Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Qu’en sera-t-il du rapport de force avec notre partenaire principal, l’Allemagne, qui a repoussé ce versement au mois d’avril ?

Vous dites toute votre satisfaction de voir la France être la première à s’exécuter, mais je vous reproche, moi, de désarmer notre pays. Je livre cette considération à nos collègues, car nous allons continuer de travailler pendant la campagne de la présidentielle.

Je vous donne rendez-vous, madame la ministre, pour l’examen par la commission des finances du programme de stabilité que soumettra la France à la Commission européenne ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

M. Jean-Jacques Mirassou. La ministre répond ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Oui, monsieur le sénateur, je m’exprime sur cette motion tendant à opposer la question préalable. Et pourquoi n’en aurais-je pas le droit ? Si vous ne le souhaitez pas, cela confirmera que le Sénat, capturé par une partie de la classe politique française, n’est plus le lieu du débat démocratique !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Ne nous faites pas de procès en légitimité, les élections ont tranché !

Mme Valérie Pécresse, ministre. C’est une question non de légitimité démocratique, madame Bricq, mais de liberté d’expression dans un débat.

La liberté de parole est entière au Sénat, je me permettrai donc de vous répondre.

Nous avons signé un traité dont l’objectif est de stabiliser et de sauver la zone euro, de dynamiser la croissance dans chaque pays. Seule la stabilité permettra la confiance, l’investissement et la croissance dans la zone euro. Nous avons engagé la parole de la France, et nous serons les premiers à mettre en œuvre nos engagements !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Vous ne pouvez pas les mettre en œuvre seule !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Madame Bricq, la parole de la France a été engagée, et l’alternance politique que vous appelez de vos vœux à l’occasion des prochaines échéances électorales ne sera pas de nature à remettre en cause la parole de la France ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l’UCR.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, pour explication de vote.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne comprends pas cette motion tendant à opposer la question préalable. Si nos collègues siégeant à la gauche de l’hémicycle avaient des arguments sur la compétitivité de notre économie, la taxe sur les transactions financières, bref, sur les mesures de compétitivité et d’ajustements judicieux de ce collectif budgétaire, ils les déploieraient !

Ils ne le font pas, et pour cause : il est bien compliqué de critiquer certaines décisions !

M. Jean-Marc Todeschini. Nous avons déjà tout dit !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. L’allégement du coût du travail, ici de plus de 3,6 milliards d'euros en 2012,…

Mme Marie-France Beaufils. On fait cela depuis des années !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … dont bénéficieront les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale afin de lutter contre les délocalisations, contribuera à la création de dizaines de milliers d’emplois. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Comment peut-on être contre ?

M. Jean-Marc Todeschini. Parlez-nous de la hausse de 34 % des rémunérations des patrons du CAC 40 !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. En tout cas, l’UMP se félicite de cette mesure, ainsi que de l’instauration d’une taxe sur les transactions financières. Il me semblait d'ailleurs que certains d’entre vous y étaient favorables !

Je rappelle que cette taxe sur les transactions financières, beaucoup plus ambitieuse que l’impôt de bourse, mettra à contribution la finance, qui a une part de responsabilité dans la crise. Ce point me paraît très important. Elle participera en outre au désendettement de notre pays.

Comment peut-on être contre ?

L’UMP se félicite également, à l’occasion de la discussion de ce collectif, de la mise en œuvre du MES – nous en avons longuement débattu hier –, avec le versement des deux premières tranches annuelles de la dotation française, soit 6,5 milliards d'euros.

Enfin, le groupe UMP souligne la pertinence de la révision de la prévision de croissance, dont l’effet est strictement compensé. (M. Jean-Marc Todeschini s’exclame.)

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Vous ne pouviez pas faire autrement…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et ne venez pas nous reprocher d’établir nos prévisions n’importe comment : les prévisions pour 2011 étaient bonnes, et nous avons même fait mieux, en 2011, que ce que nous avions prévu !

