M. le président. La parole est à M. Serge Larcher, rapporteur pour avis.

M. Serge Larcher, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la définition du budget 2015 pour les outre-mer obéit à une équation complexe. D’un côté, dans un contexte difficile pour les finances publiques, les ressources sont rares ; l’heure est à la baisse des dépenses et à la maîtrise de la pression fiscale. De l’autre, la réalité économique et sociale des territoires ultramarins est fragile et dégradée.

Taux de chômage et de pauvreté beaucoup plus élevés que dans l’Hexagone, niveau de vie moyen nettement plus bas : les outre-mer sont en souffrance économique et sociale. Ils ont donc besoin que les mesures de rattrapage et de soutien destinées à renforcer leur compétitivité et à améliorer l’emploi continuent à se déployer.

Aussi, je me félicite de l’augmentation du budget prévue pour les outre-mer en 2015. En effet, si l’on gomme les effets des modifications de périmètres, le budget de la mission « Outre-mer » s’établit en hausse de 2,6 %. Préservation des dispositifs d’exonération de cotisations sociales, préservation de la LBU, la ligne budgétaire unique, poursuite de la montée en puissance du service militaire adapté : il y a de vrais motifs de satisfaction !

Par ailleurs, en dehors de la mission « Outre-mer », on trouve certaines dispositions particulièrement intéressantes pour nos territoires, comme la majoration de 50 % du taux du CICE et celle du taux du crédit d’impôt recherche.

En même temps, et je tiens à le dire avec insistance, les outre-mer ne restent pas à l’écart de l’effort de maîtrise de la dépense publique, comme en témoignent la suppression de l’aide à la rénovation hôtelière – peu utilisée, d’ailleurs, et l’on sait pourquoi –, la diminution des dotations forfaitaires des départements et du bloc communal, la réforme de l’aide à la continuité territoriale, ou encore la baisse des moyens du ministère des outre-mer.

Si, en ce qui concerne les outre-mer, le texte initial du projet de loi de finances était déjà bon, la discussion parlementaire a permis de lui apporter encore quelques améliorations. Je me félicite notamment de l’adoption par nos collègues députés d’un amendement du Gouvernement tendant à rétablir les 6 millions d’euros nécessaires à la préservation de l’enveloppe allouée à la filière canne-sucre et à la diversification agricole.

Je me félicite également de l’adoption par l’Assemblée nationale d’un article rattaché de la seconde partie de la loi de finances qui relève le plafond des avantages fiscaux de 10 000 à 18 000 euros, afin de permettre le financement du logement locatif intermédiaire.

Actuellement, le plafond est trop bas, et il se produit un effet d’éviction au détriment du logement intermédiaire. Peut-être aurait-on pu chercher à rendre cette disposition plus rapidement effective, comme je l’avais proposé au travers d’un amendement qui a malheureusement été rejeté. Néanmoins, on peut espérer que, à compter du début de l’année 2015, l’incitation fiscale jouera à plein pour stimuler un secteur du bâtiment dont la situation est réellement dramatique outre-mer.

Concernant le crédit d’impôt pour la transition énergétique, je regrette que l’examen des amendements sur la première partie de la loi de finances n’ait pas permis de réaliser des avancées plus franches. La plupart des dépenses d’amélioration de la qualité environnementale des logements qui seraient pertinentes dans un climat tropical sont en effet exclues du dispositif.

Or je m’étonne des arguments qui ont été avancés par certains pour empêcher la « tropicalisation » du dispositif. D’un côté, on nous dit qu’adapter un dispositif fiscal aux spécificités d’un territoire donné pourrait créer une inégalité devant l’impôt, avec un risque d’inconstitutionnalité à la clef ; de l’autre, si le dispositif n’est pas adapté aux spécificités du territoire, on nous dit qu’il est mal ciblé et va coûter trop cher… Il faut choisir !

À toutes fins utiles, je souhaite rappeler, dans cet hémicycle, que la France est diverse et que les outre-mer s’étendent pratiquement sous toutes les latitudes.

Par conséquent, on y rencontre autant de climats tropicaux que de climats rigoureux. Cela explique notamment que l’article 73 de la Constitution dispose que les lois et règlements peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières des régions et des départements d’outre-mer.

