PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Exception d'irrecevabilité (début)
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Discussion générale

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Dépôt de rapports

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Roger Beauvois, président du conseil d'administration du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, en application de l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001, le rapport annuel d'activité de cet organisme.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des affaires sociales et sera disponible au bureau de la distribution.

M. le président du Sénat a reçu de M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, le rapport annuel pour 2006 de la Commission bancaire.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des finances et sera disponible au bureau de la distribution.

M. le président du Sénat a reçu de M. Paul Champsaur, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, en application de l'article L. 135 du code des postes et des communications électroniques, le rapport d'activité pour 2006 de cet organisme.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des affaires culturelles ainsi qu'à la commission des affaires économiques et sera disponible au bureau de la distribution.

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Communication d'avis d'une assemblée territoriale

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de l'Assemblée de la Polynésie française par lettre en date du 19 juin 2007, les rapports et avis de l'Assemblée de la Polynésie française sur :

- le projet de loi autorisant la ratification de l'acte portant révision de la convention sur la délivrance des brevets européens, signé à Munich le 29 novembre 2000 ;

- le projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, adoptée le 16 mai 2005 à Varsovie ;

- le projet de loi autorisant la ratification de la convention relative à l'adhésion des nouveaux États membres de l'Union européenne à la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouvert à la signature à Rome le 19 juin 1980, ainsi qu'aux premier et deuxième protocoles concernant son interprétation par la Cour de justice des Communautés européennes, signée à Luxembourg le 14 avril 2005.

Acte est donné de ces communications.

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Déclaration de l'urgence de projets de loi

M. le président. Par lettres en date du 5 juillet 2007, M. le Premier ministre a fait connaître à M. le président du Sénat que, en application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement déclare l'urgence :

- du projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs (n° 363, 2006-2007)

- et du projet de loi relatif aux libertés des universités (n° 367, 2006-2007).

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Exception d'irrecevabilité (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Question préalable

Récidive des majeurs et des mineurs

Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

Nous en sommes parvenus à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Rappel au règlement

M. le président. Je suis saisi, par MM. Mermaz et  Badinter, Mme M. André, MM. Collombat,  Dreyfus-Schmidt,  C. Gautier,  Mahéas,  Peyronnet,  Sueur et  Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 50, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

  En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des mineurs et des majeurs (n° 333 rectifié, 2006-2007) (urgence déclarée).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Louis Mermaz, auteur de la motion.

M. Louis Mermaz. Madame le garde des sceaux, je rappellerai brièvement la situation dont vous héritez, j'essaierai de démontrer les dangers, pour la société et pour l'institution judiciaire, du projet de loi que vous défendez et j'y opposerai un certain nombre de propositions, qui supposeraient évidemment que la motion tendant à opposer la question préalable fût votée.

Je commencerai donc par un premier constat : depuis cinq ans, la délinquance des mineurs mais aussi la délinquance dans son ensemble n'ont cessé d'augmenter, et ce sont les violences envers les personnes, c'est-à-dire les actes les plus graves, qui ont fait un bond spectaculaire.

C'est la conséquence éclatante de l'absence de politique d'ensemble visant à s'attaquer aux causes réelles et profondes de ce mal et à le soigner dans toute son ampleur.

Nous connaissons en France des zones où la vie des habitants est désormais insupportable, des zones qui sont devenues des secteurs de non-droit et où la présence permanente de la puissance publique s'est en grande partie évanouie. Les institutions locales, les acteurs sociaux, les enseignants se sentent de plus en plus abandonnés. Oui, il convient ici de rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui n'ont pas déserté ces territoires et s'obstinent à accomplir des missions de service public dans des conditions de plus en plus rudes !

Depuis 2002, ceux qui nous gouvernent ont, à mon sens, tout fait à l'envers : ils ont mis fin dans les villes et dans l'enseignement aux emplois-jeunes qui contribuaient efficacement à l'encadrement des enfants et des adolescents. Ils ont détruit la police de proximité par idéologie et, faute d'avoir compris son utilité, ont substitué à la surveillance, à la prévention, à la coercition, quand c'est nécessaire, des opérations coup-de-poing déclenchées sans discernement et causant de véritables ravages.

Les syndicats de police se sont d'ailleurs élevés à de nombreuses reprises contre une utilisation à contre-emploi des forces de sécurité, car les précédents gouvernements, par des contrôles au faciès à répétition et des actions intempestives, ont réussi depuis cinq ans à développer un sentiment d'exaspération dans la jeunesse et la population de nombreux quartiers. On a ainsi pratiqué des amalgames scandaleux à l'ombre desquels la délinquance n'a cessé de proliférer.