M. Jean-Marc Todeschini. Vous n’avez cessé de déclarer qu’il n’y aurait pas de projet de loi de finances rectificative !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Avant de critiquer, monsieur le questeur, vous feriez bien de réfléchir à ce qui va se passer en 2012 !

M. Jean-Marc Todeschini. Je fais comme vous !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Merci de me laisser la parole, monsieur le questeur ! (M. Jean-Marc Todeschini s’exclame.)

M. le président. Je vous en prie, monsieur le questeur, Mme Des Esgaulx a la parole, et elle seule !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Pour un questeur, votre attitude me semble quelque peu déplacée : vous devriez donner l’exemple !

M. Jean-Claude Lenoir. C’est discourtois !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Pour être questeur, il n’en est pas moins homme. (Sourires.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je poursuis malgré les interruptions de M. le questeur (M. Jean-Marc Todeschini proteste.) et ma voix sera suffisamment forte pour vous faire entendre, chers collègues, que, dans ces conditions, le groupe UMP votera contre cette motion tendant à opposer la question préalable, comme il l’a fait contre les motions précédentes, qui est non seulement regrettable mais surtout extrêmement grave – cela a été dit excellemment – en ce sens qu’elle affaiblit la Haute Assemblée – et les vitupérations de M. le questeur n’y changeront rien ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Marc Todeschini. Rendez-vous au mois de juin, madame Des Esgaulx !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’est pas le sujet !

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote

Mme Marie-France Beaufils. Nous voterons, bien sûr, la motion tendant à opposer la question préalable.

Il faudrait nous écouter un peu mieux pour nous entendre un peu mieux, de temps à autre… Comme je l’ai précisé dans la discussion générale, nous souhaitons que l’Europe se construise sur d’autres bases, en harmonisant les questions sociales et fiscales à l’échelon européen, mais par le haut ! Nous n’avons pas envie que, demain, le niveau salarial des Français soit aligné sur celui qui est aujourd’hui proposé aux Grecs !

C’est sur ce point que nous sommes en désaccord profond avec vos propositions, madame la ministre.

Si l’on ne parvient pas à construire une Europe différente, avec plus de justice sociale et fiscale, la compétitivité que vous prônez tirera tout le monde vers le bas, excepté ceux qui ont su jusqu’à maintenant tirer leur épingle du jeu, les très hauts revenus, les très hauts salaires, ceux que vous nous accusez de vouloir asphyxier par un taux d’imposition légèrement supérieur aux 15 % qui s’appliquent à eux actuellement !

M. Ronan Kerdraon. Tout à fait !

Mme Marie-France Beaufils. Nous défendons résolument une autre conception de l’Europe. Ce n’est pas en tirant l’Europe vers le bas, comme vous le faites, que nous parviendrons à définir une autre politique industrielle et à reconstruire notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Pignard, pour explication de vote.

M. Jean-Jacques Pignard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe de l’Union centriste et républicaine votera bien évidemment contre la motion tendant à opposer la question préalable. Je ne comptais d’ailleurs pas prendre la parole, mais, imitant mon collègue David Assouline, je me permettrai à mon tour une intervention hors sujet à propos de la culture. (Sourires.)

M. Assouline, avec lequel nous avons ce débat régulièrement, a quitté l’hémicycle aussitôt après son intervention, nous privant de toute possibilité d’échanges, mais le message est passé : il voulait dire au SYNDEAC, à la CGT, aux directeurs de festival que la droite tuait la culture et que seule la gauche pouvait la sauver !

Cessons ce petit jeu !

Avec la crise que traverse l’Europe aujourd'hui, la plupart des États ont coupé drastiquement dans les dépenses de culture : je pense au festival d’Athènes, qui a vu sa subvention réduite de 50 %, au Liceu de Barcelone, à la Scala de Milan, avec laquelle je suis en relation en tant que vice-président de l’Opéra de Lyon.

