Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Leroy, au nom de la commission de l’économie.

M. Philippe Leroy, au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’évoquer certaines difficultés qui justifient l’organisation du débat qui nous réunit aujourd’hui, je tiens à débuter mon propos par un éloge vibrant de la forêt, d’une part, et de l’action gouvernementale, d’autre part.

La forêt, quoi qu’on en dise, se porte bien. Par mon discours, dans la mesure où l’on n’aide bien que les gens bien portants, je ne voudrais pas laisser entendre qu’elle serait condamnée à un déclin profond.

Elle couvre près de 30 % du territoire, à la satisfaction générale, et s’accroît chaque année d’environ 25 000 hectares. Par sa superficie, c’est l’une des grandes forêts d’Europe. Multifonctionnelle, notre forêt n’a pas seulement un rôle de production de bois ; elle rend également des services sociaux et environnementaux importants. La filière bois, qui transforme les produits forestiers, compte aujourd’hui encore 450 000 salariés directs ou indirects, soit autant qu’il y a vingt ans. Peu de secteurs économiques ont fait preuve d’une telle performance !

Or l’entretien de cette forêt ne coûte pas cher à l’État. C’est même l’un des secteurs les moins pourvus en crédits publics. Le budget consacré à la forêt s’élève en effet, pour l’année 2011, à seulement 360 millions d’euros, ce qui paraît tout à fait modeste si l’on songe aux services qu’elle rend.

Privés du FFN, le Fonds forestier national, les professionnels de la forêt demandent aux pouvoirs publics un effort financier modeste, mais ferme, qui viendrait compléter, dès cette année, les sommes prévues, pour faire face au défi forestier que nous avons à relever.

J’en reviens à mon éloge de l’État et du Gouvernement, qui, au cours des dernières années, a relancé les bases d’une politique forestière forte.

J’en veux pour preuve les deux discours du Président de la République, tenus respectivement à Urmatt et Égletons. De mémoire d’homme, et les forestiers ont la mémoire longue, on n’avait pas entendu un Président de la République s’exprimer publiquement sur les politiques forestières.

Mais, de mémoire d’homme également, on n’avait pas connu un événement comparable au Grenelle de l’environnement : c’est au Gouvernement que l’on doit l’invention de cette démarche fondamentale, qui a déjà porté ses fruits dans le domaine de la filière bois.

À la suite du Grenelle de l’environnement, en effet, l’État a pris des mesures pour encourager l’usage du bois dans la construction : les effets en sont très nettement perceptibles dans le secteur du bâtiment.

Le Grenelle de l’environnement a également conduit à la création d’un fonds stratégique destiné aux industries du bois.

Il apparaît donc clairement que le Gouvernement n’est pas resté indifférent aux problèmes de la politique forestière.

Le Grenelle de l’environnement a permis l’émergence d’un consensus : il est souhaitable de mobiliser une plus grande quantité de bois dans la forêt française, afin notamment de porter à 23 % la part des énergies renouvelables dans la production nationale d’énergie en 2020. C’est du bois, en effet, que viendra une grande partie de l’accroissement de la production d’énergie renouvelable.

Nous savons que nous sommes en mesure de produire jusqu’à vingt millions de mètres cubes supplémentaires de bois, dont une moitié de grumes et l’autre de bois d’industrie ou d’énergie.

L’un des principaux résultats du Grenelle de l’environnement est d’avoir favorisé l’acceptabilité sociale de cet objectif : tout le monde s’accorde à penser qu’il est possible d’accroître les récoltes d’un volume pouvant atteindre vingt millions de mètres cubes, sans abîmer la forêt française ni l’affaiblir sur le plan environnemental.

C’est pourquoi je dis avec conviction qu’un bon travail a été accompli.

Un autre aspect, également important à mentionner, appelle une analyse plus critique.

