M. Guy Fischer. Bien sûr !

Mme Isabelle Debré. En tant que membre du Conseil supérieur de la participation, je ne peux qu'approuver cette orientation. Je rappellerai en quelques mots dans quel esprit la participation a été instaurée.

La participation est née en 1967 de la volonté du général de Gaulle de pacifier les rapports sociaux dans l'entreprise en associant le « capital » au « travail ». Elle a progressivement fait son chemin pour s'imposer aujourd'hui comme un élément majeur de cohésion dans l'entreprise et de compétitivité économique. C'est pourquoi le concept de participation semble aujourd'hui faire consensus sur l'échiquier politique.

Mme Isabelle Debré. Beaucoup d'entre nous se réjouissent que le Président de la République réaffirme l'ambition gaullienne d'une meilleure répartition des bénéfices des entreprises et s'engage ardemment en faveur de l'accroissement du pouvoir d'achat de nos concitoyens. (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.) N'est-ce pas, cher Alain Gournac ?

M. Thierry Repentin. C'est antinomique !

M. Guy Fischer. Qu'en penserait notre ancien collègue Jean Chérioux !

M. le président. Madame Debré, ne vous laissez pas interrompre !

Mme Isabelle Debré. C'est le débat démocratique !

Permettez-moi cependant, à l'occasion de notre débat, de vous donner mon sentiment sur ce que devrait être l'évolution de ce formidable outil qu'est la participation.

Pour en maintenir l'efficacité, je pense nécessaire de garder à l'esprit trois axes de réflexion.

La participation a été conçue pour s'inscrire dans la durée : les sommes bloquées à ce titre ont vocation à constituer une épargne de long terme.

Le déblocage anticipé doit donc constituer l'exception, relever de règles très précises et ne pas porter atteinte à ce caractère d'investissement.

M. Gérard Longuet. Très bien !

Mme Isabelle Debré. Ouvrir trop largement la porte au remboursement anticipé des sommes bloquées au titre de la participation risquerait aussi de déstabiliser de nombreuses entreprises,...

M. Gérard Longuet. C'est tout le problème !

Mme Isabelle Debré. ...qui ne disposent pas toujours de la trésorerie disponible pour verser ces sommes.

M. Guy Fischer. Pour la plupart !

Mme Isabelle Debré. En tout état de cause, en cas de déblocage exceptionnel, les salariés ne devraient pas bénéficier des avantages liés à la fiscalité particulière du système. En effet, si l'objectif visé est une plus grande liquidité, il est alors préférable de recourir aux mécanismes de l'intéressement, qui permettent le versement immédiat des bénéfices résultant des performances de l'entreprise.

Malgré ces réserves, il convient de reconnaître, monsieur le ministre, que le projet de loi encadre, sur des aspects importants, le dispositif de déblocage des sommes issues de la participation.

M. Thierry Repentin. C'est un texte faible !

Mme Isabelle Debré. Ainsi, lorsque l'investissement a été effectué dans l'entreprise, le texte prévoit, à juste titre, que le déblocage ne puisse intervenir qu'après conclusion d'un accord collectif, afin de préserver et les intérêts de l'entreprise et ceux des salariés.

Par ailleurs, le texte plafonne à 10 000 euros les sommes versées au salarié.

Il est également raisonnable que le plan d'épargne pour la retraite collectif, le PERCO, soit exclu du dispositif de déblocage anticipé puisqu'il s'agit, par définition, d'un outil d'épargne longue.

Je me réjouis que le Gouvernement, souhaitant augmenter le pouvoir d'achat des salariés, ait aussi veillé à fixer des garanties évitant de fragiliser les entreprises.

Je souhaiterais souligner un autre aspect : la participation a une vocation universelle et doit bénéficier à tous les salariés. Il est donc urgent de rechercher comment diffuser plus largement la participation dans les petites entreprises. Je rappelle que la participation n'est obligatoire, à ce jour, que pour les entreprises comptant plus de cinquante salariés ; elle demeure facultative en deçà de ce seuil.

Mme Isabelle Debré. Il nous revient de trouver des moyens incitatifs forts pour amener ces entreprises à mettre en place un système de participation, ne serait-ce que dans un souci d'équité.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Adrien Gouteyron. Il le faut !

Mme Isabelle Debré. Enfin, la participation doit relever de mécanismes simples à comprendre et à mettre en oeuvre.

