M. Dominique Leclerc, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Claude Domeizel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs semaines, le Président de la République ainsi que le Gouvernement ne cessent d'annoncer, à grands coups de trompette, le lancement de la fameuse réforme des régimes spéciaux dont on parle depuis des années !

Au-delà d'une opération de communication magistralement orchestrée, de quoi s'agit-il véritablement ? Surtout, mes chers collègues, que faisons-nous ici et à quoi rime notre débat sans vote d'aujourd'hui ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On dit ce en quoi l'on croit !

M. Claude Domeizel. Monsieur le ministre, vous nous avez délivré des généralités sur les régimes spéciaux. Vous avez confirmé que votre réforme se fera par décrets et qu'aucun paramètre ne sera écarté.

Et vous voudriez que nous donnions notre avis sur des orientations aussi vastes, mal définies et non arrêtées ? C'est un piège dans lequel nous ne tomberons pas !

M. Xavier Bertrand, ministre. Où est le piège ?

M. Jean-Louis Carrère. Il est partout ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Claude Domeizel. Mon propos pourrait s'arrêter là. Je poursuivrai cependant, ne serait-ce que pour vous faire part de notre sentiment sur la forme et sur le fond de votre démarche.

À treize heures, monsieur le ministre, quand vous quitterez cet hémicycle, vous vous direz, j'en suis sûr : « mission accomplie au Sénat ! » Et vous vous préparerez, demain, pour un exercice identique à l'Assemblée nationale !

En effet, dans la « foulée » du Président de la République, vous avez été invité à consulter les partenaires sociaux, puis les présidents de groupes et de commissions parlementaires, ainsi que les dirigeants d'entreprises, le tout en quinze jours ! Prêts ? ... Partez !

M. Jean-Louis Carrère. Vous avez le fouet ?

M. Claude Domeizel. Dans de pareilles conditions, comment laisser aux divers interlocuteurs le temps de prendre du recul, de travailler et de faire le point avec leur base ?

Ce calendrier accéléré compense-t-il tactiquement la baisse de confiance dont commence à souffrir le Président de la République après le vote du paquet fiscal fort coûteux de 15 milliards d'euros, ...

M. Guy Fischer. Ce n'est qu'un début !

M. Claude Domeizel. ... la baisse du pouvoir d'achat et la dégradation de la situation économique ? À moins qu'il ne cache une stratégie électorale à l'approche des élections municipales !

Malgré ce simulacre de concertation, nombreux sont ceux qui pensent que les décisions sont déjà arrêtées. J'en ferai la démonstration tout à l'heure.

Après une concertation que vous avez menée au pas de charge, monsieur le ministre du travail, l'ordre du jour du Sénat a été chamboulé en toute hâte pour permettre d'avancer de huit jours la consultation de la représentation nationale.

M. Jean-Louis Carrère. Ça ne leur porte pas chance en général : souvenez-vous de la loi Falloux !

M. Claude Domeizel. Je rappelle le calendrier imposé : hier lundi, à seize heures, se tenait, dans votre bureau, une réunion des présidents des groupes des deux assemblées ; le même jour, à dix-sept heures au plus tard, intervenait la clôture des inscriptions de parole dans ce débat sans vote ; aujourd'hui, à neuf heures, s'est ouverte la séance publique au Sénat. Le tout a été programmé dix jours plus tôt.

Soyons sérieux : comment rendre compte de cet entretien dans nos groupes politiques avant ce matin neuf heures ?

M. Xavier Bertrand, ministre. C'est pour cette raison que vous avez obtenu une suspension de séance !

M. Claude Domeizel. Pourquoi tant de précipitation ?

Reconnaissez, monsieur le ministre, que la forme est particulièrement irrespectueuse des droits et de la dignité du Parlement - le fond l'est tout autant !

M. Guy Fischer. C'est du mépris !

M. Claude Domeizel. Franchement, comment peut-on espérer traiter une question aussi importante et complexe que celle des régimes de retraite spéciaux en seulement quatre heures de débats, sans présentation ni discussion au sein de la commission des affaires sociales - avouez que cela aurait été un minimum - et sans que les groupes aient pu être informés de vos projets pour arrêter une position ?

