M. Christophe-André Frassa. Mais pas à n'importe quel prix et pas n'importe comment !

Votre projet de loi a fait couler beaucoup d'encre et il continue à susciter de grandes réserves quant à la manière d'atteindre ces trois objectifs.

Les travaux de la commission des lois ont cependant permis d'obtenir un texte qui, encore très loin de nous satisfaire, permet déjà d'aborder le débat en séance, sinon avec sérénité, du moins avec clarté.

Concernant l'organisation des différentes instances, certains points doivent encore être précisés.

La vice-présidence d'un conseil consulaire, qui échoit à un élu, doit être effective et, en cas d'absence du président, c’est le vice-président qui doit assurer la présidence du conseil et non pas un représentant du chef de poste diplomatique ou consulaire.

Les conseillers consulaires doivent, pour un meilleur accomplissement de leur mandat, bénéficier des formations ouvertes aux agents du ministère des affaires étrangères.

Quant à l'AFE, elle doit pouvoir continuer à se réunir deux fois par an comme c'est actuellement le cas. C'est une demande forte des élus actuels.

Dans sa nouvelle structure, l'AFE sera plus que jamais le lieu unique de débat entre tous les élus des Français de l'étranger : conseillers, députés et sénateurs. Il est donc très important, madame la ministre, que les parlementaires des Français de l'étranger soient membres de droit de l'AFE, toutefois sans voix délibérative.

Par ailleurs, les grandes associations représentatives des Français de l'étranger au niveau national doivent pouvoir continuer à jouer bénévolement leur rôle d'expertise auprès de l'AFE.

Les conseillers à l'AFE doivent aussi avoir la possibilité de participer aux réunions des conseils consulaires de leur circonscription électorale.

Enfin, il est nécessaire que les décrets, prévus aux articles 19 et 29, établissent les prérogatives des conseillers consulaires et des conseillers à l'AFE dans leur circonscription électorale.

J’en viens aux dispositions électorales prévues par le texte. Concernant l'AFE, le découpage des circonscriptions me semble trop restrictif pour garantir la proximité entre les élus consulaires et les élus de l’AFE.

Nous souhaitons améliorer cette proximité et aussi garantir une meilleure représentativité en portant le nombre des conseillers à l'AFE à 102, répartis dans un plus grand nombre de circonscriptions.

Par ailleurs, que ce soit pour les élections consulaires ou les sénatoriales, nous ne pouvons accepter le système de vote par anticipation sans qu’il soit encadré plus étroitement par la loi et assure le respect des garanties constitutionnelles.

Enfin, le système proposé pour l'élection des sénateurs rétablit, sous une autre forme, le vote par correspondance – que j’ai déjà qualifié de vote « Canada dry » puisqu’il présente tous les attributs du vote par correspondance sans en avoir le nom. L'alinéa 3 de l’article 33 octies prévoit que « les membres du collège électoral peuvent également voter sous enveloppe fermée, remise en mains propres à un ambassadeur ou chef de poste consulaire de leur circonscription d'élection, au plus tard le deuxième jeudi qui précède le scrutin ».

On a du mal à suivre la logique suivant laquelle on supprime définitivement tout vote par correspondance pour les élections consulaires tout en le réintroduisant sous cette forme pour les élections sénatoriales.

On objectera que faire venir tous les grands électeurs à Paris a un coût – j'en conviens. Mais il existe un système pour lequel nous nous sommes tous battus ici, c'est le vote par voie électronique, pour lequel on n'a pas besoin de mettre en place un protocole aussi complexe et lourd – financièrement et technologiquement – que celui qui a été mis en place pour les élections législatives puisqu'il s'agit de ne faire voter que les 520 grands électeurs sénatoriaux, lesquels peuvent aussi voter par procuration ou en personne.

Les grands électeurs peuvent très bien voter par les voies sécurisées déjà existantes entre le ministère des affaires étrangères et les postes diplomatiques et consulaires à l'étranger.

Tant sur le plan technique que sur le plan constitutionnel, et malgré toutes les assurances que pourra nous donner le Conseil d'État, je doute fort que le dispositif proposé dans le projet de loi, qui rappelle la manœuvre de 1978 – on a parlé à l'époque d'« urnes baladeuses » –, soit validé en l'état par le Conseil constitutionnel.

