M. Gérard Longuet. Un dernier argument montre que ne pouvez pas échapper au débat populaire sur ce qui constitue un bien commun à tous les Français.

Selon une étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE, 32 millions de Français vivent en couple ; 73 % d’entre eux sont mariés, quelque 20 % ont opté pour l’union libre et les autres ont choisi le PACS.

Dans un pays où le mariage n’est nullement obligatoire, il n’y a plus de pression morale ; ceux qui s’autocensurent n’y sont pas contraints par la loi. Il n’y a plus de pression sociale. Il n’y a plus de pression juridique : ce sont les mêmes enfants ! Je me souviens d’ailleurs avoir été collé à un examen de droit sur la question « Quels enfants peut-on légitimer ? » (Sourires.) Aujourd'hui, les règles ont changé et la situation est plus ouverte. Et il n’y a plus de pression patrimoniale, même s’il reste sans doute des imperfections juridiques ; c’est d’ailleurs pourquoi nous avons proposé le contrat d’union civile.

Aujourd'hui, il n’y a pas d’autre raison de se marier que le fait de le vouloir ! C’est un acte de foi, par lequel on décide de construire quelque chose en commun avec son conjoint et de transmettre la vie. Et c’est avec une personne à laquelle vous devrez rendre des comptes tout au long de votre vie, même en cas de divorce, car elle restera le père ou la mère de vos enfants !

Ce patrimoine, qui évolue et qui résulte d’une volonté, mérite le respect. Donnons la parole au peuple français ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – Plusieurs sénateurs de l'UMP se lèvent pour saluer l’orateur.)

M. Jean-Claude Lenoir. C’est remarquable !

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, notre rapporteur Jean-Pierre Michel a posé la bonne question : à quoi sert cette motion ?

M. Charles Revet. On vient de vous le dire !

M. Alain Anziani. Vous savez comme moi qu’elle a perdu son objet. En effet, l’Assemblée nationale a rejeté une motion similaire. Or, en l’absence d’accord des deux assemblées, il n’y aura pas de référendum.

M. François Rebsamen. Très bon argument !

M. Alain Anziani. Par conséquent, l’organisation d’un référendum n’est pas le véritable objet de cette motion.

Pour ma part, j’ai écouté avec beaucoup de respect ce que vous avez dit hier et ce matin, tout comme j’écoute les arguments que vous avancez depuis des années, chers collègues de l’opposition.

J’ai particulièrement apprécié les propos de notre collègue le doyen Patrice Gélard, pour lequel j’ai beaucoup d’estime. Il a rappelé avec humour une vérité qui nous convient : la gauche a toujours été contre le mariage, dans la filiation de Diderot et des grands encyclopédistes. Je vous remercie, mon cher collègue : nous sommes effectivement fiers d’un tel héritage !

M. Alain Anziani. Ce camp, c’est celui du progrès ! (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.) Ce camp, c’est celui des Lumières ! Ce camp, c’est celui qui choisit de donner corps aux évolutions de la société !

Et vous, dans quel camp êtes-vous ?

M. Christian Cambon. Ce n’est pas un camp, c’est la France !

M. Alain Anziani. Si vous ne vous référez pas aux Lumières, à qui vous référez-vous ?

M. François Rebsamen. À l’Église !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Au concile de Latran !

M. Alain Anziani. Aux mouvements conservateurs ? À l’immobilisme ? À ceux qui toujours refusent les évolutions de la société ? Je ne vous ferai pas ce procès, mais votre interpellation d’hier m’incite évidemment à m’interroger.

Ce matin, j’ai écouté avec attention notre collègue Bruno Retailleau, qui a posé une très belle, une très forte, une très puissante question.

M. Alain Anziani. Il a demandé : qu’est-ce que la République ? Pour lui, la République ne doit pas être la « République des désirs ». Nous sommes d'accord ! Car, contrairement à ce qu’il a semblé sous-entendre, nous n’avons jamais été pour la République des désirs. Nous sommes pour la République…

M. François Rebsamen. De l’égalité et de l’humanisme !

M. Alain Anziani. … qui reconnaît la réalité.

Nous n’avons pas inventé l’amour entre deux personnes du même sexe ; cet amour existe, et les personnes concernées souffrent de leur clandestinité. Nous n’avons pas inventé les enfants des familles homoparentales ; ces enfants existent, et ils souffrent de leur exclusion.

