Mme Nicole Bricq. Je l’évoquerai à la fin de mon propos, monsieur le président, mais, comme vous le savez, chaque orateur ne dispose que de dix minutes !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Hélas oui !

Mme Nicole Bricq. Dans ce contexte, la compression des dépenses, à laquelle tient tant M. le ministre du budget, risque de réduire les opportunités de croissance potentielle et à creuser les inégalités, ce qui me semble grave. Si, comme je l’ai souligné tout à l'heure, les agents privés suivent durablement la même orientation, la réduction de la dépense publique obérera fortement la croissance, et les rentrées fiscales seront encore moindres.

Mme Nicole Bricq. Il nous faut donc réagir autrement que par la voie que vous avez jusqu’à présent empruntée, à savoir celle des plans de soutien par secteur. Outre le fait que tous les secteurs d’activité demandent à bénéficier du même traitement que les banques, pour lesquelles un plan d’urgence a été mis en place, ces plans sectoriels ne suffiront pas.

Nous le savons bien, une relance par l’outil budgétaire se heurte à deux obstacles.

Le premier obstacle, qui n’en est pas vraiment un, est notre déficit. Le déficit de nos finances publiques se situe déjà, pour 2009, au-dessus de 3 %, la Commission européenne estime même qu’il sera de l’ordre de 3,5 %. Par ailleurs, si vous n’agissez pas, vous ne favoriserez pas la croissance, si minime soit-elle, qui est seule susceptible de permettre l’ajustement budgétaire nécessaire à partir de 2010. Vous vous liez donc les mains, y compris eu égard à l’objectif de réduction ultérieure du déficit.

Le second obstacle, d’une nature plus délicate, tient à l’Europe. Il est nécessaire de mettre en place une relance concertée avec nos partenaires européens, particulièrement avec l’Allemagne, réticente jusqu’à maintenant à une politique coopérative. C’est par un entrefilet journalistique citant le ministre de l’économie allemand, M. Michael Glos, que nous avons appris qu’un plan de relance européen à hauteur de 130 milliards d’euros serait en cours de préparation. Quand je vous dis que nous sommes sourds ici à ce qui se passe à l’extérieur…

Il est vrai que la situation de l’Allemagne n’est pas si satisfaisante que cela, ce qui explique sans doute qu’elle soit plus coopérative qu’elle ne l’était auparavant. Si nous n’agissons pas à une hauteur suffisante, nous passerons de la récession à la dépression et à la déflation, le pire des scénarios.

Il s’agit bel et bien d’un choc économique majeur. La crise sociale déjà sensible avant la crise financière risque – je pèse mes mots – de nous exploser à la figure.

Je terminerai mon propos en abordant la question de la fiscalité applicable aux revenus.

Avec ce projet de budget pour 2009, le Gouvernement se contente de continuer sur la lancée des années passées, sans s’interroger sur l’aggravation des inégalités qu’il a creusées. À cet égard, je vous renvoie au « portrait social » annuel tracé par l’INSEE et rendu public le 6 novembre dernier.

L’INSEE confirme que l’impôt sur le revenu ne joue plus suffisamment son rôle redistributif en faveur des plus modestes. Dès lors que le RSA, le revenu de solidarité active, sera généralisé dès 2009, la prime pour l’emploi devra être réorientée vers ceux-là mêmes qui en ont besoin.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Très juste !

Mme Nicole Bricq. On ne peut pas la laisser en jachère !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout à fait !

Mme Nicole Bricq. Toujours selon ce bilan, ce sont les foyers fiscaux les plus aisés, avec 57 500 euros de revenus annuels, qui ont le plus bénéficié de la réforme de l’impôt sur le revenu de 2005. Les 10 % des ménages les plus aisés bénéficient des trois quarts des crédits d’impôt accordés aux ménages employant des personnes à domicile. Or, lors du débat à l'Assemblée nationale, un député UMP – et pas des moindres puisqu’il serait le porte-parole officieux de l’Élysée –, a même fait adopter un amendement, dans la deuxième partie, visant à renforcer ce mécanisme.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Les salariés à domicile ne sont pas des privilégiés !

