Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n’entrerai pas ce soir dans des considérations techniques sur la politique forestière.

Je ne parlerai pas, non plus, du débat relatif au programme forêt ou aux frais de garderie. Mes collègues Renée Nicoux – rappelons qu’elle est à l’origine de ce débat – et Jean-Louis Carrère sont intervenus précédemment sur ces thèmes avec force et compétence.

Je parlerai de confiance. Dans notre pays, nos concitoyens ont tissé au fil des siècles un lien particulier avec leur forêt. Le traumatisme causé par les tempêtes de décembre 1999 et de janvier 2009 témoigne de cet attachement et de cette place particulière qu’occupe la forêt dans notre vie.

Dans le département de l’Aisne, les forêts couvrent environ 123 000 hectares sur 7 369 kilomètres carrés, dont 70 % sont détenus par des propriétaires privés. La forêt publique comprend pour sa part treize forêts domaniales, soit 24 %, et 84 forêts communales – 5 % – ou établissements publics relevant du régime forestier.

À eux seuls, les massifs de Retz, en forêt de Villers-Cotterêts, ainsi que ceux de Saint-Gobain et de Coucy-Basse représentent 21 335 hectares.

Ces forêts, gérées par l’Office national des forêts, jouent un rôle parfaitement identifié dans l’aménagement et le développement durable des territoires, dans le domaine économique et de l’emploi en zone rurale – exploitation de la ressource en bois, valorisation des produits forestiers et de la filière bois –, en matière de préservation de l’environnement, de biodiversité et de qualité des paysages, mais aussi au travers des fonctions sociales – accueil du public, pratiques sportives et cynégétiques, tourisme, etc. Elles constituent les principaux espaces naturels du département ouverts au public.

Pourtant, depuis plus d’un an, un conflit oppose l’ONF à la population et aux élus locaux à propos de la forêt de Saint-Gobain. L’exploitation actuelle est perçue comme brutale et uniquement organisée pour renflouer les caisses de l’ONF. Coupes à blanc, coupes en lisière de village ayant un impact désastreux sur le paysage ou destruction des chemins forestiers sont dénoncées localement.

Ce conflit illustre parfaitement l’incompréhension qui peut régner aujourd’hui entre les populations de communes forestières et l’ONF, qui bénéficiait pourtant d’une excellente image et d’une réputation sans taches.

Jusqu’à ce jour, l’ONF a en effet su développer dans le département de l’Aisne des partenariats efficaces avec les collectivités locales pour assurer l’entretien et la propreté générale des forêts domaniales avec, comme corollaire, la mise en place de nombreuses actions liées au développement touristique et à l’accueil du public dans les massifs domaniaux. Des conventions d’objectifs sont ainsi conclues depuis 1999 avec le conseil général et viennent d’être renouvelées.

Mais l’ONF, vraisemblablement frappée par la RGPP – à moins qu’il n’y ait une autre explication ? – ne se retrouve-t-elle pas contrainte de privilégier une vision de rendement de son action ?

Le rapport d’information, fait au nom de la commission des finances du Sénat, sur l’enquête de la Cour des comptes sur l’ONF souligne la dégradation de la situation financière de l’Office depuis 2008.

Les forêts communales et domaniales sont un bien public qui appartient à l’ensemble de la population qui se l’est approprié. Leur gestion doit donc demeurer publique. Les deux piliers de celle-ci doivent rester équilibrés : la gestion économique, mais également les missions d’intérêt général comme la préservation de la biodiversité.

Cette incompréhension grandissante de l’action de l’ONF est selon moi dangereuse, monsieur le ministre. Hervé Gaymard parle de « confiance légitime » dans son rapport remis au Président de la République le 15 octobre 2010.

C’est bien là le mot essentiel. À l’heure où les projets de filières bois et de création de réseaux de chaleur se multiplient, il est primordial de restaurer ce climat de confiance entre l’ONF et les acteurs locaux.

C’est indispensable à la poursuite d’une politique forestière ambitieuse sur nos territoires ; c’est essentiel à la poursuite des efforts engagés pour développer les filières bois sur nos territoires ; c’est essentiel au regard des enjeux environnementaux et sociaux de ces filières, notamment en termes d’emplois créés.

Ainsi, dans l’Aisne, une étude préalable à la réalisation d’un schéma départemental pour la structuration d’une filière bois-énergie, remise au conseil général, estime que près de 2 400 emplois pourraient être créés au niveau régional dans le secteur de la construction des chaufferies, infrastructures et équipements, dont près de 40 % dans le département.

