M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la tenue de ce débat, au-delà d’un questionnement sur le statut des services d’intérêt général, devrait nous amener à nous interroger sur la pertinence des objectifs de la construction européenne.

Depuis maintenant plus de cinquante ans, celle-ci s’est essentiellement construite autour d’un espace de libre-échange où seules comptent les règles de la concurrence, où toute aide d’État est par principe prohibée mettant ainsi directement en péril les services publics, où la meilleure des politiques est l’absence même d’intervention publique et où, finalement, l’initiative privée est supposée répondre à tous les besoins des citoyennes et des citoyens de l’Union, ce qui légitime la marchandisation de l’ensemble des secteurs de notre société.

Dans cette Europe que vous construisez, le rôle du politique se résume au mieux à encadrer le jeu du marché, voire à le soutenir lorsqu’il est en difficulté ! Je ne reviendrai pas sur le plan de relance voté par l’Union européenne en faveur des banques.

Ce prisme politique a créé les conditions de la mise en concurrence des femmes et des hommes, des entreprises et des territoires, et trouve son incarnation dans la directive Bolkestein et le fameux principe du pays d’origine.

À ce titre, nous sommes stupéfaits et en colère de constater que ce principe est réintroduit au détour du règlement sur les sociétés privées européennes et que son esprit inspire profondément le projet de directive sur les soins transfrontaliers !

Le texte de Mme Bachelot-Narquin sur l’hôpital en est lui-même empreint dans son article 1er, qui permet d’ouvrir au secteur médical privé notre système de santé public pourtant envié par tant de peuples européens ! Nous le déplorons et le dénonçons avec force. Le gouvernement français doit s’opposer à cette législation au sein du Conseil et y renoncer dans notre droit national.

Les services d’intérêt général n’ont jamais été totalement exclus des législations européennes, il est vrai, mais ils existent uniquement de manière sporadique, comme une simple exception à la règle principale – celle de la plénitude du marché –, ce en quoi nous sommes en complet désaccord.

Nos grands services publics en réseaux que sont l’électricité, la poste, les télécommunications et les transports ont été les premiers à être reconnus par les traités. Les concernant, des directives sectorielles, tout en reconnaissant qu’ils participent à la cohésion sociale et territoriale de l’Union en tant que services économiques d’intérêt général, en ont pourtant organisé leur mise en concurrence.

Ainsi, la notion de « service universel », sorte de service public au rabais, a été créée pour définir les droits minimums auxquels pouvaient prétendre les peuples européens. Cela a abouti partout en Europe à une réduction du niveau d’ambition de développement des services publics et dans notre pays à des reculs historiques importants.

En effet, si l’Union n’impose pas la privatisation des entreprises publiques, l’application des règles de la concurrence a conduit à leur changement de statut puisqu’elles sont désormais soumises aux modèles de gestion des entreprises privées. La recherche d’une haute profitabilité au détriment des objectifs d’intérêt général va à l’encontre des objectifs affichés et conduit à une augmentation des tarifs ainsi qu’à une détérioration du service.

Je citerai pour exemple les tarifs de l’énergie, qui ont augmenté de manière considérable sur le marché libre. Par ailleurs, trois opérateurs publics de transport de voyageurs – RATP, Keolis et Transdev – se livrent en France à une concurrence effrénée au détriment de la qualité du service. Le service public postal, quant à lui, est largement remis en cause partout en Europe.

En France, le passage de bureaux de poste de plein exercice à des agences postales communales ou à de simples « points poste » a conduit à une détérioration majeure du service postal, notamment dans sa fonction bancaire.

À ce titre, nous demandons depuis de nombreuses années, en vain, qu’un bilan des politiques de libéralisation soit réalisé.

Ce bref rappel vous démontre que si les législations communautaires reconnaissent « l’intérêt pour la cohésion sociale et territoriale » de certains domaines d’activités économiques, cela n’a pas suffi, loin s’en faut, à garantir aux citoyennes et aux citoyens la présence de services publics modernes et efficaces.

Au contraire, la notion même de service d’intérêt général a été l’outil de démantèlement et de casse de nos services publics en les soumettant à une concurrence inutile pour les usagers.

Le constat est donc indiscutable. Libéralisme et garantie des services publics sont fondamentalement antinomiques, tout simplement parce que les objectifs visés sont contradictoires : intérêt des usagers contre celui des actionnaires.

