M. Jean-Jacques Hyest. Parfois les deux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous avez raison, c’est la culture de Salomon…

M. Jean-Jacques Hyest. Alors, c’est un bon jugement ! (Sourires.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame Cukierman, vous avez évoqué le problème des tutelles. Les juges d’instance, à travers leur association nationale notamment, ont fait savoir qu’ils comptaient bien sur la suppression des juridictions de proximité pour que les juges de proximité puissent être répartis dans les tribunaux d’instance et de grande instance afin de les aider à résorber ces dossiers.

J’ai fait estimer l’état de résorption des dossiers : à la moitié de l’année, on en était à peu près à 40 % et, deux mois plus tard, grâce à un travail considérable auquel je tiens à rendre hommage, le taux de 60 % était atteint. Dans quelques mois, nous devrions en être à 75 %. Il n’est donc pas exclu que la résorption soit totale d’ici à janvier 2014. Si tel est le cas, les magistrats concernés auront vraiment mérité notre respect et notre gratitude. Dans le cas contraire, je saisirai le Parlement de manière anticipée pour demander un report du délai. Comme vous le rappeliez récemment en commission, monsieur Hyest, cette disposition a été prise pour protéger les personnes sous tutelle.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame Goulet, j’ai entendu vos suggestions très précises sur une réorganisation territoriale de la justice dans votre circonscription.

J’ai expliqué ma méthode de travail à l’occasion du très beau débat que nous avons eu autour du rapport Borvo-Détraigne sur la carte judiciaire : je souhaite travailler avec les élus, qui s’y prêtent très volontiers, dans chaque ressort. C’est de cette façon que nous trouverons les meilleures solutions.

En ce qui concerne le renforcement des effectifs, vous savez que la direction des services judiciaires, dont la directrice est présente ici, s’efforce de faire en sorte qu’il y ait des effectifs suffisants dans chaque ressort de juridiction. Je ne vais pas vous cacher que nous ne sommes pas encore en mesure de combler tous les manques. Nous avons perdu des dizaines de postes de magistrats ces dernières années à cause de la réforme de la carte judiciaire et de la révision générale des politiques publiques. D’ailleurs, la réforme de la carte judiciaire n’était qu’une application pure et simple de la RGPP.

Lorsque je circule dans les juridictions – je le fais très fréquemment –, il est rare que l’on ne me signale pas qu’il manque un magistrat, un greffier ou un autre fonctionnaire.

Mme Cécile Cukierman. C’est certain !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Parfois, il n’en manque pas du tout, et je ressors avec le sourire jusqu’aux oreilles. J’ai peu d’occasions de me réjouir sur ces questions.

Nous avons des juges placés, nous essayons de trouver des solutions, le temps de tenir. Je vous propose une séance de travail pour voir très précisément comment faire au mieux pour Mortagne-au-Perche, L’Aigle et Alençon.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Michel, je vous remercie de la confiance que vous me témoignez. J’y suis extrêmement sensible et je mesure le poids qui pèse sur mes épaules. Je me donne à moi-même l’obligation de faire en sorte que l’institution judiciaire soit réhabilitée, qu’elle soit modernisée, qu’elle soit réorganisée et que nous réussissions à rendre la justice plus accessible et plus efficace sur tous les types de contentieux, et à mettre plus de cohérence dans les procédures.

Je me suis imposé de faire le mieux possible au cours des cinq ans qui viennent. La confiance que vous exprimez me l’impose plus fortement encore. Je l’avoue, j’ai confiance en notre succès. J’observe en effet toute la richesse des expériences accumulées, la grande qualité des réflexions portées sur celles-ci, que ce soit par les professionnels, les parlementaires, les élus locaux ou les personnels qui gravitent au cœur même de la justice, notamment le personnel pénitentiaire. Je travaille de plus en plus à l’unité de l’institution judiciaire. Ce ne sont pas des mondes à part ; c’est un seul service public.

Surtout, ce qui est au moins aussi précieux que cette expérience et cette réflexion sur l’expérience, c’est la disponibilité. Nous y arriverons parce que les parlementaires, les élus, les magistrats et les personnels, qui défendent une très belle ambition pour la justice, ont cette grande disponibilité.

S’agissant de la carte judiciaire et de la répartition des compétences, je vous ai également entendu, monsieur Michel. Il faut revoir d’abord la répartition des compétences et le rôle du juge en matière de médiation et de conciliation, sujets que j’ai développés précédemment.

