compte rendu intégral

Présidence de M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Modification de l’ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement demande au Sénat de bien vouloir poursuivre l’examen du projet de loi de modernisation de l’économie, à la suite de l’ordre du jour initialement prévu pour les séances du mardi 8 juillet, le soir, du mercredi 9 juillet, l’après-midi et le soir, et, éventuellement, du jeudi 10 juillet, l’après-midi et le soir.

Il demande par ailleurs que le débat d’orientation budgétaire initialement prévu le mardi 15 juillet au matin ait lieu le mercredi 16 juillet au matin.

Acte est donné de cette communication.

En conséquence, l’ordre du jour des prochaines séances jusqu’au mercredi 16 juillet s’établira comme suit :

Mardi 8 juillet 2008

À 10 heures :

– Dix-sept questions orales ;

À 16 heures :

– Projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l’année 2007 ;

– 11 conventions internationales en la forme simplifiée ;

Le soir :

– Suite du projet de loi de modernisation de l’économie.

Mercredi 9 juillet 2008

À 15 heures et le soir :

– Deuxième lecture du projet de loi relatif aux contrats de partenariat ;

– Suite du projet de loi de modernisation de l’économie.

Jeudi 10 juillet 2008

À 9 heures 30 :

– Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la responsabilité environnementale ;

– Deuxième lecture de la proposition de loi visant à rendre obligatoire l’installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d’habitation ;

Éventuellement à 15 heures et le soir :

– Suite du projet de loi de modernisation de l’économie.

Mardi 15 juillet 2008

À 16 heures et le soir :

– Deuxième lecture du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.

Mercredi 16 juillet 2008

À 10 heures :

– Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat d’orientation budgétaire ;

À 15 heures et le soir :

– Suite de la deuxième lecture du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.

3

Dépôt d’un rapport du Gouvernement

M. le président. M. le Président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 15 de la loi no 2006-1700 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social, le rapport relatif à l’intéressement et la rémunération à la performance dans la fonction publique et dans les entreprises publiques.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis conjointement à la commission des affaires sociales, à la commission des finances et à la commission des lois et sera disponible au bureau de la distribution.

4

Articles additionnels après l'article 21 D (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de l'économie
Division additionnelle avant l'article 21

Modernisation de l'économie

Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence, de modernisation de l’économie (nos 98 et 413).

Dans la suite de la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l’amendement no 266, tendant à insérer une division additionnelle avant l’article 21.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de l'économie
Article additionnel avant l'article 21

Division additionnelle avant l'article 21

M. le président. L'amendement no 266, présenté par Mme Lamure, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Avant l'article 21, insérer une division additionnelle ainsi rédigée :

Chapitre Ier bis

Mettre en œuvre la deuxième étape de la réforme des relations commerciales

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur de la commission spéciale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il s’agit d’un simple amendement de conséquence.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Gouvernement est favorable à cet amendement de coordination.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement no 266.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, une division additionnelle ainsi rédigée est insérée dans le projet de loi, avant l'article 21.

Division additionnelle avant l'article 21
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de l'économie
Article 21

Article additionnel avant l'article 21

M. le président. L'amendement no 547, présenté par M. Fortassin et Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Avant l'article 21, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans le premier alinéa de l'article L. 113-3 du code de la consommation, les mots : « les prix » sont remplacés par les mots : « le prix de vente, ainsi que, dans les réseaux de grande distribution, lorsque cela est possible, sur le prix net moyen versé au producteur par catégorie, qualité et calibre, déduction faite des coûts de conditionnement, les dates de cueillette ou d'abattage pour les produits alimentaires non transformés ».

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Cet amendement est cosigné par M. Fortassin, qui se préoccupe à juste titre des prix moyens versés aux producteurs de fruits et légumes.

Pour répondre aux inquiétudes des producteurs, les pouvoirs publics ont pris au mois d'août 1999 des arrêtés temporaires, d'une validité de un à trois mois, instituant l'étiquetage d'un double prix pour neuf fruits et légumes : à côté du prix payé par le consommateur devait figurer le prix d'achat au producteur. Ce double étiquetage n'a duré que deux mois, le ministre concerné l'ayant ensuite supprimé par décret.