Je souhaite enfin évoquer la situation dramatique du secteur hôtelier aux Antilles : ce moteur de l’économie locale est particulièrement en crise, du fait de son manque de compétitivité, dû à la concurrence des îles voisines et à la vétusté de ses infrastructures.

Exsangues, notamment du fait de leurs dettes fiscales et sociales, les entreprises hôtelières se voient contraintes de casser les prix, ce qui détériore plus encore leur situation financière. Par ailleurs, elles ne sont pas non plus éligibles aux dispositifs de défiscalisation et d’aides qui leur permettraient de rénover leurs établissements. C’est un cercle vicieux, qui les tire vers le bas !

Madame la ministre, j’estime qu’il est urgent de conduire une réflexion globale sur le secteur touristique et d’adopter des mesures fortes, afin d’éviter la fin programmée de la grande hôtellerie aux Antilles françaises et, singulièrement, à la Martinique.

En dépit de ces bémols, je vous invite, mes chers collègues, au nom de la commission des affaires économiques, à émettre un avis favorable sur les crédits de la mission « Outre-mer » inscrits au projet de loi de finances pour 2015, ainsi que sur les articles rattachés à cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Didier Robert, rapporteur pour avis.

M. Didier Robert, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. La commission des affaires sociales a émis un avis favorable sur les crédits de la mission « Outre-mer », ainsi que sur les articles 57 et 57 bis qui lui sont rattachés, principalement afin d’ouvrir le débat sur les crédits relatifs à la continuité territoriale.

Elle n’a pu en effet qu’émettre plusieurs réserves importantes face au manque d’ambition du budget qui nous est proposé et qui ne peut en aucun cas permettre de préparer l’avenir dans des territoires pourtant particulièrement défavorisés.

Vous nous dites, madame la ministre, qu’il s’agit d’un budget « préservé ». Pour ma part, j’y vois d’abord un effort financier minimal de l’État envers les outre-mer, certes dans un contexte budgétaire contraint, mais qui reste insuffisant à répondre aux besoins. Après la baisse de crédits introduite à l’Assemblée nationale, et cela de manière cavalière et sans aucune évaluation préalable, je crois que l’outre-mer joue en définitive le rôle de variable d’ajustement dans ce budget 2015. Nous avons au total une « variation » des crédits de + 0,1 % : c’est en réalité, vous en conviendrez, à peine une stagnation, si l’on tient compte de l’inflation.

Je ne reviendrai cependant pas en détail sur la présentation des crédits, qui nous a été excellemment faite par nos collègues de la commission des finances, et je concentrerai mon propos sur les éléments qui ont justifié les réserves de la commission des affaires sociales. Ils sont de deux ordres.

S’agissant tout d’abord du logement, je dois dire, madame la ministre, que je peine à trouver dans ce budget la traduction concrète et financière de votre « ambition pour l’habitat outre-mer ». La question est pourtant primordiale, tant les besoins, notamment en matière de logement social – le problème est connu –, sont immenses. Toutefois, je voudrais aussi insister sur les insuffisances s’agissant de la réhabilitation du parc de logements, notamment de la résorption de l’habitat insalubre. Il faut bien avoir en tête que, à Mayotte, par exemple, plus de 50 000 personnes vivent encore dans des cases insalubres en « non dur ».

Face à cette situation, on nous indique que la mise en œuvre du plan pluriannuel pour le logement social pour les outre-mer ne mobilisera pas d’autres instruments budgétaires que ceux dont nous disposons déjà, à savoir la LBU, dont les crédits ne progressent pourtant pas cette année. On nous dit également que les opérations de réhabilitation du parc de logements anciens reposent en partie sur une éventuelle utilisation des « crédits restants » à la fin d’un exercice. Je pose donc la question de la réalité de la prise en compte des besoins dans les outre-mer.

J’en viens maintenant à la continuité territoriale, qui subit cette année une baisse de 20 % de ses crédits, soit 10 millions d’euros. Je voudrais tout d’abord rappeler l’importance de ce dispositif, qui constitue la traduction des principes d’égalité des droits, de solidarité nationale et d’unité de la République. Par nature, il devrait donc être considéré comme universel et pouvoir bénéficier le plus largement possible aux Ultramarins.