Vous avez dit que votre idée d’une seule juridiction de premier ressort n’emportait pas la majorité pour l’instant. Cela étant, c’est un peu le principe du tribunal de première instance.

Je vais lancer une expérimentation des tribunaux de première instance, puisque je travaille, je vous l’ai dit, à la modification du périmètre des contentieux. Si je souhaite procéder ainsi, c’est parce qu’il faut que la juridiction participe réellement à cette expérimentation et que les élus locaux puissent donner leur avis. Quant aux justiciables, ils doivent être spécialement sensibilisés à cette organisation particulière de la justice

J’ai donc déjà lancé une étude – je la voulais de trois mois, mais il semble qu’une durée plus longue soit nécessaire – pour déterminer les ressorts où sera menée l’expérimentation des tribunaux de première instance.

Les observations du Conseil d’État sur certaines juridictions, là où des anomalies fortes ont été constatées à la suite de l’application de la carte judiciaire, là où il n’y a pas eu rétablissement du tribunal, constitueront pour nous un point d’ancrage. Je proposerai en priorité à ces ressorts l’expérimentation d’un tribunal de première instance. Nous verrons ce qu’il en sortira.

J’ajouterai que les problématiques liées au pôle famille et au code de l’enfance sont tout à fait intéressantes. Doit-on regrouper, soit dans un même code tout ce qui concerne l’enfance du point de vue de son intégrité, soit dans une même juridiction tout ce qui peut concerner la famille ?

Selon moi, deux notions doivent être considérées de façon très attentive. La première, c’est celle du regroupement thématique, qui permet de construire un univers particulier en lui donnant de la cohérence. La deuxième, qui n’est à mon avis ni dérisoire ni négligeable, c’est celle de la transversalité, afin de prendre en compte la pluralité et la complexité des situations d’une même entité, qu’il s’agisse de l’enfant ou de la famille.

Quoi qu’il en soit, ces pistes de réflexion sont intéressantes, et je suis sûre que le Sénat apportera, comme à son habitude, un riche matériau pour l’alimenter.

Mesdames, messieurs les sénateurs, si, par inadvertance, j’ai omis de répondre à quelques-unes de vos observations, n’hésitez pas à me le signaler. Je m’engage à vous répondre par courrier ou par le biais de mes conseillers parlementaires. Vous le savez, je suis moi-même à votre portée au moins une fois par semaine et joignable par téléphone chaque fois que vous le souhaitez.

Pour conclure, je tiens à remercier Mme la rapporteur de l’excellent travail qu’elle a mené au nom de la commission des lois et M. Sueur de sa très judicieuse initiative, qui rendra service à nos juridictions et alimentera la réflexion en vue de décisions éclairées concernant l’organisation judiciaire.

Ce texte nous permet de nous engager vers une conception globale de la justice civile, afin de renforcer son efficacité et son utilité pour nos concitoyens. La détermination avec laquelle je vous ai entendus formuler vos observations et vos suggestions me convainc que nous pourrons concevoir la meilleure organisation possible. Une fois de plus, je vous dis toute ma gratitude pour le travail réalisé. Je n’insiste pas davantage, car vos méthodes et la densité de vos travaux me contraindront très souvent à vous exprimer un tel sentiment. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

M. le président. Nous passons à la discussion de l’article unique.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux juridictions de proximité
Articles additionnels après l'article unique

Article unique

L’article 70 de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles, est modifié comme suit :

1° Au I, les mots : « Les articles 1er à 14 » sont remplacés par les mots : « Les articles 3 à 14 » ;

2° Au début du III, il est inséré un premier alinéa ainsi rédigé :

« Les articles 1er et 2 de la présente loi entrent en vigueur le 1er janvier 2015. » ;

3° À la première phrase du deuxième alinéa du III, les mots : « au I » sont remplacés par les mots : « au présent III » ;

4° À la deuxième phrase du deuxième alinéa et à la deuxième phrase du troisième alinéa du III, la référence : « I » est remplacée par la référence : « III ».