En effet, chaque fois que la filière bois bénéficie, comme aujourd’hui, d’une reprise économique, on enregistre une aggravation du déficit extérieur sectoriel…

Les esprits simples en concluent que la filière bois est condamnable, puisqu’elle représente le deuxième poste déficitaire de notre commerce extérieur.

On entend dire que les forestiers ne seraient pas malins, qu’il suffirait de faire ceci ou cela. Bref, y a qu’à… La filière serait incapable de se mobiliser : elle exporte des bois bruts et importe des produits finis ; les forestiers organisent mal l’approvisionnement de leur aval, les scieurs ne s’adaptent pas aux besoins du marché et les transformateurs industriels accusent un retard technologique.

Tout n’est pas si simple ! Si les problèmes étaient seulement ceux-là, ils auraient été résolus depuis longtemps…

Le fait est que la filière se porte plutôt bien et que le nombre de salariés du secteur demeure constant.

En réalité, le déficit est imputable pour un tiers à la faiblesse technologique des fabricants de meubles, c’est-à-dire aux insuffisances des activités de design : aussi n’est-ce pas la faiblesse technologique de nos industries qui est en cause, mais les carences du design français dans le domaine des ameublements en bois.

M. Gérard César. En effet !

M. Philippe Leroy. Alors que nous affichons de bonnes performances dans les secteurs du vêtement, du prêt-à-porter et de la haute couture, les fabricants français de meubles en bois, à l’évidence, ne font pas le poids.

Les deux tiers restant du déficit, comme l’a fait observer Mme Renée Nicoux, ont un caractère structurel : il se trouve que nous manquons aujourd’hui de bois résineux, au point de devoir chaque année en importer trois millions de mètres cubes.

M. Jean-Louis Carrère. En Aquitaine, il y a des forêts en déshérence !

M. Philippe Leroy. La raison en est que la France est essentiellement un pays de forêts feuillues. Les résineux français sont relativement bien récoltés, traités et transformés, mais nous n’en produisons pas suffisamment. Or les marchés ne consomment pas de façon massive le bois feuillu que nous produisons en grande quantité.

Il n’est donc pas juste de condamner la filière bois actuelle et de mettre en cause sa capacité. Les problèmes sont de nature structurelle : nous produisons beaucoup de feuillus, et pas suffisamment de résineux.

Il y a cinquante ans, le même constat avait conduit à la création du Fonds forestier national, destiné à reboiser la France en essences résineuses. J’aurai l’occasion, tout à l’heure, d’évoquer l’abandon regrettable de ce fonds.

Il s’agit à présent de faire le point sur l’application du volet forestier de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Vous-même, monsieur le ministre, vous êtes bien battu pour que les articles relatifs à la politique forestière aillent dans la bonne direction.

M. Gérard César. C’est vrai !

M. Philippe Leroy. S’agissant d’abord des plans pluriannuels régionaux de développement forestier, qui représentent une innovation fondamentale permettant de mettre en place, massif par massif, des mesures d’amélioration, nous croyons savoir que leur élaboration se heurte à un certain nombre de difficultés.

Il nous a été indiqué que les comités chargés de leur préparation ne travaillaient pas tous avec la même efficacité, et que la cohabitation, au sein de ces comités, des représentants des chambres d’agriculture et des acteurs forestiers n’allait pas toujours sans mal : la mise en place concrète des plans s’en trouverait ralentie.

S’agissant ensuite du réseau des gestionnaires forestiers professionnels, dont l’organisation est prévue par l’article 64 de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, et qui ont vocation à animer la filière, la parution du décret fixant leur statut semble avoir été un peu retardée. C’est un sujet sur lequel je souhaite aussi vous interroger.

Il semble que des difficultés soient également apparues dans l’application du droit de préférence, instauré par la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche pour faciliter les regroupements fonciers en permettant à des propriétaires forestiers d’acheter plus aisément les parcelles riveraines. Sur ce point aussi, une clarification et une accélération du rythme me semblent nécessaires.