Voilà, madame la ministre, quelques points sur lesquels nous devrons nous accorder pour que nous nous rallions à cette réforme.

Pour conclure, je vous dirai qu'au Sénat, contrairement à l’Assemblée nationale, tous les parlementaires des Français de l'étranger sont issus de l'Assemblée des Français de l'étranger. Pour autant, nous ne ferons pas de ce débat un baroud d'honneur. Mais nous nous battrons parce que, n'ayant rien à perdre, nous avons tout à gagner.

Forts de notre expérience d'élus de terrain, de notre expertise, du long cheminement de la représentation des Français de l'étranger, nous défendrons article après article et point par point, pour que cette belle histoire ne se termine pas aussi brutalement, l'idée que nous nous faisons de la démocratie représentative de proximité.

Nous abordons par conséquent ce débat non seulement avec gravité et détermination, mais aussi avec espoir et optimisme. Parce que, avec le soutien de l'ensemble des élus de l'AFE, nous voulons faire de cette réforme, au lieu d'un enterrement programmé, un pari pour l'avenir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. –  Mme Kalliopi Ango Ela applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.

Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer le travail accompli par notre rapporteur, qui a permis que nous avancions ensemble sur le texte présenté aujourd'hui.

Le projet de loi que nous examinons est bienvenu et rencontre un large accord quant à la nécessité absolue d’une réforme de la représentation des Français établis hors de France.

Sans m’y attarder, je rappelle les principales raisons qui ont conduit le Gouvernement à présenter ce projet de loi, raisons que nous partageons.

Plus de trente années après l’adoption de la loi du 7 juin 1982, qui a permis l’élection au suffrage universel direct des délégués au Conseil supérieur des Français de l’étranger – le CSFE – rebaptisé Assemblée des Français de l’étranger en 2004, force est de constater que la représentation politique des Français établis hors de France est insuffisante et en décalage avec la réalité de nos communautés.

En trente ans – vous l’avez souligné, madame la ministre – le nombre de Français expatriés a presque doublé, tandis que cette population connaissait des évolutions à la fois démographiques et sociologiques. C’est une population renouvelée et rajeunie, présente dans un nombre croissant de pays et au sein de laquelle le nombre de Français binationaux s’est accru. J’ajoute que les pays d’accueil ont, eux aussi, profondément évolué.

Il nous faut aussi tenir compte de la réforme constitutionnelle de 2008 qui a créé onze députés représentant les Français de l’étranger, donnant enfin à ceux-ci une pleine représentation parlementaire. Il était donc particulièrement nécessaire de dessiner une nouvelle architecture des différents niveaux de représentation.

En outre, le manque de représentativité et de visibilité dont souffre l’actuelle AFE, en raison d’un découpage anachronique des circonscriptions électorales conduisant à des écarts démographiques considérables, rendait également nécessaire une réforme allant dans le sens d’une meilleure représentativité et d’une proximité renforcée.

Enfin, il n’était plus conforme à notre conception de la représentation démocratique que les douze sénateurs représentant les Français établis hors de France soient élus par un collège électoral composé de seulement 155 grands électeurs.

C’est à ce contexte nouveau que veut répondre le projet de loi. De fait, il propose non pas un simple aménagement du système existant, mais bien une vision nouvelle de la représentation des Français vivant hors de France. C’est une vision progressiste, clairement tournée vers l’avenir, que nous saluons, madame la ministre.

J’espère que ce texte, pour l’examen duquel le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, fera son chemin rapidement afin de permettre l’organisation des élections concernées en juin 2014 au plus tard.

Le texte répond à deux objectifs majeurs : la proximité et la démocratisation.

Proximité d’abord, avec la création d’un échelon local, les conseils consulaires, auprès de chaque ambassade ou de chaque poste consulaire, afin de permettre une représentation des Français de l’étranger au plus près de leurs territoires de vie. Ces conseils consulaires auront notamment pour rôle de participer aux décisions locales, et d’exprimer et de faire remonter à l’échelon central, à savoir une Assemblée des Français de l’étranger à la composition repensée, les points de vue de nos concitoyens établis hors de France.

Le Gouvernement a veillé à ce qu’un équilibre soit établi entre ces différents échelons, tant pour leur composition que pour leurs compétences respectives.