M. Gérard Longuet. C'est le bon sens !

Mme Isabelle Debré. La participation s'est construite par strates successives et a connu une importante accélération au cours de ces dernières années. De nombreuses lois ont été votées, plaçant la France à l'avant-garde de l'Europe sur ce plan. Mais nous aboutissons à un système complexe qui présente, pour l'observateur non initié, le caractère d'un maquis inextricable et décourage le patron d'une PME et d'une très petite entreprise, une TPE.

Ici comme en d'autres domaines, et ainsi que l'a rappelé le Président de la République, il convient de remédier à l'incroyable complexité des dispositifs : diminuer leur nombre, simplifier leurs mécanismes et s'engager sur une certaine stabilité dans leur durée devraient permettre aux responsables des entreprises de moins de cinquante salariés de s'engager dans cette voie. Nous oublions en effet trop souvent que les TPE et les PME ne disposent généralement pas des structures juridiques des grandes entreprises.

Inscrire notre démarche dans la durée, dans l'équité et la simplicité me semble une des clés de notre réussite collective. Soyons audacieux et profitons de l'élan donné par le Président de la République pour remettre à plat tous les dispositifs qui se sont ajoutés au fil des années : simplifions !

Pour favoriser une culture de l'économie d'entreprise et la constitution d'une épargne à long terme, utile pour l'entreprise comme pour compléter les régimes de retraites, utilisons l'outil de la participation. Pour distribuer plus rapidement une part des bénéfices des entreprises et pour augmenter de façon immédiate le pouvoir d'achat, utilisons l'outil de l'intéressement. Ainsi seront conservées et renforcées les raisons d'être de ces dispositifs. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, durant la campagne pour l'élection présidentielle, Nicolas Sarkozy affirmait que son quinquennat serait celui du retour de la croissance,...

M. Xavier Bertrand, ministre. Oui !

M. Guy Fischer. ...qu'il était prêt « à aller chercher avec les dents ». Ce sont les termes qu'il a employés !

Huit mois se sont écoulés...

M. Ivan Renar. Et il n'a plus de dents !

M. Guy Fischer. ...et le moins que l'on puisse dire, c'est que le compte n'y est pas !

M. Xavier Bertrand, ministre. Huit mois, ce n'est pas cinq ans !

M. Guy Fischer. Je reviendrai tout à l'heure sur le bilan des gouvernements Raffarin et Villepin !

En lieu et place de la croissance, nous avons eu l'inflation. Madame Lagarde a annoncé que la croissance s'établirait autour de 2 %, voire qu'elle serait inférieure à 2 %. Elle fut aussitôt rappelée à l'ordre par MM. Martinon et Sarkozy et corrigea son appréciation à 2,25 %. Vraiment, on se moque du monde !

Quant à l'inflation, nous connaissons le résultat de 2007 : 2,6 %. Elle plombe l'économie de notre pays et pèse considérablement sur la consommation des Français...

M. Xavier Bertrand, ministre. C'est vrai, elle a bondi de 2 % en décembre, merci de le rappeler, monsieur Fischer ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Guy Fischer. ...et leur capacité à consommer.

Cette crise est mondiale, elle est globale même. Aux États-Unis, après avoir subi la crise des subprimes qui s'est conclue par une vague d'expulsions sans précédent, le président George Bush parle aujourd'hui franchement de récession. En Allemagne aussi la crise s'installe et, partout, on entend le même constat : « le pouvoir d'achat dans la zone euro ne s'est accru que de 1,5 % entre 2001 et 2005, soit moins que pour la seule année 2000 ». Ce constat, que vous ne pouvez nier, émane de l'un de vos amis, de l'un de ces penseurs dont le libéralisme se veut l'alpha et l'oméga des politiques économiques des gouvernants, M. Jean-François Jamet, consultant à la Banque mondiale.

L'économie mondiale paye aujourd'hui le prix de la crise américaine due à la spéculation foncière et boursière. Hier, les bourses du monde entier se sont écroulées, le CAC 40 a perdu lundi près de 7 %...

M. Xavier Bertrand, ministre. 6,8 % !

M. Guy Fischer. Pour retrouver une baisse aussi importante, il faut remonter au 11 septembre 2001. C'est dire si la méfiance est grande à l'égard de l'économie et des banques !

Votre gouvernement n'est donc pas le seul responsable, non ! Ceux de MM. Raffarin et Villepin le sont aussi, eux qui n'ont eu de cesse de libéraliser l'économie, de privatiser le secteur public, d'accroître la concurrence entre les salariés et les pays.