Or ce n’est pas ce qu’a fait la France, et je ne peux pas laisser M. Assouline dire le contraire, même si la culture, comme tous les domaines de notre vie publique, doit assumer sa part de la rigueur.

M. Assouline a cité les monuments historiques. Mme Férat a déposé une proposition de loi remarquable afin que l’État et les collectivités locales assument ensemble la gestion des monuments historiques : nous devons aller en ce sens.

M. Assouline a également abordé la question des recherches archéologiques, domaine que je connais bien. La situation en France était complètement figée ; nous l’avons fait évoluer, avec le président Legendre. C’est ainsi que nous ferons non pas plus ou moins de culture, mais mieux, et parfois avec moins d’argent.

Je conclurai, pour rester dans mon hors sujet (Sourires.), par le spectacle vivant en France. Qu’il s’agisse des festivals, des grands théâtres nationaux et même du théâtre privé, la priorité doit être à la création et non à l’administration ni aux frais de structure qui « plombent » les manifestations culturelles.

S’il y a bien une culture que je refuse, c’est cette culture assistée qui voit s’additionner les postes, mais au détriment de la création ! (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)

M. Jean-Claude Lenoir. C’est vrai !

M. Jean-Jacques Pignard. Voici ce que j’aurais aimé dire à M. Assouline, mais il n’est plus là pour m’entendre : la culture, comme le cœur, n’est pas le monopole de la gauche ! (Très bien ! et nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est vrai !

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.

M. Jean-Jacques Mirassou. Madame la ministre, vous accusez la gauche de vous faire un procès d’intention. Nous observons simplement une prudence élémentaire, compte tenu du vécu des cinq dernières années, au cours desquelles vos préconisations en matière de politique industrielle n’ont malheureusement pas fait la preuve de leur efficacité.

En 2008, l’État a accordé un soutien massif aux banques, sans pour autant lever leurs réticences – le mot est faible –, faute de volonté politique, à aider les PME et les entreprises de taille intermédiaire qui avaient besoin de liquidités. Vous n’avez pas fait grand-chose pour accompagner ces PME que vous prétendez maintenant aider d’une manière efficace à passer le gué.

Faut-il vous rappeler que, au cours de ce quinquennat, le secteur industriel de notre pays a perdu entre 350 000 et 400 000 emplois ? C’est que, précisément, vous n’avez pas misé sur cet atout et avez préférer céder à la facilité et privilégier le secteur tertiaire, pensant que l’un remplacerait l’autre.

J’évoquerai maintenant des problèmes que je connais un peu plus précisément.

De quelle crédibilité pensez-vous pouvoir vous prévaloir aujourd’hui, après avoir dit tout ce que vous avez dit aux portes de Molex ou de Continental ? Pour ma part, je vous donnerai un conseil élémentaire de prudence : surtout, évitez ces deux entreprises, car, pour le coup, vous y avez perdu toute crédibilité !

Vous nous permettrez de penser qu’il y a très peu de chances que vous fassiez dans les mois à venir ce à quoi vous et votre Gouvernement vous êtes constamment refusés au cours des cinq dernières années, sauf à afficher votre engagement sur le chemin de la rédemption…

Nous ne vous faisons pas de procès d’intention, simplement nous avons procédé à un examen lucide et sans concessions de ce que vous n’avez malheureusement pas su faire pendant cinq ans !

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances rectificative.

Je rappelle également que le Gouvernement est défavorable à l’adoption de cette motion.

En application de l’article 59 du règlement, il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 112 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 332
Majorité absolue des suffrages exprimés 167
Pour l’adoption 175
Contre 157

Le Sénat a adopté.

En conséquence, le projet de loi de finances rectificative est rejeté.