Ce sont 444 conseillers consulaires qui seront élus au suffrage universel direct dans 130 circonscriptions consulaires, constituant enfin un maillage plus serré de la représentation locale des Français établis hors de France. Quatre-vingt-un d’entre eux devraient siéger à l’Assemblée des Français de l’étranger dans sa nouvelle configuration, du moins suivant la rédaction initiale du texte.

L’AFE verra son rôle de conseil renforcé, et ses compétences élargies. Elle élira dorénavant son président, alors que ce rôle revenait au ministre des affaires étrangères. Ce changement se concrétisera par la présentation annuelle par le Gouvernement devant l’AFE d’un bilan de son action sur les matières intéressant directement les Français de l’étranger – article 20 –, notamment s’agissant de l’enseignement, de la protection sociale et de l’action sociale, de la formation professionnelle ou de la sécurité. De plus, l’AFE sera informée dès le dépôt du projet de loi de finances sur les dispositions concernant les Français établis hors de France – article 21 – et pourra enfin, de sa propre initiative, réaliser des études, renforçant son pouvoir d’expertise, émettre des vœux et adopter des avis et des motions – article 22. Bien loin de limiter les prérogatives de l’AFE, le texte ouvre donc de nombreuses facultés aux conseillers qui y siégeront, et il appartiendra aux futurs conseillers élus à l’AFE de se saisir de toutes ces prérogatives.

J’en viens au cœur de la réforme. L’innovation principale réside dans le renforcement de la démocratie de proximité avec la création des conseils consulaires. Instance consultative bien ancrée dans sa circonscription, le conseil consulaire se substituera aux différents comités consulaires existants pour traiter des questions consulaires ou d’intérêt général, notamment culturelles, économiques et sociales, concernant les Français établis dans la circonscription.

L’impératif de proximité voulu par la réforme a d’ailleurs rendu nécessaire la création, contestée, de conseils consulaires ne comportant qu’un élu, siégeant alors seul avec l’ambassadeur ou le chef de poste consulaire qui assure la présidence du conseil, sauf à leur adjoindre des personnalités extérieures lorsque le sujet le réclame, en particulier pour l’examen des demandes de bourses. Ce point des circonscriptions à un seul élu a fait l’objet de longs débats et réflexions. Il était néanmoins indispensable, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, de créer de tels conseils consulaires dans les circonscriptions qui n’étaient rattachables à aucune autre, ou dans lesquelles l’activité consulaire, notamment sur des sujets tels que les bourses scolaires ou l’aide sociale, nécessitait à l’évidence une représentation démocratique locale effective.

Enfin, ce nouveau système représentatif, avec son maillage local, sera le support d’un nouveau mode d’élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France, désormais plus conforme à notre idéal démocratique. Le collège électoral de ces douze sénateurs sera dorénavant composé de l’ensemble des conseillers consulaires, au nombre de 444, des onze députés représentant les Français établis hors de France, et de 65 délégués consulaires élus en même temps que les conseillers consulaires à raison d’un délégué par tranche de 10 000 inscrits, dans les circonscriptions comptant plus de 10 000 inscrits, ce qui concernera dix-neuf circonscriptions consulaires. Au total, c’est donc un collège électoral qui aura plus que triplé, avec un nombre de grands électeurs atteignant désormais 520.

Le travail effectué par la commission des lois a permis d’améliorer un texte déjà à la fois très complet et cohérent. En sus d’une réorganisation formelle judicieuse du texte opérée par le rapporteur afin de lui donner une meilleure lisibilité, le projet de loi a évolué sur plusieurs points, renforçant, madame la ministre, votre objectif de démocratisation de la représentation des Français établis hors de France.

Alors que le texte initial prévoyait à son article 23 une élection indirecte des conseillers à l’AFE par et au sein des conseillers consulaires, la principale évolution consiste, au nouvel article 29 unvicies, en l’élection au suffrage universel direct des conseillers qui siégeront à l’AFE, le même jour et dans les mêmes conditions que les conseillers consulaires. Cette avancée sur le plan démocratique répond à une attente unanime de l’AFE elle-même et des associations représentatives des Français de l’étranger.