Une telle politique ne peut être que co-construite. Comme le souligne, là encore, M. Gaymard, l’ONF doit être l’outil d’une politique ambitieuse de la filière bois.

Sans cette confiance réciproque entre, d’une part, les acteurs locaux que sont les associations et les collectivités locales, notamment les communes et, d’autre part, l’ONF, le défi de la filière bois ne pourra pas être relevé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yann Gaillard.

M. Yann Gaillard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme certains d’entre vous le savent peut-être, j’ai assuré pendant plusieurs années la présidence de la Fédération nationale des communes forestières, la FNCOFOR, fonction dans lesquelles j’avais du reste succédé à notre ancien collègue Jacques-Richard Delong.

C’est à ce titre que nous nous sommes livrés à une sorte de petit coup d’État lorsque j’ai paraphé, pour la première fois, le contrat État-ONF 2007-2011, en vigueur encore aujourd'hui, signé à l’occasion de l’assemblée générale des communes forestières le 24 juin 2006 à Épinal ; agréable souvenir… Néanmoins, ce souvenir est un peu troublé dans la mesure où, quelques semaines après la signature, j’ai vu poindre des charges additionnelles, liées au financement de la retraite des fonctionnaires, à l’établissement d’un bail pour des maisons forestières antérieurement mises à disposition de l’établissement… Je crois bien m’être laissé aller à dire à ce propos, à l’occasion de ma dernière assemblée générale de la FNCOFOR, à l’automne 2007 à Clermont-Ferrand, que l’État s’apprêtait à « reprendre d’une main ce qu’il avait donné de l’autre ». Mais qui s’en étonnerait ?

Aujourd’hui, l’équilibre financier de l’ONF, qui a de surcroît été confronté à la grave crise économique de 2008-2009, reste précaire.

La question de ce « CAS pension » – en l’occurrence le taux de contribution des opérateurs de l’État au compte d’affectation spéciale des pensions civiles des fonctionnaires – est devenue cruciale pour l’avenir de l’établissement, ainsi que le soulignait le remarquable rapport de M. Hervé Gaymard au Président de la République.

La hausse additionnelle de ce taux – prétendument stabilisé à 33 % en 2006, actuellement de 65 % et toujours en progression de trois points environ par an, soit à terme un surcoût annuel net de l’ordre de 80 millions d’euros – a constitué un véritable « choc des retraites ». C’est là l’expression employée par la Cour des comptes, dans une mission effectuée en 2009, qui a fait l’objet d’un rapport d’information de notre collègue Joël Bourdin et d’une audition en commission des finances le 21 octobre 2010.

Il est aujourd’hui question que les communes forestières signent tout de même le contrat 2012-2016. Je ne peux certes que m’en féliciter.

Elles le feront sans doute, en dépit de l’amertume qu’a suscitée dans la forêt publique la divulgation d’un rapport confidentiel de quatre inspecteurs généraux de l’administration. Le président de la FNCOFOR, mon successeur Jean-Claude Manin, vous a fait part de son sentiment en évoquant les appels – selon lui déplacés – de ces hauts fonctionnaires au sens de la responsabilité des élus que contenait, semble-t-il, ce document, voué comme tous ses pareils en dépit d’une confidentialité affirmée, à une divulgation rapide.

Les dernières années ont permis d’approfondir le partenariat entre l’ONF et les communes forestières dans de nombreux domaines, pourtant réputés difficiles : augmentation de la mobilisation des bois, plus 750 000 mètres cubes récoltés au bout de cinq ans, développement des ventes groupées et des contrats de ventes de bois façonnés, mise en place d’une Commission nationale de la forêt communale... De plus, cette évolution s’est faite dans une période particulièrement défavorable sur le plan économique et tout en réalisant des efforts de réorganisation interne de l’ONF et en assumant une réduction d’effectifs sans précédent : moins 20 % en dix ans.

Les conditions d’une réflexion de fond objective sur une contribution des communes forestières plus équitable et plus incitative en faveur d’une gestion forestière durable et dynamique– sujet sensible s’il en est, notamment au sein de notre assemblée – sont peut-être pour la première fois enfin réunies.

Mais le rendez-vous de la préparation de ce nouveau contrat pour l’ONF et les forêts publiques sera manqué si ni l’ONF ni les communes forestières n’ont les moyens de poursuivre leur travail au sein d’un établissement rendu et maintenu structurellement déficitaire, où les relations sociales comme celles qui sont entretenues avec les partenaires ne pourront que redevenir conflictuelles. Ce serait là un grand malheur pour la forêt publique, mais je suis sûr, monsieur le ministre, que vous êtes capable de l’éviter ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Nachbar.

