M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux.

Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur spécial, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, je le dis depuis maintenant de nombreuses années, ce n’est pas forcément parce qu’un budget n’augmente pas ou qu’il augmente peu qu’il est a priori mauvais. Je pense que certains apprécieront…

Toutefois, les choix effectués dans les différents programmes de la mission « Agriculture, alimentation, pêche, forêt et affaires rurales » et les comparaisons ligne à ligne définissent une politique qui ne semble pas répondre entièrement aux attentes fortes des professionnels de l’agriculture et de la pêche.

Dotée de 3,59 milliards d’euros en autorisations d’engagement et de 3,67 milliards d’euros en crédits de paiement – sans omettre les 10 milliards d’euros de crédits européens sur lesquels nous n’avons que peu de visibilité –, la mission affiche sur le papier un budget certes de rigueur, mais qui peut paraître raisonnable. L’arrivée à échéance de plusieurs dispositifs de soutien exceptionnel aurait même pu dégager d’appréciables marges de manœuvre en faveur d’une agriculture et d’une pêche résolument engagées dans la voie du développement durable et de la juste rémunération du travail.

Pourtant, cette stabilité apparente intègre une niche fiscale qui représente près de 15 % du budget global de la mission. L’exonération totale de la part patronale pour l’emploi de salariés occasionnels est en effet chiffrée à 490 millions d’euros.

Comme le soulignent MM. les rapporteurs, et même si, selon moi, elle peut être positive, l’existence de cette niche fiscale peut fausser la lecture de l’évolution des dépenses réellement productives du programme 154, Économie et développement durable de l’agriculture, de la pêche et des territoires, qui baissent toutes dans des proportions importantes, à l’exception des moyens de promotion des produits et d’orientation des filières.

Néanmoins, comme le rappelle M. le rapporteur spécial, selon la Cour des comptes, l’évaluation de toutes les mesures fiscales, quelles qu’elles soient, demeure sujette à caution.

La baisse des autorisations d’engagement de 1,76 % par rapport à 2009 masque mal la réduction programmée, à périmètre de 2010 constant, du budget de la mission d’ici à 2013. Cette tendance lourde et inquiétante est, par ailleurs, confirmée par des autorisations d’engagement systématiquement inférieures aux crédits de paiement.

Le ministère est ainsi conduit à déléguer un certain nombre d’actions à des acteurs privés, tout en poursuivant la réorganisation de ses services et de ses opérateurs, à marche forcée et, surtout, je le regrette, indifférenciée, la révision générale des politiques publiques sacrifiant souvent la qualité des services sur l’autel d’une rationalisation aveugle.

Ainsi la programmation des finances publiques pour la période allant de 2011 à 2013 prévoit-elle, à partir de 2012, des objectifs encore plus draconiens de réduction des dépenses du ministère : la baisse envisagée sera de 1,6 % pour 2012 et de 2,1 % pour 2013.

L’objectif de limitation des dépenses publiques fixé par le Gouvernement correspond à une contraction de ses dépenses d’intervention de 1,5 % et de ses dépenses de fonctionnement de 5 % dès 2011, avec un taux de 10 % prévu à l’horizon de 2013, taux ayant été appliqué, dès cette année, au programme 215, Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture.

Ces économies, monsieur le ministre, ne risquent-elles pas à court, moyen et long termes de fragiliser des secteurs économiques qui ont exprimé un fort besoin d’accompagnement et qui, en période de « vaches maigres » – si vous me permettez ce jeu de mot –, mais aussi de transformation obligatoire des pratiques, ont besoin de signes forts ?

De nombreux autres problèmes demeurent quant aux capacités réelles de certains opérateurs stratégiques à faire face à toutes leurs missions. Je prendrai l’exemple de FranceAgriMer, qui héberge maintenant l’Observatoire des prix et des marges. Malgré le recrutement de cinq personnes supplémentaires, la baisse des crédits permettra-t-elle de répondre aux attentes, tant des producteurs que des consommateurs, et, surtout, aux enjeux sur la transparence des pratiques commerciales et sur le partage équitable de la valeur ajoutée ?

Par ailleurs, en matière de maîtrise des risques sanitaires et phytosanitaires, de promotion de la qualité, de la traçabilité et de la diversité des produits alimentaires, le programme 206, Sécurité et qualité sanitaire de l’alimentation, après avoir perdu 2,9 % de crédits de paiement en 2010 par rapport à 2009, voit à nouveau ses ressources chuter de plus de 9 %, et ce en dépit des multiples défis techniques et des exigences des citoyens.

