M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Le débat que nous avons dans cette enceinte depuis cet après-midi est passionnant, intéressant et donne tout son sens à l'institution parlementaire. Sur ce point essentiel, je souhaite vous faire part, mes chers collègues, de ce que pensent un certain nombre de membres de mon groupe.

Les liens de la filiation font partie de ce qu'il y a de plus sacré dans notre civilisation. On ne peut pas les modifier pour de simples motifs de commodité ou d'efficacité. Les règles existantes en la matière constituent un socle qui participe au fondement même de notre nation. Selon nous, c'est à partir de ce socle, et non en dehors, que l'on peut établir des mesures nouvelles.

L'immigré durablement installé sur notre sol a le droit de vivre avec sa famille. S'il appartient au Gouvernement et au Parlement de réguler les flux migratoires, ils ne peuvent le faire qu'en respectant les règles, connues, de notre droit civil. Selon moi, les familles d'immigrés doivent être soumises aux mêmes lois que les familles françaises. Des régimes différents ne peuvent pas s'appliquer aux uns et aux autres.

M. Jacques Mahéas.Tout à fait !

M. Michel Mercier. C'est en fonction de ces principes que nous devons considérer la situation.

J'ai trouvé très intéressants les différents propos qui ont été tenus. Mais je voudrais que l'on s'attarde quelques instants sur la façon dont les Français peuvent prouver leur lien de filiation. En effet, en tant que parlementaire, je veux que les immigrés puissent avoir les mêmes moyens et les mêmes droits que les Français, pas moins, pas plus. C'est simple, clair et net.

Toutes les règles applicables figurent dans le code civil, aux articles 16-11, 312 et 312-1, qui établissent les caractéristiques du droit français de la filiation.

L'article 312, que nous connaissons tous, pose la vieille règle que l'on tire du droit romain et que les juristes de la Révolution ont réintroduit dans notre droit. Il s'agit de la présomption de paternité : pater is est quem nuptiae demonstrant, l'enfant né pendant le mariage a pour père le mari. C'est clair et net, même si la société évolue et qu'il faut en tenir compte.

Les dispositions de l'article 311-1 sont plus intéressantes et visent ce que l'on appelle, en termes juridiques, la possession d'état. On peut toujours arguer qu'il s'agit d'affaires de juristes, mais ce n'est pas vrai. La possession d'état est ce qu'il y a de plus vivant, de plus quotidien, de plus remarquable, au sens initial du terme. Il s'agit de la façon dont se comportent les parents vis-à-vis d'un enfant qui les reconnaît en tant que père et mère. Ils doivent lui fournir des aliments, s'occuper de son éducation, de sa santé. Il convient d'assurer la filiation dans la continuité du quotidien.

Voilà quelques années, nous avons instauré un nouveau moyen de prouver le lien de filiation. Peut-être n'avons-nous pas fait suffisamment attention à l'époque ! Tout le monde ne s'en souvient peut-être pas. Mais tel n'est pas mon cas puisque, à l'époque, j'avais voté contre la disposition. Quoi qu'il en soit, tel est notre droit positif.

Nous avons donc adopté l'article 16-11 du code civil aux termes duquel en matière civile, l'identification d'une personne ne peut être recherchée par une analyse génétique qu'en vue d'établir un lien de filiation.

Nous avons donc ouvert cette possibilité voilà quelques années, en l'encadrant.

En quoi consiste cet encadrement ? Chacun, un beau matin, ne peut pas décider de faire un test ADN, du type de ceux qui sont offerts sur Internet, par exemple, où l'on trouve des milliers de propositions ! Cela se solderait par des problèmes sans fin au moment des successions ou du choix de garder ou non un enfant.

Selon le droit civil, seul le juge peut décider d'une telle action en établissement de la filiation à partir d'un test génétique.

Ces trois modes de preuve de la filiation et d'identification sont ouverts aux familles françaises. Tel est notre droit. Je souhaite que ce soient les mêmes lois - pas plus, pas moins - le même cadre, les mêmes garanties, les mêmes barrières qui soient appliqués aux familles d'immigrés. En effet, l'une des façons de les intégrer consiste à les traiter comme les familles françaises.