Je veux enfin évoquer les dispositions de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche issues d’un amendement présenté par la commission de l’économie du Sénat et créant des assurances contre les aléas climatiques dans le secteur forestier. Gérard César, rapporteur de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, le groupe d’études « forêt et filière bois » du Sénat et moi-même sommes très attachés à ce dispositif, de nature à permettre une meilleure résistance des forêts face aux aléas climatiques. Ceux-ci mettent particulièrement en danger les forêts privées, en raison de la volonté insuffisante des propriétaires de reconstituer des parcelles qui leur ont fait perdre beaucoup d’argent.

Nous attendons, monsieur le ministre, le décret d’application relatif à ces assurances. Nous vous remercions pour les batailles que vous avez conduites, et pour celles que vous devrez conduire afin de faire accepter par le ministère des finances ce principe qui, même si son application n’est pas aujourd’hui parfaite, représente un progrès considérable.

Je veux à présent revenir au cœur du volet forestier de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche : il s’agit des plans pluriannuels régionaux de développement forestier.

Des crédits starter, des crédits de démarrage et de reboisement seront nécessaires pour préparer les récoltes nouvelles que nous avons évoquées, essentiellement attendues dans les forêts privées – par comparaison, les forêts domaniales et communales produiront au mieux deux millions à trois millions de mètres cubes supplémentaires au cours des prochaines années.

Selon les experts, les sommes nécessaires à la relance du reboisement sont comprises entre cinquante millions et cent millions d’euros par an pendant quelques années.

Comme vous, monsieur le ministre, nous placions certaines espérances dans le fonds « chaleur » créé à l’issue du Grenelle de l’environnement. Malheureusement, l’essentiel de ses moyens sont consacrés à d’autres secteurs.

Une autre source de financement, sur laquelle je sais que vous travaillez beaucoup, consisterait à faire bénéficier les forêts de certains moyens issus du fonds « carbone » destiné au financement du stockage du gaz carbonique.

Pour ma part, je m’interroge sur la possibilité technique, économique et politique de mettre en place, dans des délais compatibles avec le calendrier de nos projets, un système attribuant aux forêts des ressources du fonds « carbone ».

Je crains que, dans l’immédiat, nos espérances ne soient déçues par la réalité. C’est pourquoi je souhaite, monsieur le ministre, vous interroger sur la manière dont nous pourrions mobiliser les quelques crédits nécessaires au démarrage de la politique forestière ambitieuse que, comme vous, nous appelons de nos vœux.

À la suite de Mme Nicoux, je considère que les besoins de reboisement illustrent les inconvénients de la suppression du Fonds forestier national. Il ne s’agit pas, en mobilisant les cinquante millions à cent millions d’euros que nous vous demandons, de reconstituer ce fonds, mais de recréer un effort important et continu en faveur de l’enrésinement, et aussi du reboisement en essences feuillues.

Faute de cet effort, nous risquons de ralentir le rythme des récoltes et de nous placer, à moyen et à long terme, en situation de déséquilibre forestier.

La forêt s’invente avec cinquante années d’avance. Les reboisements conçus aujourd’hui par les aménageurs forestiers porteront leurs fruits dans cinquante ou cent ans.

Je pense, monsieur le ministre, qu’il est fondamental de replanter chaque année, comme nous le faisions auparavant, plus de cent millions de plants, alors que nous en plantons seulement vingt-huit millions aujourd’hui.

Je crois que nous devons garder à l’esprit cet objectif ambitieux : replanter chaque année cent dix millions de plants. Ainsi, nous pourrons adapter nos forêts à nos nouvelles espérances et les rendre peu à peu résilientes en prévision d’éventuels changements climatiques dans les prochaines années.

Quant au fonctionnement actuel de la filière bois, dont les professionnels sont parfois jugés incapables de s’organiser, je veux souligner que, depuis quelque temps, des interprofessions se mettent en place, sur la base de la contribution volontaire obligatoire pour les activités de l’amont et d’une taxe affectée pour ce qui concerne l’industrie.

