M. Gérard César. Cela n’a rien à voir !

M. Jacques Muller. La contribution carbone pèsera donc sur les autres entreprises, les petites et moyennes qui, elles, seront soumises à la taxe. Il y a donc bien distorsion de concurrence. En effet, en 2013, les quotas seront mis aux enchères, mais progressivement : seulement 60 % seront soumis à cette procédure. Ainsi, certaines entreprises paieront, d’autres non. Qui plus est, celles qui pourront revendre leurs quotas si elles ne les ont pas utilisés en totalité pourront en tirer des bénéfices et, finalement, spéculer sur le dos de la planète, de nos concitoyens et de leurs salariés.

Je m’interroge sur la constitutionnalité d’une telle disposition !

Je vous propose donc, mes chers collègues, de soutenir cet amendement, qui permet de supprimer l’exonération évoquée.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La question posée est celle de la montée en puissance du marché des quotas.

Mes chers collègues, contribution carbone et quotas étant des instruments économiques d’effet équivalent, ils n’ont pas vocation à se superposer. Toutefois, comme vient de le souligner M. Muller, nous sommes encore en phase transitoire.

Les quotas sont attribués gratuitement, mais, lorsque l’activité d’une entreprise la conduit à exprimer un besoin qui excède son allocation, elle doit honorer ce besoin en se procurant le complément de quota sur le marché : c’est ce qui permet aujourd’hui de valoriser les quantités de CO2. Ces mécanismes commencent à se mettre en place.

Au demeurant, madame la ministre, vous n’ignorez pas que la commission des finances a fait part, à plusieurs reprises déjà, de sa préoccupation quant à la régulation de ce marché. C’est un marché émergent, un marché en développement, mais il serait naturellement souhaitable qu’il soit au moins aussi transparent que les autres marchés, sinon davantage puisqu’il est plus moderne et qu’il a une finalité environnementale.

La proposition de notre collègue Jacques Muller ne me semble donc pas pouvoir être acceptée.

D’un côté, la contribution carbone est à un faible, voire très faible niveau, comme il l’a lui-même fait remarquer, et, avec Fabienne Keller et d’autres intervenants, il a appelé notre attention sur le chemin qu’il reste à parcourir. De l’autre côté, le marché des quotas commence à s’animer puisque, en 2008, le volume d’échanges constaté a été, en termes physiques, de l’ordre de 2,8 milliards de tonnes, soit dix fois le volume des échanges de 2005, première année de mise en place des marchés. Ce n’est pas négligeable !

Même si nous sommes actuellement dans une période de transition, il me semble qu’il ne serait pas acceptable, sur le plan du raisonnement, de faire supporter à une même entreprise ou à une même catégorie d’entreprises à la fois les besoins de financement liés à l’acquisition de quotas sur le marché et la contribution carbone.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Lagarde, ministre. Je souscris pour l’essentiel aux observations que vient de formuler M. le rapporteur général sur la nécessité de ne pas appliquer le double système des quotas d’émission prévus par la directive ETS et de la contribution carbone.

Certes, me direz-vous, pendant une période de deux ans, c’est-à-dire entre le 1er janvier 2010 et le 1er janvier 2012, les entreprises françaises des secteurs de la production de chaleur, de la sidérurgie, du ciment, du verre, des tuiles, des briques, du papier-carton, du raffinage, bénéficieront de quotas de droits à émettre…

M. Jean Desessard. Gratuitement !

Mme Christine Lagarde, ministre. … qui seront gratuits. Ils ne deviendront payants qu’au 1er janvier 2012.

Comme l’a souligné M. le rapporteur général, l’évolution du marché au cours des dix-huit derniers mois – puisque c’est la période durant laquelle il a effectivement fonctionné – laisse penser que durant ces deux ans, du 1er janvier 2010 au 1er janvier 2012, le nombre des transactions ira très probablement croissant et que certaines entreprises effectueront des investissements pour « réaliser » la plus-value liée à la cession des quotas d’émission dont elles ont bénéficié à titre gratuit. Celles qui ne procéderont pas à ces investissements devront s’approvisionner en droits d’émission sur le marché.