Plus la situation empirait, plus le pouvoir aurait voulu faire croire à l'opinion qu'il était indispensable. Il a demandé au Parlement depuis 2002 le vote de sept lois prétendument destinées à enrayer la montée de la délinquance. Pourquoi ce nouveau texte, alors que la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance attend toujours ses décrets d'application - mais faut-il vraiment se plaindre du ralentissement de la mise en oeuvre de cette panoplie inefficace et dangereuse ? -, alors que la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales - déjà ! - attend toujours son étude d'impact, s'il doit jamais y en avoir une ?

Depuis 2002, les gouvernements ont également fait procéder à quatre révisions de l'ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs. Ils ont à chaque fois durci la répression, considérant avec cynisme qu'une partie de l'opinion accorderait plus de prix à une volonté de répression qu'à la prévention ou aux actions d'insertion ou de réinsertion.

Aujourd'hui, les dégâts sont considérables. Mais à peine le nouveau gouvernement est-il en place qu'il tend à persévérer dans une voie sans issue !

En examinant le présent projet de loi, nous allons voir maintenant comment, loin de tenir compte des enseignements du passé et de l'aggravation de la situation, vous entendez poursuivre la politique qui a totalement échoué, vous défaussant sur l'institution judiciaire, parent pauvre de notre République, prenant le risque évident de voir, par vos carences et par des contresens à répétition, les choses aller de mal en pis.

Ainsi, la surpopulation carcérale atteint en France des seuils jamais égalés depuis 1945. Le nombre de détenus au 1er mai 2007 dépassait 61 000 personnes. Le taux moyen d'occupation dans les maisons d'arrêt est en moyenne de 150 % avec parfois des pointes à 200 %. L'état des prisons est d'ailleurs unanimement dénoncé. L'immense majorité des détenus sont des pauvres, des hommes et des femmes en situation de précarité et d'exclusion.

M. Pierre Tournier, chercheur au CNRS, considère dans une étude récente que l'une des principales conséquences de l'établissement de peines planchers aboutirait à 10 000 détenus supplémentaires. Au bout d'un an d'application de cette loi, la population carcérale dépasserait 70 000 prisonniers. Souhaitons qu'il n'en soit pas ainsi !

Aujourd'hui, pour bénéficier d'une mesure de semi-liberté, de placement à l'extérieur ou de placement sous surveillance électronique, le reliquat de peine qui reste à purger pour les détenus ne doit pas être supérieur à un an. Dès lors, la plupart des peines planchers prononcées ne pourront pas être aménagées rapidement. De plus, notons aussi que la libération conditionnelle, s'agissant des condamnations prononcées en récidive, ne pourra intervenir qu'aux deux tiers de la peine et non à mi-peine.

On va donc assister de par ce projet de loi à un accroissement de l'emprisonnement des mineurs. (Mme le ministre s'entretient avec un collaborateur.)

Monsieur le président, je souhaiterais faire un rappel au règlement.

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Question préalable

M. le président. Peut-être souhaitez-vous que l'on prête plus d'attention à vos propos...

M. Jacques Mahéas. Les socialistes, quant à eux, sont attentifs !

M. Louis Mermaz. J'aimerais que l'on ne distraie pas inutilement Mme le garde des sceaux, même si elle connaît bien le sujet ! Plutôt que d'avoir une discussion fantomatique au cours de laquelle Mme le garde des sceaux et ses collaborateurs n'écoutent pas et sont simplement là pour parler entre eux, mieux vaut ne pas nous réunir ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Luc Miraux. C'est petit...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est déjà ce qui s'est passé ce matin !

M. Louis Mermaz. On nous parle beaucoup des droits du Parlement, mais je constate que le Gouvernement ne les respecte pas toujours. Sous les gouvernements de MM. de Villepin et Raffarin, de tels faits ne se produisaient pas !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oh !

M. Louis Mermaz. Même si les ministres ne sont pas d'accord, ils doivent écouter !

M. le président. Je vous donne acte de votre déclaration.

M. Louis Mermaz. J'en reviens à mon intervention. On va donc assister de par ce projet de loi, disais-je, à un accroissement de l'emprisonnement des mineurs. Leur taux d'incarcération est d'ailleurs en constante augmentation. Or, on connaît les effets criminogènes de la prison, les taux de récidive étant toujours plus élevés après la prison qu'après une peine alternative à l'incarcération. Les sursis avec mise à l'épreuve ou l'accomplissement d'une peine en milieu ouvert constituent au contraire une prévention efficace de la récidive.

M. Jacques Mahéas. Très bien !

M. Louis Mermaz. Or, votre projet de loi privilégie les peines d'emprisonnement, les peines alternatives devenant l'exception.

Certains États des États-Unis, pays pourtant répressif en diable, qui jugent les mineurs comme des majeurs, constatent que le taux de récidive progresse en proportion de l'augmentation du taux d'incarcération.

