compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Patrick Courtois

vice-président

Secrétaires :

M. Alain Dufaut,

M. François Fortassin.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Organismes extraparlementaires

M. le président. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de plusieurs sénateurs appelés à siéger au sein de différents organismes extraparlementaires.

Conformément à l’article 9 du règlement, la commission des finances a été invitée à présenter un candidat destiné à siéger comme membre suppléant au sein de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer, en remplacement de M. Marc Massion.

La commission des affaires économiques est, quant à elle, invitée à présenter deux candidats, l’un pour un poste de titulaire, l’autre pour un poste de suppléant, destinés à siéger au sein du Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire.

Les nominations au sein de ces organismes extraparlementaires auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

3

 
Dossier législatif : projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine
Discussion générale (suite)

Ville et cohésion urbaine

Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de programmation pour la ville et la cohésion urbaine (projet n° 178, texte de la commission n° 251, rapport n° 250, avis n° 264).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine
Article additionnel avant l’article 1er

M. François Lamy, ministre délégué auprès de la ministre de l'égalité des territoires et du logement, chargé de la ville. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis de trop nombreuses années, notre pays est traversé par de multiples fractures territoriales qui deviennent autant de fractures sociales intolérables pour notre pacte républicain.

L’exigence d’une réponse puissante face à cette situation s’est traduite par la décision de placer le ministère de la ville au cœur du ministère chargé de l’égalité des territoires, créé depuis maintenant vingt mois, presque jour pour jour, et dirigé par Cécile Duflot et moi-même.

Je me félicite quotidiennement de cette cohérence, qui témoigne de la volonté du Président de la République. Celui-ci a récemment encore rappelé, lors de ses vœux aux corps constitués, que c’est la pleine égalité non seulement entre les citoyens, mais également entre les territoires qui constitue le socle même de l’unité nationale.

L’unité de l’État passe autant par l’égalité des chances que par l’égalité des territoires. C’est précisément cette recherche d’une égalité retrouvée entre des territoires aujourd’hui si fragmentés qui est au cœur du projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui.

C’est également cette ambition d’une réponse structurelle aux maux dont souffrent nos quartiers populaires qui a animé les discussions entamées au Sénat il y a plusieurs semaines. Je souhaite d’ailleurs remercier dès à présent le rapporteur, Claude Dilain, de la qualité de son travail et de la manière dont il a conduit les débats en commission, qui ont déjà permis d’enrichir le texte sur de nombreux points.

Je sais combien le Sénat est attaché à ce que l’investissement des pouvoirs publics ne délaisse aucune parcelle de notre République, en zone rurale comme en zone urbaine.

La réussite de la concertation nationale « Quartiers, engageons le changement », lancée en octobre 2012, doit d’ailleurs beaucoup à l’implication active de nombreux sénateurs, que je souhaite aujourd’hui remercier : Claude Dilain, à nouveau, comme coprésident du groupe sur la refonte de la géographie prioritaire, mais aussi Jean Germain, Valérie Létard, Laurence Cohen et bien d’autres.

C’est de ces échanges qu’ont pu naître les principes de la réforme. Détaillés lors du comité interministériel des villes du 19 février 2013, ces principes visent à organiser le retour républicain de l’État dans les quartiers. Il nous fallait en effet engager une véritable refondation de la politique de la ville.

Lors du débat organisé dans cet hémicycle le 6 décembre 2012, nous avions longuement débattu de la situation difficile dans laquelle se trouvent les quartiers de la politique de la ville et leurs habitants, confrontés à des inégalités de toute nature et frappés plus durement que d’autres par la crise.

Nous avons collectivement fait le constat que, malgré le travail important réalisé par les élus locaux et un monde associatif trop durement éprouvé ces dix dernières années, la situation de ces quartiers et de leurs habitants s’était profondément détériorée, comme l’a d’ailleurs rappelé récemment, dans son rapport annuel, l’Observatoire national des zones urbaines sensibles, l’ONZUS.

