compte rendu intégral

Présidence de Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Secrétaire :

M. Marc Daunis.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

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Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

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Renvoi pour avis

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la proposition de résolution européenne, présentée en application de l’article 73 quinquies du règlement, sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (E 7055) (n° 446, 2011-2012), dont la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale est saisie au fond, est renvoyée pour avis, à sa demande, à la commission des affaires européennes.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l'objet
Discussion générale (suite)

Mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire

Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l’objet (proposition n° 442, texte de la commission n° 449, rapport n° 448).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l'objet
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, il est de la responsabilité des pouvoirs publics de veiller à toujours répondre aux situations qui, concrètement, fragilisent nos entreprises. Cette priorité est d’autant plus forte que nous traversons une crise économique et financière.

Le Président de la République et le Gouvernement se mobilisent pleinement pour défendre et pour préserver notre tissu économique et les emplois de nos concitoyens. À ce titre, notre engagement pour accroître les perspectives de reprise des sites industriels est total. Nous aurons largement l’occasion d’aborder ce sujet ce matin.

Chacun de nous sait parfaitement que le soutien à la compétitivité économique va de pair avec la capacité de nos entreprises à maîtriser les risques juridiques. La proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui apporte à cet égard de nouvelles garanties.

Ce texte permet de répondre très concrètement aux comportements de certains dirigeants, de fait ou de droit, qui parviennent à organiser leur protection en vue d’échapper à la mise en jeu de leur responsabilité ou qui privent l’entreprise de toute possibilité de répondre à ses obligations en organisant son insolvabilité. Une société mère installée à l’étranger qui impose à sa filiale ses choix de gestion ou un donneur d’ordre qui exerce sur l’entreprise une influence déterminante la plaçant en situation caractérisée de dépendance ne doivent pas pouvoir échapper à leurs responsabilités.

Le vote conforme du texte de l’Assemblée nationale par la commission des lois du Sénat est une excellente chose au regard de l’importance qui s’attache à l’adoption définitive de celui-ci avant la fin, imminente, de la législature. Je veux vous remercier, monsieur le président de la commission des lois, d’avoir su prendre pleinement la mesure des responsabilités qui nous incombent à tous, quels que soient par ailleurs nos engagements politiques, pour essayer de nous armer face aux comportements que je viens de décrire.

Ce vote conforme est, me semble-t-il, le résultat d’un travail fructueux qui s’est instauré entre vous-même, monsieur Sueur, et Mme Guégot, travail auquel l’ancien Premier ministre, M. Fabius, a également été associé. Je tiens, monsieur le président de la commission, à vous remercier de la bonne ambiance de travail que, dès le départ, vous avez su établir avec le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale.

La proposition de loi qui vous est soumise, mesdames, messieurs les sénateurs, n’a pas pour objectif de traiter l’ensemble des situations délicates que connaissent nos entreprises ; elle vise à répondre à la nécessité de se doter d’outils cohérents de prévention des fuites d’actifs.

En l’état du droit, le juge ne peut autoriser de mesures conservatoires que dans le seul cadre de la liquidation judiciaire : des saisies conservatoires peuvent alors être ordonnées afin d’empêcher les dirigeants de mettre leurs actifs hors de portée.

L’extension de cette possibilité au stade du redressement ou de la sauvegarde, comme le prévoit la présente proposition de loi, est une réponse utile et nécessaire, qui permettra d’agir vite : les mesures conservatoires paralyseront l’organisation de l’abandon d’entreprises, évitant que les véritables maîtres de l’entreprise en difficulté ne puissent faire échapper à la procédure un certain nombre de biens.

Ces mesures préventives seront nécessairement, j’y insiste, l’accessoire d’une action en responsabilité au fond, qu’il s’agisse d’une action en extension, en insuffisance d’actifs ou au titre d’une faute ayant provoqué l’état de cessation des paiements.

Concrètement, la mesure permettra, dans l’attente de la décision au fond sur la responsabilité, de saisir provisoirement les biens de tout dirigeant qui sont entre les mains de l’entreprise en difficulté.