Ne faudrait-il pas, aujourd'hui, faire un vrai diagnostic de la situation, établir une réelle concertation pour s'attaquer aux causes du mal plutôt que de recourir de plus en plus souvent à l'emprisonnement, puisque cette politique du tout-répressif a précisément échoué ?

Si la répression est souvent nécessaire dans certaines circonstances - nous sommes tous d'accord sur ce point -, il y a, en amont, l'impérieuse nécessité de la prévention et, en aval, l'exigence de l'insertion et de la réinsertion, aussi difficiles et coûteuses soient-elles.

Il faut comprendre pour traiter le mal. La délinquance doit être considérée dans son contexte. Il faut la traiter, non pour éliminer ou se venger, mais pour guérir.

M. Jacques Mahéas. Très bien !

M. Louis Mermaz. Avec le présent projet de loi, vous recherchez bien sûr un effet d'affichage. Mais des risques de dérive existent aussi.

Il y a un effet d'affichage, puisque l'ancien ministre de l'intérieur a cru devoir viser le prétendu laxisme des magistrats, notamment celui des juges pour enfants.

Mais les risques de dérive sont évidents. Personne ne conteste le droit pour la société de punir sévèrement des crimes et des délits graves. Si les crimes et les délits d'une exceptionnelle gravité doivent être sévèrement sanctionnés, il faut toutefois se garder des généralisations abusives, en jetant la suspicion sur la liberté d'appréciation des magistrats, voire en soumettant ces derniers au chantage d'une partie de l'opinion publique, aux pressions éventuelles de leur hiérarchie ou encore en leur imposant des conditions d'exercice encore plus difficiles dans l'accomplissement de leur mission, lorsqu'il s'agit pour eux de rédiger leurs jugements, avec le manque de moyens et de temps que l'on sait.

Oui, on retrouve ici la question lancinante du manque de moyens dont vous ne portez pas la responsabilité, madame le garde des sceaux, puisque vous arrivez au Gouvernement, mais dont vous devrez tenir compte tant que vous n'aurez pas réussi à redresser la situation, ce qui suppose que vous vous en donniez les moyens.

Considérons aujourd'hui le manque de personnel et parfois de matériel dans les greffes, la lenteur inacceptable, là aussi faute de moyens, dans la mise en oeuvre des mesures éducatives, qui sont pourtant décidées par le juge dès la première présentation, en attendant qu'intervienne le jugement au fond. Ce n'est pas la justice des mineurs qui n'est pas au rendez-vous : ce sont les gouvernements qui se sont succédé depuis 2002 !

M. Charles Gautier. Très bien !

M. Louis Mermaz. Le dispositif combiné des peines planchers avec l'abaissement de l'âge auquel intervient l'excuse de minorité risque à coup sûr d'enfermer le juge dans un carcan, de le transformer en distributeur automatique de peines. Il pourra toujours, direz-vous, motiver un jugement plus clément, en prenant en compte la personnalité, le parcours du jeune lors d'une première récidive, les conditions exceptionnelles de réinsertion lors d'une seconde. Mais, du reste, que signifie cette notion vague et insaisissable de « garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion » ? Encore une fois, aura-t-il le temps d'apporter à son jugement les motivations exigées, par exemple, lors des comparutions immédiates rendues plus fréquentes depuis la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance ?

Pour ce qui est des peines planchers, les gouvernements précédents et les deux gardes des sceaux qui vous ont précédée s'y sont toujours opposés.

Le 10 novembre 2006, le Premier ministre Dominique de Villepin affirmait, quant à lui, ceci : « Faut-il aller jusqu'aux peines planchers ? Je ne le crois pas. Pour qu'une peine soit efficace, il faut qu'elle soit personnalisée. »

Un parlementaire de l'UMP, M. Jean-Luc Warsmann, déclarait déjà devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, le 8 décembre 2004 : « les peines planchers sont une inspiration du droit anglo-saxon. Les instaurer reviendrait à bouleverser la philosophie du droit français, remettrait en cause l'individualisation des peines. Et ça, nous ne le souhaitons à aucun prix. »

Le code pénal en vigueur au 1er mars 1994 avait supprimé la notion même de « minimum de la peine », préférant, dans un esprit de protection des libertés, fixer plutôt un maximum.

Enfin, est-il juste d'abaisser l'âge de l'excuse de minorité quand tant de jeunes enfants ou adolescents, faute de discernement, sont soumis à la contrainte et à la manipulation par leurs aînés dans divers trafics ?

