le projet de loi prévoit une procédure d'agrément national plus simple et plus claire pour les opérateurs : l'agrément donné dans un département par un préfet sera dorénavant valable sur l'ensemble du territoire national.

Une nouvelle structure, l'Agence nationale des services à la personne, est positionnée comme interlocuteur unique. Je souhaiterais, madame, monsieur le ministre, que vous précisiez ses modalités de fonctionnement et son rôle exact. Il existe en effet déjà des structures, et ces structures seront maintenues.

M. Guy Fischer. Eh oui !

Mme Catherine Procaccia. Pour que cette agence se justifie, elle doit accomplir une nouvelle mission et non pas simplement se superposer aux autres structures.

Le projet de loi repose pour son succès non pas seulement sur des simplifications certes indispensables, mais aussi et surtout sur l'attractivité des métiers qu'il a pour objet de développer.

Il a été bien accueilli par les professionnels. La Conférence nationale pour le développement des services à la personne a débouché, en novembre 2004, sur la signature d'une convention qui distingue cinq grandes catégories de services à la personne.

Cependant, des obstacles demeurent, obstacles, monsieur le ministre, que vous vous employez à faire tomber dans votre projet de loi.

Parmi les obstacles majeurs, je place pour ma part l'image négative de ce que certains appellent des « petits boulots », le coût des services à la personne, la nécessité de rendre les métiers concernés attractifs, ainsi que le danger de créer une concurrence déloyale à l'égard des entreprises existantes.

Premier obstacle donc, les services à domicile souffrent d'une image dévalorisée, en particulier en raison du niveau de qualification requis et du fait qu'ils ont pour caractéristique de s'effectuer souvent à temps partiel.

Je crois qu'il faut arrêter de dire qu'une femme de ménage, rémunérée par chèque emploi-service à 10 euros de l'heure - c'est le prix moyen en région parisienne - chez quatre ou cinq employeurs différents pour plusieurs heures par semaine effectue un « petit boulot », ou que l'homme à tout faire qui entretient le jardin et effectue les petites réparations n'est pas qualifié : si les particuliers font appel à eux, c'est parce qu'ils ne savent ou ne peuvent effectuer ces tâches, qui ne ont donc pas déqualifiantes.

Pour autant, les conditions de travail ne sont pas toujours attractives. C'est pourquoi j'approuve l'idée qui consiste à permettre aux salariés employés en direct par quelques particuliers de trouver un travail plus stable, avec plus d'heures et des heures mieux rémunérées, auprès d'une entreprise ou d'une association spécialisée qui servira d'intermédiaire avec les particuliers.

Ces structures devront, bien entendu, être agréées lorsqu'elles s'occuperont de personnes vulnérables. Elles ne seront, en outre, rentables que si la qualité des services justifie un certain surcoût, comme le remplacement immédiat d'un salarié absent, et que si elles atteignent une taille critique.

Enfin, monsieur le ministre, vous nous avez rassurés sur la compensation que l'Etat ne manquera pas de verser à la sécurité sociale, puisqu'il y aura une exonération totale de charges patronales de sécurité sociale pour une liste d'activités effectuées par des prestataires agréés. Vous le savez, ce point paraît essentiel à la commission des affaires sociales.

Le deuxième obstacle est le coût des services à la personne.

Pour un particulier, embaucher un salarié est coûteux. Il faut ajouter au salaire horaire net l'équivalent de presque deux tiers de ce montant en charges sociales. Des aides existent pour la garde des enfants de moins de six ans, pour les personnes âgées grâce à l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA, et pour les personnes handicapées avec la future prestation de compensation du handicap.

La réduction d'impôt pour un emploi à domicile favorise le développement de ces services, mais nous sommes bien à un moment charnière où une impulsion supplémentaire est nécessaire.

Monsieur le ministre, vous proposez le chèque-emploi-service universel. C'est une avancée majeure, puisqu'il pourra être non seulement utilisé pour tout type de services, mais aussi abondé par une entreprise, un comité d'entreprise, une collectivité locale, un organisme mutualiste ou d'assurance.

Ainsi, à compter du 1er janvier 2006, les entreprises pourront cofinancer ce chèque au profit de leurs salariés et elles bénéficieront ainsi d'un crédit d'impôt de 25 %, comme l'a rappelé M. le rapporteur.

Les particuliers employeurs devraient également accueillir favorablement la réduction du montant de leurs cotisations sociales s'ils cotisent sur la base du salaire réel, ce qui permettra à leurs salariés de bénéficier d'une couverture sociale à part entière.

Je partage la proposition du rapporteur, M. Dominique Leclerc, de substituer à la réduction de quinze points de cotisations patronales une baisse de 50 % des charges, plus lisible et plus efficace.

M. Roland Muzeau. Et allez donc !

Mme Catherine Procaccia. Le troisième obstacle a trait à la mise en place de meilleures conditions de travail.

Vous nous avez annoncé, monsieur le ministre, plusieurs mesures pour rendre ces métiers attractifs et proches du droit commun : l'obligation d'introduire par la négociation collective des dispositifs sécurisants dans le cas des salariés à temps partiel, la revalorisation des grilles salariales, le développement de la formation professionnelle. Enfin, grâce à la valorisation des acquis de l'expérience, 75 000 salariés ou bénévoles auront, en trois ans, une qualification reconnue.

L'emploi à domicile exigeant une certaine technicité et, surtout, une aptitude relationnelle, la qualité du service est étroitement liée à la qualité des emplois.

Enfin, j'en viens au quatrième obstacle, le danger de concurrence déloyale à l'égard des entreprises existantes.

En clarifiant et en élargissant la liste des activités agréées de services à la personne à domicile ou dans l'environnement immédiat du domicile, le projet de loi permet de générer de nombreuses opportunités pour les petites entreprises qui sauront s'organiser.

Pour autant, il me paraît nécessaire de veiller au respect de la réglementation de la concurrence, afin d'assurer la protection du consommateur. Le développement souhaité des services à la personne ne doit pas se faire au détriment des entreprises et des emplois existants. Je pense en particulier au maillage des petites entreprises artisanales, qui sont une force pour notre pays, mais aussi aux sociétés d'assistance qui assurent, depuis quelque temps déjà, de nouveaux services à domicile vingt-quatre heures sur vingt quatre. La concurrence doit pouvoir continuer à s'exercer et la création de nouveaux emplois ne doit pas en supprimer d'autres dans des secteurs qui répondent aussi aux demandes des particuliers.

Dans ce cadre, l'initiative de l'Assemblée nationale visant à prévoir un décret pour préciser un plafond en valeur ou en temps de travail des interventions à domicile pour certaines activités me paraît de nature à limiter les risques de concurrence déloyale. Je ne doute pas, madame, monsieur le ministre, que cette initiative sera suivie.

M. Jean-Louis Borloo, ministre, et Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Bien sûr !

Mme Catherine Procaccia. Par ailleurs, le projet de loi prévoit quelques ajustements à la loi de programmation pour la cohésion sociale, qui ont été exposés par M. le rapporteur : la réduction de la durée du contrat d'avenir, qui répond à la demande de nombreuses associations, et le développement de l'apprentissage.

S'agissant de l'apprentissage, les règles encadrant le travail de nuit des apprentis mineurs sont modifiées, afin d'étendre les dérogations aux professions de la pâtisserie et des courses hippiques, dont les spécificités devaient être prises en compte. Pour habiter Vincennes, où les courses hippiques occupent la moitié, voire les trois quarts de l'année, je suis sensible à cette question, même si je n'ai pas déposé d'amendement dans ce sens ! (Sourires.)

La réglementation en vigueur concernant le travail des apprentis mineurs le dimanche et les jours fériés est également assouplie. Je m'en félicite d'autant plus que, en tant que rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires sociales du projet de loi en faveur des PME - qui vient d'être transmis à l'Assemblée nationale -, j'ai défendu des amendements, qui ont été adoptés, sur ce sujet. A cet égard, je crains d'ailleurs qu'il ne résulte une certaine confusion, un manque de visibilité et de lisibilité, de l'examen concomitant de deux projets de loi qui contiennent chacun des dispositions relatives aux apprentis.

Je ne doute pas, madame, monsieur le ministre, que vous aurez à coeur, comme moi, de veiller à ce que les dérogations soient accordées uniquement dans les cas où la présence des apprentis est effectivement indispensable, et après concertation avec les professions concernées.

Comme je l'ai souligné à l'occasion de l'examen du projet de loi en faveur des PME, il me paraît essentiel de permettre aux jeunes de connaître leur futur métier sous toutes ses facettes, afin de leur éviter des déconvenues, une fois devenus majeurs et, le cas échéant, repreneurs d'entreprises, devant la découverte brutale des contraintes inhérentes à l'activité de l'entreprise aux périodes de pointe.

Le texte prévoit également des ajustements utiles, qui ont été rappelés par M. le rapporteur : une période de transition, jusqu'au 1er janvier 2008, pour les apprentis dans les centres de formation d'apprentis, les CFA ; un délai de six mois pour permettre à une entreprise de bénéficier, au titre de l'emploi d'un apprenti, du crédit d'impôt instauré par la loi de programmation pour la cohésion sociale. Toutefois, ce dernier délai étant trop long, j'approuve le compromis qui a été proposé par le rapporteur afin de le réduire à trois mois.

Pour conclure, je tiens tout d'abord à remercier le rapporteur, notre excellent collègue Dominique Leclerc, pour la qualité de son travail et son implication dans le présent texte - mais, le connaissant, cela ne nous surprend pas - et je veux également vous féliciter, madame, monsieur le ministre, d'avoir pris l'initiative de libérer un potentiel d'emplois liés au service à la personne. J'espère avec vous, comme avec l'ensemble du Gouvernement et les membres de notre groupe UMP du Sénat, que ce texte connaîtra le succès attendu. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Roland Muzeau. Alors là !

M. Guy Fischer. J'en doute !

M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.

Mme Valérie Létard. Monsieur le ministre, le 15 juin dernier, vous faisiez la déclaration suivante devant l'Assemblée nationale : « Ne nous trompons pas de sujet ! L'aide médico-sociale est, pour l'essentiel, financée par des collectivités, notamment les départements, parfois avec un accord du préfet, parfois en totale autonomie de fonctionnement. Il n'est question de toucher ni à l'agrément, ni au prix de journée, ni au financement. Ce dispositif fonctionne. [....] L'allongement de la durée de vie, les souhaits de nos compatriotes exigent, certes, que nous allions plus loin, mais nous ne touchons pas à cette règle-là.

« Le véritable enjeu est d'offrir à tous, salariés, retraités [...] le moyen d'accéder, dans des conditions financières raisonnables, à un service à domicile. Pour y parvenir, il faut réunir certaines conditions. La première, c'est la professionnalisation et le montant des salaires. [...] La deuxième, c'est d'offrir un temps de travail suffisant à des personnes qui souhaitent travailler plus dans la semaine. Il faut permettre, par la professionnalisation et la polyvalence, d'atteindre un temps de travail hebdomadaire tendant au temps plein : deux heures hebdomadaires à domicile par foyer fiscal, c'est deux millions d'équivalent temps plein !

« La révolution que nous proposons, c'est d'offrir à chacun, quel que soit son niveau sur l'échelle sociale, l'accès à une heure s'il en a besoin, pour déboguer un ordinateur, par exemple. Toutes les études montrent que, pour une nouvelle activité que l'on ne connaît pas, on passe quatorze heures à chercher un prestataire qualifié.

« Il ne s'agit pas de faire un marché de la grande distribution du service, mais de permettre à tout citoyen de pouvoir s'adresser à une enseigne de qualité [...] qui va sous-traiter à l'association, à la société ou à l'artisan pour garantir la qualité de l'information ou du service instantané. Voilà l'objectif de cette révolution : offrir du temps de travail qualifié partagé et résorber la précarité, fille de l'insuffisance d'offres ».

Par cette déclaration, monsieur le ministre, vous avez clairement cadré, me semble-t-il, l'enjeu de ce texte, qui s'inscrit dans une démarche de politique de l'emploi. Vous en attendez 500 000 emplois en trois ans. Vous comprendrez sans peine que je souhaite ardemment que l'avenir vous donne raison.

Partant d'un tel constat, notre réflexion autour de ce projet de loi a été double.

Premièrement, il nous est apparu indispensable de bien délimiter le champ des services à la personne.

Notre priorité, et nous sommes loin d'être les seuls à l'avoir établie, c'est d'abord et avant tout de voir clairement établie la distinction que vous introduisez dans votre déclaration, à juste titre, entre ces nouveaux emplois de services qui s'adressent à tous et les services destinés aux publics les plus fragiles que la loi du 2 janvier 2002 a encadrés par un agrément spécifique.

Il existe, en effet, des publics fragiles à protéger : jeunes enfants, personnes âgées vulnérables ou handicapées. Or la présentation de l'agrément de qualité prévu par le projet de loi peut prêter à confusion.

C'est cette clarification que nous vous demanderons de confirmer par certains de nos amendements. Les associations oeuvrant dans ce domaine, en particulier l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux, l'UNIOPSS, nous ont fait largement part de leurs inquiétudes. Je souhaite que notre débat permette de les lever, sans aucune ambiguïté, afin que nous puissions travailler dans la plus grande sérénité.

Oui, nous sommes favorables à la création de l'emploi de service, car il peut soulager une mère de famille qui choisit de continuer à travailler, aider un retraité dans certaines tâches devenues trop pénibles avec l'âge, rendre l'accès aux nouvelles technologies plus aisé : tous les non-initiés ayant essayé d'installer une « livebox » savent combien ils auraient apprécié l'aide d'un professionnel qui aurait pu effectuer rapidement ce qui leur a demandé parfois des heures, voire des semaines, à comprendre et à faire fonctionner, après avoir dépensé une fortune en assistance téléphonique.

A l'heure où la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA, est mise en place, où l'on demande désormais à nos concitoyens un effort supplémentaire pour financer la perte d'autonomie et le handicap, où la canicule qui sévit ces jours-ci vient nous rappeler que le financement de pièces rafraîchies, momentanément suspendu en 2005, conserve toute son actualité, nous ne pouvons accepter - et nous ne l'accepterons jamais - que tout l'effort de sécurisation entrepris jusqu'à présent dans ce domaine puisse se trouver, d'une manière ou d'une autre, contourné ou remplacé par une aide inadéquate.

Là encore, il y a parfois loin du discours aux actes dans les différents secteurs responsables de la prise en charge des publics fragiles. Tandis que le débat à l'Assemblée nationale se voulait rassurant sur le maintien d'une prise en charge de qualité pour les personnes âgées, associations et centres communaux d'action sociale constataient sur le terrain, pour leur part, la baisse de leurs crédits d'heures d'aide ménagère en 2005, à la suite des nouvelles orientations régissant l'attribution des crédits du fonds national d'action sanitaire et sociale en faveur des personnes âgées, le FNASSPA.

M. Guy Fischer. Eh oui ! Voilà la vérité !

Mme Valérie Létard. Ce point ne relève pas de votre champ de compétences, monsieur le ministre, je le sais bien, mais il est étroitement lié à notre débat d'aujourd'hui.

M. Guy Fischer. Nous voulons des réponses !

Mme Valérie Létard. La discussion de notre amendement n° 164 sera, je l'espère, le moyen d'attirer une nouvelle fois votre attention sur le besoin de cohérence dans la mise en oeuvre de nos dispositifs, seul gage d'une véritable politique permettant le maintien à domicile et la prévention de la perte d'autonomie le plus longtemps possible. Comme vous pouvez le penser, je serai particulièrement attentive à la réponse du Gouvernement sur cet amendement.

S'agissant du présent projet de loi, je formulerai une deuxième remarque qui, à l'autre bout de la chaîne, me paraît importante elle aussi. Au regard de l'objectif qui inspire ce texte, le souci de lutter contre le chômage autorise à fausser le principe de concurrence. Mais encore faut-il que le remède ne soit pas pire que le mal, autrement dit que la dérogation au principe de concurrence ne détruise pas plus d'emplois qu'il n'en créera.

M. Guy Fischer. Très bonne question !

Mme Valérie Létard. C'est la raison pour laquelle il nous paraît impératif de bien distinguer deux types de prestataires de services à la personne : le premier regroupe l'ensemble des prestataires susceptibles d'être agréées par l'Etat et de bénéficier d'un régime fiscal dérogatoire. Ces prestataires devront remplir, de près ou de loin, une mission d'intérêt général, même s'ils ont une vocation commerciale. Le second type de prestataires, dont l'objet est exclusivement économique, ne pourront pas recevoir d'agrément.

