M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.

Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à quelques jours d’un scrutin décisif pour l’avenir de l’Europe, le débat de grande qualité que nous tenons aujourd’hui possède une résonnance toute particulière.

Le réchauffement climatique est un défi majeur – plusieurs de mes collègues l’ont rappelé –, auquel la France, comme l’Europe et tous les autres pays du monde, est confrontée. Il est donc utile que ce débat nous soit proposé dans sa dimension européenne, et pas seulement franco-allemande, car c’est bien le cadre pertinent dans lequel nous devons l’envisager.

Ce cadre se fonde sur les objectifs fixés par la communication de la Commission européenne, parue au mois de janvier dernier, intitulée Objectifs pour 2030 en matière de climat et d’énergie en faveur d’une économie de l’UE compétitive, sûre et à faibles émissions de carbone, et qui prend la suite du paquet énergie-climat pour 2020. D’autres textes de la Commission, tels que sa feuille de route pour l’énergie à l’horizon 2050 et sa feuille de route vers une économie compétitive à faible intensité de carbone à l’horizon 2050, contribuent également à déterminer des perspectives.

Ces documents reflètent l’objectif de l’Union européenne visant à réduire d’ici à 2050 les émissions de gaz à effet de serre de 80 à 95 % par rapport aux niveaux de 1990, et exposent la structure des efforts que devront déployer les pays développés.

L’Union européenne a certes progressé et obtenu des résultats dans le cadre actuel d’action pour le climat et l’énergie, appelé « paquet énergie-climat 2020 » et résumé par le principe dit des « 3x20 », lequel a été déjà largement développé par mes collègues ; je n’y reviens donc pas.

L’Union est désormais en bonne voie pour atteindre les objectifs fixés en matière de réduction des gaz à effet de serre et d’énergies renouvelables. Des progrès notables ont été accomplis en ce qui concerne l’efficacité énergétique, mais ils sont inégaux, il est vrai, selon les pays.

Selon les données d’Eurostat, en 2012, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 18 % et la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie a augmenté de 13 % ; cette dernière devrait encore enregistrer une hausse pour s’établir à 21 % en 2020 et à 24 % en 2030.

Toutefois, il est nécessaire de s’engager de façon plus ambitieuse et d’aller au-delà de la réduction des émissions des gaz à effet de serre, en fixant des objectifs plus solides en matière d’énergies renouvelables à l’horizon 2030.

Il manque encore une ambition commune pour une politique de l’énergie globale en Europe, mieux coordonnée, voire intégrée : le travail doit porter non seulement sur le mix énergétique, propre à chaque pays, mais aussi sur la chaîne de transport des énergies et les usages. Je mentionnerai également la fiscalité, qui est un outil important.

J’interviendrai d’ailleurs prochainement, au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, sur la restructuration du cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, qui résulte notamment de l’échec du système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, à savoir le fameux marché du carbone.

Voilà quelques jours, les 15 et 16 mai dernier, se tenait à Athènes une réunion informelle des ministres de l’énergie au cours de laquelle la présidence grecque a rappelé, ce que nous pouvons saluer, la nécessité de disposer d’un accord global ambitieux et juridiquement contraignant, en vue de lutter contre le changement climatique. Toutefois, il est regrettable que les décisions sur ce nouveau paquet énergie-climat à l’horizon 2030 soient reportées, pour le moment, au mois d’octobre prochain. Peut-être aurez-vous, madame la ministre, quelques informations à nous donner sur la position française en la matière, après le rapport remis au ministère sur ce sujet par M. Jean-Michel Charpin à la fin du mois de février.

Au-delà, ce conseil informel a surtout été l’occasion de se pencher – la crise actuelle en Ukraine en a été l’événement révélateur – sur la question de la sécurité de l’approvisionnement énergétique de l’Europe. Car c’est bien là l’autre défi qui se pose à l’Union européenne pour assurer un avenir durable : elle doit aller vers une économie sobre en carbone, mais aussi promouvoir sa sécurité énergétique.