Mme Nicole Bricq. En tout cas, ce sont les revenus les plus aisés qui en profitent !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Qui font-ils travailler ? Vous ne voyez qu’un versant de la question !

Mme Nicole Bricq. J’espère bien que le Sénat supprimera cet amendement, et, au-delà, il faudra faire en sorte que l’impôt sur le revenu retrouve sa force redistributive.

Nous ne pouvons plus nous contenter de déclarations à la presse émanant de membres éminents de la commission des finances du Sénat…

M. Philippe Marini, rapporteur général. Dont vous êtes !

Mme Nicole Bricq. … sur le bouclier fiscal, l’impôt sur la fortune ou sur le revenu. Nous ne pouvons pas nous contenter d’un groupe de travail sur le revenu fiscal de référence.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Non !

Mme Nicole Bricq. À l'Assemblée nationale, notre collègue Didier Migaud a proposé à la majorité et au Gouvernement de pallier ce problème, mais il n’a pas été écouté.

M. Philippe Marini, rapporteur général. C’est ce qui arrive quand une commission a un président issu de l’opposition !

Mme Nicole Bricq. Nous ne pouvons pas nous contenter non plus de déclarations pusillanimes ni de « mettre de l’humanité dans les comptes », selon la formule élégante que vous avez utilisée tout à l’heure, monsieur le rapporteur général. Il faut agir ici et maintenant ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2009 dont nous entamons aujourd’hui l’examen a une saveur tout à fait particulière pour de multiples raisons liées à la crise financière, qui a touché l’ensemble de nos économies, à l’actualité et à la présentation, hier, du collectif budgétaire, dont on peut penser, comme l’an dernier, qu’il sera la véritable loi de finances. Au fond, ce texte ne présente pas d’innovations fiscales ou budgétaires particulières.

La crise financière américaine qui se transforme désormais en crise économique mondiale a largement pénalisé nos résultats économiques pour l’année 2008. Elle aura un impact majeur sur la croissance pour 2009 et sans doute pour 2010.

Vous avez été bien inspirée, madame la ministre, de réviser, à l’occasion de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012, vos prévisions de croissance et d’inflation pour l’année prochaine. En matière d’évaluation du PIB, le réalisme n’est jamais une mauvaise école. II signifie plus de transparence et, je l’espère, plus de confiance en l’État.

Malheureusement, cela ne suffit pas à améliorer nos performances économiques ni à commencer à résorber le trou de nos finances publiques et de notre endettement. Nous en reparlerons dans quelques jours, mais l’annonce d’un déficit à hauteur de 51,4 milliards d’euros pour l’année 2008, en dérapage de 9,7 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale, soit une augmentation de plus de 23 %, et la prévision déjà trop optimiste d’un déficit à quelque 57,6 milliards d’euros pour 2009 nous montrent à quel point il est nécessaire de procéder à un véritable assainissement de nos finances publiques.

Ce redressement est un vrai défi financier et culturel pour notre pays. La LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, a été nécessaire, mais sa seule existence ne suffit pas à nous rendre vertueux.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ah non ? (Sourires.)

M. Jean-Jacques Jégou. Il faut dépasser le stade des incantations, des louanges, même si elles sont nombreuses. Certes, la LOLF est devenue notre Constitution financière, mais elle n’en reste pas moins un texte qui n’a que les effets que l’on veut bien lui donner ! Et notre volonté politique est loin encore d’avoir fait ses preuves !

En effet, depuis trente ans, la dette publique ne cesse de s’alourdir et les déficits publics de croître. Ce phénomène est profondément injuste à l’égard des générations à venir. C’est une rupture intergénérationnelle que nous creusons, en faisant peser sur nos enfants et nos petits-enfants nos inconséquences actuelles. Vont-ils d’ailleurs se laisser faire ?

Il faut dire en outre que la dette que nous accumulons n’est pas destinée, loin s’en faut, à des investissements d’avenir, tels que l’éducation, l’enseignement supérieur ou la recherche.

