Mme Cécile Cukierman. Ils feront comme tout couple qui désire un enfant !

Mme Marie-Thérèse Bruguière. … ils le font pour satisfaire leur désir d’enfant, en contournant leur impossibilité à l’engendrer.

Mme Cécile Cukierman. C'est insupportable !

Mme Marie-Thérèse Bruguière. En cherchant à mettre de l’égalité entre les unions de même sexe et les couples homme-femme,…

Mme Cécile Cukierman. C'est le désir d’enfant qui compte !

Mme Marie-Thérèse Bruguière. Madame Cukierman, c'est moi qui ai la parole, et pas vous !

Je disais donc qu’en cherchant à mettre de l’égalité entre les unions de même sexe et les couples homme-femme, on crée une inégalité entre les enfants : ceux qui auront droit à un père et une mère et les autres.

Bien plus que l’instauration d’une filiation sociale, c’est partant de l’idéologie du genre, bouleverser ce qui fonde notre civilisation.

C’est encore la porte ouverte aux gestations artificielles, aux transferts d’embryons, dans le cas d’unions de lesbiennes, et le recours à la gestation pour autrui par des mères porteuses, dans celui d’unions de deux hommes.

Quant à l’allégation d’inégalité de droits entre hétérosexuels et homosexuels, elle n’est pas recevable, car ils ont les mêmes droits.

En revanche, il ne peut y avoir d’égalité entre les couples mariés et les unions homosexuelles puisque ces dernières sont fondées sur l’absence d’altérité sexuelle et, par voie de conséquence, sur l’impossible conception d’enfants. Des situations, des réalités différentes, sans qu’il y ait pour autant discrimination, appellent des droits différents.

L’égalité de droits respecte les différences. En France, nous sommes égaux au-delà de nos différences de peau, de religion, de sexe et de naissance…

L’égalité suppose invariablement que l'on traite également les situations égales et inégalement les situations inégales. L’égalité, qui est une valeur démocratique, ne peut, en effet, se confondre avec l'égalitarisme qui est le propre de régimes autoritaires, faisant disparaître les différences pour imposer une même norme à tous.

Or le projet de loi, sous couvert de termes, improprement utilisés et sans doute volontairement choisis, de « mariage » et de « couples » d'homosexuels, veut autoritairement et officiellement éliminer ces différences.

L'article 1er répond aux revendications communautaristes d'un groupe militant, la LGTB, lesbiennes, gays, trans et bi, et l’APGL, Association des parents gays et lesbiens, qui n’est pas représentatif des homosexuels, ceux-ci étant majoritairement opposés à ce texte.

En fait, le projet de loi nous conduit à légiférer pour la minorité d'une minorité. Or notre loi fondamentale refuse d’institutionnaliser les particularismes sous peine de morceler l'unité de notre nation et la cohésion de notre société. Nous assistons là, comme disait Jean Carbonnier, à la « pulvérisation du droit objectif en droits subjectifs ».

Le mariage est une institution. La dualité sexuelle sur laquelle il se fonde, consacrée par les lois de notre République depuis 1792, constitue sans doute le principe le plus fondamental de notre droit civil.

Ne tenant plus compte de la dualité sexuelle du couple, de sa capacité à procréer, de la filiation biologique, de la présomption de paternité inhérente à l'institution du mariage, l'article 1er du texte, s'il est adopté, dénaturera l'essence même du mariage, qui n'en aura plus que le nom.

Le mariage est « le plus haut degré de protection juridique que peuvent se vouer librement deux personnes qui s'aiment », nous indique notre rapporteur. Or le mariage n'est pas un contrat qui consacre l'amour. Notre droit ne prend pas en compte les sentiments des individus, qui appartiennent à la sphère privée.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. Je conclus, monsieur le président, mais j’observe que d’autres orateurs ont dépassé leur temps de parole d’une minute à une minute et demie… Par conséquent je ne me sens pas en infraction pour quelques secondes ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Marie-Thérèse Bruguière. C’est l’égalité ! (Sourires sur les travées de l'UMP.) Parce qu’avec cet article 1er, le projet de loi altérera une composante fondamentale de notre cohésion sociale et de notre ordre constitutionnel, nous en demandons la suppression.