Je suis intimement persuadé que si nous sommes capables, tous ensemble, au Sénat, malgré nos différences d'approche, bien compréhensibles - la commission des lois a, bien entendu, eu raison de voter contre l'amendement Mariani, qui se situe en dehors du système que je préconise - de dire que l'immigré qui est légalement, durablement venu travailler dans notre pays a le droit d'y vivre avec sa famille, laquelle est soumise aux mêmes lois que la famille française, nous aurons réalisé un grand progrès. Cela ne veut pas dire que tout sera réglé, mais nous aurons fait les choses comme elles doivent être faites, dans le respect de l'être humain, de notre philosophie et de notre spécificité nationale. Tel est, en tout cas, ce que nous proposerons tout à l'heure par l'entremise de M. Pierre Fauchon. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. Qu'il me soit permis, à moi qui suis un médecin attaché à l'éthique, ce qui m'a conduit à voter pour le texte présenté par M. Badinter prônant la suppression de la peine de mort, de faire entendre ma voix dans un débat qui honore le Sénat et qui justifie, me semble-t-il, le bicamérisme !

L'amendement Mariani nous a conduits, dans cette enceinte, à rappeler un certain nombre d'éléments de base auxquels nous croyons profondément ; disant cela, je parle sous le contrôle de mes collègues, qui l'ont exposé clairement.

Il n'a jamais été question, pour nous, de transformer les liens de filiation en des liens génétiques. Personne ne conteste le fait que la filiation peut revêtir de multiples formes. Aujourd'hui, je me réjouis que la commission des lois ait repris des propositions qui ne concernent que les mères, des mères qui n'ont pas de doutes quant à la filiation de leur enfant, mais qui ne peuvent pas la prouver, faute de code civil dans leur pays et parce qu'elles ne disposent pas des éléments pour ce faire. Ces propositions visant à leur offrir la possibilité, sous contrôle du juge, de demander elles-mêmes un test ADN,...

Mme Bariza Khiari. Et les conséquences ?

M. Jacques Blanc. ...afin de permettre à leurs enfants de bénéficier de cette prise en charge nouvelle et pour que leur famille soit reconnue et jouisse des mêmes droits qu'une famille française. C'est bien de cela qu'il s'agit.

M. Jacques Blanc. Il n'est pas question de dire que les tests ADN sont des tests obligatoires de filiation, ni de résumer cette dernière à une filiation génétique ; il s'agit de permettre à une mère qui sait ce dont elle parle de le prouver.

J'avais proposé au bureau de l'UMP...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Que se passe-t-il au bureau de l'UMP ?

M. Jacques Blanc. ... de résumer cette disposition à une possibilité offerte aux mères de démontrer la véracité de ce qu'elles disent. Monsieur Portelli, elles n'ont pas de doutes, elles !

Mme Bariza Khiari. C'est pitoyable !

M. Jacques Blanc. Elles sont en situation particulière de demande ; cela ne remet pas en cause la réalité des filiations multiples et ne prive personne de liberté.

Mme Bariza Khiari. C'est un texte fait par des hommes !

M. Jacques Blanc. Cet amendement permet de donner de réelles chances à ces mères parfois désespérées...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est affligeant !

M. Jacques Blanc. ... quand elles ne trouvent pas, dans leur propre pays, les éléments qui démontrent la véracité de ce qu'elles disent. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est vraiment affligeant !

M. Jacques Blanc. Mes chers collègues, ne tombons dans aucun excès ! Il aurait été excessif de laisser entendre que c'était le test génétique qui définissait toutes les filiations, mais cela l'aurait été aussi de priver des mères de la possibilité de démontrer le bien-fondé de ce qu'elles affirment.

Nous ne remettons pas en cause les principes fondamentaux qui règlent la vie de nos familles, non plus que ces fabuleux liens affectifs qui peuvent se développer en dehors de toute filiation naturelle. Nous permettons à des femmes de rendre service à leurs enfants et à des familles en situation difficile de se regrouper, en ayant les mêmes droits que les familles françaises. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce discours moralisateur...