Comme vous le voyez, monsieur le ministre, il n’est pas exact de soutenir que les professionnels du bois restent passifs face aux évolutions en cours. S’il est vrai que des progrès peuvent être faits, les critiques qui leur sont adressées sont quelquefois un peu injustes.

Je veux aussi vous mettre en garde contre un problème que nous pourrions rencontrer, dans l’immédiat ou dans les années qui viennent : celui des conflits d’usages entre les bois d’énergie, les bois d’industrie et les grumes.

En Allemagne, des usines de panneaux ont déjà fermé, faute de pouvoir se fournir en matières premières en raison de la concurrence entre la production d’énergie et la production de panneaux.

Je ne souhaite pas que de pareilles situations se produisent en France, et que les appels portant sur les bois énergie soient à ce point alléchants qu’ils découragent la production de bois industriel, beaucoup plus intéressante pour notre économie et pour l’emploi.

Assurons-nous donc, monsieur le ministre, que les appels portant sur les bois énergie restent modestes, pour ne pas risquer de déstructurer la filière, et que l’augmentation de la puissance du chauffage au bois soit en phase avec l’amélioration des récoltes.

En somme, il s’agit de permettre un fonctionnement harmonieux de ces divers mécanismes.

Ce panorama ne serait pas complet si je n’évoquais deux sujets qui me tiennent à cœur, à savoir la situation de l’Office national des forêts et celle de la recherche et de l’enseignement dans le domaine forestier.

Monsieur le ministre, au moment où l’ONF s’apprête à négocier avec l’État son prochain contrat d’objectifs, sa situation mérite un examen particulier. Non seulement l'État ne finance plus entièrement les actions de l'ONF en matière environnementale, ses actions sur la forêt, mais encore il a mis à sa charge l’accroissement du taux de cotisation pour les pensions de ses personnels fonctionnaires – c’est la question du compte d'affectation spéciale pour les pensions –, mesure qui pèse fortement sur ses comptes.

De fait, si le budget de l’ONF est aujourd’hui structurellement déséquilibré, la raison essentielle n’est pas à chercher dans la diminution des frais de garderie qu’il facture aux communes. C’est pourquoi il est nécessaire de réexaminer les contributions respectives de l'État et des communes au budget de l'ONF.

Au sein de cet hémicycle, nous soutenons tous les communes forestières, qui, à travers le régime forestier, apportent un concours précieux à l'État pour la conduite d'une grande politique économique, sociale et environnementale.

Monsieur le ministre, je conclurai en évoquant brièvement le second sujet qui me tient à cœur, et je sais qu’il vous préoccupe également.

Nous devons reconstituer en France une grande pensée forestière. Notre pays ne compte plus d'école forestière au sens noble du terme, formant des sylviculteurs, des ingénieurs forestiers susceptibles d'être des experts internationaux, des aménageurs capables, par exemple, de porter la forêt européenne dans le concert mondial, de porter la forêt guyanaise comme modèle d'une gestion équilibrée des forêts intertropicales. La recherche et l'enseignement dans le domaine forestier ne nous permettent plus de tenir une juste place dans les discussions relatives aux normes qui s'imposent à nos industries. Plus largement, d’ailleurs, force est de constater que nous ne tenons plus suffisamment notre place dans la définition par les États des normes technologiques applicables aux autres activités industrielles.

Monsieur le ministre, les uns et les autres, nous devons prendre conscience des lacunes de la recherche et de l'enseignement en matière forestière. Les actions qui sont conduites dans ce domaine sont appréciables, elles le sont par des personnes à l'évidence intéressées et compétentes, mais en nombre trop restreint et avec des moyens insuffisants pour permettre à la France de tenir un rang mondial dans les industries du bois et dans la pensée forestière.