Pour nous, la République, c’est faire des lois qui reconnaissent des situations de fait. C’est refuser l’hypocrisie du : « Cachez cette réalité que je ne saurais voir ! » Les couples homosexuels, les familles monoparentales, cela existe !

Aimer la République, c’est d’abord respecter ses institutions, donc la Constitution.

Or, aux termes de l’article 11 de la Constitution, le Président de la République peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur « l’organisation des pouvoirs publics » et, depuis les réformes de 1995 et 2008, sur « des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation ».

Le cœur du débat réside dans l’interprétation d’une telle formulation. Nous pourrions faire appel à des juristes, consulter d’innombrables manuels ou traités de droit constitutionnel et interroger le Conseil constitutionnel, qui sera d’ailleurs amené à se prononcer ; au demeurant, comme l’a rappelé Jean-Michel Baylet tout à l’heure, la jurisprudence des Sages va plutôt dans notre sens que dans le vôtre, chers collègues de l’opposition.

Je vais vous soumettre une interprétation qui devrait vous convaincre, puisque c’est la vôtre, celle que vous avez défendue lors de la réforme constitutionnelle de 1995.

Tout à l’heure, M. Longuet nous a rappelé qu’il avait toujours été…

M. Gérard Longuet. Réservé !

M. Alain Anziani. … réservé sur le référendum ; nous en sommes persuadés.

Reprenons les travaux parlementaires de 1995. À l’époque, l’un des meilleurs d’entre vous, M. Jacques Toubon, garde des sceaux, donnait son interprétation de la réforme constitutionnelle. Je vous renvoie au compte rendu de son audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale.

Selon M. Toubon, en limitant l’extension du champ référendaire aux matières économiques et sociales, le gouvernement d’alors – c’était votre gouvernement ! – a choisi d’exclure ce qu’il est convenu d’appeler les « questions de société ».

Afin d’éviter toute ambiguïté entre questions sociales et questions de société, il ajoutait qu’« il ne saurait être question, et il faut que cela soit bien clair pour nous tous, d’organiser des référendums sur des sujets tels que la peine de mort ou le droit à l’avortement », sur lesquels certains voulaient alors revenir.

Nous le voyons bien, la question dont nous débattons aujourd'hui est bien plus proche de tels sujets que du champ d’application de l’article 11 de la Constitution, c'est-à-dire les réformes relatives à la politique économique et sociale. La politique économique et sociale, ce ne sont pas les questions de société !

M. Toubon concluait, d’une manière peut-être un peu brutale, que le référendum n’était pas et ne devait pas être « un instrument de démagogie ».

Mme Cécile Cukierman. Eh oui ! C’est lui qui l’a dit.

M. Alain Anziani. Je vous invite à relire et à méditer cette formule, mes chers collègues !

M. Jean-Michel Baylet. Très belle formule.

M. Alain Anziani. Peut-être ces débats vous semblent-ils quelque peu éloignés de notre sujet.

Dans ce cas, je vous propose de vous reporter aux propos plus récents d’un autre « meilleur d’entre vous », M. Brice Hortefeux, grand constitutionnaliste comme chacun sait. (Sourires sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Au mois de janvier 2010, M. Hortefeux nous expliquait pourquoi le Sénat devait rejeter la motion référendaire qui avait été déposée sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales ; d’ailleurs, nombre d’entre vous applaudissaient à ce moment-là, chers collègues de l’opposition.

M. Alain Anziani. M. Brice Hortefeux déclarait : « Je crois profondément que le débat parlementaire constitue la garantie d’un examen exhaustif, par la sérénité qu’il apporte, autant que par l’expertise qu’il comporte. » Nous faisons ce matin la démonstration de cette sérénité.

Il ajoutait cette interrogation de bon sens : « Comment expliquer à nos concitoyens que les parlementaires qu’ils ont élus au suffrage universel renonceraient, en quelque sorte, à leur devoir de législateur ? »

Et il assénait un dernier coup avec sa brutalité, que je qualifierais de coutumière, en employant une formule cruelle, une formule terrible, mais qui est votre formule : « Cette motion, ou devrais-je dire cette forme de démission, qui peut l’entendre ? »

Il concluait en opposant le référendum, qui n’offre qu’une « réponse binaire », à savoir oui ou non, à une question fermée – il avait raison –, à la procédure parlementaire, qui a « l’immense avantage d’autoriser une discussion ouverte » ; nous le voyons depuis quelques heures, et nous le savons depuis que nous siégeons au Parlement. Il rappelait notamment que la procédure parlementaire permettait l’échange d’arguments et le dépôt d’amendements. Vous en avez d’ailleurs déposé beaucoup, et c’est positif pour la démocratie.