Nous devions agir, non pas en nous laissant aller à la facilité d’un énième plan d’urgence, aussi vite oublié qu’annoncé, mais en travaillant à une action structurelle, globale et concertée susceptible de s’attaquer dans la durée aux inégalités qui frappent aujourd’hui nos quartiers populaires.

Il nous fallait tenir compte de l’inefficacité du saupoudrage des crédits de la politique de la ville, pointée par la Cour des comptes dans son rapport de juillet 2012, qui démontrait l’illisibilité de l’accumulation des zonages et des dispositifs engagés ces dernières années.

Il nous fallait corriger l’incompréhensible séparation entre les actions sur l’urbain, les dispositifs de cohésion sociale et le développement économique.

Il nous fallait encore remobiliser, au sein d’un contrat global, l’ensemble des politiques publiques qui, à chaque fois que la politique de la ville est intervenue dans un territoire, ont eu tendance à s’en retirer.

Il nous fallait également amplifier les mesures qui ont fait leurs preuves ; je pense bien évidemment aux chantiers du programme national de rénovation urbaine.

Il nous fallait enfin remettre au cœur de cette politique ceux pour qui elle existe : les habitants.

Toute l’ambition du projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine est précisément de mobiliser l’ensemble de ces dimensions pour changer, enfin, la réalité de nos quartiers.

Conformément aux préconisations des membres de la concertation nationale, le projet de loi prévoit de recentrer la géographie prioritaire sur les territoires qui répondent à un critère social incontestable, objectif et lisible : le critère de la concentration de pauvreté.

Avec cette nouvelle méthode, partout où, sur le territoire national, il y aura des concentrations spatiales de pauvreté, et donc des difficultés sociales, l’État répondra présent par la levée du droit commun et par les crédits spécifiques de la politique de la ville, qui retrouveront ce qui constituait leur mission initiale : créer des effets de levier. Nous revenons ainsi à l’essence de la politique de la ville, qui est une politique de cohésion et de solidarité au service des territoires urbains les plus paupérisés.

Effective en 2015, cette réforme de la géographie prioritaire permettra de concentrer nos moyens sur les quartiers réellement prioritaires, tout en mobilisant les crédits de droit commun dans les territoires qui resteront en veille active.

Un dispositif spécifique sera mis en place pour les outre-mer, en articulation étroite avec les acteurs locaux. En effet, si ces territoires rencontrent malheureusement des problèmes de développement similaires et présentent des caractéristiques urbaines et sociales communes, leurs situations respectives n’en appellent pas moins des réponses différenciées et adaptées à chaque territoire.

Ce changement de géographie de la politique de la ville ne peut avoir de sens que s’il s’accompagne d’une mobilisation plus importante des moyens dédiés aux quartiers populaires. À cet effet, le comité interministériel des villes du 19 février 2013 a d’ores et déjà organisé la mobilisation de toutes les politiques de l’État. Onze conventions d’objectifs et de moyens ont ainsi été passées avec les ministres pour territorialiser leurs actions et concentrer leurs moyens dans les quartiers.

Les premiers résultats sont là. Je ne prendrai que quatre exemples.

Tout d'abord, 15 000 emplois d’avenir pour les moins de vingt-cinq ans ont été créés dans les quartiers en 2013 ; 18 % des emplois d’avenir ont ainsi été dédiés aux jeunes des zones urbaines sensibles, les ZUS, alors que ces jeunes ne représentent que 12 % de la jeunesse de France. Nous accentuerons cet effort en 2014.

L’année 2013 a également été celle du réinvestissement par l’éducation, avec des créations de postes ciblées sur les écoles des quartiers lors de la dernière rentrée : 40 % des classes ouvertes pour la scolarisation des enfants de deux à trois ans se trouvent dans des quartiers de la politique de la ville.

Je tiens à mentionner aussi le retour de la police au service de la population, avec notamment le déploiement des zones de sécurité prioritaire : les 80 ZSP créées sont toutes, à une exception près, situées dans un quartier prioritaire de la politique de la ville.