M. Jean-Luc Mélenchon. C'est de la dictature !

M. Claude Domeizel. Dans ces conditions, monsieur le ministre, mes chers collègues, par honnêteté et respect à l'égard de mes collègues du groupe socialiste, je précise que les propos que je tiendrai sont, pour la plupart d'entre eux, le fruit d'une réflexion personnelle, car ils n'ont pas été validés par mon groupe.

MM. Jean-Louis Carrère et Roland Courteau. Nous vous soutenons tout de même !

M. Claude Domeizel. On lit, dans la presse, que le Gouvernement souhaiterait procéder par voie essentiellement réglementaire.

Comment pourrait-on se passer de toute mesure législative, alors que le programme tracé par le Président de la République, à savoir une harmonisation des régimes spéciaux sur la base du régime de retraite de la fonction publique, repose sur le code des pensions civiles et militaires de retraite, lui-même essentiellement issu de la loi ?

Le lien entre les régimes spéciaux et la loi est incontestable, notamment sur le plan financier. Les interventions de Dominique Leclerc et d'André Vasselle en sont bien une preuve.

Je pense, en particulier, aux compensations et à l'autorisation de faire appel à des ressources externes, c'est-à-dire à des emprunts, car les caisses de retraite, ne l'oublions pas, empruntent.

Je pense également à la loi adossant la caisse des IEG, au régime général, car cette caisse nationale est issue de la loi.

Je pense tout simplement aux participations financières qui sont prélevées sur le budget de la nation.

Ne serait-ce que pour des raisons de principe, je ne comprends pas pourquoi le Parlement ne peut pas s'exprimer par un vote !

Comprenez-moi bien, je ne cherche en aucun cas à éluder le débat en posant ces préalables. Au contraire, monsieur le ministre, j'entends vous répondre sur le fond de votre démarche qui me semble bien floue, voire hasardeuse.

M. Xavier Bertrand, ministre. Vous ne me ferez pas regretter d'être devant vous !

M. Claude Domeizel. Contrairement aux règles de notre assemblée, notre discussion d'aujourd'hui ne s'appuie sur aucun document officiel. Pour le deviner, nous en sommes réduits à lire la presse !

Monsieur le ministre, dois-je désormais m'abonner à un quotidien local de l'Aisne pour savoir ce que vous avez dit sur les retraites lors d'une inauguration ou une foire à Braine ou à Crouy ?

M. Roland Courteau. C'est intéressant !

M. Xavier Bertrand, ministre. Ce n'est pas dans ma circonscription et je n'y vais pas !

M. Claude Domeizel. Tout à fait, mais il s'agit de votre département, monsieur le ministre !

M. Xavier Bertrand, ministre. Vous pouvez me trouver l'article ?

M. Claude Domeizel. Surfant sur un sondage favorable de l'opinion publique, le Président de la République a donné son feu vert le 18 septembre, lors de l'assemblée générale d'une association de journalistes, et il aurait même qualifié d' « indignes » - j'insiste sur ce terme - les régimes spéciaux réservés à des privilégiés.

M. Guy Fischer. Eh oui, il l'a dit !

M. Claude Domeizel. Pourquoi stigmatiser une partie de la population, ...

M. Roland Courteau. C'est grave !

M. Claude Domeizel. ... monter les catégories les unes contre les autres, exacerber des sentiments de jalousie, alors que les régimes spéciaux ont une histoire ?

Ils n'ont pas été mis en place pour favoriser une partie des salariés.

Lors des négociations d'octobre 1945 dont est issu le régime général, le législateur a considéré que les régimes qui préexistaient avant la guerre conserveraient leur statut, car les salariés tenaient - on peut les comprendre  - aux avantages liés aux emplois particulièrement pénibles.

Nos échanges d'aujourd'hui me donnent enfin l'occasion de revenir sur la réforme des retraites de 2003, car les comptes de la branche vieillesse se sont détériorés à une vitesse faramineuse depuis quatre ans. La perte s'élève à 5 milliards d'euros cette année, avec en perspective un doublement de ce déficit, déjà abyssal, d'ici à 2012.

Nous l'avions prédit à l'époque, la loi du 21 août 2003 n'a rien réglé. Je suis certain qu'il en ira de même pour cette pseudo-réforme des régimes spéciaux que le Gouvernement nous prépare.