Tous les actes européens et internationaux auxquels la France a adhéré entraînent des règles qui revêtent une force juridique supérieure à notre droit interne et s'imposent donc au législateur. Il en résulte que l'enfermement des mineurs doit être l'exception, alors que vous allez accentuer par votre texte, madame le garde des sceaux, la tendance qui se dégage depuis 2002 à donner la préférence à l'emprisonnement sur toute autre mesure. À cet égard, l'ensemble des magistrats et des associations du monde judiciaire manifestent vigoureusement leur inquiétude.

Vous tendez à ignorer qu'un jeune, même âgé de seize ans à dix-huit ans, n'est pas un adulte. Il est en construction. Telle est la philosophie de l'ordonnance de 1945 prise après une longue période de barbarie. Cette ordonnance affirme à juste titre que la France a besoin de tous ses enfants. Dès lors, pourquoi abaisser en fait l'âge de la majorité pénale, même si cette mesure est hypocritement quelque peu masquée, alors que les jeunes accèdent de plus en plus tard à une véritable autonomie ?

Le comité des ministres du Conseil de l'Europe a adopté en 2003 une recommandation qui prévoit même des dispositions de procédure adaptées aux jeunes majeurs, afin de tenir compte de cette période de transition qui précède l'âge adulte.

Ainsi, avec cette loi, la France agirait à contre-courant d'une évolution humaniste et intelligente, même si, aujourd'hui, certains pays européens, nous emboîtant le pas, cèdent à la tentation du « tout-répressif ».

Pourtant, plutôt que d'empiler les textes répressifs, il conviendrait de donner au préalable à la justice et à la société les moyens nécessaires pour prévenir le mal, et pour réduire ce dernier quand il est déjà là.

Nous attendons impatiemment de connaître le budget de la justice pour 2008 et les moyens qui seront alloués à la police dans les quartiers, à la protection judiciaire de la jeunesse ainsi qu'aux éducateurs, aux services médicaux dans les prisons, à l'éducation nationale, menacée au demeurant par des milliers de suppressions d'emplois. Nous attendons également de connaître les moyens qui seront donnés aux greffes, aux magistrats, aux fonctionnaires des tribunaux et à l'administration pénitentiaire.

Nous souhaitons enfin que, lors de la révision de la carte judiciaire, vous gardiez le souci de ne pas éloigner la justice du justiciable et que vous fassiez en sorte que rien ne soit entrepris dans ce domaine sans une concertation sérieuse.

Madame le garde des sceaux, mes chers collègues, prenons conscience de tout ce qui reste à faire pour que la situation dans les prisons soit décente, qu'elle ne soit plus l'objet des critiques des institutions européennes. N'oublions pas non plus l'état de la société, le creusement des inégalités de toutes sortes, que la politique du nouveau gouvernement - du bouclier fiscal à la TVA sociale - ne fera qu'aggraver.

Le vote par le Sénat de la question préalable nous permettrait d'opposer à ce projet de loi des propositions d'une autre nature et d'une autre portée. Il nous faut d'abord connaître les moyens qui seront alloués aux budgets des ministères de l'intérieur et de la justice. Il faut non pas réduire arbitrairement le nombre d'enseignants, mais consacrer plus de moyens aux établissements scolaires des quartiers en difficulté. Il faut revenir aux emplois jeunes dans ces quartiers, rétablir la police de proximité, doter la protection judiciaire de la jeunesse de moyens qui soient à hauteur des besoins, revoir de fond en comble notre politique pénitentiaire et, là aussi, prévoir les budgets nécessaires.

Nous aurions, en effet, préféré vous voir venir devant nous, madame le garde des sceaux, pour défendre d'abord un projet de loi pénitentiaire et proposer la création d'un contrôleur des prisons. Mais vous nous avez annoncé que vous le feriez dès l'automne prochain ; nous attendrons donc.

Toutes ces décisions politiques auraient permis un traitement efficace de la délinquance, mais le présent projet de loi lui tourne le dos.

Vous avez certes habillé votre intervention de formules pleines de bonté, me rappelant la présentation faite dans cet hémicycle, en 1827, sous la Restauration, par l'un de vos prédécesseurs, le garde des sceaux Peyronnet, d'une loi dite « de justice et d'amour », qui visait en fait à détruire la liberté de la presse. J'espère que votre projet de loi ne tend pas à détruire l'indépendance judiciaire, madame le garde des sceaux !

Pour toutes ces raisons, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir voter la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Alain Gournac. Eh bien non ! Il y a eu des élections, quand même !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Rappel au règlement
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Demande de renvoi à la commission

M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur Mermaz, après vous avoir écouté attentivement, je suis encore plus convaincu de la nécessité pour le Parlement de débattre du thème de la récidive.

M. Alain Gournac. Très bien ! Il a donné tous les arguments !

M. François Zocchetto, rapporteur. J'en conviens avec vous, ce n'est pas la première fois que nous en débattrons, mais la discussion est loin d'être close puisque, comme vous l'avez souligné, le problème perdure et n'est pas prêt d'être réglé.

