PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

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Décès de Guy Fischer, ancien sénateur

M. le président. Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, j’ai le profond regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue, le président Guy Fischer (Mme la secrétaire d’État chargée de la politique de la ville, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.), qui fut sénateur du Rhône de 1995 à 2014, vice-président du Sénat de 2001 à 2011 et vice-président de la commission des affaires sociales.

Particulièrement apprécié, tant pour ses qualités humaines que pour son travail inlassable et son implication forte au Sénat, défenseur militant des valeurs républicaines et des idéaux qui étaient les siens, Guy Fischer a marqué de son empreinte notre assemblée par ses nombreuses interventions et par ses travaux concernant notamment la protection sociale, les anciens combattants et la recherche d’une plus grande solidarité, qui était au cœur de son engagement et de son combat quotidien.

Il fut – je peux en attester – un grand vice-président du Sénat, veillant de façon impartiale à la qualité de nos débats, toujours attentif à ce que chacun puisse s’exprimer avec sérénité et calme.

Sa présidence ouverte et déterminée de la délégation du bureau chargée de la politique événementielle et des relations avec la société civile, que j’avais créée en 2008, a largement contribué au rayonnement de notre assemblée. Je garde le souvenir de nos rencontres, de nos préparations et de nos arbitrages concernant ces événements. C’était toujours un moment très fort et humainement très enrichissant.

Au-delà de nos choix politiques, j’ai personnellement tissé avec Guy Fischer des liens d’amitié forts – comme beaucoup d’entre vous sur ces travées. Je serai vendredi prochain à Vénissieux, aux côtés de sa famille, pour lui rendre un dernier hommage au nom du Sénat et de tous ses collègues.

C’est un moment de tristesse pour notre assemblée, c’est un moment d’émotion partagée. Ceux qui ne l’ont pas connu, parce qu'ils viennent d’arriver parmi nous, auraient rencontré un homme rayonnant et chaleureux.

Au nom du Sénat, je tiens à saluer sa mémoire, et j’adresse à ses proches comme aux membres du groupe communiste, républicain et citoyen, dont il était une personnalité éminente et particulièrement active, nos pensées les plus attristées. Pensons à Guy Fischer comme s'il était là, parmi nous. (Mme la secrétaire d'État, Mmes et MM. les sénateurs observent un moment de recueillement.)

7

Prestation de serment de juges à la Cour de justice de la République

M. le président. Mmes Josette Durrieu et Bariza Khiari, élues juges titulaires à la Cour de justice de la République le 29 octobre dernier, vont être appelées à prêter, devant le Sénat, le serment prévu par l’article 2 de la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.

Je vais donner lecture de la formule du serment. Je prie Mmes Josette Durrieu et Bariza Khiari de bien vouloir se lever à l’appel de leur nom et de répondre, en levant la main droite, par les mots : « Je le jure ».

Voici la formule du serment : « Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. »

(Successivement, Mmes Josette Durrieu et Bariza Khiari, juges titulaires, se lèvent et disent, en levant la main droite : « Je le jure ».)

M. le président. Acte est donné par le Sénat du serment qui vient d’être prêté devant lui.

Mes chères collègues, je vous adresse mes félicitations.

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Modification de l’ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date du 4 novembre 2014, le Gouvernement a demandé de compléter l’ordre du jour de la séance du mercredi 5 novembre 2014 par la suite de l’examen du projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises.

Par ailleurs, par lettre en date du 3 novembre 2014, le Gouvernement a demandé le retrait de l’ordre du jour de la séance du jeudi 6 novembre 2014 du projet de loi autorisant la ratification de l’accord établissant une association entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et l’Amérique centrale, d’autre part.

Acte est donné de ces demandes.

En outre, par lettre en date du 31 octobre 2014, Mme Éliane Assassi, présidente du groupe communiste, républicain et citoyen, a demandé que le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu, inscrit à l’ordre du jour de la séance du jeudi 6 novembre 2014, soit examiné selon la procédure normale et non selon la procédure simplifiée.