Que nous dit le Conseil d'orientation des retraites, le COR ? La question des régimes spéciaux a été examinée en séance plénière le 12 juillet 2006. Par ses travaux d'expertise, le Conseil d'orientation des retraites considère qu' « une réforme des régimes spéciaux est inévitable et que cette démarche passe par l'adoption de mesures courageuses, dont certaines risquent effectivement d'être impopulaires. »

M. Xavier Bertrand, ministre. Et vous, vous êtes d'accord ?

M. Claude Domeizel. Tout à fait !

Le COR nous fournit des pistes de réflexion opérationnelles pour toute véritable réforme, qui suppose à l'évidence des efforts partagés de l'État, des régimes eux-mêmes et de leurs assurés sociaux.

M. Xavier Bertrand, ministre. Merci de votre franchise !

M. Claude Domeizel. Elle est dans mes habitudes, monsieur le ministre !

M. Xavier Bertrand, ministre. Je le reconnais !

M. Claude Domeizel. Mais cet avis du COR n'exclut pas une nécessaire concertation ni une appréhension de la réforme plus globale plutôt que considérée sous le seul angle des régimes spéciaux.

À titre personnel, je déplore que rien n'ait bougé depuis vingt ans, voire cinquante ans. En effet, la plupart des caisses de retraite connaissent un rapport démographique défavorable et font appel, dans des proportions plus ou moins importantes, à l'impôt ou à la solidarité entre régimes.

Mais il ne faut pas oublier que l'origine de ce problème est ancienne. On en revient alors inévitablement à 1945, ou à la loi de 1974, qui a finalement débouché sur la création du système de compensation démographique généralisé entre les caisses de retraite.

On a constaté une même reculade dans la loi de finances de 1986 par l'instauration d'une compensation entre régimes spéciaux et particuliers, cette fameuse surcompensation bien connue des maires, car elle finit par faire participer exagérément la fiscalité locale au déficit des caisses de retraite. Or, chacun le sait, ce système de compensation est aujourd'hui à bout de souffle.

Dans ce contexte, il n'est guère surprenant que l'extrême diversité des régimes sociaux suscite des réactions passionnées de nos concitoyens. Sans doute une majorité de Français considère-t-elle qu'il n'est plus possible de maintenir le statu quo intégral sur les régimes spéciaux, notamment sur la question sensible de la durée de cotisation de trente-sept ans et demi.

Encore faudrait-il que le Gouvernement se donne les moyens de son ambition réformatrice autoproclamée, en ouvrant un véritable dialogue social. Je crois fondamentalement que les partenaires sociaux y sont pleinement disposés, à condition, toutefois, de ne pas avoir le sentiment que tout est joué d'avance.

Quels sont les paramètres considérés ?

Vous nous avez dit hier, et vous l'avez répété ce matin, que tout est sur la table : ...

M. Xavier Bertrand, ministre. Oui !

M. Claude Domeizel. ... la durée des cotisations, la décote et la surcote, l'indexation des pensions, la bonification, la pénibilité, la durée de stage de quinze ans, la retraite d'office, les retraites additionnelles, l'égalité entre hommes et femmes, etc.

Ce trop-plein d'ouverture masque mal la réalité de vos intentions.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh !

M. Claude Domeizel. Tout, en fait, est décidé !

M. Xavier Bertrand, ministre. Vous ne me ferez pas regretter d'être là !

M. Claude Domeizel. Monsieur le ministre, comment en serait-il autrement si vous devez rendre votre copie dès le 15 octobre prochain ?

M. Xavier Bertrand, ministre. Qui a parlé du 15 octobre ?

M. Claude Domeizel. C'est ce que vous nous avez dit hier !

M. Xavier Bertrand, ministre. C'est faux ! J'ai parlé d'octobre !

M. Claude Domeizel. Vous nous avez dit que le décret ne serait pas publié avant le 15 octobre, mais qu'il le serait peut-être le 16 !

M. Xavier Bertrand, ministre. Peut-être cela était-il écrit dans une dépêche, mais si j'ai besoin d'un porte-parole, je vous le ferai savoir !