L’année dernière, lors de l’examen du projet de budget de l’agriculture, tout le monde convenait que le monde agricole traversait la crise la plus profonde de son histoire. Toutes les activités étaient touchées par des baisses de revenu qui, dans le secteur laitier, atteignaient en moyenne 34 %.

Un an plus tard, la situation ne s’est pas réellement améliorée. Pire, de nouvelles filières voient leurs résultats plonger. Amplifiée par notre dépendance structurelle en matière d’approvisionnement en protéines, la spéculation sur les marchés des matières premières a considérablement fragilisé nos éleveurs, comme le reconnaissent d’ailleurs les rapporteurs.

Monsieur le ministre, vous avez annoncé, avant-hier, le versement anticipé, dans le cadre de la politique agricole commune, de 4 milliards d’euros de fonds européens aux agriculteurs français, en particulier aux éleveurs de bétail, pour les aider à faire face à leurs difficultés de trésorerie. Mais qu’adviendra-t-il ensuite ? Cela confirme bien que la reprise économique est loin d’être consolidée.

De surcroît, les débats qui s’organisent sur le plan européen, notamment depuis la communication de la Commission sur la réforme de la politique agricole commune, proposent de nouvelles orientations aux États membres et, désormais, au Parlement européen, grâce au traité de Lisbonne. De nombreuses interrogations subsistent, notamment en ce qui concerne le rééquilibrage entre les aides au secteur végétal et celles qui sont attribuées au secteur animal.

Autre signal particulièrement inquiétant, l’action 12, Gestion des crises et des aléas de la production, du programme 154, Économie et développement durable de l’agriculture, de la pêche et des territoires, connaît une coupe de 39 % !

En ce qui concerne l’installation des jeunes agriculteurs, malgré les explications données par M. le rapporteur Gérard César, permettez-moi de revenir sur la taxe sur la plus-value foncière réalisée lors de la vente de terrains nus devenus constructibles, prévue par la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche, la LMA. Les parlementaires avaient souhaité que cette taxe contribue à financer l’installation des jeunes agriculteurs. Or, apparemment, elle serait désormais affectée aux plans de développement par filière. En outre, les aides à l’installation ne sont pas sanctuarisées à hauteur de 350 millions d’euros, comme l’avait annoncé le Président de la République.

De la même manière, la diminution de 20 % des crédits attribués aux mesures agro-environnementales est difficilement acceptable, ces mesures ayant vocation à réorienter durablement notre appareil et nos pratiques productives.

Je laisserai mes collègues le soin d’intervenir sur la question de la baisse des crédits en matière de modernisation des bâtiments d’élevage, sur la forêt et l’Office national des forêts, l’ONF, sur l’agriculture biologique et sur la filière équine, car je ne voudrais pas terminer mon propos sans évoquer le secteur de la pêche, lui aussi durement touché depuis quelques années.

Plus des deux tiers des crédits sont ainsi utilisés en contrepartie des fonds communautaires, notamment du Fonds européen pour la pêche, le FEP. Sur ce point, je voudrais appuyer la proposition des rapporteurs de regrouper l’ensemble de ces crédits au sein d’un programme dédié.

Nous devons néanmoins noter la baisse de 34 % des crédits de paiement de l’action 16, Gestion durable des pêches et de l’aquaculture, du programme Économie et développement durable de l’agriculture, de la pêche et des territoires, qui fait suite à la coupe de 36,7 % intervenue l’année dernière avec l’arrivée à échéance du Plan pour une pêche durable et responsable, instauré en 2008.

Les dépenses de fonctionnement s’élèvent à 11,623 millions d’euros en crédits de paiement et celles d’intervention à 44,2 millions d’euros, dont plus de 10 millions d’euros sont consacrés à l’installation de journaux de bord électroniques.

Les dépenses d’intervention portent sur le cofinancement d’interventions économiques prévues dans le FEP et inscrites dans les contrats de projets État-régions, les CPER, pour 5,85 millions d’euros – sont notamment concernés la modernisation des flottes et le soutien à l’aquaculture – et sur les interventions économiques hors CPER, pour 12,665 millions d’euros. Je renouvelle donc ma question, monsieur le ministre : les 10 millions d’euros pour les contrats bleus ne seront-ils pas insuffisants ?