L’intervention de l’autorité judiciaire garantira la mise en balance de l’ensemble des intérêts en cause.

La proposition de loi innove plus encore en ce qu’elle autorise, dans un second temps, la cession de tout ou partie des éléments saisis, afin d’éviter soit qu’ils ne dépérissent, soit qu’ils n’engendrent des frais supplémentaires, ce qui aurait pour effet d’aggraver encore les difficultés de l’entreprise.

Cette cession a été assortie d’importantes garanties et, là encore, placée sous le contrôle du juge, qui devra en déterminer les modalités.

Les sommes résultant de la cession seront sécurisées sur un compte de dépôt à la Caisse des dépôts et consignations afin d’en garantir la représentation une fois l’action au fond achevée.

Cependant, et dans les limites du respect du droit de propriété constitutionnellement garanti, le texte prévoit – et ce point est extrêmement important – que ces sommes pourront, sur autorisation du juge, être utilisées par les mandataires judiciaires pour faire face aux obligations, y compris sociales et environnementales, liées à la propriété de ces biens.

L’Assemblée nationale a par ailleurs adopté, avec le soutien du Gouvernement, un amendement, porté par M. Fabius, permettant de renforcer l’information des représentants des salariés sur la mise en œuvre et le déroulement de ces mesures dérogatoires. Je m’en félicite. Il paraît en effet important de favoriser la transparence au sein de l’entreprise, s’agissant de telles mesures dérogatoires.

Je voudrais m’arrêter maintenant sur un second amendement adopté avec le soutien du Gouvernement par l’Assemblée nationale, puisque j’avais pris l’engagement, notamment devant le groupe socialiste de l’Assemblée nationale, de préciser lors de la discussion au Sénat le sens que nous donnions à ce texte présenté par Mme Guégot, sur lequel M. Besson s’arrêtera très certainement aussi puisqu’il a été au cœur des négociations avec les représentants des salariés.

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je salue d’ailleurs à ce propos ceux d’entre eux qui sont présents ce matin dans les tribunes du public et attendent probablement les précisions que je m’apprête à apporter.

Cet amendement, qui est la traduction d’un engagement pris par le Président de la République lors des discussions qu’il a eues avec les représentants des salariés de la raffinerie Petroplus, visait à élargir au domaine social l’affectation des sommes provenant de la cession des biens faisant l’objet des mesures conservatoires qui seront prises en application de la présente proposition de loi. Ces sommes pourront donc être affectées au paiement des frais engagés, « y compris pour assurer le respect des obligations sociales et environnementales résultant de la propriété de ces biens », selon le texte adopté, avec le soutien du Gouvernement, par l’Assemblée nationale.

Comme M. Besson et moi-même l’avons écrit aux représentants des syndicats des salariés et comme je l’ai dit hier soir à M. le président de la commission, Jean-Pierre Sueur, le terme « obligations sociales » est suffisamment large pour concerner, s’agissant des salariés, des obligations qui relèvent du code du travail, des conventions collectives, d’accords d’entreprise ou de contrats individuels. On mesure donc l’importance de cette rédaction.

Par l’ensemble de ses dispositions, la proposition de loi apporte ainsi une protection efficace et concrète non seulement à l’entreprise Petroplus, à laquelle chacun d’entre nous pense, mais aussi à un grand nombre d’autres entreprises, notamment aux filiales de groupes, et tout particulièrement aux filiales de groupes étrangers défaillants.

Préserver la sécurité juridique, garantir la sécurité des affaires, assurer la prééminence de l’intérêt général sont autant d’objectifs qu’il nous faut concilier. L’équilibre est délicat et mérite d’être toujours consolidé.

En apportant de nouvelles garanties, en les inscrivant rapidement dans notre droit, nous permettrons que des entreprises déjà fragilisées ne voient pas leur situation se dégrader du fait du comportement irresponsable de certains.

Nous devons tout mettre en œuvre pour que l’existence de ces entreprises ne soit pas irrémédiablement compromise. La proposition de loi permet de compléter notre droit en ce sens. Je me réjouis du consensus qui s’est fait autour de ce texte au-delà de clivages partisans par ailleurs légitimes, et vous en remercie tous, car cette proposition de loi contribue à la préservation de notre tissu économique et des emplois de nos concitoyens.

