M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 105 et 274 rectifié.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. En conséquence, l'article 10 bis est supprimé.

Nous en revenons maintenant à l’article 11, dont la discussion a été entamée hier, jeudi 19 juin, avec l’examen en priorité des amendements nos 302 rectifié à 380 rectifié bis.

Article 10 bis
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 12

Article 11 (suite)

L'article 34 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est supprimé ;

2° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Sauf motif déterminant d'intérêt général, la loi ne dispose que pour l'avenir. » ;

3° Dans le cinquième alinéa, après les mots : « l'amnistie ; », sont insérés les mots : « la répartition des contentieux entre les ordres juridictionnels, sous réserve de l'article 66 ; »

4° Après le onzième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales. » ;

5° L'avant-dernier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Des lois de programmation déterminent les objectifs de l'action de l'État.

« Des lois de programmation définissent les orientations pluriannuelles des finances publiques. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques. »

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l’article.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Par cet article, l’Assemblée nationale a jugé bon d’inscrire dans la Constitution le principe de la non-rétroactivité de la loi tout en l’assortissant d’une exception : un « motif déterminant d’intérêt général ».

Pourquoi pas ? L’exception qui est donnée correspond, plus ou moins, à la règle posée par la Cour européenne des droits de l’homme, en ce qui concerne la non-rétroactivité de la loi dans les matières autres que la matière pénale.

Cependant, à y regarder de plus près, il y a des raisons de se demander si cet article, en réalité, ne vise pas à permettre, justement, de contourner la règle de non-rétroactivité de la loi pénale sur le fondement de ce « motif déterminant d’intérêt général ».

En effet, la détermination du Président de la République à contourner ce principe concernant le dispositif de rétention de sûreté nous fait craindre le pire. Nous avons déjà vécu une situation de ce genre voilà peu.

Le premier vice-président de la Cour de cassation, M. Lamanda, a opposé une fin de non-recevoir à la demande du Président de la République qui lui demandait de trouver un moyen de faire appliquer la rétention de sûreté de manière rétroactive.

Il n’existe donc pas de moyen de contourner ce principe, sauf à l’atténuer ou à le supprimer. Quel meilleur moyen d’y parvenir si ce n’est en révisant la Constitution ?

C’est ce à quoi tend cet article : donner au Conseil constitutionnel un motif pour permettre la rétroactivité de la rétention de sûreté, ainsi que la mise en œuvre de tous les dispositifs que le Gouvernement cherchera à créer et dont nous pouvons craindre qu’ils ne soient de plus en plus répressifs.

Il suffira que le Conseil constitutionnel considère que la lutte contre la récidive des criminels les plus dangereux constitue un « motif déterminant d’intérêt général » pour que sa jurisprudence, dans le domaine de la rétroactivité de la loi pénale, vole en éclats.

Nous rendrions certainement service au Conseil constitutionnel en supprimant une disposition en fait très dangereuse.

M. le président. L'amendement n° 187 rectifié bis, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit cet article :

L'article 34 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Art. 34. - La loi est votée par le Parlement. Il ne peut déléguer ce droit. »

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement ne va pas vous plaire, chers collègues de la majorité ! (Exclamations sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Surtout qu’il y en a déjà eu sur ce même thème !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je vais néanmoins exposer le problème, parce qu’il est tout à fait dans la logique de notre conception du pouvoir du Parlement.

Nous déplorons le déséquilibre qui marque la répartition des pouvoirs entre le Président de la République et le Parlement, et, d’une façon générale, entre l’exécutif et le Parlement.

Dans l’article 34 de la Constitution de 1958, il est procédé à une énumération relativement détaillée des matières dont la loi « fixe les règles » ou « détermine les principes fondamentaux ». Ces formules ne sont pas anodines.

Cette disposition est sous-tendue par la conviction que certaines matières doivent être réservées au législateur et que le Parlement ne peut se mêler de tâches incombant à l’exécutif.

Même si la jurisprudence constitutionnelle a su rester attachée à une conception formelle de la loi et a puisé dans d’autres dispositions de la Constitution des chefs de compétence législative, la Constitution prévoit la possibilité pour le Gouvernement de s’opposer à l’intervention du Parlement dans le domaine réglementaire.

L’existence du pouvoir réglementaire autonome, qui vient réduire le champ d’intervention du pouvoir législatif, constitue une atteinte matérielle excessive au domaine d’intervention du législateur.