Enfin, entre 2012 et 2014, la péréquation a progressé comme jamais : 180 millions d'euros de plus pour la dotation de solidarité urbaine, la DSU, 50 millions d'euros de plus pour la dotation de développement urbain, la DDU, soit un doublement de cette dotation, et 420 millions d'euros de plus pour le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC, afin de donner aux collectivités défavorisées les moyens de conduire des politiques ambitieuses en faveur de leur population.

Cette présence accrue des services publics dans les quartiers en difficulté se concrétisera symboliquement, dans quelques semaines, à Clichy-sous-Bois, monsieur le rapporteur, par l’ouverture d’une antenne de Pôle emploi.

Je rappelle que Pôle Emploi a consacré 400 de ses 2 000 créations de postes en 2013 aux quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Je sais l’importance que les sénateurs attachent à la territorialisation des politiques sectorielles, qui doit permettre de concentrer les moyens de droit commun là où ils sont le plus nécessaires. À cet égard, je salue l’adoption par la commission, sur la proposition de son rapporteur, d’un amendement qui réaffirme d’emblée que la politique de la ville mobilise d’abord les politiques de droit commun avant de mettre en œuvre les instruments qui lui sont propres.

Si nous partageons ces exigences quant à la manière dont les pouvoirs publics entendent utiliser leurs moyens pour garantir l’égalité des territoires, nous savons aussi que l’efficacité de notre action passe par la création d’outils adaptés permettant la mobilisation de tous les acteurs. C’est l’objectif du contrat de ville unique et global prévu par ce projet de loi.

Négocié entre l’État et les collectivités locales, mais également avec l’ensemble des acteurs du territoire, ce contrat sera piloté et mis œuvre par le président de l’intercommunalité et par le maire, dans le respect des compétences de chacun. En effet, ce n’est qu’à l’échelle intercommunale que peuvent s’élaborer des diagnostics cohérents et des politiques de peuplement, de désenclavement ou de développement économique.

Les députés ont souhaité introduire un mécanisme de sanction pour les cas où les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, n’exerceraient pas leur compétence et ne signeraient pas le contrat de ville, mais votre commission a considéré que ce mécanisme était contre-productif et a préféré faire le pari de la confiance. J’entends respecter votre choix, et je ne déposerai donc pas d’amendement sur les dispositions que vous avez adoptées.

S'agissant du rôle du maire, je crois que les débats, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, ont permis de le placer au cœur de la mise en œuvre des politiques de cohésion sociale sur le territoire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est en nous appuyant sur ce contrat unique que nous lancerons le nouveau programme de renouvellement urbain, qui prévoit d’affecter 5 milliards d’euros à l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU, sur la période 2014-2024. Ces 5 milliards d'euros permettront de mobiliser près de 20 milliards d’euros d’investissements en faveur des quartiers prioritaires. Dans le même temps, nous mènerons à bien et à terme le premier programme national de rénovation urbaine, ou PNRU1, qui n’est qu’à la moitié de sa réalisation.

Cependant, tous les efforts engagés pour la rénovation des quartiers risqueraient d’être vains si nous ne développions pas simultanément des politiques de peuplement assurant la mixité sociale à l’échelle des agglomérations.

C’est pourquoi je me réjouis que la commission des affaires économiques, sur proposition de son rapporteur, ait adopté un amendement tendant à prévoir des conventions intercommunales relatives aux politiques d’attribution et impliquant tous les acteurs du logement. Nous aurons là un outil de concertation efficace pour produire de la mixité dans les quartiers et organiser harmonieusement le peuplement de nos villes.

Par ailleurs, le nouveau PNRU n’aura pas pour effet de mettre en concurrence les projets. Il visera les territoires présentant les dysfonctionnements urbains les plus importants, dans l’Hexagone comme dans les outre-mer, en favorisant la mixité de l’habitat, la qualité de la gestion urbaine de proximité, les objectifs de développement durable et de lutte contre l’habitat indigne.

Pour satisfaire l’articulation entre les nécessités sociales et urbaines, ces nouvelles opérations de renouvellement urbain seront des conventions d’application des futurs contrats de ville.