Compte tenu de ces principes, la réforme de l’aide à la continuité territoriale que vous nous proposez, madame la ministre, ne me paraît pas acceptable. Je passe sur la méthode employée, quoique je déplore le manque de concertation réelle et le flou artistique entourant encore ces modifications importantes. Je relève surtout que les crédits alloués aujourd’hui sont déjà insuffisants au regard des objectifs.

Je note également que, loin de constituer des voyages de confort, les déplacements effectués grâce à l’ACT répondent le plus souvent à des impératifs familiaux.

Je rappelle enfin que l’effort financier est largement partagé entre l’État et les collectivités territoriales. Ce sont d’ailleurs ces dernières, madame la ministre, qui prendraient en charge les déplacements effectués par des familles dont le quotient familial serait compris entre 11 000 euros et 26 000 euros, comme c’est le cas à La Réunion. Je regrette à ce stade la présentation caricaturale qui a pu être faite du dispositif. Le critère du quotient familial, vous le savez, a été justement retenu pour tenir compte de la situation particulière de chaque famille.

La DEGEOM, la délégation générale à l’outre-mer, nous indique qu’il est indispensable de contenir une dépense qui serait, selon les termes employés, « en explosion ». Or la réalité est bien celle d’une baisse continue des crédits, d’année en année, pour ce qui concerne la part de l’État : 55,2 millions d’euros en 2013, quelque 51,4 millions d’euros en 2014 et une proposition de 41,1 millions d’euros pour 2015.

Et si je rapproche cette participation de l’État des 187 millions d’euros versés à la Corse chaque année au titre de la continuité territoriale, vous comprendrez aisément la colère légitime, nourrie par le sentiment d’une terrible injustice, des populations d’outre-mer sur cette question.

Pour tenir compte de ces observations, la commission des affaires sociales a adopté, sur ma proposition, un amendement visant à reconduire pour 2015 les crédits relatifs à la continuité territoriale à la hauteur de ceux qui étaient ouverts en 2014. C’est là une mesure aussi minimale qu’indispensable, qui ne peut qu’être temporaire, en attendant la mise en place d’une véritable politique de continuité territoriale pour l’ensemble des territoires d’outre-mer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur la présentation du budget pour 2015 en faveur des outre-mer. Permettez-moi simplement, comme certains de mes collègues, de me réjouir que, conformément à l’engagement du Président de la République, les crédits de la mission « Outre-mer » augmentent à périmètre constant. La situation socio-économique difficile des outre-mer a été prise en compte par le Gouvernement.

J’en viens immédiatement au sujet sur lequel la commission des lois a souhaité se pencher cette année, à savoir les difficultés d’application de la législation outre-mer. Ce sujet n’est pas sans incidence budgétaire. En effet, le droit ultramarin est foisonnant. Il devient de plus en plus du « sur-mesure », ce dont on peut se réjouir. Le droit pensé pour la métropole nécessite en effet d’être adapté à nos territoires ultramarins, tout le monde en conviendra.

Cependant, créer ce droit particulier, le suivre et le faire vivre suppose de disposer de moyens humains, notamment d’une expertise pointue. Cette affirmation est aussi vraie pour l’État que pour les collectivités ultramarines. Pensez-vous, madame la ministre, que ces moyens existent au sein de l’État, au niveau tant central que déconcentré ?

Je concentrerai mon propos sur quatre points.

Premièrement, j’évoquerai les ordonnances adoptées pour l’application et l’adaptation de la loi outre-mer. Ce recours est devenu traditionnel, pour ne pas dire systématique. Le Gouvernement peut compter autant sur l’article 38 que sur l’article 74-1 de la Constitution. D’ailleurs, cette dernière disposition, introduite en 2003, n’a pas, contre toute attente, limité le recours à l’article 38, bien au contraire !

Je rappellerai simplement un chiffre pour illustrer l’ampleur du phénomène : sur les textes examinés au fond ou pour avis par la commission des lois, quelque 87 habilitations ont été sollicitées par les gouvernements successifs depuis 2009. Pis, sur ces 87 habilitations, 25 n’ont pas été utilisées à temps, ce qui pose tout de même question !

