M. Ronan Dantec. C’était pour introduire un peu de dynamisme ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir. Mais enfin, laissez l’orateur parler ! (Sourires.)

M. Jacques Mézard. Vous savez bien, monsieur Lenoir, qu’ils ne le peuvent pas : leur idée doit s’imposer sur toutes les autres !

Il est regrettable que, sous des prétextes idéologiques, nous puissions nous mettre en situation de produire une énergie plus chère et plus polluante. Je parle, bien sûr, de la volonté de réduire la part du nucléaire dans notre mix électrique, de fermer Fessenheim et d’autres centrales. Cette énergie est pour notre nation un atout, qui doit être préservé, et même, à notre sens, développé.

L’avenir est électrique et le maintien du nucléaire en France constitue un avantage pour notre pays comme pour nos voisins européens, puisqu’il garantit un prix compétitif et une production décarbonée. Le nucléaire permet en effet à notre pays de profiter du mix électrique le moins carboné d’Europe, après celui de la Suède. La France émet ainsi entre cinq et six fois moins de CO2 par kilowattheure d’électricité produite que l’Allemagne.

Il est aussi essentiel – je l’ai souligné dans ma réponse à la déclaration du Premier ministre au Sénat, le 9 avril dernier – de développer la recherche pour le nucléaire et pour d’autres filières, en n’abandonnant aucune piste, qu’il s’agisse des réacteurs de quatrième génération ou des réacteurs au thorium.

Outre les raisons que je viens d’évoquer, c’est l’indépendance énergétique de la France et de l’Europe qui est en jeu, à l’heure où la Russie dispose d’une force de frappe incontestable sur les approvisionnements en gaz.

Par ailleurs, madame la ministre, la politique énergétique devrait être empreinte de plus d’équité. Je pense en particulier au renouvellement des concessions hydroélectriques. On ne peut imposer à certains États comme la France de renouveler ses concessions et en exempter d’autres ; cela n’est pas normal !

En tout état de cause, le développement des énergies renouvelables n’échappera pas à un certain nombre de chantiers, pour lesquels la coopération est indispensable. C’est le cas de la recherche portant sur les techniques de stockage de l’énergie, sur l’efficacité énergétique, sur les énergies renouvelables, en vue d’accélérer leur maturité. C’est aussi le cas de l’investissement dans le renforcement des réseaux de transport d’énergie, qui vise à intégrer les énergies renouvelables en toute sécurité, à absorber leur intermittence et à prendre en compte l’éloignement entre les lieux de production et les lieux de consommation.

En conclusion, madame la ministre, nous souhaitons bien sûr une concertation renforcée entre les États de l’Union, dans le cadre des structures européennes, mais cette concertation, si indispensable qu’elle soit à nos yeux, ne saurait en aucun cas se réduire à l’alignement de la France sur la politique de l’énergie allemande, qui est très contestable.

M. Gérard Longuet. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. Priorité à la recherche et à l’innovation : c’est la politique que nous souhaitons défendre ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC et de l’UMP.)

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Ronan Dantec et plusieurs orateurs l’ont déjà rappelé, les bouleversements climatiques et les enjeux énergétiques figurent parmi les défis majeurs, et les plus urgents, auxquels nous sommes confrontés.

Ces défis, la France ne peut évidemment les relever seule ; ils concernent la planète tout entière. L’Europe, d’ailleurs, a longtemps fait figure de pionnière en la matière. Il faut dire qu’elle avait toutes les raisons pour jouer ce rôle.

Tout d’abord, ces problématiques l’affectent au tout premier chef, le continent étant pris entre sa forte dépendance énergétique et la nécessité de préserver un climat exceptionnellement tempéré.

Ensuite, l’Union européenne profite d’un effet de masse que l’on pourrait croire suffisant pour influer utilement sur ses partenaires.

Enfin, c’est précisément sur ce type de dossiers, à la fois techniques et politiques, que la construction européenne s’est développée concrètement à la fin des années 1950.