Il nous faut admettre l’évidence : la situation de la pêche et son environnement, tant européen qu’international, ont considérablement changé en quelques années. Et je serai tentée de dire, m’inspirant de l’inscription que nos pêcheurs ont inscrite sur leurs tee-shirts, « Espèce en voie de disparition », que c’est en effet l’espèce des pêcheurs qu’il faut maintenant sauver.

Sans énumérer chacun des phénomènes qui ont conduit à ces bouleversements, je rappellerai seulement les plus importants, comme la prime à la casse, ayant entraîné, en vingt ans, une diminution de 50 % du nombre de navires en Bretagne, et ses effets en chaîne : renchérissement du prix des navires d’occasion, vieillissement de la flotte et hausse des coûts d’entretien, fragilisation économique de l’ensemble de la filière, en amont et en aval, et des organisations professionnelles.

Quoi qu’il en soit, les financements des sorties de flotte « pour ajuster la capacité de la flotte de pêche à la ressource disponible », en repli de 60 %, ne permettront pas de faire face aux plans sur les espèces profondes, sur le cabillaud et sur le thon rouge en Méditerranée.

La diminution, pour ne pas dire la disparition, des crédits des interventions, hors CPER et hors FEP, reste sans explication alors que cette décision réduit quasiment à néant les recherches sur les économies d’énergie ou l’amélioration de la sécurité des marins à bord. En outre, le montant des interventions socio-économiques est réduit de moitié.

Par ailleurs, de nombreuses questions demeurent, notamment sur la création de l’interprofession France filière pêche et de ses moyens financiers, avec le statut incertain de la « taxe poisson ». Enfin; la crise majeure que traverse l’ostréiculture mérite une mobilisation beaucoup plus large, mais j’aurai l’occasion d’évoquer ce sujet en détail lors de la séance de questions-réponses-répliques.

Malgré la dernière déclaration de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, et même si ce n’est pas forcément le lieu le plus adéquat, je veux relayer ici l’inquiétude de tous les professionnels de la mer concernant l’absence de prise en charge ministérielle spécifique, en contradiction flagrante avec l’ambition maritime défendue par le Président de la République et le souhait de pratiquement tous les participants du Grenelle de la mer.

En conclusion, monsieur le ministre, le projet de budget que vous nous proposez, au-delà de certaines orientations qui méritent d’être soutenues, ne porte qu’une ambition forcément limitée.

Votre engagement personnel et votre volonté politique – salués par tous – sur tous ces dossiers se heurtent à la réalité des choix financiers et fiscaux particulièrement hasardeux et injustes d’un gouvernement contraint d’ajuster ses dépenses, malgré les besoins et les attentes des producteurs, des éleveurs, des pêcheurs, des conchyliculteurs, bref de toutes les filières. C’est pourquoi, nous ne voterons pas les crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Charles Revet.

M. Charles Revet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur spécial, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, Gérard César ayant présenté dans son rapport l’avis de notre commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire sur la partie concernant la pêche et l’aquaculture – secteurs qui, vous le savez, me sont chers –, j’avais prévu d’intervenir seulement dans la séance des questions-réponses-répliques.

Un créneau s’étant dégagé s’étant dégagé dans la discussion, j’avais décidé d’évoquer les perspectives de la politique agricole commune après 2013. Toutefois, M. Jean-Paul Emorine m’a indiqué que cette question donnerait lieu à un débat dans le courant du mois de janvier, je réserverai donc mon intervention ciblée pour cette date.

Aussi, monsieur le ministre, je ne vous poserai que quatre questions, une sur l’agriculture, les trois autres sur la pêche et à l’aquaculture.

Nous avons tous en mémoire les crises laitière et porcine. Nos agriculteurs ont vu le prix du lait fortement baisser, du fait notamment d’importations provenant d’Allemagne. Vous vous êtes beaucoup investi dans ce dossier, monsieur le ministre, et avez largement contribué à l’élaboration de solutions progressives, qui ont permis d’atténuer les effets de cette crise.

Je me suis rendu en Allemagne cet été et que j’ai constaté que de nombreuses installations laitières ou porcines disposaient d’équipements de récupération, notamment de méthane. Manifestement, ces équipements contribuent à la baisse du prix de revient des produits qui sont ensuite exportés et viennent concurrencer nos propres produits.