M. Alain Gournac. C'est pas beau, ça !

M. Guy Fischer. Depuis plusieurs mois, la situation de la France s'aggrave de jour en jour. Votre gouvernement n'a pas su répondre aux attentes des Français, pire même, les Français craignent de plus en plus pour leur avenir. Et on les comprend ! Je pense, par exemple, aux salariés de l'usine Mittal en Moselle, auxquels on avait promis l'emploi, ou à ceux du fabricant de skis Salomon, qui ont appris du jour au lendemain la fermeture de leurs sites de production. Tous les signaux sont au rouge, mais que fait votre gouvernement ?

Monsieur, madame les ministres, votre gouvernement contraint les retraités à subir une augmentation des pensions parmi les plus faibles de ces dernières décennies : 1,1 % ! De plus, il allègue - c'est vraiment se moquer des retraités ! - la nécessité de récupérer un trop-perçu des années précédentes.

M. Xavier Bertrand, ministre. C'est vous qui dites ça !

M. Guy Fischer. Non, c'est vous qui l'avez dit !

M. Xavier Bertrand, ministre. C'est honteux ! Vous n'avez pas le droit de dire ça aux retraités !

M. Guy Fischer. Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, vous retrouverez plus d'une fois les quatorze millions de retraités en travers de votre chemin !

M. Xavier Bertrand, ministre. Ils savent qu'ils peuvent nous faire confiance !

M. Guy Fischer. Le Gouvernement instaure un nouvel impôt pour les malades en créant les franchises médicales, il privatise le service public de l'emploi et n'oublie surtout pas de multiplier les exonérations de cotisations sociales en contrepartie d'emplois de plus en plus précaires et de plus en plus mal payés.

Mme Annie David. Exactement !

M. Guy Fischer. Si votre gouvernement n'est pas le seul responsable de la conjoncture économique, qui dépend de la conjoncture européenne et mondiale, il en est tout de même un acteur majeur. Votre président se veut un acteur du monde !

M. Ivan Renar. Le bilan est accablant !

M. Guy Fischer. À quelques semaines des élections municipales,...

M. Guy Fischer. ...il fallait faire un geste pour montrer aux Français que vous pensiez à eux. Mais, monsieur ministre, prenez-vous la pleine mesure de la situation ?

À la lecture de votre projet de loi, j'en doute. Que proposez-vous ? Le troc des journées de réduction de temps de travail et des repos compensateurs, mesure soumise au bon vouloir de l'employeur, nullement pérenne puisque limitée au 1er juillet 2008. Mais qu'importe, si cela sert le plan média du président ! Vos collègues de l'Assemblée nationale ont proposé de faire garantir les droits accumulés sur les comptes épargne-temps par l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés, l'AGS, cette structure qui se substitue à l'employeur, lorsqu'il est insolvable, pour le paiement des salaires et des congés payés du salarié.

C'est un beau mécanisme, mais il est dommage qu'il ne soit pas financé ! L'AGS, vous le savez, affronte de grandes difficultés financières, dues en partie à la baisse de 50 % de ses ressources, décidée par votre majorité en 2003. Vous proposez également de convertir en monnaie sonnante et trébuchante les repos compensateurs, qui sont, je vous le rappelle, accordés aux salariés en compensation des heures supplémentaires qu'ils ont effectuées.

Ces mesures suffiront-elles à redonner du pouvoir d'achat aux Français ? J'en doute. Votre majorité n'a pas pris la pleine mesure de la situation. Tout augmente : le forfait hospitalier, les prix du gaz et de l'énergie en général...

M. Xavier Bertrand, ministre. Qui a créé le forfait hospitalier ?

M. Guy Fischer. Jack Ralite. Ce n'est pas ce qu'il a fait de mieux, nous sommes d'accord !

Mme Annie David. Le forfait a été substantiellement augmenté depuis !

M. Guy Fischer. Aucune majorité n'a supprimé ce forfait qui augmente de plus en plus - nous en avons déjà discuté. Chaque fois que nous déposons un amendement de suppression, monsieur le ministre, vous le refusez !

M. Xavier Bertrand, ministre. C'est pour ne pas vous gêner ! (Sourires.)

M. Guy Fischer. Les prix du gaz ont augmenté de 35 % entre 2000 et 2006, alors que Gaz de France annonce en 2007 un chiffre d'affaires en progression de 21 % !