En clair, le principe de concurrence doit être respecté entre des prestataires aux missions comparables. Nous avons déposé deux amendements dans ce sens. Si ce principe n'était pas respecté, les entreprises existantes, notamment les entreprises artisanales, pourraient lourdement souffrir de l'arrivée sur le marché de prestataires agréés avantagés sur le plan fiscal. Elles risqueraient alors d'être mises en difficulté et pourraient se trouver contraintes de licencier leur personnel. Créer des emplois d'un côté pour en détruire de l'autre n'est évidemment pas une manière efficace de lutter contre le chômage.

Une fois le secteur aidé délimité, encore faut-il que l'aide apportée soit efficace et incite à la création d'emploi. Pour ce faire, il convient de solvabiliser une demande déjà existante. C'est l'objet du présent projet de loi. Y parviendra-t-il ? Autrement dit, ouvrira-t-il la possibilité au particulier employeur, qu'il passe ou non par une structure intermédiaire, de rémunérer à sa juste valeur le travail effectué par le salarié ? Nous ne le croyons que partiellement.

Ne nous y trompons pas, le coeur de ce projet de loi ne réside pas dans la création du chèque-emploi-service universel. Le CESU ne fera que prendre le relais des dispositifs déjà existants. La véritable innovation de ce projet de loi réside dans l'aménagement fiscal qui accompagne la mise en place de ce titre unique.

Et, dans le faisceau des dispositions fiscales contenues dans le projet de loi, l'une d'entre elles nous paraît particulièrement à même de répondre aux attentes des consommateurs et des prestataires de services à la personne. Il s'agit de l'exonération totale de cotisations patronales au profit des prestataires de services à la personne. Cette mesure favorisera certainement le développement de l'utilisation du CESU dans sa version titre préimprimé.

Par cette disposition, vous répondez à un besoin réel, monsieur le ministre. Le titre emploi service, imaginé sur le modèle des chèques restaurant, n'a jamais rencontré le succès escompté. Avec une exonération totale des charges patronales, le titre emploi service, remplacé par le CESU dans sa version titre préimprimé, est rendu incontestablement beaucoup plus attractif.

Mais si cette mesure vise à développer les services rendus aux consommateurs par l'intermédiaire de prestataires, que proposez-vous, monsieur le ministre, pour développer les services rendus aux particuliers employeurs ?

Cette question est importante parce que les services à la personne ne pourront se développer dans toutes leurs potentialités que si ces deux modalités sont solvabilisées.

Or, au profit des particuliers employeurs, vous proposez un allégement de quinze points des cotisations patronales de sécurité sociale lorsque l'employeur choisira de cotiser au réel et non au forfait.

Dans l'état actuel du droit, sur la base du SMIC, la cotisation au réel est plus coûteuse pour l'employeur que la cotisation au forfait. Cela revient à dire que l'allégement de cotisation que vous proposez ne compensera que l'augmentation du coût de l'intervention engendrée par le choix du réel.

Dans le présent projet de loi, vous avez fait un choix, monsieur le ministre : privilégier le développement des services rendus par des prestataires mandatés au détriment de ceux qui le seront dans le cadre d'une relation directe de prestataire à particulier employeur. Avec un tel choix, le défi du développement des services à la personne ne nous semble qu'à moitié relevé.

C'est pourquoi, à l'instar de notre commission des affaires sociales, nous proposerons de remplacer l'exonération de cotisations sociales patronales de quinze points par une exonération de 50 %. Par cet amendement, il s'agira de répondre pleinement aux attentes des particuliers employeurs.

Dans le même ordre d'idées, nous vous proposerons de déplafonner le nombre d'heures ouvrant droit à une exonération totale de charges patronales de sécurité sociale au profit des employeurs dépendants ou handicapés.

A côté de ces deux questions qui nous paraissent centrales, vous ouvrez, monsieur le ministre, la possibilité de payer les assistantes maternelles à l'aide du CESU ou de verser l'APA au moyen de ce chèque universel ; nous saluons cette initiative. La mise en place d'un guichet unique des services à la personne, avec la création d'une Agence nationale des services à la personne chargée de piloter la réforme, est aussi une mesure de simplification tout à fait intéressante dans la mesure où cette dernière jouera bien le rôle qu'on attend d'elle.

A cet égard, nous avons déposé un amendement tendant à en préciser l'organisation.

Par ailleurs, l'examen de ce projet de loi doit être l'occasion de mettre l'accent sur la qualité des services rendus à la personne. Nous défendrons deux amendements allant dans ce sens. Il nous semble notamment indispensable que la qualité des prestations rendues dans le cadre de l'APA fasse l'objet d'un contrôle rigoureux.

Enfin, nous partagions les mêmes inquiétudes que celles que nos collègues députés avaient exprimées s'agissant de la compensation à la sécurité sociale des exonérations de charges. Mais le Gouvernement nous a rassurés sur ce point en s'engageant à ce que toutes les exonérations soient intégralement compensées par l'Etat.

Le présent projet de loi comprend ensuite une deuxième partie qui vise à aménager certaines des dispositions qui ont été adoptées dans le cadre de la loi du 18 janvier 2005.

S'agissant du volet relatif à la cohésion sociale, je serai brève, car il ne s'agit pas de refaire ici le débat qui nous a occupés au cours de l'automne dernier. Toutefois, certaines des mesures envisagées ne sont pas anodines et vont, globalement, dans le bon sens.

La principale d'entre elles concerne le contrat d'avenir. Ce contrat était l'un des outils phares du plan de cohésion sociale. Il est réservé aux titulaires de minima sociaux, et il nous semble positif que sa durée puisse être inférieure à deux ans, avec un plancher de six mois, pour les ateliers et les chantiers d'insertion. Si le dispositif initial n'est pas remis en cause puisque la durée de droit commun demeure fixée à deux ans, il est cependant assoupli et adapté à certaines missions circonscrites.

Un autre aménagement utile est l'ouverture du contrat d'avenir et du CI-RMA aux titulaires de l'allocation aux adultes handicapés.

Lors de l'examen du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, nous étions déjà favorables à une telle ouverture. Il s'agit sans conteste d'une avancée. Toutefois, ce type d'adaptation ne doit pas faire oublier le fait que l'architecture actuelle des minima sociaux et de leurs droits connexes est source d'incohérences et risque de rendre captifs leurs bénéficiaires.

Le groupe de travail de notre commission des affaires sociales, que j'aurai l'honneur de conduire, se penchera plus avant sur ces questions à la rentrée prochaine et fera des propositions pour l'avenir qui seront, je l'espère, constructives.

Toujours dans la partie relative à la cohésion sociale, la suppression par l'Assemblée nationale de l'article 17 du projet de loi me paraît une excellente décision. En effet, prévoir une exception à la règle de surface minimale de 9 mètres carrés pour la mise en location d'un logement, fût-il à l'usage d'un étudiant, n'aurait en aucun cas réglé le problème de fond de la crise que connaît toute la chaîne du logement.

M. Roland Muzeau. C'est le moins que l'on puisse dire !

Mme Valérie Létard. A l'opposé, la mise en place d'un nouvel indice de référence pour réviser chaque année les loyers en fonction de l'évolution du pouvoir d'achat des locataires me semble être une mesure d'équité.

Mais, pour être conséquents, il nous faut aller plus loin dans cette logique. Pour ce faire, nous défendrons un amendement visant à réviser aussi annuellement le barème de l'allocation personnalisée au logement en fonction de la variation de l'indice.

Nous proposerons également que les représentants des associations d'insertion par le logement et celles qui s'occupent du logement des personnes défavorisées soient associées à l'élaboration du cahier des charges prévu à l'article 17 bis.

Dans le même objectif de mixité sociale, nous présenterons un amendement tendant à permettre le développement de l'usufruit locatif dans le cadre de baux à construction et de baux à réhabilitation. La technique de l'usufruit locatif permet en effet aux ménages modestes d'investir dans l'immobilier sans supporter les contraintes et les risques liés à la gestion locative.

Sous réserve d'y apporter les modifications et les garanties que nous proposerons, nous pensons que le présent projet de loi, une fois amélioré, sera un texte porteur de larges potentialités.

Il me reste à féliciter, une fois de plus, notre commission des affaires sociales, son président, Nicolas About, - tous les membres de la commission sont de tout coeur avec lui en ce moment -, ainsi que son rapporteur, Dominique Leclerc, pour l'excellence de leur travail. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.

M. Roland Muzeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, l'emploi, l'apprentissage, le logement, telles sont les problématiques abordées par le projet de loi relatif au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.

Ce texte, déjà central pour le gouvernement Raffarin, qui était confronté à la persistance d'un chômage de masse traumatisant, s'inscrit indiscutablement aujourd'hui dans un contexte singulier marqué par la prégnance des questions sociales.

Il intervient tout d'abord après le référendum du 29 mai à l'occasion duquel, majoritairement, les Français, qu'ils soient cadres, employés ou ouvriers, ont franchement sanctionné les politiques ultra-libérales tant européennes que françaises, et manifesté leur colère face à l'autisme de leurs gouvernants pour ce qui concerne leurs priorités économiques et sociales.

Pour autant, on ne peut pas dire, monsieur le ministre, que vous ayez pris la peine d'aménager substantiellement les dispositifs envisagés afin de tenir compte du ras-le-bol de l'insécurité sociale. A une exception près toutefois, puisque, après un formidable tollé, vous ne vantez plus aujourd'hui les mérites des chambres de bonne de 7 mètres carrés et de 2 mètres sous plafond réservées aux étudiants et aux personnes en difficulté.

Votre texte fait également suite à la déclaration de politique générale du nouveau Premier ministre, qui est décidé à engager la bataille pour l'emploi - un discours déjà entendu, je le rappelle, sous les gouvernements Raffarin I, II et III -, comme si cette urgence était nouvelle et justifiait le recours aux ordonnances.

Ce gouvernement place son action non pas sous le signe de la rupture, mais sous celui de la continuité des politiques capitalistes les plus archaïques, créant outrancièrement toujours plus de précarité, flexibilisant la relation de travail, culpabilisant les chômeurs, contraignant les bénéficiaires de la solidarité nationale à l'activité en contrepartie de cette dernière.

La déclaration du Premier ministre est d'ailleurs restée étrangement silencieuse sur des questions aussi essentielles que l'extension implacable du nombre des travailleurs pauvres, le pouvoir d'achat en baisse, mais aussi et surtout la croissance, comme si ces deux questions n'étaient pas liées et que le surchômage français s'expliquait seulement par une certaine rigidité spécifiquement hexagonale : le code du travail, par exemple, ou le « laxisme » de nos politiques sociales n'incitant pas au retour à l'activité.

Par ailleurs, M. de Villepin s'est dit attaché à notre modèle social mais, comme son prédécesseur, il vante les mérites du modèle danois, qui sécurise la personne plus que l'emploi, pour n'en retenir qu'un aspect, la flexibilité, ce qui a conduit son architecte, M. Nyrup Rasmussen, à sortir de sa réserve en déniant au chef de notre gouvernement « le droit d'utiliser ce modèle pour légitimer des pensées conservatrices françaises ».

Or que propose-t-il en imposant dans les TPE, les très petites entreprises, un nouveau type de contrat de travail permettant à l'employeur de licencier sans motif et sans indemnité à tout moment durant deux ans ? Tout simplement de remettre en cause les droits de millions de salariés employés dans les entreprises de moins de dix salariés, et demain, pourquoi pas, comme le revendiquent déjà les organisations patronales, une fusion des CDD et des CDI ainsi que l'acquisition de garanties en fonction de l'ancienneté du salarié.

Que faites-vous, monsieur le ministre, en ouvrant la possibilité de déroger aux règles du droit commun du travail, s'agissant, d'une part, du travail à temps partiel dans le secteur des services à la personne et, d'autre part, du travail des mineurs en apprentissage la nuit, le dimanche et les jours fériés ? Vous participez, ni plus ni moins, au contournement du code du travail et vous ouvrez de nouvelles brèches dans le droit du travail, qui est perçu comme un frein à l'embauche. Vous vous attaquez donc bel et bien au modèle social français.

En défendant une motion tendant à opposer la question préalable, mon ami Guy Fischer reviendra tout à l'heure sur les raisons pour lesquelles nous rejetons avec force la philosophie qui caractérise la politique de lutte contre le chômage que ce gouvernement entend poursuivre et les outils qu'il utilise pour la mettre en oeuvre. En effet, celle-ci vise non pas à promouvoir des normes d'emploi de qualité ou à éradiquer la multiplication des situations d'exclusion, de mal-vivre social, mais à masquer l'exclusion des moins de vingt-cinq ans et des plus de cinquante-cinq ans du marché du travail derrière le sous-emploi.

Pour ma part, je concentrerai mon propos sur le premier volet du présent texte, à savoir le pari de créer 500 000 emplois dans le secteur des services à la personne.

Pour ce faire, vous proposez un ensemble de recettes classiques - mais néanmoins discutables -, destinées, en premier lieu, à aider toujours les mêmes, c'est-à-dire les entreprises et les familles aisées, en leur aménageant un environnement fiscal et social encore plus privilégié, et tournées, en second lieu, vers la simplification, avec la dérégulation et l'ouverture au secteur marchand et concurrentiel de services liés à l'enfance ou aux personnes fragiles, qui ont pourtant des besoins fondamentaux.

Pour répondre au vieillissement de la population et au changement des modes de vie, notamment, votre projet a pour ambition de répondre à de nombreux besoins insatisfaits. L'objectif est louable, c'est certain ! Toutefois, il doit être relativisé, et on doit le faire substantiellement évoluer, comme le souhaite l'UNIOPSS, l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux, qui s'inquiète, par ailleurs, du risque de déconstruction du dispositif de régulation propre aux institutions sociales et médico-sociales mis en place par la loi du 2 janvier 2002.

Dans le rapport du groupe Délos, le commissariat général du Plan montre tout d'abord que la France ne serait pas en retard dans le secteur des emplois domestiques et personnels, ce qui « signifie que l'on ne peut s'appuyer sur un simple mécanisme de rattrapage et que le potentiel de création d'emploi réside plutôt dans l'organisation du secteur », c'est-à-dire sa professionnalisation. Or le projet de loi continue de privilégier principalement la solvabilisation au détriment de la construction de trajectoires professionnelles et de la qualité des services.

En outre, ce même rapport pointe la différence entre le nombre d'emplois et leur équivalent en temps plein, précisions importantes que vous vous êtes bien gardé d'apporter, monsieur le ministre, et ce d'autant qu'en axant votre discours une fois encore sur la solvabilisation de la demande par le CESU, vous prenez le risque de subventionner le marché du gré à gré avec l'emploi direct de particuliers, qui produit les formes d'emploi les plus émiettées. Nous défendrons un amendement visant notamment à faire en sorte que le CESU préfinancé par l'employeur ne puisse servir à rémunérer directement un employé.

Comment lutter contre le travail au noir, sortir de la domesticité, des petits boulots, sans mener une action résolue visant à rendre les métiers de service réellement attractifs ? Comment promouvoir des formes d'emploi structurées, garantir la survie des prestataires de services dans des secteurs non lucratifs déjà engagés dans la professionnalisation par les accords de revalorisation de salaires, de reconnaissance des qualifications, face à l'arrivée d'opérateurs moins-disants socialement, donc moins contraignants financièrement pour l'utilisateur ? Toutes ces questions restent en suspens.

Monsieur le ministre, on a vous peu entendu communiquer sur la nature et la qualité des emplois qui peuvent être potentiellement créés. Quant à la CFE-CGC, la Confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres, elle considère, à juste titre, que ce texte, qui va « à contre-courant des objectifs annoncés de valorisation et de professionnalisation des métiers des services à la personne, [...] illustre l'art de détricoter le code du travail au nom de la cohésion sociale ».

Et pour cause ! Alors que la sécurisation des parcours professionnels et la lutte contre toutes les formes précaires d'emploi demeurent plus que jamais la préoccupation majeure de nombre de nos concitoyens, en particulier celle des femmes, vous affichez l'ambition de développer encore les emplois à temps partiel, de raccourcir les délais de préavis, de placer le plus souvent possible les salariés dans une relation directe, donc forcément déséquilibrée, avec l'employeur utilisateur.