On pouvait donc penser que l’Europe saisirait à bras-le-corps la multiplicité des enjeux croisés qui s’offraient à elle dans le domaine de l’énergie et du climat. L’échec du sommet de Copenhague de 2009 a pourtant très vite remis en cause les efforts que l’Europe avait commencé à déployer. C’est toute une dynamique qui s’est alors interrompue et avec laquelle nous n’avons toujours pas réussi renouer. Certes, des avancées non négligeables ont vu le jour, mais le seuil critique n’a pas été atteint, et une partie des acteurs qui s’étaient mobilisés pour une réelle prise en charge de ces questions à l’échelle internationale et européenne se sont découragés, tandis que les attentistes et les sceptiques en sont sortis renforcés.

La crise économique et financière a eu un double effet, tout à fait dramatique, sur les orientations stratégiques de nos États.

On a d’abord souhaité renouer au plus vite avec la croissance et l’emploi, en usant des recettes les plus classiques et sans trop se soucier d’en inventer d’autres, plus cohérentes avec les enjeux tant climatiques qu’énergétiques.

Ensuite, la recherche de la compétitivité à tout prix pour relancer les économies occidentales essoufflées a conduit à des choix énergétiques de court terme : la surexploitation de nos ressources naturelles finies et l’importation à tout-va de notre énergie, sans réel souci de rationalisation ou de sobriété. La facture énergétique de l’Europe a ainsi été multipliée par six en douze ans, pour atteindre pas moins de 488 milliards d’euros en 2011 !

Pour faire simple, je dirai qu’au nom d’une croissance productive classique et « court-termiste », dont nous attendons en vain le retour, nous sommes en train de dilapider notre « capital planète ».

Les bouleversements climatiques sont pourtant plus que jamais à l’œuvre : fonte accélérée des glaciers de l’Antarctique et du Groenland, réduction accélérée de la banquise arctique, multiplication de phénomènes météorologiques dramatiques, coûteux en vies humaines et lourds de conséquences économiques et sociales.

Tout se passe comme dans une réaction en chaîne mal maîtrisée : ces effets immédiats sur le climat conduisent non pas à une réorientation salutaire de nos choix stratégiques, mais, au contraire, à des décisions folles, fondées sur des raisonnements fantasmatiques !

Rapporteur pour la commission des affaires européennes sur la stratégie européenne pour l’Arctique, je note, à travers les très nombreuses auditions auxquelles je procède actuellement, que la dégradation accélérée du climat arctique, loin de provoquer des réactions salutaires, génère en effet un discours délirant et incroyablement irresponsable : « La banquise fond ? Formidable ! Nous allons pouvoir exploiter les ressources minérales, pétrolières et gazières contenues sous les eaux de cet océan vital ! Nous allons pouvoir tracer de nouvelles routes maritimes entre l’Asie, l’Europe et l’Amérique, en passant par le pôle Nord ! »

Tout comme la guerre peut parfois être, pour certains industriels, un moyen scandaleux de faire des affaires, la dégradation accélérée du climat en Arctique peut apparaître comme une superbe opportunité de business.

Au passage, c’est très mal connaître les réalités de l’Arctique, la fragilité de son écosystème, les conditions extrêmement difficiles et les risques qu’elles engendrent, les coûts particulièrement élevés de l’exploitation de ses ressources et les dangers de la navigation dans cette zone. Tout cela vaut même dans l’hypothèse d’une accélération du réchauffement climatique dans ce vaste espace, déjà deux fois et demie plus touché par le phénomène que le reste de la planète.

Mais l’économie mondialisée – c’est un de ses mécanismes principaux – fonctionne aussi sur des logiques archi-spéculatives, par lesquelles, au final, on privatise les bénéfices et on collectivise les pertes.

Les paradoxes succédant aux paradoxes, l’inquiétante crise russo-ukrainienne a eu au moins l’avantage de remettre la question énergétique sur le devant de la scène européenne. Depuis quelques mois, certains, y compris le Président de la République, appelaient de leurs vœux la formulation de politiques énergétiques européennes, allant même jusqu’à parler d’un « Airbus de l’énergie ». Ces propositions sont aujourd’hui relancées par la situation de l’Ukraine et le chantage au gaz russe.