M. Claude Domeizel. Je ne vais pas vous faire le reproche de savoir où vous allez, mais nous aimerions pouvoir mieux cerner vos intentions !

Ces sujets complexes, il est vrai, nécessitent des travaux techniques préalables, des échanges approfondis, une confiance mutuelle, et non le simulacre de négociation en quinze jours auquel nous venons d'assister !

Enfin, je suis convaincu que la question des régimes spéciaux doit être traitée dans la globalité, c'est-à-dire dans le cadre du rendez-vous de 2008, et non séparément. Qu'il s'agisse du déficit du régime général, du déficit du FFIPSA, le fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles, ou du déficit du fonds de solidarité vieillesse, non, il n'y a pas d'urgence, contrairement à ce que vous voulez faire croire, d'autant plus que les régimes spéciaux ne représentent que 7 % des assurés. Ce n'est pas parce que vous allez, en octobre, résoudre la question des régimes spéciaux que vous réglerez, pour autant, contrairement à ce qu'a dit le Président de la République, le problème des retraites dans son ensemble !

Cela suppose notamment de remettre à plat le système de compensation démographique, ainsi que Dominique Leclerc et moi-même le soulignions dans le rapport rédigé conjointement, en 2006, dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS.

Si vous abordez la notion de pénibilité sous le seul angle des régimes spéciaux, vous allez commettre une erreur grave et amplifier la cacophonie que vos discours ont engendrée.

Je ne crois pas que la réalité de votre projet soit celle que vous avancez. Loin d'être une grande réforme de structure, je crains au contraire qu'il ne s'agisse que d'une opération limitée, menée dans la précipitation, pour des raisons essentiellement politiciennes.

Que constate-t-on en lisant les rares informations rendues publiques par le Gouvernement sur ce sujet et en écoutant les réactions des partenaires sociaux ? Manifestement, vous entendez modifier deux ou trois paramètres de ces régimes - alors que vous nous avez dit, monsieur le ministre, que tout était sur la table -, ceux qui, comme le mode d'indexation des pensions ou la durée de cotisation, sont les plus facilement appréhendés par l'opinion publique. Mais entreprendre une refonte générale de ces régimes, dont certains ont été conçus voilà cent ou cent cinquante ans, nécessiterait - pardonnez-moi d'y insister -, du temps et des travaux préparatoires. Or, ce n'est pas la voie que vous avez choisie.

Je ne peux m'empêcher de penser qu'il s'agit de permettre au Président de la République d'afficher à tout prix, avant les élections municipales de mars 2008, la mise en oeuvre - dans de mauvaises conditions - de l'un de ses engagements électoraux les plus emblématiques, opération qui est vouée, je le crains, à l'échec.

Sans doute cherchez-vous aussi à donner des gages à votre majorité, au moment où apparaissent les premières difficultés et la fin de l'état de grâce. Mais, en réalité, les contours de cette réforme répondront-ils aux attentes de nos concitoyens ? Ceux qui, parmi eux, attendent la disparition des régimes spéciaux risquent d'être déçus, de même d'ailleurs que ceux qui espéraient sincèrement que vous alliez résoudre ce problème dans un esprit de responsabilité et de dialogue avec les partenaires sociaux.

Enfin, les assurés sociaux des régimes spéciaux eux-mêmes, qui dans leur immense majorité sont disposés à faire des efforts, ne pourront se satisfaire d'une pseudo-réforme, sans contrepartie, menée à la va-vite et sur des bases aussi improvisée.

Mais sous la baguette d'un chef d'orchestre « frénétique » - ce n'est pas moi qui ai trouvé ce qualificatif -, l'impératif de communication et la logique d'affichage doivent prévaloir coûte que coûte !

Du moins pourriez-vous éclairer le Sénat sur les contours et le mode opératoire de votre réforme, qui me semblent bien flous.

Ainsi, nous attendons de savoir quels seront exactement les régimes concernés par votre projet de réforme. En effet, on entend des versions différentes : cent vingt régimes ? Une quarantaine ? Pour ma part, je n'en connais que douze, si je lis bien le code de la sécurité sociale.

En quoi consistera « l'harmonisation », annoncée par le Président de la République, des régimes de retraite spéciaux avec ceux de la fonction publique ?