En juin 2007, on annonce la création d'une redevance sur la copie privée ; en juillet, c'est l'augmentation des tarifs de la SNCF, de la RATP, de France Télécom et des honoraires des consultations chez les médecins généralistes ; en août, on continue d'augmenter les tarifs réglementés d'EDF...

Mme Annie David. C'est vrai !

M. Guy Fischer. Je pourrais dérouler la liste des hausses que vous endossez et qui pèsent au quotidien - même si ces sommes peuvent vous paraître insignifiantes - sur la plupart des ménages, notamment ceux qui touchent les minima sociaux. Il faudrait y ajouter toutes les franchises médicales qui représentent un véritable impôt sur la maladie !

Que veulent véritablement nos compatriotes ? Voir augmenter leurs salaires ou leurs retraites ! Or tout augmente, sauf les salaires du secteur privé - pour lequel le Président dit ne rien pouvoir faire - et les traitements des fonctionnaires, dont la hausse - insuffisante - de 0,8 % en 2007 ne compense en rien l'augmentation du coût de la vie.

La mobilisation des fonctionnaires est légitime ! Croyez-moi, monsieur le ministre, la grève de demain sera très importante car, comme vous avez pu le constater, les cheminots, les personnels hospitaliers et toutes les catégories de Français se sentent de plus en plus concernés. Je tiens à affirmer ici le soutien des sénateurs communistes à la réussite de leur manifestation de demain !

Tout augmente, sauf les retraites, les pensions de réversion - que vous rêvez de diminuer - et les prestations familiales... (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Xavier Bertrand, ministre. Nous les avons augmentées !

M. Alain Gournac. Il ne faut tout de même pas pousser, monsieur Fischer ! Trop, c'est trop !

M. le président. Poursuivez, monsieur Fischer.

M. Guy Fischer. S'agissant, par exemple, des prestations familiales, c'est la première fois qu'elles n'augmentent que de 1 %.

M. Nicolas About, rapporteur. Oui, mais les trois années précédentes, cela avait été davantage !

M. Guy Fischer. Le président de la Caisse nationale des allocations familiales a eu l'audace de me poser la question suivante : « Êtes-vous sûr que les Françaises et les Français veulent vraiment des hausses en numéraire ? »... C'est vraiment se moquer du monde !

Les aliments de première nécessité coûtent de plus en plus cher, y compris chez les hard discounters, que M. Beigbeder, auteur d'un rapport remis au Gouvernement le 12 décembre 2007 et intitulé : « Low cost, levier pour le pouvoir d'achat », entend promouvoir.

Ainsi, le coût moyen du panier a progressé de 1,36 %, et l'augmentation des prix ne cesse de s'accélérer. Selon une étude menée par l'association Familles rurales, le prix de la baguette aurait augmenté de 12 centimes d'euro au kilogramme, le prix au kilogramme des pâtes « premier prix », celles qui sont vendues dans les magasins hard discount ou sous les marques des grands distributeurs, aurait progressé de 13,84 centimes, alors que le prix des pâtes de grandes marques aurait crû, quant à lui, de 3,72 %. Vous me direz que je m'éloigne du sujet, mais je suis au coeur des préoccupations des Françaises et des Français.

Cela témoigne d'un fait : les augmentations de prix affectent d'abord les familles les plus modestes, celles qui recourent, pour des raisons de coût, aux marques de distributeurs, sensiblement moins chères que les grandes marques, celles dont les trois quarts du budget sont consacrés aux produits de première nécessité.

Les choses sont claires, monsieur le ministre : ce sont les plus modestes de nos concitoyens qui sont le plus touchés, et la crise qui s'annonce ne va rien arranger. Ce sont près de 430 milliards d'euros qui seraient partis en fumée lundi dernier. Les places boursières européennes ont perdu l'équivalent du budget de la France. Sans être devins ni économistes, nous savons déjà qui paiera les pots cassés : les salariés.

Mme Annie David. Évidemment !

M. Guy Fischer. Cela va conduire, partout, à des vagues de licenciements, et servira d'argument au MEDEF pour justifier sa politique de précarisation et de bas salaires.

Mme Annie David. Absolument !

M. Guy Fischer. Au regard de cette situation, votre mesure de déblocage de l'épargne salariale n'aura que peu d'effet, monsieur le ministre. J'approuve en partie l'analyse de Mme Debré sur ce point.