Un tel constat soulève une difficulté de principe : les parlementaires ne peuvent pas correctement débattre des adaptations de la législation dans les outre-mer. Madame la ministre, je sais que vous n’êtes pas à l’origine de ce phénomène, mais je vous pose la question : pourquoi le Gouvernement réserve-t-il un traitement à part à nos territoires ? Le ministère des outre-mer peut-il davantage se faire entendre auprès des autres administrations, pour que les outre-mer ne soient pas seulement la préoccupation de votre ministère ? Les outre-mer doivent être non pas l’apanage des Ultramarins, mais un souci partagé par l’ensemble des ministres et des parlementaires.

J’évoquerai maintenant le principe de spécialité législative, qui constitue seulement une possibilité ouverte par la Constitution pour les collectivités d’outre-mer. C’est un principe aux racines anciennes – il remonte à l’Ancien Régime –, qui aboutit souvent à un droit obsolète ou lacunaire dans plusieurs de ces collectivités. Il a inexorablement décliné : abandonné pour plusieurs collectivités, puis pour plusieurs pans de la législation au sein des collectivités qui en connaissent encore l’application, sans doute faudrait-il faire preuve d’audace en envisageant son renversement ou, à tout le moins, en le réservant à des sujets pour lesquels son utilité est avérée. Par exemple, je ne suis pas sûr qu’il soit absolument pertinent en droit pénal et en procédure pénale, matières à propos desquelles il n’y a pas de raison objective de penser que la loi ne doit pas être la même pour tous les citoyens.

Un autre dispositif constitutionnel permet d’assurer l’adaptation de notre droit aux réalités ultramarines. Je pense aux délégations prévues par l’article 73 de la Constitution, que, depuis 2007, les départements et régions d’outre-mer peuvent recevoir du pouvoir législatif et règlementaire pour adapter les normes sur le territoire de leurs collectivités. Pour résumer, à l’exception des matières régaliennes, les assemblées locales sont conduites à « légiférer » avec l’accord du Parlement.

Ce mécanisme a été sollicité à plusieurs reprises, particulièrement par les collectivités guadeloupéennes et martiniquaises. Je regrette que nous ne prenions pas davantage le temps de dresser un bilan de l’utilisation qui est faite de ces délégations. Comment les normes nationales ont-elles été adaptées ? Des difficultés existent-elles ? Autant de questions sur lesquelles le Gouvernement et le Parlement devraient se pencher, plutôt que d’accorder des habilitations « à l’aveugle », sans songer aux conséquences.

Je conclurai en évoquant l’homologation ou l’approbation des sanctions pénales édictées par les autorités locales. Cette procédure est importante, car, à défaut, les règles édictées localement ne sont assorties d’aucune sanction : autant dire que leur effectivité est gravement compromise.

La responsabilité des retards, parfois de plusieurs années, observés en la matière incombe à l’État, particulièrement au Gouvernement. Notre collègue Michel Magras en a fait l’expérience malheureuse à Saint-Barthélemy. Madame la ministre, le Gouvernement s’engage-t-il à respecter des délais raisonnables pour procéder à ces approbations ?

Sous réserve de ces observations, la commission des lois a émis un avis favorable sur les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Je vous rappelle également qu’en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de trente minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Paul Vergès.

M. Paul Vergès. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 24 novembre 2011, dans ce même hémicycle, nous discutions du budget de l’outre-mer. J’avais exprimé ma conviction que nous nous acheminions vers la fin d’une période et que nous devions en tirer toutes les leçons.

Trois années plus tard, qu’en est-il ? Au gré des élections, ce ne sont plus les mêmes qui siègent sur ces travées ou qui sont à l’Élysée, à Matignon ou rue Oudinot.

Toutefois, nos problèmes, eux, n’ont pas changé. Pis, ils se sont aggravés ! Notre souci est toujours le même : comment corriger les conséquences à long terme des erreurs stratégiques commises dès le vote de la loi du 19 mars 1946 ?

Tout d’abord, la décision d’étendre aux seuls fonctionnaires de l’État les avantages du statut colonial réservé à la minorité des fonctionnaires d’autorité : revenus supérieurs de 100 %, congés en France tous les trois ans, trois ans de séjour sur place équivalant à quatre annuités pour la retraite et une retraite actuellement supérieure de 35 % par rapport à celle qui est versée à Paris.