Question préalable (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2012
 

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Question préalable (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports
Discussion générale (suite)

Transport aérien de passagers

Rejet d'une proposition de loi en nouvelle lecture

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports (proposition n° 428, rapport n° 438).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports
Question préalable (début)

M. Thierry Mariani, ministre chargé des transports. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici de nouveau réunis aujourd'hui afin de poursuivre l’examen de la proposition de loi déposée par M. Éric Diard, la commission mixte paritaire qui s’est réunie la semaine dernière n’étant pas parvenue à un accord.

Comme vous le savez, les membres de l’intersyndicale du transport aérien, à l’origine de la grève qui a eu lieu au début du mois de février, ont décidé, face à la détermination sur ce texte tant de la représentation nationale que du Gouvernement, de ne pas poursuivre leur mouvement.

Dans ces conditions, et alors que nous sommes en pleine période de congés scolaires, les familles peuvent bénéficier, en toute sérénité, des vacances auxquelles elles ont droit. J’y vois un premier effet bénéfique du texte que nous examinons.

Quant à l’accord signé entre la direction d’Air France et le SNPL, le syndicat national des pilotes de ligne, pour garantir des plannings stables, il règle une question d’organisation strictement interne à la compagnie. Il vise à mettre fin à une instabilité juridique sur l’interprétation, en période de grève, des dispositions de l’accord en vigueur depuis 2006.

Dans les faits, les vols continueront d’être normalement assurés par des pilotes non grévistes volontaires, comme c’est le cas aujourd’hui.

Par ailleurs, cet accord ne porte pas atteinte aux avantages dont bénéficieront les passagers grâce au présent texte.

Cette proposition de loi vise à améliorer l’information des passagers aériens en cas de mouvement social et à permettre aux compagnies aériennes d’organiser leur service, afin de garantir à nos concitoyens la possibilité de circuler librement, sans porter atteinte au droit de grève. Je pense très sincèrement que les salariés du transport aérien, qui ont globalement peu suivi l’appel des organisations syndicales au début du mois de février, ont bien compris l’objectif de ce texte.

Comme vous avez pu l’observer, la proposition de loi a été amendée lors de son examen en deuxième lecture par l’Assemblée nationale le 22 février dernier.

J’insisterai aujourd'hui sur trois évolutions du texte.

Tout d’abord, la modification rédactionnelle apportée à la disposition relative au champ d’application de la proposition de loi a permis de mieux circonscrire celui-ci, en précisant très clairement que l’ensemble des entreprises ou des établissements œuvrant dans le transport aérien ne sont concernés que dans la mesure où ils concourent directement à l’activité de transport aérien de passagers.

Ensuite, la portée des obligations de déclaration vingt-quatre heures à l’avance a été clarifiée afin de prévenir les interprétations abusives que certains d’entre vous avaient souhaité dénoncer. L’Assemblée nationale a donc adopté la semaine dernière un amendement tendant à préciser que l’obligation de déclarer sa renonciation à la participation à la grève n’a de sens qu’à la condition que la grève ne soit pas achevée.

En effet, dès lors qu’une grève a pris fin, ou qu’elle n’a pas commencé, il est légitime et utile d’affirmer que le salarié peut bien évidemment continuer son travail sans avoir à déclarer qu’il renonce à faire grève. De même, lorsqu’un salarié a participé à la grève et qu’il est mis un terme à celle-ci dans son entreprise, il peut reprendre immédiatement son travail, sans avoir à déclarer sa reprise vingt-quatre heures à l’avance.

Cette précision, qui est de l’intérêt bien compris de chacun, répond aux préoccupations qu’avaient exprimées un certain nombre d’orateurs, de droite comme de gauche, lors de l’examen du texte au Sénat.

Enfin, les dispositions prévoyant des sanctions disciplinaires ont été adaptées en cohérence avec les précisions apportées au régime de déclaration vingt-quatre heures à l’avance.

Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, en particulier aux organisations syndicales, l’objectif de cette proposition de loi n’est bien évidemment pas d’élargir l’arsenal disciplinaire à la disposition de l’employeur. Ce texte ne prévoit en effet qu’une possibilité de sanction, possibilité qui ne pourra être exercée que dans le cadre du droit commun du pouvoir disciplinaire de l’employeur, auquel il n’est pas question de déroger.