M. Philippe Nachbar. Madame le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite du débat que nous avons aujourd’hui car, si le développement de la filière bois est devenu, selon une expression jadis célèbre, une « ardente obligation », il n’en a pas toujours été ainsi.

À Urmatt, puis à Égletons, le Président de la République a su rappeler le rôle essentiel que la forêt française doit tenir dans notre économie et la nécessité de réduire notre déficit d’autant plus paradoxal que nous avons le troisième massif forestier d’Europe.

Ma région, la Lorraine, cinquième région forestière de France par son taux de boisement, a d’ores et déjà anticipé ce mouvement, et c’est avec plaisir que je signale qu’elle accueille le premier pôle d’enseignement et de recherche dans ce domaine. Un rapport rendu public voilà quelques jours par le conseil économique et social régional fait l’inventaire des atouts et des faiblesses de la filière bois et pose quelques questions de fond qui vont bien au-delà des limites de ma région et que je reprends ici.

De quelle marge de manœuvre disposons-nous sur un marché du bois de plus en plus mondialisé ? Comment aider l’effort d’investissement de la première transformation des scieries et des entreprises de seconde transformation, investissement d’autant plus lourd que nombre de ces entreprises sont de petite taille ? Comment stimuler la montée en puissance du bois dans la construction ? Enfin, comment éviter un conflit que l’on constate souvent entre le bois énergie et le bois industrie ?

Rien ne se fera, monsieur le ministre, si l’on veut renforcer la filière bois sans les communes forestières, et c’est le point sur lequel je voulais insister, après quelques-uns de ceux qui m’ont précédé, notamment Yann Gaillard.

En France, la forêt publique domaniale et communale représente 25 % de la surface de notre forêt et 40 % de la production de bois. C’est dire à quel point son rôle est essentiel compte tenu du morcellement et des difficultés que connaît la forêt privée.

Les communes forestières ont engagé un partenariat étroit avec l’ONF pour développer la filière bois, valoriser les ressources de la forêt publique tout en travaillant avec la forêt privée et répondre ainsi aux attentes des collectivités locales, qui, de plus en plus, créent des chaufferies bois. Plusieurs dizaines de communes de mon département, la Meurthe-et-Moselle, ont mis en place de telles installations. L’une de ces communes, Blâmont – 1 200 habitants – a créé une chaufferie bois qui alimente l’ensemble des bâtiments communaux – le collège, la maison de retraite – à la satisfaction de tous. Ce sont de telles opérations qu’il nous faut pouvoir encourager et développer.

C’est la raison pour laquelle il est essentiel de préserver la situation financière de la forêt communale et, bien sûr, en premier lieu, de ne pas imaginer comme solution possible l’augmentation des droits de garde, faute de quoi nombre de communes renonceront purement et simplement à exploiter une forêt par ailleurs fragilisée par la tempête de 1999, notamment dans l’ouest et l’est de la France.

Comme vous le savez, monsieur le ministre – certains de mes prédécesseurs à cette tribune l’ont rappelé – les communes forestières se sont inquiétées il y a quelques mois lorsqu’elles ont eu connaissance d’une note de la direction du trésor remettant en cause le régime forestier et le rôle de l’ONF, et ce en contradiction avec le rapport qu’Hervé Gaymard a remis en octobre dernier au Président de la République.

Le conseil d’administration de la FNCOFOR, dont je fais partie – je parle sous l’autorité de Yann Gaillard, qui a succédé à Jacques-Richard Delong – nous avait alertés, et vous lui aviez répondu, monsieur le ministre, par un courrier très clair et très précis, qui a apaisé les craintes des communes forestières. C’est la raison pour laquelle je serais très heureux aujourd’hui que vous puissiez réaffirmer devant le Sénat, qui représente l’ensemble des communes de France, en particulier ce soir les 12 000 communes forestières car ce sont elles qui sont mises à l’honneur, votre volonté de maintenir le régime forestier essentiel au développement de la forêt communale, la mission de service public de l’ONF, sans laquelle rien ne se fera, et le versement compensateur de l’État à l’ONF au titre des services rendus aux communes.

