M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Absolument !

M. Jean-Luc Mélenchon. Donc, l’ordre public social républicain repose sur une hiérarchie des normes : primo la loi, secundo la convention collective, qui peut être meilleure que la loi, et tertio l’accord d’entreprise, qui peut être meilleur que la convention collective.

Il n’est pas possible de procéder dans l’autre sens parce qu’on part de l’idée qu’il existe un intérêt général. C’est tellement vrai que les Français, par exemple, font aussi de leur ministre du travail le ministre de la santé au travail car ils considèrent qu’il porte l’intérêt général de la société, ce qui suppose que la société défende un intérêt propre, différent de l’intérêt d’une entreprise en particulier et même de la décision individuelle du travailleur.

Cet intérêt général ne se limite pas seulement au bon fonctionnement de l’entreprise : l’investissement réalisé par la société dans la formation du travailleur, dans l’autorisation d’implanter l’entreprise, dans les moyens mis à sa disposition, tout cela procède de l’intérêt général et donne des droits à la société sur l’entreprise en particulier.

Partir de l’intérêt général, telle est la logique républicaine, et c’est cette logique que nous sommes en train de renverser !

Il y a peut-être là matière à un débat, mais il faut l’assumer. Sinon, on ne comprend pas de quoi l’on parle et nos concitoyens sont frustrés de la noblesse du débat politique qui consiste à confronter des vues différentes. Peut-être sera-t-il avéré, à long terme, que les uns ont raison et les autres tort – j’ai la faiblesse de penser que nous aurons raison sur le long terme. Mais ne fuyons pas ce vrai débat, ne jouons pas la partie absurde que nous voyons jouer dans certains pays anglo-saxons et qui a des répercussions en France, cette fameuse « triangulation » qui consiste à s’attribuer les mots de la partie adverse pour les subvertir, si bien qu’à la fin plus personne ne sait plus de quoi l’on parle ni quels sont les points de vue en présence !

Voilà l’objet du débat : dorénavant, un droit particulier s’inscrira à la place de la loi, qui fixe – on comprend que certains y soient hostiles – pour tout le monde et de la même manière – ce dont nous sommes partisans – les mêmes droits pour tous, étant entendu que la loi fonde sa légitimité dans le fait que, décidée par tous, elle s’applique à tous. Ce droit particulier résultera de la négociation de gré à gré : certains pensent qu’elle est meilleure, d’essence supérieure et plus souple que la loi votée par tous et pour tous ; nous pensons le contraire.

Nous le pensons car les questions qui vont être traitées de gré à gré entre l’employeur et l’employé ne sont pas des questions particulières, elles relèvent de l’intérêt général.

La santé d’un travailleur ne lui appartient pas, elle appartient aussi à la société ! C’est pourquoi on a imposé les cotisations sociales. Au xixe siècle, cotisait qui voulait : de bons patrons, qu’on qualifiait de paternalistes, avaient la vertu d’instaurer des cotisations dans leur entreprise pour que les vieux salariés touchent une retraite. Cela faisait une grande différence : mon arrière-grand-père a travaillé jusqu’à soixante-quinze ans et son patron a bien voulu lui verser une paie pour les huit mois de vie qui lui restaient ! L’existence des cotisations changeait tout, mais c’est le patron qui en décidait.

La loi est venue dire : « Maintenant, content ou pas, tout le monde cotise ! » Un travailleur pourrait prétexter qu’il va très bien, qu’il n’a besoin de rien et qu’il ne voit pas pourquoi il paierait pour les autres – on entend parfois de tels propos – mais la loi lui dit : « Tu le feras quand même, parce que la santé de l’autre t’intéresse, t’implique et te concerne ! Tu n’as pas le droit de ne penser qu’à toi ! » Notez bien que j’engage la querelle contre mon propre camp, de manière à ne pas mettre trop vite sur la table le personnage du patron qui s’en moque et ne s’occupe que de son rendement !