Mme Isabelle Debré. Une fois n'est pas coutume !

M. Guy Fischer. Débloquer des fonds provenant de l'épargne salariale, ce n'est pas favoriser le pouvoir d'achat, c'est favoriser l'immédiat contre le moyen terme et, nous l'avons vu, c'est davantage encourager les placements bancaires que stimuler la consommation, un tiers seulement de ces sommes étant consommé, le reste alimentant une épargne classique.

Il est pourtant une mesure qui serait à la fois juste socialement et efficace économiquement : abaisser la TVA, sans doute l'impôt le plus injuste qui soit. Malheureusement, votre opposition à des mesures de cet ordre présentées par mes collègues de l'Assemblée nationale ne nous laisse que peu d'espoir quant au sort qui sera réservé à celles que nous défendrons aujourd'hui.

Au-delà, cette situation témoigne de votre absence de volonté. Les beaux discours passés de M. Sarkozy n'y suffisent plus, et le Président de la République l'a bien compris, allant jusqu'à commenter de manière indirecte le texte que nous examinons aujourd'hui en ces termes : « S'agissant du pouvoir d'achat, qu'est-ce que vous attendez de moi ? Que je vide des caisses qui sont déjà vides ? Que je donne des ordres à des entreprises à qui je n'ai pas à donner d'ordres ? » Après avoir lui-même vidé les caisses de l'État et constaté l'insuffisance de sa propre politique, l'inefficacité de son projet de loi, il ne lui reste qu'une seule possibilité : minimiser les effets de celui-ci.

Je m'étonne d'ailleurs du peu d'implication du Premier ministre dans la discussion de ce projet de loi. Elle devrait être la priorité du Gouvernement, et pourtant son chef n'était pas présent lors des débats à l'Assemblée nationale. Je m'étonne encore que la responsabilité du Gouvernement n'ait pas été engagée sur ce projet de loi.

Le mécontentement commence à se faire entendre jusque dans vos rangs, madame, monsieur les ministres, où la présence du Président de la République dans la campagne pour les élections municipales n'est pas souhaitée. Le scoop est tombé ce matin : il ne participera pas à la campagne des élections municipales et cantonales.

M. Nicolas About, rapporteur. Ce qui est local doit rester local !

M. Ivan Renar. Les sondages ne sont pas bons !

M. le président. Je vous en prie, monsieur Renar.

M. Guy Fischer. Nombre des vôtres sont conscients que les promesses non tenues, associées à un train de vie plus digne d'un grand patron que d'un dirigeant politique, choquent les Français. Pas plus tard que le 17 janvier dernier, interrogé par le quotidien La Tribune, le député UMP des Hauts-de-Seine Frédéric Lefebvre, que l'on connaît bien,...

Mme Nicole Bricq. Oui, c'est un brillant sujet !

M. Guy Fischer. ...précisait, à propos de Nicolas Sarkozy et de son action : « Ce n'est pas qu'il n'en fait pas assez, c'est qu'il faut en faire encore plus ! »

Mme Nicole Bricq. Non, arrêtez-le !

M. Guy Fischer. C'est là un amer constat de la part du secrétaire national de l'UMP chargé de l'économie, des finances publiques et des nouvelles technologies !

Il faut dire que votre projet de loi mécontente nombre de vos amis. Il comporte cinq articles, soit exactement deux fois moins que la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat. Certes, on ne juge pas l'efficacité d'un texte au nombre de ses articles, me direz-vous. J'en conviens, mais la différence avec la loi TEPA ne s'arrête pas là, tant s'en faut.

En effet, dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi TEPA, vous avez engagé des dépenses importantes : 15 milliards d'euros ont été dilapidés pour financer des mesures très inefficaces économiquement et injustes socialement !

M. Xavier Bertrand, ministre. Vous direz cela aux salariés modestes qui bénéficient des heures supplémentaires !

M. Guy Fischer. Cet argent a été dilapidé pour instaurer un mécanisme d'accroissement du recours aux heures supplémentaires que tout le monde qualifie aujourd'hui d' « usine à gaz », qui n'a produit, à notre sens, que très peu d'effets et qui n'a pas, cela est clair, relancé l'emploi.

M. Nicolas About, rapporteur. Pour ceux qui y ont gagné, cela a représenté quelque chose !

M. Guy Fischer. Surtout, des milliards d'euros ont été dépensés au profit du patronat sous forme d'exonérations de cotisations sociales supplémentaires.