Ainsi, en France, sur la période 2002-2007, pour un effort moyen à hauteur de 3,5 % du PIB en faveur de la recherche et développement et de l’enseignement supérieur, nous obtenons un taux de croissance de moins de 1,6 %, alors que, sur la même période, un effort massif à hauteur de 5,3 % du PIB entraîne, en Suède, une croissance de 3,1 %. Comment expliquer le fait que, avec des dépenses publiques à hauteur de 52,5 % de son PIB, la France ne consacre aux politiques d’avenir que 3,5 %, investissements publics et privés confondus ?

L’état de nos finances publiques constitue une situation des plus dangereuses tant les marges de manœuvre et la liberté d’action sont contraintes. On le constate très précisément avec le budget qui nous est présenté.

Avec une marge d’évolution un peu inférieure à 7 milliards d’euros, la totalité de la somme – et même un peu plus – est absorbée par l’aggravation de la charge de la dette de l’État, par l’augmentation des charges des pensions et par l’évolution des prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne ou des collectivités locales. Autant dire que quasiment aucune politique économique préparant l’avenir n’est envisageable. Cette impuissance nous conduit à constater plus qu’à agir, à colmater plus qu’à créer.

Dans ces conditions, que faire d’autre, sinon augmenter les recettes ou diminuer les dépenses ?

La première solution consistant à augmenter les recettes semble inenvisageable tant la pression pesant sur les citoyens et sur les entreprises est déjà importante. Il n’est pas possible d’augmenter nos recettes, sauf à attendre un retour de la croissance économique.

Vous avez décidé, madame la ministre, de ne pas augmenter le taux des prélèvements obligatoires. Je vous comprends, car il est déjà largement trop élevé eu égard à l’histoire de nos finances publiques et comparé à nos partenaires, notamment allemands ou britanniques.

Pour 2007, ce taux s’élève à 43,3 % du PIB, en baisse par rapport à 2006. Les prévisions pour les années à venir laissent à penser qu’il se stabilisera, voire sera en légère diminution suivant les scenari économiques envisagés. Cette stabilisation, qui me semble tout à fait opportune entre, pour le coup, dans le cadre des normes fixées par le projet de loi de programmation.

Outre leur niveau, le second constat que nous pouvons faire sur les prélèvements obligatoires concerne leur structure.

Nous devons souligner, une fois encore, dans l’évolution de ce taux, un phénomène, dont on a d’ailleurs souvent parlé ici, à savoir la combinaison de moins en moins lisible des financements sociaux et fiscaux. Je citerai un exemple chiffré : sur une hausse de près de 7 % du taux de prélèvements obligatoires depuis la fin des années soixante-dix, 6,2 % proviennent de la sécurité sociale. Nous assistons donc à une forte socialisation des besoins de nos concitoyens.

Dans ce contexte, nous ne pouvons que nous féliciter du tassement des taux de prélèvements obligatoires, car les charges croissantes qui résulteront du vieillissement de la population nous obligeront bientôt à dégager encore de nouvelles marges de manœuvre.

La seconde solution consiste à diminuer la dépense publique et à la rendre plus efficace pour nous donner une certaine souplesse d’action.

J’inclus dans la baisse des dépenses les dépenses fiscales qui amputent nos recettes ; nous en débattrons à la fin de ce projet de budget. Je note que nombre d’intervenants, et non des moindres, le président de la commission et le rapporteur général, en ont parlé. Elles constituent, selon la Cour des comptes, 400 dépenses de transfert, dont le coût peut être estimé à 50 milliards d’euros. Que nous rapportent-elles réellement ? Il est grand temps d’en parler pour les évaluer, et sans doute les plafonner, comme vous avez commencé à le faire, madame la ministre, voire en faire disparaître.

Compte tenu de son ampleur, le redressement à effectuer ne peut être obtenu que par une action d’ensemble, pleinement cohérente.

Ce redressement doit engager l’ensemble des acteurs publics, de l’État à la sécurité sociale, en passant par les collectivités locales et les bénéficiaires des niches. Il est nécessaire que chacun se responsabilise et fasse preuve de solidarité. L’État doit être le moteur de cette cause. Lui seul est en effet capable d’assurer cette cohérence et d’avoir une visibilité forte en ce qui concerne la maîtrise des dépenses publiques.

C’est à lui de faire partager cette nécessité à tous ceux qui portent la responsabilité de la situation actuelle, qui met en danger l’avenir de notre pays.