Les craintes que j’ai entendues sur d’éventuelles sanctions sans rapport avec la portée du non-respect de l’obligation déclarative sont donc infondées, d’autant plus que la faculté de sanction s’exercera sous le contrôle vigilant du juge et qu’en outre, comme cela a également été précisé par voie d’amendement à l’Assemblée nationale, une sanction n’est encourue qu’en cas de manquement répété à l’obligation de déclaration de renoncement à la participation à la grève ou à l’obligation de déclaration de reprise de service après participation à la grève.

Ainsi, un oubli de bonne foi ne peut faire l’objet d’une sanction. En revanche, sera sanctionné le fait de chercher à contourner l’obligation de déclaration de renoncement ou de reprise de service dans le but d’empêcher l’organisation du service et ainsi l’information des passagers.

L’une des missions régaliennes de l’État est, je le rappelle, de veiller au respect du principe de libre circulation des personnes. En ce sens, l’information du passager en temps de grève vise à répondre à d’impérieux motifs d’intérêt général, tels que la sécurité et la santé publiques, lesquelles peuvent être menacées dans des aéroports paralysés.

L’objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est précisément de reconnaître le droit à une information fiable et précise des passagers du transport aérien lorsqu’un mouvement social affecte ce secteur et d’organiser ce droit.

Comme je l’ai déjà indiqué, les Français, qui aspirent légitimement à voyager pour rejoindre leur famille ou pour affaires, ne peuvent pas continuer à être régulièrement laissés dans l’incertitude jusqu’au dernier moment et pénalisés lors des grands départs. Les clients d’une compagnie aérienne doivent pouvoir bénéficier de la prestation qu’ils ont achetée sans avoir à se reporter sur d’autres transporteurs, aériens ou terrestres, pour être sûrs de pouvoir effectuer le déplacement prévu.

La présente proposition de loi vise avant tout à donner la primauté au renforcement du dialogue social et à la négociation entre les entreprises et les organisations syndicales représentatives, qui auront la faculté, je le répète, de négocier un accord-cadre visant à prévenir les conflits. En cas de conclusion de cet accord-cadre, le recours à la grève ne pourra intervenir qu’après une négociation préalable.

Les salariés dont l’absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols en cas de grève auront l’obligation d’informer leur chef d’entreprise, ou son représentant, au plus tard quarante-huit heures avant de cesser le travail. En aucun cas cette déclaration n’empêchera les personnels concourant à l’activité de transport aérien de passagers de faire grève pour porter leurs revendications. En revanche, elle permettra aux entreprises de connaître à l’avance l’état de leurs effectifs et ainsi aux passagers de savoir si leur vol est assuré ou non la veille de leur départ.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui est l’occasion d’accomplir de véritables progrès. Elle respecte les équilibres indispensables entre droit de grève et sauvegarde de l’ordre public. En outre, elle permettra un dialogue social apaisé en évitant qu’à l’avenir des millions de Français ou de touristes venus découvrir notre pays soient pénalisés.

Je forme donc le vœu que la Haute Assemblée mesure les enjeux et comprenne combien ce texte est déterminant non seulement pour les Français mais aussi pour l’image de la France dans le monde. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission, en remplacement de M. le rapporteur.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Claude Jeannerot, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence aujourd’hui de notre rapporteur, Claude Jeannerot, qui est retenu à l’étranger par ses obligations de président de conseil général.

Je vous rappelle que, le 15 février dernier, le Sénat a adopté, lors de l’examen en première lecture de ce texte, une motion tendant à opposer la question préalable. La commission mixte paritaire, réunie à l’Assemblée nationale la semaine dernière, s’est séparée sur un constat de désaccord, les positions de chaque assemblée s’étant révélées inconciliables. Il y a en effet plusieurs principes sur lesquels la majorité sénatoriale ne peut pas transiger, au premier rang desquels se place la préservation des droits sociaux des salariés.