Je ne parle que des travailleurs. Dans leur intérêt, notre intérêt est que la loi fixe la règle. Nous ne sommes pas d’accord pour qu’ils signent à titre individuel des contrats par lesquels ils acceptent de faire de l’opting out, de sortir de la règle générale, de faire des centaines d’heures de travail, de mettre leur vie en péril. Nous ne l’acceptons pas, même s’ils sont d’accord, parce que l’intérêt général est plus fort que l’intérêt particulier ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Xavier Bertrand, ministre. Nous sommes là dans un vrai et beau débat, monsieur Mélenchon.

Disons les choses très clairement : hier, je vous ai dit qu’il n’y avait pas la place, en France, pour le développement de l’individualisation des rapports ou du gré à gré dans le droit du travail, alors que cette tentation existe dans de nombreux pays.

Par rapport à cela, deux attitudes sont possibles. Soit on en reste à une loi qui régit tout et on ne verra pas que l’individualisation peut se développer, soit le rôle de la loi se limite à apporter des garanties générales et les accords collectifs fixent les garanties au plus près du terrain, pour éviter que les salariés ne tombent dans une logique d’individualisation qui, nous le savons bien, ne leur profitera pas.

Le droit du travail a toujours été un droit de rapports de forces, il s’est construit comme cela, vous en connaissez les différentes étapes. Or nous avons besoin, aujourd’hui, d’une nouvelle approche, associant la loi, qui apporte des garanties, et l’accord collectif, que je préférerai toujours à l’accord individuel.

Le débat a eu lieu au niveau européen, au sujet de la modification de la directive 2003/88/CE relative à l’aménagement du temps de travail. Regardons la situation objectivement : nous sommes aujourd’hui dans une situation d’enlisement total – c’est un vrai no man’s land, excusez-moi d’utiliser ce terme ici ! On peut travailler jusqu’à 78 heures hebdomadaires en Europe ! La nouvelle directive fixe la semaine de travail à 48 heures. Mais les pays qui le souhaitent peuvent recourir à la clause d’opting out, ou de non-participation, ce qui n’est pas notre culture.

Je voudrais vous démontrer que la loi, dans les termes de ce projet de loi, demeure la garante de la santé et de la sécurité au travail. Je l’ai dit hier à la tribune : les durées hebdomadaires de travail ne changent pas, la durée sur douze semaines ne change pas, le repos quotidien ne change pas, le repos hebdomadaire ne change pas. Il est important de maintenir ces principes, c’est l’essence même du droit du travail que d’apporter ces garanties.

En revanche – sur ce point, nous ne sommes pas d’accord –, je crois qu’il faut créer de nouveaux espaces de souplesse au plus près du terrain. Parce que je ne veux pas fermer les yeux sur ce qui pourrait se passer, je pense que ce sont les accords collectifs, avec les nouvelles règles de majorité des 30 % et 50 %, qui peuvent nous permettre de moderniser et d’adapter notre droit du travail, en ne rognant rien de ce à quoi nous tenons le plus, mais en permettant d’introduire la souplesse indispensable.

Monsieur Godefroy, lors de mon audition par la commission, vous avez ouvert le débat sur le bon niveau de négociation. Je pense, aujourd’hui, que l’accord d’entreprise doit prendre davantage de place ; vous disiez, quant à vous, qu’il fallait privilégier l’accord de branche. Nous y reviendrons dans le débat, car c’est un vrai débat – je serais même tenté de dire : un beau débat.