Cependant, un point reste hautement problématique. Ces discours sur la souveraineté énergétique de l’Europe paraissent en effet de plus en plus déconnectés de la question du climat. On assiste à un véritable découplage entre ces deux thématiques, qui sont pourtant intrinsèquement liées.

L’énergie la moins chère, c’est celle que l’on économise. L’énergie la moins dangereuse pour le climat, c’est la moins carbonée. C’était tout le sens du fameux paquet énergie-climat mis en place par l’Union européenne en 2008, et qui, en dépit de ses limites, établissait clairement le lien entre ces différents aspects, tout en fixant des objectifs quantifiés, les fameux « 3x20 » : porter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique à 20 %, réduire les émissions de CO2 de 20 %, et réaliser 20 % de gains d’efficacité énergétique.

Depuis cette date, la situation globale s’est encore dégradée. Pourtant, le nouveau paquet énergie-climat proposé très récemment par la Commission européenne opère un recul sans précédent, qui s’inscrit dans la droite ligne de ce qu’espéraient le Royaume-Uni et la Pologne. En effet, les objectifs relatifs à l’efficacité énergétique ont disparu, ceux relatifs aux énergies renouvelables ne sont plus contraignants – ils ne seront donc pas respectés – et la perspective de réduction des émissions de gaz à effet de serre reste très modeste. Pourtant, dans ses dernières propositions, le Parlement européen réclamait, lui, des objectifs contraignants dans ces trois domaines.

Madame la ministre, il n’aura échappé à personne que votre ministère regroupe désormais, et c’est heureux, l’écologie et l’énergie. Nous vous savons très attachée à l’agrégation de ces deux problématiques. Malheureusement, force est de constater que nous assistons aujourd’hui à leur découplage presque total à l’échelon européen. Le risque est, au mieux, d’échouer dans l’un ou l’autre de ces deux domaines et, au pire – il est, hélas, le plus certain –, d’échouer dans les deux.

C’est pourquoi, madame la ministre, le groupe écologiste aimerait connaître les initiatives que le Gouvernement entend prendre, tant à l’échelle de l’Union européenne – et notamment auprès de la Commission européenne qui s’installera cet été – que dans le cadre du sommet qui se tiendra à Paris à la fin de l’année 2015, afin de relier à nouveau, et comme il se doit, ces deux politiques, fondamentales pour notre avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.

M. Jean-François Husson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le rapport du GIEC publié cette année confirme les tendances envisagées, pour certaines, dès les années 1950 et, pour d’autres, dans les années 1970.

En effet, pour la première fois depuis trois millions d’années, la concentration en gaz carbonique dans l’atmosphère a dépassé durant un mois en continu, le mois d’avril 2014, le seuil de 400 parties par million. Inutile de dire que la tendance au réchauffement global s’aggrave. Pour la limiter à 2 degrés Celsius, il faudrait, d’après le climatologue Hervé Le Treut, diviser par trois les émissions mondiales.

Et pourtant, que constate-t-on ?

L’Europe de l’énergie est en panne : les vingt-huit pays membres peinent à transformer leurs efforts individuels en une stratégie collective. Depuis l’accident de Fukushima, les patriotismes énergétiques ont repris du poil de la bête au sein de l’Union, avec l’accentuation de stratégies nationales divergentes. En Allemagne, par exemple, la production d’électricité des centrales thermiques à charbon a atteint, l’an dernier, son plus haut niveau depuis la réunification. En Lorraine, on a connu des pics de pollution importants, en mars et en avril derniers, dus pour une large part à une pollution de l’air importée.

Une fois n’est pas coutume, je vais citer une analyse pertinente tirée d’un grand quotidien national du soir : « L’on en est encore, après dix-sept ans de supranationalité, à chercher comment définir une politique commune de l’énergie […]. Pouvait-on faire plus en une génération ? […] Entre les ambitions excessives et les hypocrisies nationales, les historiens […] auront bien du mal à faire le partage ». Ce jugement peu optimiste date du 9 mai, non pas 2014, mais 1970 !

Aujourd’hui, un constat similaire pourrait être dressé : l’Europe repousse à plus tard les choix nécessaires en raison de dissensions internes. Si la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France décidaient d’avancer ensemble, elles pourraient peut-être sécuriser leurs décisions et se fixer collectivement des objectifs ambitieux.