Votre discours très argumenté alors que la discussion générale est terminée prouve bien qu'il y a matière à discuter.

Mme Isabelle Debré et M. Alain Gournac. Très bien !

M. François Zocchetto, rapporteur. Nous serions tous ici très frustrés que, après avoir écouté tous vos arguments, nous arrêtions là le débat.

M. François Zocchetto, rapporteur. Par conséquent, au nom de la commission des lois, j'émets un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Je partage tout à fait l'argumentation que vient de développer M. le rapporteur. Monsieur Mermaz, il est nécessaire d'ouvrir le débat.

C'est pourquoi le Gouvernement est également défavorable à la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 50, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)

Demande de renvoi à la commission

Question préalable
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Article additionnel avant l'article 1er

M. le président. Je suis saisi, par MM. Collombat et  Badinter, Mme M. André, MM. Dreyfus-Schmidt,  C. Gautier,  Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet,  Sueur et  Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 51, tendant au renvoi à la commission.

Cette motion est ainsi rédigée :

  En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs (n° 333 rectifié, 2006-2007) (urgence déclarée).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n'est admise.

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la motion.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, vouloir honorer une promesse électorale suffit-il à justifier cette contribution à l'inflation législative et à l'alignement de la justice des mineurs sur celle des majeurs, à justifier le risque d'envoyer toujours plus d'hommes et de femmes en prison ? Telle est la question qui nous est ici posée avec ce projet de loi.

La réponse sera « oui » s'il s'agit non pas d'un ixième ravaudage du code pénal en cinq ans, mais d'un texte cohérent et complet, laissant raisonnablement espérer qu'il résistera au prochain fait divers sanglant.

La réponse sera encore « oui » si ce texte a de bonnes chances d'être efficace et si ses effets secondaires ne le rendent pas plus délétère que le mal qu'il est censé combattre.

C'est pour répondre à cet ensemble de questions complexes qu'un renvoi à la commission est nécessaire.

Ce texte est-il cohérent et complet ? Aborde-t-il la délinquance et la récidive dans leur complexité, suffisamment en tout cas pour que l'on n'y revienne pas avant la prochaine élection présidentielle ?

Les conditions de son élaboration en font douter fortement.

En effet, quatre articles visent d'abord à créer les peines planchers et à supprimer, dans certaines conditions, l'atténuation des peines pour les mineurs. Puis, après passage express en conseil des ministres, six articles qui n'ont rien à voir rendent obligatoire le suivi médical et judiciaire pour les personnes condamnées pour infractions sexuelles graves.

Comment toutes ces dispositions s'articulent-elles avec les lois précédentes, notamment avec la loi Perben II ? Qui peut le dire ?

Rappelons en particulier que, pour favoriser « l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive », la loi Perben II prévoit que « l'individualisation des peines doit, chaque fois que cela est possible, permettre le retour progressif du condamné à la liberté et éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire ».

De son côté, le rapporteur rappelle que « l'efficacité de l'action contre la récidive passe aussi par une meilleure exécution des décisions de justice ainsi que par un effort accru en faveur de la réinsertion ».

Nulle trace cependant de ce souci dans le présent projet de loi, d'inspiration totalement opposée.

Ce projet est « déraisonnable », indique le président de la chambre des mineurs de la cour d'appel de Paris, Philippe Chaillou, dans un article publié dans Libération. Il aboutit à ce que des délits mineurs commis en état de récidive soient plus sanctionnés que des délits graves commis une première fois, et donne quelques exemples en la matière. J'en citerai un.

« S'il s'agit d'une troisième infraction, un mineur, âgé de seize ans et quelques jours, qui, dans le RER, aura dérobé cinq euros à un autre jeune de son lycée, en le tenant et en compagnie d'un camarade, se verra obligatoirement condamné à un minimum de quatre ans d'emprisonnement et encourra un minimum de vingt ans d'emprisonnement. » Ce même mineur de seize ans, pour un viol commis en première infraction, ne sera pas soumis à une peine plancher et encourra une peine maximale de sept ans et demi d'emprisonnement. Où se trouve la cohérence ? Où se trouve la raison ?

Mais l'erreur fondamentale de ce texte, comme des textes précédents, est de traiter la récidive comme un phénomène générique auquel s'appliqueraient des solutions générales, par ailleurs simplistes.

Or, les formes ainsi probablement que les mécanismes déclencheurs de la récidive sont très divers. Quel rapport existe-t-il entre la récidive que je viens d'évoquer, la récidive massive des jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans condamnés pour vol avec violence et celle des criminels de sang dont le taux de récidive est de 5 ? ou celle des délinquants sexuels, dont le taux de récidive est de 14 % pour les délits et de l'ordre de 1 % pour les crimes ?

