Mme Évelyne Didier. « Les régions ultramarines auront également à faire face à ce réchauffement avec des conséquences spécifiques – risque d’intensification des cyclones tropicaux les plus violents, acidification de l’océan qui rendra encore plus fragile la survie d’écosystèmes liés à certains récifs coralliens. » Sans parler de toutes les conséquences sociales, que je ne peux décliner ici.

J’en profite pour rappeler l’initiative de notre collègue Paul Vergès, qui a attiré l’attention du président de la commission du développement durable et va prochainement solliciter les groupes politiques du Sénat afin de proposer une démarche visant à faire prendre conscience de l’importance de nos régions ultramarines, en particulier de la problématique spécifique des îles. J’espère que tous les groupes de notre assemblée soutiendront cette initiative.

Après l’échec de nombreux sommets consacrés à la question, parfois en raison du faible champ d’application de l’effet contraignant des objectifs – Kyoto concernait environ 15 % des émissions mondiales –, la Conférence de Paris de 2015 ne doit pas, ne peut pas être un rendez-vous manqué.

Or, en mars dernier, l’Union européenne n’a pas pu aboutir à une décision formelle visant à construire un accord ambitieux, équitable et juridiquement contraignant. En effet, si la Commission a retenu des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, elle n’a pas posé d’objectifs en termes d’efficacité énergétique ou d’énergies renouvelables.

Lors de son audition devant les commissions du développement durable et des affaires économiques du Sénat, Nicolas Hulot a expliqué que le Royaume-Uni en avait fait « une ligne rouge afin de laisser ouverte l’hypothèse d’un retour aux énergies fossiles conventionnelles ». Ainsi, l’Allemagne produit déjà de l’électricité à partir de son lignite, mais d’autres pays se réservent le droit de revenir à de telles solutions.

Bien sûr, la priorité demeure la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais l’on ne peut ignorer les divergences entre les pays membres, qui protègent d’abord leurs propres intérêts.

Comment les Européens vont-ils être en mesure de porter un projet ambitieux dans le cadre onusien s’ils renoncent déjà individuellement à une partie des objectifs ? Ce sera tout l’enjeu du travail que vous devrez mener, madame la ministre, avec quelques-uns de vos collègues. Ce sera d’autant plus crucial que la réduction des gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici à 2030 par rapport à l’année de référence, à savoir 1990, apparaît comme un seuil minimal pour qu’une décrue de 85 % soit enregistrée en 2050.

Par ailleurs, le marché européen de crédits carbone, présenté comme un outil dans la lutte contre le changement climatique, a montré ses limites. Je dirai même, au vu des chiffres, que c’est un flop ! Le marché est-il l’outil qu’il nous faut ? Je n’en suis pas certaine. D’un point de vue idéologique, nous l’avons toujours dit, il est critiquable puisqu’il acte un droit à polluer. D’un point de vue technique, il souffre d’inefficacité en raison notamment du surplus des quotas alloués.

Enfin, bien que le Parlement européen ait, dans le cadre du paquet énergie-climat, voté des engagements contraignants en matière d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique, cette solution n’a pas été retenue : la Commission propose 27 % d’énergies renouvelables au sein de l’Union européenne, mais cet objectif repose sur la bonne volonté des États.

Lors de votre audition, madame la ministre, vous nous avez dit votre volonté, dans le cadre du Conseil des ministres européens de l’environnement du 12 juin et du Conseil des ministres de l’énergie du 13 juin, de « tirer tous les États membres vers le haut afin de trouver le mix énergétique le plus efficace et le plus susceptible de lutter contre le réchauffement climatique ». J’espère que vous serez entendue. En tout cas, nous saluons cette volonté, car il importe, selon nous, de parvenir à créer une véritable politique de l’énergie européenne à travers une planification écologique.

Les États doivent se réengager dans l’avenir de leur filière industrielle énergétique. C’est dans ce sens que nous portons l’exigence de filières relocalisées, notamment en ce qui concerne la filière photovoltaïque, qui est une filière d’avenir.