La France, malheureusement, semble avoir baissé les bras. Il ne faut pourtant pas manquer l’occasion unique de lui conférer un rôle de leader dans la négociation internationale devant mener à la 21e Conférence des parties à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, ou COP 21, qui se tiendra à Paris en décembre 2015.

D’ailleurs, pour être crédibles lors de cette conférence et faciliter l’émergence d’un accord international accélérant la réaction face au dérèglement climatique, les chefs d’État européens doivent réaffirmer l’ambition d’une stratégie climatique européenne forte, en fixant dès à présent des objectifs réalistes de réduction des émissions de gaz à effet de serre de nature à faire remonter le prix du CO2 et donner ainsi un signal clair orientant nos choix énergétiques vers le bas carbone.

Alors que la France a un rôle de tout premier ordre à jouer sur le plan européen et international, les résultats ne sont pas à la hauteur.

Quelle ambition pour notre pays ?

Madame la ministre, vous souhaitez faire de la France l’une des premières puissances écologiques d’Europe. Vous misez sur la croissance verte et souhaitez en faire un formidable levier pour l’emploi, le pouvoir d’achat et le bien-être, objectifs que je partage.

Vous faites le pari du progrès économique, de la création d’emplois grâce à la croissance verte, de la social-écologie, du progrès écologique, un pari peut-être difficile à relever au regard des annonces non suivies d’effets depuis l’arrivée aux responsabilités de votre majorité, en 2012 !

Je ne vous ferai pas l’affront d’une liste exhaustive des annonces du Président de la République restées sans lendemain. Il a pourtant promis de suggérer aux partenaires une communauté européenne de l’énergie ; il en a parlé en 2012, en 2013… Et puis plus rien ! Il a évoqué un « Airbus de l’énergie » et proposé de faire de la transition énergétique le nouveau moteur de la coopération franco-allemande ; je me souviens des propos de Mme Batho en 2013.

Il faut certainement moins promettre pour mieux agir.

Car les renoncements se multiplient, hélas ! Le Gouvernement finit par détricoter les résultats pourtant tangibles obtenus à la suite du Grenelle de l’environnement.

J’y ai fait référence à propos de la loi de programmation sur la transition énergétique, maintes fois reportée. Vous souhaitez qu’elle soit votre « grande œuvre ». Vous prônez une loi qui « entraîne », qui « fasse bouger les choses d’en bas ». Il faut, dites-vous, « bousculer les résistances et les conformismes sur le terrain ». Comment croire que vous puissiez faire mieux que vos prédécesseurs ?

Les engagements pris jusqu’alors ont singulièrement manqué de cohérence. Comment, par exemple, lancer un plan de baisse ou de réduction de la place du nucléaire sans action réfléchie et partenariale autour des énergies renouvelables ?

Que dire du photovoltaïque en France, qui connaît une période de crise inquiétante ? La Cour des comptes note que le nombre d’emplois a été divisé par deux entre 2010 et 2012. Comment comptez-vous redonner du souffle à cette filière ?

Je prendrai un exemple tiré de mon département, la Meurthe-et-Moselle.

Mme Évelyne Didier. Très beau département !

M. Jean-François Husson. La communauté de communes de Badonviller, en zone rurale, a voulu requalifier une friche industrielle en centrale photovoltaïque. Le projet était créateur d’emplois, mais il n’a pu voir le jour, en raison des dispositifs de la Commission de régulation de l’énergie, qui avait privilégié le sud de la France.

J’ai vu que, dans votre région, madame la ministre, les choses bougeaient. Que proposerez-vous pour soutenir les projets locaux, et notamment pour permettre aux territoires ruraux, ces beaux territoires de France, de s’inscrire dans la dynamique de la transition énergétique ?

Que dire de la méthanisation ? Aujourd'hui encore, on rencontre trop souvent dans nos territoires des obstacles liés à l’injection du biogaz dans les réseaux. J’ai en tête l’exemple d’un beau projet dans l’agglomération de Nancy, avec une grande entreprise, qui rencontre aujourd'hui bien des difficultés.