M. Jean-Claude Carle. Pour donner des leçons, vous êtes la première !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... et pleurnichard n'est absolument pas de mise ici !

L'article 5 bis a maintenant une histoire.

Monsieur Fauchon, il est tout de même assez extraordinaire de vous entendre dire qu'il n'y a plus ni test ADN ni article 5 bis ! Je sais bien que les sénateurs pensent diriger le Parlement, mais, mon cher collègue, vous semblez oublier que l'Assemblée nationale a voté l'amendement  Mariani !

M. Jean-Pierre Sueur. Elle a le dernier mot !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La commission des lois du Sénat a eu la sagesse, se fondant, d'ailleurs, sur des discussions et des réflexions antérieures, nées, notamment, de l'examen des lois dites de bioéthique, de trouver que cela posait problème.

Cela en pose un au point de vue du principe : introduire, de façon nouvelle par rapport à notre législation, le recours à la génétique pour établir l'état civil, et ce précisément dans une loi concernant les étrangers, n'est absolument pas anodin.

La commission des lois a eu la sagesse - je le répète - de refuser, pour ne pas alimenter les suspicions de fraude, une telle disposition, étant entendu que les plus grandes précautions ont été prises par le législateur pour encadrer, dans tous les cas de figure, l'utilisation des tests génétiques.

D'ailleurs, comme je l'ai dit lors de la discussion générale, il faut bien constater que notre pays a toujours manifesté, à l'égard de la génétique et d'un certain nombre de problèmes afférents, une certaine prudence.

Ce n'est pas la peine, chers collègues de la majorité, d'essayer, depuis hier, de nous démontrer le contraire, grâce à des subterfuges et à diverses contorsions ! Nous avons très bien compris, parce que nous ne sommes pas idiots, que vous vouliez conserver l'amendement Mariani, soutenu par le Gouvernement, par M. le ministre, ici présent, et par le Président de la République, nonobstant l'opposition d'un certain nombre de personnalités, la dernière en date étant M. Balladur, qui - cela tombe à pic ! - est en train de réfléchir sur nos institutions et sur le rôle du Parlement.

Je n'attache pas spécialement d'importance aux déclarations des uns et des autres, mais il n'empêche que la communauté scientifique, ainsi que les dirigeants des pays africains, qui se sentent particulièrement visés - on comprend bien pourquoi ! -, se prononcent contre et estiment qu'il n'est absolument pas normal d'introduire les tests génétiques à l'égard des étrangers, ce qui conduirait à les stigmatiser. Chacun sait que les règles de la filiation et l'éducation des enfants ne sont pas les mêmes en Europe ou dans les pays africains, au Maghreb, etc.

En dépit de toutes ces voix qui protestent, au nombre desquelles celles de personnalités éminentes qui avaient été consultées lors de l'élaboration des lois dites de bioéthique - je pense à Axel Khan, par exemple, à l'époque membre du Comité national d'éthique - M. le Président de la République et M. le ministre, donc le Gouvernement - encore que se posent quelques problèmes - veulent absolument que, dans une loi concernant les étrangers, soit introduit le recours aux tests génétiques. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Ceux de mes collègues qui en sont partisans se contorsionnent pour pouvoir contredire la majorité de la commission des lois et prétendent qu'il faut, malgré tout, conserver cet amendement, mais en l'assortissant de tout un arsenal de conditions, ce qui, finalement, nous ramènerait au droit actuel.

Ils veulent appliquer le droit actuel aux étrangers comme aux Français sur notre territoire ; mais c'est déjà la règle dans notre République !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Par conséquent, l'article 16-11 du code civil s'appliquant aux Français et aux étrangers, nul n'est besoin d'introduire, dans un texte sur les étrangers, les tests génétiques d'une façon ou d'une autre, qui plus est concernant les femmes, ce qui entraînerait une discrimination supplémentaire. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Essayez d'être raisonnables et supprimez cette disposition ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Paul Girod.