M. Jean Desessard. Exactement !

Mme Évelyne Didier. C’est également dans ce sens que nous nous opposons résolument à la mise en concurrence et à la privatisation des concessions hydroélectriques, qui constituent en France la première source d’énergie renouvelable non intermittente. Celles-ci figurent parmi nos avantages compétitifs, il convient de le souligner.

Le mix énergétique ne peut se faire indépendamment du niveau de maturité des différentes technologies ; la recherche et l’innovation sont donc essentielles. La recherche sur le stockage de l’énergie avance, même s’il reste beaucoup de progrès à réaliser ; le stockage peut constituer un saut technologique de nature à faire modifier sérieusement la donne. Je pense ici à la plateforme expérimentale MYRTE, projet de stockage d’énergie hydrogène développé par Areva, le laboratoire de sciences pour l’environnement de l’université de Corse et le Commissariat à l’énergie atomique, mais aussi à des expériences qui sont menées dans certains territoires.

Enfin, je voudrais aborder la question du financement.

Au niveau supranational, le financement est un élément clé de la réussite d’un accord. Le ministre des affaires étrangères, lors de son audition au Sénat, a affirmé sa volonté d’obtenir, avant la fin de l’année 2014, une capitalisation ambitieuse du fonds vert pour le climat, afin de rendre cet instrument opérationnel – c’est un point important, notamment dans le dialogue entre l’Union européenne et l’Afrique. Il a précisé qu’il était prévu de lui affecter une part significative du produit de la taxe sur les transactions financières – c’est, vous le savez, un type de taxe auquel nous sommes très attachés –, soit un montant de 100 milliards de dollars par an.

Des efforts devront être consentis en faveur du fonds d’adaptation et du fonds pour les pays les moins avancés. Tous les États doivent donc s’engager de façon différenciée à tenir des objectifs clairement définis. Surtout, les pays riches et industrialisés doivent très fortement aider et accompagner les pays les plus en difficulté, notamment par des transferts de technologie.

Au niveau national, la transition énergétique a également un coût, qui ne doit pas reposer sur nos concitoyens. Par ailleurs, il est nécessaire de dresser le bilan du coût de la libéralisation du secteur, afin de trouver des solutions financières pérennes en faveur des investissements dans la production, la distribution, le transport et la recherche.

Enfin, les savoir-faire, l’indépendance stratégique de l’Europe en matière énergétique passent, selon nous, par la constitution d’un pôle public de l’énergie – c’est notre spécificité –, par une association étroite des citoyens et des salariés dans la construction de la politique énergétique de demain.

Mes chers collègues, l’Europe aura une lourde responsabilité dans les négociations prochaines. Nous saluons la volonté exprimée par le Gouvernement d’aboutir, dans le cadre de la Conférence de Paris, à un accord contraignant et ambitieux, mais beaucoup de choses restent à écrire.

Pour conclure, je dirai que la lutte contre le changement climatique demande de la volonté, de la méthode, mais aussi des moyens, ce qui sera sans doute compliqué au regard des politiques d’austérité qui sont mises en œuvre. Elle implique une mobilisation sans précédent qui fasse vivre de véritables coopérations et solidarités à l’échelle du monde. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste, du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Chantal Jouanno applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, est-il exagéré de considérer que le sort du monde se joue en partie aujourd’hui dans la capacité des pays, des villes et des territoires à se mobiliser dans la lutte contre le changement climatique ?

Les dégâts survenus un peu partout en France, en Europe et dans le monde à la suite des inondations, ouragans, canicules, sécheresses et autres catastrophes climatiques ont démontré la vulnérabilité des sociétés humaines face à la force de la nature lorsque ces sociétés vivent dans le déni de l’environnement.

Notons que le changement climatique est d’ores et déjà une réalité en Europe et dans le monde. Le mal est déjà fait, en partie du moins. Agissons donc pour qu’il n’y ait pas d’aggravation.

Nous avons deux obligations : d’une part, réduire les émissions de gaz à effet de serre – c’est l’un des engagements européens ; d’autre part, anticiper les conséquences sur l’environnement et les modes de vie, autrement dit évaluer les impacts possibles, prévoir les adaptations et les coûts associés. C’était d’ailleurs l’objet de l’une de mes propositions d’étude, qui est restée sans suite.