L'amendement no 547, en reprenant le principe du double affichage, a pour objet de donner au consommateur les moyens de vérifier par lui-même les écarts de prix afin d'amener les distributeurs à assumer toute leur responsabilité lorsque ces écarts sont trop importants.

Il vise aussi à permettre de comprendre pourquoi les produits agroalimentaires paraissent en général si peu chers en début de filière et si chers au détail, mais également de contrôler si une marge « juste » aux yeux d'un intermédiaire ne s'obtient pas aux dépens du « juste » prix revendiqué par les producteurs, ou encore de s’assurer que le consommateur, en bout de filière, s'y retrouve grâce à l'ajout de « signes de qualité ».

Enfin, il tend également à garantir une information transparente du consommateur sur la date de cueillette ou d'abattage des produits d'alimentaire, afin d'éclairer son choix.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Le Sénat a déjà été amené à se prononcer à plusieurs reprises sur cette question. Il apparaît que l’amendement serait en réalité assez difficile à mettre en œuvre, et ce pour au moins trois raisons.

D’abord, cet affichage serait très complexe, et il semble que les associations de consommateurs elles-mêmes redoutent que le double ou le triple affichage ne perturbe le consommateur plus qu’il ne l’aide. Ensuite, ce dispositif porte atteinte au secret des affaires, car il instaure une transparence un peu artificielle. Enfin, on ne peut pas vraiment extrapoler à partir de l’exemple de 1999. Il s’agissait cette année-là d’une disposition provisoire, puisqu’elle n’a duré que deux mois, qui visait dans quelques départements des catégories très limitées de produits et dans des conditions très spécifiques car étaient seuls concernés des fruits et légumes non conditionnés, et cela dans un contexte de crise de production très particulière. En réalité, lorsqu’il a été mis fin à cette expérience, le bilan semblait assez peu concluant.

C’est pourquoi la commission vous demande, chère collègue, de bien vouloir retirer votre amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Le Gouvernement est assez réservé sur les doubles étiquetages.

D’abord, si une expérience a bien eu lieu en 1999, comme vous l’avez indiqué, madame le sénateur, elle n’est restée en vigueur que deux mois et a été supprimée en raison des difficultés techniques de sa mise en œuvre.

Ensuite, on se heurte à ce que Mme le rapporteur a appelé le « respect du secret des affaires », qui conduit à ce que le distributeur, parce qu’il est situé au bout de la filière, tout à fait en aval, a beaucoup de mal à connaître le prix de première cession du produit pour en faire l’étiquetage que vous souhaiteriez.

Par ailleurs, et Mme Lamure l’a également souligné, les associations de consommateurs sont assez réservées : elles considèrent que la multiplication des prix affichés, plus que sa simplification, entraîne une complexification du dispositif.

Enfin, dernier élément, l’expérience récente d’analyse des prix et des marges de l’ensemble de la filière poisson que Michel Barnier et moi-même avons menée – nous avons communiqué récemment – montre que la différence entre prix de première cession et prix de revente au consommateur s’explique bien plus par la longueur de la filière que par certaines marges excessives des intermédiaires.

Pour toutes ces raisons, comme Mme le rapporteur, le Gouvernement sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, il y serait défavorable.

M. le président. Madame Goulet, l'amendement no 547 est-il maintenu ?

Mme Nathalie Goulet. Il s’agissait pour nous non pas de mettre en cause le rôle de tel ou tel intermédiaire dans la hausse du prix, mais de rassurer le consommateur et, surtout, de montrer quelque intérêt pour l’autre bout de la filière, pour les producteurs.

Cela étant, monsieur le président, je retire bien sûr cet amendement.

M. le président. L'amendement n° 547 est retiré.

Article additionnel avant l'article 21
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de l'économie
Articles additionnels après l'article 21

Article 21

I. – Les sixième et septième alinéas de l'article L. 441-6 du code de commerce sont ainsi rédigés :

« Les conditions générales de vente peuvent être différenciées selon les catégories d'acheteurs de produits ou de demandeurs de prestation de services. Dans ce cas, l'obligation de communication prescrite au premier alinéa ne porte que sur les conditions générales de vente applicables aux acheteurs de produits ou aux demandeurs de prestation de services d'une même catégorie.

« Tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur peut, en outre, convenir avec un acheteur de produits ou demandeur de prestation de services de conditions particulières de vente qui ne sont pas soumises à l'obligation de communication prescrite au premier alinéa. »

II. – Le I de l'article L. 441-7 du même code est ainsi modifié :

1° A  Dans le 2°, les mots : « aux consommateurs » sont supprimés ;

1° Le 3° est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Les contreparties financières correspondant à ces services figurent sur les factures du fournisseur. » ;

2° Les cinquième et sixième alinéas sont remplacés par trois alinéas ainsi rédigés :

« Cette convention est établie soit dans un document unique, soit dans un ensemble formé par un contrat-cadre annuel et des contrats d'application. S'agissant de la coopération commerciale mentionnée au 2° et des services distincts mentionnés au 3°, elle précise l'objet, la date prévue et les modalités d'exécution de chaque obligation. S'agissant de la coopération commerciale, elle précise, en outre, la rémunération des obligations ainsi que les produits ou services auxquels elles se rapportent.

« Elle indique les obligations auxquelles se sont engagées les parties en vue de fixer le prix convenu à l'issue de la négociation commerciale.

« La convention unique ou le contrat-cadre annuel est conclu avant le 1er mars ou dans les deux mois suivant le point de départ de la période de commercialisation des produits ou des services soumis à un cycle de commercialisation particulier. »

III. – Le deuxième alinéa de l'article L. 441-2-1 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Il indique les avantages tarifaires consentis par le fournisseur au distributeur au regard des engagements de ce dernier. »

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, sur l'article.

Mme Odette Terrade. L’article 21 du projet de loi fait table rase des quelques garde-fous qui subsistaient encore dans le code de commerce pour tenter d’encadrer le grave déséquilibre de la relation commerciale entre fournisseur, centrale d’achat ou distributeur.

L’article L. 441-6 du code de commerce impose deux obligations aux fournisseurs : d’une part, communiquer leurs conditions générales de vente, les CGV, à tout distributeur qui demande à les connaître ; d’autre part, appliquer les mêmes CGV à tous leurs clients d’une même « catégorie ».

Vous reconnaissez dans votre rapport, madame Lamure, l’échec des politiques successives du Gouvernement : « Le projet de loi constate l’échec de ce dispositif, qui, d’une part, n’a pas permis de contrebalancer la faiblesse des fournisseurs face aux distributeurs et, d’autre part, a eu des effets pervers dont, en particulier, le développement très important des marges arrière. Celles-ci constituent assez largement un outil de contournement de la loi et aboutissent en outre à une inflation des prix. »

La logique voudrait donc que, forts de cet enseignement, nous recherchions des solutions efficaces pour lutter contre la dictature du distributeur. Au contraire, l’article 21 se met à leur service pour leur rendre la part plus belle encore.

Mais la consécration dans les relations commerciales de l’opacité ou de la discrimination tarifaire à laquelle procède le projet de loi ne satisfait pas grand monde, et cette récidive du Gouvernement dans la prise de mesures inefficaces aux effets pervers commence même à agacer certains députés de la majorité. L’un d’eux constatait, durant les débats à l’Assemblée nationale : « Les acteurs économiques ne nous demandent pas grand-chose : ils souhaitent des règles compréhensibles et stables. Or je crains qu’avec ce titre II on ne leur apporte ni l’un ni l’autre. »

Les professionnels sont également très inquiets – sauf les grands distributeurs, qui, étonnamment se félicitent du dispositif.

Un nombre important de fournisseurs, dans divers secteurs d’activité, nous ont alertés sur le rôle que jouent les conditions générales de vente. Comment peut-il exister une concurrence libre et non faussée quand il y a, d’un côté, cinq centrales d’achat qui verrouillent le marché et, de l’autre, des dizaines de milliers de petites entreprises dont le sort dépend du bon vouloir des dirigeants, des cadres et des commerciaux de ces centrales ?

Le problème réside dans la concentration et l’existence d’un monopole de fait ; or, que ce soit à l’article 21 ou à l’article 27, vous avez décidé de l’ignorer. Tant que vous persisterez dans cette dénégation, les difficultés que nous évoquons tous les six mois ne sauront être réglées.