Une clarification des attributions des conseils consulaires a été adoptée en commission à l’article 2, et prévoit que les conseillers consulaires seront « consultés sur toute question relative à la protection sociale et à l’action sociale, à l’emploi, à la formation professionnelle et à l’apprentissage, à l’enseignement français à l’étranger et à la sécurité, concernant les Français établis dans la circonscription ». De même, une amélioration de la situation matérielle de ces conseillers a été apportée à l’article 19, afin de leur permettre d’effectuer des déplacements au sein de leurs circonscriptions, qui, il faut le rappeler, sont souvent très vastes.

Les thématiques du rapport annuel présenté par le Gouvernement à l’AFE ont également été augmentées à l’article 20, afin d’informer les conseillers des engagements internationaux négociés et conclus par la France dans le domaine fiscal et social, mais aussi du régime fiscal applicable aux Français établis hors de France, et de tout autre projet les concernant. Je rappelle que cette énumération n’est pas close, puisqu’un alinéa a été ajouté précisant que tous les sujets intéressant les communautés françaises à l’étranger pourraient être abordés dans ce rapport. Sur l’initiative du groupe socialiste, un amendement a consacré à l’article 29 le droit à la formation des conseillers siégeant à l’AFE. Un amendement vous sera proposé pour étendre ce droit aux conseillers consulaires.

Grâce au travail de notre rapporteur et à un dialogue fructueux avec le Gouvernement, nous proposerons en séance des amendements aux tableaux annexes nos 1 et 2 fixant le découpage des circonscriptions. Les tableaux qui en résulteront établissent une carte qui n’est peut-être pas parfaite, mais qui est réaliste et répond à des critères objectifs. Si la Haute Assemblée adopte ces amendements, les conseillers à l’AFE seront élus au sein de vingt circonscriptions électorales et non plus seize, permettant notamment de porter leur nombre à 102 selon un ratio de 1 élu pour 16 000 inscrits, à quelques exceptions près. Nous sommes tous attachés, me semble-t-il, quelles que soient nos sensibilités politiques, à cette évolution du texte.

Enfin, faut-il le souligner, cette loi aura un mérite supplémentaire : elle fera progresser la parité grâce au scrutin de liste proportionnel.

Mes chers collègues, j’ai conscience que mon intervention est répétitive par rapport aux précédentes, mais il importe que, sur un sujet trop souvent considéré comme relevant exclusivement des sénateurs représentant les Français de l’étranger, nous puissions nous succéder à cette tribune pour engager l’ensemble de la représentation parlementaire sur une réforme qui est, je le répète, tout à fait bienvenue.

Pour tous ces mérites, ce projet de loi sera soutenu par le groupe socialiste. Je veux d’ailleurs souligner ici l’intérêt constant du Sénat pour les textes concernant la présence française à l’étranger. Je rappelle que nous avons débattu longuement et passionnément dans cet hémicycle en 2010 de la loi relative à l’action extérieure de la France. Au fond, avec la nouvelle loi que vous nous soumettez, madame la ministre, nous visons le même but : renforcer le rayonnement de la France et le lien de ces communautés françaises avec la nation. Les communautés des Français établis hors de France sont un atout majeur et des acteurs de ce rayonnement, d’autant qu’elles seront mieux représentées et mieux associées à la définition des politiques publiques grâce à cette loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. –  Mme Kalliopi Ango Ela ainsi que MM. Pierre-Yves Collombat, Robert del Picchia et Christian Cointat applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici donc arrivés au terme d’une longue réflexion sur la réforme de la représentation politique des Français établis hors de France que nous appelons de nos vœux depuis de nombreuses années.

Je tiens à saluer dès à présent le travail de notre rapporteur Jean-Yves Leconte, qui a permis d’enrichir le texte du Gouvernement de façon extrêmement positive.

Avant d’évoquer plus précisément ce projet, il m’importe de rappeler, au regard des longues années depuis lesquelles je représente nos concitoyens établis hors de nos frontières, d’abord avec un mandat local puis en qualité de sénatrice, qu’en termes d’inscription sur les listes électorales les Français de l’étranger représentent l’équivalent du dix-huitième département français.

Oui, les Français sont de plus en plus nombreux à tenter leur chance à l’étranger ou, tout simplement, à y être nés et à y poursuivre leur vie.

Non, cet éloignement géographique ne s’accompagne pas d’un désintérêt pour la vie politique française.