M. Paul Girod. Ne voulant pas allonger le débat, je me bornerai à présenter deux constatations.

D'une part, introduisons-nous l'ADN dans la filiation ? La réponse est non. En effet, c'est déjà fait, aux termes de l'article 16-11 du code civil. Par conséquent, il n'y a pas de novation philosophique dans le débat qui est en cours.

D'autre part, j'admire le confort intellectuel de quelques-uns de nos collègues qui manipulent un certain nombre de concepts adaptés à la situation française, notamment celui de la possession d'état.

La France est une nation organisée, où l'administration fonctionne bien, où l'état civil existe ; un certain nombre de pays du tiers monde, plus précisément ceux dont est issue l'immigration, sont dans la même situation. Ainsi, ce n'est pas uniquement, me semble-t-il, à cause des traités existant entre nos deux pays que cette mesure ne s'appliquerait pas à l'Algérie. En effet, l'administration et l'état civil y tiennent leur rôle. De ce côté-là, il n'y a donc pas de problèmes.

En revanche, il existe un certain nombre de quasi-États à travers le monde au sein desquels ces notions élémentaires auxquelles nous sommes habitués n'existent pas et où, par conséquent, il n'est ni absolument inutile, ni absolument odieux - c'est même plutôt sympathique - d'offrir une possibilité d'appel à ceux qui sont dans une situation difficile, du fait de l'inexistence de l'état civil et des scrupules, voire de la lourdeur, de notre administration française, parfois exagérément tatillonne.

Pour ma part, j'ai vu dans une telle ouverture une possibilité d'appel offerte à un certain nombre d'immigrés. Étant favorable à la mise en place d'une procédure d'appel lorsque la situation est bloquée, je voterai l'amendement présenté par M. Hyest. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Henri de Richemont.

M. Henri de Richemont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis heureux que la commission des lois ait voté contre l'article 5 bis.

Dans cette enceinte, lorsque j'ai défendu, en tant que rapporteur, la proposition de loi relative au nom patronymique émanant de l'Assemblée nationale, j'avais posé le principe juridique suivant : est père celui qui donne son nom, qui se reconnaît comme père et qui agit en tant que tel, la paternité ne se déterminant pas uniquement en fonction de critères purement biologiques.

M. Robert Badinter. Très bien !

Mme Nicole Bricq. Nous sommes d'accord !

M. Henri de Richemont. C'est la raison pour laquelle je m'oppose à tout principe qui lierait la filiation à de tels critères. Je dois le dire, je me suis retrouvé dans les propos de M. Mermaz. En effet, les étrangers dont nous parlons, notamment africains, sont peut-être les descendants des spahis algériens, des tabors marocains ou des tirailleurs sénégalais, et nul ne sait si le soldat inconnu qui repose sous l'Arc de triomphe est français par le sang reçu ou par le sang versé.

Mme Catherine Tasca. Très bien !

M. Henri de Richemont. Par conséquent, il faut aborder ces questions avec beaucoup de pudeur. À cet égard, les propositions contenues dans plusieurs amendements et sous-amendements me donnent satisfaction.

Mme Catherine Tasca. Cela se gâte !

M. Henri de Richemont. Je félicite notamment M. Fauchon d'avoir suggéré la possibilité d'établir la filiation par la possession d'état. M. Hyest propose, pour sa part, de prendre en considération uniquement le lien entre l'enfant et la mère. Il convient alors d'appliquer les dispositions de l'article 311-1 du code civil, aux termes desquelles la possession d'état s'établit notamment lorsque l'enfant est effectivement traité comme un enfant et qu'il est pourvu à son éducation : en pareil cas, la mère supposée doit être reconnue comme mère.

Finalement, tout cela nous conduit à un concept pour le moins curieux, voire paradoxal : dans la mesure où la possession d'état n'est pas reconnue à une femme qui est supposée ne pas s'être occupée de son enfant et l'avoir abandonné, seule cette dernière aurait le droit de faire appel et de demander un test biologique. Malgré tout, je veux bien admettre que, dans des situations extrêmement marginales, une telle situation puisse se produire.