Il n’est, me semble-t-il, pas acceptable que les actions entreprises par les gouvernements de gauche fassent si souvent rimer l’écologie avec des contraintes ou des taxes supplémentaires. Je prendrai deux exemples.

Le premier, c’est la labellisation « reconnu garant de l’environnement », ou RGE, qui conditionne les aides liées au crédit d’impôts ou les certificats d’économie n’énergie. Cela va fortement contraindre les artisans, qui ne disposent pas toujours des informations nécessaires.

Le second, c’est l’écotaxe. Le Gouvernement semble y avoir perdu son latin, alors que les transporteurs ont fait connaître un dispositif susceptible de donner satisfaction à tout le monde : Écomax.

Donnons-nous véritablement les moyens d’une vraie politique de maîtrise énergétique. Arrêtons la cosmétique et positivons les enjeux de la transition énergétique !

Je m’en tiendrai à deux propositions.

La première porte sur les certificats d’économie d’énergie, les CEE.

Je ne reviendrai pas sur les conséquences regrettables des atermoiements de vos prédécesseurs, qui nous ont menés à une période de transition pénalisant en fait tout le monde.

J’insisterai en revanche sur les lourdeurs et blocages administratifs, qui sont inadmissibles. Pour le Grand Nancy, seule collectivité à s’être engagée dans une démarche de mutualisation des certificats d’économie d’énergie avec l’ensemble des habitants, des associations, des entreprises et des bailleurs sociaux, les blocages avec le pôle national ne sont plus acceptables. Sachez que les dossiers de la fin de l’année 2012 viennent enfin – c’était il y a quelques jours, mais j’espère qu’il n’y a pas, avec ce débat, de lien de cause à effet – d’être soldés. Quinze mois de délai, ce n’est pas acceptable ! C’est de l’argent qui dort alors que notre pays a besoin de toutes les liquidités et une économie dynamique ! Surtout dans un contexte où les dotations aux collectivités locales s’effondrent et où nos concitoyens ploient sous le fardeau de l’impôt.

Madame la ministre, je vous propose d’imaginer une forme de validation automatique. Les CEE pourraient ainsi, un peu à l’instar des permis de construire, être validés automatiquement dans un délai de trois mois en l’absence de réponse.

Pour introduire ma deuxième proposition, je souhaite rappeler que la politique énergie-climat ne peut pas faire l’impasse sur la qualité de l’air. Ce précieux indicateur est aussi un repère pour nos politiques publiques nationales, européennes et internationales. Nous connaissons le diagnostic de l’Organisation mondiale de la santé : près de 7 millions de personnes seraient décédées prématurément en 2012 du fait de l’exposition excessive à la pollution de l’air. Ces chiffres confirment que la pollution de l’air est désormais le principal risque environnemental pour la santé dans le monde.

Dans l’évaluation des politiques publiques, imposons le thermomètre « air ». Nous avons aujourd'hui, en France, les moyens d’évaluer avec les associations de surveillance de la qualité de l’air. Tout est prêt ; n’attendons pas.

J’en arrive à ma conclusion.

L’enjeu de la prochaine consultation démocratique européenne, dans quelques jours, aurait dû être de convaincre nos concitoyens de la nécessité de refonder ensemble, par-delà les différences locales et nationales, les bases d’une économie européenne, comme en 1951, lors de la signature du traité instituant la CECA, sur cette grande révolution énergétique : tirer les justes bénéfices d’une volonté collective de lutter contre le changement climatique, objectif que l’Europe aura – faut-il le rappeler ? – été la première à ériger en priorité.

La construction d’une politique européenne de l’énergie est non plus une option, mais un devoir. L’enjeu n’est ni plus ni moins que la reprise en main par l’Union européenne de son destin énergétique et, in fine, économique et stratégique. Madame la ministre, la France se doit d’être à la hauteur de ce formidable défi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Chantal Jouanno applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille.

Mme Delphine Bataille. La politique énergétique a déjà fait l’objet de plusieurs débats dans notre hémicycle. C’est sans doute le signe d’une certaine impatience concernant le projet de loi à venir sur la transition énergétique. J’espère que vous allez nous rassurer, madame la ministre.