Acte est donné de cette demande.

Dans la discussion générale, le temps attribué aux orateurs des groupes politiques sera d’une heure. Le délai limite pour les inscriptions de parole est fixé au mercredi 5 novembre, à dix-sept heures.

Il n’y a pas d’observation ?...

Il en est ainsi décidé.

En conséquence, l’ordre du jour des mercredi 5 et jeudi 6 novembre 2014 s’établit comme suit :

Mercredi 5 novembre

À quatorze heures trente et le soir :

- Projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne ;

- Suite du projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises.

Jeudi 6 novembre

À neuf heures trente :

- Cinq conventions internationales en forme simplifiée ;

- Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord France-Chine en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu ;

- projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019.

De quinze heures à quinze heures quarante-cinq :

- Questions cribles thématiques sur le logement étudiant.

À seize heures :

- Suite de l’ordre du jour du matin.

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Renvoi pour avis unique

M. le président. J'informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2015 (n° 78, 2014-2015), dont la commission des affaires sociales est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à sa demande, à la commission des finances.

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Souhaits de bienvenue à une délégation du Sénat du Cambodge

M. le président. Mes chers collègues, il m'est particulièrement agréable de saluer, en votre nom, la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation du Sénat du royaume du Cambodge, conduite par M. Chea Cheth, président de la commission des finances. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que Mme la secrétaire d’État chargée de la politique de la ville se lèvent.)

Je salue également les quatre présidents et vice-présidents de commission qui composent cette éminente délégation. Elle vient, durant trois jours, dans le cadre du programme annuel de coopération conclu entre nos deux assemblées, étudier l’ancrage local des sénateurs et leur rôle dans les collectivités territoriales. Il s'agit là d’un sujet singulièrement d’actualité !

Cette délégation est accueillie par notre collègue Vincent Éblé, au nom du groupe d’amitié France-Cambodge.

Nous formons tous le vœu que cette visite soit profitable à l’ensemble de la délégation et nous souhaitons à cette dernière la plus cordiale bienvenue. (Applaudissements.)

(Mme Françoise Cartron remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron

vice-présidente

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Mise au point au sujet d’un vote

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Lors du scrutin n° 13 du 30 octobre 2014 sur l’ensemble du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, notre collègue Jean-Jacques Lasserre a été inscrit comme s'abstenant, alors qu’il souhaitait voter contre.

Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

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Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.

Mme Nathalie Goulet. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 29 du règlement du Sénat.

Le Sénat est à la pointe de l’actualité puisque sa commission des finances a publié aujourd'hui même un rapport intitulé La sûreté nucléaire de demain : un enjeu financier et démocratique.

Après les diverses affaires de drones survolant nos centrales que nous avons connues ce week-end, il serait extrêmement intéressant d’organiser le plus rapidement possible un débat sur l’excellent travail de notre collègue Michel Berson. La conférence des présidents pourrait inscrire un tel débat à l'ordre du jour.

Mme la présidente. Acte est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue. Votre groupe pourra en faire la demande en conférence des présidents.

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Dossier législatif : projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme
Discussion générale (suite)

Lutte contre le terrorisme

Discussion des conclusions d’une commission mixte paritaire

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (texte de la commission n° 38, rapport n° 37).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Alain Richard, corapporteur.

M. Alain Richard, corapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi a fait l’objet d’un compromis unanime en commission mixte paritaire. Cet assentiment général montre une belle convergence autour de ce texte de vigilance républicaine.

En matière de police administrative et de mesures de prévention, sujets dont je me suis plus particulièrement occupé – nous nous sommes en effet partagé le travail avec mon corapporteur, Jean-Jacques Hyest –, la commission mixte paritaire a confirmé l’instauration de la procédure d’interdiction de sortie du territoire, qui est complétée par une interdiction de transport imposée aux transporteurs. La commission mixte paritaire a également approuvé l’interdiction administrative du territoire, destinée à éloigner ou à maintenir éloignées des personnes contre lesquelles on dispose d’éléments indiquant leur participation à des activités terroristes. Je rappelle que les deux assemblées se sont mises d’accord pour que ces mesures – comme toute mesure de police, y compris celles d’une grande gravité – puissent faire l’objet d’un recours très encadré. Il appartiendra au juge administratif de statuer sur ces questions.