Oui, dans leur immense majorité, les expatriés ont gardé le lien avec leur patrie d’origine ; ils y demeurent très attachés et ont la possibilité, aujourd’hui davantage encore qu’hier, de se tenir informés de la vie politique, comme de la vie sociale ou culturelle, en France, qu’ils habitent à Lille, à Cotonou, à Madrid ou à New York.

Alors, oui, ces Français peuvent légitimement bénéficier de meilleures conditions d’expression de leur citoyenneté.

Très brièvement, il me semble important de rappeler les principales étapes de la représentation des Français de l’étranger.

En 1948 est créé, auprès du ministre des affaires étrangères, le Conseil supérieur des Français de l’étranger, le CSFE. Ses membres sont, à l’époque, désignés par l’ambassadeur, sur proposition d’organismes ou d’associations françaises.

En 1958, avec l’avènement de la Ve République, le Sénat compte six sénateurs représentant les Français de l’étranger, désormais élus par le Sénat sur présentation de listes par le CSFE.

Il faut attendre 1982 et l’arrivée de la gauche au pouvoir pour que l’élection des délégués au CSFE au suffrage universel soit instaurée.

Dans la foulée, dès 1983, les sénateurs des Français de l’étranger, passés au nombre de douze, sont élus par les délégués au CSFE.

En 2004, le CSFE est remplacé par l’Assemblée des Français de l’étranger, l’AFE, dont la compétence demeure consultative mais dont le fonctionnement se rapproche des assemblées parlementaires : composée de cinq commissions, elle se réunit deux fois par an, en mars et en septembre, en formation plénière et son bureau se réunit en mai et en décembre, assurant la continuité de ses travaux.

La réforme de la Constitution de 2008 va compléter positivement ce tableau et l’élection, en juin 2012, des onze députés constitue bel et bien une étape essentielle dans la démocratisation de la représentation des Français de l’étranger.

Aujourd’hui, madame la ministre, nous examinons, conjointement au projet de loi portant prorogation du mandat des membres de l’Assemble des Français de l’étranger, un projet de loi qui s’inscrit dans la poursuite de l’amélioration de la représentation des Français de l’étranger. Nous ne pouvons que nous en féliciter !

Dans notre souci constant d’œuvrer pour que les Français de l’étranger soient avant tout des Français à part entière, nous désirons cette réforme depuis de longues années. Enfin, elle est là !

Notre réforme idéale, notre réforme rêvée, sans doute, avait le visage de la « collectivité d’outre-frontière ». Dès 2006, l’AFE a ainsi adopté à l’unanimité le rapport de la commission temporaire de la décentralisation appliquée aux Français établis hors de France, qui propose la création de la collectivité publique des Français établis hors de France, dénommée collectivité d’outre-frontière.

Les sénateurs des Français de l’étranger, de la majorité actuelle comme de l’opposition, ont pour leur part déposé plusieurs propositions de loi reprenant ce schéma, la dernière tentative relevant du rapporteur des deux textes que nous examinons aujourd’hui, Jean-Yves Leconte. Cette proposition tend à ériger un établissement public dénommé « établissement public pour les Français de l’étranger ». Ce n’est pas l’option qui a été retenue par le Gouvernement. Mme la ministre nous en a expliqué les raisons, et je n’y reviendrai pas.

Il s’agit aujourd’hui, compte tenu des impératifs constitutionnels et des paramètres financiers qui obligent toutes les réformes engagées par notre majorité, de s’interroger sur ce que l’on attend de cette réforme et, ce faisant, de tout mettre en place afin d’atteindre le but que l’on s’est fixé.

Le projet de loi que vous nous avez présenté il y a quelques semaines, madame la ministre, affiche la volonté de favoriser le développement de la démocratie de proximité. Nous ne pouvons que souscrire à un tel objectif.

La création des conseillers consulaires élus au suffrage universel direct dans le cadre des circonscriptions consulaires va effectivement permettre de renforcer le maillage local et de rapprocher les élus des Français. Je salue ici le travail de la commission des lois qui a défini, sur l’initiative du rapporteur, les domaines de compétences du conseil consulaire. De la même façon, était-il indispensable de prévoir l’élection d’un vice-président par les membres élus du conseil consulaire en leur sein ?

Nous ne devons cependant pas perdre de vue que ces conseillers consulaires ne seront élus que pour donner un avis sur les politiques publiques en faveur des Français de l’étranger.