En outre, le Gouvernement, pardon, je voulais dire M. Hyest (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC), ...

M. Jean-Pierre Sueur. Lapsus révélateur !

M. Henri de Richemont. ... propose la saisine du président du tribunal de grande instance, par le biais d'une procédure respectant un certain parallélisme avec celle qui figure à l'article 16-11 du code civil, lequel prévoit la saisine du tribunal de grande instance uniquement en cas de contestation ou de revendication de paternité, et non pour permettre à une personne d'affirmer sa paternité.

Or, à partir du moment où, dans une situation extrême, un test ADN réalisé dans le cadre des dispositions de l'article 16-11 du code civil s'avère nécessaire pour établir le lien de filiation, si l'on se réfère à la rédaction de l'amendement, il y a tout lieu de croire qu'il suffirait de saisir le président du tribunal de grande instance, compétent en matière de filiation, par voie de requête, mais sans débat contradictoire. C'est la raison pour laquelle j'ai déposé un sous-amendement afin de préciser que c'est au tribunal de grande instance d'être saisi et de se prononcer après débat contradictoire, une fois que toutes les parties auront pu s'exprimer.

Monsieur le ministre, j'espère que vous soutiendrez ma proposition. Certes, choisir, c'est souffrir ! Si votre amendement devait être repoussé,...

M. Jean-Jacques Hyest. Mais c'est le mien ! (Rires.)

Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et du groupe CRC. C'est pareil !

M. Jean-Jacques Hyest. Faisons un test de paternité !

M. Robert Bret. Personne n'est dupe !

M. Henri de Richemont. ... la législation reposerait alors sur le texte de l'Assemblée nationale, qui est un véritable scandale. Dans la rédaction que nous proposons, nous donnons le dernier mot au tribunal de grande instance, gardien de tous nos principes évoqués tout à l'heure : il ne statuera qu'après débat contradictoire, à l'issue d'une procédure permettant à la fois de protéger l'enfant par un conseil et de représenter toutes les parties concernées.

Dans ces conditions, l'apaisement serait général et tout le monde devrait obtenir satisfaction. Je pourrais alors voter ce texte.

M. Josselin de Rohan. Essayez d'être apaisé !

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'ampleur de l'assistance et la qualité des intervenants montrent l'importance du sujet. En matière législative, étant moi-même « une vieille moustache », je tiens à faire remarquer que j'ai rarement vu, depuis vingt-cinq ans, un amendement d'origine parlementaire soulever autant d'émotion et de réactions. Nous allons, dans un instant, le faire passer de vie à trépas, mais, pour le moment, il existe encore !

Je me suis interrogé sur le sens de cet amendement, car personne ne peut croire sérieusement que l'intention de son auteur était de favoriser le regroupement familial ! (Marques d'ironie sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Il est difficile ici de faire preuve d'angélisme, même pour ceux auxquels on prête si souvent une telle attitude.

En effet, il n'existe pas, dans notre droit, de sujets qui suscitent une inquiétude plus vive et plus justifiée que le recours aux tests génétiques. Chacun le sait, ces derniers sont naturellement indispensables dès lors qu'il s'agit de lutter contre le crime ; ils ont permis d'énormes progrès dans l'identification des criminels. Il est donc légitime de poursuivre dans cette voie.

Pour autant, en droit civil, notamment en matière de filiation, le législateur, par la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, dont la révision est prévue en 2009, est parvenu à trouver un équilibre juste et parfaitement satisfaisant. Chacun mesure les dangers du recours aux tests ADN, car, avec une certitude d'environ 99,9 %, ils peuvent faire jaillir une vérité biologique qui n'est pas nécessairement conforme à la réalité affective.

Certes, la filiation biologique existe, mais il y a aujourd'hui, dans notre droit et dans nos moeurs, bien d'autres modes de filiation, qui ne se limitent plus à la vénérable adoption ou à l'insémination artificielle : avec les familles recomposées, les enfants recueillis ou l'homoparentalité, la panoplie est complète !