Toutes sont donc d’ores et déjà soumises à cette contrainte particulière qui opère soit en positif, soit en négatif, selon le mode d’investissement et le mode de réduction d’émission de CO2 qu’elles prévoient d’appliquer, et, à compter du 1er janvier 2012, les quotas seront non plus gratuits mais payants.

De plus, nous ne souhaitons pas exposer les industries françaises à forte intensité capitalistique – il s’agit de secteurs d’activité dans lesquels les investissements sont lourds – au risque d’être discriminées par rapport aux industries comparables des autres pays, qui, au moins dans l’Union européenne, sont soumises au mécanisme ETS mais qui, sauf dans trois États, échappent à toute taxe ou contribution carbone.

Parce que nous voulons préserver la compétitivité de l’industrie française par rapport à ses concurrentes non soumises à la même taxe, d’une part, et parce que le système des quotas d’émission s’applique, à titre gratuit pendant deux ans et ensuite seulement à titre onéreux, d’autre part, il ne nous paraît pas juste d’appliquer les deux systèmes cumulativement.

Le Gouvernement a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, pour explication de vote.

M. Jacques Muller. J’ai bien entendu que les deux mécanismes de la contribution carbone et du marché des quotas de carbone ne peuvent se superposer.

Pour autant, M. le rapporteur général raisonne à la marge puisque, aujourd’hui, les entreprises vont chercher des quotas sur le marché du carbone lorsqu’elles sont mauvaises élèves, c’est-à-dire lorsqu’elles ne travaillent pas dans le cadre des quotas qui leur ont été accordés gratuitement.

Si, pendant la phase transitoire – c’est bien de cette période qu’il s’agit –, on exonère les plus gros émetteurs de CO2 de la fameuse contribution carbone, cela revient en quelque sorte à leur donner une prime !

Il est choquant de demander aujourd'hui aux petites et moyennes entreprises de s’acquitter le jour J de la contribution carbone et d’exonérer, dans le même temps, les plus gros émetteurs, qui sont, comme vous l’avez souligné, les plus grands groupes industriels français tels ArcelorMittal, Total, ou encore Suez. Pourquoi ces grands groupes industriels en seraient-ils exonérés, alors que les PME et TPE devraient la payer ?

Cette disposition me semble scandaleuse d’un point de vue écologique et inacceptable juridiquement : je m’interroge en effet quant à la constitutionalité de celle-ci.

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.

M. Thierry Foucaud. Mon explication de vote vient à l’appui de l’argumentaire présenté par notre collègue Jacques Muller.

La première mesure dérogatoire prévue par l’article 5 du projet de loi de finances concerne les utilisations de substances énergétiques soumises au système communautaire d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre.

Cette dérogation serait justifiée, selon M. le rapporteur général, par le souci de ne pas « imposer à l’industrie française sous quotas une double taxation préjudiciable à sa compétitivité ».

En l’état actuel du texte, jusqu’en 2013, on n’imposera rien aux entreprises visées : ni contribution carbone ni quotas ! C’est pourquoi nous sommes favorables à l’amendement n° I-254 tendant à supprimer cette dérogation. Nous partageons également la position de M. Muller pour ce qui concerne le marché des droits à polluer, mais je n’y reviendrai pas.

Par ailleurs, au niveau communautaire, a été fixée une liste de secteurs et de sous-secteurs qui échapperont au dispositif communautaire : il s’agit de secteurs qui courent un risque de « fuite de carbone », c’est-à-dire une délocalisation des entreprises européennes les plus polluantes vers des pays tiers où la réglementation relative à la protection du climat est moins stricte, ce qui aurait pour conséquence une hausse des émissions de C02 de ces pays. Ces secteurs pourraient, sous certaines conditions, se voir accorder jusqu’à 100 % de leurs quotas d’émissions de gaz à effet de serre gratuitement jusqu’en 2020. Les secteurs et les sous-secteurs qui ne figurent pas sur cette liste devront acheter leurs droits d’émissions aux enchères.