À quelle échéance cette évolution pourrait-elle être effective ?

Le dialogue mené isolément dans chacun de ces régimes sera-t-il une simple concertation ou une véritable négociation ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous n'avez pas écouté !

M. Claude Domeizel. La fin de l'année constitue-t-elle une date butoir pour le Gouvernement ? Mais vous nous avez dit que, dès le 15 octobre, tout cela serait pratiquement prêt...

M. Xavier Bertrand, ministre. Arrêtez ! Pas de préjugé « à la petite semaine » ! Pas vous, monsieur Domeizel !

M. Claude Domeizel. Monsieur le ministre, vous le savez, nous nous sommes opposés, de ce côté de l'hémicycle, à votre réforme des retraites en 2003, et je crois que l'évolution de la situation de la branche vieillesse nous a, depuis lors, donné rétrospectivement raison.

M. Francis Giraud. Non, vous avez eu tort !

M. Claude Domeizel. Pour ce que l'on peut discerner de vos projets concernant les régimes spéciaux, je ne suis pas davantage optimiste aujourd'hui.

En écoutant le Président de la République, le Premier ministre et vous-même, nos concitoyens peuvent avoir le sentiment qu'une grande réforme est en préparation, une sorte de « grand bond en avant » s'agissant des régimes spéciaux ! Tel ne sera pas le cas et, comme ce précédent historique fameux, vos projets risquent de finir dans l'impasse.

Ne vous méprenez pas, je suis moi aussi convaincu qu'une réforme des régimes spéciaux est nécessaire et inévitable,...

M. Xavier Bertrand, ministre. J'attends vos propositions !

M. Claude Domeizel. ... dans l'intérêt, d'ailleurs bien compris, de leurs assurés sociaux eux-mêmes. Mais nous aurions dû plutôt aborder cette question, en 2008, à l'occasion de la clause de rendez-vous, en même temps que la prochaine réforme des retraites, et non pas prématurément, en octobre 2007.

Croyez-moi, monsieur le ministre, vous ne gagnerez rien à opposer les différentes catégories d'assurés sociaux entre elles !

La façon dont la présente réforme a été engagée depuis quinze jours laisse craindre le pire pour l'avenir. Mais surtout, nous n'apprécions guère de voir la représentation nationale être tenue à l'écart de ce sujet de société majeur.

Nous en reparlerons à l'occasion de l'examen du PLFSS pour 2008 et de nos prochaines séances de questions au Gouvernement. Vous pouvez compter sur ma vigilance attentive, ainsi que sur celle de mes amis du groupe socialiste !

Vous l'avez compris, monsieur le ministre, nous ne sommes pas favorables à une réforme menée dans la précipitation, ...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela fait vingt-cinq ans qu'on attend !

M. Claude Domeizel. ... à une réforme réalisée dans la cacophonie, à une réforme qui oppose les salariés entre eux.

M. Xavier Bertrand, ministre. Vous n'êtes pas favorables aux réformes, c'est clair !

M. Claude Domeizel. À un moment où le Gouvernement multiplie les cadeaux fiscaux, ou, plus exactement, à un moment où il multiplie les transferts fiscaux vers les plus favorisés au détriment de ceux qui le sont beaucoup moins, il ne faut pas laisser penser que les bénéficiaires des régimes spéciaux sont des « nantis » ou des « super-privilégiés ». (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Nous ne sommes pas favorables à une réforme qui se dissocie de celle du régime général et des autres régimes.

Nous voulons une réforme globale, qui gomme les inégalités de la loi de 2003 et ses incohérences : aujourd'hui, un million de retraités vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Nous voulons une réforme qui s'insère dans le cadre du modèle social et non de la fracture sociale, une réforme qui intègre le critère de pénibilité, une réforme qui prépare l'avenir et qui donne espoir aux générations futures.

Enfin et surtout, nous voulons une réforme qui préserve le système par répartition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Nous sommes tous d'accord sur ce point !

M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Xavier Bertrand, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, rien ni personne ne me feront regretter d'être devant vous aujourd'hui pour ce débat sur les régimes spéciaux.