À mon avis, au xxie siècle, on s'intéressera plus au lien de filiation « affectif », celui qui repose sur l'amour dont la possession d'état n'est que l'expression juridique, qu'au lien génétique direct.

Le recours aux tests ADN s'avérera alors périlleux. Pour la mère, d'abord, dans la mesure où la révélation, car c'est bien de cela qu'il s'agit, après des années de mariage ou de vie commune, que le père légal n'est pas le vrai père va la contraindre à reconnaître ce qu'elle a fait et tu. Pour l'enfant ou pour l'adolescent, surtout, pour qui il n'y pas de coups plus durs que d'apprendre brutalement que sa mère a menti et que son père n'est pas son père.

M. Jacques Mahéas. Bien sûr !

Mme Catherine Procaccia. Ce n'est pas la question !

M. Robert Badinter. Il s'agit non pas de préserver l'équilibre des familles comme on l'entendait au début du xxsiècle, mais de souligner la nécessité d'agir avec une prudence infinie. Et c'est bien pour cette raison que nous sommes parvenus à un tel équilibre.

L'émotion suscitée par cet amendement a une double origine.

Premièrement, on a jeté d'un seul coup par-dessus bord certains principes de notre droit acquis de longue date et reconnus par tous, s'agissant des étrangers demandant un regroupement familial. On les contraint désormais à établir une filiation par des moyens que la loi française interdit.

Reconnaissons-le, il y avait tout de même de quoi susciter une large émotion, bien au-delà des seuls juristes, car les conséquences humaines d'une telle décision sont désastreuses. Je ne parle pas de l'amendement de M. Hyest, droit je salue la virtuosité, et sur lequel nous aurons l'occasion de revenir. Je fais référence au texte élaboré à l'Assemblée nationale, car il faut bien avoir conscience que l'amendement en question a été voté par la majorité de nos collègues députés, avec le soutien de M. le ministre.

M. Charles Revet. Nous sommes au Sénat !

M. Robert Badinter. Deuxièmement, on a créé une inégalité inouïe, justement parce qu'elle est d'ordre financier. À ceux dont les documents d'état civil sont considérés comme sans valeur, notamment les ressortissants de certains pays africains, on impose de régler leur situation en ayant recours à un test ADN, comme cela se pratique chez les Britanniques, mais qu'ils doivent eux-mêmes payer : deux cent cinquante euros par personne, soit mille euros pour une famille de quatre enfants.

Imaginez ce que cela représente pour un Malien d'avoir à avancer une telle somme (Protestations sur les travées de l'UMP),...

M. Brice Hortefeux, ministre. C'est gratuit !

M. Robert Badinter. ... alors même qu'il n'aurait pas la certitude d'être remboursé, puisque les frais ne sont pris en charge qu'après la délivrance du visa, lequel peut être refusé pour bien d'autres raisons que le défaut de filiation.

Autrement dit, la voie est barrée. Il s'agit d'une inégalité flagrante, qui, sur le plan constitutionnel, entraînerait une sanction.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Badinter.

M. Robert Badinter. Monsieur le président, je pense, sans doute de façon immodeste, que mes propos peuvent intéresser nos collègues. Je vous saurais donc gré de m'accorder quelques minutes supplémentaires.

M. le président. C'est ce que pourraient dire tous vos collègues ! Pour ma part, je suis obligé de faire respecter le règlement !

M. Robert Badinter. Monsieur le président, il ne s'agit pas de faire deux poids deux mesures. Je vous ai vu tout à l'heure très ouvert aux propos de mon ami Pierre Fauchon. Je ne demande donc qu'à poursuivre le mien, mais très brièvement, car j'interviendrai de nouveau lors de l'examen de l'amendement de M. Hyest afin d'expliquer les raisons pour lesquelles, malgré les avancées indiscutables qu'il comporte, il ne me satisfait pas.

M. Charles Revet. C'est pour des raisons politiques !

M. Robert Badinter. Il s'agit d'être très précis. Nos collègues députés ont notamment fait l'erreur, à laquelle il n'est pas remédié, de contredire non seulement les principes en matière d'établissement de la filiation, mais aussi, beaucoup plus largement, les principes du droit international français privé.