Le dispositif de l’article 5 est critiquable à plusieurs égards. Pourquoi serait-il opposable aux contribuables et ne le serait-il pas aux entreprises ?

Dans ces conditions, nous voterons cet amendement.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller, pour explication de vote.

Mme Fabienne Keller. Notre collègue Jacques Muller pose un vrai problème – les grandes entreprises, grosses émettrices de CO2, bénéficient d’un dispositif particulier et seraient, de fait, exonérées –, mais la réponse qui nous est ici apportée ne me semble pas adaptée.

Le monde de la pollution carbone est organisé en deux grands secteurs : ceux qui dépendent de la directive de 2003 et les autres, que le texte propose d’assujettir à la contribution carbone.

La question posée par M. Muller tient à la bonne application de la directive de 2003 : il faut rendre ces quotas payants pour tous. La condition pour ce faire, si l’on ne veut pas pénaliser la compétitivité, est le mécanisme d’inclusion carbone aux frontières.

Madame la ministre, à défaut d’accepter cet amendement, peut-être pourriez-vous entendre cette préoccupation ?

Il ne sera pas possible d’assujettir des secteurs dans la durée si les plus gros pollueurs ne sont pas soumis à cette contribution ! Mais, je le répète, mon cher collègue, il s’agit là d’un autre sujet. C’est la bonne application de l’esprit de la directive de 2003.

La longueur de la liste des exonérations qui est en train d’être adoptée à Bruxelles montre qu’il faut aller plus loin en se posant notamment la question des quotas payants pour tous, des enchères payantes, et donc de l’instauration du mécanisme d’inclusion carbone aux frontières pour protéger l’industrie.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-254.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° I-255, présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :

I. - Après l'alinéa 7

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« - destinés à être utilisés par des installations visées à l'article 266 quinquies A, bénéficiant d'un contrat d'achat d'électricité conclu dans le cadre de l'article 10 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité ou mentionné à l'article 50 de cette même loi, en proportion de la production d'électricité par rapport à la production totale d'énergie ; »

II. - Pour compenser la perte de recettes résultant du I ci-dessus, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - La perte de recettes résultant pour l'État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à M. Jacques Muller.

M. Jacques Muller. Les centrales de production d’énergie qui alimentent des réseaux de chaleur et ne sont pas soumises au régime des quotas d’émissions de gaz à effet de serre vont être assujetties à la contribution carbone sur leurs achats de combustibles.

Certains des réseaux concernés – une soixantaine – sont équipés de centrales de cogénération permettant, à partir principalement de gaz naturel, la production simultanée, et avec une efficacité énergétique optimale, de chaleur et d’électricité.

L’électricité est vendue via un contrat d’achat d’électricité conclu dans le cadre de l’article 10 de la loi relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, à un prix unitaire défini par un arrêté. La chaleur est vendue aux abonnés du réseau à un prix déterminé, de façon à équilibrer en recettes et en dépenses le compte de résultat du réseau de chaleur.

L’application de la contribution carbone sur la totalité des achats de gaz naturel de ces centrales induira une charge supplémentaire sur le budget des gestionnaires de réseaux de chaleur concernés, qui auront le prix de vente de la chaleur comme seule variable d’ajustement en termes de recettes.

Concrètement, cela signifie que les usagers de ces réseaux, souvent en situation de fragilité économique – je rappelle que le logement social représente 60 % des ventes de chaleur des réseaux de chaleur – seront doublement affectés par la contribution carbone sur leurs achats de chaleur issue de centrales de cogénération, le prix de cette chaleur devant intégrer non seulement les achats de gaz imputables à la production de chaleur, ce qui est cohérent avec le mécanisme global de la taxe carbone, mais également les achats de gaz supplémentaire utilisé pour la production d’électricité, dans la mesure où le tarif d’achat de l’électricité n’intégrera pas la contribution carbone, ainsi que cela a été voté tout à l'heure.