Selon les informations dont nous disposons sur ce conseil informel, au sujet duquel vous allez sans doute nous instruire, la stratégie envisagée en matière de sécurité énergétique par l’Union européenne inclurait la diversification de ses voies d’approvisionnement, afin de réduire sa dépendance à l’égard de la Russie. L’Union européenne compterait également améliorer les installations de stockage d’énergie, intégrer les technologies d’inversion de flux et développer le réseau d’interconnexions en vue de renforcer le système de transport gazier déjà en place sur le continent, en particulier en Europe centrale et en Europe du Sud. On agirait ainsi sur le plan tant des infrastructures européennes, pour créer de véritables réseaux européens, que des relations avec les pays fournisseurs.

Je partage cette approche et souhaiterais revenir sur la nécessité d’investissements communs dans les infrastructures d’interconnexion, qui répondent également à la nécessaire solidarité entre les États membres de l’Union européenne.

Ayant été rapporteur de la commission des affaires européennes du Sénat sur les textes relatifs au Mécanisme pour l’interconnexion en Europe, je tiens à défendre cette démarche.

Les objectifs sont multiples : améliorer la sécurité d’approvisionnement, accompagner le développement des énergies renouvelables et réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Pour ce faire, cette nouvelle étape était nécessaire. En effet, il s’agit non plus de rafistoler ou de relier des réseaux nationaux, mais d’avoir une vision d’ensemble des réseaux dans toute l’Union européenne. À cette fin, cette approche plus centralisée devait être soutenue, pour concentrer les moyens sur les réseaux de dimension européenne.

Car l’Union, qui peut apporter une plus-value réelle, est pleinement légitime pour renforcer ses actions sur ces infrastructures très spécifiques, en accordant la priorité à l’interopérabilité, aux corridors ou à l’accompagnement du développement des énergies renouvelables qui vont dans la bonne direction et placent l’action de l’Union européenne au bon niveau.

Ces investissements dans les réseaux transeuropéens sont l’exemple type de dépenses d’avenir qui ne peuvent être évaluées sous le seul angle du taux de retour pour chaque État membre. Ce sont des équipements pour les prochaines décennies. Au moment où l’on cherche des relais de croissance, il ne faut pas sacrifier ces investissements pérennes, bien au contraire.

C’est pourquoi je me félicite de l’ouverture, le 12 mai dernier, du premier appel à propositions dans le cadre du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe, pour un montant de 750 millions d’euros destiné à des projets de première priorité, principalement dans les secteurs du gaz et de l’électricité.

Cette aide financière de l’Union européenne contribuera à rendre effectifs les mécanismes de solidarité entre les États membres.

Au-delà de ces réseaux européens, nos choix stratégiques en matière d’investissements nationaux doivent être envisagés pour la période postérieure à 2020. C’est un enjeu majeur : nous le savons bien, les investissements énergétiques s’inscrivent dans le long terme. Les infrastructures construites voilà trente ou quarante ans doivent être renouvelées maintenant, car c’est aujourd’hui que nous devons construire celles qui alimenteront nos foyers, nos entreprises et notre industrie en 2050.

Au moment où s’engage en France la discussion sur la transition énergétique, je ne peux que me réjouir de l’accélération qui lui est donnée depuis quelques semaines. Nous devons être ambitieux non seulement pour notre pays, mais également pour l’Europe, que nous devons rendre plus efficace en matière énergétique. Il convient même d’aller vers une politique européenne de l’énergie, s’inscrivant dans la lignée de l’initiative CECA et Euratom des origines.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Bernadette Bourzai. À ce sujet, que pensez-vous, madame la ministre, de l’initiative polonaise en faveur d’une Union européenne de l’énergie, alors que nous connaissons les positions de ce pays en la matière, rappelées tout à l’heure par Mme Bataille ? Envisagez-vous des initiatives en ce sens dans la perspective du prochain Conseil européen du mois de juin, qui préfigurera la conférence de Paris sur le climat en 2015, très attendue, qu’il faut absolument réussir, contrairement au sommet de Copenhague ?

Madame la ministre, je sais votre détermination à mener à bien la mission qui vous a été confiée. Vous pouvez compter sur le soutien du groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. François Fortassin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord vous remercier de la qualité de ce débat. Je perçois vos interventions comme autant de contributions à la réflexion que je mène, au moment où je finalise le projet de loi de programmation sur la transition énergétique. Nous aurons donc l’occasion de reparler de tous ces sujets très prochainement.

Je remercie bien évidemment le groupe écologiste, qui a pris l’initiative d’organiser ce débat maintenant. Celui-ci intervient en effet à un moment crucial, puisque les citoyens de notre pays et de l’Europe entière éliront dans quelques jours leurs députés européens.