Voilà ! Ce sont vos propos ! Certes, nul n’est obligé d’être en accord avec Brice Hortefeux. Nous-mêmes ne le sommes que très rarement.

Mme Bariza Khiari. Heureusement !

M. Alain Anziani. Toutefois, nul n’est obligé non plus de se contredire. Nous, nous sommes fidèles à nous-mêmes, me semble-t-il.

Comme l’ont rappelé hier Nicole Bonnefoy et Michelle Meunier, et je ne comprends pas que l’on puisse balayer un tel argument d’un revers de main, un candidat qui s’appelait François Hollande avait pris un engagement n° 31 ; celui-ci a été soumis à une consultation populaire. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cet engagement n’allait pas jusqu’à l’adoption !

M. Alain Anziani. Selon vous, l’élection présidentielle n’est pas une consultation populaire ? Bravo !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Les propositions du candidat François Hollande n’allaient pas aussi loin que ce texte !

M. Alain Anziani. L’engagement n° 31 a été soumis à consultation populaire. (Nouvelles protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Gérard Longuet. Qui a voté pour cela ?

M. Christian Cambon. Il avait aussi pris l’engagement de réduire le chômage…

M. Alain Anziani. Et 32 millions de personnes se sont exprimées lors de l’élection présidentielle ; ce n’est tout de même pas rien ! (Brouhaha.)

Chers collègues de l’opposition, si vous considérez que le débat n’a pas vraiment eu lieu pendant la campagne présidentielle, assumez-en la responsabilité ! Vous connaissiez une telle proposition ; vous auriez dû engager la discussion avec vos mandants sur cette question, au lieu d’essayer d’obtenir une session de rattrapage aujourd'hui ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Protestations sur les travées de l'UMP.)

Au fond, et M. le rapporteur Jean-Pierre Michel l’a souligné tout à l’heure, vous auriez eu plus de chances de succès aujourd'hui si vous aviez fait preuve de plus d’audace en 1995, lors de la révision constitutionnelle. Il ne tenait qu’à vous d’élargir le champ d’application du référendum à l’ensemble des questions dont nous débattons aujourd'hui. Or vous ne l’avez pas souhaité.

Par ailleurs, votre motion aurait sans doute juridiquement beaucoup plus de force aujourd'hui si elle se fondait sur le référendum d’initiative populaire.

Toutefois, là encore, nous sommes désespérés, à gauche, comme le sont aussi d'ailleurs certains dans vos rangs, de la lenteur avec laquelle vous avez mis en œuvre la réforme constitutionnelle sur la notion d’initiative populaire. Il a fallu attendre quatre ans et ce n’est qu’en février dernier que le projet de loi organique a pu être voté ici.

M. Bruno Sido. Tout vient à point…

M. Alain Anziani. Il ne l’est pas encore définitivement et ne peut donc s’appliquer. Pourtant, c’est sur ce terrain-là que vous auriez pu aller. Si vous ne l’avez pas fait, mes chers collègues, c’est parce que, comme l’ont d'ailleurs rappelé plusieurs des orateurs qui m’ont précédé, vous aviez peur ! (M. Patrice Gélard s’exclame.)

M. Alain Anziani. Vous aviez peur du référendum d’initiative populaire parce qu’à l’époque se posait effectivement la question de l’avenir de La Poste.

Mme Cécile Cukierman. Une question économique et sociale à la fois !

M. Alain Anziani. Je ferai observer – je ne sais pas si 720 000 personnes sont derrière vous pour soutenir la demande que vous formulez aujourd'hui – que deux millions de personnes s’étaient prononcées lors d’une votation citoyenne en faveur d’un référendum d’initiative populaire sur La Poste.

M. Alain Anziani. Mais, là, vous nous avez dit : « Il n’y a rien à voir, circulez ! Le référendum n’est certainement pas d’actualité ».

Je sais qu’il est toujours difficile d’avoir du courage, d’être en conformité avec ses convictions, d’être cohérent avec soi-même, mais je pense que vous devriez expliquer à toutes celles et à tous ceux qui, de bonne foi, demandent un référendum que si, aujourd’hui, ils ne peuvent pas l’obtenir, c’est parce que votre majorité n’a pas pris, en son temps, les dispositions nécessaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Charles Revet. C’est scandaleux !