En ce qui concerne le pouvoir d’exécution des lois tiré de l’article 21 de la Constitution, auquel nous ne sommes pas opposés, je dirai quelques mots.

On entend fréquemment, dans cet hémicycle, le Gouvernement exprimer un avis défavorable sur les amendements parlementaires, au motif qu’il s’agit là de dispositions relevant de l’article 37 de la Constitution.

Or on sait que la précision peut, dans certains cas, changer la nature d’une disposition vague et générale. La multiplication des renvois aux décrets est très préoccupante à cet égard.

Au regard de toutes ces considérations, nous pensons qu’il serait utile de ne pas limiter le domaine d’intervention du législateur et de lui laisser la possibilité de légiférer dans des domaines relevant actuellement de l’article 37 de la Constitution.

Dans sa Contribution à la théorie générale de l’État, Carré de Malberg, que certains ont semble-t-il redécouvert, écrivait : « Il n’y a point de place dans le droit français pour une notion matérielle de la loi envisagée au point de vue de son objet [...] La distinction constitutionnelle de la législation et de l’administration ne se réfère pas à certains objets qui seraient législatifs ou administratifs en soi : elle se réfère uniquement à la différence de puissance des organes ».

Dans ce sens, il est en effet nécessaire de restaurer la primauté de la loi afin de crédibiliser l’idée qui vous est chère de renforcement des droits du Parlement, en supprimant les articles 34 et 37 de la Constitution, lesquels ont consacré la restriction du domaine de la loi au profit du domaine réglementaire. Il va de soi, mais mieux vaut le préciser explicitement, que cela ne remet pas en cause le pouvoir réglementaire dans son rôle d’application de la loi. Et l’on sait qu’il y a déjà beaucoup à faire, au regard du retard pris de manière récurrente dans la publication des décrets d’application !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Madame Borvo Cohen-Seat, avec cet amendement – vous en défendrez un autre du même ordre juste après –, vous empêchez le Parlement de déléguer le droit de voter la loi : il n’y a plus d’article 38. En outre, vous refusez tout partage de compétences : il n’y a donc plus également d’article 37, le domaine de la loi devenant alors universel. Tout cela est contraire aux institutions de la Ve République, que nous n’entendons pas modifier dans ce domaine.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est logique…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Par cet amendement, madame Borvo Cohen-Seat, vous proposez de supprimer une novation et une avancée majeures de la Constitution de 1958, qui est la définition du domaine de la loi.

Cette même année, le Constituant a souhaité délimiter le champ dans lequel doit intervenir le législateur, les autres règles devant être fixées par un règlement autonome.

Le risque n’est donc pas que le champ législatif soit trop restreint, puisque le Conseil constitutionnel a largement défini le domaine réservé au législateur. Si l’irrecevabilité n’est pas soulevée en cours de procédure, le législateur peut parfaitement intervenir dans le domaine réglementaire.

Aujourd’hui, le risque réside plutôt dans le trop grand nombre de lois. Il importe que le législateur se consacre à des questions essentielles : la loi ne doit pas entrer dans des détails inutiles, sinon elle n’a plus d’autorité et n’est plus comprise par nos concitoyens. D’ailleurs, nous le savons très bien, certaines lois ne sont pas appliquées.

C’est pourquoi le Gouvernement souhaite conserver la distinction entre la loi et le règlement opérée par les articles  34 et 37 de la Constitution. Il est donc défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.

M. Michel Charasse. L’amendement que nous propose le groupe communiste républicain et citoyen, avec le domaine de la loi illimité, la suppression des actuels articles 34 et 37 de la Constitution et l’impossibilité de déléguer, c’est tout simplement la IVe République !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est ce qu’ils veulent !

M. Michel Charasse. C’est exactement, à un mot près, la mention qui figurait à l’article 13 de la Constitution de 1946 : « [Il] ne peut déléguer ce droit ».

M. Michel Charasse. Un an après, dès 1947, on inventait les décrets-lois !

Par conséquent, puisqu’il y a toujours besoin de respiration et qu’il faut laisser chacun – exécutif et législatif – exercer les compétences qui sont les siennes, je ne souhaite pas changer le système actuel.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la ministre, vous déplorez, à juste titre, le trop grand nombre de lois. Mais je vous ferai observer qu’en général c’est le Gouvernement qui légifère, pour les raisons que nous connaissons – je ne m’étendrai pas davantage –, sur tout et n’importe quoi !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non, le Gouvernement nous propose de légiférer !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous votons parfois des lois dont nous pourrions très bien nous passer, car les dispositions qu’elles contiennent auraient toute leur place dans des règlements.