Pour l’ensemble de ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite que la Haute Assemblée confirme la position prise hier par sa commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)

M. Philippe Bas. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons régulièrement adapter notre droit à l’évolution de l’organisation des entreprises.

Plusieurs dossiers récents ont montré que des entreprises en difficulté peuvent se trouver sous la dépendance de « tiers » qui ont la capacité de prélever les actifs de l’entreprise avant que les difficultés ne soient publiques et de la priver ainsi de toute possibilité de répondre à ses obligations urgentes, notamment sociales et environnementales.

Le dossier le plus récent est celui de la société Petroplus France et de sa raffinerie de Petit-Couronne. Les salariés, dont je tiens à saluer à mon tour les représentants ici présents, avec lesquels nous avons régulièrement des réunions de travail, attendent avec impatience que les stocks de produits qu’ils ont raffinés – le fruit de leur travail – puissent être conservés au service de leur outil de travail.

Il ne s’agit pas d’une proposition de loi partisane. Il ne s’agit pas non plus, convenons-en, d’une grande initiative de politique industrielle. Il s’agit tout simplement de donner à ces salariés, qui sont légitimement inquiets sur l’avenir de leur outil industriel, la garantie que le fruit de leur travail ne sera pas capté par un tiers.

Dès que la nécessité d’un texte législatif a été connue, le Premier ministre, François Fillon, s’en est immédiatement entretenu avec Laurent Fabius, ancien Premier ministre et député de la circonscription de Petit-Couronne, qui lui a donné son accord. Le Président de la République a lui-même évoqué le dossier vendredi dernier lors d’une réunion avec les représentants des salariés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, pour réussir à adopter cette proposition de loi avant la fin imminente de la législature, il faut un vote conforme à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Lors de son examen à l'Assemblée nationale le 28 février dernier, cette proposition de loi a été enrichie par deux amendements, déposés l’un par l’ancien Premier ministre Laurent Fabius, l’autre par Mme Françoise Guégot, rapporteur du texte. Tous deux étendent le volet social de la proposition de loi. Ils répondent à la fois aux préoccupations des salariés, qui demandent à juste titre à être informés des actions engagées, aux souhaits des parlementaires et aux engagements du Président de la République.

Par conséquent, je crois que chacun peut voter ce texte, ainsi amendé, afin qu’il entre en vigueur au plus vite.

Le cas le plus évident auquel nous devons faire face est celui des filiales françaises de groupes internationaux.

L’internationalisation croissante des entreprises conduit le modèle dit de « groupe de sociétés » à devenir toujours plus complexe, tout en reposant parfois sur des prises de décision de plus en plus centralisées, donnant à ces groupes toutes les caractéristiques d’une entreprise unique, avec pour corollaire le fait que les structures françaises de ces groupes se révèlent peu autonomes, voire ne le sont pas du tout.

Ainsi, dans l’industrie pétrochimique, nous avons récemment constaté, s’agissant du groupe Petroplus, l’existence de deux niveaux de filiales. La société mère suisse a en France une première filiale, jouant le rôle de holding, dont dépendent plusieurs autres filiales. Pourtant, une part très importante des décisions remonte à la holding de tête suisse. C’est pourquoi, encore aujourd’hui, les stocks sur le site de Petit-Couronne sont la propriété non pas de la raffinerie, mais d’une autre société, installée en Suisse.

La conséquence pratique d’organisations de ce type est que le dépôt de bilan de l’une des sociétés, voire le dépôt de bilan en cascade de l’ensemble de la pyramide, peut laisser les pouvoirs publics face à une situation où un site de production qui devrait avoir un avenir n’a plus aucune ressource pour organiser celui-ci.

Le texte prévoit déjà certains outils pour faire face à ce type de situation, mais l’expérience montre que l’évolution des structures des entreprises et des groupes doit nous conduire à adapter encore notre droit.