Néanmoins, cet engagement de retour à l’équilibre devrait se faire de manière concertée, à défaut d’être spontané, comme il le serait dans un monde idéal. Il ne peut pas être décidé de façon unilatérale.

Avec un taux de dépenses publiques s’élevant à 52,5 % du PIB et un taux d’emploi de la population en âge de travailler de 63 %seulement, la France dépense sans doute trop pour éviter qu’une partie de sa population ne s’enfonce dans la pauvreté, sans que, pour autant, le financement de l’innovation et la prise de risque soient au centre de notre projet pour l’ensemble du territoire.

Les progrès à réaliser pour faire baisser les dépenses sont énormes. La révision générale des politiques publiques, la fameuse RGPP, engagée en juin 2007 par le Gouvernement pour réaliser des économies budgétaires – priorité clairement affichée –, en est une illustration frappante. Sans vouloir exagérer, je vous le dis, madame la ministre, nous risquons de voir la montagne accoucher d’une souris ; en tout cas la réforme envisagée risque de ne pas être à la hauteur de l’enjeu.

Dans l’esprit de la LOLF, pour apprécier l’efficacité de l’action publique, il faut lui assigner des missions pouvant être évaluées sur la base de critères objectifs. C’est tout le problème des indicateurs de performance et de leurs limites. Les missions dont nous avons le contrôle sont souvent trop générales ou trop vagues pour être correctement évaluées.

Je ne reviendrai pas sur le rôle que pourrait jouer la Cour des comptes à nos côtés. Mais, dans le cadre de la revalorisation du rôle du Parlement, dont nous avons tant débattu, le chapitre du contrôle s’avère, plus que jamais, primordial.

Tout cela nécessite une volonté politique forte et totale. À la lumière de tout ce que je viens de dire et au regard de l’attitude que nous avons adoptée depuis plus de trente ans, on peut se demander si nous la revendiquons réellement.

Nous nous opposons souvent à nos amis allemands dans notre manière d’analyser et de gérer la dette. La puissance publique allemande gère le présent avec rigueur, tout en anticipant l’avenir avec détermination. Contrairement à eux, nous nous cachons toujours derrière de faux arguments pour justifier nos déficits. Or la comparaison des résultats des deux pays est implacable. Nous nous devons d’être transparents vis-à-vis des Français et de leur dire la réalité de la situation. Ils comprendront d’autant mieux le sens de notre action et les lourdes responsabilités qui sont les nôtres. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, on aurait pu croire que les derniers développements de la crise économique auraient conduit le Gouvernement à réviser ses intentions pour ce qui est du projet de loi de finances pour 2009 et à opérer, dès ce budget, des choix proches de ceux qui ont été annoncés avec éclat au terme de la réunion du G 20 à Washington.

Mais, au moment même où ces belles intentions sont affichées, les actes accomplis continuent à labourer le même sillon ultralibéral.

Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les principes qui guident la préparation du budget pour 2009 en France. La tendance lourde aux allégements fiscaux en faveur des entreprises, du capital et de la fortune demeure.

L’heure est encore à la réduction des prélèvements sociaux sur la richesse créée, et ce en faveur des revenus financiers. L’heure est toujours à plus de rationnement de la dépense publique. Quelles sont, en effet, les caractéristiques principales des mesures fiscales du projet de loi de finances pour 2009 ?

Première décision : le bouclier fiscal perdure, au taux de 50 %, au motif qu’il serait « anormal que certains de nos concitoyens travaillent plus d’un jour sur deux pour l’État ». Encore faudrait-il que les revenus en question soient issus du travail. Or, à l’examen des données relatives au bouclier fiscal, il s’avère bel et bien que l’imposition du patrimoine, en l’espèce l’ISF, est à l’origine de l’essentiel des remboursements accordés.