Bruno Gilles et moi-même voterons contre cet article. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Ambroise Dupont, sur l’article.

M. Ambroise Dupont. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais reprendre le thème de la déclaration des droits de l’enfant qu’a évoqué brillamment, mais très rapidement, notre collègue Bruno Retailleau. Adoptée par l'assemblée générale de l'ONU le 20 novembre 1959, elle proclame notamment que l'intérêt supérieur de l'enfant doit être la considération déterminante de la construction de la famille.

Selon le principe n° 6 de cette déclaration, « l'enfant en bas âge ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, être séparé de sa mère ». En d'autres termes, si l'on permet qu'un enfant ait deux pères, on contrevient au principe n° 6 de la déclaration des droits de l'enfant de novembre 1959.

Toujours sur le plan juridique, j'ajoute que la Cour européenne des droits de l'homme, dans son arrêt Fretté contre France – relatif au rejet d'une demande d'agrément préalable à l'adoption d'un enfant par une personne homosexuelle –, a estimé que les autorités nationales avaient légitimement et raisonnablement pu considérer que le droit d'adopter trouve sa limite dans l'intérêt de l'enfant, nonobstant les aspirations légitimes du requérant, sans que soient remis en cause ses choix et sans violation des articles 14 et 18 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, c'est-à-dire des dispositions relatives à la discrimination.

Ces éléments juridiques complètent les arguments qui vous sont fournis, mes chers collègues. La convention internationale des droits de l'enfant de 1989, notamment son article 3, nous conduit à poser la question suivante : ce projet de loi ne viole-t-il pas le droit international ?

Vous le savez, la Constitution assure la supériorité du droit international sur la loi ; cela a été rappelé tout à l’heure, lors des échanges avec Mme la garde des sceaux. Par conséquent, tout citoyen pourra attaquer cette loi au motif qu'elle ne respecte pas le droit international. La seule possibilité pour y échapper serait de modifier la Constitution, mais, pour cela, il faudrait naturellement un référendum.

De même, la connaissance des origines ressortit aux droits et à la dignité de la personne humaine. C’est pourquoi nous proposons que les enfants qui naîtront aient le droit, à l'âge de trente ans, de savoir d'où ils viennent, non seulement parce qu'ils auront besoin de se construire en tant qu'individus responsables, mais aussi, et surtout, en raison d’éventuels problèmes génétiques. Voilà qui touche au cœur de l'ensemble de nos discussions.

Ainsi, on peut regretter que vous ne répondiez pas aux questions que nous avons posées, en partant du principe que l'enfant est un sujet de droit, avec tout ce que cela implique.

Malheureusement, nous sentons que, avec ce texte, l'enfant peut devenir un objet de droit avant d'être un sujet de droit. Or il est une personne humaine. Il est protégé par le principe de dignité de la personne humaine, selon lequel un enfant doit pouvoir être élevé par son père et sa mère.

D'ailleurs, comme le relevait le psychanalyste Jean-Pierre Winter, votre projet crée « une mutation anthropologique majeure ». D’après lui, « on généralise l'exceptionnel, on coupe sciemment et légalement un enfant de ses origines ».

Par ailleurs, « l’enfant se pose en permanence des questions sans réponse, ce qui lui crée de graves difficultés lorsqu'il veut fonder sa propre famille ». Jean-Pierre Winter explique encore : « Tous les "bricolages généalogiques" sont sources de perturbation et l'enfant devra démêler une question difficile : celle d'être le produit du désir de deux personnes qui ne peuvent pas engendrer. Dans cette situation, comment arrivera-t-il à définir qui il est? ». Enfin, d’après lui, « l'homoparenté est un déni de la nature, un déni du réel qui inscrit l'enfant dans une illusion biographique ».

Pourquoi tant de questions, aux conséquences bioéthiques fondamentales, sont-elles ignorées ? Ces enjeux auraient nécessité un grand débat. C'est d'ailleurs ce que préconisait l'Académie des sciences morales et politiques dans son avis en date du 21 janvier 2013.

Par ailleurs, j'ai conscience que nos concitoyens sont préoccupés par d'autres problèmes, relatifs au chômage grandissant, à la crise qui touche leur pouvoir d'achat, à la fragilisation de notre modèle social, entre autres. Je considère donc que vous ne les écoutez pas.