À l'évidence, pour voir disparaître un certain nombre de postures adoptées par quelques-uns sur des sujets essentiels, il nous faudra peut-être attendre d'autres débats. Mais, sait-on jamais, peut-être y arriverons-nous ?

M. Jean-Louis Carrère. Occupez-vous des vôtres, surtout sur les tests ADN !

M. Xavier Bertrand, ministre. En tout cas, je vais m'efforcer de répondre le plus précisément possible aux différents intervenants.

Tout d'abord, je voudrais dire au président de la commission des affaires sociales, Nicolas About, sans reprendre le débat sémantique qui ouvrait son propos, qu'il faut avant tout réaliser cette réforme pour les raisons que j'ai exposées tout à l'heure. En effet, chacun sait bien, y compris les agents qui dépendent de ces régimes spéciaux, que, sans cette réforme, personne, sur l'ensemble des travées de cette assemblée, n'est en mesure de garantir, à dix ou à quinze ans, le paiement des pensions dans des conditions satisfaisantes.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On est bien d'accord !

M. Xavier Bertrand, ministre. Les règles démographiques s'appliquent à tout le monde de la même façon parce qu'elles sont immuables et universelles.

Mme Michelle Demessine. Il faut une réforme des financements !

M. Xavier Bertrand, ministre. Elles ne concernent pas seulement les régimes spéciaux et ne s'appliquent pas qu'à la France ; elles visent l'ensemble des salariés et des pays qui connaissent un allongement de l'espérance de vie.

M. Jean-Luc Mélenchon. Et qui sont concernés par une nouvelle répartition des richesses !

M. Xavier Bertrand, ministre. Il n'y a pas non plus de raison d'exempter les régimes spéciaux des efforts qui ont été demandés à l'ensemble des Français, vous le savez. Ces questions de justice sont d'ailleurs très présentes dans le débat.

M. Jean-Pierre Bel. C'est dit avec douceur et fait avec brutalité !

M. Xavier Bertrand, ministre. Vous avez certainement l'occasion, tout comme moi, de discuter avec un certain nombre d'agents intéressés. Ils savent que cette réforme est inévitable et ont depuis bien longtemps présent à l'esprit l'allongement de la durée de cotisation. Mais ils se demandent dans quelles conditions cette réforme va intervenir. Voilà les questions qu'ils se posent et que je vous ai d'ailleurs posées.

Certains, notamment M. Gournac, m'ont répondu et je les en remercie. D'autres ne m'ont apporté aucune réponse et, bien que les mêmes questions aient été reformulées, je ne les ai pas entendu prendre position.

Je voudrais aussi indiquer qu'il n'y a aucune raison de ne pas faire cette réforme de façon progressive. Comme je l'ai dit tout à l'heure, la réforme du régime général a pris plus de dix ans et celle de la fonction publique plus de cinq ans. Pourquoi faudrait-il, du jour au lendemain, passer de trente-sept annuités et demie à quarante pour les agents de ces régimes spéciaux ? Pourquoi faudrait-il leur appliquer un traitement spécifique ? C'est aussi une question de respect, non seulement par rapport à la mission qui est la leur mais aussi par rapport à leur personne.

Sur tous ces sujets, on peut essayer de nous prendre en défaut ; nous resterons sur ces principes, qui sont des principes de justice. Ces régimes spéciaux doivent être réformés, comme les autres, pas plus et pas moins, selon un traitement qui doit être respectueux des individus

Pourquoi ne pas affilier les nouveaux actifs au régime général ? Cette question a été posée par Nicolas About.

La modification progressive des paramètres en question permet d'obtenir, à terme, un résultat analogue sans faire porter tous les efforts sur les seuls nouveaux recrutés. En définitive, votre proposition aboutit à une situation compliquée à gérer. En effet, nombre de régimes - ceux des travailleurs indépendants, des agriculteurs - ont maintenu une caisse spécifique ; cette situation répond aussi à l'attachement, que je serais tenté de qualifier de légitime, des professions à leurs caisses de retraite.

Qui plus est, la double affiliation entraînerait la mise en place d'un double statut, posant de véritables difficultés pour la gestion des ressources humaines. Les directions de plusieurs entreprises ont insisté sur cet élément, que je tenais à apporter au débat.