Ensuite, l’absence de prévision des conséquences de la transition démographique à La Réunion : la population est passée de 240 000 habitants en 1946 à 850 000 actuellement, et l’on en comptera 1 million dans quinze ans. Chaque année, la population augmente de près de 10 000 habitants et le nombre de bacheliers, par exemple, de 9 000.

Les conséquences, depuis soixante-huit ans, de ces deux décisions, sur tous les plans – économique, social, culturel et politique –, sont évidentes, mais n’ont eu qu’un résultat : l’entêtement dans leur maintien. On crée, dès le départ, la base institutionnalisée de l’inégalité sociale et on pénalise du même coup tout le développement à venir.

Deux exemples : la seule surrémunération d’une seule catégorie de fonctionnaires, ceux de l’État, génère à La Réunion un montant de 600 millions d’euros par an, l’équivalent de la facture totale de l’énergie importée – pétrole, gaz et charbon. Et, dans le même temps, l’égalité sociale – le SMIC, les prestations familiales, les minima sociaux – nous a été refusée pendant un demi-siècle !

Si l’on y ajoute la suppression du chemin de fer, dans les années soixante, on a tous les éléments de la crise structurelle qui asphyxie l’économie et la société réunionnaises depuis soixante-huit ans. Et sur cela se greffent, depuis six ans, les conséquences de la crise mondiale.

Les menaces qui pèsent sur nous se sont aggravées : les outre-mer ne sont pas à l’abri d’explosions sociales tout aussi graves, sinon plus, que celles de 2009.

Les impacts de la crise sont considérables pour la France continentale ; ils le sont encore plus dans les territoires insulaires, fragiles. À La Réunion, nous ne le rappellerons jamais assez, c’est près d’un tiers de la population active qui est condamnée au chômage, ce sont plus de 40 % de la population totale qui vivent officiellement au-dessous du seuil de pauvreté. Quelle serait la situation de la France si elle comptait 10 millions de chômeurs et si 30 millions de ses habitants vivaient au-dessous du seuil de pauvreté ?

C’est sous cet angle que nous devons examiner le budget que l’on nous présente. Certes, les crédits de la mission « Outre-mer » ont été épargnés par les coupes budgétaires, mais ils ne représentent en fait que 14 % de l’effort financier consacré par l’État aux territoires ultramarins.

Au-delà de l’annonce brute des chiffres, il convient de s’interroger sur la philosophie économique qui sous-tend l’élaboration de ce budget.

Premier exemple : pour l’outre-mer, on nous annonce une augmentation des exonérations de cotisations sociales de 200 millions d’euros durant le quinquennat, soit une augmentation de 20 % en cinq ans.

Deuxième exemple : parmi les dix mesures phares présentées par le ministère des outre-mer, pour la croissance et l’emploi, trois portent sur les crédits d’impôt et une porte sur la défiscalisation.

Néanmoins, dans le même temps, les crédits de la ligne budgétaire unique pour le logement restent stables cette année et seront sanctuarisés pour les trois années à venir. Et que dire de cette mesure « phare » qu’est « la tenue d’un conseil de promotion du tourisme outre-mer au premier trimestre de 2015 », afin d’élaborer une stratégie ?

Le ministère des outre-mer avait annoncé le financement, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014, d’un plan de relance du tourisme en faveur de l’outre-mer. Sa réalisation était confiée à Atout France. Quel en est le bilan ? Quelles sont les retombées de la campagne internationale de promotion qui a été menée ?

Si changements il y a eu sur l’échiquier politique, force est de constater que ce sont toujours les mêmes méthodes, les mêmes leviers qui sont actionnés depuis deux tiers de siècle. Le cadre de réflexion dans lequel s’inscrivent les politiques en faveur des outre-mer n’a pas évolué, et cela, quels que soient les gouvernements en place.

Il n’y a pas de prise de conscience de la gravité de la situation dans les outre-mer, ou très peu. Et surtout, il n’y a pas la volonté d’admettre que le mode de développement plaqué sur les outre-mer depuis 1946 est à bout de souffle et qu’il faut en changer.