Deuxième décision : l’imposition forfaitaire annuelle, qui est d’ailleurs adossée à l’impôt sur les sociétés, est supprimée. Étalée sur trois ans, par tranches de chiffre d’affaires, cette disparition représentera au final un nouveau cadeau de 1,2 milliard d’euros accordé aux entreprises. Cette mesure entraînera en 2009 une perte de recettes de 336 millions d’euros. Cette somme est à la fois réduite au regard des besoins de financement des entreprises – elle représente 0,02 % du montant de leurs emprunts bancaires –, et importante au regard du déficit de l’État, qui est déjà considérable. Il s’agit donc d’une mesure « gadget », sans réelle portée.

Troisième décision que nous avons choisi de mettre en exergue : feignant de s’attaquer aux niches fiscales, notamment à la réduction d’impôt particulièrement scandaleuse pour les investissements outre-mer, le Gouvernement prend soin de plafonner cette dernière à 40 000 euros par an ou, en cas de montants supérieurs, à 15 % du revenu d’un foyer fiscal.

S’agissant de la limitation de la portée du dispositif dit Malraux relatif aux dépenses de réhabilitation en secteur sauvegardé, les réductions fiscales seront bien plafonnées, mais à 140 000 euros par an.

Enfin, le régime des loueurs en meublés sera réformé, sauf pour les professionnels.

Et comment ne pas noter que, pour quelques mesures de plafonnement à caractère quasi symbolique, de nouvelles niches fiscales apparaissent, comme le prouve l’adoption de l’amendement Lefebvre-Bolloré sur les investissements des particuliers dans les pays en voie de développement !

Quatrième décision : des dispositions comme les prêts à taux zéro ou les réductions d’impôt pour économies d’énergie risquent, au motif d’intégrer le respect des nouvelles normes énergétiques découlant du Grenelle de l’environnement, d’être au final limitées dans leur portée pour les foyers les moins aisés.

Par la grâce de l’instruction sur l’application du crédit d’impôt au titre de l’habitation principale, ce seront ainsi 550 millions d’euros qui ne seront pas remboursés à certains propriétaires modestes !

Certes, la taxe kilométrique due par les poids lourds est généralisée, mais la taxe à l’essieu, en revanche, sera ramenée aux seuils correspondant aux minima communautaires.

Enfin, une évolution de la législation fiscale concernant plus particulièrement l’exercice du contrôle fiscal externe, c'est-à-dire la vérification dans les entreprises, pourrait rapidement se révéler dangereuse pour cette mission. Tirée du rapport de M. Fouquet, rendu le 23 juin 2008 et portant sur la sécurité juridique en matière fiscale, cette proposition participe pleinement du dogme inspirant la révision générale des politiques publiques. Il s’agit de développer la pratique du rescrit fiscal, alors même que le contrôle sur place est le fondement de l’action des services fiscaux et de la qualité de leur travail de contrôle des déclarations.

Évidemment, avec la crise, de nouveaux cadeaux fiscaux apparaissent. Mme Parisot semble avoir donné le la, en rejetant par avance toute mesure de relance du pouvoir d’achat et de la consommation, préférant, une fois encore, les réductions d’impôt. Ce message a été immédiatement entendu puisqu’une nouvelle réduction de la taxe professionnelle a été annoncée par le Président de la République pour tous les investissements réalisés par les entreprises d’octobre 2008 à la fin de l’année 2009.

Cette proposition s’inscrit dans un cadre plus général qui vise à faire disparaître la taxe professionnelle. Il s’agit également de replacer la proposition présidentielle dans la perspective de la réforme des échelons de collectivités locales prévue pour 2010.

Vouloir faire disparaître la taxe professionnelle, essentielle au financement des collectivités locales, engendrerait soit la banqueroute de certaines collectivités, soit la disparition de nombreux services à la population, ce que recèle d’ailleurs le projet de refonte des échelons de collectivités locales, soit des hausses importantes des autres impôts locaux qui sont supportés pour une large part par les ménages, la taxe d’habitation ou la taxe foncière.

Dans une période comme celle que nous traversons, marquée par la crise majeure d’un système totalement tourné vers la rentabilité du capital, il y a sans doute mieux à faire que de supprimer la taxe professionnelle, qui représente, certes à un stade embryonnaire, le fondement d’un impôt sur le capital. L’heure est plutôt à renforcer ce type d’imposition.