Il existe en effet des règles de conflits. En l'occurrence, nous sommes en présence non pas de Français, mais d'étrangers, et le code civil est formel : la preuve de la filiation est établie en appliquant les procédés reconnus par la loi nationale du pays de la mère, et non du père, chacun aura compris pourquoi. Nous sommes donc loin des considérations sur la bonne tenue ou non de l'état civil.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous mets au défi de me trouver une disposition précise d'un droit étranger applicable dans un pays où l'état civil ne serait pas suffisamment probant. Bien évidemment, cela concerne certains pays africains et non les États du nord de l'Europe ni le Québec. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Monsieur Badinter, il faut conclure !

M. Robert Badinter. Dans ce cas-là, vous en reviendrez toujours au seul mode de preuve valable : à défaut d'état civil, c'est la possession d'état qui joue, ...

Mme Catherine Procaccia. Cela a été dit cinquante fois !

M. Robert Badinter. ... car elle atteste l'amour et le lien de filiation réel. Nous devons, à la fois, observer les principes de notre droit civil dans ce domaine et respecter les règles de droit international privé que nous nous sommes données. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, pour un rappel au règlement. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.)

Article 5 bis (priorité)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile
Article 5 bis (priorité) (début)

M. Patrice Gélard. Je m'étonne que nous ayons entamé une nouvelle discussion générale, empiétant sur le débat que nous devrions avoir sur chaque amendement.

Chaque orateur évoque, en effet, textes qui n'ont pas été présentés par leurs auteurs. Ce débat est surréaliste et il conviendrait de mieux l'organiser ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous utilisez un subterfuge, monsieur Gélard !

M. le président. Mon cher collègue, je ne peux pas couper la parole à un orateur, quel qu'il soit.

Je dois, en revanche, rappeler que tous les sénateurs sont égaux dans cet hémicycle et que le temps de parole de chaque intervenant est limité à cinq minutes.

M. Charles Pasqua. C'est du pipeau !

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, sur l'article.

Rappel au règlement
Dossier législatif : projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile
Article 5 bis (priorité) (interruption de la discussion)

M. Gérard Delfau. Je souhaite revenir sur l'intervention du président Mercier. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Josselin de Rohan. Il ne faut pas dire les choses deux fois !

M. Gérard Delfau. Restez à la hauteur du débat, mes chers collègues ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

M. Henri de Raincourt. Ne nous donnez pas de leçon !

M. Gérard Delfau. J'ai écouté l'intervention de M. Mercier avec attention, car elle était argumentée et fondée sur une vision du code civil que je n'approuve pas, mais dont je comprends la rationalité. Selon moi, elle repose cependant sur une fausse évidence.

Mon cher collègue, le fond de votre argumentation consiste à dire : faisons en sorte que les étrangers soient encore plus français que les Français. (Nouvelles protestations sur les travées de l'UMP.) À partir de ce postulat, vous proposez de leur appliquer les règles du code civil qui régissent la vie quotidienne de tous nos compatriotes.

Mais il s'agit, avec ce projet de loi, non pas de savoir de quels droits peuvent bénéficier des étrangers devenus français sur notre territoire, mais bien de réduire l'immigration par tous les moyens possibles.

M. Jacques Mahéas. Évidemment !

M. Gérard Delfau. Votre raisonnement étant fondé sur cette base, nous ne pouvons pas vous suivre.

S'agissant, par ailleurs, de l'inscription d'une filiation génétique pour les Français, je suggère à notre commission des lois de travailler à son encadrement le plus rapidement possible. Je rappelle que c'est sur la base de cet article du code civil qu'un juge a décidé d'exhumer le cadavre d'Yves Montand, une personne ayant revendiqué un lien de filiation.

Mme Paulette Brisepierre. Oui, mais c'est une vieille histoire !