Pourtant, un rapport commandé par le Gouvernement et remis à la veille de Noël précise, au sujet des masses financières distribuées : « L'évaluation des exemptions d'assiettes est de l'ordre de 41 milliards d'euros en ce qui concerne les revenus d'activité des salariés du régime général. » Nous en avons discuté la nuit dernière !

Quels ont été les effets de cette dépense en termes d'emploi ? Il n'y en a eu aucun ! Il faudra bien, un jour ou l'autre, que nous revenions sur cette politique qui coûte cher à l'État, aux Françaises et aux Français, et qui nous prive d'une importante capacité d'action.

M. Sarkozy a beau jeu de dire que les caisses sont vides, alors que la majorité contribue - j'allais dire quotidiennement - à assécher plus encore les caisses de l'État ou à les priver de ressources nouvelles, pourtant bien nécessaires, qu'aurait pu apporter par exemple une véritable taxation des stock-options.

Il y a donc réellement une différence entre la loi TEPA et le texte que nous étudions aujourd'hui : pour financer les mesures de la loi TEPA, dont seulement une minorité de nos concitoyens a bénéficié, le Gouvernement a mis la main à la poche ; mais quand il s'agit de prendre, sous la pression de nos compatriotes, des mesures qui auraient pu concerner le plus grand nombre, l'État n'y peut plus rien...

Du coup, vous en appelez au bon vouloir des employeurs, à qui vous demandez d'attribuer à leurs salariés une prime de 1000 euros, ou encore, une fois de plus, d'autoriser le déblocage de l'épargne salariale. En un mot, vous en appelez à la bonne volonté des employeurs, comme un Premier ministre passé, M. de Villepin pour ne pas le citer, en appelait au patriotisme économique.

Au final, le Gouvernement ne fera donc aucun geste réel pour favoriser le pouvoir d'achat. Il prendra même, peut-être, s'il décide de suivre les recommandations du rapport Attali, de nouvelles mesures défavorables à ceux qui survivent difficilement, à l'instar de l'instauration de nouvelles franchises médicales.

Il y a cependant, monsieur le ministre, un sujet épineux que le gouvernement auquel vous appartenez, qui se targue de réclamer la fin de tous les tabous, se refuse encore à aborder mais qui est pourtant au coeur de la crise que nous vivons : celui de la répartition des richesses, qui n'avait jamais été aussi inégalitaire qu'aujourd'hui.

J'ai bien entendu les déclarations du Président de la République sur cette question. J'y ai retrouvé des accents faussement gaulliens, mais elles ne comportent rien de concret. Nous le savons pourtant tous : toute la richesse produite - le PIB - se répartit entre la rémunération du travail et celle du capital. Or, depuis vingt ans, la part dédiée à la rémunération du travail, qu'il soit salarié ou indépendant, a considérablement fondu, passant de 67,8 % en 1982 à 59,8 % en 2005. Ce sont donc pas moins de 8 points de PIB qui ont échappé aux salariés ! Et lorsque l'on sait que le PIB s'élève à 1 521 milliards d'euros, on comprend que ces 8 points auraient pesé lourd dans la balance s'ils avaient été affectés à la rémunération du travail, puisque pas moins de 121 milliards d'euros auraient été répartis directement entre les travailleurs. Au lieu de cela, c'est le capital qui a bénéficié de cette somme, et je parle ici, en évoquant le capital, non pas d'amortissements ou d'investissements, mais de la rémunération des actionnaires.

Ces 121 milliards d'euros manquent également à nos systèmes de solidarité, qui sont, précisément, assis sur la masse salariale. Reversée aux salariés, cette somme aurait été mise à contribution pour financer notre protection sociale, qui en a bien besoin, tout comme notre régime de retraite. Au lieu de quoi les actionnaires accumulent des bénéfices qui sont, par la « grâce » des gouvernements successifs soutenus par l'actuelle majorité, de moins en moins taxés. Il est donc possible, pour équilibrer les comptes sociaux, de taxer davantage les entreprises, notamment les plus importantes d'entre elles et celles qui utilisent peu de main-d'oeuvre. Encore faut-il poser la question de la répartition des richesses... Certes, on connaît la règle des trois tiers de M. Dassault !

M. Nicolas About, rapporteur. Eh bien oui, ce n'est pas idiot !

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Fischer.