Certes, il est difficile de revenir sur une telle réforme sociétale, car ses conséquences ne se feront pas sentir avant plusieurs décennies. Vous évoquez notre appréciation du PACS par rapport au moment où il a été voté. Certes, cette appréciation a changé, mais il s’agissait, me semble-t-il, d’un dispositif d’une nature différente, dans lequel il n’est pas question de filiation.

Dans l’histoire de l’humanité, des moments semblables à celui que nous connaissons aujourd'hui se sont déjà produits, et je pense, malgré tout, que nous reviendrons à des usages plus conformes à la nature des choses.

Il n'est pas question, ici, d'évaluer ce qui est bien ou mal, ce qui est moral ou ce qui ne l'est pas, ce qui est normal ou ce qui ne l'est pas. Il s'agit de prendre de la hauteur et de constater que, un jour ou l'autre, l'œuvre humaine est rattrapée par la nature.

Or malgré toute notre bonne volonté, malgré notre désir d’égalité – qui ne supprime pas les différences –, malgré la conscience mélancolique dans laquelle la réalité plonge certains, il est des privilèges et des responsabilités que nous ne pourrons pas abolir, parmi lesquels figure celui de donner la vie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller, sur l’article.

Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes conduits à débattre d’un sujet de société dont l’incidence sur la vie de nos concitoyens est forte et durable.

Chacun d’entre nous a bien sûr le devoir de se prononcer selon sa conscience et son vécu. À cet égard, je veux le souligner, le groupe politique auquel j’appartiens permet à ses membres d’exprimer leur opinion et leurs convictions sur le sujet ; puisse son président, Jean-Claude Gaudin, en être remercié.

Comme pour chacun d’entre nous, mes chers collègues, c’est la pratique du terrain, la richesse des rencontres, la participation à des débats, mais aussi la souffrance qui nous est exprimée lors de certains échanges qui nous conduisent à faire nos choix. C’est mon expérience de parlementaire et d’élue de terrain qui a forgé, au plus profond de moi-même, ma conviction : il est temps, pour la République, de donner aux personnes homosexuelles la même reconnaissance, les mêmes droits et la même sécurité juridique qu’aux personnes hétérosexuelles.

Je comprends l’attachement au mot « mariage » de ceux de nos concitoyens qui sont opposés au projet de loi du Gouvernement. Toutefois, j’entends également la revendication légitime d’égalité des couples homosexuels, qui s’adresse à l’ensemble des institutions de la République.

Même si notre société a beaucoup évolué, pour nombre d’homosexuels, le chemin de l’adolescence, de la construction d’une vie d’adulte et de l’acceptation personnelle, familiale et sociétale demeure parsemé de difficultés profondes.

Par ailleurs, je suis profondément attachée à la famille et à son rôle structurant dans la société. Premier cercle de l’éducation, de la construction de l’individu et des solidarités, elle est un repère fondateur. Permettre à des personnes homosexuelles de s’unir, de se marier, de fonder une famille, c’est promouvoir et consolider la structure familiale dans une société qui prône trop l’individualisme et le chacun pour soi.

Avec le mariage homosexuel, mes chers collègues, se pose bien sûr la question de l’enfant, qui est d’ailleurs au centre de nos débats. Or l’intérêt supérieur de celui-ci, c’est d’être aimé, choyé, éduqué par ses parents.

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est vrai !

Mme Fabienne Keller. L’homoparentalité ne prive pas les enfants des richesses de l’altérité dans l’éducation.

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Très bien !

Mme Fabienne Keller. Nous savons tous que la famille présente désormais des formes diverses, homoparentales, mais aussi monoparentales et recomposées.

Défendre l’intérêt de l’enfant, c’est aussi se préoccuper de la précarité des milliers d’enfants élevés aujourd'hui par des couples homoparentaux, au sein desquels un seul parent est reconnu par la loi. Nous le savons tous, cette situation place ces enfants dans une position d’insécurité juridique.

Ne nous y trompons pas, mes chers collègues, le droit à l’adoption n’offre pas un droit automatique à l’enfant : il ouvre le droit de se soumettre aux procédures et contrôles légaux en vigueur.