Cet amendement vise donc à exonérer les achats de gaz imputables à la production d’électricité pour les centrales de cogénération qui ne sont pas soumises au régime des quotas d’émissions de gaz à effet de serre.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La question posée ici est particulièrement importante. Pour sa part, la commission a adopté l’amendement n° I-141 rectifié qui n’est pas identique, mais qui porte sur un sujet voisin, pour ne pas dire connexe.

Notre préoccupation concerne l’incidence de la contribution carbone sur le prix facturé aux abonnés dans le cadre des réseaux de chaleur. Le plus souvent, dans nos villes, les usagers résidentiels sont locataires de logements sociaux…

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. … ou copropriétaires de classe moyenne ou de condition modeste.

Mme Nicole Bricq. C’est vrai !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Or on n’a pas vraiment anticipé la charge supplémentaire que ces abonnés auront à subir au travers des contrats ou des conventions de délégation de service public qui s’appliquent le plus souvent pour ces installations. C’est un risque que nous ne saurions prendre pour leur pouvoir d’achat individuel.

C'est la raison pour laquelle la commission recommande, dans l’amendement n°I-141 rectifié que je présenterai tout à l'heure, d’exonérer les réseaux de chaleur non soumis aux quotas, et ce pour une durée d’un an, de telle sorte que l’on puisse au moins examiner cette question. Mais j’aurai l’occasion d’en reparler tout à l'heure.

Même si le champ d’application de l’amendement n° I-255 est quelque peu différent de celui de l’amendement n° I-141 rectifié, la mesure proposée est proche. Dans ces conditions, je vous suggère, mon cher collègue, de bien vouloir le retirer, après avoir entendu Mme la ministre, afin de concentrer nos forces sur l’amendement n°I-141 rectifié.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Lagarde, ministre. Monsieur le rapporteur général, en matière de concentration des forces, attachons-nous tout d’abord à examiner la proposition d’exonération de la contribution carbone sur les produits énergétiques utilisés par les installations de cogénération bénéficiant d’un contrat d’achat d’électricité avec EDF !

Il ne nous paraît pas souhaitable d’exonérer de l’application de la contribution carbone les entreprises de cogénération, qui ne sont pas soumises au régime des quotas. Celles-ci doivent, elles aussi, contribuer à l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre et donc supporter ladite taxe. De toute façon, avec la cogénération, il y a bien génération de gaz à effet de serre.

C’est pourquoi le Gouvernement vous invite également, monsieur le sénateur, mais pour des raisons différentes, à retirer votre amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

M. le président. Monsieur Muller, l’amendement n° I-255 est-il maintenu ?

M. Jacques Muller. J’ai bien entendu les deux avis respectifs de M. le rapporteur général et de Mme la ministre. Nous discuterons en temps voulu de l’amendement n° I-141 rectifié de la commission.

Considérant l’argumentation développée par Mme la ministre, je maintiendrai mon amendement, et ce pour une raison très claire. En effet, la cogénération est aujourd’hui considérée comme une voie d’avenir pour la production d’énergie,…

Mme Christine Lagarde, ministre. C’est vrai !

M. Jacques Muller. … car le bilan en matière de gaz à effet de serre est optimal. Pardonnez-moi d’y revenir, mais il est même meilleur aujourd’hui que celui de la filière nucléaire !

On en a discuté dans le Grenelle de l’environnement, lorsque la cogénération s’applique sur des collectes sélectives de biodéchets, le bénéficie est triple : le bilan est meilleur en termes tant de chaleur que d’émission de gaz à effet de serre, et cette source d’énergie fabrique un compost de qualité pour l’agriculture.

Aujourd'hui, il serait juste que la cogénération soit reconnue comme une filière d’excellence.