C’est aussi dans le cadre de cet outil contractuel que je souhaite permettre aux citoyens d’être associés et entendus sur les enjeux qui concernent leurs quartiers. Dans un moment où la désespérance sociale s’accompagne trop souvent d’une désespérance politique, il fallait donner une dimension nouvelle à l’intervention citoyenne des habitants des quartiers populaires.

Cette reconnaissance de la participation des habitants aux décisions qui les concernent constitue une réponse au sentiment de défiance envers les institutions dont le CEVIPOF, dans une étude publiée hier dans Le Monde, est venu rappeler l’ampleur.

Je suis en effet convaincu que les relations entre les citoyens et la puissance publique doivent être fondées sur une double confiance : celle des habitants envers leurs élus, mais aussi celle des élus envers les habitants. Voilà pourquoi le nouveau contrat de ville donnera toute sa place aux représentants des habitants, qui participeront à sa conception, au suivi et à l’élaboration des projets.

Sur ce point, j’ai souhaité déposer un amendement au nom du Gouvernement pour renommer « conseils citoyens » les collectifs d’habitants qui participeront à la conception et à la mise en œuvre des contrats de ville.

M. Jean-François Husson. Cela ne sera jamais fini !

M. François Lamy, ministre délégué. De plus, je souhaite apporter des garanties à la fois sur l’autonomie de ces conseils citoyens par rapport aux pouvoirs publics et sur l’effectivité de leur mise en place dans chaque quartier prioritaire de la politique de la ville.

Ces deux objectifs peuvent paraître contradictoires en apparence, mais l’amendement gouvernemental entend les concilier autour d’un mécanisme associant libre organisation avec reconnaissance par l’État et financement public pour le fonctionnement des conseils citoyens.

Ces mesures sont accompagnées d’un renforcement de la formation des habitants, des associations, des élus et des professionnels, au « pouvoir d’agir ».

Compte tenu du rôle essentiel joué par le tissu associatif dans la vie des quartiers, les démarches administratives et le financement des associations vont être simplifiés, notamment avec la mise en place de financements sur trois ans pour l’ensemble des actions structurantes, un soutien dans la durée étant toujours un atout pour la réussite des projets.

Si la concentration des moyens publics peut constituer une réponse à la désespérance sociale, je suis convaincu que c’est en imposant ces nouvelles exigences démocratiques que nous pourrons répondre à la désespérance politique.

Vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui vous est présenté a pour objectif de restaurer la pleine égalité des territoires de la politique de la ville par rapport aux autres territoires au moyen d’une action cohérente et globale.

Cette réforme viendra en complément des autres mesures engagées par l’État pour combattre les inégalités qui traversent nos territoires, notamment la mise en place, sous l’impulsion du Premier ministre et de Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement, du futur Commissariat général à l’égalité des territoires, au sein duquel vont dorénavant œuvrer les agents du ministère de la ville, ou encore la refonte prochaine du Conseil national des villes.

Cette réforme donnera tout son sens aux dispositifs mis en œuvre dans le cadre du plan Entrepreneurs des quartiers que j’ai présenté en Conseil des ministres le 11 décembre dernier. Comme je suis persuadé que le développement économique doit devenir maintenant l’un des moteurs principaux des quartiers populaires, ce plan mobilise des moyens sans précédent pour soutenir les activités économiques dans ces territoires, avec en particulier une somme de 600 millions d’euros de l’État et de la Caisse des dépôts et consignations, des contrats « entrepreneurs d’avenir » ou encore le doublement des prêts de la Banque publique d’investissement à l’appui d’un dispositif spécifique pour la création d’entreprises dans les quartiers.

Enfin, parce qu’au plus profond d’elle-même cette réforme vise à combattre les inégalités dont sont victimes les habitants de nos quartiers, les députés ont souhaité compléter les dispositions relatives à la lutte contre les discriminations.