Par ailleurs, nous avons modifié la procédure de saisie des avoirs financiers : lorsque cette saisie est prononcée pour des motifs de lutte antiterroriste, le ministre de l'intérieur y sera associé.

Nous avons adopté d’un commun accord l’article 9, qui porte sur la procédure administrative de suppression des contenus terroristes sur internet. Cela a été, on le sait, l’un des sujets les plus difficiles et les plus discutés. De notre point de vue, l’Assemblée nationale avait réalisé une avancée importante puisque, tout en conservant une procédure administrative – ce que presque tous souhaitaient pour des raisons de célérité et d’efficacité –, elle avait introduit le principe d’une participation d’un représentant de la CNIL, la Commission nationale de l'informatique et des libertés, chargé d’apprécier les motifs d’une suppression de contenu.

C'est à l’issue d’un dialogue que nous sommes finalement convenus qu’il était préférable de confier à un membre de la CNIL, plutôt qu’à une personnalité choisie par elle, cette intervention auprès de l’administration. Toutefois, comme l’entrée en vigueur de la disposition posait problème, nous nous sommes entendus pour décider que le membre de la CNIL affecté à cette mission l’exercerait pour la durée de son mandat au sein de cet organisme. C'est ainsi que nous sommes parvenus à un complet accord sur cette disposition.

Nos versions différaient pour ce qui concerne l’article 15 relatif à la durée de conservation des enregistrements des interceptions de sécurité. Le Gouvernement, constatant ce désaccord entre les deux assemblées et appréciant la difficulté d’appliquer l’une ou l’autre version, nous a recommandé, et nous l’avons suivi d’un commun accord, de ne pas maintenir cet article. Ainsi, le dispositif actuel, issu de la loi du 10 juillet 1991, sur la durée de conservation de ces enregistrements demeure en vigueur.

En réponse aux nombreuses préoccupations de mise à jour juridique du Gouvernement, les deux assemblées ont apporté la preuve de leur bon vouloir. Nous sommes ainsi convenus de ratifier explicitement le code de la sécurité intérieure, qui était en attente d’une telle ratification, ce qui a imposé un travail assez long, que je qualifierais familièrement de « peignage », visant à tirer les conséquences de cette décision. Cette tâche, qui a mobilisé nos collaborateurs dans les deux assemblées, a permis de trouver une rédaction commune pour cet ensemble de ratifications et de modifications.

Je dois dire que le climat dans lequel nous avons travaillé au sein de la commission mixte paritaire a été extrêmement constructif. Nous avions tous conscience de la responsabilité devant laquelle nous plaçait ce texte et des raisons pour lesquelles il avait été déposé.

Nos collègues de l’Assemblée nationale ont accepté que la rédaction finale tienne très largement compte du texte issu du Sénat, ce qui s’explique par le fait que nous avions eu, pour travailler et affiner le projet de loi, un délai un peu plus long que celui dont ils avaient eux-mêmes disposé. Cela nous a permis de trouver, sans grande difficulté, après un travail un peu plus approfondi entre les rapporteurs, comme c’est l’usage, une rédaction commune pour l’ensemble du projet de loi, comportant néanmoins une toute petite faille, rectifiée par le Gouvernement. En effet, au moment de la mise au point du dossier, une petite erreur s’est glissée s’agissant du renvoi à un texte.

Je souhaite terminer cette présentation, à la fois brève et positive, en soulignant l’authenticité d’écoute dont a fait preuve Bernard Cazeneuve, qui a été un l’interlocuteur attentif, soucieux de convaincre et capable d’évoluer. Au moment où il doit faire face, avec une grande force de caractère, à des responsabilités de plus en plus lourdes, je profite de l’occasion qui m’est donnée pour lui témoigner notre amitié. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vous l’a indiqué mon éminent homologue, la commission mixte paritaire est parvenue à un accord sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.