Lorsqu’une société en est au stade de la liquidation judicaire, le juge-commissaire peut d’ores et déjà, en l’état du droit, prendre des mesures conservatoires sur les stocks qui appartiennent à la société mère, voire, dans le cas que j’ai exposé, à la société grand-mère. L’ensemble de ces dispositions permettent d’intervenir après l’arrêt d’activité d’un site, ou lorsque la maison mère se trouve in bonis, mais non pour prévenir l’arrêt du site, lorsque la maison mère a disparu ou fait elle-même l’objet d’une procédure de sauvegarde.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui vous est aujourd'hui soumis vise à combler cette lacune. Il prévoit en effet de donner au juge-commissaire les moyens d’agir pour préserver les intérêts des salariés et de la collectivité publique.

Cette proposition de loi permet ainsi une action en trois temps qui répond bien aux enjeux que je viens de rappeler.

Premier temps, la proposition de loi étend à la procédure de redressement judiciaire les facultés dont dispose déjà aujourd’hui le juge lors d’une liquidation judiciaire, en termes de mesures conservatoires prises sur les biens d’une société tierce.

Deuxième temps, la proposition de loi crée la possibilité de céder ces biens, toujours à titre conservatoire. Elle prévoit ainsi que le juge-commissaire pourra décider d’autoriser la vente des stocks, avec mise sous séquestre des sommes ainsi mobilisées. Il s’agit là d’une mesure très importante.

Troisième temps, la proposition de loi prévoit que les sommes sous séquestre puissent être au moins en partie mobilisées à titre conservatoire pour faire face à des dépenses urgentes.

Enrichie des deux amendements adoptés à l'Assemblée nationale, la proposition de loi consolide les droits des salariés. Elle permet la mobilisation des sommes sous séquestre pour satisfaire aux obligations sociales et environnementales de l’entreprise.

Ce texte va nous permettre d’apporter une protection efficace et concrète à un grand nombre d’entreprises en difficulté. Nous disposerons ainsi d’un outil supplémentaire pour assurer un avenir à ces dernières. C’est pourquoi le Gouvernement soutient la proposition de loi présentée aujourd’hui et vous demande de la voter de manière conforme. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l'objet a été rapidement soumise à notre examen en raison de la situation de l'entreprise Petroplus de Petit-Couronne et de l'inquiétude des salariés, notamment quant à la pérennité de ce site. Je tiens à mon tour à saluer leurs représentants venus assister à ce débat.

Mes chers collègues, les divergences entre nous sont nombreuses, en particulier en matière de politique industrielle, et les quelques décisions qui peuvent faire l’objet d’un accord n'effacent pas les indécisions ou les choix politiques, stratégiques, économiques, fiscaux, industriels du Gouvernement que nous sommes un certain nombre, voire une majorité, à ne pas partager dans cet hémicycle.

Pourtant, monsieur le garde des sceaux, sur le sujet qui nous réunit aujourd'hui, vous avez souligné les convergences qui se sont fait jour entre élus politiques de sensibilités différentes. Pour notre part, nous considérons que, quels que soient la situation et le contexte, il est positif que des élus d’opinions diverses, parce qu’ils sont attachés à notre économie, à nos entreprises, puissent se rejoindre pour prendre ou proposer au Parlement un certain nombre de mesures. Nous devons viser le bien commun.

Par ailleurs, nous avons été extrêmement attentifs – et les membres de la commission des lois tout particulièrement – à la position des organisations syndicales de l'entreprise. Le rapport que j'ai rédigé au nom de la commission des lois reproduit la déclaration du représentant de l'intersyndicale de Petroplus, publiée hier matin par l'Agence France-Presse : « Il est primordial que la loi existe. » Et ce, en dépit des regrets qu’a suscités le rejet d’un certain nombre d’amendements à l'Assemblée nationale. Dès lors, les membres de la commission des lois ont jugé nécessaire que nous prenions nos responsabilités, pour préserver les intérêts tant de l'entreprise en France que des salariés.

Cette proposition de loi a été déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale voilà quelques jours par Mme Françoise Guégot, qui a ensuite été nommée rapporteur. Elle et moi avons travaillé de conserve et avec une volonté constructive afin d’aboutir à des points d’accord susceptibles de trouver leur traduction dans des rédactions ou des amendements. Pour autant, il reste des sujets sur lesquels nous n'avons pu parvenir à des solutions communes.