La contribution carbone doit donner un signal-prix. Pour ma part, je ne comprends pas que nous refusions de donner cet après-midi un signal très positif à une filière d’excellence, alors que l’on attend deux ans pour assujettir les grandes entreprises. C’est totalement incohérent !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Lors de l’examen des projets de loi de finances, le groupe socialiste a régulièrement défendu les réseaux de chaleur. Bien évidemment, nous voterons donc l’amendement n° I-255.

Si l’amendement n° I-141 rectifié de la commission est identique, …

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il est plus large !

Mme Nicole Bricq. … nous pourrons aussi le voter ; ce n’est pas incompatible.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-255.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° I-256 est présenté par MM. Muller et Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet.

L'amendement n° I-338 rectifié est présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste et apparentés.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 8

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Jacques Muller, pour présenter l’amendement n° I-256.

M. Jacques Muller. L’alinéa que nous vous proposons de supprimer, mes chers collègues, prévoit d’exonérer de la contribution carbone les produits destinés à être utilisés par les entreprises dont les achats de produits énergétiques et d’électricité atteignent au moins 3 % de la valeur de la production pour les installations intégrées dans le système communautaire à partir de 2013.

Pendant trois ans, ces entreprises ne seront ni dans le marché carbone ni assujetties à la contribution carbone.

Nous estimons qu’il y a distorsion de concurrence et inégalité devant l’impôt, et soumettrons donc également cette disposition au Conseil constitutionnel.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour présenter l’amendement n° I-338 rectifié.

Mme Nicole Bricq. Nous proposons de supprimer l’exonération prévue par l’article 5 pour les entreprises qui entreront dans le marché européen d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre seulement à compter de 2013. Il s’agit, vous le savez, des industries chimiques dont les achats de produits énergétiques et d’électricité atteignent au moins 3 % de la valeur de la production. Il en va de même lorsque le montant total des droits d’accises payés sur les produits énergétiques et l’électricité utilisés est d’au moins 0,5 % de la valeur ajoutée.

Si l’exclusion de ces entreprises du champ de la taxe carbone peut éventuellement se justifier lors de l’entrée dans le marché en 2013, aucune raison ne justifie leur exonération pour l’instant, puisqu’elles contribuent aussi aux émissions de gaz à effet de serre. Je fais d’ailleurs remarquer que le groupe socialiste n’a jamais défendu la double imposition.

Par conséquent, nous vous proposons de soumettre à la taxe carbone les entreprises non encore dans le marché européen.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La commission est réservée sur ces amendements.

En effet, l’exonération de la contribution carbone en faveur des industries intensives en énergie – concrètement, des industries chimiques dont les procédés ne sont pas exonérés en application du droit communautaire – est justifiée par le fait que lesdites industries seront intégrées dans le système communautaire d’échange de quotas à compter de 2013.

Bien que ces industries ne soient donc pas actuellement sous quotas, il est justifié de les exonérer afin de les laisser se préparer à l’échéance de 2013. En effet, à compter de cette date, ces entreprises feront face à une contrainte carbone forte : elles devront acheter aux enchères 20 % de leurs quotas d’émission, quotas qui leur seront alloués sur la base des 10 % des installations les plus performantes du secteur auquel elles appartiennent.

Par ailleurs, la proportion des quotas alloués aux enchères passera à 70 % en 2020.

Voilà pourquoi la commission n’est pas favorable aux amendements identiques nos I-256 et I-338 rectifié.

Le sujet de la compétitivité des entreprises intensives en énergie est très complexe, mais important sur les plans de l’investissement et de l’emploi. Nous avons eu l’occasion de le traiter à plusieurs reprises ces dernières années, notamment lorsqu’on nous a proposé de donner, un peu à la hussarde, le feu vert aux consortiums d’achat d’électricité.

Il s’agit toujours du même problème de compétitivité de cette catégorie particulière d’industries.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Lagarde, ministre. Monsieur Muller, madame Bricq, vous souhaitez supprimer le dispositif de l’article 5 du projet de loi de finances qui prévoit d’exonérer de contribution carbone les entreprises dites « intensives en énergie », auxquelles M. le rapporteur général vient de faire référence et qui seront soumises, dès le 1er janvier 2013, au système des quotas d’émission, cela au motif que ces dernières seront alors placées sur un pied d’inégalité les unes par rapport aux autres, certaines étant soumises à la taxe carbone, d’autres non, et que, de ce fait, la disposition serait inconstitutionnelle.