Ceux qui ont la chance d’être parents savent quelle est l’importance des enfants et apprécient le sens qu’ils donnent à nos vies. Or, aujourd'hui, accepter son homosexualité, c’est renoncer au mariage et à la parentalité. C’est s’amputer de l’un des plus beaux objectifs de l’existence : fonder une famille, aimer et élever des enfants.

L’homosexualité est non pas un choix, mais une réalité qui s’impose à ceux qui aiment une personne de même sexe. Je ne me sens pas prête, en tant que parlementaire, à accepter que toute l’existence d’une personne puisse être conditionnée par la préférence sexuelle qu’elle se découvre à l’adolescence.

Je ne me sens pas prête, en tant que parent, à interdire ce bonheur à ceux dont les orientations sexuelles ne seraient pas les miennes. Nous sommes tous, évidemment, des êtres en quête de bonheur. Notre rôle de parlementaires n’est pas d’inventer ce dernier, mais de le rendre accessible. L’homosexualité n’est ni un danger ni une chance pour notre société. Elle en fait tout simplement partie. Je souhaite prendre en compte cette réalité, plutôt que la contester.

Pour l’ensemble de ces raisons, par attachement à la notion d’égalité, pour laquelle je me suis toujours battue, et après avoir réfléchi et m’être questionnée sur mes valeurs et le sens de mon engagement, j’ai décidé, en mon âme et conscience, de voter en faveur du mariage pour tous.

Je voterai donc l’article 1er de ce texte, come l’ensemble de ce projet de loi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, sur l’article.

M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voulais redire, après Jean-Pierre Raffarin tout à l’heure, que les propos tenus tout à l’heure, à notre endroit, par notre collègue Laurent étaient tout à fait déplacés, notamment en ce qu’ils laissaient entendre que nous serions homophobes.

Jean-Pierre Raffarin a été très clair, et je regrette qu’il n’ait pas été présent lors de notre débat sur l’union civile de cet après-midi, car il aurait pu constater que les propos en question n’étaient justifiés ni par notre volonté, ni par notre attitude, ni par nos convictions.

Notre premier objectif était de dire que l’on pouvait parfaitement faire ce choix de vie, qu’un couple homosexuel avait naturellement vocation à obtenir les mêmes droits, dans toutes leurs acceptions, et que l’union civile était de nature à répondre à cette demande.

Cependant, la majorité sénatoriale en a décidé autrement, préférant maintenir la position qui est la sienne en faveur du mariage pour tous, qui entraîne nécessairement la filiation.

Or si vous êtes publiquement réservés sur une partie de ce sujet – je pense en particulier à la procréation médicalement assistée, voire à la gestation pour autrui –, il n’en demeure pas moins que, en ce qui concerne l’adoption, les choses sont engagées.

Je ne reviendrai pas sur les conditions de cette adoption, abordées par le doyen Gélard, sur les difficultés rencontrées, voire sur l’impossibilité dans laquelle se trouveront les couples de voir aboutir leur désir d’enfant.

Ce que je crains surtout, c’est que nous ne soyons confrontés très rapidement, au détour du texte sur la famille que vous nous promettez prochainement, aux questions de la procréation médicalement assistée, puis de la gestation pour autrui, qui seront inévitablement évoquées, dans un souci d’égalité. Or, sur ce point, nous ne pouvons évidemment pas vous suivre,…

M. David Assouline. Nous sommes contre la GPA !

M. François-Noël Buffet. … la gestation pour autrui supposant le commerce d’un être humain, d’une femme.

Mme Gisèle Printz. Ce n’est pas dans le texte !

M. François-Noël Buffet. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, que les choses soient claires ! On peut s’offrir un enfant pour 80 000 euros aux États-Unis et, sans doute, pour environ 15 000 euros en Europe centrale. Un tel dispositif est d’ailleurs contraire à la législation française, le corps humain ne pouvant faire l’objet d’un commerce.

Mme Cécile Cukierman. Personne n’a dit le contraire !

M. François-Noël Buffet. Vous n’abordez pas ces questions aujourd’hui parce qu’elles ne sont pas mûres sur le plan politique, mais vous y viendrez la prochaine fois. En réalité, avec ce texte, vous avancez masqués. Nous savons tous, car nul n’est dupe ici, que c’est la prochaine étape.