Ce texte de six articles est technique. Il modifie le livre VI du code de commerce relatif aux difficultés des entreprises, c’est-à-dire le droit des procédures collectives – sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation judiciaire –, en prévoyant que puissent être ordonnées, à l’occasion de certaines actions judiciaires engagées dans le cadre des procédures collectives, des mesures conservatoires à l’égard de biens appartenant à des tierces personnes.

Pour simplifier, la société Petroplus Petit-Couronne, aujourd’hui en redressement judiciaire, raffine dans ses installations du pétrole qui appartient à la holding suisse Petroplus, dont l’avenir économique est, semble-t-il, sérieusement compromis. On pourrait considérer que cette holding, en raison de sa forte immixtion dans la gestion de sa filiale, est de fait le dirigeant de Petroplus Petit-Couronne. Dans ces conditions, il serait possible pour l’administrateur judiciaire de Petroplus Petit-Couronne d’engager une action contre la holding, de manière à faire reconnaître sa responsabilité dans la cessation des paiements de sa filiale, et donc à la faire contribuer à la procédure de redressement.

Or le pétrole qui se trouve dans les cuves de Petroplus Petit-Couronne serait bien utile, par la valeur qu’il représente – on parle de 200 millions d'euros –, pour contribuer au redressement de la société française et à la poursuite de son activité. Pourtant, son propriétaire, la holding de Petroplus, peut vouloir le récupérer, pour contribuer à son propre redressement, avant que le jugement au fond sur sa responsabilité dans la cessation des paiements ne soit prononcé. Il s’agit là d’un grave problème sur lequel m'a particulièrement sensibilisé notre collègue Marc Massion, qui, comme d’autres ici, suit depuis longtemps ce sujet, et à propos duquel je me suis entretenu hier avec Thierry Foucaud et Catherine Morin-Desailly, tous deux élus de ce département.

En commission, notre collègue François Pillet m'a posé une question à laquelle je n'ai pu répondre immédiatement. Selon les informations que vous m'avez transmises, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, outre une enquête pénale ordonnée par le ministère public, les administrateurs judiciaires de Petroplus ont engagé plusieurs actions civiles, dont aucune ne correspond à ce jour à l'une de celles qui sont visées par la proposition de loi : action en extension ou action en responsabilité pour faute des dirigeants. Dès lors, mes chers collègues, si, dans quelques jours, après la promulgation de ce texte que la commission des lois vous propose d'adopter, une action en responsabilité est engagée par les administrateurs à l'égard de la holding de Petroplus, elle pourra donner lieu au prononcé des mesures conservatoires prévues par cette proposition de loi.

Il va de soi que ce qui concerne aujourd'hui Petroplus peut tout aussi bien, à l'avenir, concerner toutes sortes d'entreprises ou d'activités.

La proposition de loi permet d’ordonner des mesures conservatoires, par exemple la saisie, à l’égard des biens des dirigeants de droit ou de fait dans le cadre d’une action en responsabilité qui serait engagée en cas de redressement ou de liquidation. Les biens saisis sont donc indisponibles pour leur propriétaire, dans l’attente du jugement au fond sur sa responsabilité. Ce sont les articles 2 et 3 de la proposition de loi qui organisent ce mécanisme. Les mesures conservatoires sont ordonnées par le président du tribunal, à la demande de la personne ayant introduit l’action.

La proposition de loi permet aussi – c’est l’article 1er – d’ordonner de telles mesures conservatoires dans le cadre de l’action en extension, déjà prévue par le code de commerce pour les trois procédures collectives, grâce à laquelle la procédure peut viser d’autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui de la société ou de fictivité de la personne morale.

À ce jour, le code de commerce ne prévoit les mesures conservatoires que dans le cadre de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif. Ces mesures conservatoires dérogent au droit commun en la matière, tel qu’il résulte de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution.