Quel rapport existe-t-il entre, d'une part, des délits qui sont avant tout une activité économique - vol à main armée, trafic de stupéfiants - et sont, en tant que tels, sensibles au rapport risques/avantages et, d'autre part, les violences quasiment initiatiques de bandes de jeunes ?

Parler de délinquance sexuelle en général a-t-il même un sens ? Des spécialistes comme Xavier Lameyre en doutent.

Manifestement, il s'agit donc là d'un texte de circonstance, bâclé, qui en appellera d'ailleurs d'autres. Madame le garde des sceaux, vous avez d'ailleurs d'ores et déjà annoncé que d'autres textes étaient en préparation.

Ce texte apportera-t-il une réponse efficace à la délinquance et à la récidive ?

La commission de suivi de la récidive mise en place par votre prédécesseur, madame le garde des sceaux, aurait pu le dire à la commission des lois du Sénat, ce qui aurait probablement évité à cette dernière d'accepter aujourd'hui les peines planchers qu'elle refusait hier.

Mais nous n'avons vraiment pas de chance ! En décembre 2005, puis à nouveau en mars 2007, faute de pouvoir fournir un rapport, la commission de suivi de la récidive n'a pas pu nous éclairer. Aujourd'hui, ce rapport existe, mais il est seulement connu par des fuites dans la presse. Est-ce parce que cette commission émet des doutes sur l'efficacité des peines planchers que son rapport est toujours sous votre coude, madame le garde des sceaux ?

La commission de suivi de la récidive rappelle que les peines minimales ont existé en France et qu'elles ont été abandonnées sous la pression de la pratique. Je ne reviendrai pas sur le long mouvement qui a abouti à cette décision.

En analysant les expériences étrangères, notamment anglo-saxonnes, la commission conclut ainsi : « il n'existe pas de travaux qui aient démontré l'effet attendu de diminution de la récidive. Plusieurs études enregistrent même une augmentation de la récidive, en particulier celle des mineurs ayant commis des faits de violence grave ».

Comment peut-on croire, comme vous l'avez dit tout à l'heure, qu'il s'agit simplement d'une question d'information, que les récidivistes n'étaient pas informés des risques qu'ils encouraient ? Être pragmatique, comme vous le souhaitez, ce serait tenir compte de ces études et ne pas se fonder uniquement sur les rencontres que l'on peut faire ici ou là.

Il n'existe pas de travaux qui aient démontré l'effet attendu des peines planchers sur la diminution de la récidive.

Le bon sens enseigne non plus : « Dans le doute, abstiens-toi ! », mais : « Dans le doute, ne t'abstiens pas ! »

Le « principe de précaution » qui, vous l'avez rappelé ce matin, est inscrit dans la Constitution française vaut pour l'environnement, « patrimoine commun des êtres humains ». Vous nous avez dit qu'il valait aussi pour les victimes. Mais il semble qu'il ne vaille ni pour les adolescents, que vous condamnez sans rémission, ni pour les innocents injustement condamnés, pour les victimes de milliers d'« Outreau silencieux », pour reprendre l'expression de la commission parlementaire.

Plusieurs études enregistrent même une augmentation de la récidive, en particulier de celle des mineurs ayant commis des faits de violence grave. Ces derniers sont pourtant visés en priorité par le projet de loi.

Permettez-moi d'évoquer la conclusion identique de Pierre Tournier qui, s'agissant de l'usage extensif de la prison, considère que la lourdeur des peines n'est pas un gage d'efficacité : « À une exception près, le taux de nouvelle condamnation ou les taux de nouvelle condamnation à l'emprisonnement ferme sont plus élevés après la prison qu'après le prononcé d'une peine alternative. »

On entend aussi, indique M. le rapporteur, « exercer un effet dissuasif sur les délinquants d'habitude ». Mais il cite une étude canadienne établissant que « les lois sur les peines minimales obligatoires dissuadent davantage les délinquants occasionnels que les délinquants d'habitude ». Comprenne qui pourra !

« La loi sur la récidive sera contreproductive » ; tel est le titre d'un article de Sebastian Roché recensant les études étrangères les plus sérieuses sur le sujet. Peut-on être plus clair ? Cet article démontre qu'il n'y a pas de rapport entre la sévérité des peines, quelle que soit la façon de la mesurer, et l'effet sur la délinquance et sur la récidive.

« Les études disponibles sur les effets des transferts des mineurs vers une cour pour adultes - juger les mineurs comme des majeurs - ne montrent aucun effet positif. »

C'est d'ailleurs ce que confirme l'exemple de la Grande Bretagne - Le Monde a publié un article sur ce sujet voilà deux jours -, pays dans lequel l'alourdissement des peines et la quasi-suppression de la spécificité de la justice pour mineurs n'ont eu aucun résultat.