Pour renforcer la couverture sociale de la personne employée et rémunérée par le CESU, vous n'avez pas choisi de supprimer le calcul des cotisations sociales sur une base forfaitaire, pourtant particulièrement pénalisant pour la constitution de droits sociaux pleins, monsieur le ministre. Nous le proposerons.

J'en viens maintenant aux moyens préconisés pour développer le secteur des services à la personne, plus exactement pour faire de l'intervention des grandes entreprises l'élément structurant du marché des services à la personne. Sur ce point encore, monsieur le ministre, nous sommes en désaccord avec vous. Nous faisons le même constat que la Fédération nationale des particuliers employeurs, la FEPEM, pour laquelle il « favorise le développement des entreprises et non celui de l'emploi ».

Nous condamnons vos choix, qui sont sans effet sur l'emploi. Ainsi, non seulement l'extension des exonérations totales de cotisations patronales d'assurance sociale à toutes les rémunérations versées à des salariés employés par des associations et des entreprises prestataires de services à la personne, quel que soit le bénéficiaire de la prestation, pose la question de l'opportunité de subventionner des emplois de services de confort, mais elle suscite également des inquiétudes légitimes de la part des organismes de sécurité sociale, qui sont habitués à voir le Gouvernement se dispenser de compenser intégralement les exonérations et allégements de cotisations qu'il consent.

En outre, l'autre mécanisme central de réduction d'impôt sur le revenu de la moitié des dépenses engagées pour l'emploi d'un salarié à domicile s'avère une niche fiscale qui bénéficie exclusivement aux 70 000 foyers aisés de notre pays, laissant de côté plus de la moitié des foyers français qui est non imposable.

Par ailleurs, la confusion entretenue dans le texte entre les prestataires de services intervenant auprès des personnes fragiles et les autres nous inquiète tout particulièrement. Cette situation est d'autant plus préoccupante que le projet de simplification du droit en matière d'action sociale et médico-sociale introduit un droit d'option pour les services prestataires d'aide et d'accompagnement à domicile. L'UNIOPSS, comme la FNAAFP-CSF, la Fédération nationale des associations de l'aide familiale populaire-Confédération syndicale des familles, tient à ce que le législateur rappelle qu'un établissement ou service intervenant notamment pour l'autonomie des personnes relève obligatoirement de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale et se voit appliquer le principe de l'autorisation et les mécanismes de la tarification.

Monsieur le ministre, j'espère vivement que vous ferez preuve d'ouverture au cours des débats et que vous accepterez de revoir la frontière entre le régime de l'autorisation et celui de l'agrément en fonction de la nature des prestations, des besoins sociaux auxquelles elles répondent et des publics bénéficiaires. Il y va de la protection des personnes. Plus globalement, il s'agit d'éviter la mort du secteur associatif par la dérégulation du secteur social et médico-social.

Enfin, un dernier élément - et non des moindres - nous fait douter de votre volonté de voir véritablement se structurer le secteur des services à la personne, monsieur le ministre. En effet, là encore, le projet de loi n'apporte aucune garantie de nature à pérenniser certaines missions qui sont actuellement dévolues aux caisses de sécurité sociale.

Non sans paradoxe, dès le mois de mars 2005, soit à peine un mois après le lancement de votre plan en faveur des services à la personne, la répartition des crédits d'action sociale du Fonds national d'action sanitaire et sociale en faveur des personnes âgées, le FNASSPA, laissait apparaître une diminution de l'enveloppe des heures d'aide à domicile de 15 % à 25 %. Cela revient à priver les personnes âgées en GIR 5 et 6 - les fameux groupes iso-ressources - de la possibilité de financer des intervenants en prévention.

La convention d'objectifs et de gestion 2004-2008 entre la CNAF et les pouvoirs publics n'a pas été signée, monsieur le ministre. Voilà qui décrédibilise votre action. En effet, on ne peut exiger de réduire à 7 % ou 8 % le taux d'évolution du Fonds national de l'action sociale - alors que, pour maintenir l'ensemble de leurs interventions sociales et répondre aux besoins de financement des structures d'accueil des enfants de moins de six ans, les caisses estiment que les crédits devraient progresser d'au moins 12 % par an -, sauf à donner un coup d'arrêt à certaines missions, notamment l'aide au foyer, qui fait intervenir des travailleurs sociaux dans les familles pour les aider au quotidien et qui relève justement des services à la personne, et à fragiliser les associations et les collectivités partenaires de la CAF.

Qui plus est, désormais, le CESU, dont le champ d'usage est considérablement élargi, pourra rémunérer directement un employé et payer des prestations d'aides sociales. En conclusion, tout est organisé pour que, demain, les CAF utilisant le CESU pour payer la garde des jeunes enfants par des assistants maternels agréés solvabilisent, en priorité, la demande au détriment de l'investissement dans une offre publique de qualité.

Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, et nous aurons l'occasion d'y revenir en défendant la quarantaine d'amendements que nous avons déposés : si nous nous inscrivons dans la lutte contre le chômage et si nous sommes, de fait, favorables à la promotion du secteur des services à la personne, nous exigeons des réponses de qualité tant pour la satisfaction des besoins de la population que pour la garantie des conditions d'emploi des salariés intervenant dans l'intimité des personnes. Or votre projet de loi ne les offre pas. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Georges Mouly.

M. Georges Mouly. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, traitant d'un sujet de première importance, le texte en discussion est le fruit d'une étroite concertation - la démarche est excellente - avec les nombreux partenaires d'un secteur émietté, celui des services à la personne et des services de proximité. Depuis des lustres, et sous tous les gouvernements, il a été dit et redit qu'il s'agissait d'un véritable « gisement d'emplois ». Combien de fois l'expression fut-elle reprise, dans cet hémicycle même ?

Cela sera-t-il demain une réalité ? Monsieur le ministre, madame la ministre, vous le voulez. Et nous le voulons avec vous.

Ce secteur est très diversifié sur le terrain. Plutôt que de partir d'une page blanche, monsieur le ministre, vous avez pris cette réalité en considération pour bâtir votre politique.

Avec votre accord, j'évoquerai mon expérience de terrain, ce qui, je l'espère, ne m'éloignera pas trop du sujet.

Je saluerai tout d'abord la création de l'Agence nationale des services à la personne. Cette structure légère - vous l'avez précisé, monsieur le ministre - contribuera à identifier précisément le secteur. Cela ne sera évidemment possible que si le souci de la qualité du service rendu et l'égalité de traitement sur tout le territoire figurent parmi ses missions. Mais elle devra en assurer bien d'autres !

A ce propos, il me semble souhaitable d'établir un relais de proximité à l'échelon départemental, qui me semble le meilleur puisqu'il concentre les compétences en matière de politique sociale.

Dans mon département, divers schémas existent déjà : ils concernent les personnes handicapées, les personnes âgées, l'accueil de la petite enfance. Par ailleurs, des instances cantonales de gérontologie, qui quadrillent le territoire, n'ont pas manqué de s'appuyer sur le secteur des services à la personne - accueil familial, maintien à domicile, etc. - et ont mis en place des expérimentations variées et des actions innovantes, autant de démarches qui ne peuvent qu'être confortées, voire mieux ordonnées, par la politique que le Gouvernement met en place, monsieur le ministre. C'est pourquoi je ne peux qu'adhérer à l'objectif que vous vous êtes fixé de soutenir la demande de services par différentes mesures : allégements de la fiscalité, simplification des démarches administratives. Je n'y insiste pas.

En outre, un nouveau schéma vient d'être adopté, dont l'une des actions est de « promouvoir les métiers d'aide à la personne et développer l'attractivité du secteur » par la mise en oeuvre d'un pôle départemental de formation.

Je me réjouis de cette parfaite convergence de vue avec le Gouvernement. En effet, en tant que président d'une association intercantonale depuis de nombreuses années, je constate combien, en l'état actuel, les emplois sont trop souvent précaires, peu rémunérés et choisis par défaut.

En ce qui concerne la formation, je formulerai quelques interrogations. Certaines sont très ponctuelles, mais ce sont à celles-là que nous sommes confrontés sur le terrain.

Selon quels référentiels organiser la formation ? Comment remplacer le salarié absent ? Puisque l'évolution de carrière est impossible, sinon très difficile, quel est l'objectif de cette formation ? Par ailleurs, les employés de maison rencontrent des difficultés spécifiques. En effet, la multiplicité des employeurs rend complexe la procédure en matière de formation : un employeur n'est pas incité à autoriser, sous sa seule responsabilité et à ses seuls frais, l'absence et la formation de l'employé. Enfin, comment intégrer la validation des acquis de l'expérience ? Nous avons le ferme espoir que l'instauration d'une véritable filière professionnelle qualifiante sera un succès.

Par ailleurs - il s'agit là d'une question de fond -, quelle place l'activité économique accorde-t-elle à l'insertion ? L'association que je préside a créé, aux fins d'un service de garde à domicile, une entreprise d'insertion qui peut constituer une excellente passerelle vers le monde du travail. Pour cela, il convient que soit instauré, tout au long du parcours, un étroit partenariat entre le demandeur d'emploi et un référent unique. C'est toutefois possible.

Fort de cette expérience, je formulerai quelques remarques.

Tout d'abord, l'agrément du demandeur d'emploi par l'ANPE, qui constitue un préalable à la signature du contrat, est délivré pour une période incompressible de vingt-quatre mois. Or, pour valoriser ces parcours d'insertion, notamment en cas de mauvaise orientation professionnelle, il serait judicieux, d'une part, de pouvoir prolonger la durée de l'agrément et, d'autre part, de ne comptabiliser que les périodes d'activité effective durant cette période. J'ai déjà posé cette question : elle demeure à ce jour sans réponse.

Ensuite, en ce qui concerne l'effectif, la « structure porteuse » a fonctionné quelque temps sous forme dérogatoire, avec des contrats emploi-solidarité ou des contrats emplois consolidés. Si ces contrats aidés étaient exclus du calcul de l'effectif, les contrats d'insertion ne le sont pas, alors qu'ils procèdent, semble-t-il, d'une même logique. Cela se traduit, pour l'association que je préside, par un coût supplémentaire de 1 700 euros par mois.

Enfin, l'entreprise d'insertion par l'activité économique est incluse dans le secteur marchand. Avouez, monsieur le ministre, madame la ministre, que cela sonne étrangement pour une entreprise d'insertion portée par une structure associative à but non lucratif et dont le domaine relève de l'utilité sociale !

M. Georges Mouly. Je suis désolé d'avoir à faire cette réflexion,...

M. Guy Fischer. Elle est sensée !

M. Georges Mouly. ... mais elle me paraît nécessaire.

Je salue l'institution du chèque-emploi-service universel, qui constitue un outil de simplification et de solvabilisation, et qui, à l'instar de tout ce qui a trait à la rémunération, est un élément essentiel, puisque l'objectif de ce projet de loi est bien de rendre attractifs les métiers de services à la personne.

Je ne m'attarderai pas sur les avantages qui s'y rattachent : droits sociaux supérieurs pour les employés, crédit d'impôt pour les employeurs, cofinancements possibles par les entreprises.

Je note avec intérêt, même s'il s'agit d'un détail, que, grâce à ce nouveau mode de rémunération, les trop-perçus pourront être évités. En effet, comme bien d'autres ici sans doute, j'ai constaté le drame vécu par des familles qui devaient rembourser le trop-perçu, à ce titre ou à un autre.

Le CESU permettra également une meilleure lisibilité en matière de rémunération des aides à domicile. En effet, aujourd'hui, les missions se multiplient et les appellations diffèrent en fonction des modes de recrutement : prestataires, mandataires, gré à gré, etc. De surcroît, une personne peut intervenir en utilisant successivement l'une ou l'autre des formules.

En outre, si le salarié qui accomplit un service auprès d'un particulier acquiert une formation, comment sa qualification sera-t-elle rémunérée à l'avenir ?

Corollairement à ce plan, il aurait été annoncé - j'emploie à dessein le conditionnel, monsieur le ministre, madame la ministre - que le Gouvernement prévoyait d'organiser sur trois ans la formation de 30 000 aides-soignantes supplémentaires et autant d'aides à domicile, financée par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Oui !

M. Georges Mouly. Mais je constate que vous confirmez cette information, madame la ministre !

Je ne saurais poursuivre mon propos sans me faire l'écho de la tempête provoquée par la décision de certaines caisses régionales d'assurance maladie de diminuer de 10 % à 30 % le contingent d'heures d'aide ménagère. C'est incohérent, car il y a d'un côté volonté de développer cette activité, et diminution effective de l'autre. Et les propos du directeur de la Caisse nationale d'allocations vieillesse ne nous rassurent pas : alors que la convention d'objectifs et de moyens négociée avec l'Etat prévoit une évolution progressive, force est de constater, sur le terrain, la diminution des interventions, alors même que leur taux est déjà en deçà du coût réel.

Mon association a négocié une convention avec la caisse régionale d'assurance maladie, sur proposition de cette dernière, pour expérimenter l'évaluation des besoins de la personne âgée, afin de proposer un plan d'action personnalisée confié aux CLIC, les centres locaux d'information et de coordination.

Devant l'impossibilité de mettre en oeuvre le plan d'action, les critiques vont bon train. Et à qui les reproches s'adressent-t-ils ? Au gens de terrain, bien sûr, autrement dit à nous ! Ce ne serait pas grave si cela permettait d'améliorer la situation, mais la prévention du vieillissement et le maintien à domicile en pâtissent. C'est incompréhensible !

Je ne saurais enfin terminer ce volet de mon propos sans mentionner ma perplexité s'agissant de la lisibilité de la politique suivie : voilà quelques semaines, l'ancien ministre de la santé présentait un plan d'action pour les politiques de proximité, dont un volet concernait les personnes âgées et le développement des services aux personnes dépendantes à domicile grâce à un nouveau titre de paiement, la carte « autonomie ». Et, le 17 mai dernier, M. Raffarin, répondant à l'une de mes questions, m'affirmait qu'il veillerait à la bonne articulation de ces mesures. C'est le moins que l'on puisse espérer, convenez-en, mais qu'en est-il aujourd'hui ?

Bien des commentaires, bien des appréciations et bien des analyses ont été, sont et seront faits encore sur les services à la personne tels qu'ils nous sont présentés dans le texte en discussion. Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, il s'agit d'un enjeu essentiel pour notre société, qui est disposée, bien évidemment, à accompagner et à favoriser sa mise en oeuvre dans le ferme espoir d'un succès escompté.

J'aurais sans doute pu, j'aurais peut-être dû me limiter à cette analyse. J'ai cependant cru qu'il me fallait poser les questions que suscitait mon expérience de terrain, passionné que je suis, avec tous les acteurs concernés par le travail qui s'y effectue, par ce dossier.

Pour ce qui est du titre II, monsieur le ministre, j'enregistre toutes les adaptations concernant les contrats d'avenir et les conventions de reclassement, et j'apprécie la place faite aux handicapés, au logement, à l'apprentissage. Maintes fois abordé, récemment encore à l'occasion de l'examen du projet de loi en faveur des petites et moyennes entreprises, je me demande toutefois si l'apprentissage n'aurait pas mérité d'être présenté dans un texte exhaustif, dans un texte refondateur, peut-être...

M. Georges Mouly. En effet, la jeunesse en apprentissage constitue un élément fort de la cohésion sociale que vous vous proposez d'instaurer, monsieur le ministre. Sachez en tout cas que, avec la majorité des membres de mon groupe, je vous soutiendrai dans le développement du service à la personne. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF, de l'UMP et sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle San Vicente.

Mme Michèle San Vicente. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'un des articles du code de l'action sociale et des familles précise : « L'action sociale et médico-sociale tend à promouvoir, dans un cadre interministériel, l'autonomie et la protection des personnes, la cohésion sociale, l'exercice de la citoyenneté, à prévenir les exclusions et à en corriger les effets. » On pourrait presque y retrouver l'essentiel de l'exposé des motifs du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale !

En avril dernier, Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie, avait annoncé, lors du congrès de la FEHAP, la fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif, la nécessité de décloisonner le champ médico-social du secteur sanitaire. On comprend mieux, à la lecture du projet de loi qui nous rassemble aujourd'hui, le sens du mot « décloisonnement ».