Pour en avoir discuté avec elle, je souscris par exemple à l’idée de Mme Nicoux – vous voyez, mes chers collègues, un consensus s’est fait jour parmi nous – de mettre sur pied des équipes pluridisciplinaires afin de promouvoir l’utilisation plus massive, d’ici à quelques années, du bois feuillu dans la construction.

J’espère que cela ne restera pas un vœu pieux… Monsieur le ministre, nous pouvons vous faire confiance, car vos états de service en matière forestière ne sont pas si mauvais que cela. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’abandonne les rats taupiers, qui nous ont occupés ce matin, pour aborder maintenant les problèmes de la forêt. (Sourires.)

Le journal Le Monde, dans son édition des 22 et 23 mai, titrait, dans sa page Débats : « En cette année internationale de la forêt, consacrée par l'ONU à la lutte contre la déforestation, n'est-il pas tout aussi urgent de renouer avec l'imaginaire perdu des arbres ? »

M. Yvon Collin. C’est beau ! (Sourires.)

Mme Anne-Marie Escoffier. Et l'auteur de l'article de nous emmener au pays où se déploie « l'exaltation des plaisirs enfantins trouvés à l'intérieur de la cabane de branchages », de nous transformer en acrobate sur les parcours d'accrobranches ou de nous inviter à relire Italo Calvino et son Baron perché, précurseur de l'engouement pour ces nouvelles formes d'hôtel de pleine nature.

Je ne suis pas assurée, monsieur le ministre, que ces préoccupations journalistiques soient pleinement partagées par nos amis forestiers et par ceux qui se demandent comment faire évoluer la filière bois. Vous savez leurs inquiétudes, des inquiétudes auxquelles a voulu répondre le Président de la République dans ses interventions à Urmatt et à Égletons.

Le constat est clair : la forêt française est la troisième plus vaste d'Europe ; elle occupe 30 % de notre territoire national et génère 450 000 emplois. Mais, en même temps, elle est la moins productive et la France se doit de recourir largement aux importations de bois. Le secteur forêt-bois représente ainsi le deuxième poste de déficit commercial de la France.

Les raisons de cette mauvaise performance sont à rechercher autant dans le morcellement de la forêt française, dans son appartenance, pour près des quatre cinquièmes, à des propriétaires privés dont l'activité liée à l'exploitation du bois n’est qu’accessoire, que dans la nature même des bois, car ont été privilégiés les feuillus au détriment des résineux, utilisés pour les activités industrielles.

Dans ce contexte, compte tenu du caractère stratégique de la forêt et de la filière bois, appelée à devenir, selon vos propres mots, monsieur le ministre, « une filière d'avenir au cœur de la croissance verte et écologique », plusieurs objectifs, ambitieux, ont été fixés : le développement de l'usage du bois dans la construction et pour l'énergie, le renforcement de la structuration de la filière bois, la mobilisation de la ressource et la gestion des risques.

L'Office national des forêts, outil de cette volonté, tient une place privilégiée dans ce plan stratégique, même s'il ne gère qu'un cinquième de la surface forestière, celle qui appartient à l'État et aux collectivités territoriales.

La détérioration de sa situation financière, relevée par la Cour des comptes, due autant à l'effondrement du chiffre d'affaires dans le secteur du bois qu’à l'augmentation progressive du taux des cotisations patronales imposées par l'État, a nécessité que soient prises des mesures urgentes.

Les propositions faites par notre collègue Joël Bourdin et par Hervé Gaymard, président du conseil d'administration de l'ONF, ont eu pour objectif d'optimiser l’organisation interne de l'office, de rentabiliser ses interventions dans le cadre de sa politique commerciale et d'améliorer, en les clarifiant, les relations entre l'État et les collectivités territoriales.

Il serait important, quelques mois après le dépôt du rapport de M. Gaymard, de mesurer lesquelles de ces mesures peuvent être concrètement mises en œuvre et leur impact sur l'évolution de la politique forestière nationale.