Ce débat se place dans le cadre européen. L’Europe joue en effet un rôle majeur face aux défis environnementaux et énergétiques auxquels sont confrontées l’ensemble des nations. Elle s’est engagée à plusieurs reprises dans les négociations internationales sur le climat et a adopté en 2008 le paquet énergie-climat, qui s’est traduit par l’objectif dit des « 3x20 » à l’horizon 2020. Elle se situe aujourd’hui au premier rang mondial de la lutte contre le changement climatique puisqu’elle est la seule zone du monde à avoir sensiblement réduit ses émissions de gaz à effet de serre, qui ont diminué de 18 % de 1990 à aujourd'hui, et à respecter ses engagements au titre du protocole de Kyoto.

Sur ce plan, il faut le souligner, la France reste la bonne élève de la classe européenne. Deuxième pays le moins émetteur de CO2 derrière la Suède, la France se situe parmi les économies industrialisées les plus performantes, en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, en raison notamment de son parc nucléaire et de sa production hydroélectrique.

Mais les défis auxquels sont confrontés les États membres de l’Union européenne restent colossaux. En dépit d’une évolution favorable, ces pays, dont la France, tout comme l’ensemble des pays du monde, sont encore très dépendants des combustibles fossiles, qui provoquent les deux tiers des émissions de gaz à effet de serre. Cette dépendance mondiale est croissante sous l’effet conjugué de la dynamique démographique et du développement des pays émergents.

Le monde n’est donc pas en voie d’atteindre les objectifs sur lesquels les gouvernements se sont accordés pour limiter la hausse de la température moyenne mondiale à 2 degrés Celsius. Selon le dernier rapport du GIEC, les politiques climatiques visant l’objectif des 2 degrés doivent prévoir des réductions bien plus importantes des émissions de dioxyde de carbone.

En France, comme à l’échelle mondiale, ces énergies fossiles, dont nous ne disposons pas dans notre sous-sol, continuent d’occuper une place prépondérante. Ainsi, malgré une baisse de notre consommation finale d’énergie, notre facture énergétique représente plus de 80 % du déficit commercial, à hauteur de 61 milliards d’euros en 2013. Cela concerne d’abord le pétrole, mais aussi le gaz, le secteur des transports étant le premier utilisateur.

Au triplement du prix du pétrole brut enregistré ces dernières années et à notre faiblesse énergétique structurelle s’ajoutent les problèmes de sécurité d’approvisionnement, mis en évidence, notamment, par la crise ukrainienne.

Les préoccupations environnementales partagées à l’heure actuelle par la majorité et ce contexte de dépendance énergétique conditionnent les choix stratégiques des États membres de l’Union européenne, qui sont, dans tous les cas, interdépendants sur les questions de production et de consommation d’énergie.

Cependant, bien qu’ils s’accordent sur la nécessité d’engager une transition vers un système durable compatible avec les défis économiques et environnementaux, les processus choisis par les gouvernements européens sont différents.

La France a fait le choix du développement des énergies renouvelables avec un nucléaire plus sûr. Cette stratégie permet de maximiser la réduction de nos émissions de CO2 et de répondre à la demande à un coût et à des conditions socialement acceptables.

La réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité « de 75 % à 50 % à l’horizon 2025 en garantissant la sûreté maximale des installations et en poursuivant la modernisation de notre industrie nucléaire » constitue l’un des engagements forts du Président de la République.

Même si cet objectif semble aujourd’hui hors d’atteinte, la progressivité de cette démarche doit, comme le soulignait un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques en 2011, laisser du temps à l’innovation technologique, notamment pour le stockage de l’énergie produite par des éoliennes ou des panneaux solaires. La part restante d’énergie nucléaire de quatrième génération devrait, quant à elle, procurer à la France un socle d’indépendance énergétique.

À titre de comparaison, l’Allemagne – j’ajouterai à mon tour, dans ce débat, un couplet sur ce pays – a engagé un processus de transition énergétique qui prévoit notamment l’abandon du nucléaire. En conséquence, le mix énergétique allemand reste très largement dominé par les énergies fossiles et nos voisins émettent toujours beaucoup plus de gaz à effet de serre que la France. (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.)