Aujourd’hui, la Commission souhaite classifier les services d’intérêt général en deux catégories, les uns économiques, et donc soumis aux règles du marché et à la directive « services », les autres non économiques, exemptés de l’application de ces règles.

Or nous voyons bien que cette tentative est vaine puisque l’ensemble des services publics, sauf les services dits « régaliens », peuvent s’apparenter à des services d’intérêt économique, y compris les services sociaux comme en témoignent la communication de la Commission du 20 novembre 2007 et celle de 2006.

À ce titre, la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes est claire : elle considère comme activité économique toute activité fournissant biens et services sur un marché donné, y compris lorsque le paiement de la prestation n’est pas effectué directement par l’usager.

Cela signifie, dans la droite ligne de l’esprit de l’accord général sur le commerce des services, l’AGCS, que toute activité humaine peut être considérée comme économique et donc soumise aux règles de concurrence, qu’il s’agisse de l’éducation, de la culture, de la santé, du logement. On retrouve là le texte portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires de Mme  Bachelot-Narquin.

Ainsi, l’adoption d’une directive-cadre sur les services d’intérêt général n’est souvent considérée que comme un pendant de la fameuse directive « services ».

Pourtant, les sénateurs de mon groupe considèrent qu’il n’y a pas, d’un côté, un espace de service d’intérêt général, qui devrait être préservé, exclu de la directive « services », et, de l’autre, le marché libéralisé qui pourrait être soumis au dumping social, à la loi de l’argent.

La définition des services publics et de leur protection ne peut se poser indépendamment d’une remise en cause globale du modèle libéral imposé par l’Union européenne et les organisations internationales telles que l’OMC ou le FMI.

Nous ne pouvons imaginer définir un objectif ambitieux en termes de modernisation des services publics, de satisfaction des besoins des citoyennes et des citoyens, tout en acceptant les principes posés par le pacte de stabilité, par le traité de Lisbonne, qui prône la libre circulation des capitaux et l’indépendance de la BCE.

Ce système, nous le constatons aujourd’hui au travers de la crise financière et économique, conduit à la déconnexion entre économie réelle et marchés financiers. Il déséquilibre dangereusement les revenus du travail et les revenus du capital.

Les peuples d’Europe ont besoin de services publics ; ils ont également besoin que l’Europe soit synonyme de protection et de progrès social !

L’annulation par le Conseil européen des chefs d’États du sommet sur l’emploi qui devait se tenir le 7 mai prochain constitue, à cet égard, un signe très négatif quant à la volonté du Conseil européen de faire de l’Europe sociale une priorité.

Pour notre part, nous continuons de penser que l’Europe doit permettre de porter un projet politique fondé sur les besoins des peuples afin de garantir, non de manière dérogatoire, mais de manière principale, l’accès de tous aux droits fondamentaux.

Il faut, pour ce faire, en finir une fois pour toutes avec l’Europe de la concurrence et penser une Europe des coopérations et de la solidarité, une Europe des peuples !

Le traité de Lisbonne, à ce jour non ratifié par tous les États membres, ne constitue en rien un pas décisif vers l’adoption d’une législation-cadre sur les services publics.

En effet, selon l’auteur du TCE, le traité de Lisbonne n’est que le fruit de changements « cosmétiques » par rapport à la version originale qui faisait de la concurrence libre et non faussée le fondement même de la construction européenne. Rien ne permet d’affirmer que ce traité permettrait la reconnaissance des services publics puisqu’il confirme la primauté du marché.

Depuis cinquante ans, cette primauté du marché a conduit à dévoyer la notion de service d’intérêt général pour en faire le plus sûr instrument de démantèlement des services publics nationaux soumis à la concurrence.

Nous ne pouvons donc souscrire à cette affirmation contenue dans la proposition de résolution.

Pour conclure, nous estimons que les amendements proposés par la commission des affaires économiques affaiblissent tellement et rendent si peu contraignante la résolution qui sera soumise au vote que cette dernière s’apparentera à une déclaration de bonnes intentions et n’empêchera pas le Gouvernement ni les institutions européennes de mener une politique antisociale tout en recommandant un statut des services d’intérêt général.

Nous avons, pour notre part, une autre exigence pour les services publics, une autre exigence pour l’Europe, et nous ne pouvons nous satisfaire de cette proposition. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.

M. Robert del Picchia. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de résolution présentée par Mme Catherine Tasca n’ouvre pas un débat d’une grande nouveauté.