Alourdir les peines, traiter les mineurs comme les majeurs n'entraînent aucune amélioration en matière de délinquance et de récidive, au contraire. Et toutes les conversations que vous pourrez avoir avec tels ou tels délinquants n'y changeront rien, madame le garde des sceaux !

Mais que pèsent des études objectives face aux promesses électorales ? Que pèsent nos pauvres raisons et nos rêves de civilisation lorsque l'on s'adresse à l'inconscient et à la partie la plus archaïque des électeurs ?

M. Dominique Braye. Merci pour 53% des électeurs !

M. Alain Gournac. C'est la démocratie !

M. Pierre-Yves Collombat. Vous vous adressez à tous les électeurs, pas seulement à 53% d'entre eux !

M. Dominique Braye. Mais 53% se sont exprimés pour cette politique !

M. Alain Gournac. Vive la démocratie !

M. Pierre-Yves Collombat. Vous vous adressez à tous les électeurs. Cela n'a aucun sens !

Que pèsent les dégâts collatéraux probables de ce texte inefficace ? Pourtant, ils ne manqueront pas !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Même Ségolène Royal est pour la sécurité !

M. Pierre-Yves Collombat. Outre la probabilité d'alimenter la récidive des délinquants qui posent le plus de problèmes et de briser un peu plus les innocents injustement embastillés,...

M. Christian Cointat. Et les victimes ?

M. Pierre-Yves Collombat. ...trois effets secondaires de ce texte méritent d'être soulignés.

M. Christian Cointat. Et les victimes ?

M. Pierre-Yves Collombat. Soyez efficaces, c'est tout ce que l'on vous demande !

M. Christian Cointat. Et c'est ce que nous faisons !

M. Pierre-Yves Collombat. Les études montrent que ce n'est pas le cas !

M. Dominique Braye. Les électeurs ne vous ont pas compris ! Nous, nous avons entendu les Français ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Respectez l'opposition, monsieur Braye !

M. Christian Cointat. Et vous, respectez la majorité !

M. Pierre-Yves Collombat. Ces trois effets sont l'augmentation de la population carcérale, le découragement de la magistrature et l'accroissement de la confusion entre le médical et le judiciaire.

S'agissant d'abord de la confusion entre le médical et le judiciaire, le texte élargit encore le champ de l'obligation du suivi médical et judiciaire avant même de disposer d'une seule étude prouvant son efficacité.

M. Alain Gournac. Il n'a jamais parlé des victimes !

M. Pierre-Yves Collombat. La commission de suivi de la récidive demandait que l'on puisse disposer d'une telle étude. Ma demande ne me semble donc pas excessive.

Par ailleurs, l'injonction de soins est généralisée alors que les moyens manquent pour appliquer la législation existante : 800 postes de personnels soignants en prison sont vacants, un tribunal de grande instance sur deux ne dispose pas d'un médecin coordonnateur, il est difficile de trouver des experts psychiatres, le secteur privé se désintéresse de la prise en charge des condamnés alors que le secteur public est débordé. Telle est la situation.

Dans ces conditions, rendre obligatoires des peines dont on sait qu'elles ne pourront être appliquées, faire jouer au psychiatre le rôle du juge, cela a-t-il un sens ?

On peut ensuite s'interroger sur les effets de ce texte sur l'évolution de la population carcérale. Cette dernière a littéralement explosé dans les pays qui ont appliqué la politique que vous voulez « acclimater » en France, madame le garde des sceaux. Comment penser que les mêmes causes ne produiront pas les mêmes effets en France ? D'autant que, contrairement à ce que vous avez déclaré, la loi s'appliquera aussi aux petits délinquants.

Déjà, ces cinq dernières années, la population carcérale a augmenté de 20 %. La seule chose que l'on ignore est la croissance qui résultera des dispositions du nouveau texte : y aura-t-il 2 000, 4 000, 10 000 détenus supplémentaires ? Il serait intéressant de le savoir !

Le troisième effet secondaire de ce texte sera le découragement de la magistrature. M.  Robert Badinter a beaucoup insisté sur ce point, et je n'y reviendrai donc pas.

Des magistrats qui doutent de la confiance de ceux au nom desquels ils jugent ne pourront rendre une bonne justice.

Vous avez déclaré ceci, madame le garde des sceaux : « C'est la fonction première de la loi pénale d'être dissuasive. Elle doit retrouver cette vertu. » Vous parlez d'or. Toute la question est de savoir comment y parvenir. Certainement pas en transformant les juges en distributeurs de peines de plus en plus lourdes, en dispensateurs de « renforçateurs négatifs », pour utiliser le jargon behavioriste, ou de médicaments obligatoires par soignants requis interposés.