Ainsi, nous voyons un certain nombre de citoyens se détourner de l’Europe, alors que, paradoxalement, selon les enquêtes d’opinion, jamais les Français et les citoyens européens ne se sont sentis autant européens. Bien qu’ils n’imaginent pas leur destin en dehors de l’Europe, ils n’ont pourtant jamais autant douté de l’efficacité de celle-ci.

Pour faire repartir l’Europe et la faire aimer de nouveau, il nous faut donc avant tout des projets mobilisateurs concernant les questions majeures aujourd'hui posées à nos sociétés, des projets créateurs d’activités nouvelles et d’emplois durables, solidement ancrés dans les territoires et améliorant les conditions de vie des citoyens de France et de tous les pays européens.

À mes yeux, l’une des questions vitales aujourd'hui posées à l’Europe, premier consommateur mondial d’énergie, est celle d’une profonde mutation de notre politique de l’énergie, flux de vie irriguant toutes nos activités. En effet, le changement climatique nous oblige à hâter et amplifier, bien au-delà des engagements collectivement souscrits, nos efforts en matière de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre.

De surcroît, le renchérissement grève toujours plus nos finances et compromet l’essor encore trop lent et trop fragile des énergies alternatives.

Et n’oublions pas un enjeu important de la transition énergétique, à savoir les millions d’emplois susceptibles d’être créés du fait de la recherche d’économies d’énergie et du développement des énergies renouvelables,…

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Ségolène Royal, ministre. … à condition toutefois que nous mobilisions plus fortement et plus rapidement nos compétences scientifiques, technologiques, industrielles, que nous développions les formations et les métiers adéquats, de façon à être les premiers à réussir la grande transformation écologique du XXIe siècle.

L’histoire ne se répète jamais à l’identique, mais on doit toujours en tirer d’utiles leçons. L’Europe des pères fondateurs s’inscrivait dans un monde qui n’est plus le nôtre, mais nous devons poursuivre l’élan initial qui lui fut donné grâce à l’ample vision de quelques-uns qui conçurent pour elle une grande ambition, autrement dit l’expérience fondatrice de la Communauté européenne du charbon et de l’acier.

L’Europe encore en reconstruction des années cinquante manquait dramatiquement d’énergie pour se redresser. Ses industries charbonnières étaient obsolètes, dispersées, concurrentes, polluantes, et la facture de ses importations énergétiques était au-dessus de ses moyens. À ce moment-là, six pays firent le pari audacieux de s’en sortir ensemble et y réussirent.

De nos jours, la question énergétique n’en demeure pas moins centrale. La prendre résolument à bras-le-corps est la façon la plus réaliste et la plus enthousiasmante de mettre le cap sur une croissance verte, écologiquement et socialement créatrice d’emplois et de bien-être, une croissance verte qui encourage et soutient hardiment l’innovation, qui stimule et épaule le goût d’entreprendre, qui ne tient pas les salariés pour une variable d’ajustement et qui améliore le pouvoir d’achat et la santé de tous. Accélérer le rythme est à notre portée, j’en suis convaincue, et le présent débat le démontre.

Consentir ensemble un effort dans le domaine de la recherche, par exemple pour lever l’obstacle du stockage de l’énergie ou pour devenir les champions de la chimie verte, est à notre portée.

Financer les importants investissements d’avenir nécessaires à ces grands chantiers que sont l’isolation thermique des bâtiments et des logements, les transports propres et les véhicules électriques, l’amélioration des performances des énergies renouvelables de toutes catégories – solaire, marine, éolienne, géothermique – est à notre portée.

Bien sûr, chaque pays a ses filières d’excellence qui, conjuguées, formeraient une force de frappe considérable. C’est en agissant ensemble que nous pourrons nous soustraire aux aléas des soubresauts géopolitiques et au chantage pétrolier ou gazier des uns ou des autres. C’est ainsi que nous assurerons notre souveraineté et notre sécurité énergétique. C’est évidemment une chance historique pour l’Europe d’apporter des réponses concrètes et opérationnelles aux attentes de ses peuples. Ne nous laissons pas ralentir par les frilosités et les bureaucraties de toute nature, car les peuples s’impatientent.