L’apport démocratique est bien réel, mais il demeure limité. Et je crains que ce sentiment ne soit partagé par nombre de nos concitoyens.

Il importera donc de mettre tout en œuvre afin d’encourager la participation électorale à une élection que beaucoup auront, malheureusement, tendance à considérer avec un faible intérêt parce que porteuse d’un faible enjeu.

À cet égard, je profite de ce sujet pour évoquer deux dispositions qui me semblent essentielles afin de lutter contre l’abstention.

Tout d’abord, l’amendement, adopté en commission, qui permet la participation des associations représentatives, au niveau national, des Français de l’étranger à la campagne. Nous parlons, bien sûr, des deux associations qui structurent la représentation des Français à l’étranger, dont le rôle historique est reconnu en matière d’animation de la vie citoyenne. Ce n’est pas le lieu de regretter ou de saluer ici cet état de fait ; je me contenterai de le constater et d’inviter à prendre les dispositions qui s’imposent pour le déroulement le plus efficace de l’ensemble du processus électoral, depuis la recherche des candidats et la composition des listes jusqu’aux élections.

Ensuite, la possibilité de transmettre les circulaires électorales sur support papier aux personnes qui, si elles sont bien inscrites sur les listes électorales consulaires, n’ont pas nécessairement fourni d’adresse électronique apparaît comme une simple mesure de bon sens pour éviter toute discrimination. C’est l’objet de l’un des amendements que j’ai déposé avec plusieurs de mes collègues.

Parallèlement à la création des conseillers consulaires, la nouvelle architecture mise en place par la réforme conserve l’Assemblée des Français de l’étranger. Ses membres, élus parmi les conseillers consulaires, auront un rôle de réflexion sur les grands sujets transversaux intéressant les Français de l’étranger.

Je salue la volonté du Gouvernement d’accroître le « capital démocratique » de l’AFE, qui ne se composera plus que de membres élus et qui élit elle-même son président. Ses nouvelles compétences, notamment budgétaires, seulement consultatives, certes, sont également à noter.

Je me réjouis, par ailleurs, de l’amendement du rapporteur, adopté à l’unanimité par la commission, qui vise à organiser l’élection concomitante, sur un bulletin de vote unique, des conseillers consulaires et, parmi eux, des conseillers à l’AFE au suffrage universel direct. À cet égard, je salue l’attitude de notre ministre qui, sur cette question, comme sur celle du nombre des conseillers à l’AFE porté à 102, a fait preuve d’une écoute extrêmement constructive.

Il reste que l’enjeu de la réforme de la représentation des Français de l’étranger est bien de développer la démocratie de proximité. Sur ce point, nous sommes parfaitement en phase avec vous, madame la ministre. Mais une véritable démocratie de proximité peut-elle s’entendre avec des élus, certes plus nombreux, certes élus au suffrage universel, mais pourvus, au sein des conseils consulaires, comme de l’AFE, d’une simple compétence consultative, sans aucun pouvoir décisionnel ? La question mérite d’être posée.

Je souhaite évoquer un dernier point qui m’interroge tout particulièrement. Il s’agit de la date de la prochaine élection. L’élection sénatoriale ayant lieu en septembre, une élection des conseillers et délégués consulaires en juin laissera assurément peu de temps aux candidats pour faire connaissance avec leurs grands électeurs.

Je terminerai en rappelant que, outre la très positive extension du collège électoral des sénateurs, porteuse d’une meilleure représentativité, l’intérêt primordial de la réforme doit résider dans son utilité pour les Français de l’étranger. La question à se poser est donc bien celle de la valeur ajoutée attendue pour des politiques toujours plus justes et pertinentes en faveur des Français expatriés.

Même s’il est encore imparfait, ce projet de loi représente néanmoins, grâce au travail de la commission et de son rapporteur, une amélioration de la représentation des Français de l’étranger. Il nous appartient de le perfectionner encore à l’occasion de son examen en séance. Et je ne doute pas que notre assemblée l’adoptera ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. –  Mme Kalliopi Ango Ela applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.

M. Robert del Picchia. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ne vous inquiétez pas, je ne vais pas refaire ici l’historique de la représentation des Français de l’étranger !

Mme Claudine Lepage. C’est dommage !