Ainsi, je ne peux que me réjouir, avec vous, de l’adoption à l’unanimité par l’Assemblée nationale d’un amendement visant à reconnaître le lieu de résidence comme nouveau critère légal de discrimination, disposition que vous n’avez pas voulu remettre en cause, ce dont je vous remercie collectivement. Avec ce texte, la discrimination en fonction du lieu de résidence deviendra ainsi le vingtième critère juridiquement opposable.

Dans le même esprit, je vous présenterai un amendement au nom du Gouvernement pour la réinsertion sociale et familiale des immigrés âgés. Le vote de cette mesure, à l’origine de laquelle se trouve Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, permettra d’assurer la mise en œuvre des articles 58 et 59 de la loi DALO, ainsi que la mise en place, par décret, de l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine, ces migrants à qui nous devons beaucoup, .

Mesdames, messieurs les sénateurs, si nous souhaitons changer concrètement la vie des habitants de nos quartiers, la seule action de l’État ne peut suffire. C’est bien d’une mobilisation collective de l’ensemble des élus, des institutions, des acteurs de terrain, des habitants que nous avons besoin : elle est non seulement l’esprit de cette réforme, elle en est également la source.

Ce projet de loi est l’expression de la large concertation que nous avons engagée avec l’ensemble des acteurs de la politique de la ville, les parlementaires, les élus ultramarins, les associations nationales d’élus, avec lesquelles j’ai signé des conventions d’engagements réciproques. Ce matin même, j’ai d’ailleurs signé la dernière de ces conventions avec Jacques Pélissard, président de l’Association des maires de France.

Ces outils non seulement constituent un signal fort de l’engagement des élus dans cette nouvelle étape de la politique de la ville, mais ils témoignent aussi de l’impatience qu’a suscitée cette réforme.

Aujourd’hui, il appartient au Sénat de donner corps, par son soutien, à ces nouvelles dispositions législatives pour que triomphe l’égalité dans nos territoires et que les valeurs de notre République se vivent au quotidien dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste, ainsi que du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Claude Dilain, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, ce projet de loi était très attendu, car le dernier texte important sur le sujet date de 2003. Or dix ans, c’est long, particulièrement dans ces quartiers et ces territoires qui évoluent très vite, et malheureusement pas toujours dans le bon sens.

Ce projet de loi était également attendu, car, après trente ans de politique de la ville, le moment était venu de faire un bilan et de prendre en compte non seulement les succès des politiques publiques, mais aussi les faiblesses et des déceptions, afin de repartir avec un nouveau corpus.

De nombreux rapports ont été faits sur le sujet : vous avez cité le rapport de l’ONZUS, celui de la Cour des comptes, auxquels j’ajouterai celui qu’avait remis à l’époque au nom du Conseil économique, social et environnemental notre collègue Marie-Noëlle Lienemann ou encore le rapport intitulé Demain, la ville, réalisé par Jean-Pierre Sueur.

De ces différents documents, il ressort que les critiques qui sont formulées à l’encontre de la politique de la ville – contrairement à ce que certains pensent, des jugements plus positifs sont aussi émis à son sujet – sont principalement au nombre de trois.

Tout d’abord, leurs auteurs reprochent à l’action publique d’avoir été saupoudrée, selon une expression reprise par M. le ministre.

Ensuite, ils mettent l’accent sur l’empilement des territoires et des dispositifs, ce qui nuit à la lisibilité des politiques publiques.

Enfin, et surtout, la troisième critique porte sur le manque de droit commun. C’est pourquoi j’ai bien parlé des politiques publiques et pas seulement de la politique de la ville. Finalement, si l’on fait le bilan, ce n’est pas cette dernière qui est la plus coupable, si je puis dire.