Il restait finalement peu de désaccords entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur la partie du texte concernant la répression pénale des actes de terrorisme, dont j’avais plus particulièrement la charge. Les deux assemblées avaient ainsi déjà adopté dans les mêmes termes l’article 3, qui inclut les infractions relatives aux produits explosifs dans la liste des infractions pouvant recevoir la qualification terroriste dès lors qu’elles sont accomplies avec cette intention.

Par ailleurs, la commission mixte paritaire a approuvé la création par l’article 5 d’un nouveau délit d’entreprise individuelle de préparation d’un acte terroriste, en retenant la rédaction issue du Sénat, à l’exception de la notion de préparation logistique de l’acte terroriste, qui semblait, à l’issue de nombreux débats, trop imprécise et n’était finalement pas nécessaire pour couvrir l’ensemble des cas de figure rencontrés par les juges antiterroristes. Les enquêteurs et la justice disposeront ainsi désormais d’un fondement juridique efficace pour appréhender le phénomène d’autoradicalisation, qui caractérise de plus en plus souvent les auteurs d’actes terroristes, tout en évitant, grâce à l’exigence d’une sorte de « faisceau d’indices », la pénalisation de la seule intention criminelle, ce qui n’aurait pas été compatible avec les principes de notre droit pénal.

Concernant les délits d’apologie et de provocation au terrorisme, qui font l’objet de l’article 4, la commission mixte paritaire a préféré revenir, pour l’essentiel, au texte initial du Gouvernement, en faisant sortir de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse l’ensemble des actes d’apologie et de provocation. L’idée émise par notre commission des lois, suivie par le Sénat, qui était de n’incriminer que les faits commis sur internet en tant qu’ils comportaient une dangerosité supplémentaire du fait des spécificités de ce média, n’a donc pas été retenue par la commission mixte paritaire. Il faudra pourtant revenir sur le sujet, tant les caractéristiques du web rendent nécessaire un traitement nouveau du point de vue de la procédure pénale. D’ailleurs, la rédaction retenue érige tout de même la commission des faits par le moyen d’internet en circonstance aggravante du nouveau délit, ce qui montre, d’une certaine façon, le bien-fondé du raisonnement qui avait été celui de notre commission.

S’agissant des dispositions figurant aux articles 7 et 7 bis et relatives à la centralisation auprès de la juridiction parisienne du traitement judiciaire des actes terroristes, notamment ceux commis en détention par des personnes déjà condamnées pour ce type d’infractions, c’est la rédaction plus claire et précise de notre assemblée qui a été pour l’essentiel retenue. Ce parachèvement de la centralisation auprès du tribunal de grande instance, de la Cour d’appel et des juges d’instruction de Paris est d’ailleurs un aspect important du texte, tant cette compétence concurrente nationale de la juridiction parisienne est une pièce essentielle de notre dispositif antiterroriste.

Enfin, comme l’a rappelé Alain Richard, mais je ne peux résister au plaisir de le redire, concernant la durée de conservation des enregistrements des interceptions de sécurité, la commission mixte paritaire, à défaut de trouver une rédaction pleinement satisfaisante pour concilier l’efficacité du contrôle de la CNCIS, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, avec la demande récurrente du ministère de l’intérieur concernant les délais de ce contrôle, a décidé la suppression pure et simple de l’article 15, ce qui ne peut que réjouir ceux qui avaient milité en faveur d’une telle suppression.

Telles sont, mes chers collègues, les dispositions du projet de loi tel qu’issu des travaux de la commission mixte paritaire, complétées par un amendement de coordination déposé par le Gouvernement à l’Assemblée nationale.