Ainsi, monsieur le ministre, vous utilisez, dans le texte proposé pour l'article L. 129-1 du code du travail, les termes : « les associations et les entreprises dont l'activité porte... », alors que l'article actuel évoque « les associations et les entreprises qui consacrent exclusivement leur activité à des services aux personnes physiques à leur domicile... »

La formule « qui consacre exclusivement » n'était pas neutre, et l'expression « qui porte » ne l'est pas non plus ! Quelles sont en effet, dans votre texte, les garanties susceptibles de structurer et d'améliorer les conditions de travail des prestataires de services relevant du champ médico-social ? Il n'y en a aucune, bien au contraire ! Ainsi, M. Mouly nous parlait tout à l'heure des CRAM. Or les conventions d'objectifs et de gestion de la CNAV et de la CNAF, par exemple, ne sont toujours pas signées non plus, et ce tout simplement parce qu'on leur impose une diminution drastique de leurs budgets qui les obligerait, de fait, à revenir sur leurs engagements contractuels.

Mme Michèle San Vicente. Réduire ainsi les moyens serait préjudiciable et contreproductif, autant sur le plan social que sur le plan économique, mais aussi et surtout contradictoire avec la volonté affichée du nouveau gouvernement.

Le vrai gisement d'emplois se trouve dans les secteurs de la petite enfance et des personnes fragiles. En la matière, toutes les études et enquêtes montrent le souhait constant de nos concitoyens de disposer de structures collectives et non de nouvelles prestations financières, pour concilier leur vie familiale et leur vie professionnelle.

Les familles monoparentales, on le sait bien, sont souvent constituées de femmes seules avec enfants, et ces femmes n'ont malheureusement pas d'autre solution professionnelle que les emplois domestiques, ce travail « simple » se conjuguant le plus souvent avec un mode de vie complexe où il est bien difficile de concilier activité et vie familiale.

Or la mesure phare du projet de loi repose sur les réductions et autres exonérations fiscales. Le nombre d'emplois ainsi annoncé s'élèverait à 500 000. Mais, outre que les comparaisons internationales ne concluent pas à une création massive d'emplois, elles tendent au contraire à démontrer que la France est même en avance sur d'autres pays tels que l'Allemagne ou les Etats-Unis.

Jean Gadrey, l'un des spécialistes des emplois de service, corrobore lui aussi cette analyse et avance que, sans loi spécifique, ce secteur continuerait de créer 40 000 emplois par an, mais, ajoute-t-il, 40 000 emplois particulièrement exposés à la flexibilité et à la faiblesse des rémunérations.

Le rapport de notre collègue Dominique Leclerc fait le pari de l'émergence rapide d'un secteur économique encore insuffisamment développé et de l'existence probable d'un réel gisement d'emplois. En élargissant la gamme des services, ces petits boulots que vous destinez, monsieur le ministre, à ceux qui naviguent à vue entre les stages, les CDD ou encore les contrats aidés réduiront probablement les chiffres du chômage mais en aucun cas la précarité.

Le groupe socialiste et apparentés aurait apprécié qu'il fût fait état d'un autre rapport : celui du Commissariat général du Plan,...

Mme Michèle San Vicente. ... qui indique : « Le défi consiste néanmoins à faire en sorte que ces emplois ne viennent pas gonfler les cohortes des working poors. »

Les secteurs du commerce et des services aux particuliers, qui emploient une forte proportion de main-d'oeuvre peu qualifiée, ont les cotisations sociales les plus basses. A partir du 1er janvier 2006, ils bénéficieront, quel que soit leur champ d'intervention, d'une exonération totale de leurs charges patronales.

Les différentes mesures fiscales permettront-elles la mise en place d'un véritable statut ? Avec près de 4 millions de personnes employées à temps partiel, 1,4 million de salariés intérimaires, 6 millions de personnes vivant de minima sociaux et 3 millions de chômeurs, avouez, monsieur le ministre, que le pari est risqué !

Les diverses exonérations fiscales et autres abaissements de charges n'ont, pour l'instant, en aucun cas eu un effet bénéfique sur l'emploi et les distorsions de concurrence sont, elles aussi, à redouter, et la première entreprise de France, l'artisanat, risque d'être sérieusement malmenée.

Le financement mixte fera probablement baisser le prix d'un service, mais l'idée prédominante consistant à inciter un plus grand nombre de personnes à y avoir recours englobe-t-elle seulement celles et ceux qui en ont le plus besoin ? Je me souviens ainsi d'un sondage présenté au congrès des maires où il apparaissait que les Français étaient très attachés aux notions d'usager et de contribuable, conceptions probablement d'un autre âge et sûrement paradoxales puisque la France est l'un des pays où l'impôt sur le revenu rapporte le moins.

Monsieur le ministre, vous nous affirmez qu'il s'agit de vrais métiers qui exigent une certaine qualité d'assistance et de savoir-faire. Toutefois, l'amélioration de la prestation semble n'être vue ici que sous l'angle des prix pratiqués. Pourtant, la réussite d'un tel plan dépend de la qualité des services rendus à la personne, mais également de l'accompagnement et de la formation de qualité de ceux qui les rendent.

Au regard de la liste issue de la convention nationale du 22 novembre 2004, sur laquelle se fonde le présent projet de loi - garde d'enfants, soins à domicile, conseil juridique, soutien psychologique, assistance aux démarches administratives -, des compétences sont nécessaires. Hormis les validations des acquis de l'expérience, ou VAE, aucun dispositif de formation qualifiante n'est prévu, et la question des employeurs publics n'est même pas posée. Le Conseil national de la formation tout au long de la vie s'est ainsi trouvé dans l'incapacité d'émettre un avis sur ce texte.

Concernant l'apprentissage, l'inflation des textes législatifs et réglementaires rend parfaitement illisibles les dispositifs, ou revient, comme c'est le cas aujourd'hui, sur des dispositions antérieures du code du travail, comme ne manquera pas de le rappeler notre collègue Jean Pierre Godefroy.

Quant à l'insertion par l'activité économique, des modifications sont notamment apportées aux contrats d'insertion-revenu minimum d'activité, qui seront désormais conclus selon les dispositions régissant les contrats intérimaires.

Une autre rectification porte sur la durée des contrats d'avenir, au sujet desquels les associations de mon département - quarante-deux structures d'utilité sociale - m'ont écrit un courrier dans lequel, désespérées, elles dénoncent les surcoûts engendrés par les nouveaux contrats, les interprétations différentes voire contradictoires des textes au sein d'un même service, et surtout l'application de mesures compliquées et non pérennes, éléments qui se traduisent, sur le terrain, par des situations de rupture très graves.

Enfin, la commission des affaires économiques du Sénat doit remettre ces jours-ci un rapport, commandé par l'ancien secrétaire d'Etat au logement, sur les facteurs fonciers et immobiliers de la crise du logement, afin de préparer le projet de loi « Habitat pour tous ».

Le Gouvernement a décidé d'introduire en catimini trois amendements qui correspondent aux trois annonces faites en matière de logement dans la déclaration de politique générale du Premier ministre - garanties d'impayés, exonérations de plus-values ou réforme de l'indice du coût de la construction -, ces nouveaux mécanismes étant censés remédier à l'urgence de la crise du logement. L'urgence n'aurait elle pas été de revaloriser les aides à la personne, de supprimer le délai de carence et de stopper la spéculation immobilière et foncière ?

M. Guy Fischer. Il va arrêter les expulsions !

Mme Michèle San Vicente. Quand les Français demandent moins de précarité et de vraies mesures pour vaincre le chômage, vous leur proposez la flexibilité, des bas salaires et une nouvelle remise en cause du code du travail.

L'Etat a-t-il encore une politique sociale ?

Mme Michèle San Vicente. En tout cas, le groupe socialiste et apparentés votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.

M. Serge Dassault. Avant tout, permettez-moi de vous féliciter, monsieur le ministre, pour le dépôt de ce projet de loi relatif au développement des services à la personne. Ce texte s'inscrit dans le prolongement de la loi de programmation pour la cohésion sociale, qui permettra de réaliser des progrès importants dans les domaines social et économique.

Aujourd'hui, les familles et les personnes seules ont besoin d'aides à la personne pour faciliter leur vie professionnelle et leur vie familiale. Vous proposez donc de développer et de renforcer le champ des services à la personne. Cela est d'autant plus nécessaire qu'il s'agit là, en outre, d'une voie très prometteuse pour réduire le niveau du chômage.

Vous avez mobilisé, monsieur le ministre, tous les moyens susceptibles de répondre aux besoins des personnes seules et vous avez réduit, pour l'ensemble des citoyens, le coût d'accès à ces services.

Vous améliorez les conditions d'exercice des métiers concernés en élargissant la liste des activités agréées dans ce domaine. Les procédures d'agrément seront par ailleurs simplifiées et les métiers en question revalorisés. La plupart des prestataires de service attendent de telles mesures ; vous les proposez ; il faut s'en réjouir.

Néanmoins, je souhaiterais mettre l'accent sur quelques améliorations qui me paraissent devoir être apportées au dispositif.

Je pense tout d'abord que le système que vous mettez en place est un peu compliqué : il reste assez difficile, compte tenu de la procédure à suivre, d'embaucher une aide familiale.

Vous maintenez le taux de TVA à 5,5 % pour les professionnels de ce secteur, ce qui est bien, et vous permettez de déduire de l'impôt sur le revenu 50 % des sommes versées pour l'emploi par un particulier d'un salarié à son domicile, dans la limite de 15 000 euros par an, ou de 20 000 euros pour les personnes les plus fragilisées.

Ces seuils me semblent trop bas, et il serait utile de les faire passer, par exemple, à 30 000 euros et 40 000 euros par an, quel que soit le nombre de salariés employés. Une telle mesure permettrait d'embaucher plusieurs personnes au lieu d'une et contribuerait ainsi à réduire encore plus le chômage. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC.)

Je n'ai pas eu le temps de déposer un amendement à ce sujet, mais je souhaiterais que vous puissiez tenir compte de cette suggestion.

Les associations chargées de l'aide à domicile devraient pouvoir bénéficier d'avantages semblables. Elles sont souvent subventionnées par les communes, mais je n'ai pas vu trace, dans votre projet de loi, d'avantages qui pourraient leur être attribués ni de mesures propres à permettre aux communes de faciliter leur action. Il existe, dans ma commune, une de ces associations d'aide à domicile, et je mesure ce que cela coûte. N'y aurait-il pas, à cet égard, un oubli dans votre texte, monsieur le ministre ?

La CGPME a également favorablement réagi aux mesures que vous envisagez. Néanmoins elle souhaiterait, elle aussi, que soient apportées quelques améliorations:

Il faudrait éviter de multiplier et de modifier sans cesse les titres de paiement, sur le fond et sur la forme : cela finit par embrouiller les utilisateurs.

Encore une fois, il conviendrait de simplifier les obligations administratives, et il y a encore beaucoup de chemin à faire en la matière.

Concernant l'Agence nationale des services à la personne, la CGPME souhaiterait que son rôle, notamment son pouvoir en matière de crédits d'intervention, soit limité, de manière que cette agence n'exerce pas une fonction de gouvernance sur les établissements du secteur privé qui se consacrent à cette activité.

Les amendements que j'ai déposés concernent les salariés handicapés et l'apprentissage.

Un premier amendement tend à favoriser l'insertion professionnelle des handicapés, laquelle doit en effet, à mes yeux, devenir un objectif majeur de toute politique de l'emploi, car cette catégorie de citoyens connaît de réelles difficultés à cet égard.

Afin de favoriser l'insertion des personnes handicapées de plus de cinquante ans, qui rencontrent plus de difficultés de réinsertion professionnelle que les salariés ordinaires, je propose d'étendre aux titulaires d'un contrat d'avenir qui sont reconnus travailleurs handicapés la limite de renouvellement du contrat actuellement prévue pour les bénéficiaires non handicapés âgés de plus de cinquante ans et, s'agissant des travailleurs handicapés, de la fixer à trente-six mois, au lieu de vingt-quatre pour les travailleurs ordinaires.

Je serais très heureux que la commission des affaires sociales reprenne cet amendement à son compte.

J'ai également déposé un amendement tendant à favoriser le développement de l'apprentissage par la mise en place de campagnes nationales de promotion et de communication propres à rendre cette voie de formation plus attrayante pour les familles, les jeunes et les professionnels. En effet, aujourd'hui, les campagnes de promotion ne touchent pas l'ensemble du territoire, restant cantonnées aux départements et aux régions. Nos voisins allemands, qui disposent d'une forte infrastructure d'apprentissage, ont mené des campagnes nationales et cela a eu des conséquences très positives.

Je propose donc, pour donner un nouvel essor à l'apprentissage, de suivre l'exemple allemand, via le Fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage, car il est essentiel de dispenser une bonne information sur cette voie de formation auprès de tous les jeunes qui souhaitent s'engager dans la vie professionnelle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne dispose, volontairement, que de quelques minutes pour vous parler de l'apprentissage. Mais c'est un sujet sur lequel nous reviendrons lors de l'examen des articles 11, 11 bis et 12.

M. Borloo, durant l'été 2004, lors de la présentation de son plan de cohésion sociale, avait fait une déclaration remarquée sur le nécessaire développement de l'apprentissage et l'amélioration de son attractivité. Je lui avais d'ailleurs fait part, à l'époque, de notre accord de principe sur ce double objectif.

Un an plus tard, l'attractivité de l'apprentissage a-t-elle été améliorée ? Il y a tout lieu d'en douter eu égard à la multiplication des dispositions régressives proposées par les parlementaires de la majorité et soutenues ou subies - nous vérifierons ! - par le Gouvernement au fil des textes que nous examinons ces temps-ci.

Il y a d'abord eu, lors de l'examen du projet de loi de programmation, la tentative de notre collègue M Dassault sur l'apprentissage à quatorze ans ; sa pression « amicale » sur le ministre qui occupait alors le banc du Gouvernement avait été fort remarquée.

Il y a maintenant la question des dérogations au code du travail pour les apprentis mineurs. Comment pouvez-vous imaginer de revaloriser l'apprentissage en déréglementant complètement le travail des apprentis mineurs ? Après le dimanche et les jours fériés, le travail de nuit ; nous voilà servis ! Et tout cela en quinze jours, dans cet hémicycle !

M. Roland Muzeau. C'est le progrès !

M. Guy Fischer. C'est du jamais vu !

M. Jean-Pierre Godefroy. Il faut d'abord rappeler que nous parlons ici de jeunes âgés de seize à dix-huit ans, autrement dit d'enfants, d'adolescents. Nous ne pouvons pas ignorer l'impact de telles mesures sur leur développement, leur santé. Quel regard vont-ils être amenés à porter sur la société dans laquelle ils s'apprêtent à prendre place ?

Pour ce qui est du travail des apprentis mineurs le dimanche, nous avons proposé, le 14 juin dernier, une ouverture à M. Dutreil, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et des professions libérales, mais j'y reviendrai lors de la discussion des articles. Ainsi, concernant le travail les dimanches et jours fériés, le Gouvernement est-il toujours sur la même position de refus en ce qui concerne les jours fériés, madame la ministre, puisque c'est contre l'avis de celui-ci qu'a été adoptée dans cet hémicycle la proposition de Mme Procaccia ?

Ce n'est pas le sens de l'article 11 bis, et vous voulez maintenant enfoncer le clou avec le travail de nuit dans certaines professions !

Travail de nuit, les dimanches et les jours fériés pour les mineurs, et ce sans limitation en l'état actuel des textes : quel progrès social ! Les métiers - aujourd'hui au nombre de quatre-vingts, avant qu'un décret soit pris - concernés par les divers amendements qui ont été adoptés au cours de la discussion du projet de loi en faveur des PME ou qui risquent fort de l'être lors de la présente discussion sont très souvent les métiers mêmes qui sont déjà délaissés par les jeunes, effrayés par les bas salaires, les horaires excessifs et les dures conditions de travail. Ces métiers ne deviendront attractifs que si l'on s'efforce d'améliorer les conditions de formation et de travail ; or c'est l'option inverse qui est retenue.

Vous nous appelez à légiférer sans vue globale, hors discussion par branche, sans connaître les avis des uns et des autres ni les marges de manoeuvre susceptibles d'être dégagées par une négociation avec les organisations professionnelles et syndicales. Vous choisissez en effet de faire une addition de cadeaux, cédant à des pressions catégorielles, au cas par cas, sur le dos d'adolescents de seize à dix-huit ans à qui l'on impose une totale dérégulation de leur présence dans l'entreprise.