Monsieur Mélenchon, je ne voudrais pas vous compromettre, mais un point nous rassemble : je n’aime pas la pensée unique. À force de faire croire que nous serions d’accord sur tout, nous ouvrons des espaces à ceux qui ne croient pas à la même société : je ne veux pas de cela. Il vaut mieux assumer nos divergences et nos différences au grand jour, dans le respect mutuel, comme le dit Alain Gournac, plutôt que de faire croire à un consensus artificiel : la société française n’est pas comme cela.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 76 et 139.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Intitulé du Titre II
Dossier législatif : projet de loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail
Article 16 (début)

Articles additionnels avant l’article 16

M. le président. L’amendement n° 77, présenté par M. Godefroy, Mmes Demontès et Printz, M. Desessard, Mme Jarraud-Vergnolle et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l’article 16, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour des élections des titulaires au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel ou à défaut des délégués du personnel, ou des délégués du personnel dans les entreprises de moins de cinquante salariés, peuvent conclure, à titre expérimental, une convention ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement qui précise l’ensemble des conditions d’accomplissement des heures supplémentaires au-delà du contingent annuel conventionnel d’heures supplémentaires prévu par une convention ou un accord collectif de branche étendu antérieurement à la date du 4 mai 2004, en fonction des conditions économiques dans l’entreprise et dans le respect des dispositions légales et des conditions de travail et de vie privée des salariés.

Les accords d’entreprise ou d’établissement conclus selon les modalités définies à l’alinéa précédent sont soumis à l’évaluation préalable de la commission paritaire nationale de branche avant leur dépôt auprès de l’autorité administrative compétente.

La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. L’objectif de cet amendement est simple, monsieur le ministre, puisqu’il vise à retranscrire fidèlement dans le projet de loi l’article 17 de la position commune. Alors même que les partenaires sociaux ont normalement joué le jeu de la négociation, vous avez décidé de vous affranchir des règles du dialogue social pour imposer votre vision de la question de la durée du travail. Ce n’est pas acceptable.

Lorsque le Gouvernement a invité les partenaires sociaux à négocier sur le temps de travail en plus de la question de la représentativité des syndicats de salariés, les organisations syndicales salariales et patronales ont fortement souligné que les deux sujets n’avaient aucun lien. Elles ont néanmoins accepté d’inscrire, à l’article 17 de la déclaration commune, la possibilité de déroger par accord d’entreprise majoritaire, à titre expérimental, au contingent annuel d’heures supplémentaires. Les syndicats signataires et le MEDEF avaient ainsi déterminé leurs priorités en matière d’aménagement du temps de travail dans l’entreprise. Ce fut là une erreur fatale.

Vous avez décidé de passer outre, au motif que le résultat de la négociation ne correspondait pas à votre attente. Mais alors, à quoi sert de négocier si le résultat est décidé d’avance et si la seule issue possible dépend du bon vouloir du Gouvernement ?

La première victime de votre attitude sera évidemment la négociation sociale. Vous avez tiré toutes vos cartouches, monsieur le ministre, et je crois que les partenaires sociaux auront la mémoire longue. Comment pourront-ils vous faire confiance demain, après un tel coup porté au dialogue ? Les syndicats le sauront désormais : signer un accord sur un sujet soumis à la négociation par le Gouvernement, c’est signer un chèque en blanc, le Gouvernement et l’UMP décidant seuls ensuite du prix à payer par les signataires !

La modernisation de la démocratie sociale exige un climat de confiance entre les organisations syndicales, patronales et le Gouvernement, afin que la transcription dans la loi des accords sociaux soit autant que possible la règle. Mais vous avez choisi de transgresser ce principe, vous nous l’avez expliqué hier, privant de tout sens la parole de l’État. Cela est d’autant moins opportun que nous traversons une période d’incertitude économique forte, reflétée par les chiffres de la croissance, et que nous avons donc besoin de la mobilisation et de la collaboration de tous pour sortir notre pays de l’ornière.

Votre conception du rôle des partenaires sociaux est pour le moins singulière. Au terme d’une négociation de trois mois sur le temps de travail, vous estimez qu’elle a assez duré. En revanche, la négociation sur la pénibilité au travail est enlisée depuis trois ans ; il est vrai que nous avons eu quelques éléments de réponse hier.