Je n'ignore pas l'inquiétude qu'ont fait naître ces réflexions et les craintes exprimées tout dernièrement par les organisations syndicales à l'occasion de la signature, le 14 avril dernier, d'un protocole d'accord, inquiétudes relatives à la diminution programmée des effectifs de 1,5 % par an, au renforcement d'une tendance ultra-productiviste pour la forêt – tendance décomplexée par la préservation d'îlots de biodiversité –, à la standardisation des produits de la filière bois et à la priorité accordée au tout-résineux après celle qui avait été accordée au tout-feuillus, enfin, à un management par objectifs éprouvant pour le personnel.

Nombreux sommes-nous à penser que la réorganisation qui se met en place auprès des personnels de l'ONF est indispensable, mais tout aussi nombreux sont ceux qui estiment incontournables les mesures urgentes pour permettre aux forestiers privés de réinvestir la forêt, conformément aux objectifs fixés par le Grenelle de l'environnement.

Réinvestir, pour eux, passe assurément par des mesures fiscales. Parmi les plus significatives, on relève avec satisfaction les mesures patrimoniales – exonération partielle de l'impôt de solidarité sur la fortune pour les propriétés de bois et de forêts ou bien encore exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit –, le dispositif d'encouragement fiscal à l'investissement en forêt pour lutter contre le morcellement des propriétés forestières, le taux réduit de TVA pour les travaux sylvicoles et d'exploitation consécutifs aux tempêtes de 1999, le compte épargne d’assurance pour la forêt, créé par la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche.

Mais ne faudrait-il pas aller plus loin pour inciter véritablement les propriétaires forestiers à investir dans leur patrimoine et, par exemple, transformer les exonérations fiscales en crédit d'impôt, supprimer les taxes lors de l'achat de parcelles devant être boisées, reconnaître les dégâts des gibiers aux forêts et en faire supporter le coût aux chasseurs quand il est avéré qu'ils en sont à l'origine ou, enfin, dédier un fonds carbone à la reconstitution forestière ?

Ce sont autant de mesures qui justifieraient que les moyens financiers alloués à la forêt aillent au-delà des 360 millions d'euros prévus au programme 149 « Forêt » de la loi de finances pour 2011.

J'en viens maintenant à la priorité qui devrait être donnée à l'activité liée au bois d'œuvre.

L'utilisation du bois dans la construction devrait être multipliée par dix : ossatures en bois, charpentes, menuiseries intérieures et extérieures et revêtements de façade sont autant d'utilisations possibles de nos ressources en bois dès lors que celles-ci proviennent de résineux, qui sont plus adaptés que les feuillus, en l’état actuel des techniques, aux matériaux de construction.

Or, comme je l'ai indiqué, priorité a trop longtemps été donnée aux feuillus et les efforts rendus possibles à l'époque du Fonds forestier national, jusqu'en 1997, ont été suspendus, laissant les surfaces exploitées livrées à elles-mêmes.

Comment, dès lors, répondre à l'objectif gouvernemental qui est de multiplier par dix le seuil minimum d'incorporation du bois dans les constructions neuves, et ce depuis 2010 ? La suppression préconisée du permis de construire pour les travaux d'isolation thermique des habitations par l'extérieur est-elle si difficile à mettre en œuvre que l'on n’en voie guère aujourd'hui le bénéfice ?

Monsieur le ministre, je ne doute pas de votre volonté d'encourager la politique forestière et le développement de la filière bois sous toutes ses formes. Je mesure combien il peut être lourd et difficile d’actionner en même temps tous les partenaires concernés, à savoir les services publics, les collectivités locales, les entreprises, les agriculteurs.

Aujourd'hui, je crains, et avec moi bien des collègues du groupe RDSE, auquel j'appartiens, que les espoirs mis dans les ambitions déclarées du discours d’Urmatt ne soient pour beaucoup que de faux espoirs.