Il est probable que la production nucléaire manquante ne pourra pas être compensée par des énergies renouvelables d’ici à 2022. Cela engendrera à coup sûr une augmentation sensible des importations d’énergie de l’Allemagne.

Aujourd’hui, le processus accéléré de sortie du nucléaire a été compensé par la construction de centrales au charbon et au lignite, mais qui sont sources d’effet de serre et de réchauffement climatique.

M. Bruno Sido. Eh oui !

Mme Delphine Bataille. De plus, l’arrêt des centrales allemandes s’accompagne d’une dépendance accrue au gaz russe, de l’importation d’énergie nucléaire française et d’une flambée des prix de l’électricité pour les consommateurs. D’ailleurs, ce phénomène participe aujourd’hui à la remise en cause par l’Allemagne de ses propres choix énergétiques.

De son côté, le mix énergétique de la Pologne, chef de file des pays d’Europe orientale, est assez édifiant ! Dans ce pays naturellement riche en charbon, 86 % de l’électricité est produite à partir d’énergies fossiles. Aussi, bien qu’ayant ratifié le protocole de Kyoto, la Pologne s’oppose systématiquement aux objectifs ambitieux fixés par les autres membres.

Dans ce contexte, les conclusions du sommet énergie-climat adoptées le 21 mars dernier ont dévoilé une Europe divisée, notamment sur le calendrier d’adoption de nouveaux objectifs climatiques.

L’objectif privilégié par la Commission, et soutenu par la France, de réduction des gaz à effet de serre à hauteur de 40 % à l’horizon 2030 ne fait pas consensus.

Si les énergies renouvelables doivent, à l’évidence, jouer un rôle croissant dans le mix énergétique des pays européens, elles ne peuvent se substituer à court terme aux énergies fossiles.

Le débat ne peut donc pas porter uniquement sur la composition du mix énergétique et le développement des énergies renouvelables, qui soulèvent encore beaucoup d’oppositions parmi les États membres.

La recherche de l’efficacité énergétique et la mise en œuvre de mesures favorisant les économies d’énergie doivent être intégrées à la stratégie de l’Union, de même qu’un plan de réduction de la dépendance permettant de garantir la sécurité énergétique de l’Europe, selon la volonté des États membres.

Par ailleurs, les contraintes économiques et financières imposent une approche raisonnée en termes de mix énergétique. Des investissements très importants et des efforts en matière de comportement, de développement des infrastructures et de recherche seront nécessaires, quel que soit le scénario énergétique choisi.

L’amélioration de l’isolation des bâtiments et des économies d’énergie réalisées dans ce secteur représente un bon pari. Toutefois, il faut réfléchir au coût consécutif, car un plan d’économies d’énergie en l’espèce supposerait, pour la France, une dépense de près de 1 000 milliards d’euros – vous avez bien entendu ce chiffre vertigineux, madame la ministre, mes chers collègues –, soit trois fois le coût du renouvellement d’ici au milieu du siècle du parc nucléaire.

L’énergie et le climat sont, comme la transition énergétique, des questions complexes, qui ne peuvent être considérées du point de vue de leurs seuls effets écologiques. Si la réduction de la consommation d’énergie et la lutte contre le réchauffement climatique constituent des enjeux majeurs, nous devons également prendre en considération la dimension économique, la lutte pour l’emploi et la réduction des déficits publics.

La question posée aujourd’hui, madame la ministre, compte tenu des divisions, est de savoir si le compromis ambitieux proposé par la Commission au mois de mars dernier sera d’abord confirmé par le Conseil européen qui se tiendra au mois de juin puis validé définitivement au mois d’octobre.

La conférence de Paris sur le climat en 2015 nécessite de fait qu’un accord soit trouvé le plus vite possible. Elle doit déboucher sur un premier accord mondial engageant les grandes puissances, États-Unis, Chine, Russie, Inde, ainsi que l’ensemble des pays en développement ou émergents, tels que le Brésil. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE et de l'UMP.)