Cela fait plus de dix ans que nous parlons de la place et du rôle des services publics en Europe, sans pour autant réussir …

M. Michel Teston. À qui la faute !

M. Robert del Picchia. … à aboutir à une solution satisfaisante. C’est certainement la raison pour laquelle nous en discutons de nouveau aujourd'hui.

Pourtant, il s’agit d’une question majeure et éminemment politique. Il devient urgent de traiter le problème du cadre juridique des services d’intérêt économique général en Europe.

Cette question présente des enjeux majeurs de solidarité, de cohésion et d’efficacité économique pour ce secteur qui se situe au cœur de notre modèle de société.

Je ne reviendrai pas sur la genèse du débat qui nous occupe aujourd'hui ni sur les divergences doctrinales qui bloquent encore à l’heure actuelle toutes avancées juridiques et politiques.

Une conclusion s’impose toutefois à nous : le manque de consensus politique en Europe est patent et la position de la France, malgré son bien-fondé, est isolée.

Si un large consensus est apparu sur la nécessité de clarifier le cadre juridique applicable aux services d’intérêt général, en revanche, il n’y a pas de convergences de vues sur la manière d’y parvenir.

Mes chers collègues, je souhaite simplement apporter quelques réflexions dans ce débat.

La France a vraiment « découvert » l’expression de « services d’intérêt général » entre 2004 et 2006, lors des discussions nées de la transposition en droit français de la directive sur la libéralisation des services.

Depuis, notre pays essaie de définir une doctrine européenne visant à garantir que les services publics français correspondent aux critères des services d’intérêt général définis par l’Union européenne.

À titre d’exemple, en droit communautaire, pour qu’une mission de service public déléguée à un opérateur public ou privé soit reconnue comme telles, il faut qu’elle ait fait l’objet d’un « mandatement ». Or cette notion n’existe pas encore en droit interne. Il faut donc que la France adapte sa législation.

À notre avis, les représentants français auprès des instances communautaires doivent militer afin que d’autres règles communes soient adoptées et qu’un statut juridique des services publics s’affirme au niveau de l’Union européenne.

Le traité de Lisbonne, mes chers collègues, contient d’ailleurs de nouvelles dispositions sur les services d’intérêt général dont des règles communes devront être tirées.

En effet, un très grand nombre de services publics, dont les services publics sociaux d’intérêt général, sont locaux : le logement social, les services à la petite enfance, le ramassage des ordures, etc.

Les collectivités locales ont un rôle central à jouer. Il y a une vraie marge de manœuvre, à condition d’accepter d’adapter notre système de service public aux règles européennes. Ce sera un grand chantier, espérons-le non pour les années à venir, mais pour les prochains mois !

Le gouvernement français doit donc travailler avec les collectivités locales sur la définition des statuts des services publics, et ce dans le respect du cadre européen.

L’échec du projet de Constitution européenne, projet généralement taxé d’ultralibéralisme par ses détracteurs français, et les difficultés que rencontre actuellement le traité de Lisbonne pourraient bien, paradoxalement, venir sonner le glas de l’élaboration d’un statut unifié du service public au niveau communautaire.

Reconnaissons que le traité de Lisbonne instaure une nouvelle donne puisqu’il consacre les services d’intérêt économique général dans un protocole qui leur est dédié et qui leur confère légitimité et base légale. Sur ce point, le traité de Lisbonne améliore le traité instituant l’Union européenne. Ainsi, il confie au Parlement européen et au Conseil le soin de définir les principes qui régissent les services d’intérêt économique général.

En outre, le protocole additionnel relatif à ces mêmes services, d’une part, prévoit une disposition précisant les valeurs communes qui fondent leur fonctionnement et, d’autre part, pose le principe de subsidiarité en confirmant que les États membres disposent d’une marge d’appréciation pour définir les services d’intérêt économique général ainsi que leurs missions. Cette marge d’appréciation, au demeurant, n’est pas forcément discrétionnaire, puisqu’elle reste soumise au respect du droit positif issu du traité de Rome. Elle devrait cependant permettre que soit dissipée l’insécurité juridique dans laquelle, actuellement, sont placés les États membres. Ceux-ci doivent en effet attendre les arrêts de la Cour de justice, qui – comme dans le droit anglo-saxon, d’ailleurs – statue au cas par cas.