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention se situera sur le seul terrain juridique.

Je ne reviendrai pas sur le passé, comme l’a fait à l’instant mon ami Alain Anziani, qui nous a demandé quelles positions nous avions défendues il y a dix ans. Je n’étais pas sénateur il y a dix ans, et je me moque éperdument de ce que la droite pouvait alors défendre. Je ne vais pas vous demander, chers collègues de la majorité, pourquoi vous ne défendez plus le point de vue de Thorez ou de Jaurès sur le mariage !

Mme Cécile Cukierman. Parce que nous ne sommes pas réactionnaires, nous évoluons !

M. Jean-Claude Gaudin. Les autres aussi !

M. Hugues Portelli. Nous sommes ici et maintenant, en 2013, donc nous parlons des problèmes d’aujourd'hui.

Cette motion a un seul but : demander au Président de la République de prendre ses responsabilités en organisant un référendum sur ce projet de loi. (Très bien sur plusieurs travées de l'UMP.) Techniquement, politiquement, il ne s’agit que de cela !

Que prévoit en effet le règlement du Sénat, comme celui de l’Assemblée nationale ? Que les deux assemblées peuvent demander qu’un projet de loi soit soumis à référendum et qu’il revient donc au Président de la République, en vertu de ses pouvoirs, d’organiser ce référendum. Il a le pouvoir de le faire.

M. Gérard César. Il en a le devoir !

M. Hugues Portelli. Il a même le pouvoir de nous dire qu’il refuse de le faire. Mais ce que nous lui demandons, c’est de se prononcer, sur un vote parlementaire.

J’ai bien entendu les arguments qui ont été avancés pour nier que ce sujet puisse relever de l’article 11 de la Constitution. Je répondrai deux arguments à cela.

Je sais bien que l’on est ici dans le temple du « notabilisme » parlementaire et local (Mme Esther Benbassa s’exclame.) et qu’il est un peu difficile d’y défendre la démocratie directe.

Toutefois, ayant été élève de René Capitan, je n’oublierai jamais que c’est lui qui m’a appris quel était l’intérêt du référendum. Il me disait à l’époque que, lors du référendum de 1962, le général de Gaulle, à qui avait été opposé l’article 89 de la Constitution, avait répondu que la possibilité de se prononcer sur des questions essentielles pour son destin était un pouvoir fondamental du peuple français. Et le destin du peuple, ce n’est pas uniquement sa constitution, c’est aussi la société qu’il constitue et dans laquelle il vit. C’est une première réponse.

La seconde réponse, c’est le fameux article 11. Honnêtement, j’avais des doutes puisque, à moi aussi, on a servi les discours de Jacques Toubon. Néanmoins, je n’en ai plus depuis quelques jours, après avoir écouté attentivement les débats au sein de la commission des lois à laquelle j’appartiens. Deux éléments, en particulier, ont retenu mon attention.

Tout d’abord, lors des auditions, l’avis de toute une série d’instances a été sollicité. Nous avons notamment consulté, comme l’a fait le Gouvernement, la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, dont l’avis était négatif en raison de la position de la CGT, qui a emporté la majorité. Or, que je sache, la CNAF est un organisme social, ce n’est pas un organisme sociétal ou politique. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. David Assouline. La commission a auditionné des politiques !

Mme Cécile Cukierman. Les syndicats sont libres de leur vote, tout comme les politiques !

M. Hugues Portelli. Laissez-moi poursuivre, s’il vous plaît !

Par ailleurs, j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les interventions de Mme Benbassa en commission des lois, même si je ne suis pas toujours d’accord avec elle. Un point m’a fait dresser l’oreille. Mme Benbassa nous a expliqué que, aujourd’hui, on passait de la notion de parent biologique à celle de parent social. On est donc dans le social, comme Mme Benbassa nous l’a expliqué ! Elle n’a pas dit qu’il y avait des parents sociétaux, elle a dit qu’il y avait des parents sociaux. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Vous jouez sur les mots, c’est n’importe quoi !

M. Hugues Portelli. Eh bien, s’il y a des parents sociaux, il y a des référendums sur les questions sociales ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Je formulerai une dernière remarque.