Qu’importe, dans cette perspective, que chaque pays d’Europe ait sa propre identité ou spécificité énergétique, avec ou sans nucléaire, avec ou sans charbon.

M. Jean-Claude Lenoir. Sans charbon, c’est mieux !

Mme Ségolène Royal, ministre. Il s’agit non pas de mener la bataille, perdue d’avance, de l’uniformisation, mais de construire sur la base de principes que nous partageons, d’accélérer et d’approfondir le tournant déjà amorcé vers l’efficacité énergétique et vers les énergies nouvelles.

Qu’importe que, dans un premier temps, tout le monde ne soit pas prêt à s’engager dans une coopération renforcée basée sur le volontariat. Démarrons avec ceux qui le sont et donnons la preuve que cette coopération est possible et bénéfique, la preuve que les emplois de demain sont là, moins délocalisables que ceux du vieux modèle, la preuve que les gains de compétitivité pour nos entreprises comme de pouvoir d’achat et de bien-être pour les ménages sont là, la preuve que nous pouvons, en agissant à plusieurs, devenir les acteurs majeurs de cette troisième révolution industrielle déjà en marche,…

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Ségolène Royal, ministre. … la preuve que l’on peut sortir de la crise par le haut et échapper à sa fatalité.

L’Europe à laquelle les Français croiront de nouveau, c’est celle de la politique par la preuve. À nous de lui donner corps !

L’Europe à laquelle les Français croiront de nouveau, c’est celle qui résout les problèmes et qui nous réconcilie avec l’avenir sans renier notre passé. À nous de la rendre crédible et désirable !

L’Europe à laquelle les Français croiront de nouveau, c’est celle qui donnera au monde l’exemple de sa capacité à anticiper et à accompagner, l’exemple de sa volonté.

Cette Europe, cette communauté européenne de l’énergie, qui coordonne tous ses efforts, notamment en faveur des énergies renouvelables, nous devons la construire. Les forces progressistes peuvent la vouloir avec suffisamment de détermination et la rendre effective en mettant tout le monde en mouvement, non seulement les forces politiques, mais aussi l’intelligence des territoires, les filières économiques et tous les citoyens appelés à en être les acteurs et les codécideurs.

Le changement de modèle énergétique, ce n’est pas une question technique. Trop souvent, d’ailleurs, l’Europe s’englue dans ces questions techniques et les citoyens s’en détournent, car ils ne comprennent même plus le vocabulaire utilisé. Il n’est qu’à citer le « paquet énergie-climat ». Qui peut comprendre une telle expression ? (Sourires.) Nous devons à la fois simplifier le vocabulaire, clarifier les objectifs, tracer les chemins qui mènent à leur réalisation, car, au bout de la chaîne, c’est le consommateur d’énergie qui finance les nouvelles énergies. Par conséquent, si nous associons les consommateurs à d’autres façons de consommer en leur donnant les moyens d’économiser l’énergie et de faire des choix énergétiques, nous réussirons cette mutation énergétique.

Ce changement de modèle est également un changement de culture et de société. C’est une chance de renouvellement démocratique, une chance de partager les décisions bien mieux que selon les vieux schémas verticaux, une chance de redonner aux citoyens du pouvoir d’agir. C’est pourquoi ce débat est si important. C’est pourquoi les enjeux de la construction de l’Europe de l’énergie sont aussi déterminants. C’est en effet une occasion formidable ! Il existe peu de sujets qui relient aussi clairement et aussi fortement la décision micro-économique – celle du citoyen –, les enjeux d’un modèle énergétique national et, avant lui, territorial et les enjeux du réchauffement planétaire.

Il est très rare que, au cours d’une même époque, doivent être définis les tenants et les aboutissants, les objectifs, le cadre, l’idéal à atteindre et le chemin pour y parvenir. Nous n’avons pas le droit de passer à côté. Je me réjouis de cette convergence entre le débat qui s’engage dans la société française, le débat parlementaire que nous devrons conduire lors de l’examen du projet de loi de programmation sur la transition énergétique et les prochaines échéances nationales et internationales tout à fait essentielles.

Le calendrier international est en effet très chargé.