M. Guy Fischer. J'en termine, monsieur le président.

« La part des profits est inhabituellement élevée à présent, et la part des salaires inhabituellement basse » : cette phrase, d'une extrême vérité, n'a pas été prononcée par des leaders syndicaux ; elle figure en fait dans un texte émanant de la Banque des règlements internationaux. Les propos de M. Alan Greenspan, ancien président de la Réserve fédérale des États-Unis, vont d'ailleurs dans le même sens.

Il faudrait donc agir rapidement sur le seul levier efficace pour relancer le pouvoir d'achat : les salaires et les retraites, qu'il s'agisse du secteur public ou du secteur privé. C'est d'ailleurs ce que dit et demande la majorité des organisations syndicales. Ainsi, dans un communiqué de presse commun, la CGT et la CFDT estiment que le Gouvernement et le patronat n'apportent aucune réponse satisfaisante.

Nous reviendrons plus longuement, au cours du débat, sur les mesures concernant le logement.

En conclusion, j'en appellerai à une augmentation immédiate des salaires, du SMIC horaire, des retraites et des minima sociaux : voilà comment relancer véritablement le pouvoir d'achat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Ivan Renar. Et tous à la manif !

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, pendant les « Trente Glorieuses », on pouvait parler d'harmonie française, car les entreprises et le niveau de vie de nos concitoyens progressaient considérablement de façon concomitante.

Bien sûr, il subsistait des injustices criantes. En 1981, l'objectif prioritaire fut de les gommer, ou tout du moins de les réduire. Si, malgré l'incohérence de nationalisations à contre-courant suivies de privatisations à marche forcée, les entreprises les plus importantes ont continué à se développer, pour ce qui est des salariés l'enfer a été pavé de bonnes intentions.

En effet, on peut aujourd'hui parler de paradoxe français, car la progression du pouvoir d'achat des ménages a été très inférieure au développement des entreprises ; bien plus, l'écart des revenus entre les plus pauvres et les plus riches de nos concitoyens s'est élargi au fil des années, devenant inacceptable. Cela nous amène à nous interroger sur la progression et la répartition du revenu des ménages.

Depuis vingt-cinq ans, la France progresse moins vite que ses concurrents. Elle a besoin d'un « électrochoc » puissant pour sortir de sa torpeur et retrouver la confiance en l'avenir. Non seulement nos voisins européens n'attendront pas que nous ayons achevé nos réformes, mais ils se sont placés depuis longtemps dans une dynamique concurrentielle.

L'exemple de l'Espagne est aveuglant : à son entrée dans la CEE en 1986, nous observions avec une certaine condescendance son sous-développement. En 1995, l'économie espagnole atteignait le niveau de 79 points sur les 100 de la moyenne européenne, quand notre pays dépassait les 110. Depuis cette date, sa croissance a toujours été supérieure d'au moins 1,6 point à la moyenne européenne, dépassant même les 3,4 % chaque année depuis 2004 quand la France s'enfonçait dans la stagnation, avec à peine 1,7 % de croissance en moyenne, reculant petit à petit jusqu'au treizième rang européen en termes de PIB par habitant. Aujourd'hui, le pouvoir d'achat d'un Espagnol a dépassé celui d'un Italien.

Dans ce contexte, l'objectif de José Luis Zapatero de dépasser d'ici à cinq ans le PIB par habitant français est parfaitement réaliste. Et pourtant, en regardant la liste des 500 premières entreprises mondiales, on constate qu'y figurent 38 entreprises françaises, contre 37 allemandes, 33 britanniques et 9 espagnoles. Mieux, 9 entreprises françaises sont classées dans les 100 premières, dont Total qui est à la dixième place, quand l'Espagne n'en classe que trois, la première d'entre elles n'arrivant qu'à la soixante-quinzième place. On ne peut donc remettre en cause le fait que nos grandes entreprises soient puissantes, insérées dans la mondialisation, et même parmi les premières dans certains secteurs. Mais souvent elles délocalisent leurs fournisseurs, licencient et payent des revenus à l'extérieur.

Quelque chose ne fonctionne pas chez nous puisque les très bonnes performances de nos entreprises ne se répercutent pas en termes de progression de pouvoir d'achat pour les salariés français. Il n'existe pas non plus en France le même consensus économique qu'en Espagne, où le clivage politique est essentiellement sociétal et non plus idéologique. Je rappelle que le gouvernement de José Luis Zapatero a renoncé à l'impôt de solidarité sur la fortune. Le contraste entre les projets politiques socialistes français et espagnol est saisissant. (M. Thierry Repentin sourit.)