Monsieur Leclerc, vous connaissez ces dossiers depuis bien longtemps, tout comme Claude Domeizel. Je voudrais saluer les travaux de la commission des affaires sociales, qui m'a remis tout à l'heure un document précis, contenant des propositions détaillées qui répondent aux questions que j'avais posées.

Certaines d'entre elles vont forcément alimenter le débat, car vous aurez à coeur de les rendre publiques. Une chose est certaine, je dispose enfin d'éléments de réponse aux questions - pas seulement les miennes - qui se posent aujourd'hui ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Bel. Où est ce document ?

M. Xavier Bertrand, ministre. Ce document m'a été transmis officiellement en séance. Tout le monde n'était peut-être pas présent mais, à la fin de son intervention, Dominique Leclerc est descendu de la tribune pour me le remettre. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

M. Guy Fischer. C'est une initiative personnelle !

M. Xavier Bertrand, ministre. Monsieur Leclerc, ...

M. Guy Fischer. C'est le plus réactionnaire de tous !

M. Xavier Bertrand, ministre. ... je suis très heureux de pouvoir mettre en valeur le travail que vous avez effectué !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai !

M. Xavier Bertrand, ministre. Vous avez insisté sur la nécessité de supprimer les « clauses couperet ». Je partage votre avis.

Mme Michelle Demessine. Ça, c'est de la concertation !

M. Xavier Bertrand, ministre. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure avec un exemple concret, non seulement ces « clauses couperet » ne permettent pas de reconnaître le rôle des seniors dans les entreprises concernées, mais elles empêchent surtout certains agents de bénéficier d'un niveau de pension correct parce qu'ils n'ont pas effectué une carrière complète quand ils sont obligés de partir - à cinquante ans, par exemple, pour un conducteur à la SNCF.

Oui, nous devons imaginer de nouveaux modes de gestion des ressources humaines dans les entreprises concernées ! Les salariés ne doivent pas faire les frais de pratiques non seulement dépassées, selon moi, mais qui appartiendront prochainement au passé.

Vous avez aussi exprimé la crainte que la réforme ne soit dénaturée par les négociations d'entreprise. Naturellement, il n'est pas question de reproduire, sous une forme ou sous une autre, les situations antérieures, ni de permettre la remise en cause, dans les discussions d'entreprise, des principes généraux définis par la réforme.

Au bout du compte, il s'agira de savoir si, oui ou non, la convergence avec la fonction publique a été réalisée, si on est passé d'une durée de cotisation de trente-sept ans et demi à une durée de quarante ans, si l'indexation des pensions se fait sur les prix plutôt que sur les salaires. Ces objectifs sont clairs ! Les négociations se dérouleront, de toute façon au vu et au su de tout le monde.

Je ne doute pas un seul instant que vous suivrez, les uns et les autres, ces négociations d'entreprise avec un maximum d'attention. Nous savons qu'elles n'ont pas d'autre vocation que d'appliquer les principes généraux de la réforme dans chaque entreprise, car il importe de prendre en compte également la spécificité des emplois. En effet, qui peut nier que les situations soient très différentes, à la SNCF par exemple, entre un conducteur, un contrôleur et un agent d'exploitation ou un agent commercial ? Voilà pourquoi il est intéressant de ne pas prendre systématiquement les décisions au niveau gouvernemental.

Vous avez également insisté, monsieur Leclerc, sur la vigilance du Sénat quant aux adossements. Je fais miennes vos remarques, parce qu'il ne faut pas confondre la réforme du financement et la réforme des droits. La réforme du financement a pu déjà être engagée dans certaines entreprises, mais nous savons bien que la réforme des droits constitue l'essentiel du travail à accomplir. Elle seule est de nature à garantir la nécessaire visibilité sur l'avenir de ces régimes et des retraites de leurs affiliés.

Alain Vasselle a souhaité disposer de données plus précises sur les régimes spéciaux. Ce travail a été effectué pour le régime qui a fait déjà l'objet d'un adossement ; il n'y a pas de raison qu'il ne le soit pas pour les autres. Le Conseil d'orientation des retraites, le COR, avait commencé à étudier ce sujet ; je souhaite qu'il puisse poursuivre sa réflexion afin de garantir le maximum de transparence et d'information, pour la représentation nationale, bien sûr, mais pas uniquement.