Les 5 et 6 mai dernier, j’ai participé, à Rome, à la réunion des ministres de l’énergie du G7 avec trois autres ministres européens – italien, allemand et britannique. Tous les quatre, nous nous sommes entretenus en marge de cette réunion pour voir comment nos convictions nous permettraient de dépasser nos différentes bureaucraties, en nous accordant sur des perspectives claires qui puissent faire l’objet de débats au sein de nos représentations nationales respectives. Il s’agit surtout de rendre ces enjeux accessibles à tous les citoyens, afin qu’ils croient à la parole politique sur la question du modèle énergétique européen.

Les 5 et 6 juin prochain se tiendra, à Bonn, une convention sur le climat. Le Conseil Environnement aura lieu le 12 juin. Le Conseil européen des 26 et 27 juin sera l’occasion d’évoquer le fameux paquet énergie-climat et la sécurité énergétique. Le 16 juillet se déroulera le conseil informel des ministres de l’énergie au cours duquel il sera de nouveau question de ces enjeux. Les 26 et 27 juin sera organisée, à Nairobi, une réunion de l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement autour de sujets concernant les objectifs du développement durable, le climat, les espèces menacées. Le 23 septembre se tiendra à New York le sommet des Nations unies sur le climat.

Au mois d’octobre prochain est prévu un nouveau Conseil européen ; vous avez été plusieurs à l’évoquer, mesdames, messieurs les sénateurs. Il sera en effet décisif pour l’avenir de l’Europe de l’environnement. Bien évidemment, tous ces rendez-vous préparent la conférence Climat, qui aura lieu en 2015 à Paris.

Pour ma part, je me réjouis de voir le Sénat, c'est-à-dire la représentation nationale, se saisir de ces sujets. Il est très important que cette impulsion ait également lieu dans les parlements nationaux et que les exigences en cause soient débattues à l’échelon tant européen qu’international. Je salue donc votre initiative, et vous répète à quel point je me félicite de voir cette discussion trouver son prolongement dans l’examen du projet de loi de programmation que je vous présenterai.

Monsieur Dantec, au nom de votre groupe, vous m’avez demandé si l’engagement gouvernemental était ferme. Bien sûr, vous pouvez compter sur le Gouvernement, comme, je le sais, je peux aussi compter sur vous. La volonté gouvernementale est réelle, et la volonté de la représentation nationale est tout à fait essentielle ; elle est même indispensable.

Monsieur Lenoir, vous avez souligné l’importance des efforts qui doivent être consentis en faveur de l’innovation. Je vous rejoins sur de nombreux points,... (Marques d’étonnement sur les travées de l'UMP)

M. Roland Courteau. Pas sur tous !

Mme Ségolène Royal, ministre. … sauf peut-être sur un. Vous avez insisté sur le fait que la consommation d’électricité était une fatalité et allait augmenter, comme les prix, d’ailleurs. Nous n’avons rien à gagner à reproduire les discours des producteurs d’électricité, dans l’intérêt même de ces derniers.

M. Jean-Claude Lenoir. Je ne reproduis pas le discours des producteurs ! Je visais un rapport du Gouvernement !

Mme Évelyne Didier. Qui lui-même reproduit...

Mme Ségolène Royal, ministre. En tant que ministre chargée de l’énergie, je suis persuadée que l’augmentation de la consommation d’électricité n’est pas une fatalité et que nous devons nous battre pour en obtenir la diminution. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste)

Je considère également que la hausse du prix de l’électricité n’est pas non plus une fatalité.

M. Jean-Claude Lenoir. Il faut couvrir les coûts !

Mme Ségolène Royal, ministre. Ce prix doit aussi diminuer. C’est d’ailleurs tout le sens de cette révolution, de cette mutation, de cette transition énergétique.

Nous n’avons aucun intérêt à adopter la même attitude que la vôtre devant les producteurs d’électricité, monsieur Lenoir, car ils ne doivent pas avoir la certitude de voir le chiffre d’affaires et le carnet de commandes de leur entreprise augmenter automatiquement. Dans ces conditions, pourquoi se sentiraient-ils tenus de gagner en productivité, d’investir dans l’innovation, notamment dans le stockage de l’énergie ou les bâtiments passifs, autrement dit les bâtiments à énergie positive ? Et si de tels édifices existent déjà, il doit être possible d’en généraliser la construction. Les progrès enregistrés dans ce domaine nous permettent de croire à la baisse de la consommation d’électricité. Nous en débattrons d’ailleurs lors de l’examen du projet de loi de programmation sur la transition énergétique, que, j’espère, vous voterez, mesdames, messieurs les sénateurs.