En 1984, lors des tentatives pour nationaliser l’enseignement libre, François Mitterrand s’est retrouvé dans une impasse, face à des millions de personnes descendues dans la rue pour manifester. Qu’a-t-il fait ? Tout d’abord, il a retiré le texte. Je signale au passage que, constitutionnellement, il était assez drôle d’apprendre par la télévision un 14 juillet que le Président de la République – et non le Parlement – décidait de retirer un texte qui était débattu à l’Assemblée nationale.

M. David Assouline. Et qu’avez-vous fait avec le CPE, le contrat première embauche ! C’était encore plus drôle !

M. Hugues Portelli. Immédiatement après, et c’est intéressant, il a proposé d’organiser un référendum.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Un référendum sur le référendum !

M. Hugues Portelli. Malheureusement, il n’y en a pas eu.

Le Président de la République avait proposé une modification de la Constitution, afin d’élargir le domaine de l’article 11 aux projets de lois concernant les garanties fondamentales des libertés publiques, notamment la liberté de l’enseignement. Ce projet a été bloqué ici même, ce qui est dommage.

M. David Assouline. Par la droite !

M. Hugues Portelli. En tout cas, l’intention du Président de la République était d’organiser un référendum.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Sur le référendum !

M. Hugues Portelli. Or que faisons-nous aujourd'hui ? Nous ne faisons que marcher dans les pas de François Mitterrand. (Rires et exclamations sur diverses travées.)

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Bravo !

M. Bruno Sido. Pas trop quand même !

M. Hugues Portelli. Nous ne faisons que reconnaître la légitimité du Président de la République. Nous lui demandons de se prononcer sur un vote parlementaire. Et si le Président de la République n’en veut pas, ce sera son droit souverain, car, en matière de référendum, le seul interprète de l’article 11, c’est lui ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas.

M. Philippe Bas. Tout d’abord, je me permettrai de saluer avec une sympathie particulière Mme la ministre déléguée aux affaires sociales,…

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Chargée de la famille !

M. Philippe Bas. … qui est à vos côtés, madame la garde des sceaux, pour présenter un projet de loi dont certains de nos collègues nous disent qu’il n’a trait en rien aux politiques sociales. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.) Je vous remercie donc, madame la ministre !

M. Jean-Claude Gaudin. Surtout, ne partez pas, madame la ministre !

M. Christian Cambon. Bien ajusté !

M. Philippe Bas. Monsieur le président, mes chers collègues, après avoir écouté très attentivement chacun des orateurs qui se sont succédé à cette tribune, ma conviction n’en est que renforcée : oui, le peuple français doit se prononcer. C’est la sagesse.

Il doit se prononcer parce que cette réforme change le mariage de chacun autant et même plus qu’elle n’ouvre le mariage pour tous. Elle change la conception légale de la filiation et la notion juridique de la parenté. Elle nous engage tous, dans notre vie familiale. Elle propose un modèle juridique pour traiter de situations différentes. Ce faisant, elle dénature le principe d’égalité au lieu de le défendre. Elle laisse croire qu’un enfant peut avoir deux pères ou deux mères. Elle reconnaît ainsi une parenté d’intention, à l’égal de toute parenté, maternelle ou paternelle.

Cette construction du cœur et de l’esprit ne correspond à aucune réalité anthropologique. Elle méconnaît l’importance essentielle de la filiation biologique et nie le caractère fondateur de l’altérité sexuelle à l’origine de toute vie. Elle entre en matière de filiation dans une fiction juridique, pour reprendre l’expression employée par notre collègue Alain Milon. Elle substitue le volontarisme de la loi à la réalité des familles, sous toutes leurs formes.

Dans cette réforme, tout semble avoir été décidé avant d’avoir été étudié.

M. Charles Revet. Exactement !

M. Philippe Bas. Vous n’avez envisagé aucune solution de substitution créant un cadre stable pour organiser la vie des couples de même sexe en ne permettant pas d’être parent sans être ni père ni mère. Et vous instruisez un procès en conservatisme contre vos opposants, comme si vous seuls étiez à l’écoute des besoins de notre époque, en harmonie avec l’évolution des mœurs.

Pourtant, comme l’a excellemment souligné hier M. Baylet, la part de chacun doit être reconnue dans toutes les lois qui ont fait grandir les droits des Français.