L’ensemble de ces mesures fiscales participe de l’économie générale du projet de loi de finances pour 2009, qui, au-delà de la formule consacrée du retour à l’équilibre des finances publiques, poursuit une aggravation du rationnement de la dépense publique, que ce soit au niveau de l’État ou à celui des collectivités locales.

La suppression de 30 000 emplois et une augmentation nulle en volume des dépenses de fonctionnement de l’État, tout comme la limitation de l’augmentation des dotations des collectivités territoriales à 1,1 milliard d’euros, préfigurent des difficultés majeures pour l’ensemble des budgets publics, donc pour les services publics et les administrations.

Le dispositif fiscal retenu va constituer, avec l’ensemble des autres évolutions contenues dans le projet de loi de finances pour 2009, un nouvel encouragement à la dérive financière et, donc, à un enfoncement dans la crise, au lieu de répondre aux exigences de lutte contre les prélèvements financiers.

Quand sont dégagés 360 milliards d’euros pour aider les banques, on ne peut comprendre qu’on ne trouve rien de mieux que les allégements fiscaux de la loi de finances pour 2009, lesquels ne feront qu’aggraver une économie en récession ! Où va-t-on trouver cet argent, sinon en continuant à pressurer les salaires, précariser l’emploi, privatiser la protection sociale et poursuivre l’assèchement de la dépense publique ?

Une véritable réforme de la fiscalité viserait à renforcer les voies et moyens d’un redressement des comptes publics allant de pair avec la relance de l’activité économique.

Depuis bientôt trente ans, avec une accélération au moment de la mise en place de l’Acte unique européen, toutes les réformes conduites en matière de fiscalité et de législation économique ont tendu à réduire les moyens de connaissance, de contrôle et d’imposition dont disposaient les administrations financières.

Deux statistiques suffisent pour s’en convaincre. D’une part, la moitié des échanges internationaux transite par des paradis fiscaux, qui n’engendrent pourtant que 3 % du PIB mondial. D’autre part, les actifs des sociétés offshores représentent quelque 11 000 milliards de dollars, soit 30 % du PIB mondial.

Pour trouver des paradis fiscaux, il n’est pas besoin d’aller très loin, puisque plus d’un tiers d’entre eux sont installés sur le territoire européen.

Prix de transfert, fraude fiscale et sociale, pour lesquels les sociétés de conseils mettent à disposition tout un arsenal de produits de défiscalisation, sont des pratiques courantes qui prennent appui sur les économies des pays en développement et que, en aucun cas, les élites fiscales et économiques de l’establishment, MEDEF en tête, ne souhaitent contrarier.

Suivant le même mouvement, le poids des prélèvements fiscaux sur les entreprises a été considérablement allégé. Je pense notamment à la réduction du taux de l’impôt sur les sociétés ainsi qu’au plafonnement de la taxe professionnelle et à la suppression de sa part salaire. Je pense aussi aux mesures minorant l’imposition des contribuables les plus riches et la fiscalité du capital et de la fortune. Aujourd’hui, plus de 70 % des revenus du capital échappent à toute imposition. L’ISF, après les coups successifs qui lui ont été portés, tout dernièrement par le bouclier fiscal, est réduit à peau de chagrin.

Dans le même temps, la fiscalité locale, particulièrement celle qui pèse sur les ménages – taxe d’habitation, taxe foncière et taxe d’enlèvement des ordures ménagères – et dont le caractère injuste n’est plus à souligner, a tendance à croître de façon exponentielle.

C’est à une mise à plat générale de la structure de la fiscalité et de l’impôt qu’il faut s’atteler, pour reconstruire une cohérence fiscale d’ensemble permettant, certes, de rétablir de la justice, mais aussi d’agir comme levier en jouant un rôle incitatif fort en faveur de la production de richesses réelles et utiles.

Une fiscalité moderne et efficace doit se fixer un double objectif : d’une part, redistribuer les richesses par une nouvelle répartition de la pression fiscale, afin de rééquilibrer le rapport entre la part des prélèvements indirects et proportionnels et celle des prélèvements directs et progressifs, qui prendraient la forme d’un impôt sur le revenu de type universel englobant les revenus du travail, financiers et de la fortune ; d’autre part, mettre en cause les procédés d’évasion fiscale, au titre desquels on trouve un certain nombre de niches fiscales.