C'est la raison pour laquelle je voterai contre ce texte ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Françoise Férat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, sur l’article.

M. Philippe Bas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai parfois le sentiment, en écoutant nos échanges, que la définition même du mariage est en question et que certains d’entre nous ne l’ont plus réellement à l’esprit. On peut d'ailleurs formuler la même observation bien au-delà de cet hémicycle.

Les instituts de sondage demandent souvent à nos concitoyens de se prononcer sur deux questions, la première portant sur le mariage des personnes de même sexe, la seconde sur l’adoption par des personnes de même sexe vivant en couple. Il est très intéressant de constater que la réponse n’est pas la même aux deux questions, et l’on peut se demander pourquoi il en est ainsi.

En effet, il est écrit noir sur blanc à l’article 345-1 du code civil que, quand la filiation d’un enfant n’est établie qu’à l’égard d’une personne, le conjoint de celle-ci peut l’adopter. Quand on est marié, on peut donc adopter l’enfant de son conjoint. L’article 346 du même code prévoit en outre que nul ne peut être adopté par deux personnes, si ce n’est par deux époux.

Par conséquent, sans même rien modifier – nous verrons tout à l'heure que vous touchez cependant à ces règles –, le système dans lequel nous entrons rend l’adoption automatique. Les Français doivent en être bien conscients, car j’ai le sentiment, malgré le débat qui s’est développé au cours des derniers mois, qu’ils imaginent encore qu’un mariage est possible sans qu’en découle mécaniquement la possibilité de l’adoption par le conjoint ou de l’adoption conjointe par les époux.

Le problème est grave. Je crains fort qu’il n’y ait un très grave malentendu, non pas à l’égard de nos compatriotes qui se sont opposés au projet de loi, mais envers ceux qui disent le soutenir tout en refusant l’adoption.

M. Charles Revet. Il y en a ici !

M. Philippe Bas. Pour ma part, je crois que ces Français ont raison. En effet, l’adoption consiste tout de même à présenter à un enfant, à égalité de droits et de devoirs avec sa mère ou avec son père, un adulte de même sexe que le père ou la mère en considérant que, sans être père ni mère, il pourra être parent. C’est une parenté d’intention ; elle repose sur une construction du cœur et de l’esprit respectable, mais elle est essentiellement une fiction.

Mme Laurence Rossignol. Comme les parents adoptifs !

M. Philippe Bas. Je suis, pour ma part, inquiet de cette fiction, en particulier en ce qui concerne l’assistance médicale à la procréation, même si celle-ci est interdite par la loi française.

Pour rebondir sur ce que disait à l’instant excellemment notre collègue Buffet, il est certes interdit de recourir à l’assistance médicale à la procréation à Caen, à Rennes et à Nantes, mais tel n’est pas le cas à Barcelone, à Londres ou à Bruxelles. Or l’enfant ainsi conçu, avec le mariage des personnes de même sexe, sera adoptable par le conjoint.

Tout est donc fait, sans même modifier la loi française sur l’assistance médicale à la procréation, pour créer des enfants sans père. Eh bien, c’est une perspective à laquelle, personnellement, je me refuse ! Tous les Français qui ont eu le malheur de grandir orphelins de père partagent ce sentiment profond, car on peut avoir bénéficié des meilleures qualités éducatives de la part de sa mère, du conjoint de sa mère, de sa grand-mère et de toute sa famille, mais rien ne remplace un père qui n’est pas là !

M. David Assouline. Savez-vous combien de pères sont absents ?

M. Philippe Bas. Or tel est bien le chemin que vous prenez non seulement en permettant de créer des enfants sans père, mais en faisant en sorte, par une forme d’imposture, que le conjoint de la mère puisse devenir le deuxième parent de l’enfant. C’est un artifice, et il est grave ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jean Boyer applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, sur l'article.

M. Jean-Marie Bockel. Chers collègues, je voudrais d’abord affirmer qu’il me semble tout à fait normal qu’un couple homosexuel bénéficie d’un statut renforcé et protecteur de ses droits légitimes.