Monsieur le ministre, et ce sera ma première question, existe-t-il des perspectives quant au développement en France d’installations de récupération, identiques ou similaires, qui permettraient d’abaisser les coûts de production de nos agriculteurs et, en conséquence, de les rendre plus compétitifs ? J’ai d’ailleurs déjà évoqué ce sujet en commission.

En matière de pêche et d’aquaculture, la France dispose d’un vaste espace économique maritime, éclaté en différents points du globe, presque équivalent à celui des États-Unis, qui est le plus important du monde. La possession d’un tel espace devrait nous placer dans une situation privilégiée en termes d’approvisionnement en ressources halieutiques. Or c’est un constat diamétralement opposé qu’il nous faut faire puisque 85 % de nos besoins sont couverts par les importations, ce qui nous rend largement dépendants de l’étranger, avec les conséquences graves qui en découlent en termes de déficit budgétaire.

La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche comporte des dispositions visant à développer l’aquaculture. Nous avons voté la mise en place d’un schéma recensant, sur l’ensemble du territoire de notre pays, les sites propices à l’implantation de fermes aquacoles. Ce schéma doit être finalisé dans un délai d’un an à dater de la promulgation de la loi. Monsieur le ministre, et ce sera ma deuxième question, pouvez-vous nous indiquer où en est ce dossier et à quelle date le schéma sera finalisé ?

Ma troisième question a trait aux règles de pêche dans l’espace maritime européen. J’ai récemment rencontré des pêcheurs de coquilles Saint-Jacques en Manche, et vous les connaissez bien, monsieur le ministre. Alors que les pêcheurs français ne peuvent pêcher la Saint-Jacques que pendant une période allant d’octobre à mai, et que leurs prélèvements sont contingentés, les pêcheurs anglais et hollandais peuvent, eux, pêcher cette espèce toute l’année. Et la coquille Saint-Jacques n’est pas la seule espèce concernée. Comment expliquer cette différence au détriment des pêcheurs français et peut-on envisager une harmonisation à l’échelon européen ?

Ma quatrième question porte sur l’exploitation de secteurs de pêches extérieures à la zone européenne, qui ont un grand potentiel. La pêche française y est certes présente, mais ils sont également fréquentés par grand nombre de bateaux de pêche étrangers. Quelles dispositions pourraient être envisagées afin de relancer ce type de pêche, qui permettrait de réduire considérablement notre dépendance au regard de l’étranger ?

Monsieur le ministre, le Normand que je suis évoque souvent cette question avec ses collègues de l’outre-mer, notamment ceux de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la Réunion. Nous réfléchissons à l’exploitation de ces zones, qui offrent d’importantes possibilités de pêche, et à l’organisation d’un approvisionnement pour notre pays. Nous avons en effet des installations de transformation de la pêche en Normandie, en particulier à Fécamp. Cela nous permettrait de réduire notre déficit, qui est inacceptable et inadmissible.

Je vous remercie par avance des réponses que vous voudrez bien m’apporter, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Renée Nicoux.

Mme Renée Nicoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur spécial, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, depuis plusieurs années, le monde agricole est frappé par une crise sans précédent, qui a la particularité de toucher tous les secteurs de manière durable et qui menace gravement la pérennité de l’activité des exploitants agricoles.

Des centaines de milliers d’exploitations ont disparu et des pans entiers de l’économie agricole sont aujourd’hui gravement menacés. Le nombre d’exploitants agricoles se réduit comme peau de chagrin face à des contraintes économiques et concurrentielles intenables. Le revenu des agriculteurs a considérablement chuté. La tendance est à l’agrandissement des exploitations, ce qui contribue à la disparition des agriculteurs locaux, lesquels font pourtant vivre nos territoires.

Cette crise illustre bien les dérives d’un système économique qui prône le rendement, le court terme et le profit. Or l’agriculture doit s’inscrire dans la durée. Elle a besoin de stabilité pour envisager une production de qualité sur le long terme.

Cette situation, nous la vivons tous, chaque jour, dans nos territoires, au contact de nos concitoyens. Le désarroi des agriculteurs est profond et tout à fait justifié : ils ont le sentiment d’avoir été abandonnés, sacrifiés sur l’autel du libéralisme, au profit de logiques purement financières de court terme.