Enfin, il faudrait instituer des incitations à la création de richesses utiles, par exemple en modulant le taux de l’impôt sur les sociétés ou en élargissant l’assiette de la taxe professionnelle aux actifs financiers.

Tout cela, mes chers collègues, ne figure aucunement dans le projet de loi de finances pour 2009.

Parce que ce texte ne fera qu’accentuer la crise, nous ne pouvons évidemment que le combattre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Bourdin.

M. Joël Bourdin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, M. le Premier ministre a déclaré, il y a peu : « Il faut passer du monde de l’après-guerre au XXIème siècle. »

Nous y sommes, mes chers collègues ! Nous voici en effet saisis d’un budget qui s’inscrit dans un contexte macro-économique de transition, cette dernière étant aussi forte qu’incertaine quant à son aboutissement.

À ce sujet, je ne vous imposerai pas une énième histoire de la crise qui nous afflige, celle-ci ayant déjà été retracée dans les discours des orateurs ainsi que dans le vôtre, madame la ministre.

Une chose est sûre : la crise est là ! Elle décline ses effets économiques et sociaux ; surtout, elle est dans toutes les têtes, ce qui, au demeurant, est le plus grave. Car l’économie est essentiellement une affaire de confiance ou de défiance. C’est le moral des consommateurs et les anticipations des entrepreneurs qui sont les moteurs de la machinerie économique. Dans ce contexte, le rôle des pouvoirs publics, de l’État souverain, est de donner de l’espoir aux uns et aux autres et, éventuellement, de se substituer provisoirement à eux.

Osons l’affirmer, et en tant que président de la délégation à la planification, je ne me fais pas violence pour le dire : l’État est un acteur à part entière de l’économie. Il doit assurer la permanence de certains services qui n’ont pas véritablement de marché ; il doit pallier les défaillances du marché et faire en sorte que la demande et l’offre globales de biens et de services se rencontrent à un niveau efficient.

Les économies étant des mécanismes complexes, leur fonctionnement peut entraîner certains déséquilibres. Ainsi, toutes les économies peuvent se trouver piégées dans ce qu’on appelle un « équilibre de sous-emploi ». C’est ce qu’a montré, dans un raisonnement rigoureux, John Maynard Keynes voilà maintenant soixante-dix ans. Les éléments de ce schéma d’équilibre de sous-emploi restant présents dans notre économie, les États doivent, encore aujourd’hui, jouer un rôle actif dans la création de la valeur et dans la poursuite du plein-emploi.

Cela ne signifie, en rien, que les règles du marché doivent être abolies : celles-ci sont nécessaires à la rencontre de l’offre et de la demande, nécessaires à l’équilibre des prix, nécessaires à la diffusion du progrès, nécessaires aussi à la diffusion de la productivité. Elles peuvent toutefois se montrer défaillantes, parce que le pouvoir d’achat des demandeurs est insuffisant ou parce que des rigidités se manifestent dans l’offre des entreprises. L’État doit alors intervenir pour remettre l’économie sur les rails de la croissance.

C’est la supériorité de l’analyse keynésienne sur l’analyse classique – ou libérale – que d’attribuer un rôle économique éminent à l’État. C’est le rôle d’un État moderne que de veiller, d’une part, à ce que la consommation ne s’essouffle pas et, d’autre part, à ce que l’investissement ne fléchisse pas. Pour ce faire, la puissance publique dispose de tout un arsenal de moyens et peut opérer par substitution. C’est ainsi, comme vous le savez, mes chers collègues, que Roosevelt a entrepris le New Deal après la crise de vingt-neuf, en lançant notamment toute une série de grands travaux, et c’est ainsi que, dans notre histoire d’après-guerre, quelques gouvernements courageux se sont engagés dans une dépense publique active fondée sur l’investissement.

Quand les masses de l’investissement et de la consommation se mettent à baisser, l’effort de l’État doit augmenter, en compensation. Cela signifie que, lorsque la crise pointe – qu’il s’agisse d’une récession ou, pire, d’une déflation –, l’État doit s’efforcer de développer, ainsi que l’a très bien rappelé M. le rapporteur général, ce qu’il convient d’appeler une action contra-cyclique ou, plutôt, une action contra-récessive. Concrètement, cela signifie que, parfois, l’État doit impérativement faire le contraire de ce que font les autres acteurs économiques.