Votre engagement permettra à la préparation du futur contrat de plan État-ONF pour 2012-2016 de se dérouler dans les meilleures conditions. Je sais l’attachement que vous portez à la forêt française et à l’avenir de la filière bois, et je ne doute pas que vous aurez à cœur de donner à cet égard tous apaisements au Sénat. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

(M. Guy Fischer remplace Mme Monique Papon au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, plusieurs orateurs l’ont dit, l’avenir de la politique forestière française est un enjeu majeur. Je me réjouis de pouvoir en discuter avec vous cet après-midi, avec quelques heures de retard, je le reconnais volontiers, mais, cela dit, j’étais ce matin au Sénat pour parler des rats taupiers notamment, j’y suis cet après-midi, j’y serai encore ce soir, et quand je n’étais pas au Sénat, j’ai essayé de trouver un peu de temps pour être sur le terrain auprès des paysans.

Si je souscris évidemment à l’éloge de Philipe Leroy envers la forêt et les massifs forestiers français, je partage également les inquiétudes qui ont été exprimées par un certain nombre d’entre vous, notamment par Jean-Louis Carrère, sur la forêt des Landes, durement touchée par la tempête Klaus, laquelle a laissé des stigmates qui sont visibles encore aujourd’hui. À ce propos, croyez bien que je veille tout particulièrement au déblocage des 415 millions d’euros promis sur huit ans pour reconstituer 150 000 hectares de forêt. Cela me paraît indispensable pour préserver l’avenir de la forêt des Landes.

La forêt, vous l’avez tous dit, représente plus d’un tiers du territoire français, soit 16 millions d’hectares, et je rappelle, comme Renée Nicoux, que s’y ajoutent 8 millions d’hectares de la forêt tropicale guyanaise. C’est donc aussi un enjeu majeur pour les départements et les territoires d’outre-mer.

La forêt est, à l’évidence, une chance pour la France.

C’est un enjeu stratégique dans la lutte contre le changement climatique en raison de la captation de carbone que permettent les forêts.

C’est un élément déterminant du développement des territoires ruraux. Il n’y aura pas de ruralité sans développement des massifs forestiers.

C’est évidemment aussi un atout économique majeur puisque la forêt représente un chiffre d’affaires de 60 milliards d’euros et 425 000 emplois directs.

On parle beaucoup dans les journaux et dans les médias de l’importance de l’industrie automobile, je ne la conteste pas, mais la forêt compte plus d’emplois que l’industrie automobile et il me semble que l’on en parle moins.

On vante sans cesse les mérites de l’aéronautique française ; c’est, bien entendu, mérité, mais l’excédent commercial lié à l’agriculture et à la forêt est bien plus important que celui de l’aéronautique. Par conséquent, je souhaite que nous remettions la question forestière au cœur des débats politiques et économiques de la nation. De ce point de vue, je me réjouis que nous puissions avoir un débat sur ce sujet aujourd’hui.

La forêt est un atout, mais cet atout n’est pas assez valorisé. Nous en avons discuté lors de l’adoption de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Le président Emorine avait déjà beaucoup insisté sur ce sujet, M. Philippe Leroy également. C’est un atout que nous avons délaissé pendant plusieurs années à force de ne pas prendre un certain nombre de décisions qui s’imposent.

La France possède le troisième massif forestier européen et nous avons une filière bois déficitaire – cela a été rappelé – d’environ 7 milliards d’euros en 2010. Nous avons 30 % du territoire en forêts et la France exporte 9,3 milliards d’euros de produits en bois pour en importer 15,7 milliards d’euros.

Pour dire les choses simplement, il y a quelque chose qui cloche. Il y a quelque chose qui ne va pas dans le royaume de la forêt française et qui mérite d’être changé.

Ce déficit est lié à plusieurs éléments dont deux me paraissent essentiels.

Le premier, c’est le manque de compétitivité de la filière dans un certain nombre de domaines, et je rejoins ce qui a été dit sur la question du design mobilier. Quand vous demandez aujourd’hui à des jeunes quels meubles ils veulent acheter, vous constatez que, malheureusement, ce ne sont pas ceux que nous fabriquons. Il est donc nécessaire de revoir la conception de ces produits.

Le second élément, c’est le manque de résineux, comme l’a dit Philippe Leroy. Les résineux sont moins coûteux et permettent d’avoir des objets d’usage plus courant. Ils permettent donc d’avoir des débouchés économiques plus faciles.

Sur ce sujet, il y a des solutions. Je ne vois pas pourquoi l’Allemagne, qui a sensiblement la même proportion de forêts que nous, sur un territoire plus petit, emploie 175 000 personnes de plus que nous dans sa filière. Dans la situation économique actuelle, pouvons-nous faire une croix sur la possibilité d’avoir 175 000 emplois supplémentaires ?