Nous vous demandons donc de respecter l’article 17 de la position commune, qui pose deux garde-fous indispensables avec la dimension expérimentale et l’adhésion majoritaire. Tel qu’il est rédigé, cet article permet en effet d’allier la souplesse, que vous vantez tant, avec le respect des grands principes de notre droit – en premier lieu, bien sûr, celui de la hiérarchie des normes – et de préserver l’unité et la cohérence de notre législation sociale.

C’est la raison pour laquelle nous vous demandons, mes chers collègues, de voter cet amendement qui revient au texte initial de la position commune.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Gournac, rapporteur. Mon cher collègue, il est clair que nous ne sommes pas d’accord. J’ai beaucoup de respect pour les propos que vous avez tenus, mais nous ne sommes pas du tout dans la même logique que vous. Je ne dirai pas que nous piétinions, mais l’article 17 ne nous autorisait pas à faire ce que nous avions promis.

La commission est donc défavorable à l’amendement n° 77.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Xavier Bertrand, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable. Je me suis déjà expliqué avec M. Godefroy sur cette question, mais je voudrais y revenir afin d’être très clair.

Disons le franchement, l’article 17 de la position commune n’est pas là par hasard : il conduit à un quasi statu quo. Alors que, dans tout le texte, figurent les taux de 30 % et 50 %, on ne trouve là que le seuil de 50 %. On sait bien ce qui se passe dans ce cas : pas grand-chose ou rien !

Pourquoi la disposition n’est-elle ouverte qu’à titre expérimental et uniquement sur les heures supplémentaires ? L’enjeu est aussi de simplifier. J’assume le choix qui a été fait : nous avons réduit de 73 à 34 le nombre d’articles traitant de la durée du travail. Nous avons pu nous permettre de simplifier, et pas dans n’importe quelles conditions, parce que nous disposons d’une garantie clé dans l’entreprise : l’accord à 30 % et 50 %.

Monsieur Godefroy, nous n’avons pas la même conception de la durée du travail. Si je ne me trompe, vous croyez encore au partage du travail. Mais ce n’est pas ma conception : j’estime que nous ne pouvons pas partager ce qui manque aujourd’hui. (Mme Isabelle Debré fait un signe d’approbation.) Il faut plutôt accroître la quantité de travail dans notre pays et en améliorer la qualité. Travailler plus, oui, mais aussi travailler mieux !

Vous faites un autre choix, mais nous nous en tenons à ce que nous avons dit pendant la campagne présidentielle, qui a été redit par le Président de la République en novembre dernier, et que nous avons écrit en décembre. Nous n’allons pas annoncer aux Français : nous voulions le faire, mais les syndicats n’en ont pas voulu, alors, tant pis pour vous, nous ne tiendrons pas nos engagements. Certainement pas ! Il s’agit d’une question de responsabilité politique.

Nous avons toujours été clairs avec les partenaires sociaux et, je le répète, nous l’avons même écrit dans le texte complémentaire que le Premier ministre a transmis aux partenaires sociaux après la conférence sociale du 19 décembre 2007. Aussitôt, entre Noël et le jour de l’an, les syndicats ont réagi. Ils se plaignaient qu’on ne les laisse pas négocier comme il le fallait et s’étonnaient que le Gouvernement veuille aller jusque-là. Pourtant, j’insiste, c’est ce que nous avons toujours dit ! Je n’ai polémiqué avec personne, et certainement pas avec les partenaires sociaux, ce qui laisserait des traces, car, en tant que ministre du travail, je ne suis pas là pour cela, mais pour réussir des réformes.

Vous m’interrogez sur la façon dont va dorénavant se dérouler le dialogue social. J’ai pris hier la décision d’ouvrir des discussions sur la pénibilité, et j’ai annoncé que j’allais rencontrer les partenaires sociaux sur cette question. Pour ne rien vous cacher, je leur en avais déjà parlé. J’ai en effet revu mes interlocuteurs à différentes reprises pour parler des sujets qui sont sur la table.