À cet égard, j’en profite pour rendre hommage à tous les ministres de la ville qui se sont toujours battus, qu’ils soient de droite ou de gauche, car le propre de cette politique est de transcender largement le clivage gauche-droite. Malheureusement, ils n’ont pas toujours été suivis par leurs collègues. Je ne vais pas citer tous vos prédécesseurs, monsieur le ministre, car il y en a beaucoup, mais permettez-moi de rendre hommage au premier d’entre eux chronologiquement, c’est-à-dire à Michel Delebarre, présent parmi nous aujourd’hui. Notre collègue a pour la première fois mis en œuvre ce que les fameux rapports Dubedout et Bonnemaison, que je tiens aussi à citer, avaient théorisé. Comme quoi, monsieur Raoul, non seulement tous les rapports ne finissent pas à la poubelle (Sourires.), mais certains méritent même d’être relus !

Monsieur le ministre, je le répète, votre projet de loi était attendu par tous les acteurs de la politique de la ville : les habitants, les élus, les professionnels qui, vous avez eu raison de le dire, sont lassés des effets d’annonce de ces plans d’urgence dont les résultats ne se voient pas sur le terrain. Tout le monde souhaite des actions, au-delà des mots, et au-delà des maux, aussi !

Ce texte était d’autant plus attendu qu’il a été précédé d’une longue et véritable concertation, à laquelle vous avez fait allusion dans votre intervention. Pour y avoir moi-même participé en coanimant un groupe de travail de 70 personnes, je puis vous dire que toutes étaient présentes aux réunions qui se sont étalées non pas sur quelques jours ou quelques semaines, mais sur plusieurs mois.

À mon sens, cette procédure a constitué une première et j’espère que vous allez faire école, monsieur le ministre, car il est très rare que la présentation d’un projet de loi soit précédée d’une telle préparation.

Dans ce cadre, vous avez également innové – je n’en ai pas trouvé d’autre exemple - s’agissant de la participation des habitants, en demandant un rapport non à un parlementaire, mais à des personnes ayant aussi leur légitimité pour représenter les habitants, à savoir une sociologue, Mme Bacqué, et un acteur associatif, M. Mechmache. Là encore, monsieur le ministre, il s’agit d’une première, et je pense qu’avec ce rapport, très important, dont nous reparlerons dans le débat, vous avez montré l’exemple pour le futur.

Je ne vais pas reprendre le contenu du projet de loi de façon exhaustive, puisque vous l’avez très bien présenté, mais je voudrais simplement dire en quoi il nous permet d’entrer dans une ère nouvelle de la politique de la ville.

Comme je l’ai dit, le vote de ce texte marquera la fin du saupoudrage : nous comptons actuellement 2 500 territoires dits « prioritaires », quand l’Italie n’en compte que 17, ce qui me porte à croire qu’il y a sûrement une voie moyenne entre les deux.

Nous consacrerons également la fin des empilements des contrats, des conventions, des schémas, qui sont tous décidés de façon désordonnée. Il y aura désormais un seul projet de territoire et un contrat unique et global. C’en est fini de la dissociation entre l’urbain et l’humain - mais nous ne dirons pas qu’ils sont réconciliés, car ils n’étaient pas fâchés !

Cette réforme marque par ailleurs l’abandon de ce que j’appellerai le subjectif dans la détermination des territoires prioritaires. Monsieur le ministre, vous avez choisi le bon critère, qui était justement ressorti de la concertation. Il s’agit d’une évidence retenue non par les politiques, mais par les universitaires qui travaillent sur le sujet.

Je sais que ce choix de la pauvreté fait débat, mais, à mon sens, il y a un malentendu, car vous vous apprêtez à dessiner la carte non pas de la pauvreté en France, mais de la ségrégation territoriale. Ce critère permettra donc de définir là où il y a ségrégation : nous devons avoir à l’esprit que vous êtes non pas le ministre de la pauvreté, mais le ministre de la ségrégation territoriale.

En consacrant la fin des zones, ce texte fera de surcroît disparaître cette sémantique très stigmatisante.

Vous nous proposez également d’en finir avec les égoïsmes territoriaux. Dorénavant, c’est l’ensemble de l’agglomération qui sera mobilisé en faveur des quartiers. En effet, il n’était pas acceptable que l’État considère tel territoire ou tel quartier comme prioritaire, mais que l’agglomération n’en fasse pas autant. Avec ce texte, c’en est désormais fini.