On nous dit que l'apprenti doit être présent quand le travail se fait dans l'entreprise. Soit ! Mais il faut rappeler qu'un apprenti, c'est d'abord et avant tout un jeune en formation, et non une main-d'oeuvre d'appoint bon marché permettant de faire face à des périodes de surcharge d'activité.

Dans n'importe quelle filière de formation, à l'université par exemple, les enseignements sont progressifs, le volume et la complexité des programmes évoluent au cours de la formation : c'est le cas du DEUG à la maîtrise. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour les apprentis ? Le parcours scolaire de l'apprenti, qui constitue un élément essentiel de sa formation, est-il compatible avec de telles dérogations aux normes du code du travail ?

Pourquoi vouloir imposer aux jeunes concernés, dès le début de leur apprentissage, de travailler le dimanche, les jours fériés et la nuit ? C'est le meilleur moyen de les faire fuir ! Donnons-leur d'abord le goût du métier à apprendre et faisons-leur progressivement en découvrir les contraintes.

Nous n'ignorons pas les réalités et les servitudes de certains secteurs, mais nous devons nous assurer que les dérogations accordées sont respectueuses du repos et du rythme solaire des apprentis.

M. Jean-Pierre Godefroy. Par ailleurs, où en est-on du développement de l'apprentissage public ? Je l'ai pratiqué dans ma ville, et les résultats furent probants.

Pour conclure, je regrette que l'on n'aborde toutes les questions relatives à l'apprentissage qu'au cas par cas, de texte en texte, sans réelle réflexion et travail préalables. Si l'on veut développer l'apprentissage et en améliorer l'attractivité, de manière à atteindre l'objectif des 500 000 apprentis, il nous faut un texte d'ensemble, un texte de refondation. C'est la proposition que je formule, rejoignant en cela, sans que nous nous soyons concertés, notre collègue M. Mouly.

N'enfermez pas cette réflexion dans les 100 jours de M. de Villepin ; proposez-nous une vraie réflexion, soumettez-nous un texte élaboré et concerté entre les partenaires sociaux, le Parlement et le Gouvernement. Alors, votre objectif, que nous partageons, de valoriser l'apprentissage aura une réelle chance d'être atteint. Ce n'est certainement pas par un échafaudage de dérogations successives que nous parviendrons à ce résultat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, face à un projet de loi comme celui-ci, deux lectures sont toujours possibles : on peut y déceler des objectifs louables et, en même temps, être inquiet quant aux mesures mises en oeuvre pour atteindre lesdits objectifs.

En l'occurrence, je suis plutôt perplexe, voire sceptique.

J'ai été frappé, en entendant le discours de politique générale du Premier ministre - j'ai même eu l'occasion d'être frappé deux fois puisque, avant de l'entendre dans la bouche de celui-ci, j'avais pu l'entendre, prononcé sur un ton un peu « pète-sec », par le ministre de l'intérieur -, par l'emploi du mot « abus ». « Il y a des abus », a-t-il dit ici en prenant à témoin les travées de droite.

Je pensais qu'il voulait dénoncer l'abus le plus criant de l'heure : les 23 millions d'euros d'indemnité versés au P-DG licencié de Carrefour, et licencié pour incompétence ! Je m'attendais donc à des mesures importantes pour mettre fin à ce type d'abus. Mais non ! Il s'agissait de l'abus dont se rendent coupables les demandeurs d'emploi en refusant certains emplois qui leur sont proposés !

C'est extraordinaire ! Il y a plus de 5 millions de personnes touchées par le chômage, plus d'un million de RMIstes, et tous ces gens refusent l'emploi !

Bien sûr, je ne le nie pas, sur toutes ces personnes, il peut s'en trouver quelques-unes qui restent au RMI parce qu'elles exercent par ailleurs un travail au noir. Mais ce n'est pas la majorité ! Aujourd'hui, la majorité des RMIstes souhaitent travailler, souhaitent trouver ou retrouver un emploi.

M. Jean Desessard. Il aurait été tout de même plus judicieux de la part du Premier ministre et du ministre de l'intérieur, qui a lu ce discours au Sénat, d'essayer d'analyser pour quelles raisons un certain nombre d'emplois ne sont pas pourvus.

Ainsi, dans la restauration, au lieu de rechercher la véritable source d'un tel problème - s'agit-t-il en effet des horaires, des conditions de travail, des salaires ? -,...

M. Jean-Pierre Plancade. C'est la TVA !

M. Jean Desessard. ... ce qui lui aurait permis de trouver des réponses, le Gouvernement a au contraire affirmé : « Il y a des abus ! »

De la même manière, dans le secteur médical, il aurait été préférable de se demander dans quelle mesure la mise en oeuvre des politiques précédentes a entraîné une sélection importante au niveau de la formation des infirmières et des médecins, d'où des emplois non pourvus, plutôt que de tenir encore le même discours sur les abus.

Pour le Gouvernement, il y a des abus chez certaines personnes qui vivent au RMI, qui s'en contentent et qui refusent les offres d'emplois. Or, s'il y a peut-être quelques abus çà et là, à mon sens, la majorité des gens cherche et aspire à trouver un emploi digne !

A partir du moment où le problème du chômage est traité sous un tel angle, monsieur le ministre, nous sommes mal partis !

Pourtant, nos analyses convergeaient avec les vôtres sur certains points : n'est-ce pas un objectif noble que de créer des emplois dans plusieurs secteurs, notamment l'aide aux personnes âgées, la garde d'enfants, les loisirs de proximité et les petites réparations, de développer les liens avec le secteur de l'économie solidaire et les associations de lutte pour l'insertion sociale, en vue de favoriser le retour à l'emploi, de faciliter les démarches administratives et créer le CESU, le chèque-emploi-service universel ?

Cela étant dit, monsieur le ministre, j'ai relevé un problème de concordance des temps. D'un côté, vous proposez 500 000 emplois en trois ans : c'est un objectif ambitieux,...

M. Roland Muzeau. Personne n'y croit !

M. Jean Desessard. ... que vous ne parviendrez toutefois pas, selon moi, à atteindre, personne ne sachant d'ailleurs à quoi ils correspondent. D'un autre côté, le Premier ministre s'est donné 100 jours pour réussir ! (Sourires.)

M. Guy Fischer. Tout s'accélère !

M. Jean Desessard. Je pensais donc que vous alliez nous fournir un objectif pour cette période.

En définitive, quel est votre objectif ? Sur quelles bases comptez-vous dresser un bilan au bout de ces 100 jours : au nombre de lois votées d'ici là - auquel cas je m'inquiète pour notre ordre du jour du mois de juillet et du mois d'août -, au nombre de promesses faites, au nombre de propositions élaborées ? Peut-être nous fournirez-vous une explication...

Quoi qu'il en soit, le projet de société qui est sous-tendu par ce projet de loi m'inquiète : alors que nous souhaitons proposer à tous un emploi digne et de qualité, en leur garantissant une autonomie dans leur travail, le Gouvernement a fait une autre analyse. Ainsi, puisque l'écart de richesses entre les plus pauvres et les plus riches s'accroît en France et dans d'autres pays, puisqu'il y a de plus en plus de riches, il faut mettre des personnes à leur service : puisque certains pauvres refusent des emplois, il va leur proposer de travailler au service des plus riches. Ce faisant, nous parvenons effectivement à un système d'emplois de service à la personne !

M. Guy Fischer. C'est ce que M. Dassault a proposé !

M. Jean Desessard. A d'autres périodes, on parlait des « majordomes » ou du « personnels de maison ».

Comme cela a déjà été souligné, le lien de subordination va donc beaucoup plus loin que le simple lien hiérarchique, en devenant un lien de « corvéabilité » et de soumission à l'employeur.

Pour éviter cette dérive, monsieur le ministre, nous souhaitons que tous les emplois créés soient encadrés soit par les associations employeurs, soit par les collectivités locales ou les sociétés d'économie mixte. En tout état de cause, d'autres collègues de gauche l'on dit avant moi, nous refusons une relation de gré à gré, autrement dit une relation de maîtresse ou de maître de maison à femme ou homme de service.

D'ailleurs, pourquoi ne pas affirmer que ces services d'aides à la personne doivent être parfois considérés comme de nouveaux services publics ? Ainsi, qui peut nier aujourd'hui que le service d'aide aux personnes âgées relève bien de la mission de service public, d'autant que l'Etat se déclare prêt à investir, soit par réduction d'impôt soit par exonération de charges sociales ? Monsieur le ministre, assumez vos choix et dites que, contrairement à ce qui est dit, le Gouvernement entend favoriser le service public ! Dans ces conditions, nous serons d'accord.

Vous souhaitez offrir de vrais emplois et diminuer le nombre des emplois partiels non choisis - bien entendu, nous ne pouvons refuser le choix du salarié d'occuper un emploi partiel choisi - mais, pour atteindre ces objectifs, il faut effectivement encourager les groupements d'employeurs, collectifs ou privés, en établissant des règles de bonne conduite.

Cela étant, vous le savez, pour un secteur aussi « atomisé », il sera également nécessaire que les demandeurs d'emplois aient la possibilité de cumuler l'indemnité de chômage et le salaire versé pour l'emploi partiel qu'ils occuperont, quelques heures au début, afin de se familiariser de nouveau avec le monde du travail.

Or, monsieur le ministre, où sont les mesures qui vont dans ce sens ?

De telles mesures, destinées à permettre le cumul de l'indemnité de chômage ou du RMI avec un salaire pour quelques heures de travail - il faut en effet compenser la baisse du pouvoir d'achat subi par celui qui recommence à travailler et qui doit supporter les dépenses supplémentaires liées à sa nouvelle activité, notamment en termes de transport et de nourriture - ont déjà été expérimentées avec Mme Aubry. Mais les hauts fonctionnaires du ministère du travail avaient alors élaboré un système si compliqué et si peu compréhensible qu'il n'a été quasiment jamais appliqué. En effet, si le cumul du RMI avec des heures travaillées était autorisé, il y avait un système de récupération le trimestre suivant : c'était complètement infernal, et cela n'a jamais marché.

Certes, monsieur le ministre, j'en conviens, le gouvernement de l'époque n'appartenait pas à votre sensibilité politique, et nous aurions pu mieux faire.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Ah !

M. Jean Desessard. Cependant, de votre côté, que proposez-vous aujourd'hui ?

Sachant très bien qu'il y aura des emplois à temps partiel et que les demandeurs d'emplois seront visés, pourquoi ne pas avoir mis en place un système permettant de cumuler les indemnités chômage ou le RMI avec les heures travaillées, bien entendu jusqu'à concurrence du SMIC ?

Monsieur le ministre, je comprends très bien les mesures d'exonération sociale et les réductions d'impôts, à condition qu'elles concernent des missions de service public. Or il s'agit ici de favoriser les plus riches de notre société. Bien sûr, ce n'est pas annoncé comme cela, mais, vous le constaterez au travers de l'examen de ce texte, tel est bien en réalité l'objectif de fond du Gouvernement.

De plus, avez-vous aujourd'hui les moyens de favoriser la réduction d'impôt aujourd'hui ?

M. Roland Muzeau. A crédit !

M. Jean Desessard. Avez-vous aujourd'hui les moyens de favoriser l'exonération des charges sociales, alors que le déficit de la sécurité sociale est abyssal et que le remboursement de la dette de l'Etat est tout juste remboursé, à en croire M. le ministre de l'économie et des finances, par la totalité des prélèvements au titre de l'impôt sur le revenu ?

M. Roland Muzeau. Ils sont bons, n'est-ce pas ?

M. Jean Desessard. S'il s'agit de créer des services publics, oui, cela vaut le coup ! Mais, s'il s'agit d'aider les plus riches, alors pourquoi le faites-vous, à quoi cela sert-il ? Pourquoi donc augmenter la dette dans ces conditions, monsieur le ministre ?

En conclusion, s'il s'agit de faire émerger des besoins nouveaux, s'il s'agit de favoriser des métiers nouveaux, s'il s'agit de faciliter les démarches administratives, s'il s'agit de lutter contre le travail au noir, s'il s'agit d'aider au retour à l'emploi, s'il s'agit de maintenir à chaque personne un revenu minimal quelle que soit sa situation, alors oui, il s'agit de nobles objectifs.

Mais alors pourquoi avoir annulé le dispositif « emplois-jeunes », monsieur le ministre ? Au contraire, il fallait l'étendre ! Ce dispositif avait plusieurs objectifs : permettre aux demandeurs d'emplois de bénéficier d'un revenu au moins égal au SMIC, aider des personnes pendant quelques années à créer de nouvelles activités et de nouveaux métiers. Si le système a été quelque peu détourné par certaines collectivités locales, qui ont employé des personnes à d'autres fins, l'objectif initial était cependant de créer de nouveaux services et de nouveaux emplois.

Dans le prolongement de la notion d'économie solidaire, il aurait donc fallu ne plus réserver un tel dispositif aux jeunes et l'étendre à toutes les catégories d'âges, notamment aux personnes de plus de cinquante ans qui ont besoin de retrouver un emploi. En effet, les créations d'emplois ayant majoritairement lieu dans le secteur des services, c'est l'expérience professionnelle qui permet la réussite dans ce domaine. Par conséquent, le fait d'ouvrir un tel dispositif aux personnes ayant déjà travaillé et non plus simplement aux jeunes de moins de vingt-cinq ans aurait constitué un gage de réussite professionnelle !

Monsieur le ministre, avec votre projet de loi, j'ai bien peur qu'il s'agisse de cristalliser l'écart grandissant en France entre les plus riches et les plus pauvres, de favoriser pour les plus favorisés le recours à une main-d'oeuvre domestique corvéable à merci et de développer le travail à temps partiel.

C'est pourquoi nous sommes opposés à ce texte, qui s'inscrit dans une logique de développement inégalitaire de la société. Ce n'est pas parce que, à l'heure de la mondialisation, nous sommes aujourd'hui soumis à la concurrence d'autres pays qu'il faut s'aligner sur les systèmes sociaux les plus rétrogrades ! Au contraire, la politique doit avoir l'ambition de garantir à l'ensemble des citoyens un métier digne et de maintenir l'ensemble des modèles sociaux qui ont fait, précisément, la réussite à la fois économique et sociale de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d'abord remercier chaleureusement le rapporteur et l'ensemble de la commission des affaires sociales de l'excellent travail qu'ils ont réalisé sur ce texte.

Mes remerciements vont aussi au président de la commission, M. Nicolas About, pour la qualité des débats menés au sein de la commission. Et, comme nous tous cet après-midi, je m'associe au message d'affection de Jean-Louis Borloo à son endroit.

Je voudrais également remercier l'ensemble des orateurs non seulement de leurs propos, mais également des nombreuses suggestions qu'ils ont bien voulu apporter et qui, tout au long de la discussion, nous permettront à n'en pas douter des échanges tout à fait fructueux.

Chacun des orateurs a bien mis en évidence dans cette discussion générale combien le service à la personne est effectivement un secteur qui fait consensus, une question qui nous rassemble, comme l'a dit tout à l'heure M. Mouly, tant les enjeux sont importants.

Jean-Louis Borloo l'a souligné, les services à la personne cumulent deux atouts. D'une part, ils constituent un formidable gisement d'emplois. N'oublions pas qu'il y a aujourd'hui plus de 75 000 emplois nouveaux dans ce secteur, alors même qu'aucune activité de « dynamisation » particulière n'avait été développée auparavant. D'autre part, ces emplois ne sont pas délocalisables.

Par ailleurs, ce secteur a vocation à combler des besoins de grande ampleur et particulièrement diversifiés.

Pour reprendre les termes de M. le rapporteur, ce texte est très attendu. Et, pour reprendre ceux de M. Desessard, c'est un objectif noble.

La discussion a fait apparaître plusieurs préoccupations auxquelles nous avons à coeur de donner des réponses.

Tout d'abord, nous souhaitons étendre le champ des activités concernées, afin de satisfaire les besoins croissants de la population en matière de services de proximité. Vous avez rappelé la variété et l'ampleur de ces besoins, en lien avec les évolutions socio-démographiques que connaît notre pays.