M. Michel Charasse. C’est nous qui légiférons. Généralement, on en rajoute !

M. le président. Ce n’est pas le Gouvernement seul qui légifère, ma chère collègue. Il faut tout de même compter avec le Parlement !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je faisais référence aux projets de loi !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 187 rectifié bis.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je dois le dire, je suis quelque peu soulagé, car un vote contraire aurait eu une double conséquence.

D’une part, il aurait modifié les amendements qui ont déjà été adoptés hier soir, ce qui aurait été pour le moins gênant…

M. Michel Charasse. Absolument !

M. le président. D’autre part, même si cela pouvait paraître séduisant, il aurait fait tomber tous les autres amendements ! (Sourires.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est M. Karoutchi qui voulait accélérer le débat !

M. le président. La logique est donc respectée !

L’amendement n° 191, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Supprimer le 1° de cet article.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Comme vous pouvez en juger à cet amendement, monsieur le président, j’avais deviné – je ne sais trop d’où me venait cette intuition - que le Sénat rejetterait le précédent ! (Nouveaux sourires.)

M. Bernard Frimat. L’intuition féminine !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sans doute, mon cher collègue !

L’article 11 a été profondément modifié par l’Assemblée nationale. Il s’agissait simplement au départ d’étendre le champ des lois de programmation prévues par l’article 34 de la Constitution. Les députés ont apporté de nombreuses modifications à ce dernier.

La première, et c’est celle qui nous intéresse ici, concerne la suppression de son premier alinéa, qui, je le rappelle, précise : « La loi est votée par le Parlement ».

Cette suppression a été considérée comme cohérente par le rapporteur de l’Assemblée nationale, à la suite de l’adoption, à l’article 9 du projet de loi constitutionnelle, de la nouvelle rédaction de l’article 24 de la Constitution, laquelle prévoit notamment désormais : « Le Parlement vote la loi et contrôle l’action du Gouvernement ».

Mes chers collègues, étant donné que vous venez de refuser notre précédent amendement, je précise, malgré tout, que l’article 34 représente le noyau initial et principal du domaine législatif, même si ce dernier est considérablement restreint par l’article 37.

Or, si le projet de loi constitutionnelle touche au domaine de la loi, il ne remet pas en cause l’article 37 ; de fait, le domaine réglementaire reste aussi large et toujours aussi peu défini par la Constitution, ce qui permet, nous le disions précédemment, d’opposer à certains amendements l’argument de leur nature réglementaire et non législative.

Par conséquent, nous estimons nécessaire, avec cet amendement, de rappeler à l’article 34 de la Constitution que la loi est votée par le Parlement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Madame Borvo Cohen-Seat, on peut toujours répéter trois fois dans la Constitution que la loi est votée par le Parlement. Cela étant, vous le savez bien, une telle précision figurera à l’article 24 de la Constitution, à la suite de l’adoption de l’article 9 du projet de loi constitutionnelle.

De plus, le domaine de la loi est détaillé à l’article 34 de la Constitution, selon qu’elle « fixe les règles » ou « détermine les principes fondamentaux ». Afin d’éviter une répétition inutile, il est donc préférable de supprimer ladite mention à cet article.

Par conséquent, je vous demanderai de bien vouloir retirer cet amendement. Nous avons volontairement déplacé cette définition dans la Constitution, en inscrivant à l’article 24 : « Le Parlement vote la loi et contrôle l’action du Gouvernement. Il concourt à l’évaluation des politiques publiques. » Ce faisant, la définition est à la fois plus précise et mieux située.

M. le président. Madame Borvo Cohen-Seat, l’amendement n° 191 est-il maintenu ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, je suis bien obligée de le retirer, puisque l’on exclut toute répétition dans la Constitution. Mais je trouve cela pour le moins regrettable.

M. le président. L’amendement n° 191 est retiré.

Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les cinq premiers sont identiques.

L’amendement n° 83 est présenté par MM. Gélard, Portelli et Lecerf.

L’amendement n° 106 est présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois.

L’amendement n° 192 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L’amendement n° 275 rectifié est présenté par MM. Mercier, Détraigne, Amoudry, Badré et Biwer, Mme Dini, M. Fauchon, Mmes Férat, Gourault et Payet, MM. Deneux et Merceron, Mme Morin-Desailly, MM. J.L. Dupont, Dubois, C. Gaudin, Zocchetto, Pozzo di Borgo et les membres du groupe Union centriste-UDF.