Aujourd’hui, du fait de l’absence de législation européenne unifiée, les États membres, les entreprises et les citoyens se voient privés de toute visibilité et de toute certitude. En tout état de cause, cette situation, véritable manteau d’Arlequin, est contraire aux vœux de la France et à l’intérêt général européen.

Nous pensons, mes chers collègues, que la question des services publics appelle une réponse politique et non uniquement des solutions juridiques établies au cas par cas par la Cour de justice.

On est donc loin, bien loin du postulat de départ selon lequel le droit communautaire n’envisagerait les services publics que comme une exception au marché. Bien au contraire, s’est dégagé peu à peu un véritable corpus législatif et jurisprudentiel du « service public européen ».

Dans ce contexte, qu’attendre d’une directive horizontale sur les services d’intérêt économique général dans l’Union européenne telle que la réclame Mme Tasca dans sa proposition de résolution ?

Il semble tout d’abord que, sans modifier les principes existants, un tel instrument revêtirait une portée politique forte et dissiperait une bonne fois pour toutes les malentendus sur la place du service public dans la construction communautaire. Par ailleurs, du point de vue juridique, un tel texte aurait le mérite de la clarté, dans un environnement qui souffre, de par l’éparpillement de ses règles, d’une relative insécurité juridique.

Les avantages de cette proposition sont donc évidents ; mais ses inconvénients le sont tout autant. Une directive-cadre générale « cristalliserait », à la date de son adoption, le consensus minimal existant entre les États membres sur la question des services d’intérêt général et gommerait les différences naturelles entre les différents secteurs : elle risque, finalement, de priver les gestionnaires de services publics de la souplesse d’adaptation nécessaire à l’exécution de leurs missions.

Une démarche raisonnable consisterait, à notre avis, à concilier les contraires, de manière empirique et quotidienne. Dans ce cadre, la définition de grands principes communs précisant les lignes directrices fixées par le protocole no 9 annexé au traité de Lisbonne prend tout son intérêt. Ces principes seraient ensuite déclinés plus précisément par le biais de trois ou quatre directives sectorielles aménageant les équilibres nécessaires et possibles selon les domaines d’activité.

Une telle vision nous semble plus réaliste et efficace ; elle permettrait d’éviter que l’on ne se contente du plus petit dénominateur commun, qui, paradoxalement, entraînerait un nivellement par le bas au regard de l’avancée de nos acquis nationaux.

L’opportunité de l’action ne fait évidemment pas débat : seule la question de la détermination de l’instrument juridique adéquat n’est pas réglée. Le débat reste ouvert, ce qui ne doit pas nous empêcher d’avancer. La solution envisagée par la commission des affaires économiques nous paraît être un bon compromis, car elle respecte les positions de chacun tout en affirmant la nécessité de l’action.

La place des services publics en Europe constitue un enjeu éminemment politique dans la perspective des prochaines élections européennes. Il est essentiel que la solidarité, la cohésion sociale, le modèle social européen, l’équilibre entre les exigences d’une économie compétitive et l’intérêt général protecteur soient au centre du débat européen. C’est une manière d’y inclure les questions relatives aux valeurs de l’Europe, à son équilibre institutionnel et à sa réalité vécue. Si elle assure aux services d’intérêt général les moyens de fonctionner, l’Union européenne sera perçue positivement. L’évolution des esprits, qui s’est notamment manifestée à l’occasion de la négociation du traité de Lisbonne, confirme que la période est favorable à de telles initiatives.

La France a, à mon avis, un rôle très particulier à jouer dans ce contexte. Notre pays, à travers l’action de ses gouvernements successifs constamment soutenus par son Parlement, est peut-être l’État membre le plus soucieux de promouvoir les services publics en Europe. Car il ne s’agit plus désormais de se contenter de les « défendre » : notre pays a dans ce domaine une tradition juridique solide et plus variée que ne le laisse paraître une certaine focalisation du débat sur les services publics nationaux à statut. Les Français peuvent aussi légitimement s’enorgueillir des succès rencontrés par leurs entreprises assumant des services publics sur le marché européen, succès que l’on constate tous les jours. Ces entreprises ont su, pour la plupart, s’adapter à la nouvelle donne communautaire afin de devenir plus performantes.