Comment peut-on faire pour gagner en compétitivité, pour réorganiser cette filière, pour mettre en place tous les leviers économiques qui permettront de l’exploiter au mieux ?

D’abord, permettez-moi une remarque générale qui a déjà été formulée par bon nombre d’entre vous : tout cela demande une stratégie de long terme. S’agissant du bois, on ne peut pas obtenir des résultats en un an, deux ans, voire trois ans comme ce peut être le cas dans certaines filières économiques. C’est une affaire de décennie, si l’on veut vraiment en tirer le meilleur parti. C’est la raison pour laquelle je souhaite que nous nous engagions d’un point de vue stratégique en matière de valorisation de la forêt.

La première action dans laquelle nous devons nous engager, c’est le renforcement de notre tissu industriel. Il n’y aura pas de valorisation de la forêt s’il n’y a pas en aval une industrie de la forêt – scieries, industrie du panneau, industrie du papier – qui soit la plus performante possible. Nous avons mis en place le fonds bois en 2009 pour répondre à cet impératif. Il est complété par les subventions Adibois et par des prêts d’OSEO depuis cette année. Je souhaite que nous fassions le maximum pour que ce fonds soit utilisé de la manière la plus efficace possible.

Il s’agira ensuite, une fois que nous aurons développé cette industrie, de trouver des débouchés dans la construction et l’énergie. Il ne suffit pas d’avoir des industries de transformation, encore faut-il qu’elles aient les débouchés les plus opérationnels possibles.

Nous avons multiplié par dix le seuil d'incorporation du bois dans les constructions neuves. Je peux me tromper, mais j’ai l’impression que, grâce aux mesures que nous avons mises en œuvre, la filière bois pour la construction est en train de prendre, en France, un essor nouveau. Il me semble même que, d'un point de vue culturel, la préférence traditionnelle des Français pour les maisons en pierre par rapport aux maisons en bois n’est plus aussi prégnante.

Par ailleurs, nous avons augmenté le tarif de rachat de l'électricité produite à partir du bois. Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, je me suis battu – à Matignon, pour être très précis – pour que ce tarif tienne compte des petites structures et ne soit pas réservé aux très grandes scieries. En effet, à défaut, ce sont quasiment les trois quarts des scieries françaises qui auraient été exclues du bénéfice de ce tarif de rachat.

La question des conflits d’usage entre bois d'industrie et bois d'énergie, soulevée par Philippe Leroy, appelle des réponses très précises.

Tout d’abord, nous avons des obligations d'expertise sur la ressource pour chaque projet. Des cellules « biomasse » ont été mises en place auprès de tous les préfets afin de suivre ce dossier et de conduire les expertises nécessaires. Dans les cas difficiles, l’expertise est même assurée par le ministère de l’agriculture. En Bourgogne, par exemple, nous sommes ainsi en train d'examiner un certain nombre de conflits d'usage.

De manière plus générale, nous suivons deux principes très simples pour résoudre les conflits d'usage.

Premièrement, la hiérarchie des usages – bois d'œuvre, puis bois d'industrie, puis bois énergie – est le seul chemin vertueux, le seul qui soit réellement créateur de valeur.

Deuxièmement, nous attachons une importance particulière au respect de la performance énergétique des projets, car nous ne pouvons évidemment pas nous permettre de gaspiller de la biomasse, qui est une ressource rare. C’est pourquoi nous devons choisir les projets qui ont les rendements les plus élevés.

En outre, nous devons nous engager dans la voie du renforcement de l'interprofession.

Ce qui est vrai pour l'agriculture – j’ai eu l’occasion de m’exprimer sur ce sujet à plusieurs reprises – l’est aussi pour la filière bois : il n'y a d'avenir pour le bois que dans une interprofession unie. Une interprofession rassemblée, c’est une interprofession qui gagne !

Les divisions, les querelles de chapelles, l’incapacité à se rassembler sont le drame de l'agriculture française, et notamment de la forêt. Comme pour les autres filières agricoles, il faut, je l’ai déjà dit et je n’aurai de cesse de le répéter, une interprofession unie pour la forêt.

S’agissant du secteur de la viticulture, nous avons réussi à rassembler les interprofessions dans un certain nombre de régions en vue de gagner des parts de marché en France et à l'étranger. Je ne vois pas pourquoi nous n’arriverions pas à faire de même pour la filière bois. J'en appelle à la responsabilité de tous les acteurs de cette filière, que j’ai eu l'occasion de rencontrer il y a quelques jours : ils doivent apprendre à travailler ensemble pour passer d'une logique de confrontation à une logique de coopération.