D’aucuns soutiennent que l’année 2009 a été le point culminant de cette crise structurelle. Nous devons néanmoins tous avoir conscience que le malaise du monde agricole n’est pas en voie de rémission et que la crise n’est pas derrière nous. Bien au contraire, elle est devenue le lot quotidien de milliers d’agriculteurs qui, au bord de la faillite, se demandent s’ils vont pouvoir poursuivre leur activité.

Est-il normal, monsieur le ministre, que des agriculteurs en soient réduits à demander le revenu de solidarité active, le RSA ? N’est-ce pas là le signe d’une crise morale et sociétale ?

Voilà des années que les agriculteurs français se mobilisent et alertent les pouvoirs publics sur l’impasse dans laquelle ils se trouvent, des années aussi qu’ils réclament une action claire et concrète de la part de l’État afin que leur soient garantis des prix rémunérateurs, à la hauteur de leur travail.

Bien que le pouvoir en place n’ait pas cessé de répéter qu’il allait agir pour sauver l’agriculture française en lui apportant des remèdes adaptés, force est de constater que les réponses ne sont pas au rendez-vous, comme en témoigne encore aujourd'hui ce projet de budget. En effet, même si les crédits de la mission affichent une apparente progression de 1,8 %, certains montages qui démentent les annonces du Président de la république et les vôtres, monsieur le ministre, sont difficiles à cacher.

Permettez-moi de vous donner deux exemples pour illustrer mon propos.

En premier lieu, monsieur le ministre, lors de la présentation, le 15 septembre dernier, des plans stratégiques de développement des filières, que l’on attendait depuis plus d’un an, vous avez fait état d’une dotation de 300 millions d’euros sur trois ans.

Pour 2011, 60 millions d’euros sont financés sur des lignes budgétaires existantes, les 40 millions d’euros restants provenant du produit estimé de la taxe sur la plus-value foncière réalisée lors de la vente de terrains nus devenus constructibles. Le produit de cette taxe, qui se veut dissuasive, dépend du marché du foncier. Il est donc difficile à évaluer. Destinée à abonder un fonds dédié à l’installation des jeunes agriculteurs et à préserver le foncier agricole, cette taxe devrait finalement servir à financer les plans stratégiques de développement des filières. Il s’agit là d’un détournement d’objectifs, à moins que, dans ce cadre, les candidats à l’installation soient privilégiés.

En second lieu, le Président de la République a promis de sanctuariser les aides à l’installation à hauteur de 350 millions d’euros. Or nous sommes loin du compte. Nous constatons même une réduction de plus de 25 millions des prêts à l’installation, soit une baisse de 16,5 %.

Ces mesures sont très regrettables, car elles ne vont pas dans le bon sens, d’autant que la sonnette d’alarme a déjà été tirée depuis bien longtemps déjà. Ainsi, entre le 2 janvier 2009 et le 1er janvier 2010, seuls 13 300 exploitants agricoles se sont installés, soit une baisse sans précédent de 17,1 % par rapport à 2008.

L’effectif des nouveaux agriculteurs âgés de moins de quarante ans a lui aussi diminué de 14,5 % entre 2008 et 2009. Or, sans renouvellement des générations, nous pouvons craindre une disparition de l’activité agricole locale au profit de la généralisation, si tel n’est pas déjà le cas, des grandes exploitations intensives à l’origine de la désertification de nos territoires.

Le décalage entre les discours et les faits est donc assez marquant. La seule voie qui semble être suivie, malgré ce que l’on nous dit, est celle de la dérégulation et du libéralisme à tout-va.

Alors que, voilà quelques semaines, le Parlement s’est prononcé sur la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche – intitulé très optimiste ! –, on constate que cette réforme à tiroirs n’a apporté aucune solution réelle à la crise que traverse le monde agricole.

En plaçant la compétitivité au cœur de sa réforme tout en réduisant de façon drastique – de 21 % – les fonds destinés aux plans de modernisation des exploitations, le Gouvernement risque de compromettre une fois encore la survie de milliers d’exploitations agricoles.

À l’approche de la réforme de la PAC, qui ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices pour les agriculteurs français, le projet de budget pour 2011 aurait dû apporter des réponses au monde agricole et le rassurer. Face à une crise exceptionnelle, le Gouvernement aurait dû prendre des mesures exceptionnelles. Or tel n’est malheureusement pas le cas. Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, il nous présente un projet de budget frappé du sceau de l’austérité. Les crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales » en subissent les conséquences, malgré une apparente augmentation de 1,8 %.