L’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique évalue le déficit en eau en 2050 à quelque 2 milliards de mètres cubes. Le coût des dommages aux logements lié à l’aléa retrait-gonflement des sols argileux pourrait être multiplié par 3 à 6. Les risques côtiers liés à la montée du niveau des mers pourraient coûter jusqu’à 15 milliards d’euros d’ici à 2100 en Languedoc-Roussillon du fait de la destruction de logements. Nous savons que, selon certains scénarios, si rien n’est fait, Paris pourrait connaître en 2100, un climat comparable à celui de Cordoue actuellement.

Enfin, un récent rapport estime que, d’ici à 2030 ou à 2040, le monde devra dépenser 200 milliards d’euros par an pour s’adapter à ce changement climatique.

Mais le sort de la planète n’est pas uniquement l’affaire des gouvernements, même si le rôle de l’État et de l’Union européenne est d’impulser, de programmer, de fixer des objectifs et d’aider financièrement à les atteindre. Nous devons tous être acteurs du développement durable : Europe, gouvernements, collectivités territoriales, associations, partenaires socio-économiques, citoyens.

Pour nos populations, hélas, trop souvent, l’énergie va de soi ! Il y a toujours de l’essence à la station, de l’électricité dans chaque prise de courant, du gaz à la cuisine et dans la chaudière… Bref, l’énergie est tellement banale qu’on la gaspille sans s’en rendre compte.

M. Roland Courteau. Pourtant, l’ampleur des bouleversements environnementaux nous impose de révolutionner notre mode de consommation énergétique et de croissance. On dit que la terre est en danger. Non ! La terre en a vu d’autres depuis quatre milliards et demi d’années ! Ce qui est en danger, c’est l’humanité et la biodiversité, qui sont fragiles et risquent de ne pas survivre aux changements que nous-mêmes provoquons !

Voilà qui doit nous inciter à passer d’une société fondée sur une consommation abondante d’énergies fossiles à une société plus sobre et écologiquement responsable. C’est ce que nous nommons la « transition énergétique », qui est une priorité pour la France – et je vous en félicite, madame la ministre –, comme elle devrait l’être pour l’Europe.

Il n’y a pas de meilleure réponse à l’évolution massive de la demande en énergie, à la raréfaction des ressources naturelles et à l’augmentation du prix de l’énergie, qui pèse sur la compétitivité des entreprises et sur le pouvoir d’achat des ménages. Il n’y a pas de meilleure réponse à la facture énergétique de la France, qui dépasse 66 milliards d’euros. Il n’y a pas de meilleure réponse à la précarité énergétique. Il n’y a pas de meilleure réponse dans cet environnement mondial tourmenté par les accidents climatiques. Il n’y a pas de meilleure réponse dans un monde plein d’incertitudes géopolitiques ; je pense au Moyen-Orient, à l’Iran et à tant d’autres.

Face à ces incertitudes, face à ces menaces, face aux dérèglements climatiques, une seule certitude : nous devons aller vers un changement profond de nos comportements, de nos modes de consommation, de nos modes de vie, de nos habitudes.

En fait, il s’agit de construire un nouveau modèle français et européen. Nous sommes donc invités à promouvoir une pédagogie de la sobriété et de l’efficacité énergétique en France et en Europe.

Faut-il rappeler une fois encore que le secteur des transports émet chaque année 132 millions de tonnes de CO2 ? À l’échelle de l’Union européenne, les émissions de CO2 de ce même secteur s’élèvent pour les cinq premiers mois de l’année à 366 millions de tonnes ! Il est donc urgent de diversifier le mix énergétique des transports, et je sais que vous y travaillez, madame la ministre.

Par ailleurs, comment ignorer que le chauffage des bâtiments représente 45 % de notre consommation d’énergie ? Il y a trop de logements passoires, trop de bâtiments passoires, y compris au sein du parc public. En nous attaquant à la rénovation thermique des logements passoires, nous touchons peut-être au cœur même du problème.

À cet égard, je tiens à aborder la question de la précarité énergétique en France. Certes, la loi du 15 avril 2013 permet d’étendre le bénéfice des tarifs sociaux de l’énergie à 4 millions de ménages et la trêve hivernale protège les familles les plus fragiles. Je formulerai toutefois une remarque : les tarifs sociaux ne concernent que les personnes se chauffant au gaz ou à l’électricité, et je souhaite que l’on réfléchisse à une aide destinée à ceux qui se chauffent au fioul ou au bois.