M. le président. L'amendement n° 4, présenté par Mme Klès, au nom de la commission, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1

À la fin de cet alinéa, remplacer les mots :

modifié comme suit

par les mots :

ainsi modifié

II. – Alinéas 3 à 6

Remplacer ces alinéas par cinq alinéas ainsi rédigés :

2° Le III est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, après les mots : « présente loi », sont insérés les mots : « entrent en vigueur le 1er janvier 2015 et » ;

b) À la première phrase du deuxième alinéa, la référence : « I » est remplacée par la référence : « premier alinéa du présent III » ;

c) À la seconde phrase du deuxième alinéa, la référence : « même I » est remplacée par la référence : « premier alinéa du présent III » ;

d) À la seconde phrase du troisième alinéa, la référence : « audit I » est remplacée par la référence : « au premier alinéa du présent III ».

La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Virginie Klès, rapporteur. Cet amendement purement rédactionnel vise à simplifier la lecture du texte.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article unique, modifié.

(L'article unique est adopté.)

Article unique
Dossier législatif : proposition de loi relative aux juridictions de proximité
Intitulé de la proposition de loi (début)

Articles additionnels après l'article unique

M. le président. L'amendement n° 1 rectifié bis, présenté par MM. Mézard, Baylet, Collin, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Requier, Tropeano, Vall et Alfonsi, est ainsi libellé :

Après l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° L’article 52-1 et l’article 397-7 sont abrogés ;

2° Les II et III de l’article 80, le dernier alinéa de l’article 118, la dernière phrase du troisième alinéa de l’article 397-2 sont supprimés ;

3° Au premier alinéa de l’article 85, la référence : « , 52-1 » est supprimée ;

4° L’article 83-1 est ainsi modifié :

a) Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :

« Le président du tribunal de grande instance ou, en cas d’empêchement, le magistrat qui le remplace, peut désigner, dès l’ouverture de l’instruction, d’office ou si le procureur de la République le requiert dans son réquisitoire introductif, un ou plusieurs juges d’instruction pour être adjoints au juge d’instruction chargé de l’information. »

b) La troisième phrase du troisième alinéa est supprimée ;

c) Le quatrième alinéa est ainsi rédigé :

« En l’absence d’accord du juge chargé de l’information ou, à défaut, de désignation par le président du tribunal de grande instance dans le délai d’un mois, la cosaisine peut être ordonnée par le président de la chambre de l’instruction agissant d’office, à la demande du président du tribunal, sur réquisition du ministère public ou sur requête des parties. Le président statue dans un délai d’un mois à compter de la réception de la demande qui est déposée conformément à l’avant-dernier alinéa de l’article 81 si elle émane d’une partie. »

II. - Les articles 1er à 5 de la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale sont abrogés et les II et III de l’article 30 de la même loi sont supprimés.

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Si cet amendement est sans doute un cavalier, il n’en présente pas moins un intérêt fondamental pour nos concitoyens.

Nous sommes profondément attachés à résoudre les problèmes de la justice pénale, car il y va, dans bien des cas, de la liberté de nos concitoyens. Or, depuis quelques années, l’accès à la justice pénale, qu’il s’agisse des victimes ou de ceux qui sont poursuivis, pose manifestement un réel problème de défense pénale, aggravé par un certain nombre de dispositions. Aussi souhaiterais-je que vous puissiez nous apporter, madame la garde des sceaux, des réponses précises, mes questions écrites étant jusqu’ici restées lettre morte.

Nous nous souvenons tous du consensus qui avait suivi les résultats de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau.

La loi du 5 mars 2007 avait ainsi introduit deux novations destinées – c’est ce qui était annoncé à l’époque – à mettre fin au splendide isolement du juge d’instruction : les pôles de l’instruction et la collégialité de l’instruction. Le garde des sceaux de l’époque, Pascal Clément, avait expliqué à cette tribune que ces deux dispositifs dans les affaires les plus complexes constituaient un renforcement des garanties accordées aux justiciables et aux victimes. Mais il notait déjà que l’entrée en vigueur de l’ensemble de la réforme nécessiterait des moyens budgétaires et humains colossaux, dont 240 postes de magistrats et 400 postes de fonctionnaires de greffe supplémentaires.

Cinq ans et demi plus tard, quel bilan peut-on tirer de cette double réforme ?