La justice républicaine n'est pas réductible à une quelconque forme d'ingénierie sociale. Le sentiment que rien n'est définitivement joué, l'humain avec ses incertitudes, ses échecs mais aussi sa capacité à se relever, y tient un rôle central : avant et au moment du jugement, dans le processus d'accomplissement de la peine, et après.

Mardi, le Premier ministre, dans la péroraison de sa déclaration de politique générale (Sourires sur les travées du groupe socialiste.),...

M. Dominique Braye. Ce n'était pas une péroraison !

M. Pierre-Yves Collombat. ...évoquait ces grandes figures qui, pour le monde, sont le visage de la France : Voltaire, Rousseau, Clemenceau, Gambetta, de Gaulle et Victor Hugo.

M. Jean-Claude Carle. Bonnes références !

M. Pierre-Yves Collombat. Visiblement, s'il a évoqué ces noms, c'est plus pour leur sonorité que pour le message auquel ils nous renvoient !

Pour un lecteur de Victor Hugo, l'archétype du récidiviste, c'est Jean Valjean. Un Jean Valjean ramené par les gendarmes devant Mgr Bienvenu, son bienfaiteur, qu'il vient de voler. (M. Dominique Braye s'exclame.)

Loin de le dénoncer, comme l'attend l'opinion publique inquiète, il lui remet deux chandeliers en argent prétendument oubliés.

« Jean Valjean - écrit Victor Hugo - était comme un homme qui va s'évanouir.

« L'évêque s'approcha de lui, et lui dit à voix basse :

« - N'oubliez pas, n'oubliez jamais que vous m'avez promis d'employer cet argent à devenir honnête homme.

« Jean Valjean, qui n'avait aucun souvenir d'avoir rien promis, resta interdit. L'évêque avait appuyé sur ces paroles en les prononçant. Il reprit avec une sorte de solennité :

« - Jean Valjean, mon frère, vous n'appartenez plus au mal, mais au bien. C'est votre âme que je vous achète ; je la retire aux pensées noires et à l'esprit de perdition, et je la donne à Dieu. »

Le Premier ministre a raison : la France de Victor Hugo a de l'élan, elle a de l'allure, en tout cas une autre allure que la France du ressentiment que vous êtes en train de fabriquer avec lui, madame le garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Alain Gournac. Merci pour les victimes !

M. Dominique Braye. Vous n'avez pas dit un mot sur les victimes !

M. Christian Cointat. Allez tenir ce discours aux personnes âgées qui se font attaquer !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je n'ai, hélas ! trouvé aucun argument, dans la péroraison très littéraire de notre excellent collègue Pierre-Yves Collombat (Sourires.), pour justifier le renvoi du texte à la commission. Ce renvoi a d'ailleurs à peine été évoqué.

Dois-je rappeler, mon cher collègue, que le rapporteur a procédé à vingt-cinq auditions sur le texte et sur la lettre rectificative ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elles n'allaient pas dans le sens du Gouvernement !

M. Alain Gournac. Laissez parler le président de la commission des lois !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n'étiez pas présent, alors pourquoi intervenez-vous ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous avons souhaité être éclairés par les personnalités qu'il nous semblait utile d'entendre. Mais entendre ne veut pas dire suivre.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Dans ces conditions, ne les entendons plus !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Sinon, le Parlement ne serait plus qu'une machine à enregistrer la volonté des lobbies, lesquels vont toujours dans le même sens.

Monsieur Collombat, vous avez cité des auteurs qui tiennent le même discours depuis maintenant trente ans. Pourtant, il faut bien que les choses changent en matière de récidive.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Sous prétexte qu'il y a des spécialistes, nous n'aurions plus qu'à nous taire. Eh bien non, car, jusqu'à présent, c'est le Parlement qui fait la loi !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Supprimez les auditions !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous avons donc procédé à vingt-cinq auditions, y compris à celle de M. Robert, président de la commission de suivi de la récidive.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vos propositions et vos objections démontrent d'ailleurs, monsieur Collombat, que vous avez parfaitement intégré les travaux de la commission.

Nous sommes donc en mesure de délibérer, et c'est pourquoi je vous invite à rejeter la motion tendant au renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je salue la péroraison de M. Collombat, mais, la société française ayant beaucoup changé depuis Victor Hugo, je suis contre la motion tendant au renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. -Exclamations sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le fauteuil de Victor Hugo était voisin de celui que j'occupe aujourd'hui !

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 51, tendant au renvoi à la commission.

(La motion n'est pas adoptée.)

M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.

chapitre Ier

Dispositions relatives aux peines minimales et à l'atténuation des peines applicables aux mineurs