Monsieur le rapporteur, vous avez mis en avant toute cette mobilisation, en rappelant les conclusions d'un rapport : deux heures de service par semaine, deux millions d'équivalents temps plein créés.

Chacun le sait, la révolution de l'allongement de l'espérance de vie dans notre pays ainsi que l'activité beaucoup plus importante des femmes, notamment entre vingt-cinq et quarante-neuf ans, nécessitent aujourd'hui de nouveaux services. De plus, notre société doit apprendre à consommer des services comme elle consomme d'autres biens. C'est d'ailleurs tout le sens du chèque-emploi-service universel.

S'agissant des services médico-sociaux, je souhaite rassurer un certain nombre d'entre vous : il n'est absolument pas question d'abroger quelque disposition que ce soit de la loi de janvier 2002. Pour l'ensemble des services, un droit d'option sera proposé aux structures prestataires intervenant auprès des publics les plus fragiles.

Ainsi, madame Létard, il est important que la loi de janvier 2002 s'applique pleinement, et les dispositions de ce texte ne la modifient en aucun cas.

L'agrément permettra aux structures concernées de conserver les caractéristiques de sérieux et de professionnalisme qu'impose la loi de modernisation sociale. En effet, les publics particulièrement fragilisés ont besoin, nous le savons, d'une indispensable qualité de service.

S'agissant plus particulièrement de l'agrément simple, sa validité aura un caractère national.

Le projet de loi a également pour objectif de mieux structurer l'économie du secteur, d'une part en développant des enseignes nationales, comme Jean-Louis Borloo le rappelait tout à l'heure, d'autre part en s'attaquant au travail clandestin, car nous savons tous combien le secteur est confronté à ce fléau, qui prive bon nombre de salariés de droits sociaux et encourage une économie souterraine néfaste à la croissance et à l'emploi.

Certains ont également émis le souhait que ce développement ne constitue pas, dans certains secteurs, une concurrence déloyale. Je tiens à les rassurer sur ce point : les artisans qui le souhaitent pourront développer, outre leur activité traditionnelle, une activité de services à la personne. Il leur faudra néanmoins constituer une entité juridique distincte de leur entreprise classique et exclusivement dévolue aux services à la personne pour bénéficier de l'ensemble des avantages prévus par le projet de loi. Il s'agira donc bien d'activités totalement différentes. En effet, la création de nouveaux emplois, comme le disait Mme Procaccia, ne doit pas avoir pour conséquence d'en supprimer d'autres.

Consultés à l'occasion de la préparation de ce projet de loi, les représentants des artisans y voient une opportunité de développement plutôt que l'instauration d'une concurrence. Madame San Vicente, il ne s'agit pas de les malmener !

Ce secteur, il est bon de le rappeler, souffre d'une demande non solvabilisée, d'un éclatement - beaucoup d'entre vous ont utilisé le terme d'« émiettement » - des structures. Son développement aura pour effet de dynamiser l'ensemble des services de proximité.

Plusieurs orateurs ont également évoqué la création de l'Agence nationale des services à la personne. M. le ministre l'a redit, il s'agit d'une structure nationale très légère. On peut la comparer à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, qui a également été créée par Jean-Louis Borloo et qui compte actuellement trente-huit personnes. Or c'est dans le cadre de cette agence que le principe du délégué territorial a été instauré.

Ainsi, monsieur Mouly, nous devrons peut-être réfléchir à un système assez proche de celui du délégué territorial, qui permettra, demain, de créer des services de proximité sans pour autant engendrer des coûts de fonctionnement ou des lourdeurs administratives supplémentaires.

Le projet de loi vise à renforcer la professionnalisation du secteur et à créer, selon l'heureuse formule de M. le rapporteur, un « pôle d'excellence ». Plusieurs orateurs l'ont signalé : il existe actuellement un manque patent de reconnaissance des métiers de ce secteur, qui souffrent souvent, il est vrai, d'une mauvaise image.

Comme Mme Procaccia l'a souligné, le texte a été bien accueilli par les professionnels, en raison, précisément, des améliorations substantielles qu'il comporte et de la possibilité qu'il offre de conduire vers une meilleure professionnalisation du secteur.

Je souhaite également revenir sur la question du travail à temps partiel subi, qui a été évoqué à différentes reprises. Je comprends votre remarque à ce sujet, madame San Vicente, et elle me touche d'autant plus que ces temps partiels concernent le plus souvent des femmes. En effet, 97 % des familles monoparentales sont composées de femmes chefs de famille avec des enfants. Mais je crois que c'est mal comprendre l'esprit du Gouvernement que d'imaginer qu'il ne cherche pas à agir dans ce domaine.

Au contraire, ce texte vise tout d'abord à s'attaquer au travail illégal. Et, monsieur Muzeau, je vous le demande avec force : quoi de plus précaire et de plus néfaste qu'une économie souterraine ? Les exonérations de charges et le crédit d'impôt tendent justement à inciter nombre de particuliers employeurs à déclarer leurs salariés, leur accordant ainsi de vrais droits sociaux.

A ce propos, je saisis l'occasion qui m'est donnée de répondre à la préoccupation légitime exprimée par M. Leclerc à propos des exonérations de charges : elles seront totalement compensées à la sécurité sociale par l'Etat.

Sortir le salarié de la précarité par l'incitation à la déclaration de la rémunération sur une base réelle plutôt que forfaitaire est un pas supplémentaire vers de meilleurs droits sociaux pour le salarié.

La convention du 29 mars 2002 va également dans ce sens, en prévoyant une revalorisation des salaires dans ce secteur. Elle a été renforcée par l'action des gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin en faveur de la hausse régulière du SMIC depuis 2002. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. Et les 35 heures ?

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Enfin, il s'agit de sortir le salarié de la précarité par les efforts de formation qui seront consentis pour professionnaliser ce secteur.

Voilà les éléments de réponse que je souhaitais apporter aux préoccupations soulevées par M. Muzeau.

Le plan de services à la personne présenté par Jean-Louis Borloo le 16 février dernier comprend des mesures qui ne sont pas toutes de nature législative, mais qui constituent des soutiens majeurs au renforcement de ces métiers.

De même, alors que j'étais encore secrétaire d'Etat aux personnes âgées, j'ai signé deux accords-cadres pour assurer la formation des aides-soignants.

Vous avez eu raison, mesdames, messieurs les sénateurs, de souligner que les métiers les moins rémunérés et les plus précaires risquent d'être réservés aux femmes. C'est tout l'enjeu du texte sur l'égalité salariale, dont la Haute Assemblée aura l'occasion de débattre les 12 et 13 juillet prochains.

Ce projet de loi consiste à simplifier le plus possible les démarches des particuliers. Nous savons en effet combien les démarches compliquées constituent également un frein à l'emploi. Grâce au chèque-emploi-service universel, titre unique fusionnant le CES, le chèque-emploi-service, et le titre emploi service, il sera possible non seulement d'embaucher, mais également de payer un salarié dans le cadre d'un contrat aussi bien de gré à gré que conclu par l'intermédiaire d'une association mandataire ou d'un prestataire.

Jean-Louis Borloo a coutume de dire que, demain, le chèque-service-emploi universel sera au secteur des services à la personne ce que le ticket restaurant a été au secteur de la restauration.

A mes yeux, l'un des éléments importants de ce titre, c'est la faculté donnée aux entreprises d'en faire bénéficier leurs salariés, grâce à un préfinancement. C'est l'occasion pour un certain nombre de salariés qui n'avaient pas l'occasion, jusqu'à présent, de recourir à ce type de services de pouvoir le faire. Je crois, comme Mme Létard, qu'il s'agit là d'une avancée tout fait importante.

M. Dassault a souligné qu'un tel dispositif, pour rencontrer le succès, exigeait la simplicité. Or le chèque-emploi-service universel permet cette simplicité.

Pour répondre aux inquiétudes exprimées par les départements, je rappelle que le chèque-emploi-service universel pourra être employé pour le versement de l'allocation personnalisée d'autonomie. En effet, le versement direct aux intervenants est prévu à l'article 4 du projet de loi, sous réserve, bien sûr, de l'accord de la famille. Il s'agit en effet d'interventions à très haute valeur humaine ajoutée, qui ont lieu dans l'intimité des familles. C'est la raison pour laquelle il semblait extrêmement important que l'APA puisse continuer à être versée comme elle l'a été jusqu'à présent.

Certains ont accusé les auteurs de ce projet de loi de renforcer les inégalités, au motif bien connu que la réduction d'impôt ne toucherait que ceux qui le paient. Nous assumons ce dernier point, en solvabilisant la demande de personnes, souvent issues de classes moyennes, qui pourront trouver, grâce à cette aide nouvelle, le moyen de mieux articuler vie professionnelle et vie privée ou d'aider des parents malades à rester plus longtemps à domicile, volonté exprimée si souvent par nos concitoyens.

Pour ceux qui ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu, ce projet de loi est aussi un élément de soutien à la consommation de ces services. En effet, quand une entreprise ou une association donne un CESU et bénéficie d'une exonération de charges, cela lui permet de consommer des services.

En marge de ce projet de loi, plusieurs orateurs sont revenus sur une autre de nos préoccupations, à savoir les moyens des caisses en matière d'action sociale, qu'il s'agisse de la CNAV, la Caisse nationale d'assurance vieillesse, ou de la CNAF, la Caisse nationale des allocations familiales. Bien sûr, il ne s'agit pas de discuter ici d'une question étrangère à ce projet de loi. Néanmoins, je souhaite rappeler que le Gouvernement sera particulièrement attentif à la négociation des contrats d'objectifs et de gestion de ces caisses. J'y suis personnellement très attachée.

Je souhaite maintenant revenir sur quelques éléments du titre II du projet de loi.

Monsieur Desessard, vous avez fait allusion aux chiffres et aux résultats. Or, quelques semaines après son adoption, le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale commence à porter ses fruits.

L'apprentissage est dynamisé : chaque mois, on compte 100 entrées de plus qu'en 2004. Certes, je vous accorde que la fonction publique doit aller plus loin, plus fort et plus vite.

Les collectivités territoriales se saisissent du nouvel outil que constitue le contrat d'avenir : 55 départements ont déjà signé une convention d'objectifs ; 45 départements le feront bientôt. Les communes et les EPCI s'engagent également, avec 45 conventions d'objectifs.

Les autres contrats aidés destinés à lutter contre l'exclusion sont également de plus en plus nombreux : 13 000 nouveaux contrats initiative emploi, ou CIE, ont été conclus.

On recense en outre 11 000 contrats d'accompagnement dans l'emploi.

Il faut tous nous mobiliser afin de faire baisser le chômage de façon durable. C'est ce qui justifie, à mes yeux, les mesures qui vous sont proposées. J'en donnerai deux exemples : la possibilité d'adapter la durée du contrat d'avenir et, pour les apprentis et les mineurs, celle de travailler selon les horaires en vigueur dans les métiers auxquels ils se préparent. Soyons clairs : il ne s'agit que de métiers déterminés. Les boulangers, les pâtissiers et les personnels des courses sont conduits à travailler la nuit. Ne vaut-il donc pas mieux, alors que ces jeunes gens apprennent ces métiers, qu'ils travaillent aux rythmes auxquels ces professions sont soumises ? C'est le sens de ce qui est proposé dans ce projet de loi. Voilà la réalité du terrain ! Apprendre un métier, c'est aussi découvrir cette réalité. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

M. Roland Muzeau. Quelle réalité ? Celle des pays où l'on bosse à l'âge de six ans ? Où va-t-on mettre la barre ? Il ne faut pas exagérer !

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Cela fait maintenant trente ans que notre code du travail ne tient pas compte de ces réalités, trente ans que nous feignons de ne pas les voir, en indiquant par voie de circulaires - qui sont aujourd'hui sanctionnées par la jurisprudence -, que la loi ne s'applique pas !

Soyons concrets ! La disposition adoptée par l'Assemblée nationale la semaine dernière mettra enfin un terme à cette situation.

M. Roland Muzeau. Cet amendement est une honte !

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Il y a là un langage clair à destination de ceux qui se préparent à ces métiers.

Comme vous pouvez le constater, ce texte a pour objet, d'une part, de rendre tout leur intérêt à ces métiers de services à la personne et, d'autre part, de tordre le cou à l'idée des « petits boulots » afin de les transformer en vrais métiers dans lesquels on peut évoluer, tout en permettant à bon nombre de nos concitoyens d'en profiter. C'est aussi cela, la cohésion sociale, et c'est également l'un des objectifs de ce texte ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif au développement des services à la personne et à diverses mesures en faveur de la cohésion sociale
Demande de renvoi à la commission

M. le président. Je suis saisi, par MM. Muzeau,  Fischer et  Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 120, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, pour le développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale (n° 411, 2004-2005).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Guy Fischer, auteur de la motion.

M. Guy Fischer. Madame, monsieur le ministre, voilà quelques jours, votre collègue M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances, et de l'industrie, s'est décidé à « dire la vérité aux Français ». Selon lui, « l'impôt sur le revenu ne sert pas à financer des écoles ou des hôpitaux : il ne sert pratiquement qu'à payer les intérêts de la dette ». Cette charge - 45,3 milliards d'euros en 2004 - pourrait, selon le ministère des finances, franchir la barre des 50 milliards d'euros en 2006. L'impôt sur le revenu rapporte à peine plus.

Cette situation pour le moins alarmante était prévisible ! Nous avions ici même tenté de résister à la politique fiscale injuste du Gouvernement visant à abaisser, pour les franges les plus riches de la population, l'impôt sur le revenu, qui figure pourtant parmi les impôts les plus égalitaires.

Or, face à ce constat désastreux, M. Breton ne voit que deux solutions pour sortir de cette spirale : soit diminuer les dépenses de l'Etat de manière drastique, soit faire de la croissance. Mais, ajoute-t-il, « pour avoir de la croissance, dans l'économie comme dans une famille, il faut travailler plus »

Et voilà à nouveau le slogan dogmatique et fallacieux de ce gouvernement : « travailler plus pour gagner plus » ! C'est sous ce mot d'ordre que le Gouvernement a fini d'achever les 35 heures, permettant désormais de faire travailler les salariés en heures supplémentaires non rémunérées ; c'est sous ce même motif qu'a vu le jour le revenu minimum d'activité, ou RMA, cette espèce de contrat permettant d'exploiter les travailleurs les plus précaires et qui est un échec ; c'est sous ce même motif que l'on facilite les licenciements, que l'on précarise encore plus le travail, que l'on dérégule le temps de travail, bref, que l'on démantèle le droit du travail et le droit social.

Le texte qui nous est soumis aujourd'hui, dans la continuité de la loi de programmation pour la cohésion sociale de l'hiver dernier, s'inscrit bien dans cette lignée ultralibérale de stigmatisation de la précarité et de dérégulation du droit du travail. Dans sa première partie, sous prétexte de mettre en place le chèque-emploi-service universel, le CESU, il multiplie les exonérations fiscales en tout genre, et, dans sa deuxième partie - c'est devenu une habitude dans vos lois, monsieur le ministre -, il accumule différents articles sans rapports avec ses objectifs, qui sont autant de « chevaux de Troie » du patronat dans ce texte de prétendue « cohésion sociale ».

Venant nous présenter votre projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, monsieur le ministre, vous rappeliez avec raison l'aggravation des inégalités sociales dans notre pays et l'accroissement de la pauvreté. Vous veniez donc soi-disant nous proposer une loi de cohésion sociale destinée à renverser la tendance...

Si nous partageons globalement le souci affiché de répondre à des besoins sociaux évidents, il est incontestable que nous divergeons sur les moyens à mettre en oeuvre pour y répondre : ceux que vous proposez se situent en effet dans la ligne suivie depuis plusieurs années, celle de la précarisation et de la déréglementation du travail.

Force est de constater que, si vous aviez construit ce plan en réelle concertation avec les partenaires sociaux et avec les associations de terrain, les objectifs en termes d'emplois auraient probablement été très différents.

Présentée dans la presse comme l'un des plus grands chantiers engagés par le Gouvernement pour combattre le chômage, votre initiative prévoit la création de 500 000 emplois au cours des trois années à venir. Du jamais vu ! C'est un bel effet d'affichage, mais, à l'instar de votre collègue ministre de l'économie, des finances, et de l'industrie, il est temps de dire la vérité à nos concitoyens ! Je vais vous y aider.