La mise en œuvre de la collégialité de l’instruction a été reportée à deux reprises, dont une fois au détour d’une loi de finances – il faut le rappeler quand on parle de cavaliers ! -, pour entrer hypothétiquement en vigueur au 1er janvier 2014. Or les problèmes mis en avant par Mme Alliot-Marie et relatifs au coût de la réforme s’étaient posés exactement dans les mêmes termes au moment du vote de la loi de 2007. C’était d’ailleurs l’une des raisons qui avait poussé le Parlement à laisser plusieurs années à la Chancellerie pour la préparer. Certes, le projet de loi de finances pour 2013 prévoit la création de 10 postes supplémentaires de juges d’instruction en vue de préparer l’entrée en vigueur fixée à 2014. Vous comprendrez toutefois, madame la garde des sceaux, qu’il n’y a là rien pour nous rassurer.

S’agissant des pôles de l’instruction, dont la loi de 2007 prévoyait initialement de doter chaque département, le bilan est également négatif et a même été aggravé par la réforme de la carte judiciaire. Qu’il ait été nécessaire de revoir l’implantation des juridictions, nous en convenons, mais pas au prix de la création de déserts judiciaires, comme c’est incontestablement le cas aujourd’hui.

L’évolution des effectifs des juges d’instruction a contrarié les objectifs recherchés par le législateur. Le nombre de postes localisés a baissé de 13,32 % en trois ans, soit 83 postes, et près de 32 pôles sur les 92 existants disposent de deux postes d’instruction seulement, alors que trois sont nécessaires, selon la circulaire de localisation des emplois pour 2012.

Ainsi, les affaires relevant du ressort du tribunal de grande instance de Rodez en région Midi-Pyrénées – ce n’est pas dans ma circonscription – dépendent du pôle de l’instruction de Montpellier, situé en région Languedoc-Roussillon et distant de 175 kilomètres, soit plus de deux heures et demie de route. L’exercice de la justice pénale connaît une situation véritablement catastrophique !

À l’évidence, les pôles de l’instruction tels qu’ils existent ne peuvent remplir la mission qui leur avait été assignée et contribuent même, paradoxalement, pour les justiciables, à l’éloignement de la justice.

En déposant cet amendement, nous souhaitions simplement connaître vos intentions, madame la garde des sceaux, car il s’agit d’un problème de plus en plus préoccupant, relevé par beaucoup de professionnels et de nos concitoyens, dans un nombre important de départements. Certes, il ne s’agit pas des départements les plus peuplés, mais au regard de l’objectif d’égalité des territoires et des citoyens, la situation semble vraiment problématique.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Virginie Klès, rapporteur. La commission partage tout à fait les interrogations de notre collègue Jacques Mézard, qui s’inquiète d’une justice chaotique et quelque peu bousculée ces derniers temps.

Le problème est d’importance. Or aucune audition n’a pu être réalisée sur le sujet. Par conséquent, sous le bénéfice des explications qui seront apportées par le Gouvernement, la commission demande le retrait de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Mézard, je vous ai entendu dire que vos questions écrites demeuraient sans réponse, ce dont je suis confuse. Je m’assurerai qu’on me les présente, afin qu’une réponse vous soit adressée avec diligence. Je veille en effet à répondre à chaque parlementaire.

Concernant la justice pénale et ses difficultés, vous avez raison. Mais, vous l’avez dit vous-même, cet amendement est un cavalier. Pour cette seule raison, le Gouvernement serait fondé à vous demander avec un sourire d’une grande cordialité – vous connaissez l’estime que j’ai pour vous et votre travail – son retrait.

Je vous propose que nous organisions prochainement une séance de travail sur le sujet. Nous aurons ainsi l’occasion d’examiner le fond du problème, afin d’apporter la réponse la mieux adaptée, notamment en ce qui concerne le véhicule législatif qui devra être privilégié.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Michel. Le groupe socialiste partage vos inquiétudes, cher collègue Mézard, relatives à la justice pénale, au sujet desquelles nous nous étions d’ailleurs entretenus.

Votre amendement, cela ne fait guère de doute, avait pour objet de provoquer la réaction de Mme la garde des sceaux. Cette dernière nous propose une séance de travail.

L’instruction est aujourd’hui dans un piteux état, et pas seulement dans votre département.

Mme Nathalie Goulet. Dans le mien aussi !

M. Jean-Pierre Michel. Dans le mien, elle n’existe plus. Les avocats vont quelquefois à Besançon, quelquefois à Montbéliard, on ne sait pas trop ! Tout se déroule donc dans une très grande confusion.

Bien entendu, nous nous rangeons à la position du Gouvernement, et notre collègue acceptera probablement de retirer son amendement, mais sachez, madame la garde des sceaux, que nous appuyons sa démarche.