Comme mon collègue et ami André Chassaigne le soulignait très justement lors des débats sur la loi Chatel, la liberté que vous prônez, c’est en fait « la liberté du renard libre dans le poulailler libre ».

Pour toutes ces raisons, et parce que les amendements qui ont été déposés nous donnent peu d’espoir que le texte soit amélioré, nous voterons certainement contre cet article. Mais nous participerons très activement à sa discussion !

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Danglot, sur l'article.

M. Jean-Claude Danglot. L’article 21 du projet de loi instaure la libre négociabilité des conditions générales de vente, sans aucune limite, favorisant ainsi les acteurs économiques qui sont déjà en position de force sur le marché. La discrimination tarifaire, qui, jusque-là, était au moins encadrée en raison de la dangerosité des abus en la matière, devient désormais la règle. Le Gouvernement signe ici clairement son soutien aux monopoles privés et cautionne les phénomènes de concentration.

Ainsi, cet article vide totalement de son contenu les conditions générales de vente, cadre certes imparfait mais néanmoins protecteur. Il permet en effet des dérogations sans limite aux conditions générales de vente et la différenciation tarifaire au sein d’une même catégorie d’acheteurs.

Voilà maintenant un certain nombre d’années que la différenciation tarifaire a pris la forme des fameuses « marges arrière », qui depuis longtemps sont non plus la contrepartie d’une quelconque coopération commerciale, mais simplement un moyen pour les distributeurs de contourner le cadre légal de la négociation commerciale en imposant des versements aux fournisseurs.

Cette « fausse coopération » n’a pas cessé d’augmenter. En 2005, les marges arrière constituaient 33,5 % du prix net ; elles se sont encore accrues en 2006, pour atteindre près de 37 % – chiffre énorme qui continue d’augmenter. Très récemment, la Fédération nationale des producteurs de légumes a gagné son procès devant la cour d’appel de Caen face à une grande enseigne de distribution qui imposait de fausses coopérations.

Quand on confie à la grande distribution la mission de faire baisser les prix et d’augmenter le pouvoir d’achat des Français grâce à la dérégulation totale des relations commerciales il ne faut pas s’étonner d’en être réduit à faire de la publicité autour du pouvoir d’achat !

Non seulement le pouvoir d’achat n’augmentera pas, mais, en plus, avec ce que vous appelez « la libre négociation », le rapport de force inégal aura pour effet de pressurer un peu plus les producteurs.

La manœuvre est simple : on transfère la négociation vers l’avant, et on en profite pour la libéraliser afin de permettre aux distributeurs de conserver les marges qu’ils s’octroyaient sur l’arrière. Dans ces conditions, il ne servira pas à grand-chose de faire figurer la coopération en pied de facture, comme le prévoit le texte, car l’ajustement se fera autrement.

Pour nous, la solution est ailleurs. Il faudrait renforcer le socle des conditions générales de vente pour en faire un régime encore plus protecteur. Une négociation devrait donc, d’après nous, être lancée avec tous les protagonistes des différentes filières pour faire évoluer le cadre légal. Il faudrait également supprimer purement et simplement les contreparties financières à la fausse coopération commerciale.

Nous espérons que le Sénat saura se montrer plus sage que l’Assemblée nationale et qu’il ne votera pas un énième texte dont on dira dans quelques mois qu’il constitue un échec. En attendant, les conséquences dramatiques sur nombre de fournisseurs seront là.

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, sur l'article.

M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons la chance de pouvoir profiter de la présence, au banc du Gouvernement, de M. le secrétaire d’État chargé de l’industrie et de la consommation. C’est la réunion, en un même talent, de deux fonctions qui pourraient en apparence être contradictoires.

C’est exactement la façon dont devait être réglé l’article 21 : accepter le conflit, la compétition, la concurrence, et donc la négociabilité qui est au cœur même de l’économie de marché, laquelle est une économie contractuelle où il s’agit d’établir un libre contrat et de faire en sorte que cette négociation aboutisse, par des ajustements innombrables – c’est la main invisible du marché –, à une situation satisfaisante pour le consommateur et pour l’industriel. Et nous avons besoin de prendre les deux en considération.