Je pense aussi à la voiture électrique.

M. Jean-Claude Lenoir. C’est une consommation d’électricité supplémentaire !

Mme Ségolène Royal, ministre. Dès lors que l’on aura mis au point la pile à combustible qui se rechargera automatiquement ou le stockage de l’énergie, la baisse de la consommation d’électricité s’amorcera.

Par conséquent, nous devons déjà anticiper l’étape suivante, celle qui, grâce à des gains de productivité et à des innovations technologiques, permettra de diminuer la consommation d’électricité et, par conséquent, la facture d’électricité de nos concitoyens.

Si l’on dit aux Français, comme on l’entend trop souvent, que les énergies renouvelables coûtent cher – ce qui est faux, leur prix est en train de baisser de façon considérable –,…

M. Ronan Dantec. Très bien !

Mme Ségolène Royal, ministre. ... que le prix de l’électricité augmente, pourquoi feraient-ils un effort pour penser et pour consommer autrement ? Le politique doit user de sa force et déclarer aux producteurs d’électricité que le modèle vers lequel nous tendons, c’est celui d’une société sobre, qui n’offrira pas moins de confort, bien au contraire. C’est cela, la révolution énergétique ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

Mme Ségolène Royal, ministre. Qui plus est, cette société apportera le bien-être et plus de démocratie en permettant à chacun, par exemple grâce aux compteurs intelligents, de calculer sa consommation et de modifier ses comportements. C’est cela que nous devons inventer ensemble. C’est ce chemin qu’il nous faut tracer ensemble.

Monsieur Lenoir, vous avez aussi évoqué la question du nucléaire. Je répondrai globalement à tous les orateurs qui ont abordé ce sujet.

Mesdames, messieurs les sénateurs, jamais vous ne m’entendrez opposer les énergies les unes aux autres. Certains responsables politiques, notamment les écologistes, sont favorables à une sortie du nucléaire. J’estime cette position tout à fait respectable. Elle est même motivante, car elle oblige à prendre position, donc à susciter le débat, et à avancer un certain nombre d’arguments sur les problématiques soulevées.

Pendant très longtemps, le nucléaire était un sujet tabou. Personne n’osait en parler, parce que les décisions en la matière étaient centralisées : elles étaient prises au nom du peuple français, mais sans consulter le peuple français, ni même les élus.

Ainsi, les élus ont-ils été consultés à propos de la construction de la centrale de Flamanville et des investissements considérables que ce projet représente ?

Mme Ségolène Royal, ministre. Or on ne doit pas craindre le débat démocratique sur la question du nucléaire, bien au contraire.

Je prône non pas une sortie du nucléaire, mais l’intégration de cette énergie au sein du mix énergétique.

Je veux accélérer l’investissement non seulement dans le nucléaire du futur pour inventer la quatrième génération de centrales (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur les travées du RDSE.), mais aussi dans le démantèlement des centrales et obliger les producteurs d’énergie nucléaire à s’engager dans le mix énergétique.

En effet, pourquoi EDF s’engagerait-il à fond dans l’éolien offshore à l’étranger et pas en France ?

Aucune raison ne justifie que nos industriels, qui se prévalent de leur compétence en matière d’énergies renouvelables à l’étranger – et c’est tant mieux ! – ne procèdent pas aux mêmes investissements et ne déploient pas les mêmes efforts en France, sous prétexte que nous avons l’énergie nucléaire.

Mme Ségolène Royal, ministre. C’est rendre service à l’entreprise EDF que de lui tenir un tel discours.

D’ailleurs, l’État étant actionnaire d’EDF, il a aussi la responsabilité de déterminer des perspectives, dans le prolongement de ce que décidera la représentation nationale sur le mix énergétique et notre nouveau modèle énergétique.

Il faut non pas rester figé sur les choix du passé, mais au contraire essayer d’être visionnaire, et aider EDF à anticiper sur les mouvements très rapides des marchés étrangers. En effet, après la catastrophe de Fukushima, le marché international du nucléaire a profondément changé. Il nous faut aussi préempter, en quelque sorte, les marchés pour nos entreprises françaises sur le fondement d’un mix énergétique équilibré, sans opposer les énergies les unes aux autres. C’est ainsi que nous serons forts et que nous nous positionnerons pour le futur. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées de l'UMP.)