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

M. Christian Cointat. Notre collègue Mézard a soulevé là un véritable problème, et je tiens à l’en féliciter.

Madame la garde des sceaux, la désertification judiciaire du monde rural est une réalité à laquelle il faut s'attaquer, et je regrette que votre réponse n’ait pas été plus étayée. Certes, vous nous avez fait part de vos bonnes intentions, mais ne pourriez-vous pas nous en dire davantage, car nous sommes là au cœur du problème.

M. le président. Monsieur Mézard, l'amendement n° 1 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Jacques Mézard. Nous aurions aimé que le Gouvernement nous indique une orientation, une direction. Comme vient de l’expliquer à l’instant notre excellent collègue Christian Cointat, dont je partage pleinement le constat, le problème est réel et requiert une réponse rapide, car la situation devient extrêmement difficile dans nombre de départements.

Cela étant, je retire l’amendement.

M. le président. L'amendement n° 1 rectifié bis est retiré.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. M. Michel, M. Mézard ainsi que M. Cointat, que je connais bien pour avoir eu le plaisir de l’accueillir en Guyane lorsqu’il préparait la rédaction d'un rapport de très grande qualité, comme le sont d’ailleurs, généralement, tous les rapports du Sénat, ont eu raison d'insister sur ce sujet de fond.

Vous vous doutez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, même si je n’ai pas pris le temps de le préciser, que je partage vos préoccupations et vos interrogations. Néanmoins, non seulement cet amendement ne trouvait pas sa place dans cette proposition de loi, mais encore je ne suis pas certaine que la solution avancée par son auteur soit la meilleure qui soit. C’est la raison pour laquelle j'ai proposé que nous organisions une séance de travail.

Il n’en demeure par moins que cette question de la désertification reste pour moi bien évidemment un sujet de préoccupation. Je crois avoir suffisamment affirmé notre volonté que, s’agissant tant de la justice civile que de la justice pénale, soient respectés les principes de la République, à savoir l'unité de l'institution sur l'ensemble du territoire et la faculté pour tout justiciable, pour tout citoyen, d'avoir accès à la justice dans les mêmes conditions sur l’ensemble du territoire, qu’il habite dans un petit village ou dans une grande métropole. Cette volonté ne peut pas être mise ne doute.

S’agissant de l'instruction en tant que telle, vous savez les évolutions qu’ont connues ces dernières années le juge d'instruction, les pôles de l'instruction et le principe de collégialité. À cet égard, je peux d'ores et déjà vous annoncer que nous n'envisageons pas de reporter l’entrée en vigueur du principe de collégialité, désormais inscrit dans la loi ; j’ai néanmoins demandé à mes services de me proposer des pistes de réflexion pour répondre à la question suivante : faut-il envisager une collégialité globale et systématique ou bien une collégialité limitée à certaines procédures et à certains moments ou à certains actes de l’instruction ?

Voilà où nous en sommes dans notre réflexion, mais le principe même de la collégialité n'est pas remis en cause.

Je le répète, nous sommes déterminés à ce que la justice soit rendue pareillement sur l’ensemble du territoire.

Monsieur Mézard, encore une fois, nous partageons vos préoccupations, faisons nôtre le constat que vous dressez et sommes parfaitement conscients de l’urgence qui s’attache à traiter la situation que vous décrivez. C’est pour cette raison que je vous propose que nous travaillions ensemble pour faire œuvre législative dès que possible. (M. Jean-Pierre Michel applaudit.)

M. le président. L'amendement n° 2 rectifié bis, présenté par MM. Mézard, Collombat, Baylet, Collin, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Requier, Tropeano, Vall et Alfonsi, est ainsi libellé :

Après l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au dernier alinéa du I de l'article 5 de la loi n° 2011-1940 du 26 décembre 2011 visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants, après les mots : « assurée par », la fin de cet alinéa est ainsi rédigée : « un magistrat du siège désigné par ordonnance du premier président. »

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Un second cavalier fait un petit escadron… (Sourires.)

Cet amendement porte sur la justice des mineurs, très malmenée ces dernières années.

La création du tribunal correctionnel des mineurs en a été le dernier avatar et nous attendons avec impatience, madame la garde des sceaux, de connaître le contenu de la grande réforme du droit pénal des mineurs, que non seulement nous appelons tous de nos vœux, mais dont notre système judiciaire a absolument besoin.