Au Sénat, nous sommes bien placés pour savoir que vous avez réussi quelque chose de difficile en imposant cette articulation entre l’intercommunalité et la commune. Comme nous avons pu le constater en commission, chacun s’y retrouvera et nous assisterons enfin à la mobilisation de tous, ce qui est très positif.

Cette loi pose également l’exigence de recourir de manière prioritaire aux moyens de droit commun, et c’est peut-être le plus important. Cette exigence vaut autant pour l’État – le temps où la politique de la ville se substituait au droit commun est fini, je vous renvoie au rapport Dubedout – que pour les autres collectivités territoriales : la région et le département doivent être impliqués.

Cette loi marque aussi une étape importante en matière de participation des habitants. Pour la première fois, un texte de loi emploie le mot « coconstruction ». Pour un certain nombre de responsables, cette notion peut paraître abstraite, mais la participation au rabais que l’on peut parfois observer n’a rien d’abstrait, elle ! Ce projet de loi vise à établir une coconstruction sincère entre les élus et les représentants des habitants. (M. Philippe Dallier s’exclame.)

Cette loi relance enfin le renouvellement urbain – et non la rénovation urbaine. Depuis quelques années, nous étions dans l’incertitude : vous y mettez fin, monsieur le ministre, et je n’ai pas entendu de critiques sur ce point.

Je voudrais terminer en présentant les apports de notre commission. Notre travail a été relativement facile, parce que le texte initial du projet de loi était bon et parce que l’Assemblée nationale a réalisé un excellent travail, auquel je tiens à rendre hommage. Je dois préciser que le rapporteur de l’Assemblée nationale, François Pupponi, et moi-même – nous sommes tous les deux engagés dans la politique de la ville depuis plusieurs années – avons pu travailler ensemble en amont : pour moi, c’est une première, car une telle collaboration entre le Sénat et l’Assemblée nationale est assez rare. J’espère que, sur ce point aussi, nous ferons école !

La commission des affaires économiques a eu la volonté de rendre ce projet de loi plus lisible, plus articulé. Comme vous l’avez relevé, monsieur le ministre, elle a supprimé les pénalités pour les EPCI qui refuseraient de signer le contrat de ville. Il ne faut pas mal interpréter cette initiative : la commission pense tout comme vous que les EPCI doivent signer ces contrats – c’est même essentiel - mais les menacer de leur infliger des pénalités financières un peu brutales n’est peut-être pas la meilleure façon de les convaincre !

Nous avons étayé la coconstruction et l’avons même amplifiée, puisque j’ai souhaité introduire la « co-formation ». Là aussi, je sais que certains vont sourire, mais la co-formation est une notion précise : il est certes important que les habitants qui participent s’adaptent au langage des techniciens et des élus, mais il est tout aussi important que les techniciens et les élus sachent être à l’écoute des habitants, car ceux-ci ont beaucoup à leur apprendre. Nous n’avons pas inventé la co-formation, elle existe déjà : il suffit de regarder le travail très important que réalise ATD Quart Monde dans ce domaine.

Enfin, nous avons souhaité clarifier les politiques d’attribution des logements. Sur ce point aussi, il s’agit peut-être d’une première, monsieur le ministre, car nous allons ainsi nous attaquer aux causes, et plus seulement aux conséquences. Il est fondamental que nous réfléchissions, de manière républicaine, intelligemment, sans passion, mais avec lucidité, sur les problèmes posés par les politiques de peuplement et d’attribution. Je souhaite que le dispositif que nous avons prévu pour les quartiers prioritaires fasse école, lui aussi, et s’étende à d’autres territoires.

Monsieur le ministre, le débat a déjà été très nourri, mais il va se poursuivre : des amendements très importants ont été déposés et notre assemblée est en mesure d’enrichir ce projet de loi. D’ores et déjà, ce texte marque une étape essentielle dans l’histoire de la politique de la ville et je suis certain que, comme souvent, nous serons très nombreux, sur ces travées, à vous rejoindre en le votant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE.)