Toutefois, mes chers collègues, je pense qu’il est indispensable pour la France d’éviter toute morgue. Le service public « à la française » a sans doute ses qualités propres, mais il ne peut prétendre à l’exemplarité sur tous les points. Au contraire, il faut reconnaître que les contraintes communautaires ont permis aux services publics français de beaucoup s’améliorer et admettre qu’eux aussi peuvent apprendre des pratiques de leurs homologues.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous sommes évidemment favorables à la possibilité de mettre en place un cadre juridique stable et cohérent, capable de fournir aux services publics la pérennité nécessaire. Si les choses demeurent figées, nos services publics resteront sous le feu de la « guérilla » déterminée de la Commission et de la Cour de justice, sans aucune perspective solide de visibilité à long terme.

La position traditionnelle, qui estimait préférable en la matière de faire confiance aux seules « préférences collectives nationales », n’est plus rentable et n’est plus tenable, car l’absence de règles européennes conduit à une insécurité permanente des services publics nationaux et à une incertitude irrésolue sur les formes qu’ils peuvent revêtir à l’avenir. L’urgence est donc de donner un contenu au « marché intérieur social » en s’inspirant des principes de loyauté, de transparence, d’universalité et d’égalité qui forment l’essence de nos services publics.

Sous les réserves que j’ai exprimées, mes collègues du groupe UMP et moi-même voterons cette proposition de résolution modifiée par les amendements proposés par le rapporteur de la commission des affaires économiques, parce que nous partageons son objectif et son ambition. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise financière sans précédent que nous traversons nous oblige à porter un regard différent sur les services publics et sur l’action des pouvoirs publics dans notre économie.

Ni le marché ni la concurrence ne peuvent répondre en toutes circonstances aux besoins d’intérêt général. Cela vaut pour notre pays, bien sûr, mais cela vaut également pour nos partenaires de l’Union européenne.

M. Michel Billout. Bien sûr !

M. Aymeri de Montesquiou. Même les plus libéraux d’entre eux sont en train de redécouvrir les vertus de la régulation. Le dernier G20, à Londres, a mis en évidence ce retour de l’intervention de l’État au niveau national et international pour faire face à l’effondrement du système financier mondial. Les interrogations sur les services publics doivent donc à nouveau se placer au cœur de la construction européenne.

L’Europe a trop souvent été présentée en France comme une menace pour ces services publics, et nombreux sont les Français aux yeux de qui l’Europe est celle de technocrates ouvrant les services publics aux vents de la mondialisation. Ils n’ont pas totalement tort.

Le débat est toujours vif sur l’équilibre qu’il faut trouver entre une certaine déréglementation, qui serait l’œuvre de l’Union européenne, et la persistance d’une spécificité française attachée à un grand secteur public constitué de monopoles trop conservateurs.

Toute redéfinition des missions de service public par l’Union européenne est le plus souvent perçue, chez nous, comme une politique visant à contester le rôle social du secteur public plus que son efficacité économique.

L’ouverture à la libre concurrence à travers le marché unique, qui constitue la raison d’être originelle et historique de l’Europe, est donc devenue le vecteur d’une autre évolution, sans doute imprécise et floue, mais touchant à la racine même du modèle politique français.

Même si la question du service public ne se pose pas en France comme elle a pu se poser en Grande-Bretagne, où il a dû faire face depuis 1979 à une vague de privatisations sans précédent, ou encore en Italie, où sa critique s’est appuyée sur une crise plus générale de la classe politique, il existe un très large consensus sur la nécessité d’assurer la fourniture de services d’intérêt général de qualité pour tous les citoyens et toutes les entreprises de l’Union européenne.

Il existe une conception commune des services d’intérêt général qui se fonde sur un ensemble d’éléments, dont le service universel, sa continuité et sa qualité, son accessibilité financière ainsi que la protection des usagers et des consommateurs.

L’ambition de la construction européenne ne s’est jamais limitée à la seule réalisation d’un grand marché. Le droit communautaire a peu à peu reconnu la spécificité des entreprises chargées de la gestion de « services d’intérêt économique général » ainsi que la compatibilité entre les objectifs d’un marché intérieur ouvert et concurrentiel, d’une part, et le développement de services d’intérêt général de qualité et abordables, d’autre part.

Il ne faut pas oublier que l’Europe a une réelle vocation sociale, affirmée et assumée comme telle. Les services d’intérêt général sont reconnus par les institutions européennes, notamment depuis le Livre blanc de la Commission de 2004, comme une composante essentielle du modèle européen de société.

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. Aymeri de Montesquiou. Mais, jusqu’à présent, c’est une approche sectorielle concernant surtout les grandes industries de réseau qui était développée prioritairement, et c’est regrettable.