Juste avant la Seconde Guerre mondiale, nous avons souffert d’un épisode désastreux de déflation, entretenu par une politique déflationniste. La consommation et l’investissement diminuaient, pour des raisons liées aux taux de change et, de son côté, la dépense publique baissait dans les mêmes proportions que les recettes publiques. Au final, l’économie sombrait de plus en plus. L’État avait adopté un comportement identique à celui des consommateurs et des investisseurs alors qu’il aurait dû adopter l’attitude inverse. Face à la dérive de la demande spontanée, il n’y avait pas de moteur de remplacement.

On le sait maintenant, l’État doit faire office de moteur de remplacement. Et, je le répète, l’État ne doit pas être à l’unisson des autres acteurs économiques, même si cela entraîne, provisoirement, un accroissement du déficit public. Roosevelt n’a pas eu peur du déficit public, et Roosevelt a fait gagner les États-Unis !

Je me réjouis donc, madame la ministre, au nom de l’UMP, de la réactivité dont ont su faire preuve le Gouvernement et le Président de la République face à la crise. Le message transmis par le Gouvernement est tout à fait rassurant et la décision de ne pas comprimer les prévisions de dépenses, alors même que les recettes ont été ajustées à la baisse, va dans le bon sens.

Nous approuvons aussi le principe – même si ce n’est, pour l’instant, qu’une rumeur – d’un plan de relance qui, certes, alourdirait les charges, à condition qu’il se traduise par des dépenses actives, c’est-à-dire des dépenses d’investissements, et qu’il soit élaboré en coordination avec nos partenaires européens, ce qui devrait être le cas.

Revenons-en au budget. Le groupe UMP salue l’effort de transparence et de vérité que vous avez accompli, madame la ministre, dans un contexte économique et financier difficile, lors de la discussion ici-même, le 6 novembre dernier, du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012.

Nous saluons également votre volonté, à titre exceptionnel, de ne pas traduire mécaniquement la diminution d’un demi-point de la prévision d’inflation sur l’évolution des concours de l’État aux collectivités locales pour 2009, ainsi que l’a rappelé M. le président de la commission des finances.

Cette mesure exceptionnelle en faveur des collectivités locales permettra de préserver les dépenses publiques d’investissement et de solidarité à un moment où la dégradation de la situation économique les rend d’autant plus indispensables.

Sans entrer dans le détail des mesures du projet de loi de finances, je souhaiterais néanmoins dire deux mots au sujet du plafonnement des niches fiscales.

Plusieurs niches qui, jusqu’à présent, offraient des avantages fiscaux illimités, ont en effet été plafonnées individuellement. Les députés ont également institué un plafond global d’exonération d’impôt par voie d’amendement. Je rappelle que les recettes engendrées par ces plafonnements vont permettre, notamment, de financer le revenu de solidarité active. Ces économies sont donc « gagées », en quelque sorte.

Les niches fiscales permettent certes de soutenir l’activité dans certains secteurs ou dans certaines zones géographiques, mais elles ont aussi parfois un effet pervers lorsqu’elles permettent à des titulaires de hauts revenus d’échapper complètement à l’impôt en multipliant les investissements « intéressés ». De travaux parlementaires, il ressort qu’un redevable peut réduire son impôt de 200 000 euros en cumulant divers dispositifs. Le mois dernier, votre administration, madame la ministre, a évalué à 7 000 le nombre de ménages qui, malgré un revenu annuel égal ou supérieur à 100 000 euros, ne payaient aucun impôt.

Les niches concernées par le plafonnement sont la location de meublés, l’investissement dans les DOM et dans les collectivités d’outre-mer, ainsi que l’entretien d’immeubles en zones protégées ou dispositif « Malraux ».

À dessein, je sépare le cas de l’entretien des monuments historiques non ouverts au public, qui doivent être absolument préservés, car il en va de la sauvegarde de notre patrimoine national privé.