Rappelez-vous, en novembre, durant les neuf jours de grève contre la réforme des régimes spéciaux, on entendait dire que, si nous avions cherché le dialogue social sur le service minimum, là nous n’avions rien compris et nous avions « cassé » toute chance de dialogue social en France.

Or, deux mois après, nous sommes parvenus à l’accord du 11 janvier 2008. Le dialogue social est plus important et plus fort que tout. Il n’a pas pour vocation de faire plaisir au Gouvernement ou au ministre du travail, mais il doit permettre de trouver les bonnes solutions pour réformer notre pays en matière économique et sociale. Voilà pourquoi il ne faut pas prendre comme un drame le fait que nous ne soyons pas d’accord sur tout.

Je ne reproche pas aux syndicats d’avoir fait de la réduction du temps de travail une question identitaire. Mais je ne veux pas non plus qu’on nous reproche d’avoir une autre conception du sujet. Je ne confonds pas responsabilité sociale et responsabilité politique, alors acceptez que chacun, le Gouvernement comme les syndicats, prenne ses responsabilités !

Je l’avais annoncé avant même l’accord du 11 janvier, et le Président de la République l’avait dit encore plus clairement ici-même, salle Clemenceau, devant l’Association des journalistes de l’information sociale : si les partenaires sociaux parviennent à un accord, les modalités pouvant être différentes de ce que nous avions prévu, nous le transposons ; s’il n’y a pas d’accord, nous intervenons ; si l’accord est incomplet, nous le complétons.

Nous n’avons pas eu à intervenir en ce qui concerne l’accord du 11 janvier, mais là c’était nécessaire. Certains avaient reconnu que nous pouvions avoir une légitimité à intervenir, mais qu’il ne fallait pas relier les deux textes. Au demeurant, prévoir deux textes au lieu d’un seul n’aurait pas permis une application immédiate du dispositif dès l’entrée en vigueur de la loi sur les contingents d’heures supplémentaires. Nous ne pouvions plus attendre encore six mois, neuf mois, un an, deux ans, pour sortir du carcan des 35 heures. J’assume complètement ce choix devant vous. Est-ce que cela nuit pour autant aux perspectives du dialogue social en France ? Non, parce que le dialogue social n’est pas lié à un seul texte. Sinon, tout aurait été fini avec la réforme des régimes spéciaux.

Nous n’avons pas la même conception, soit ! Mais assumons nos différences ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Puisqu’il s’agit d’un projet de société, nous devrions tout de même pouvoir en débattre !

Vraiment, quel talent, monsieur le ministre ! (Sourires.) Je regrette que vous ne l’employiez pas pour convaincre les autres ministres européens de se rallier aux méthodes du dialogue social. Là, je vous soutiendrais ! Dites-leur qu’au lieu de vouloir faire travailler 72 heures ils feraient mieux de limiter, comme nous, le temps de travail, afin que nous puissions prévoir un corpus européen. Employez plutôt votre talent dans ce sens-là, monsieur le ministre !

Si vous avez préparé cette loi, ce n’est pas simplement parce que vous êtes réactionnaire, mais c’est aussi parce que, et je suis d’accord avec vous, l’Europe a failli à sa mission sociale. Dans ce contexte, il est difficile pour un pays de rester isolé à l’intérieur de l’Union européenne : vous subissez une pression qui vous pousse à casser les acquis sociaux.

Il est plus facile d’accompagner la propension à l’individualisme dans notre société – on ne veut plus payer pour les autres, on veut s’en sortir par soi-même – que de soutenir des combats, des réflexions, des plans collectifs. Mais tout de même, monsieur le ministre, vous accompagnez fortement le mouvement, et avec un talent que j’aurais préféré voir employé ailleurs !