Nous devons également œuvrer en faveur d’une gestion dynamique de la forêt. À cet égard, je répondrai à toutes les questions très précises qui m'ont été posées.

Tout d’abord, nous avons étendu le plan simple de gestion à la majorité des forêts de plus de 25 hectares, ce qui doit permettre une meilleure programmation des coupes et donc une meilleure sylviculture. Le décret, qui se trouve actuellement au secrétariat général du Gouvernement, sera publié dans les tout prochains jours. C’est un moyen d’optimiser la gestion des forêts de plus de 25 hectares.

Par ailleurs, nous avons publié en décembre 2010 la circulaire sur les plans régionaux de développement forestier, qui précise les modalités d'élaboration de ces derniers. Le travail a commencé dans toutes les régions, sous la houlette des préfets. Certes, monsieur Leroy, des améliorations sont toujours possibles ; si des difficultés devaient apparaître, nous les corrigerions.

Pour ce qui est de la création du statut de gestionnaire forestier, il va de soi que les 120 experts forestiers sont opposés à la remise en cause de leur monopole. Ils déplorent notamment que le statut proposé n'assure pas l'indépendance des gestionnaires forestiers professionnels.

Pour régler la difficulté, nous avons proposé d'interdire aux gestionnaires forestiers professionnels la vente de bois provenant des parcelles dont ils ont la gestion. Afin d’éviter tout problème juridique, j’ai soumis au Conseil d’État le projet de décret que j’ai préparé en vue de parer aux difficultés liées au statut de gestionnaire forestier.

La mesure concernant le droit de préférence des propriétaires voisins doit permettre de lutter contre le morcellement forestier des massifs français, qui constitue un handicap important.

Cette mesure est opérationnelle depuis l’entrée en vigueur de la loi, mais je ne vous dissimulerai pas que son application soulève de gros problèmes quant à la publicité de vente ou à la recherche des voisins. Il est vrai que l'on combat ici une habitude ancestrale : le morcellement des forêts et le droit de préférence des propriétaires voisins.

Je souhaite donc travailler, en concertation avec les professionnels, à la réécriture de cet article, puis trouver le véhicule législatif le plus approprié pour procéder à la modification nécessaire. Même si nous savons qu’il nous faut aller vite, car cette disposition est indispensable à la mise en œuvre d’une meilleure gestion de la forêt, nous reprenons la copie et nous la corrigeons en tenant compte des problèmes posés.

Une gestion dynamique de la forêt passe aussi, bien entendu, par la révision du contrat d'objectifs de l'Office national des forêts, qui doit aboutir en juillet 2011.

Je voudrais redire ici, avec la plus grande gravité, que nous sommes tous attachés à cette institution forestière. Il est hors de question de remettre en cause le régime forestier et la mission de service public qu’assure l'ONF au bénéfice de nos communes. Il est tout à fait regrettable que des notes émanant de très sympathiques directeurs, sous-directeurs ou chefs de bureau de l'administration centrale aient circulé dans la presse. Libre à eux d'exprimer leur position sur le sujet, mais, en République, c'est encore le Gouvernement, donc le ministre, qui tranche !

Il n'y aura privatisation ni de l'ONF ni des forêts communales, tout simplement parce que cela ne correspond ni à l'intérêt général ni à l’intérêt des forêts.

En revanche, nous le savons tous, le service public a un coût, et l’ONF est en déficit. Ainsi que l’a fort justement souligné Hervé Gaymard dans son rapport, l’État, l’ONF et les communes forestières sont tous responsables de la pérennité de ce modèle. L'État prendra ses responsabilités, mais je compte aussi sur l'ONF et les communes forestières pour réaliser des efforts – nous en discuterons tous ensemble – en vue de parvenir à un équilibre financier acceptable.

C’est une chose que de transformer le bois, le couper, mieux le gérer, mieux organiser les parcelles, trouver des débouchés, et ce avec le soutien de l'ONF, mais encore faut-il, comme Jean Boyer l’a dit tout à l'heure, pouvoir transporter le bois.

Nous avons pris, en 2009, un décret visant à autoriser le transport de bois rond dans des véhicules de plus de 40 tonnes sur des itinéraires spécifiques définis au niveau départemental. Mes services travaillent à améliorer la cohérence entre les départements et la cartographie des itinéraires, notamment pour ce qui concerne le département des Landes.