Le texte antérieur, celui qui fixait le principe d’un tarif de vente, avait l’ambition, somme toute assez naïve, de considérer que l’on pouvait enfermer les relations entre le producteur et le consommateur dans le cadre d’un tarif de catalogue, alors qu’un prix est nécessairement la rencontre de deux demandes différentes : celle de l’industriel et celle du distributeur. Et il n’y a aucune raison de penser que, à court terme, ces intérêts soient solidaires.

D’ailleurs, nous avons connu en France une époque – jusque dans les années soixante-quinze – où l’offre dirigeait la demande et où les industriels imposaient leurs prix. L’ouverture des frontières et l’apparition de nouvelles formes de distribution ont bousculé ce rapport au bénéfice, il est vrai, de la seule distribution, vous le rappeliez à l’instant, cher collègue du groupe communiste républicain et citoyen.

C’est en réalité plus compliqué, car, si l’on observe le rapport de force, on s’aperçoit qu’il y a pour vous, monsieur le secrétaire d’État chargé de l’industrie, deux types de produits industriels et, en qualité d’ancien ministre de l’industrie, c’est le point de vue que je voudrais faire valoir.

Certains industriels ont le bénéfice d’avoir des produits prévendus, c’est-à-dire dont la notoriété est telle que le grand public se porte naturellement acquéreur de ces produits, et les centrales d’achat, aussi puissantes soient-elles, ont l’obligation de les fournir à leurs clients, faute de quoi ces derniers déserteraient leurs gondoles.

Ce rapport de force est bien réel. Dans le domaine de l’alimentaire, quelques grandes centrales – cinq, peut-être sept – dont nous connaissons les noms, réalisent 60 %, voire 70 % de leur chiffre d’affaires avec quelques grands producteurs de taille mondiale. Il existe donc d’un côté des industriels forts avec des distributeurs forts, et je fais confiance aux uns et aux autres pour avoir des relations, comme on dit dans le rugby, loyales mais viriles, c’est-à-dire des affrontements permanents sur des rapports égalitaires.

Telle n’est pas la situation des petits industriels notamment de l’agroalimentaire dont les produits ne bénéficient pas de cette notoriété. À l’occasion de cet article 21, ne nous limitons pas à défendre ces industriels par une impossible protection juridique. Nous tous connaissons ces professionnels de l’industrie agroalimentaire qui ont des produits de terroirs, des produits de signature, des produits de qualité, des produits de tradition. Faites en sorte, monsieur le secrétaire d’État, qu’ils puissent exister plus facilement en dehors de la grande distribution. Il n’y a aucune raison durable et évidente pour qu’un distributeur veuille enrichir l’industriel qui le fournit et dont il assure la distribution. Son objectif est de s’enrichir lui-même, pas son fournisseur.

En revanche, nous pouvons, nous, pouvoirs publics, vous, monsieur Chatel, en tant que secrétaire d’État, aider la valeur ajoutée de l’industriel de faible taille qui ne bénéficie pas de la notoriété. C’est par une politique de valeur ajoutée du produit fabriqué par des petites entreprises que des marges nouvelles sont possibles afin que les grandes centrales se rendent compte de l’évidente nécessité de proposer ces produits à leurs clients dans leurs gondoles, sous peine de perdre des parts de marché. Je vais donc vous citer propositions concrètes.

Naturellement, l’innovation tout d’abord et sa protection. C’est la meilleure façon de créer de la valeur ajoutée ; c’est l’avantage comparatif. Il faut la protéger et vous devez favoriser son développement.

J’évoquerai également la certification, les labels, ou les appellations d’origine contrôlée. Dans le secteur agroalimentaire, à travers la protection de la marque, la protection des origines, des savoir-faire et des procédés traditionnels, vous pouvez favoriser la négociation entre le fournisseur et son distributeur au profit du premier.

Mais il y a une seconde solution, qui est d’ailleurs parfois évoquée avec crainte par certains mais qui est une providence. Monsieur le secrétaire d’État, vous êtes le ministre de tutelle de La Poste, dont nous reparlerons dans le débat à un autre moment, compte tenu de l’actualité.

M. Gérard Longuet. La vente par correspondance, ou VPC, le commerce direct par Internet et l’accès à l’exportation et donc à de nouveaux marchés sont d’autres façons d’échapper à la loi de concentration des hypercentrales.