La spécificité de la justice des mineurs autorise que des spécialistes de l’enfance siègent comme assesseurs au tribunal pour enfants. Autre particularité : un même juge des enfants peut à la fois instruire une affaire – et donc ordonner les mesures nécessaires de protection du mineur – et siéger au sein du tribunal pour enfants qui connaîtra de l’affaire.

Le Conseil constitutionnel a validé ce dispositif dans sa décision du 8 juillet 2011. Mais, dans le même temps, il a estimé que le juge des enfants ne pouvait, dans cette hypothèse, présider la formation de jugement.

La loi du 26 décembre 2011 a donc prévu que, à compter du 1er janvier 2013, le président de la cour d’appel pourra désigner un juge des enfants d’un tribunal sis dans le ressort de la cour d’appel pour siéger. Cette mesure ne facilite pas le fonctionnement des juridictions pour mineurs dans les territoires ruraux mal desservis dans la mesure où elle oblige les magistrats concernés à parcourir deux cents kilomètres et faire deux heures trente de route pour rejoindre le tribunal.

Or l’article L. 252-1 du code de l’organisation judiciaire prévoit déjà qu’un juge des enfants peut être suppléé par un magistrat du siège désigné par le président du tribunal de grande instance en cas d’absence ou d’empêchement du juge en place. Ce dispositif est bien plus simple et souple à mettre en œuvre. Par conséquent, nous souhaitons qu’il s’applique aussi lorsque survient l’incompatibilité que nous venons d’évoquer.

En fait, le nouvel article L. 251-3 du code de l’organisation judiciaire est quelque peu incohérent avec l’article L. 252-1 du même code. À mon sens, il serait préférable de faciliter le recours à ce dernier article. Pour ne rien vous cacher, c’est la demande que formulent un certain nombre de magistrats dans ces départements ruraux. Il y a urgence !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Virginie Klès, rapporteur. Comme précédemment, la commission demande à son auteur de bien vouloir retirer son amendement, sous le bénéfice des explications du Gouvernement. Malgré l’urgence de la situation, il lui paraît nécessaire de prendre le temps d'engager une concertation générale. Or nous n’avons pas pu aborder le sujet au cours de nos auditions.

Plus encore sans doute que sur la question précédente, la commission partage les interrogations de M. Mézard. La justice des mineurs est un sujet qui nous tient vraiment à cœur.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Comme le reconnaît lui-même M. Mézard, son amendement est encore un cavalier, mais, ayant été moi-même parlementaire pendant quatre législatures, je sais qu’il peut être utile de contraindre l'exécutif à s'exprimer sur des sujets urgents et importants sur lesquels il n’est pas toujours possible d’engager une action immédiate.

Sur le fond, l'utilité de cette mesure n'est pas contestable, mais, comme toute disposition législative, elle aura une portée générale puisque vous ne limitez pas son champ d’application aux territoires ou aux parties de territoires dans le ressort desquels il peut être nécessaire, dans certaines circonstances, de remplacer un juge des enfants par un magistrat du siège. Dans la réalité, elle est destinée à s’appliquer dans des juridictions qui sont faiblement dotées en juges des enfants.

Nous devons donc concilier une position de principe que nous approuvons sans doute tous, celle de la spécialisation de la justice des mineurs, et une contrainte, la nécessité de remplacer un juge des enfants par un autre magistrat, dans certaines circonstances. C’est bien là la difficulté du sujet que vous soulevez.

Outre qu’il ne serait pas raisonnable d’adopter cet amendement du seul fait qu’il constitue un cavalier, nous sommes particulièrement attachés à rétablir la spécialisation de la justice des mineurs et nous avons l’intention d’en revenir à une organisation que nous estimons conforme à cette spécialisation. À cette fin, nous proposerons un certain nombre d'aménagements et d’améliorations portant sur la procédure, par exemple la « césure du procès pénal » des mineurs, et sur le rôle du juge des enfants et des assesseurs dans certaines procédures bien précises.

J'entends votre requête, monsieur Mézard, je la sais justifiée, je la sais urgente pour le bon fonctionnement des juridictions, en particulier dans les zones rurales que vous évoquez. Je comprends que ces demandes émanent plus particulièrement de parlementaires qui ont connu des parcours judiciaires… (Exclamations amusées sur plusieurs travées.)