Cela étant, l’autre manière de combattre la précarité énergétique consiste à livrer bataille aux logements passoires – j’y reviens – en France et en Europe. Et c’est bien cette bataille de la rénovation thermique de l’existant que nous devons livrer et gagner.

Il y a là un impératif à la fois environnemental et social, car ce sont souvent des personnes de condition modeste qui vivent dans ces logements passoires. Cela permettra en outre de réduire notre « ardoise » auprès des pays qui nous vendent pétrole et gaz. Il s’agit enfin d’un bon moyen de relancer l’activité des métiers du bâtiment et, donc, de créer des emplois.

La voie montrée par la France, dont l’objectif est de rénover 500 000 logements par an, mérite d’être saluée.

Il est également nécessaire de parier sur les énergies renouvelables, qu’il s’agisse des énergies marines, de l’énergie hydrolienne, de l’énergie marémotrice, de l’énergie thermique, des biocarburants de deuxième et troisième génération – notamment à partir des micro-algues… Se trouvent là des champs d’action gigantesques pour l’Union européenne et la France. N’oublions pas non plus l’hydraulique, mais je vais y revenir.

Comme le temps me manque, je veux simplement rappeler qu’au cours de notre histoire chaque révolution industrielle s’est appuyée sur le déploiement d’une source d’énergie : la première révolution industrielle sur le charbon, la deuxième sur le pétrole ; la troisième s’appuiera, j’en suis convaincu, mes chers collègues, sur les énergies renouvelables.

M. Roland Courteau. Toutefois, je veux insister sur le nouveau système d’aides d’État en matière d’énergie prôné par la Commission européenne. Ces dispositions, qui devraient entrer en vigueur prochainement, ne sont pas sans m’inquiéter vivement : fin des tarifs d’achat, appels d’offres obligatoires, ventes directes sur les marchés… Je m’inquiète des conséquences de telles mesures sur les politiques énergétiques et climatiques à moyen terme, ainsi que sur la tenue des objectifs à l’horizon 2020.

Je revendique le droit des États à déterminer leur propre bouquet énergétique, conformément aux termes de l’article 194 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Je redoute que de telles initiatives de la Commission ne restreignent la capacité des États à déterminer leur politique énergétique nationale.

Je reviens à l’échelon national pour relever qu’en 2012 la production d’énergies renouvelables a atteint 88 terawattheures, portant leur part à 16 % du mix énergétique. Nous sommes donc encore loin des 23 % à atteindre en 2020, d’autant que la baisse des demandes de raccordement à l’éolien est de 30 % au premier trimestre 2014. Il faudra donc accélérer les procédures et éviter les contre-signaux trop nombreux que nous avons connus par le passé.

Pourquoi faudrait-il jusqu’à six ou huit ans pour développer un parc éolien en France – contre deux à quatre ans en Allemagne – et trois ou quatre ans pour mettre en place un parc photovoltaïque ?

Certes, nous avons assoupli le cadre réglementaire pour bénéficier du tarif d’achat – suppression des zones de développement de l’éolien et de la règle des cinq mâts – et donc libéré nombre de projets. Pourtant, le rythme des installations en France doit s’accélérer. Le mouvement de simplification doit donc se poursuivre, qu’il s’agisse du mécanisme de l’autorisation unique, en cours de discussion, ou de l’allégement du cadre juridique du raccordement.

J’ajouterai que le bois-énergie, dans ses déclinaisons pour les collectivités et les activités industrielles, est une filière d’excellence sur les plans énergétique et environnemental. Voilà un gisement largement inexploité en France, pays où la forêt croît chaque année de 125 millions de mètres cubes sur 48 000 hectares. Or nous n’exploitons que 50 % de ce volume supplémentaire !

Concernant l’hydroélectricité, je ne suis pas favorable au renouvellement rapide des concessions hydroélectriques. Que je sache, la mise en concurrence ne va pas accroître le débit des rivières ni la production des barrages.

Mme Évelyne Didier. Très bien !