Certes, je n'ai pas le talent oratoire de Chateaubriand, pair de France, qui, dans ce même palais, le 21 mars 1817, demandait qu'une attention particulière fût portée à la forêt française, mais, avec lui, je voudrais éviter que « les forêts précèdent le peuple et les déserts les suivent ». (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons, à travers ce débat, la politique forestière dans notre pays en 2011, année internationale de la forêt, à un moment où se prépare le nouveau contrat d’objectifs État-ONF 2012-2016, alors même que le Président de la République a assigné des objectifs nouveaux à cette filière, objectifs que beaucoup jugent irréalisables et contraires aux intérêts de la forêt.

À Urmatt, le chef de l’État a défendu, d’une part, l’idée d’augmenter la mobilisation du bois afin de combler le déficit commercial de la France et, d’autre part, de favoriser le bois énergie afin d’atteindre l’objectif de 23 % d’énergies renouvelables d’ici à 2020.

Une augmentation de la récolte de bois de 50 % est irréaliste. Depuis la suppression, en 1997, du Fonds forestier national, laquelle est la cause d’un reboisement insuffisant, le renouvellement des forêts s’effectue aujourd’hui principalement par régénération naturelle. Nous devons donc reprendre les plantations adaptées à nos besoins et aux milieux naturels, qui prennent en compte le réchauffement climatique tout en préservant la résilience des écosystèmes.

Prétendre qu’il faudrait exploiter l’intégralité de l’accroissement naturel de la forêt est un non-sens : sur le plan environnemental, d’abord, car c’est méconnaître les cycles biogéochimiques et aller à l’encontre de l’objectif de préservation de la biodiversité ; sur le plan économique, ensuite, car ce raisonnement ignore le coût d’accès à la ressource, par exemple en montagne, qui fait qu’il ne serait pas nécessairement rentable d’accroître le niveau d’exploitation dans certaines parcelles.

En outre, la rentabilité de la forêt ne se mesure pas simplement en mètres cubes de bois coupés. Croire cela reviendrait à ignorer les fonctions environnementales et sociales de ce milieu.

Sur le plan environnemental, la forêt filtre et purifie l’eau à moindre coût, lutte contre l’érosion des sols, fixe le dioxyde de carbone et constitue un réservoir de biodiversité.

Sur le plan social, elle remplit une fonction primordiale, héritée de l’abolition des privilèges à la Révolution, avec les promenades en forêt, la chasse, les loisirs...

De surcroît, les intérêts court-termistes de la rentabilité ignorent l’idée fondamentale selon laquelle le temps de la forêt n’est pas celui du marché. Je pense à la chênaie Colbert en forêt du Tronçais, dans l’Allier, chère à ma collègue Mireille Schurch, qui comprend des chênes de plus de quatre cents ans, de véritables cathédrales végétales...

Enfin, la situation n’est pas homogène entre la forêt publique et la forêt privée. Cette dernière se caractérise par une gestion sous-optimale qui s’explique, entre autres, par son morcellement en près de 3,5 millions de petites propriétés de un à quatre hectares. Sans doute les propriétaires privés sont-ils attachés à leur patrimoine, mais ils n’ont pas toujours la volonté ni souvent l’opportunité financière de le valoriser. Pour cela, il faut aider les propriétaires forestiers, qu’ils soient publics ou privés, à s’inscrire dans une stratégie collective, et seule la puissance publique est à même de coordonner tous ces efforts.

En ce qui concerne l’aval de la filière, ce qui doit nous motiver, c’est le développement d’une filière bois à haute valeur ajoutée. Cela passe avant tout par la valorisation du bois d’œuvre, dont les métiers présentent une grande richesse sur le plan des savoirs et des techniques et qui constitue un gisement considérable d’économies de matières premières d’origine géologique auxquelles il se substitue. Et ce d’autant plus que, du point de vue commercial, le déficit de la filière bois est avant tout lié au bois d’œuvre et de trituration.