La question des différents cadres juridiques existants, comme le concubinage, le PACS, que j’avais d’ailleurs voté en son temps, mérite à ce titre d’être posée. Le droit doit être appréhendé, dans notre conception, non pas comme un corpus de règles figées, mais plutôt comme un vecteur d’accompagnement des évolutions de notre société, dans le domaine conjugal comme dans d’autres.

C’est tout le sens d’un certain nombre d’amendements que mes collègues du groupe UDI-UC et moi-même avons déposés. Je pense notamment à l’amendement relatif à la création d’une institution distincte du mariage et du PACS, l’union civile, qui fonctionne bien dans plusieurs pays voisins, comme j’ai pu le constater, mais qui n’a malheureusement pas recueilli l’assentiment de notre assemblée.

M. François Rebsamen. Nous avons déjà voté sur ce point !

M. Jean-Marie Bockel. L’union civile répondrait pourtant aux attentes de tous, en offrant aux couples à la fois un cadre juridique, avec l’application d’un statut patrimonial protecteur et le recours au juge en cas de rupture, et une célébration solennelle en mairie, soit une reconnaissance sociale semblable dans la forme au mariage, comme l’a rappelé le président de notre groupe, François Zocchetto.

La mise en place d’un tel cadre juridique, qui nous semble aussi pertinente que nécessaire, apporterait également une réponse sans ambiguïté aux questions de filiation, d’adoption plénière, ainsi que de PMA et de GPA, qui suscitent les préoccupations que l’on sait chez nombre de nos concitoyens.

Ce n’est pas la problématique de la conjugalité qui ébranle nos convictions, c’est bien celle de la filiation. En effet, alors que le principe d’union homosexuelle pourrait rassembler très largement nos concitoyens comme nous-mêmes, force est de constater que le principe de l’homoparentalité, tel qu’il est formulé dans ce texte, nous divise.

L’ouverture du mariage aux couples homosexuels emporte de fait la possibilité pour ces couples d’adopter un enfant. Sans remettre en cause la capacité de quiconque à adopter, éduquer, aimer un enfant, j’émets toutefois des réserves fortes sur ce qui me semble être une transformation profonde de la parentalité et de la filiation.

Notre espèce humaine se reproduit, dure et existe par l’union d’un homme et d’une femme. Ainsi, inscrire dans le même cadre juridique l’union homosexuelle et l’union hétérosexuelle mettrait en cause la notion d’altérité sexuelle nécessaire à la transmission de la vie.

La théorie du genre, finalement, n’est pas très loin, et c’est peut-être là que réside le véritable clivage, qu’on l’assume ou non. Les conversations sur ce sujet l’attestent. Cependant, si on veut défendre la théorie du genre, il faut le dire clairement.

J’ai évoqué, au début de mon intervention, l’adoption du PACS, que j’avais défendu à l’époque. Je ne reviendrai pas sur les propos de Mme Guigou, qui affirmait alors, certainement avec une totale sincérité, que le PACS n’était pas le mariage. Nous avions déjà ce débat entre ceux qui pensaient, comme moi, que le PACS était une solution dans le contexte de l’époque et ceux qui soulignaient que d’autres étapes viendraient inévitablement.

Nous en sommes aujourd'hui à l’étape suivante. Nous voyons bien qu’il y en aura d’autres et que nous serons confrontés aux éléments de clivage qui ont été rappelés par l’ensemble des collègues. Au fond, je le répète, la théorie du genre n’est pas très loin.

Ce projet de loi – et j’en termine, monsieur le président – bouleverse les repères de la filiation, pourtant essentiels à la compréhension par l’enfant de son identité. La différence sexuelle reste fondamentale dans la construction de la filiation, beaucoup d’entre nous l’ont dit. L’adoption elle-même garde d’ailleurs une structure asymétrique, avec deux parents possibles, non identiques, père et mère.

En conséquence, adopter en l’état l’article 1er du projet de loi, mes chers collègues, conduirait à modifier pas à pas les principes fondamentaux de notre société, en gommant progressivement, et en le disant sans le dire, la différence biologique entre les sexes, ce qui n’est pas anodin.

Vous l’avez compris, je voterai contre cet article, tout en souhaitant qu’un prochain texte puisse se faire l’écho de nos propositions visant à renforcer le cadre actuel de l’union des couples de personnes de même sexe. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, sur l'article.