Pour mémoire, je tiens d’ailleurs à rappeler, messieurs les ministres, que l’action en insuffisance d’actif, lorsqu’elle a été instituée par la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, pouvait être engagée dans le cadre de la sauvegarde, du redressement et de la liquidation judiciaires.

Or, mes chers collègues, une ordonnance du 18 décembre 2008, prise sur le fondement de la loi de modernisation de l’économie, est venue retreindre le champ de cette action pour insuffisance d’actif à la seule liquidation.

À mon sens, si le Gouvernement n’avait pas pris cette ordonnance, dont, je dois le dire, la pertinence et les justifications m’échappent, il n’aurait pas aujourd’hui besoin de cette proposition de loi. En effet, dans le cas d’une société en redressement comme Petroplus, une action en insuffisance d’actif aurait pu être engagée contre la holding, sur le fondement du texte de 2005, hélas ! modifié en 2008, et la saisie du pétrole à Petit-Couronne aurait pu être ordonnée.

Les mesures conservatoires prévues par la présente proposition de loi permettent en pratique d’empêcher que ne disparaissent des biens appartenant à un tiers, mais susceptibles d’être joints à l’actif de la société en redressement, si la responsabilité civile du tiers est reconnue. Elles donnent aussi un pouvoir de négociation avec ce tiers pour discuter de l’avenir économique de sa filiale. Enfin, si la responsabilité du tiers est reconnue, ses biens peuvent être joints à la procédure de redressement et donc servir au paiement des créances et de toutes les obligations de la société en redressement : salaires, avantages sociaux, obligations sociales et environnementales.

Le texte comprend, à l’article 4, une dernière disposition importante qui concerne le droit de propriété, lequel – vous le savez, mes chers collègues – est garanti par la Constitution.

À ce titre, lorsqu’il est apporté des limitations à ce droit – c’est le cas ici avec les mesures conservatoires –, dans un but d’intérêt général qui est la poursuite d’activité de l’entreprise, il importe que des garanties suffisantes déterminées par la loi les accompagnent. Il ne faudrait pas, en effet, qu’une question prioritaire de constitutionnalité vienne mettre en cause l’article que nous nous apprêtons à voter.

À cet égard, je tiens à faire une double mise au point précise, laquelle figurera donc au compte rendu intégral de cette séance.

D’une part, le texte prévoit que les biens faisant l’objet d’une mesure conservatoire peuvent être cédés, lorsque leur conservation engendre des frais ou qu’ils sont sujets à dépérissement. La cession est autorisée par le juge-commissaire chargé de suivre la procédure, aux prix et conditions qu’il détermine. Le produit de la cession doit être consigné à la Caisse des dépôts et consignations, dans l’attente du jugement au fond. C’est somme toute assez pertinent : il est sans doute préférable de vendre un stock de matériel ayant fait l’objet d’une saisie et d’en consigner le produit plutôt que de le laisser dépérir. Peut-être est-il possible de faire le même raisonnement pour le pétrole ?

Le rapporteur de l’Assemblée nationale, Mme Guégot, a apporté des garanties sur les droits du propriétaire des biens au moyen d’amendements sur lesquels nous avions travaillé ensemble. À mon sens, il y a donc là une première garantie par rapport au risque de remise en cause sur le fondement du droit de la propriété.

D’autre part, le texte permet que le produit de la cession des biens faisant l’objet d’une mesure conservatoire puisse, à titre dérogatoire, être affecté aux frais engagés pour les besoins de la gestion des affaires du propriétaire de ces biens. Là encore, il y avait atteinte au droit constitutionnel de propriété. Aussi, Mme le rapporteur de l’Assemblée nationale a prévu, au travers d’un amendement sur lequel nous avons également travaillé, que l’affectation du produit de la cession devait résulter, elle aussi, d’une autorisation du juge-commissaire. Je précise que la gestion des affaires du propriétaire des biens inclut donc – ce point doit être bien noté, car je sais que les représentants des salariés y étaient très attentifs – les obligations sociales et environnementales résultant pour lui de la propriété de ces biens. L’adoption de cet amendement par l’Assemblée nationale, sur l’initiative de Mme Guégot, aboutit donc à lever toute ambiguïté à cet égard.