Il serait tout d'abord intéressant de savoir comment vous avez pu élaborer de telles prévisions. Le raisonnement arithmétique qui consiste à appliquer le taux d'emploi d'un secteur américain à son homologue en France ignore le nombre de variables et de facteurs déterminants pour le système d'emplois. Les chiffres que vous avancez sont contestés par divers acteurs de terrain. Ainsi, selon le PDG du groupe coopératif « Chèque déjeuner », il ne s'agirait peut-être que de 300 000 emplois seulement.

M. Jean-Louis Borloo, ministre. C'est déjà pas mal !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Oui !

M. Guy Fischer. Il en manque quand même 200 000 ! (Sourires.)

Quant aux acteurs syndicaux, ils évoquent la nécessité de faire passer à temps plein des salariées trop souvent employées à temps partiel. Par ailleurs, pour créer ces emplois, vous préconisez la baisse du coût du travail non qualifié pour créer des emplois dans les services. Les gouvernements américains successifs ont certes appliqué cette recette depuis trente ans, mais cela a conduit à un autre record du monde développé : celui du taux de « salariés pauvres ». Or ce taux bat des records précisément dans les services dont on nous propose l'expansion prioritaire.

Il serait donc intéressant de savoir combien d'emplois « équivalents temps plein » vous escomptez avec cette initiative. Les analyses montrent qu'en Europe le type d'emploi que vous entendez développer représente environ huit heures de travail, en moyenne, par semaine. Cela nous donnerait, sur les 500 000 emplois dont vous parlez, environ 100 000 emplois équivalents temps plein. Et cela sur trois ans...

Rien ne sert d'annoncer des chiffres exorbitants. La lutte contre le chômage ne se fait pas par effets d'annonces. Vos objectifs s'en tiennent globalement à la dimension purement quantitative du problème. Or le problème est aussi - et peut-être même surtout - qualitatif.

Une étude de la DARES, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, réalisée en 2003 sur les emplois familiaux montre que le salaire horaire brut moyen n'est que très légèrement supérieur au SMIC, pour des activités exigeant pourtant des compétences réelles et variées, notamment de la disponibilité et de l'attention. Pis, jusqu'à l'accord de branche signé en mars 2002, les taux de rémunération horaires étaient sensiblement inférieurs au SMIC. D'ailleurs, les dispositions de cet accord ne sont encore, à notre sens, que trop faiblement appliquées.

Ensuite, à la faiblesse des taux horaires s'ajoute l'ampleur prise par le travail à temps partiel dans ce secteur, ce qui exerce une forte pression à la baisse sur les salaires. En effet, l'important développement du travail à temps partiel des femmes au cours des vingt dernières années s'est concentré notamment sur ce secteur d'activité, en particulier parmi les assistantes maternelles et les aides familiales. Or, qui dit temps partiel dit aussi assurance chômage partielle, retraite partielle, etc.

En conséquence, on observe dans ce secteur d'activité des salaires très faibles, comme pour les assistantes maternelles, dont le salaire net moyen est de l'ordre de 542 euros par mois.

Si vous continuiez à passer sous silence ces questions fondamentales d'emploi et de formation dans le secteur des services à la personne, très largement féminisé, vous ne manqueriez pas d'entériner, voire d'aggraver, les inégalités entre les femmes et les hommes sur le marché de l'emploi. Cela marquerait un pas supplémentaire vers la précarisation d'une partie de la main-d'oeuvre féminine, pourtant déjà largement victime d'un marché du travail où se développe l'emploi au rabais.

Ce n'est pourtant pas faute de répéter dans cet hémicycle que 80 % des emplois à temps partiel en France sont occupés par des femmes, que ces temps partiels sont, contrairement à une idée bien répandue, largement contraints et très peu souvent choisis, que le manque de formation et de reconnaissance de ces emplois du secteur des services à la personne nuit à la progression salariale et professionnelle des employées de ce secteur.

Alors même qu'une loi sur l'égalité professionnelle va être débattue ici dans les prochains jours - Mme la ministre y a d'ailleurs fait allusion -, on voit quel cas vous faites de ce problème de société. Où sera l'égalité salariale pour les salariées payées au SMIC horaire pour une vingtaine d'heures par semaine ? Où sont passés les engagements personnels du Président de la République en faveur de l'égalité professionnelle, proclamés en février dernier ?

Votre texte, par son manque d'ambition et ses silences inacceptables risque donc de renforcer la division sexuée du travail et la précarisation d'un nombre croissant de femmes dans notre société, au mépris de belles promesses que l'on peut soupçonner empreintes d'un peu d'électoralisme.

Le tableau sombre n'est pas terminé. Ainsi, les droits sociaux de la majorité des salariés du secteur sont inférieurs au droit commun. En effet, la règle la plus généralement utilisée consiste à calculer les cotisations applicables à la rémunération de ces salariés sur la base du salaire minimum, même si la rémunération effective des salariés est supérieure au SMIC !

Quelles que soient les caractéristiques, bonnes ou mauvaises, de la conjoncture économique, vous prétendez trouver des solutions techniques pour aider au « retour à l'activité » des exclus : contrat d'avenir, contrat d'accompagnement dans l'emploi, RMA, contrat initiative-emploi, etc. En réalité, ces contrats, annoncés comme novateurs, ne sont au final que des copies de contrats aidés actuellement existants, mais ils permettront de nouvelles subventions au patronat : par exemple, les contrats d'avenir sont un transfert au patronat des allocations du revenu minimum d'insertion et de l'allocation de solidarité spécifique.

Avec de telles dispositions, vous multipliez les statuts précaires pour des populations en grande difficulté. Pensez-vous, madame, monsieur le ministre, qu'une personne travaillant 26 heures par semaine payées au SMIC horaire puisse avoir suffisamment d'argent pour vivre, payer son loyer ou assurer l'éducation de ses enfants ? Pensez-vous que le contrat d'insertion-RMA, qui, avec ce projet de loi, va pouvoir revêtir la forme de travail temporaire, pourra avoir un quelconque effet de réinsertion professionnelle ? Avec de tels contrats prétendument sociaux, vous créez, parmi les 7 millions de chômeurs, allocataires des minima sociaux et salariés précaires de ce pays - mais c'est certainement votre but -, une véritable réserve de main d'oeuvre, maintenue dans une situation de pauvreté extrême et corvéable à merci. Il s'agit de faire baisser les statistiques du chômage, et donc d'exercer une pression de plus en plus forte sur les allocataires des minima sociaux, notamment.

Ce projet de loi s'inscrit dans la droite ligne du « plan de lutte contre le chômage » du Premier ministre, qui préconise comme solution une très forte pression sur les demandeurs d'emploi, considérés comme coupables de leur chômage. Ces sanctions contre les chômeurs qui ne manifesteraient pas des « actes positifs » de recherche d'emploi sont proprement inadmissibles et injustes. Elles servent uniquement à les inciter à reprendre n'importe quel emploi, même au rabais par rapport à leur qualification ou à leur salaire antérieur, sous peine de perdre leurs allocations ou de les voir diminuer.

C'est donc la logique du workfare qui tend à s'imposer, ou la contrepartie exigée en échange de toute allocation, comme on l'a vu avec la création du revenu minimum d'activité, visant à se substituer au RMI.

Aujourd'hui, alors que plus des trois quarts des embauches se font en CDD, que l'intérim s'étend, que le temps partiel imposé reste important, la norme salariale des trente Glorieuses est durablement, sinon définitivement, remise en cause : en recréant des contrats de courte durée tels que le fameux contrat d'avenir contenu dans ce projet de loi et en banalisant la précarité au lieu d'essayer de l'endiguer, vous entérinez la renonciation aux objectifs de plein emploi et d'« emploi convenable ». Il ne s'agit plus que chacun ait un emploi et un revenu décent avec une relative sécurité, mais il faut faire « tourner » les actifs dans de multiples dispositifs entre emploi et insertion et dans des sous-statuts d'emploi.

En somme, au lieu d'essayer de « moraliser » le marché du travail en limitant le recours abusif aux CDD et à l'intérim, ce projet de loi de cohésion sociale entérine son fonctionnement erratique, qui reporte la totalité des risques de la flexibilité sur les salariés sans leur assurer la moindre sécurité.

Le développement du travail de nuit et du travail le dimanche et les jours fériés pour les apprentis sont de bons exemples de cette régression sociale et historique ! En France, les premières manifestations du mouvement ouvrier ont cherché à interdire le travail de nuit des enfants et à limiter l'amplitude de leur journée de travail. L'Union européenne, en 1998, a déjà imposé en France le rétablissement du travail de nuit des femmes dans l'industrie alors qu'il était interdit depuis 1892 ! En 2005, en application du communiqué européen du 14 décembre 2004, on veut rétablir en France, sous couvert d'apprentissage, le travail de nuit pour les mineurs !

Face à ces constats d'insuffisance ou de silences inadmissibles de votre texte sur l'encadrement social de ce secteur d'emploi, et plus généralement sur le retour à l'emploi, une question se pose : votre principale préoccupation est-elle de créer des emplois susceptibles d'assurer une pleine citoyenneté sociale à nos concitoyens, ou de faire baisser, coûte que coûte, les chiffres du chômage pour pouvoir vous targuer d'efficacité au prochain rendez-vous avec le corps électoral ?

M. Roland Muzeau. Il y a du boulot !

M. Guy Fischer. Après le verdict du 29 mai dernier, M. Chirac, Président de la République, a déclaré sur les ondes vouloir « créer des emplois à tout prix ». Mais faut-il sacrifier les conditions de travail et d'emploi de milliers de salariés sur l'autel des statistiques du chômage ?

A quoi sert-il de diminuer le chômage si c'est pour créer du salariat pauvre, précaire, sans avenir ? Lorsqu'on sait qu'un secteur d'activité va se développer, le rôle de la puissance publique n'est-il pas justement d'améliorer les conditions d'emploi et de travail, afin d'attirer vers ce secteur des candidats aux postes qui vont être créés ?

Il est vrai que les objectifs définis par les chefs d'Etat et de gouvernement européens à Lisbonne, en mars 2000, fixaient des objectifs essentiellement quantitatifs pour l'emploi dans les Etats membres de l'Union européenne.

Toutefois, les résultats du référendum ne sont-ils pas venus sanctionner de telles orientations ? Face au désaveu subi, les citoyens ne sont-ils pas en droit d'attendre une réorientation des politiques suivies ?

La déclaration de politique générale du gouvernement de Dominique de Villepin, concernant, notamment, le futur projet de loi d'habilitation à légiférer par ordonnances en matière d'emploi, laisse penser le contraire. Pourtant, alors que chacun s'accorde à dire que les résultats du référendum ont été l'expression d'un désaveu de la politique de casse sociale, le Gouvernement « se débarrasse » du Parlement pour pouvoir continuer sa fuite en avant libérale.

Nous pouvons être certains qu'il ira droit dans le mur, mais à quel prix pour les salariés et les sans-emploi de ce pays ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Monsieur Fischer, il n'est pas question, à ce stade du débat, de procéder à une nouvelle discussion générale, celle-ci ayant déjà permis à chacun de s'exprimer.

Je rappellerai simplement que si, au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, j'ai tenu à dire qu'il convenait d'apporter son soutien aux mesures prévues dans ce projet de loi et d'en garantir le succès sur le terrain, c'est parce que ce texte est très attendu.

En effet, n'oublions surtout pas la finalité de ce projet de loi dont le premier objectif est d'améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens et d'apporter des réponses à leurs besoins que l'on dit non seulement croissants mais aussi changeants.

Pour ma part, je reprendrai les propos tenus, avec sa pertinence habituelle, par notre collègue Georges Mouly. Cela fait des années, effectivement, que l'on prétend que les services sont des gisements d'emplois. En fait, notre pays se contente de constats.

Or, grâce à ce projet de loi, nous sommes enfin en présence de mesures concrètes susceptibles, selon moi, de répondre à l'attente de nos concitoyens et dont nous allons pouvoir discuter dans les heures qui viennent.

Lors des auditions en commission, j'ai été frappé par les déclarations de tous les partenaires, intervenants et représentants des syndicats : ils ont considéré avoir été entendus, puisque ce projet de loi vise à mettre en oeuvre des mesures concrètes allant dans le bon sens, s'agissant des conditions de travail des salariés, alors que ces dernières posent problème depuis des années. De ce point de vue, le projet de loi qui nous est soumis affiche enfin une ambition réaliste.

Par ailleurs - les enseignes nationales représentées l'ont toutes souligné -, nous entrons, de fait, dans des processus de certification avec des normes référentielles connues telles que Afnor, Association française de normalisation, Qualicert, etc.

Je tiens donc à répéter ici ce que j'ai déjà dit, au nom de la commission des affaires sociales : nous devons apporter notre soutien total à un texte qui, au-delà de sa première vocation, au demeurant fort noble, devra se traduire demain par la création de milliers d'emplois - n'ergotons pas sur les chiffres, ceux qui nous écoutent ne comprendraient pas. Il s'agit donc bien là d'une réponse positive à la situation actuelle dans laquelle se trouve notre pays.

Par conséquent, sans ouvrir à nouveau l'ensemble du débat et sans anticiper sur les discussions qui s'annoncent, vous comprendrez, mes chers collègues, que, au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, je sois amené à émettre un avis défavorable sur cette motion qui constitue tout de même, il faut le dire, un certain « raccourci » par rapport à la noblesse de ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Vous venez, monsieur Fischer, de dénoncer la précarité. Or le premier rempart contre celle-ci n'est-il pas précisément l'emploi ? Quant au constat sur cette précarité, que vous dénoncez, voilà des années que tout le monde en parle, ainsi que vient de le dire M. le rapporteur.

Dès lors, le sens de ce texte est précisément d'apporter, à travers des mesures à la fois simples et concrètes, de vraies réponses permettant non seulement de mieux organiser un secteur mais également de développer ce dernier par de nouvelles approches - je pense, notamment, au chèque-emploi-service universel.

La volonté du Gouvernement est ainsi d'aller plus loin en offrant effectivement à tous la possibilité d'accéder, demain, à de vrais emplois, dont le nombre devrait d'ailleurs augmenter ; je suis, comme vous-même, monsieur le sénateur, très préoccupée par le temps partiel subi.

Or il est clair que non seulement par le biais des mandataires et des prestataires de services, mais également grâce à l'emploi direct sur lequel la fédération est prête à s'engager, nous pourrons avancer sur la voie de la professionnalisation, ce qui devrait répondre à l'attente de toutes celles et de tous ceux qui se posent des questions aujourd'hui. Nous ne pouvons pas attendre, car nous ne pouvons laisser passer cette occasion.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement est bien évidemment opposé à cette motion tendant à opposer la question préalable.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 120, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)

Demande de renvoi à la commission

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi relatif au développement des services à la personne et à diverses mesures en faveur de la cohésion sociale
Demande de réserve

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Schillinger,  San Vicente,  Printz et  Alquier, MM. Godefroy,  Desessard,  Repentin et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 61, tendant au renvoi à la commission.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 5 du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires sociales le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale (n° 411, 2004-2005).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n'est admise.

La parole est à Mme Patricia Schillinger, auteur de la motion.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd'hui - nous ne pouvons que le constater -, le nouveau gouvernement, compte tenu de la situation pour le moins inconfortable dans laquelle il se trouve, cherche à expédier tous les dossiers législatifs en cours : ainsi l'urgence est-elle déclarée sur divers projets de loi !

Ce calendrier précipité explique bien l'objectif du Gouvernement : son souci premier est d'esquiver le débat. Quels que soient les motifs qu'il invoque pour justifier cette hâte, l'avenir des services à la personne et la cohésion sociale auraient mérité que l'on s'y attarde un peu plus, afin d'approfondir le dialogue et la concertation.

En effet, il y a urgence, car la situation sociale en France est plus que désastreuse. Cependant, l'on ne saurait bâcler un texte d'une telle importance, et ce d'autant plus que ce dernier comporte toute une variété de thèmes et représente, en quelque sorte, un fourre-tout.

C'est ainsi que l'on passe de l'accueil du jeune enfant et de l'assistance aux personnes âgées aux tâches ménagères, aux travaux de jardinage, au contrat d'avenir, au logement. Bref, il faut du temps pour analyser toutes les mesures proposées et il est donc nécessaire d'entamer un débat avec tous les partenaires sociaux.