M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Oui !

M. Gérard Longuet. Monsieur le secrétaire d’État, pour que la palette des produits dont les consommateurs puissent disposer soit la plus large possible, il faut que les industriels plus petits, c’est-à-dire les milliers d’entre eux qui fournissent moins de 30 % à 40 % de ce qui est distribué dans les rayons alimentaires des grandes surfaces, bénéficient d’une politique de soutien à la notoriété de leurs marques, à l’image de leurs produits, à leur existence même. Après tout, Cachou Lajaunie qui me vient à l’esprit, c’est une toute petite entreprise mais dont la notoriété est assurée depuis des décennies.

C’est en favorisant la notoriété du produit que l’on défendra l’industriel, et certainement pas en instaurant une réglementation absolue, qui ne sera jamais contrôlable et qui entraînera, comme nous l’avons vu dans le texte précédent, des effets pervers que nous aurons à combattre en tant que législateur tous les trois ans.

M. Daniel Raoul. Tous les six mois !

M. Gérard Longuet. Ce ne serait pas raisonnable. (Applaudissements sur les travées de lUMP. –  Mme Bariza Khiari et M. Daniel Raoul applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul, sur l'article.

M. Daniel Raoul. Cet article s’inscrit dans la continuité des réformes entreprises depuis 2003 et ayant pour objet, étape après étape, d’aboutir à la négociabilité totale des conditions générales de vente. Il vise à libéraliser complètement et à individualiser les relations commerciales entre distributeurs et fournisseurs.

Autrement dit, en faisant jouer la concurrence – que vous pratiquez comme un dogme –, en pouvant négocier librement des conditions particulières de vente, sans obligation de communication, les grands distributeurs pourront mettre en concurrence les fournisseurs entre eux. Ils tenteront d’obtenir des uns ce que les autres leur auront prétendument consenti. Puisqu’il n’y a pas de communication, le bluff pourra exister dans ce domaine, comme au poker, et il sera possible de faire chanter des petits fournisseurs au détriment des autres.

Cette réforme était réclamée par la grande distribution. D’ailleurs, certains, au lieu de parler de loi « LME » ont parlé de loi « MEL », ou encore de loi « M et L ». En effet, le P-DG de Carrefour ne disait pas autre chose : « Si je pouvais demander une chose au gouvernement Fillon, c’est : laissez-moi faire mon métier de commerçant, négocier avec mes fournisseurs et fixer ma politique de prix ». La grande distribution aura donc été exaucée et, avec cet article, nous allons passer des conditions générales de vente aux conditions générales d’achat, c’est-à-dire des conditions imposées par les distributeurs aux fournisseurs, notamment aux petits fournisseurs.

D’ailleurs, le rapport de la commission spéciale ne dit pas autre chose. En effet, il précise : « L’obligation que les conditions particulières de vente soient justifiées par la spécificité des services rendus disparaît, ce qui est en réalité le point central de l’article 21, puisque désormais il n’y a plus à justifier de l’établissement de conditions particulières de vente. On pourrait alors s’interroger sur la nécessité juridique de maintenir le dispositif de conditions générales de vente. En effet, une interdiction a peu de sens s’il est possible d’y déroger librement et sans justification. »

La seule justification avancée pour le maintien des conditions générales de vente est que celles-ci constitueraient encore « le socle de la négociation commerciale ». Or je prétends, au contraire, qu’avec cette réforme les conditions générales de vente ne peuvent plus demeurer le socle de la négociation commerciale. Ce projet de loi se traduit en effet par la substitution des conditions générales d’achat aux conditions générales de vente. Face à cette libéralisation qui fait sauter les derniers verrous de la loi Galland, le socle de la négociation commerciale ne peut que s’effriter progressivement.

Quelles sont donc les justifications d’une telle politique, qui vise, au final, à renforcer le poids des plus forts ?

En réalité, la loi Galland est devenue, depuis quelques années, un véritable bouc émissaire. Elle est accusée d’être « la loi qui empêche la baisse des prix », et ce d’autant plus que le Gouvernement affichait sa volonté de baisser les prix, prétendant ainsi augmenter le pouvoir d’achat des ménages. Cela reste l’un des objectifs du Gouvernement, au cas où vous l’auriez oublié, monsieur le secrétaire d’État.