Vous approuvez le libéral Philippe Dominati, mais, dans le même temps, vous dites vouloir préserver les acquis sociaux. Avec vous, on se fait dépecer en douceur ! On perd les acquis sociaux, mais sans s’en apercevoir, toujours réconforté par une voix douce qui nous dit que tout va bien, que rien ne change, et hop ! une petite loi rapide, et clac, clac, clac ! (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC) On attend la prochaine loi, et vous nous dites toujours que tout va bien, mais que vous êtes obligé… Et clac, clac, clac… (Nouveaux rires sur les mêmes travées.)

Mais tout cela aura un coût social. Ce dernier ne se mesurera pas uniquement en nombre de journées de grève – selon moi, les journées de grève, la revendication collective ont des côtés positifs en permettant l’élaboration de réflexions et de projets communs qui aident, tout autant que le travail, la société à se construire –, ce coût se traduira par des dépenses publiques d’assurance maladie, par de l’absentéisme, par un écart croissant des richesses, qui engendrera chez les pauvres le sentiment de ne pas appartenir à la même société que les riches, par l’explosion des quartiers sensibles. N’allez pas croire qu’une telle décision ne s’accompagne pas d’effets secondaires, lesquels seront quasiment impossibles à résoudre !

L’individualisme va aujourd’hui gagner les grands « corps constitués », comme la SNCF, la RATP, EDF, qui jusqu’à présent faisaient preuve de solidarité. Prenez l’exemple des conducteurs de train qui font grève lorsqu’il y a une agression contre un de leurs collègues. Tout le monde les critique, moi le premier, car on se dit que cela ne va pas changer grand-chose. Mais cette grève, c’est l’expression d’un corps qui réagit pour que nous trouvions, ensemble, des solutions !

Un jour viendra où les salariés se diront : je tiens mon petit guichet, tant pis si des gens passent par-dessus le tourniquet ! J’entends du grabuge sur le quai, eh bien, je vais appeler la police plutôt que d’essayer de régler le problème moi-même.

Un jour viendra où l’individualisme imprégnera chaque acte quotidien au travail. Ce qui faisait la force de tous ces services publics, c’était la solidarité : on prenait soin des autres, des clients, des collègues.

Un jour il y aura un individualisme permanent qui conduira chacun à chercher à gagner plus en prenant le minimum de risques et, dans quelques années, il nous faudra gérer cette situation contreproductive.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Godefroy. Il est évident, monsieur le ministre, que les syndicats continueront à dialoguer avec vous, car c’est la nature même du dialogue social ! Il s’agit plutôt de savoir s’ils viendront vous voir pour signer des accords avec la même confiance. L’affaire de la position commune est extrêmement grave, parce qu’elle a porté un coup sévère à la confiance dans la négociation et dans le contrat. Plus grave encore, votre décision a créé une incompréhension au sein du monde syndical et a conduit à des divisions qui risquent de laisser des traces très profondes. Il me semble que cela est tout à fait dommageable et que ce n’était pas la bonne façon d’agir.

Le dialogue social, et à plus forte raison au niveau de l’État, nécessite un minimum de respect des engagements pris. L’expérimentation prévue par l’article 17 n’était pas une mauvaise chose. Si vous saviez le nombre de fois où nous nous sommes entendus dire, par des membres de ce gouvernement ou du précédent, qu’il fallait expérimenter… Et là, tout à coup, on n’avait plus le temps !

Ensuite, le renversement de la hiérarchie des normes auquel vous avez procédé est une erreur ; nous nous en apercevrons très vite. C’est la seule protection pour les salariés, mais aussi et surtout pour les entreprises elles-mêmes, peut-être pas immédiatement, mais à long terme. Renverser cette hiérarchie pourra avoir des conséquences dramatiques pour les entreprises quand la concurrence deviendra plus forte. Ceux qui vont payer les pots cassés, ce sont les salariés, à qui on demandera de se « serrer la ceinture » en termes de salaires et de temps de travail.