M. Robert del Picchia. Non, car je la connais trop bien, pour l’avoir pratiquée depuis très longtemps, comme vous le savez ! Mais je vous conseille de lire le rapport de notre collègue et ami Jean-Yves Leconte ; vous y trouverez tous les détails, et vous avez déjà entendu pas mal de choses à ce sujet.

Pour ma part, je dirai tout simplement : Passons sur le passé ! Madame la ministre, passons sur le passé, mais qu’en est-il de l’avenir et qu’en est-il des questions qui se posent aujourd'hui ? Où veut-on en venir ? Pourquoi et comment ? Surtout, ces propositions correspondent-elles aux attentes des Français de l’étranger ? Et enfin, question tout aussi importante, cette transformation est-elle réalisable et peut-elle fonctionner correctement à l’avenir ? Car tout le problème n’est pas encore là, mais il sera là très bientôt.

Première question : où veut-on en venir ? L’objectif affiché, c’est la démocratie de proximité. Il s’agit, en clair, de faire voter localement pour des élus locaux – si j’ai bien compris, c’est la philosophie de la loi –, une meilleure représentativité passant par la proximité. Nous sommes bien d’accord ! Le consulat, c’est, en quelque sorte, la mairie, à laquelle les Français de la circonscription s’adressent. On va donc élire nos représentants à cette mairie. À une différence près, c’est qu’il n’y a pas de territoire et, donc, pas de maire élu. Reste le chef de poste. Très bien !

Comment obtenir cette proximité entre l’élu et l’électeur ? Le projet de loi prévoit de créer ces 130 conseils consulaires à travers le monde, des conseils dont les membres, appelés conseillers consulaires, seront élus au suffrage universel direct à la proportionnelle, sauf dans une vingtaine de cas dans lesquels la population est très faible, où il n’y aura qu’un seul conseiller consulaire.

Est-ce que cela convient aux Français de l’étranger ? J’ai envie de répondre : on verra à l’usage. Sur le principe, je pense que oui. En l’état actuel, ce sont les conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger qui font, autant que possible, ce travail de proximité en participant aux réunions des différents comités qui traitent des domaines que nous connaissons et qui concernent la communauté française. Or, on le sait, la circonscription des conseillers à l’AFE est souvent trop grande, avec trop de consulats à couvrir, parfois de grandes distances à parcourir et très peu de moyens financiers pour effectuer les déplacements. Donc, pourquoi pas cette démocratie de proximité ?

Est-ce réalisable ? On peut, à mon sens, le penser. Les élus à l’AFE ont souhaité, rappelez-vous, mes chers collègues, une collectivité d’outre-frontière. Il nous a été affirmé que ce n’était pas possible. Cette démocratie de proximité ne pourra, certes, pas la remplacer, mais pourra-t-elle être vraiment réalisée ? Je crois, là aussi, que oui, mais sous réserve que le projet de loi soit adapté de façon que cette démocratie de proximité soit reconnue comme telle par les Français sur le terrain et non pas seulement ici, dans cette assemblée.

Un nombre important d’amendements allant dans ce sens ont été déposés par mes collègues. J’en ai moi-même signé quelques-uns. Nous défendrons, bien sûr, nos points de vue, avec, comme ligne de conduite – vous me connaissez – l’intérêt général.

Il me paraît absolument nécessaire que l’électeur, je dis bien « l’électeur », ait clairement conscience, avant de confier son vote à un conseiller consulaire, qu’il aura devant lui une élection locale pour des élus locaux dont la préoccupation première sera de défendre ses intérêts face aux problèmes de sa circonscription.

Si cette élection était détournée vers d’autres buts politiques, voire électoralistes, je crois que ce serait le fiasco de cette ambition démocratique.

M. Robert del Picchia. Si nous n’arrivons pas à faire en sorte que cette élection locale soit vraiment une élection de proximité, si elle apparaissait uniquement comme un tremplin pour d’autres élections – élections à l’AFE, voire au Sénat –, je crois qu’on risquerait fort de détourner – pour ne pas dire dégoûter ! – les bonnes volontés dont l’engagement ne veut pas être obligatoirement politique.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. La politique n’est pas une maladie honteuse, monsieur del Picchia !

M. Robert del Picchia. Effectivement ! Mais on peut avoir une politique de proximité, c’est à elle que je pense, monsieur le président !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Même dans les communes, il y a de la politique ! C’est inexpugnable !