Ce texte prétend concilier ces droits sociaux avec ceux des passagers, qui peuvent subir les conséquences d’une grève. C’est un exercice évidemment délicat, dont le résultat nous a paru particulièrement déséquilibré, car plutôt favorable aux entreprises de transport aérien de passagers et défavorable à celles et ceux qu’elles emploient.

Cette proposition de loi ne constitue décidément pas une réponse adaptée au problème qu’elle prétend régler. De plus, elle empêche le dialogue social. Je vous rappelle que, lors de la première lecture de ce texte au Sénat, un mouvement important était en cours dans le secteur aérien.

Permettez-moi de vous rappeler les deux points qui ont semblé les moins acceptables à la majorité sénatoriale.

D’abord, la transposition au secteur aérien de la loi du 21 août 2007 relative au dialogue social dans les transports terrestres, quasiment telle quelle, n’est pas réalisable, compte tenu des différences majeures qui existent entre ces deux secteurs.

Imposer aux salariés de déclarer à leur employeur leur intention de faire grève quarante-huit heures à l’avance aura pour effet principal de rendre l’exercice du droit de grève plus malaisé, tout particulièrement pour les dizaines de milliers de salariés de l’assistance en escale. En effet, alors que leur situation, souvent précaire, ne leur permet pas d’obtenir par la négociation une amélioration de leurs conditions de travail, leur voix risque de devenir inaudible si, du fait de pressions exercées par leur employeur, ils ne peuvent plus défendre leurs droits par la grève.

Ensuite, le second délai imposé aux salariés grévistes ou qui ont fait part de leur intention de faire grève aurait des effets plus néfastes encore. Les obliger à informer leur employeur, vingt-quatre heures à l’avance, qu’ils renoncent à faire grève ou veulent reprendre le travail, sous peine de sanction disciplinaire, constitue une atteinte à leur capacité de libre détermination. C’est d’autant plus injustifié que cette contrainte serait inopérante dans le secteur aérien, où il serait impossible de rétablir l’activité dans un si court délai. Plus encore, en poussant la logique de ce mécanisme à son terme, il en résulterait la poursuite du mouvement de grève, de manière purement artificielle, pendant une journée supplémentaire. En effet, un salarié qui renoncerait à faire grève un soir ne pourrait pas reprendre son service le lendemain matin. Est-ce vraiment l’intérêt des passagers ?

Il est vrai que, en nouvelle lecture, l’Assemblée nationale a apporté à ce texte quelques modifications, que M. le ministre a rappelées.

M. Thierry Mariani, ministre. C’est vrai !

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Elles se révèlent cependant largement insuffisantes pour emporter notre adhésion.

M. Thierry Mariani, ministre. Oh !

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Il est désormais prévu que le délai de dédit de vingt-quatre heures, pour les salariés qui changent d’avis et souhaitent poursuivre ou reprendre le travail, ne s’appliquera pas « lorsque la grève n’a pas lieu ou lorsque la prise du service est consécutive à la fin de la grève ». Une telle formulation traduit une méconnaissance du déroulement réel des mouvements sociaux dans les entreprises. La seule « fin de la grève » qui puisse exister relève avant tout de la décision de chaque salarié. Les salariés ne sont pas liés par les éventuelles décisions syndicales.

De même, l’Assemblée nationale a adopté une faible atténuation du dispositif de sanction du manquement à l’obligation d’information en cas de dédit. Désormais, la sanction ne s’appliquerait que si le salarié refuse « de façon répétée » de s’y soumettre. C’est évidemment insuffisant.