Or, précisément, les industries dites « intensives en énergie » présentent la caractéristique particulière de nécessiter beaucoup d’énergie pour leur fabrication ; c’est principalement le cas, d’ailleurs, dans le secteur chimique. À ce titre-là, dès lors que les conditions et les contraintes s’appliquant à chacun de ces secteurs d’activité sont différentes, il ne me paraît pas inconstitutionnel de prévoir un régime différent.

Par conséquent, le fait de prendre en compte leur situation particulière, due à des consommations énergétiques qui ne sont pas comparables à ce qui peut être rencontré dans d’autres secteurs, et de leur permettre en particulier de préparer leur intégration dans le système des quotas, respecte le principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt.

À compter du 1er janvier 2013, le régime des enchères constituera le mode d’allocation normal des quotas. Les entreprises soumises au régime de l’Emission Trading Scheme, ou ETS, doivent donc pouvoir s’adapter et se préparer à faire face à ce nouvel environnement. Cette contrainte justifie que, dès maintenant, les installations concernées soient exonérées de contribution carbone afin d’éviter un risque de double charge compte tenu de leur nécessaire adaptation d’ici à 2013.

Il n’y a donc pas à hésiter sur cette exonération dès lors que l’institution d’une contribution carbone ne doit pas avoir pour effet de pénaliser nos entreprises engagées dans la compétition internationale et que nos partenaires européens exonèrent de taxe ces mêmes activités sur leur territoire.

Dans ces conditions, je suggère à M. Muller et à Mme Bricq de retirer leurs amendements, ce qu’ils ne feront sans doute pas ; à défaut de retrait, le Gouvernement émettra un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, pour explication de vote sur les amendements identiques nos I-256 et I-338 rectifié.

M. Jacques Muller. Madame la ministre, monsieur le rapporteur général, je n’ai pas été convaincu par vos explications, car, dans les dispositions que nous examinons cet après-midi, tout le monde n’est pas traité de la même manière.

Les entreprises intensives en énergie bénéficient d’une exonération qui leur profitera, en quelque sorte, jusqu’à l’application du marché des quotas, donc à partir de 2013. Les entreprises qui sont soumises au marché des quotas et qui disposent de quotas gratuits jusqu’en 2013 sont aussi exonérées.

Dans ce pays, on a tout de même l’impression que ceux qui ont les moyens de faire du lobbying pour se faire entendre obtiennent des exonérations ! En revanche, les PME et les TPE qui émaillent notre territoire passent à la caisse tout de suite ! Par conséquent, je maintiens mon amendement.

M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, pour explication de vote.

M. Bernard Vera. Les installations visées par l’alinéa 8 que nos collègues proposent de supprimer sont concrètement celles des industries chimiques dont les procédés ne sont pas placés hors du champ de la directive de 2003.

Ces industries ayant vocation à être placées sous quotas en 2013, et par conséquent à bénéficier d’une exonération de taxe carbone à ce titre, la présente disposition anticipe sur l’exonération afin de ne pas pénaliser ce secteur.

Nous comprenons les motivations d’une disposition visant à ne pas pénaliser les industries chimiques qui subissent de manière criante les augmentations exponentielles des tarifs énergétiques ; mais comment ne pas voir dans une telle disposition une inégalité à l’égard des autres entreprises ? En effet, quel sera l’impact de la taxe carbone si, de dérogation en dérogation, l’ensemble des entreprises les plus polluantes sont exonérées de contribution ? Une nouvelle fois, ce seront principalement les ménages qui supporteront, seuls, cette taxe injuste.

Nous estimons, au contraire, qu’un effort particulier doit être fait pour aider ce secteur en crise à réduire à la source sa pollution.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos I-256 et I-338 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)