L’amendement n° 446 est présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

Ces cinq amendements sont ainsi libellés :

Supprimer le 2° de cet article.

La parole est à M. Hugues Portelli, pour présenter l’amendement n° 83.

M. Hugues Portelli. Il s’agit de supprimer le 2° de l’article 11, de façon à interdire toute forme de rétroactivité de la loi, ce qui, je vous le rappelle, fait l’objet d’une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme. Cela a même valu au Conseil constitutionnel de voir l’une de ses décisions censurées.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 106.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il s’agit d’un amendement important.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission a estimé qu’il serait dangereux d’inscrire à l’article 11 : « Sauf motif déterminant d’intérêt général, la loi ne dispose que pour l’avenir ».

Un tel dispositif pourrait en effet autoriser des atteintes au principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, fondé sur l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le dispositif adopté par l’Assemblée nationale, sous couvert de constitutionnaliser le principe de non-rétroactivité, constitutionnalise également une exception à ce principe.

M. Michel Charasse. Le mieux est l’ennemi du bien !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Or, il convient d’éviter tout conflit possible entre l’article VIII de la Déclaration de 1789 et une telle exception au principe de non-rétroactivité de la loi.

Il apparaît que le juge constitutionnel assure une protection adéquate du principe de non-rétroactivité de la loi, hors champ pénal, bien sûr, en exigeant en particulier un motif d’intérêt général suffisant. Le Conseil constitutionnel effectue en outre un contrôle de proportionnalité entre le motif d’intérêt général et l’atteinte à certains principes, tels que la séparation des pouvoirs ou le droit au recours juridictionnel effectif.

Selon cette jurisprudence, en matière de rétroactivité, seul le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère a valeur constitutionnelle. Il s’applique à toute peine ou sanction ayant le caractère d’une punition. C’est le sens de l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Le principe de non-rétroactivité de la loi pénale d’incrimination plus sévère doit demeurer intangible.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose, au nom de la commission, la suppression du dispositif articulant un principe de non-rétroactivité de la loi et une exception à ce principe.

Une telle position, me semble-t-il, fait l’unanimité au sein de la commission des lois, comme tendent à le démontrer d’ailleurs les nombreux amendements identiques qui ont été déposés, à l’instar de l’amendement n° 83 que M. Portelli vient d’exposer.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 192.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je ne vais pas m’étendre exagérément, mais je souhaite tout de même revenir sur le 2° de l’article 11. Il est en effet pour le moins surprenant que la question de la non-rétroactivité de la loi pénale ait été en quelque sorte éludée à l’Assemblée nationale, alors que c’est à cela que tout le monde pense en lisant cet alinéa.

Pourtant, chacun devrait le savoir, la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère est un principe constitutionnel inscrit à l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Je veux le rappeler, si nous sommes aussi sensibles, en tout cas en ce qui me concerne, c’est qu’il nous a été demandé de déroger à ce principe très récemment, à l’occasion de l’examen de la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

À ce sujet, nous avons eu, ici même, un débat très important : nous avons certes fini par privilégier une certaine prudence, mais cela n’a pas empêché le Sénat d’accepter le texte qui nous était proposé par le Gouvernement. L’une de ses dispositions dérogeait à ce principe de non-rétroactivité de la loi pénale et a donc été censurée par le Conseil constitutionnel.

Le Président de la République a alors tenté une autre voie en chargeant le Premier président de la Cour de cassation de trouver un moyen juridique pour contourner cette décision. Ce dernier ne l’a pas accepté et a proposé d’autres moyens pour se prémunir de la récidive.

Mes chers collègues, au vu de cette expérience récente, il s’agit donc d’un sujet extrêmement sensible. Franchement, il faut véritablement à mes yeux se débarrasser de cet alinéa voté par l’Assemblée nationale.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet, pour présenter l’amendement n° 275 rectifié.

Mme Anne-Marie Payet. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 446.

M. Jean-Pierre Sueur. Bien entendu, je fais mienne l’argumentation qui a été développée par M. Hyest, notamment la référence à l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, lequel précise : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

Nous sommes, nous aussi, très sensibles au contexte qu’ont rappelé Mmes Boumediene-Thiery et Borvo Cohen-Seat, avec cette question de la rétention de sûreté.