La Commission, dans sa « Stratégie annuelle pour 2009 », n’a pas choisi de proposer d’instrument juridique communautaire relatif aux services d’intérêt général. Sa communication sur sa « Stratégie annuelle pour 2010 » ne laisse pas supposer non plus une telle proposition, alors même qu’elle souligne un objectif particulièrement important : l’utilisation des leviers dont dispose l’Union européenne pour soutenir les États membres dans leur lutte contre le chômage et pour la préservation de la cohésion sociale dans un contexte d’extension de la crise.

Il est évident que, pour réconcilier les peuples européens avec l’Europe, il est indispensable de ne pas négliger la vocation sociale de l’Europe, notamment tout ce qui concerne les services publics. Cela doit passer par un renforcement du statut général des services d’intérêt général. Il est impératif que l’Europe se dote d’un cadre juridique permettant la promotion de la notion de service d’intérêt général et de sa nécessité.

Nous devons faire en sorte que les rapports entre acteurs concurrentiels et services publics soient équilibrés, dans une économie européenne soucieuse à la fois d’efficacité et de justice sociale.

Le groupe du RDSE partage la même préoccupation que les auteurs de la proposition de résolution dont nous débattons. Comme eux, il regrette que les services publics d’intérêt général ne soient pas mieux pris en compte dans la stratégie de la Commission européenne pour 2009. Ses membres soutiendront donc la proposition de résolution présentée par Mme Tasca et modifiée par la commission des affaires économiques. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Roland Ries.

M. Roland Ries. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Union européenne « combat l’exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l’égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l’enfant.

« Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres ».

Ainsi est énoncée, dans l’article I-3 du traité de Lisbonne, une partie des objectifs de l’Union européenne.

Faire en sorte que de tels principes – de bons principes – ne soient pas de simples mots précieusement conservés dans un écrin, mais au contraire un véritable guide pour la conduite de la politique sociale de l’Union suppose donc une volonté de leur donner un sens concret, effectif et surtout efficace.

Chacun sait que les services d’intérêt général constituent les instruments essentiels de la cohésion sociale, économique et territoriale de l’Union européenne. Avec la crise économique et financière, ils le deviennent chaque jour davantage.

Or, s’il est un domaine où la Commission européenne a fait preuve d’une très grande timidité, c’est bien celui-là. Certes, du traité d’Amsterdam au traité de Lisbonne – pas encore ratifié – le cadre juridique a peu à peu été posé. Mais en dehors de ces quelques articles et de quelques déclarations de bonnes intentions rarement suivies d’effets, le moins que l’on puisse dire est que, en matière de services publics, la Commission européenne, qui a le monopole de l’initiative législative, s’est toujours contentée du minimum minimorum !

Pour illustrer mon propos, je prendrai l’exemple des services sociaux d’intérêt général, les fameux SSIG.

Faute d’une initiative législative de la part de la Commission, c’est à la seule jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes que nous devons une définition des SSIG, avec toutes les lacunes que l’on peut imaginer.

Pour la Cour de justice, en effet, 80 % des services sociaux sont considérés comme des services sociaux d’intérêt économique général, les SSIEG. La Cour a considéré cette activité comme « économique » dans la mesure où elle s’exerce dans le cadre d’un marché organisé moyennant rémunération du service rendu, par exemple le logement social, la protection sociale non obligatoire ou encore les soins de santé.

En soi, cette notion « d’activité économique » suscite des interrogations.

Premièrement, doit-on parler de « marché » quand il s’agit de venir en aide aux personnes les plus vulnérables ? En outre, dans nos collectivités locales, nous avons affaire le plus souvent à des petits prestataires qui interviennent souvent seuls sur un secteur donné. Dans ces conditions, le principe de concurrence n’est d’aucune portée.

Deuxièmement, les acteurs des SSIEG sont considérés au regard du droit européen comme des « entreprises », et ce quel que soit le statut ou la forme juridique, le caractère privé ou public de ces organismes. Là encore, peut-on vraiment penser que le droit de la concurrence et du marché intérieur soit le plus adapté aux prestataires de services sociaux ?

Plutôt que de protéger juridiquement les services sociaux, la Commission a même un moment envisagé de les assimiler à des services marchands en les intégrant dans la désormais célèbre directive « services ». Il aura fallu à l’époque la pugnacité des eurodéputés, notamment socialistes,…