Le développement du bois-énergie à tout prix, notamment sous forme de plaquettes, n’a de sens que s’il ne se fait pas au détriment du bois d’œuvre. Certes, il s’agit d’une énergie renouvelable, mais l’impact sur l’effet de serre n’est pas nul et seul un usage local, en circuit court, permet de réduire cet impact. S’il est utile de développer raisonnablement le bois de chauffage, celui-ci doit rester un usage complémentaire de la production de bois d’œuvre.

Par ailleurs, la concurrence déloyale des filières illégales pénalise durement toute la filière bois française. On estime à près de 40 % la part illégale de nos importations de bois ! Un outil de traçabilité adéquat pourrait être un bon complément aux certifications, surtout s’il prenait en compte la distance parcourue afin de favoriser les circuits courts.

J’en viens au régime forestier, dont une note de Bercy, récente et, je dois le dire, délirante, préconise une refonte du régime forestier en vue de privatiser la gestion des forêts communales. À cette fin, il est prévu d’augmenter les coûts pour les collectivités, de majorer les frais de garderie en changeant l’assiette pour en faire un versement forfaitaire à l’hectare, qui prendrait en compte tous les services rendus par la forêt. Or une rémunération des services écosystémiques étranglerait financièrement encore un peu plus les communes ! Si vous me permettez une parenthèse, je dirai qu’il convient de rester prudent sur ce sujet qui peut être la porte ouverte à une marchandisation totale de la nature, en s’appuyant sur le mirage de la compensation écologique.

Ainsi, nous ne pouvons que dénoncer cette volonté de privatisation rampante de l’ONF, qui vise à ouvrir toutes les activités rentables aux opérateurs privés pour ne laisser à l’Office que les missions de service public jugées non rentables. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire si cette idée saugrenue a été définitivement abandonnée ?

Aujourd’hui, la forêt publique est libre d’accès et elle doit le rester. L’État doit prendre ses responsabilités en maintenant le versement compensateur et en n’augmentant pas les frais de garderie.

Enfin, il ne s’agit pas seulement d’argent : depuis plusieurs années, à l’ONF, le dialogue social est rompu, comme en témoignent les suicides intervenus récemment ; il convient de réfléchir aux causes du mal-être des forestiers.

Leur travail perd de son sens, la volonté d’augmenter la production sylvicole est contredite par la baisse des effectifs. L’idée de protection d’un patrimoine national disparaît au profit d’intérêts exclusivement commerciaux. La professionnalisation compartimente, cloisonne les métiers, augmentant par là même leur dangerosité. L’intérêt national et le statut de fonctionnaire d’État vont de pair, c’est pour nous une évidence. La transmission des connaissances et des compétences nécessite une meilleure prévision dans la gestion des ressources humaines, et ces considérations devraient prévaloir sur la révision générale des politiques publiques, la RGPP. Rappelons en effet que les plantations d’aujourd’hui ne seront exploitées que dans cinquante ou soixante ans.

Monsieur le ministre, ma conclusion prendra une forme interrogative : quelles missions veut-on réellement assigner à la forêt aujourd’hui, comment rééquilibrer la gestion des forêts publiques et celle des forêts privées, comment redonner du sens au métier des forestiers ?

La réflexion est aujourd’hui essentiellement économique, avec une vision court-termiste, sclérosée par la recherche de la rentabilité. Le discours du Grenelle de l’environnement et les objectifs affichés ne devraient-ils pas plutôt conduire à un renforcement du rôle de l’Etat ?

Enfin, je le répète, il n’y a pas de politique forestière sans moyens : des moyens institutionnels, humains et forestiers. Vouloir faire croire le contraire, c’est jouer les illusionnistes, la communication, l’affichage, sans véritable politique volontariste au service de la forêt et de l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – M. Claude Biwer applaudit également.)