J'observe, à cet égard, que le Gouvernement a souhaité associer le Parlement à la réforme, quel que soit le niveau juridique des textes qui traduiront cette réforme. Sur le plan de l'information et de la transparence, bien évidemment, je ne peux que rejoindre Alain Vasselle.

Dans son intervention, Alain Gournac a exprimé son soutien à la réforme et évoqué certains aspects pratiques et détaillés. Il est important que les hommes politiques sortent de la phase des généralités pour aborder, d'une certaine façon, les travaux pratiques et être le plus concrets possible.

Vous avez raison de souligner la nécessité d'agir, monsieur le sénateur, comme l'a rappelé d'ailleurs la Cour des comptes dans son rapport de septembre 2006.

M. Jean-Louis Carrère. La Cour des comptes dit aussi autre chose : taxer les stocks-options !

M. Xavier Bertrand, ministre. La volonté d'agir du Gouvernement répond également aux engagements du Président de la République et s'inscrit dans un esprit de concertation.

Personne ne peut être surpris par ce débat, car il a été ouvert pendant la campagne présidentielle. (Bien sûr ! sur les travées de l'UMP.) Cette réforme fait partie des engagements pris devant les Français par le Président de la République et par sa majorité.

M. Charles Revet. Ils ont été approuvés par les électeurs !

M. Xavier Bertrand, ministre. J'ai même le sentiment que, sur un sujet comme celui-ci, le soutien s'étend au-delà de la seule majorité et dépasse clairement les clivages politiques. Votre assemblée, mesdames, messieurs les sénateurs, en est le reflet !

Monsieur Gournac, vous avez eu raison de rappeler que les précédentes réformes des retraites de 1993 et 2003 ont été réalisées par des gouvernements appartenant à l'actuelle majorité. C'est un fait ! De nombreux rapports ont été rédigés à une certaine époque, beaucoup de reports sont intervenus également, mais pas de réformes. Pourtant, à l'époque, la croissance économique aurait pu favoriser les choses...

M. Alain Gournac. Eh oui ! Mais ils ne l'ont pas voulu !

M. Jean-Louis Carrère. La croissance, vous ne savez pas y faire !

M. Xavier Bertrand, ministre. C'est un fait  donc, les précédentes réformes ont été réalisées par cette majorité. C'est une question de courage, mais aussi de volonté de dialoguer : pour prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde des régimes de retraite par répartition, il faut avoir la volonté d'avancer et de dialoguer. Tel est notre cas et je vous remercie de l'avoir souligné.

Vous avez eu aussi raison de rappeler que le taux d'emploi des seniors dans notre pays est aujourd'hui inférieur à la moyenne européenne. Nous sommes quasiment le pays le plus mal situé en Europe : un tiers seulement des salariés âgés de plus de cinquante-cinq ans est en activité en France, contre 70 % en Suède.

M. Alain Gournac. C'est un scandale !

M. Xavier Bertrand, ministre. La réforme des régimes spéciaux va nous permettre, à son modeste niveau, de développer une politique dans ce domaine. Nous savons pertinemment que différents facteurs créent une situation défavorable à l'emploi des seniors dans l'entreprise.

Je ne me rendrai pas ridicule en tenant un énième discours demandant aux entreprises de leur accorder toute leur place. Il est temps de passer à d'autres mesures que nous aurons l'occasion de vous présenter dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, notamment la suppression des mises à la retraite d'office et, surtout, des « retraites couperet », qui ont récemment alimenté la chronique. Si Guy Roux a cessé d'entraîner un club de football, il existe des milliers de Guy Roux en France qui voudraient continuer à travailler et qui en sont empêchés par des « clauses couperet » relevant d'une autre époque.

Aymeri de Montesquiou a eu raison de rappeler aussi clairement que le statu quo n'est plus possible, notamment dans la perspective du rendez-vous de 2008 sur les retraites. Ce constat est d'ailleurs partagé, à gauche comme à droite. Au-delà de certaines prises de positions que j'ai pu entendre, il est évident que des lignes de fracture traversent le parti socialiste...