M. Henri de Raincourt. C'était une affaire de fric !

M. Gérard Delfau. J'ai eu honte, à l'époque, pour ce juge et j'ai regretté que le Sénat ait laissé passer un tel texte.

En conclusion, je souhaite faire une simple remarque. Mes chers collègues, en vous écoutant soutenir par avance cet amendement « que nous ne connaissons pas », comme le dit notre collègue Gélard, (brouhaha sur les travées de l'UMP) ... Vous ne me troublerez pas, mes chers collègues !

En vous écoutant, donc, j'imaginais un avenir ubuesque, ou kafkaïen, dans lequel des femmes originaires de tel ou tel pays d'Afrique souhaitant bénéficier d'un regroupement familial légitime - c'est un droit sacré, comme l'a rappelé M. Mercier à juste titre ! - devront saisir le juge d'instance de Nantes. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Charles Revet. C'est scandaleux de dire cela !

M. Gérard Delfau. Pour compléter le tableau, un de nos collègues vient de nous expliquer que les deux parties pourront plaider !

Vous rendez-vous compte de ce que nous sommes en train d'imaginer ? Je pense, pour ma part, que nous ne voterons pas cela.

Enfin, mes chers collègues, je vous prie de ne pas vous méprendre pas sur la profondeur du trouble qui a saisi une partie de la nation ! (Nouvelles exclamations sur les travées de l'UMP.) Si, par malheur, le Sénat se laissait aller à commettre une telle erreur, ...

M. Charles Revet. Chacun prend ses responsabilités !

M. Gérard Delfau. ... d'autres débats et d'autres lois viendraient forcément infirmer cette mauvaise décision. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, sur l'article.

Mme Catherine Tasca. Je souhaite vous faire part d'une impression. Cela fait plus d'une heure et demie que nous discutons du même point. Or, plus les interventions sont nombreuses sur les travées de la majorité, plus le débat devient confus. Je vous rappelle que nos concitoyens nous regardent, en direct ou en différé !

Mes chers collègues, vous me faites penser à un animal qui serait pris dans un filet.

M. Charles Revet. Pas du tout !

Mme Catherine Tasca. Plus cet animal bouge, plus le filet s'emmêle et se resserre. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Plus nombreuses sont vos interventions et plus nous avons l'impression que vous cherchez à inventer de nouveaux arguments à l'appui de votre choix. Soyez plus paisibles !

M. Charles Pasqua. Il n'y a que vous qui parlez !

Mme Catherine Tasca. Vous ne nous convaincrez pas de la nécessité du recours aux tests ADN et vous ne parviendrez pas à camoufler la nocivité de cette initiative par rapport à notre droit et à l'image de notre pays dans le monde.

Les mots employés à propos de cette initiative législative, ce matin, par Alfa Oumar Konaré, ancien président du Mali, qui a réussi une très belle transition démocratique dans son pays, devraient tout de même réveiller un certain nombre de réflexes !

Plus vous prenez la parole et plus nous prenons la mesure de votre embarras, de votre impossibilité à justifier véritablement le recours aux tests ADN. Il s'agit d'un choix idéologique : portez-le et n'essayez pas de nous embrouiller ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Josselin de Rohan. Laissez-nous voter ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.)

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Je serai brève, cet article ayant été longuement commenté et discuté sur un plan tant éthique que politique. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Cette disposition a même permis au Gouvernement, par la voix de M. Mariani, d'occulter l'ensemble du projet de loi, ce qui est tout de même dommage.

Pour des raisons diverses, des collègues parlementaires, des représentants d'associations, des scientifiques et des intellectuels se sont soulevés contre ce texte.

Je souhaite revenir sur un point fondamental, qui a été peu traité, sauf par M. Badinter : l'incompatibilité de l'article 5 bis avec les règles du droit international privé.

En droit international privé, pour savoir quelle règle est applicable en matière d'établissement de la filiation, il faut consulter la loi de la nationalité de la mère. Si ce texte dispose que la filiation est établie par reconnaissance ou par adoption, comme c'est le cas en France, seuls ces moyens pourront être reconnus.

En France, le droit familial, en particulier celui de la filiation, n'est pas fondé sur la génétique. (Protestations sur les travées de l'UMP.)