Dès lors que le Conseil constitutionnel a jugé que la rétention de sûreté, qui a donné lieu, ici même, à un important débat, ne pouvait être mise en œuvre à titre rétroactif, dès lors que le Président de la République a marqué publiquement son désaccord avec cette position et sa volonté de trouver un moyen pour passer outre, il nous paraît sage de nous en tenir à la tradition juridique qui est celle de notre pays depuis 1789. Cela constitue une garantie pour les citoyens, tout particulièrement s’agissant de la loi pénale.

M. le président. L’amendement n° 41 rectifié, présenté par MM. Cointat et Duvernois et Mme Kammermann, est ainsi libellé :

Au début du second alinéa du 2° de cet article, ajouter les mots :

Sans préjudice de l’article VIII de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789,

La parole est à M. Christian Cointat.

M. Christian Cointat. Monsieur le président, cet amendement, que j’ai déposé avec M. Duvernois et Mme Kammermann et qui se réfère à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, est entièrement satisfait par l’amendement de la commission.

De ce fait, je le retire.

M. le président. L’amendement n° 41 rectifié est retiré.

Quel est l’avis du Gouvernement sur les cinq amendements identiques ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La mention du principe de non-rétroactivité des lois a été insérée à l’article 34 de la Constitution par un amendement de l’Assemblée nationale.

Cet amendement fait peser sur le législateur une contrainte renforcée par rapport à l’état actuel de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Pour celui-ci, en effet, il suffit d’un motif suffisant d’intérêt général pour admettre, sauf en certaines matières, la rétroactivité de la loi. Cet amendement va plus loin en introduisant la notion de « déterminant », un peu plus forte que « suffisant ».

L’introduction de ce principe est conforme à une recommandation du comité Balladur, et le Gouvernement n’en a pas totalement partagé la philosophie.

Nous ne pensons pas qu’il soit porté atteinte au principe de non-rétroactivité des lois pénales et d’application immédiate des lois pénales plus douces. Ce principe trouve évidemment sa source dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Toutefois, les débats de votre commission et les arguments que le rapporteur a invoqués aujourd’hui encore montrent que cette disposition peut susciter des inquiétudes.

La combinaison entre l’article 34 de la Constitution modifié et l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen soulève manifestement des interrogations. Or le Gouvernement ne souhaite pas que notre droit constitutionnel donne lieu à de mauvaises interprétations et paraisse ambigu.

Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse de la Haute Assemblée sur les différents amendements de suppression. Il observe que la suppression pure et simple est préférable au simple rappel, peu compatible avec la solennité et la concision qui sied à un texte constitutionnel.

Il pourrait, en outre, créer des a contrario quant à la combinaison d’autres dispositions de la Constitution. Comme l’a dit Michel Charasse tout à l’heure, le mieux peut être l’ennemi du bien.

M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour explication de vote.

M. Pierre Fauchon. Je trouve très surprenante la rédaction de l’Assemblée nationale. Sans doute est-ce involontaire, mais, tout de même, admettre le principe de rétroactivité, dès lors que des considérations d’intérêt général, déterminantes ou significatives, l’imposent, c’est oublier complètement que le principe de non-rétroactivité est précisément fait pour protéger l’individu contre les pressions qui seraient exercées sur lui au nom de l’intérêt général ! C’est son fondement principal.

Cette rédaction prête le flanc à des interprétations et, éventuellement, à des applications extrêmement déroutantes. C’est tout à fait choquant ! En supprimant ce dispositif, il faut affirmer que nous préférons, sous réserve de textes plus élaborés, en rester à la jurisprudence et à l’état du droit actuels.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Sans lancer un débat de commission, je tiens à rappeler que la rétroactivité peut jouer dans les deux sens et concerner des dispositions favorables au justiciable. Rappelez-vous, par exemple, la proportionnalité en matière fiscale !

La jurisprudence du Conseil constitutionnel est à peu près fixée : ce sont des cas d’espèce. Je crois qu’il faut laisser les choses en l’état et ne pas créer d’ambiguïté avec l’article VIII de la Déclaration. C’est bien ce qu’a dit Mme le garde des sceaux, et je l’en remercie.

Il peut être dangereux de refuser totalement la rétroactivité de certaines lois civiles ou sociales.

Pensez aux lois de validation d’examen, par exemple. On est bien obligé d’en passer par là, quand des médecins sont déjà installés depuis trois ans et que l’on s’aperçoit que leur concours était mauvais !