Ce texte, compte tenu de l’évolution du terrorisme est, selon moi, extrêmement utile. Il doit donner à la fois à nos services de renseignement, à nos forces de sécurité et à la justice les moyens de combattre les nouvelles formes de terrorisme. Que n’ai-je point entendu ou lu, dans certaines gazettes, sur le respect des libertés publiques ! Je rappelle que l’ensemble du texte est, à nos yeux, parfaitement conforme à l’État de droit. Les procédures administratives ne sont pas interdites, dans la mesure où elles sont contrôlées par le juge, administratif ou judiciaire. Quelques-uns sont la proie d’une certaine confusion, ce qui ne nous étonne pas complètement.

Au demeurant, je me réjouis que ce texte ait fait l’objet d’un consensus. Au moment du renouvellement du Sénat, la désignation de deux rapporteurs a sans doute permis d’avancer plus vite, en nous fondant sur un travail commun. Je me félicite des avancées que nous avons pu réaliser avec Alain Richard. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la politique de la ville. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, pour commencer, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du ministre de l’intérieur, M. Bernard Cazeneuve.

Nous assistons, avec la guerre civile en Syrie, puis en Irak, à une mutation rapide du terrorisme. Encore récemment, le terrorisme était « réservé » à une poignée d’individus faisant le choix de la clandestinité, au sein de groupes structurés, difficiles d’accès. Il est désormais en « libre accès ». Tout un chacun peut, sans quitter son domicile, consulter des sites faisant l’apologie du meurtre de masse, du martyre et de l’attentat suicide, s’autoradicaliser, puis se décider pour un aller simple vers les terres du djihad, le cas échéant en famille. Tout un chacun peut, avec une facilité déconcertante, acquérir un savoir-faire minimal pour commettre un attentat terroriste de « proximité ».

La mutation consiste, pour ces organisations criminelles, à tirer parti des nouvelles technologies de l’information, pour inoculer massivement le virus du terrorisme dans les esprits et pour tromper certains de nos concitoyens, le plus souvent les plus jeunes et les plus faibles, à qui on laisse croire qu’ils sont devenus les ennemis de leur propre pays.

Le nombre des jeunes Français radicalisés combattant sur le théâtre d’opérations syrien n’a cessé de croître. Une réponse ferme et adaptée était donc nécessaire pour éviter à de jeunes Français de succomber à la tentation du martyre et à la fascination du meurtre.

Notre devoir collectif est de tout faire pour contenir la menace potentielle que représente le retour en France de combattants formés en Syrie au maniement des armes et des explosifs, ayant souvent commis les pires atrocités criminelles, endoctrinés par des discours de haine envers l’Occident et souvent déshumanisés par l’expérience quotidienne de la violence. Certains, nous le constatons déjà, fuient de leur propre initiative la Syrie, cherchant sans doute à oublier cette terrible épreuve. Mais nous ne pouvons courir le risque d’en laisser d’autres tenter de reproduire sur le sol français, au nom du djihad, la violence barbare qu’ils auront connue en Syrie ou en Irak.

Comme vous le savez, face à de telles menaces et afin de garantir la sécurité de nos concitoyens, le Gouvernement a réagi sans tarder, avec fermeté et vigilance.

Depuis avril dernier, le Gouvernement a créé le Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation, qui est chargé de la prise en compte et de l’orientation des signalements des candidats au départ, auxquels une prise en charge est proposée. Ces signalements lui parviennent soit directement par la plate-forme téléphonique et internet dédiée, soit par le réseau des états-majors de sécurité, animés localement par les préfets et les procureurs de la République. Entre fin avril et fin octobre, près de 600 personnes ont fait l’objet d’un signalement, dont 25 % de mineurs.

S’agissant en particulier des mineurs, la garde des sceaux et le ministre de l’intérieur ont, dès le 5 mai 2014, donné des instructions aux préfets et aux procureurs, afin d’organiser dès leur détection leur suivi, incluant notamment une mesure d’opposition à sortie du territoire.

Parallèlement à ces mesures, un département de lutte contre la radicalisation a été créé au sein de l’UCLAT, l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, afin d’améliorer la transmission et l’exploitation du renseignement entre les administrations concernées. Le bureau du renseignement de la direction de l’administration pénitentiaire, notamment, est désormais représenté au sein de l’UCLAT.