Ce projet de budget n’assurera pas à l’ensemble des actifs agricoles une rémunération décente, juste et proportionnelle au travail qu’ils fournissent. C’est pourtant bien là qu’est la priorité !

Je regrette profondément que les crédits consacrés au plan de performance énergétique des exploitations agricoles baissent de 46 %, tout comme ceux de la filière bois-énergie, qui diminuent de 3 % en autorisations d’engagement et de près de 6 % en crédits de paiement. Cela signe l’abandon des résolutions du Grenelle de l’environnement du début de quinquennat.

Finalement, malgré les apparences, ce projet de budget est profondément soumis aux restrictions budgétaires. Il ne permettra pas d’amorcer favorablement la sortie de crise. Enfin, il n’apporte pas de réponses structurelles aux difficultés actuelles du monde agricole.

Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe socialiste ne votera pas les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.

M. Gérard Bailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur spécial, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, lorsque l’on s’exprime en treizième position, il est bien évidemment difficile d’échapper au risque de la répétition ! (Sourires.)

Monsieur le ministre, nous sommes tous unanimes à reconnaître que le contexte budgétaire ne vous laissait qu’une marge d’action réduite. Vous avez cependant réussi à obtenir une hausse de 1,8 % des crédits de paiement de la mission et une orientation prioritaire des crédits vers les secteurs en difficulté. Votre projet de budget marque un tournant, car il est axé sur des actions structurelles par le biais des plans stratégiques de développement des filières.

Même si votre projet de budget suit tendanciellement l’évolution générale du budget de l’État, nous apprécions particulièrement le renforcement des mesures de soutien au revenu des agriculteurs, comme, bien sûr, la reconduction de la prime à la vache allaitante, le renouvellement des crédits de la prime herbagère agro-environnementale, la PHAE, et le maintien de l’indemnité compensatoire de handicap naturel, l’ICHN, si importante pour les agriculteurs de montagne.

En qualité de président du groupe sénatorial d’études de l’élevage, je centrerai mon propos sur ce secteur.

Monsieur le ministre, si, grâce à votre détermination, des réformes structurelles et des accords ont pu être mis en place sur le marché du lait – l’accord d’août 2010 a tout de même permis une amélioration du prix –, si la filière ovine va un peu mieux grâce au rééquilibrage des aides de la PAC en faveur de ce secteur, la filière porcine, en revanche, continue de subir une oscillation des prix et, surtout, une élévation sensible des coûts de production du fait de la montée des cours des céréales et de ses conséquences sur l’alimentation animale. Cette filière mérite donc une attention toute particulière.

Mais que dire de la filière bovine, secteur en détresse par excellence ? Avec des prix de la viande inférieurs d’au moins 20 % au niveau nécessaire pour dégager un revenu, on arrive à un niveau moyen qui correspond à 40 % du revenu moyen agricole, lui-même déjà bien inférieur au revenu moyen de nos concitoyens. Dans ce contexte, désespérés de ne pouvoir discuter avec les principaux acteurs de l’abattage, absents des réunions de l’interprofession, les éleveurs ont été conduits à bloquer les abattoirs.

Il est urgent que les prix remontent, sinon le risque est grand que, dans quelques années, il y ait beaucoup moins d’éleveurs de viande bovine dans des zones dans lesquelles, bien souvent, on ne peut pas faire autre chose. Nous serons alors inondés par la viande en provenance d’Amérique du Sud.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Gérard Bailly. Le groupe d’études de l’élevage a récemment reçu les représentants de la Fédération nationale bovine, plutôt satisfaits d’être enfin parvenus à un accord sur une orientation des prix à la hausse et, surtout, à des accords sur les classements et la promotion. Je sais, monsieur le ministre, que votre action a été déterminante dans ce domaine. Une très grande vigilance continuera d’être nécessaire au cours des prochaines semaines.

Monsieur le ministre, pour augmenter rapidement le prix de la viande bovine, ne serait-il pas judicieux, d’arrêter les tests de dépistage de l’encéphalopathie spongiforme bovine, l’ESB, – cette pandémie est devenue quasi-inexistante dans notre cheptel –, ainsi que l’élimination des matériaux à risque sanitaire, à l’instar, me semble-t-il, de tous nos voisins européens ? Ce manque de valorisation pénalise encore plus nos éleveurs.