Cela dit, gardons à l'esprit que le pouvoir d'achat matérialise la répartition de la production nationale. Les salariés français sont d'autant plus frustrés que leur productivité est très satisfaisante, supérieure par exemple de 5 % à celle des États-Unis. Mais on oublie de souligner qu'un Américain travaille pendant son existence 35 % de plus, ce qui est considérable. Il ne s'agit pas de remettre le taylorisme au goût du jour ni de ressusciter Stakhanov, mais de reconnaître qu'il existe un lien évident entre travail et revenu.

L'esprit que traduisent la création en 1981 du ministère du temps libre et la réduction obligatoire du temps de travail à 35 heures va à l'encontre de l'intérêt des salariés et de l'augmentation de leur pouvoir d'achat.

Comment agir alors pour que travail et effort personnel soient justement rétribués ? Comment rééquilibrer rémunération du travail, rémunération du capital et prélèvement de l'État ? Comment mettre fin à l'intolérable situation des 1,3 million d'actifs qui vivent sous le seuil de pauvreté, c'est-à-dire avec moins de 645 euros par mois, et à celle, non moins intolérable, des salariés qui n'ont pas les moyens de se loger ? Comment mettre fin aux trappes à pauvreté qui favorisent les transferts sociaux plutôt que les revenus du travail, problématique sur laquelle Martin Hirsch effectue un travail empreint de générosité, d'équité ainsi que de lucidité et propose des pistes très prometteuses ?

Finalement, pourquoi une telle déperdition de revenus entre la formation de la valeur ajoutée et sa répartition ? Le scandale est non pas de s'enrichir, mais de ne pouvoir vivre de son travail.

La répartition de la richesse nationale s'effectue entre trois catégories d'agents : les ménages, qui sont au coeur de votre projet de loi, les entreprises, qui veulent et doivent valoriser leurs investissements, et l'État, qui absorbe à lui seul 44 % de cette richesse. Ce niveau de prélèvements obligatoires, l'un des plus élevés de l'OCDE, ne serait pas condamnable en soi si l'État français atteignait la même efficacité en termes de redistribution des revenus que ses homologues scandinaves.

M. Xavier Bertrand, ministre. Tout à fait !

M. Aymeri de Montesquiou. Or, c'est loin d'être le cas. Selon la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, la France se caractérise par la « courbe en U » de ses gains de revenus dus aux transferts. Les gains les plus importants concernent les ménages les plus pauvres, mais aussi les ménages les plus aisés. Jusqu'à un niveau égal à 35% du revenu moyen, les ménages bénéficient, grâce aux transferts, d'un surcroît de revenu d'environ 20 %. On retrouve ce gain à partir de 140 % du revenu moyen, soit 2 170 euros par mois.

Il est donc impératif de soulager les classes intermédiaires en réaménageant la fiscalité qu'elles subissent. Elles sont trop riches pour bénéficier de l'aide de l'État, et trop pauvres pour consommer normalement. La baisse des prélèvements au profit de ces catégories stimulera la consommation des ménages et injectera de nouvelles liquidités dans le circuit économique ; celles-ci profiteront aux entreprises, à la croissance et au marché du travail. 

Les premières mesures du Gouvernement ainsi que l'économie de votre projet de loi vont dans ce sens, mais cela n'est pas suffisant. L'État ne peut se contenter de n'assumer que partiellement ses missions, tout en vivant allégrement aux dépens des citoyens. En revanche, diminuer la charge de l'emploi public nous conduirait à développer l'emploi privé. Veillons à ne pas demander aux entreprises qui persistent à vouloir produire en France tout et son contraire : offrir des emplois et combler nos déficits. Rendons la France attractive dans son organisation administrative, fiscale, sociale : c'est à ce prix que l'État s'émancipera de tâches qui ne sont pas les siennes.

L'allégement des prélèvements obligatoires n'est que le corollaire d'une indispensable réorganisation de l'État qui devrait permettre non seulement de moins dépenser, mais de dépenser mieux. À structure constante, la baisse de la ponction de l'État doit mécaniquement augmenter les ressources des ménages et des entreprises.

Nos concitoyens sont inquiets, même si les premières mesures économiques de la législature rencontrent leur approbation.