Quant au partage du temps de travail, vous le savez bien, monsieur le ministre, les 35 heures sont mortes depuis longtemps, sous le coup de toutes les mesures qui ont été prises depuis plusieurs années.

Si le taux de chômage baisse – plus pour des raisons mécaniques que grâce à l’action du Gouvernement –, la précarité augmente dans notre pays. Avec votre dispositif, les heures supplémentaires moins payées vont se multiplier de façon totalement dérégulée sans que l’on puisse exercer un contrôle par les accords de branches, tout cela au détriment immanquablement des chômeurs – alors qu’on veut les contraindre à trouver un emploi –, des travailleurs à temps partiel ou à durée déterminée et des seniors.

En effet, votre réforme ne peut pas marcher « par les deux bouts » : plus les heures supplémentaires sont libérées, plus celui qui a un emploi pourra travailler et plus vous aggraverez la situation de ceux qui en cherchent.

J’ai entendu bien souvent l’argument selon lequel les employeurs ne veulent pas embaucher et préfèrent recourir aux heures supplémentaires. Assurément, lorsque le carnet de commandes se remplira, les entreprises préféreront votre système d’heures supplémentaires à la création d’emplois. Monsieur le ministre, même si nous avons des divergences, nous nous respectons. Mais permettez-moi de vous dire que, selon nous, cette mesure va à l’encontre du développement de l’emploi.

J’en reviens au dialogue social. Il faut certes écouter les propos qui sont tenus dans cet hémicycle et dans les milieux que nous fréquentons dans le cadre de nos fonctions, mais il faut également tenir compte de ce qui se dit « à la base », même si je n’aime pas beaucoup cette expression. Je peux vous dire que l’échec d’une négociation comme celle-là est très mal perçu par les salariés, par les syndiqués et même par les patrons. Ils ne comprennent pas, surtout les salariés, qu’on puisse se faire ainsi « rouler dans la farine ». Vous portez là encore un coup à la représentation syndicale.

Nous n’avons pas fini de débattre de cette question. Les résultats de ce que vous allez voter et imposer aujourd’hui ne se feront sentir que dans plusieurs années. Nous aurons l’occasion d’en reparler ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour explication de vote.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le ministre, vous avez prétendu, tout à l’heure, que nous partagions la même volonté de nous opposer à l’individualisation des rapports sociaux. Vous reconnaissez donc que cet enjeu se situe au cœur de notre débat, et j’en prends acte.

En effet, c’est bien sûr cette pente de l’individualisation que le monde est en train de glisser.

Sans m’attarder sur cette question, que nous aborderons ultérieurement, j’observe néanmoins que l’article 17 prévoit, même en l’absence d’accord d’entreprise, la possibilité pour le salarié de conclure avec son patron une convention individuelle de forfait, ce qui fait voler en éclat le cadre légal existant.

J’en viens maintenant à la question du dialogue social.

Certes, en toutes circonstances - et j’ai déjà eu l’occasion de défendre pareille position dans cet hémicycle -, la capacité d’action du politique doit rester entière, et ce quel que soit l’accord, parce que les élus politiques et le Gouvernement représentent la société dans son ensemble. Ainsi, il se peut que, parfois, la décision finale s’éloigne des résultats de la concertation menée avec les partenaires sociaux, et le pouvoir politique doit alors assumer ce décalage.

Il convient néanmoins de fixer une règle du jeu suffisamment claire. En l’occurrence, monsieur le ministre, tel n’est pas le cas lorsque vous prétendez appliquer l’accord commun, tout en omettant d’en reprendre certaines parties qui faisaient pourtant pleinement partie de la négociation globale ! Il faut choisir : soit vous vous engagez à appliquer l’accord dans son intégralité, et vous le faites réellement, soit vous ne prenez aucun engagement à l’égard des partenaires sociaux. Mais vous ne pouvez pas faire les deux en même temps !

Je ne sais pas qui nous écoute,…