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le mariage doit rester l’union entre un homme et une femme. Je le répète devant Jean Étienne Marie Portalis, dont la statue nous surplombe. Celui-ci entend les fondements mêmes du code civil être remis en cause, lui qui définissait le mariage comme « la société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels […] et pour partager leur commune destinée ».

M. David Assouline. J’ai entendu cela des centaines de fois !

M. Jean-Claude Lenoir. Certes, monsieur le président de la commission, il reste de marbre quand il vous entend remettre en cause les fondements mêmes de notre code civil !

Je suis contre ce texte, comme la plupart des collègues qui siègent dans mon groupe.

Je respecte évidemment, comme nous tous, les choix de vie de chacun et je suis prêt à admettre que certains droits acquis aux personnes hétérosexuelles doivent être reconnus ou renforcés par la loi au profit des personnes homosexuelles.

En revanche, je suis fondamentalement opposé à ce projet de loi, qui marque une profonde hypocrisie, parce que vous n’assumez absolument pas les conséquences entraînées par la remise en cause du code civil, notamment en ce qui concerne la filiation.

Je me souviens également des débats sur le projet de loi instituant le PACS à l’Assemblée nationale, dont le rapporteur n’était autre que notre collègue Jean-Pierre Michel. Que nous disait, en substance, la ministre de la justice ? « Le PACS n’est pas le mariage, il n’ouvre pas droit à l’adoption. Acceptez-le, car c’est le droit que revendiquent les personnes homosexuelles, et nous n’irons pas au-delà » !

J’ajoute d’ailleurs que, au terme de la discussion, qui avait pris quelques mois, nous avions entendu des voix s’élever en disant : « C’est un premier pas, nous en reparlerons » ! Il a fallu attendre effectivement quelques années, mais nous voyons aujourd'hui les mêmes personnes revendiquer ce qui était refusé par principe par le représentant du Gouvernement à l’époque.

Vous êtes hypocrites, chers collègues de la majorité, parce que vous n’assumez pas que, derrière ce texte, se cachent d’autres projets, d’ailleurs assez spontanément revendiqués par certains orateurs.

Après avoir reconnu que l’adoption serait difficile pour le plus grand nombre – aujourd’hui, on le sait, peu d’enfants sont adoptables –, on nous annonce déjà la procréation médicalement assistée, la PMA, et la gestation pour autrui, la GPA.

En ce qui concerne la gestation pour autrui, redisons-le, nous assistons à une marchandisation. Aujourd’hui, elle existe, les voies sont connues, mais elles sont réservées à des personnes qui ont des moyens, qui peuvent traverser l’Atlantique ou l’Oural pour obtenir ce que l’on ne peut pas aujourd’hui obtenir en France. Néanmoins, vous dites vous-même que nous serons conduits, demain, à accepter l’introduction dans notre législation du droit, pour certaines personnes, de faire faire un enfant par d’autres mères situées loin de chez nous.

Enfin, ce projet de loi vient ouvrir des plaies profondes au sein de notre société. Le Gouvernement et la majorité actuelle refusent d’entendre un certain nombre de personnes afficher leurs convictions. Ils n’acceptent pas d’en discuter et préfèrent donner satisfaction à des minorités influentes dans lesquelles ne se reconnaissent pas forcément les personnes homosexuelles ; en effet, nous connaissons tous dans nos départements des personnes homosexuelles qui ne revendiquaient pas cette réforme et souhaitaient surtout que l’on s’en tienne à la loi existante, avec quelques aménagements.

Aujourd’hui, chers collègues de la majorité, vous avancez masqués vers l’instauration du droit à l’enfant pour tous, ce que nous dénonçons, car c’est un contresens par rapport à l’idée que nous nous faisons de la famille !

Au terme de ce débat, nous aurons l’occasion de fournir à l’opinion un florilège des mots utilisés dans ce débat. Parmi les plus provocants figurent ces propos d’un sénateur de gauche : « Il y a un phantasme, celui du père, de la mère et de l’enfant ». Non, le père, la mère et l’enfant ne sont pas des phantasmes, ils constituent les piliers de notre société ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)