M. Roland Courteau. L’ouverture à la concurrence constitue une solution prématurée et ressemble à un bradage de notre patrimoine.

Mme Évelyne Didier. Tout à fait !

M. Roland Courteau. Pourquoi seule la France devrait-elle ouvrir l’hydroélectrique à la concurrence, et ce en l’absence de réciprocité avec les autres États membres ? (Mme Évelyne Didier applaudit.) Certains oublient trop facilement que les barrages constituent des biens publics nationaux, financés par les consommateurs français.

Autant de questions qui nous ont amenés à déposer, voilà peu, une proposition de loi visant à porter à quatre-vingt-dix-neuf ans la durée des concessions. Madame la ministre, nous aiderez-vous dans cette voie ?

Avant de conclure, je dirai d’une manière plus générale que, pendant longtemps, l’Union européenne s’est reposée sur la croyance selon laquelle l’ouverture des marchés de l’énergie serait la réponse suffisante à tous les problèmes. Aujourd’hui, l’échec de cette stratégie est patent et il n’existe toujours pas de véritable politique commune de l’énergie. Les choses commencent toutefois à bouger puisque la France s’est engagée, depuis 2012, en faveur d’une véritable politique volontariste européenne de l’énergie qui ne se réduise pas à l’achèvement du marché intérieur de ce secteur.

Notre ambition, et je sais qu’elle est ici largement partagée, notamment par vous, madame la ministre, est de créer un cercle vertueux liant efficacité énergétique, performance environnementale, relance économique, création d’emplois et lutte contre la précarité.

En cela, madame la ministre, vous avez notre total soutien. Car l’heure est grave ! Mais comme l’écrivait Friedrich Hölderlin, « là ou croît le péril croît aussi ce qui sauve ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE. – Mme Chantal Jouanno applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les êtres humains sont de plus en plus nombreux et de plus en plus consommateurs d’énergie. Ils consomment toutefois cette énergie de manière inégale. Ce dernier élément est en fait au cœur de l’équation à résoudre, mais c’est sans doute parce qu’il est trop rarement pris en compte qu’on a tant de mal à la résoudre.

La priorité, ce doit être la recherche et l’innovation : je rejoins en cela notre collègue Jean-Claude Lenoir, dont j’ai apprécié la brillante intervention.

Dans un contexte d’échec persistant des négociations climatiques internationales, l’Union européenne a décidé d’agir en adoptant le paquet énergie-climat en 2009, avec un triple objectif à l’horizon 2020, c'est-à-dire très bientôt : une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990, une amélioration de 20 % de l’efficacité énergétique et une part de 20 % des énergies renouvelables dans notre consommation finale.

Ces objectifs ont été adaptés au sein de chaque État membre et la souveraineté nationale s’exerce en matière de politique énergétique. Il demeure toutefois utile – c’est même indispensable – de coopérer pour essayer d’assurer la cohérence globale du système énergétique européen, surtout face au constat de plus en plus évident d’orientations très dissemblables selon les États. La comparaison entre l’Allemagne et la France a déjà été faite au cours de ce débat…

Le premier objectif – partagé sur toutes les travées de cette assemblée –, qui a trait à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, peut être atteint. Certains résultats sont d’ailleurs assez positifs et méritent d’être soulignés : il suffit de lire le rapport de la Cour des comptes à ce sujet pour constater que nous avons bien progressé en la matière.

La proposition de la Commission européenne en vue du prochain paquet énergie-climat fixe un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici à 2030, soit un effort deux fois plus important dans un même laps de temps, ce qui requiert la mise en place en urgence d’une stratégie clairement définie.

Sur le deuxième objectif, qui concerne l’efficacité énergétique, la coopération mériterait de s’exercer. Le chemin à parcourir est encore long dans le secteur des transports, lequel représente, très dépendant qu’il est aujourd'hui du pétrole, le premier poste d’émissions de gaz à effet de serre. Si les efforts sur les véhicules du futur – je sais que vous y êtes attachée, madame la ministre – sont inégaux selon les États européens, la France accuse, force est de le constater, un retard dommageable, en particulier en matière de véhicules à hydrogène et de déploiement de bornes de recharge de véhicules électriques.