Dans la continuité du plan adopté dès avril dernier, le Gouvernement a jugé indispensable de renforcer notre législation pour entraver l’action et la propagande des filières djihadistes et contrarier les projets de ceux qui sont tentés de les rejoindre.

Un débat riche et digne, qui s’est tenu dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale le 15 juillet dernier et dans celui du Sénat le 15 octobre, nous a permis d’aboutir au texte efficace qui vous est aujourd’hui soumis, mesdames, messieurs les sénateurs. Je tiens donc, au nom du ministre de l’intérieur, à remercier vivement les rapporteurs du texte, Jean-Jacques Hyest et Alain Richard, comme l’ensemble des parlementaires qui ont contribué à l’améliorer.

Quand il s’agit de la protection de la France et des Français, le consensus républicain est une nécessité ; le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme transcende les clivages partisans, ce dont nous nous réjouissons tous. Ce consensus donne encore davantage de force à ce projet de loi.

L’objectif du Gouvernement était de retenir la version la plus ambitieuse possible du texte, incluant plusieurs mesures votées à l’Assemblée nationale et un certain nombre de dispositions intégrées par le Sénat. C’est ce à quoi nous sommes parvenus, avec l’adoption du projet de loi par la commission mixte paritaire, qui permet de garantir, dans le respect de nos échanges au sein du Parlement, l’effectivité des mesures et la sécurité juridique des dispositifs.

Je rappelle que la loi repose sur quatre innovations majeures, qui toutes respectent l’État de droit et demeurent soumises à un contrôle étroit du juge.

Première innovation : l’interdiction de sortie du territoire, prévue à l’article 1er du projet de loi, permettra tout d’abord aux autorités de s’opposer au départ de nos ressortissants hors de France dès lors qu’il existe des raisons sérieuses de croire que leur déplacement a une finalité terroriste ou que leur retour porterait atteinte à la sécurité publique.

Rigoureusement encadrée dans ses motifs et dans sa durée, dont le maximum est fixé à deux ans, pouvant faire l’objet d’un recours devant le juge administratif, qui pourra agir en référé, cette mesure sera rendue pleinement effective, sans même attendre la mise en œuvre du PNR – passenger name record –, grâce au retrait de la carte nationale d’identité et à l’invalidation immédiate des documents d’identité, contre récépissé. Des précautions supplémentaires ont été prises pour éviter que ce dernier ne présente un caractère stigmatisant pour l’individu concerné. Je veux remercier sur cette question le Parlement de sa contribution précieuse.

Pour compléter ce dispositif nouveau, l’interdiction d’entrée et de séjour sur le territoire national pour les étrangers ne résidant pas en France, à l’article 1er bis, a été adoptée à la suite d’échanges denses à l’Assemblée nationale et sur la base d’un amendement déposé par le Gouvernement au Sénat.

Deuxième innovation : la création, prévue à l’article 5, du délit d’entreprise individuelle terroriste permettra d’adapter notre législation aux spécificités du terrorisme contemporain sans pour autant mettre en cause le principe de légalité des délits et des peines. Ce délit nouveau est en effet nécessaire pour pouvoir appréhender, avant le passage à l’acte, un individu isolé résolu à commettre une opération terroriste, dès sa détection. En revanche, l’élément matériel relatif à l’acquisition de moyens logistiques de la définition de l’entreprise individuelle terroriste a été supprimé, tandis que la possibilité pour les enquêteurs et magistrats de saisir directement le centre technique d’assistance à des fins de décryptage a été finalement maintenue.

Troisième innovation : pour entraver la diffusion de messages de haine et de propagande terroriste sur internet, l’article 9 rendra possible le blocage administratif des sites, complétant ainsi les dispositions de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. L’autorité administrative pourra désormais demander aux éditeurs et aux hébergeurs de site, lorsqu’ils sont identifiés, de procéder au retrait des contenus qui appellent au terrorisme ou en font l’apologie, ou bien, à défaut, aux fournisseurs d’accès de bloquer l’accès aux sites, à l’instar de ce que le législateur a déjà prévu pour les sites pédopornographiques.