S’en remettre à la concurrence, pour faire baisser les prix, c’est le choix du laisser-faire : laisser faire les « lois naturelles » du marché à la place d’une véritable politique de revenus. Ainsi, comme le soulignait le rapporteur à l’Assemblée nationale sur ce projet de loi, « Il n’existe pas de meilleur modèle économique que celui de la concurrence libre et loyale pour servir une société de progrès pour l’homme ». Même Walras, le plus grand théoricien du marché, n’aurait pas osé dire cela. On est là dans la pensée magique.

Que signifie la « concurrence libre et loyale » dans le secteur commercial où dominent cinq, six ou peut-être même sept grosses centrales d’achat, si ce n’est la loi du plus fort ? Ces grands de la distribution ont en face d’eux, certes, quelques gros fournisseurs d’articles prévendus, comme l’a dit notre collègue Gérard Longuet, mais surtout des milliers de petites entreprises. L’accroissement de la concurrence va se faire sentir chez les petits fournisseurs, qui seront pressurés plus encore qu’aujourd’hui !

C’est cela même la libre négociabilité des conditions générales de vente et des prix, monsieur le secrétaire d’État ! Je suis convaincu qu’une telle politique est des plus dangereuses pour notre société.

Cela sert le consommateur, me direz-vous. Où ? À quelle étape de la distribution ? Mais avant d’être consommateur, il faut être producteur de biens ou de services, avoir une activité qui génère des revenus. Or une politique de baisse des prix tous azimuts n’est certainement pas favorable aux salariés, car elle tire l’ensemble des coûts vers le bas. Par ailleurs, sur le plan macroéconomique, comme l’a démontré un rapport, cela peut être désastreux en termes d’emplois.

Prenant l’exemple du grand distributeur mondial Wal-Mart, l’économiste américain Robert Reich, qui fut aussi ancien secrétaire d’État à l’emploi sous la présidence de Bill Clinton, explique ce que signifie la libre négociabilité :

« En sa qualité de plus grande entreprise du monde, Wal-Mart jouit d’un immense pouvoir de négociation » – il n’y a aucun doute sur ce point.

« Nous comptons sur nos fournisseurs pour éliminer les coûts de la chaîne d’approvisionnement », a dit un porte-parole de Wal-Mart. Traduction : nous exigeons de nos fournisseurs qu’ils compriment les salaires et les avantages des millions de personnes qui travaillent pour eux aux États-Unis et à l’étranger. Faute de quoi, nous achèterons nos produits à ceux de leurs concurrents qui le feront. »

Une telle politique de baisse des prix ne remplacera certainement pas une véritable politique de revenus, seule capable d’accroître le pouvoir d’achat des Français.

Le rapport du groupe de travail sur les mécanismes de réduction des prix qui vous a été remis en mars 2008 ne dit pas autre chose : « Réfléchir aux moyens de baisser les prix – ou de contenir leur augmentation – ne doit pas occulter le fait que, sur la longue période, seule l’augmentation des revenus peut conduire à celle du pouvoir d’achat [...]. Cette question de l’augmentation des revenus nous renvoie à la fois à la problématique de la relance de la croissance » – vous connaissez les chiffres du premier semestre 2008 – « et à celle de la répartition des revenus ».

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez là aussi fait un choix : celui du paquet fiscal qui accroît les inégalités – je n’y reviendrai pas, je sais que vous en êtes conscient. Il faut que vous l’assumiez.

Ce qui fait baisser le pouvoir d’achat des Français, ce sont surtout les dépenses contraintes comme le logement, l’énergie et les transports. Ce sont ces dépenses-là qui ont surtout augmenté et rongé le pouvoir d’achat sur fond de stagnation des salaires.

Je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit à attendre de ce côté-là dans les dispositions du titre II.

Quid de la baisse de la TVA sur les produits de première nécessité ?

Pour conclure, je m’appuierai de nouveau sur Robert Reich : « Il y a toujours une règle du jeu précisant ce que l’on a ou non le droit de faire et, dans le cas de l’économie, il appartient à l’État de la définir.