M. François Calvet. Très bien !

M. Philippe Bas. Nous revendiquons autant que vous progrès et humanisme, et c’est précisément au nom de ces valeurs que nous combattons votre réforme. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

Plusieurs orateurs de la majorité ont réduit l’opposition à votre réforme, madame la garde des sceaux, madame la ministre déléguée aux affaires sociales,…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Non, chargée de la famille !

M. Philippe Bas. … à celle de l’église catholique, comme si un tel argument valait disqualification. Les représentants des autres religions chrétiennes, comme de nombreux religieux juifs et musulmans, se sont pourtant prononcés dans le même sens.

Toutes ces grandes voix, qui s’expriment au nom de l’idée qu’elles se font du bien de l’homme (Mme Esther Benbassa s’exclame.), ont le droit légitime d’éclairer la réflexion des Français sur des questions dont nos débats montrent à quel point elles sont complexes et controversées.

Enfin, il est désolant de voir le débat si souvent rétréci par ceux qui n’entrevoient décidément aucun autre ressort possible que l’homophobie pour expliquer toute opposition à l’égard de ce projet. Ce n’est pas seulement stupide ; c’est aussi insultant. Quelle condescendance pour tous les Français qui ne veulent que débattre démocratiquement et rechercher des solutions d’intérêt général, en ayant à l’esprit l’intérêt supérieur de l’enfant à naître !

Faites confiance à nos compatriotes ! Les Français dans leur ensemble, ainsi que M. Anziani l’a d'ailleurs rappelé tout à l'heure, ne sont pas homophobes, pas plus qu’ils ne sont racistes, antisémites ou islamophobes.

Mme Cécile Cukierman. Cela leur arrive tout de même !

M. Philippe Bas. Il est vain, il est affligeant de vouloir les diviser sur ce point en exerçant une sorte de police du vocabulaire et de la pensée qui prétend s’opposer à l’expression des désaccords en répandant le soupçon sur ceux qui les expriment.

M. Jean-Pierre Caffet. C’est vous qui le dites.

M. Philippe Bas. Je suis au regret de le dire, c’est une méthode sectaire : elle vise à atteindre le contradicteur plutôt qu’à répondre à la contraction. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean Bizet. C’est vrai !

M. Philippe Bas. Il ne faut pas se tromper de débat : la question posée au travers de cette réforme n’est nullement celle de l’homosexualité et de sa reconnaissance par la société.

M. Christian Cambon. Bien sûr !

M. Philippe Bas. C’est celle des fondements d’une nouvelle forme de parenté, exercée ensemble par deux personnes de même sexe liées par leur amour.

La difficulté que nous rencontrons, c’est ce constat que les enfants auxquels la réforme prétend donner deux parents de même sexe resteront orphelins de père ou de mère.

La loi ne doit pas, elle ne peut pas reposer sur l’idée qu’il ne leur manquerait rien. Quelles que soient les qualités éducatives du foyer dans lequel ces enfants grandiront, quel que soit l’amour qu’ils recevront, nul ne peut ignorer cette incomplétude. Ce n’est pas dans le déni que nous pouvons construire un cadre harmonieux pour le développement de l’enfant élevé au foyer de deux personnes de même sexe.

Il faut un référendum : vous qui vous réclamez si souvent des sondages quand ils vous arrangent – ce qui devient assez rare, il est vrai ! – (Rires sur les travées de l’UMP.),…

M. François Rebsamen. Vous en avez aussi beaucoup usé en votre temps ! (Sourires.)

M. Philippe Bas. … vous qui vous prévalez du vote des Français à l’élection présidentielle, vous ne devriez pas craindre le verdict du suffrage universel ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC. – Mme Esther Benbassa proteste.)

Quand 700 000 Français signent une pétition contre votre réforme, quand tant de familles se mobilisent par centaines de milliers, pour dire non à cette réforme avec sincérité, avec conviction, avec détermination, avec calme, quand la société française se divise à ce point, tous les signaux sont allumés pour vous alerter sur la nécessité de ne pas passer en force et de respecter tous les Français qui s’expriment, au lieu de les caricaturer.

En réalité, vous le savez bien, depuis trente ans aucune réforme n’a suscité une telle opposition populaire, une telle division entre Français, au moment où il serait si nécessaire de nous rassembler pour surmonter nos difficultés économiques et sociales et la crise morale dans laquelle notre pays et notre démocratie sont, hélas, plongés.

Vous vous livrez à une interprétation de circonstance de l’article 11 de la Constitution.