En vertu du principe de subsidiarité introduit par les députés, ce blocage, ciblé et limité au strict nécessaire, s’effectuera, comme l’a indiqué Alain Richard, sous le contrôle d’une personnalité qualifiée désignée par la CNIL et sera soumis à la juridiction administrative. La personnalité qualifiée aura en effet une faculté de contester le blocage a posteriori devant le juge administratif.

Par ailleurs, la possibilité pour l’administration, votée par le Sénat, de demander aux moteurs de recherche le déréférencement des sites illicites complétera utilement la palette d’outils de lutte contre l’apologie des crimes terroristes sur internet. Le dispositif n’en sera que plus efficace.

Sur cette question, le Gouvernement a tout mis en œuvre pour parer le risque de surblocage et garantir un maximum d’effectivité de la mesure. Ce dispositif a été largement revu dès l’examen du projet de loi en commission des lois à l’Assemblée nationale, ce qui a permis le développement d’un débat fécond sur cette question.

Enfin, quatrième innovation : l’apologie et la provocation au terrorisme, comme l’a indiqué Jean-Jacques Hyest, relèveront non plus du délit d’opinion et donc de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, mais du droit commun. Certaines des techniques spéciales d’enquête applicables au terrorisme leur seront également applicables, sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Le champ des incriminations d’apologie et de provocation au terrorisme n’est en revanche pas modifié.

Outre ces innovations majeures, d’autres éléments doivent être soulignés.

D’abord, à l’article 15 ter, c’est la possibilité donnée à l’agence de gestion et de recouvrement des avoirs criminels de concourir au financement de la lutte contre la criminalité, qui permettra dans l’immédiat de financer le dispositif des repentis et, à terme, d’intéresser les forces de sécurité aux saisies opérées. C’était un dispositif auquel beaucoup d’entre vous étaient attachés de longue date ; il figure maintenant dans ce texte.

Ensuite, les mesures exceptionnelles de sûreté aéroportuaire pourront être adoptées le cas échéant. Ce dispositif poussé par le secrétariat général de la défense nationale permettra de mettre en place un dispositif « Vigipirate en milieu aérien ».

En outre, les ordonnances relatives à la partie législative du code de la sécurité intérieure ont été ratifiées ; un code de déontologie commun à la police et à la gendarmerie nationales a été créé.

Enfin, les dispositions permettant aux services d’avoir accès aux fichiers dans le cadre de la lutte antiterroriste et de réaliser des contrôles dans les trains transnationaux, prorogées sans discontinuité depuis 2006 et une ultime fois dans le cadre de l’article 1er de la loi antiterroriste de décembre 2012, ont été pérennisées par voie d’amendement gouvernemental au Sénat.

En revanche, comme l’ont indiqué les rapporteurs, l’article 15 allongeant la durée de conservation des enregistrements des interceptions de sécurité a finalement été supprimé.

Je le répète, cette loi est aujourd’hui nécessaire à la sécurité de notre pays. Certes, il n’existe pas de risque zéro en matière de lutte contre le terrorisme, mais ce n’est pas une raison pour rester inactif. Grâce aux dispositifs nouveaux créés par la loi, l’entreprise criminelle des terroristes ou de ceux qui veulent les rejoindre aura été entravée. Des internautes, souvent jeunes, auront échappé à leur action de propagande. La justice et, sous son contrôle, les services de police auront à leur disposition des moyens d’action et d’investigation plus efficaces et plus protecteurs de nos concitoyens.

J’ajoute que les dispositions que l’on retrouve dans cette version issue de la commission mixte paritaire s’inspirent très largement des travaux accomplis par la Haute Assemblée.

Je crois que la calme résolution qui habite ce texte, fruit d’un consensus dont nous pouvons être fiers, est à la fois sa grande force et l’honneur même de notre République. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)