Après les différentes réformes menées ces trois dernières années, le Gouvernement découvre enfin la dégradation de la situation sociale. Pourtant, voilà longtemps que les élus socialistes et les partenaires sociaux ne manquent pas d'alerter le Gouvernement sur la gravité de la situation sociale du pays.

Depuis avril 2002, notre pays compte 300 000 chômeurs et 300 00 RMIstes de plus et, plus grave, le nombre de jeunes exclus du marché du travail a progressé de plus de 10 % pendant la même période.

Temps partiel imposé, droits sociaux au rabais, bas niveau de rémunération, formation presque inexistante, aucune perspective d'avenir : tel est le bien triste constat que nous pouvons dresser aujourd'hui et qui s'aggravera encore si ce texte est adopté.

En effet, le Gouvernement continue la politique qu'il mène depuis plusieurs années, à savoir celle de la précarisation et de la déréglementation du travail.

A travers ce projet de loi, il souhaite - telle est tout au moins l'ambition qu'il affiche - répondre à un double objectif : d'une part, lutter contre le chômage - grâce à la création de 500 000 postes en trois ans - et, d'autre part, accompagner les personnes à tous les âges de la vie - c'est le volet social du texte.

Or, en prétendant contribuer à la résorption du chômage, le Gouvernement aboutira en fait au développement de l'emploi précaire et du temps partiel dans le domaine des services.

Loin de moi l'idée de contester ici l'importance des services à la personne tant les besoins sont réels ; mais l'urgence de la situation ne justifie pas pour autant que l'on démantèle le code du travail.

S'agissant des 500 000 emplois qui seraient créés, certains spécialistes, compte tenu du fait que les activités de service représentent une durée de travail hebdomadaire moyenne de huit heures, avancent plutôt le chiffre de 100 000 équivalents temps plein.

On nous dit qu'il vaut mieux un emploi précaire que pas d'emploi du tout. Mais n'oublions pas qu'un tel système peut conduire à une dégradation générale des emplois et à une augmentation du nombre de travailleurs pauvres. Est-ce cet avenir que nous souhaitons pour nos enfants ?

De ce point de vue, ce texte me paraît mériter d'être traité en profondeur et de faire l'objet d'un réel débat. Cela est évident, il est urgent d'agir en matière d'emploi ; mais à quel prix et dans quelles conditions ?

Le nombre d'emplois concernés seront-ils des emplois à temps plein ?

Le temps partiel, souvent subi, est très important dans un secteur occupé à 96 % par des femmes ; quant aux conditions de rémunération, elles sont fréquemment désastreuses.

Plus de la moitié des femmes employées dans ce secteur travaillent à temps partiel, mais la proportion s'élève à 80 % pour les femmes de ménage, parmi lesquelles se concentre la plus forte proportion de travailleurs pauvres. Sur ce point-là non plus, le texte dont nous discutons n'apporte aucune réponse.

Sans formation professionnelle, sans perspective sérieuse de carrière, sans possibilité de faire intervenir l'inspection du travail au domicile des particuliers employeurs, avec des taux d'emploi à temps partiel allant de 60 % à 80 % - et que l'on souhaite encore augmenter -, le dispositif proposé reste muet, une fois de plus, sur la lutte contre la précarité et sur la qualité des services, qui constituent pourtant l'enjeu majeur. En effet, les emplois dans ce secteur ne doivent pas être considérés comme de « petits boulots » : ce sont de vrais métiers !

Le plan Borloo prévoit en réalité des projets plus libéraux que sociaux. Il vise à refondre l'ensemble des dispositifs d'insertion professionnelle, à supprimer les stages pour les chômeurs de longue durée, à supprimer les CES, les contrats emploi-solidarité, et les CEC, les contrats emplois consolidés, et à créer de nouveaux contrats d'accompagnement dans l'emploi et des contrats d'avenir qui ressemblent plus à des contrats d'activité qu'à de vrais contrats de travail.

En effet, ces contrats d'avenir sous-payés qui seront proposés à un public pauvre, et qui restera pauvre, n'offriront en fait aucun avenir, puisqu'ils renforceront la précarité.

Aussi, nous nous demandons, madame la ministre, si c'est bien de cohésion sociale que vous parlez. Sans doute notre définition de cette dernière n'est-elle pas la même que celle du Gouvernement. Si la conception que celui-ci a de l'avenir est telle que je l'ai décrite, elle est, je dois le dire, déplorable et il est clair que les Français n'en veulent pas !

Il est une autre interrogation, je veux parler de l'égalité d'accès aux services. Tout le monde pourra-t-il s'offrir ces derniers ? Jean-Louis Borloo a assuré que cet accès profitera à tous. Or, s'agissant des services à domicile, leur accès est aujourd'hui déjà très inégalitaire. Rappelons, à cet égard, que moins de 1 % des couples gagnant moins de 1 500 euros par mois emploient une personne à domicile, contre plus de 40 % pour les couples percevant plus de 5 200 euros.

En fait, pas plus de deux millions de familles ont recours à ce type de service. Aussi aimerions-nous savoir quelle solution est prévue pour les 32 autres millions de foyers fiscaux français. Personnellement, je ne suis pas sûre, madame la ministre, que ces services profiteront à tout le monde.

Le Gouvernement, à travers un tel dispositif, confirme que sa conception de la politique de l'emploi se limite à des baisses d'impôts et de cotisations sociales. Or la solvabilisation de la demande par la réduction d'impôts me paraît parfaitement injuste. En effet, sous prétexte d'employer du personnel de maison, les catégories les plus aisées vont bénéficier de cadeaux fiscaux ! A l'évidence, ce projet de loi est de nature à renforcer les inégalités sociales, puisque les exonérations fiscales ne concerneront que la moitié des ménages.

Le Gouvernement n'entend toujours pas l'ensemble des Français et ne semble pas comprendre, semble-t-il, la réalité dans laquelle ils vivent.

J'en viens au chèque-emploi-service universel, qui pourra être financé par une entreprise ou une collectivité locale. Ce dispositif ferait disparaître la fiche de paye, alors que celle-ci comportait des éléments essentiels, tels que la rémunération horaire ou la rémunération des heures supplémentaires. Dès lors, certaines dérives sont à redouter, puisque l'utilisation du titre emploi-service sera ouverte à tous les services à la personne, y compris au gré à gré, ce qui entraînera de nombreuses difficultés.

Ainsi, tout Français est considéré comme un employeur potentiel sans que le Gouvernement se soucie des conditions de travail des employés.

Si l'on tient compte du fait que 80 % des emplois familiaux relèvent du gré à gré, l'on constate que les salariés sont de fait peu protégés par les conventions collectives, que leurs salaires sont plus faibles que ceux qui sont versés par les entreprises prestataires de services, et que leur temps de transport n'est pas rémunéré. Est-ce cela, la cohésion sociale ?

Il faut une sécurisation réelle des professions de ces salariés, une professionnalisation des services, avec une formation obligatoire.

Dans ce plan, il n'y a pas eu un modèle de concertation avec les partenaires sociaux, et l'on sait que les syndicats ou les associations ont été nombreux à manifester leur mécontentement.

Tout doit être négocié ; l'objectif principal doit être une très significative augmentation des revenus de l'immense majorité des salariés.

De plus, le Gouvernement a mis en place, dans le cadre de la loi portant décentralisation, un dispositif très important qui fait des conseils généraux les organisateurs de missions publiques à destination des publics fragiles. L'agrément départemental, qui était attribué aux associations, sera désormais national. Ce texte court-circuite les schémas départementaux qui devaient organiser les secteurs privé et public des services d'aide à la personne. Permettez-moi de vous dire, madame la ministre, qu'il y a un véritable manque de cohérence dans ce projet.

La qualité du service rendu est essentielle. Un agrément national, sans référence aucune à l'échelle et à la problématique départementales, me semble dangereux.

Par ailleurs, ce projet de loi prévoit la création d'une agence nationale des services à la personne, dont les objectifs et le rôle sont loin d'être suffisamment définis, notamment en ce qui concerne les relations avec les conseils généraux, devenus les principaux acteurs du secteur.

En outre, il n'est à aucun moment prévu de reconnaître les qualifications des personnes embauchées, d'assurer leur formation et de leur garantir un nombre d'heures suffisant pour qu'elles ne deviennent pas des travailleurs pauvres. Une meilleure définition des missions de l'agence est donc nécessaire.

Un autre problème se pose : l'agence aura-t-elle les moyens de contrôler ce secteur ? Qui va contrôler les emplois de gré à gré, puisque l'inspection du travail n'a pas le droit de pénétrer au domicile des particuliers ? Là encore, nous sommes dans le flou.

Par ailleurs, les personnels de cette agence ne seront pas agents titulaires de la fonction publique, mais pourront relever d'un CDD ou être recrutés pour une mission déterminée. Ne s'agit-il pas là d'une forme de précarité ? Est-ce, une fois de plus, votre définition de la cohésion sociale ?

Plus grave, le projet de loi ne garantit à aucun moment la nature des emplois créés. Il peut aussi bien s'agir d'heures de ménage et de jardinage que d'aide à la mobilité ou d'aide aux personnes légèrement handicapées. Faut-il traiter dans un même dispositif l'assistance aux personnes âgées, le ménage et le jardinage ? On ne peut quand même pas mettre ensemble tous les métiers !

Pour sortir de la difficulté, il paraît essentiel de créer de vrais services à la personne et de les différencier des simples services à domicile. Soigner une personne dépendante et tondre son jardin, ce n'est pas la même chose ! On se rend donc très vite compte que ce dispositif est insuffisant et inadapté.

J'attire votre attention, madame la ministre, sur la nature et la qualité des services que vous souhaitez développer.

L'aide aux personnes âgées ou handicapées et les activités liées à la petite enfance sont des services essentiels qui nécessitent de réelles compétences, un vrai savoir-faire.

La formation dans ce secteur est capitale. La mise en place de formations est donc primordiale et doit donner des perspectives aux salariés. Or je ne vois malheureusement pas, dans ce texte, un accent mis sur la formation.

Si vous persistez à négliger la formation dans ce secteur très féminisé, vous risquez d'aggraver - et j'insiste sur ce point - les inégalités entre hommes et femmes sur le marché de l'emploi et de précariser encore davantage une partie de la main-d'oeuvre féminine qui occupe la plupart des emplois à temps partiel généralement contre son gré.

Je vous rappelle qu'il existe un projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes :...

M. Roland Muzeau. Mais il n'y a rien dedans !

Mme Patricia Schillinger. ...là encore, les textes que vous présentez ne sont pas cohérents.

Quant au volet « logement », il est certes urgent de relancer massivement la construction locative : plus de trois millions de nos concitoyens souffrent du « mal-logement » et plus encore de la hausse vertigineuse des prix de l'immobilier.

Néanmoins, les différentes mesures proposées n'apportent pas de réponse à la crise du logement qui frappe en premier lieu les personnes à revenu faible, mais aussi moyen. Aucune disposition sérieuse n'est proposée pour réduire la charge que représente le logement pour ces ménages. Les loyers flambent et le pouvoir d'achat des ménages baisse.

Comment ne pas s'étonner, enfin, de l'absence de toute revalorisation des aides à la personne ?

Je dirai, pour conclure, que la grande faiblesse du plan Borloo tient à l'absence de politique de l'emploi. Ce projet de loi ne servira qu'à aggraver l'exclusion.

La crainte majeure des travailleurs, dans le secteur des services à la personne, c'est de se trouver en situation précaire, sans véritable sécurité de l'emploi ni perspectives professionnelles. Avec ce projet de loi, cette crainte est plus que fondée. Est-ce vraiment la meilleure réponse à apporter au malaise social ?

Pour un pays développé, la question est de savoir non pas comment s'enrichir davantage encore, mais comment répartir la richesse pour que chacun en reçoive sa part. L'accès au travail doit être un objectif primordial, et cette ambition devrait fonder un vrai plan de cohésion sociale. Le Gouvernement s'obstine au contraire à poursuivre dans la voie de la régression sociale.

Le plan gouvernemental est dangereux. Il installe la logique des emplois précaires. Il est indécent, pour une grande partie des Français. Peu importe, vous décidez de poursuivre dans la voie que vous empruntez depuis trois ans : désengagement de l'Etat, libéralisme accru, déréglementation du droit du travail et régression sociale.

Si c'est un éclatement social que vous souhaitez, bravo : on fonce tout droit dans le mur !

Compte tenu de ces différentes raisons, il nous paraît essentiel qu'un texte d'une telle importance retourne devant la commission, afin que nous puissions l'examiner dans le cadre d'un vrai dialogue, avec tous les acteurs concernés. Il est important que la commission puisse consulter les partenaires sociaux. C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, le groupe socialiste vous demande d'adopter cette motion de renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Madame Schillinger, vous venez de prononcer un violent réquisitoire contre le titre Ier de ce projet de loi, alors que votre motion visait plus spécifiquement le titre II. Ayant déjà indiqué tout à l'heure tout le bien que la commission pense du titre relatif au développement des services à la personne, je m'en tiendrai, dans ce propos, à donner mon avis sur la motion n° 61.

Lorsque nous avons discuté du titre II, l'apprentissage, le logement, le RMA ont constitué pour nous des sujets essentiels. Il a été clairement indiqué que ce titre, dont M. le ministre, en commission, a affirmé qu'il correspondait à une certaine intelligence du terrain, visait, après cinq mois, à apporter des corrections au dispositif adopté au début de 2005.

Je dirai quant à moi qu'il n'est pas question d'élaborer, au travers des différents articles du titre II, une véritable politique de l'apprentissage et du logement.

Néanmoins, afin que les mesures concrètes et pragmatiques concernant la fixation des loyers, le logement étudiant ou les dispositions en direction des entreprises d'insertion puissent être mises en oeuvre le plus vite possible, c'est-à-dire à la fin de cette année ou au début de l'année prochaine, et sachant les délais qui s'imposent toujours à nous, la commission invite le Sénat à adopter ces articles et émet donc un avis défavorable sur la motion tendant au renvoi à la commission.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Ce texte a fait l'objet d'une importante concertation. J'évoquerai simplement à cet égard l'accord national de service à la personne, signé au début de novembre 2004. Il y a donc eu des mois de discussion sur ce sujet.

Madame le sénateur, vous considérez les contrats aidés comme un facteur de précarité. Je vous rappellerai tout de même que l'ensemble des contrats aidés du plan de cohésion offrent les mêmes droits que les contrats de travail de droit commun.

Pour la première fois, les contrats aidés du secteur non marchand ouvrent des droits à la formation professionnelle continue. C'est assez dire que l'on avance incontestablement sur ce terrain.

Vous avez fait allusion aux services à la personne, disant qu'une fois encore on aiderait les ménages aux revenus supérieurs à 5 000 euros en laissant de côté les 32 millions de salariés qui, ne disposant pas de ces revenus, ne seraient pas intéressés par ce type de services.

Or, madame le sénateur, l'objet du chèque-emploi-service universel, et donc de ce texte, est précisément de permettre à nos concitoyens n'ayant pas aujourd'hui accès à ces services de pouvoir y recourir, par le biais, notamment, de la partie du chèque en partie préfinancée. Il y a donc bien là un élément tout à fait nouveau, une source de cohésion.

Madame le sénateur, vous avez fait un long développement sur la qualité des services, sur les procédures d'agrément, ainsi que sur le respect de la loi de 2002. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles : je réaffirme que, pour les personnes les plus fragiles, la loi de 2002 n'est absolument pas mise en cause. Elle n'est aucunement abrogée et continuera donc à s'appliquer.

Les éléments tendant au renvoi à la commission n'étant pas réunis, le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur la motion.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 61, tendant au renvoi à la commission.

(La motion n'est pas adoptée.)

M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.

TITRE IER

DÉVELOPPEMENT DES SERVICES À LA PERSONNE

Demande de réserve

Demande de renvoi à la commission
Dossier législatif : projet de loi relatif au développement des services à la personne et à diverses mesures en faveur de la cohésion sociale
Art. 1er (début)

M. le président. La parole est à Mme la vice-présidente de la commission.

Mme Valérie Létard, vice-présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, la commission des affaires sociales demande la réserve des amendements nos 23, 121 et 164, tendant à insérer des articles additionnels avant l'article 1er, jusqu'après l'examen de cet article.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable.

M. le président. La réserve est ordonnée.