Mme Chantal Jouanno. Notamment au Sénat !

M. Jacques Mézard. Pour nous, l’hydrogène doit devenir un vecteur essentiel de la transition énergétique. Or les choix des constructeurs automobiles français sont très discutables et inquiétants pour l’avenir. L’excellent rapport de MM. Pastor et Kalinowski a bien mis en évidence à la fois cette constatation et les efforts qui devant être menés pour obtenir des progrès ainsi que des innovations.

Dans le secteur de l’industrie, l’Europe a mis en place le mécanisme d’échange de quotas de gaz à effet de serre pour les grandes installations. Pour l’instant peu efficace, ce mécanisme est en échec : le prix du quota de CO2 ne peut être régulé et sa chute considérable, comme l’a rappelé notre collègue Lenoir, rend le dispositif peu incitatif – c’est un euphémisme !

De même, les projets de captage et de stockage du CO2 ont été pénalisés par le faible prix du carbone et sont devenus peu rentables.

S’agissant de l’objectif relatif à la part d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie, le plan d’action nationale en matière d’énergies renouvelables a porté ce dernier objectif à 23 % pour la France. Nous le savons, il sera compromis en raison des retards pris par cette filière. Les contraintes réglementaires et la multiplication des contentieux y auront fortement contribué.

Car il est facile, mes chers collègues, de multiplier les déclarations en faveur des énergies renouvelables tout en aidant, sur le terrain, les associations de défense de l’environnement déchaînées contre l’éolien, et même le solaire, en contradiction avec la volonté et l’ambition affichées lors du Grenelle de l’environnement.

Madame la ministre, lors de votre audition au Sénat, la semaine dernière, vous avez annoncé une simplification ; nous nous en réjouissons. Voilà du concret ! Cette simplification doit être menée à bien rapidement !

Partisans d’une politique de croissance et réfractaires à la décroissance, nous voulons développer à la fois les énergies renouvelables, dans la mesure où cela a économiquement un sens – c’est en partie le cas – et la filière nucléaire, orgueil de la France, indispensable à l’avenir de notre pays.

M. Jacques Mézard. Si nous bradons ce que nous avons de bien, je crois que nous ne pourrons pas aller dans le bon sens !

Les décisions des uns emportent des conséquences sur la politique énergétique des autres. Lorsque l’Allemagne décide de fermer toutes ses centrales nucléaires d’ici à 2022 sur la base d’un mix entre énergies renouvelables et énergies fossiles – notamment le lignite –, cela a des conséquences néfastes pour ses voisins : premièrement, elle génère une pollution supplémentaire qui ne connaît pas de frontières ; deuxièmement, l’électricité d’origine renouvelable étant injectée en priorité sur le marché, les autres moyens de production moins polluants sont alors désavantagés.

Nous sommes dans une situation quelque peu grotesque où des moyens de production – nucléaire et gaz – doivent être mis à l’arrêt, alors qu’ils sont en capacité de produire et où le prix de l’électricité devient parfois négatif lorsque la mise à l’arrêt n’est pas rentable. La France est alors importatrice nette d’électricité vis-à-vis de l’Allemagne. Si l’on ajoute la forte production de gaz de schiste aux États-Unis, qui entraîne la chute du prix du charbon, les centrales à gaz en Europe sont poussées à la fermeture.

Toute décision d’une partie entraîne donc des conséquences économiques et environnementales pour ses voisins.

Pour notre part, nous nous opposons à une vision strictement idéologique de ce problème. Les chiffres ont été cités tout à l’heure. L’engagement de fermer Fessenheim ou l’idée d’arrêter vingt centrales nucléaires ne peuvent se justifier que si l’on prévoit – comme je l’ai lu tout à l’heure, avec Jean-Pierre Chevènement, dans un article des Échos – qu’il n’y aura pas d’augmentation de la consommation d’électricité, ce qui nous apparaît comme une aberration !

M. Ronan Dantec. C’est pourtant la réalité !

M. Jacques Mézard. Monsieur Dantec, je ne vous ai pas interrompu quand vous vous êtes exprimé. Je sais que vous ne supportez pas la contradiction, mais il faudra tout de même m’entendre jusqu’au bout !