Tous les constats faits par le rapporteur en première lecture restent valables, aussi bien sur le fond et la forme que sur la méthode employée pour faire adopter ce texte. Il faut cesser d’opposer systématiquement les salariés aux passagers, qui seraient des victimes collatérales d’un désaccord auquel ils sont étrangers. Est-il encore besoin de le rappeler, la grève n’est pas une décision prise à la légère ou un choix opéré dans la joie ; c’est le dernier recours des salariés lorsque le fil du dialogue social est rompu et que l’employeur refuse de négocier.

D’ailleurs, je note qu’un accord a finalement été trouvé entre Air France et ses pilotes, accord qui ôte tout son sens à cette proposition de loi puisqu’il prévoit, en posant le principe de la stabilité des plannings, que les pilotes non grévistes ne pourront pas être contraints de remplacer les grévistes.

Quant à l’argument qui consiste à dire que les pilotes sont des privilégiés, je tiens à rappeler que ce texte concerne avant tout les dizaines de milliers d’employés de l’assistance en escale, dont je parlais il y a un instant, et dont la situation contractuelle et salariale est des plus précaires.

Monsieur le ministre, la signature de cet accord entre Air France et ses pilotes illustre donc bien le fait que le dialogue social peut aboutir quand on lui en donne les moyens et quand il est mis en œuvre dans le respect des salariés !

Les pilotes, parce qu’ils sont représentés par des organisations syndicales qui peuvent être entendues par la direction, ont obtenu cet accord. Les employés d’autres professions, notamment ceux de l’assistance en escale, ne sont pas respectés, et leurs représentants syndicaux ne le sont pas plus. Ils ne peuvent donc pas aboutir à un accord, car les entreprises refusent de dialoguer avec eux.

Je voudrais dire un dernier mot sur la procédure d’adoption à marche forcée de cette proposition de loi, à une semaine maintenant de la clôture des travaux parlementaires du quinquennat, et sur les raisons intrinsèques qui rendent cette proposition de loi inacceptable.

L’Assemblée nationale n’ayant pas fait jouer son protocole de consultation des partenaires sociaux, aucune concertation formelle avec eux n’a pu se tenir en amont, contrairement à ce que la commission des affaires sociales du Sénat fait traditionnellement, alors que ce texte encadre le droit de grève. Les consultations organisées par le protocole adopté à l’Assemblée nationale et au Sénat sont bien des négociations et non seulement des auditions comme celles que, je vous accorde ce point, monsieur le ministre, le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale a pu mener.

Enfin, je vous rappelle que le transport aérien n’est plus une activité de service public ; il n’est donc pas possible de lui appliquer les restrictions acceptées en 2007 par le Conseil constitutionnel pour le transport terrestre.

Mes chers collègues, comme vous le savez, au contraire d’un projet de loi, une proposition de loi, présentée par définition par les parlementaires, n’est pas soumise à l’avis du Conseil d’État. Il en va ainsi du présent texte, alors qu’il soulève de sérieuses questions de constitutionnalité. Cette situation est donc bien regrettable.

Je pense ainsi à l’atteinte disproportionnée portée au droit de grève, au nom des prétendus risques à l’ordre public que son exercice peut causer. Le législateur échoue ici dans son devoir de concilier l’exercice des libertés constitutionnellement reconnues.

Je crains également que, du fait de la définition générale et vague des activités ou des salariés concernés par cette proposition de loi, le législateur ne laisse trop de pouvoir aux employeurs pour déterminer lesquels de leurs salariés verront leur droit de grève encadré.

Ce texte s’expose donc, selon la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, à un risque de censure pour incompétence négative.

Je tiens également à souligner que nous ne disposons pas non plus d’une étude d’impact. Certaines organisations syndicales m’ont d’ailleurs fait parvenir une étude juridique qui démontre les risques d’inconstitutionnalité encourus par ce texte.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a fermement réitéré sa position de première lecture. Le texte transmis par l’Assemblée nationale ne corrige en rien les défauts que nous avions mis en lumière. C’est pourquoi la commission a adopté une motion tendant à opposer la question préalable à cette proposition de loi. Je vous invite, mes chers collègues, à confirmer ce choix. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)