Certes, nous avons le droit d’amendement. Toutefois, quel que soit le nombre d’amendements que nous pouvons déposer, nous savons tous que cela ne changera en rien la situation au fond, que cela ne résoudra en rien nos difficultés.

De nombreuses réflexions ont été engagées durant ces dernières décennies, de nombreux rapports ont été commis, mais ils n’ont jamais été suivis d’effet, dans leur prise en compte globale. En 2011, j’avais attiré l’attention du gouvernement d’alors sur les échéances fatidiques pour La Réunion. Fait significatif de leur urgence, ces échéances fatidiques convergeaient en 2014.

J’évoquais le renouvellement du règlement sucrier : l’échéance est reportée. Portant, comment envisageons-nous, ensemble, la suite, à savoir la fin des quotas en 2017 – c'est-à-dire demain –, et, par voie de conséquence, celle du prix communautaire garanti ? La promesse d’une aide complémentaire de 38 millions d’euros pour la filière canne-sucre-rhum-bagasse est suspendue à la détermination de la France à obtenir l’autorisation de Bruxelles.

Toutefois, au-delà de cette aide ponctuelle, quelle est notre stratégie d’avenir ? Comment peut-on légitimement discuter en toute sérénité lorsque des rapports sur cette question sont confisqués par les ministères ? Et comment peut-on envisager l’avenir de la filière de la canne lorsque l’horizon de la prochaine convention canne entre planteurs et usiniers est réduit à deux ans seulement ?

J’évoquais le nouveau régime de l’octroi de mer. Là encore, l’échéance est repoussée de quelques années. Cependant, quelle est la perspective durable au-delà du terme fixé ? Le même questionnement que pour le règlement sucrier prévaut.

Même triste constat pour la question de la réforme des collectivités territoriales. Celle-ci était contestée en métropole, et elle le reste. Nous le disions alors, nous le répétons aujourd’hui : elle est totalement inadaptée aux outre-mer, notamment à La Réunion. La question de la gouvernance reste entière pour les outre-mer.

Quelles avancées pour La Réunion et les outre-mer dans la négociation des accords de partenariat économique entre l’Europe et les pays d’Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique ? Nous sommes toujours exclus de toute discussion. On aurait pu légitimement penser que des ambassadeurs sur nos trois océans avaient un rôle à jouer. Nous avons vite déchanté.

J’en donnerai un exemple : dans un mois – je dis bien dans un mois –, en décembre prochain, sera signé un accord entre vingt-sept pays d’Afrique orientale et australe regroupant 600 millions d’habitants et représentant 58 % du PIB continental. Parmi ces États figurent toutes les îles du sud-ouest de l’océan Indien, proches de La Réunion. Ces vingt-sept pays sont engagés dans un processus d’intégration économique, commerciale et sociale, ainsi que dans un accord de libre-échange commercial avec l’Union européenne. Quel sera le sort de La Réunion dans ce processus en cours ?

Chacun répète à l’envi que les outre-mer sont une chance pour la France, qu’ils permettent son rayonnement sur trois océans. Pourtant, dans le même temps, on continue à ignorer nos difficultés d’insertion dans notre environnement géographique proche. Un exemple : dans notre environnement immédiat, Madagascar est distante de La Réunion comme Paris l’est de Marseille.

M. le président. Mon cher collègue, je vous invite à conclure.

M. Paul Vergès. Je vais conclure, monsieur le président.

Cette île, peuplée de 4 millions d’habitants en 1946, en compte aujourd’hui plus de 23 millions et atteindra 55 millions d’habitants en 2050, soit dans une génération. Quelle est notre politique pour ce rendez-vous ?

Revenons à notre débat budgétaire. Bien sûr, il y a eu quelques avancées, ces trois dernières années. La loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer, par exemple, a permis d’encadrer, très timidement d’ailleurs, certains prix de la grande distribution, ainsi que l’activité bancaire. Néanmoins, le coût du crédit est toujours plus élevé dans les outre-mer qu’en France métropolitaine, et cela n’est pas acceptable.

Les anciens ministres Pierre Moscovici et Victorin Lurel, en mars de cette année, ont confié au comité consultatif du secteur financier une mission sur « la tarification des services bancaires dans les départements et collectivités d’outre-mer ». Ce rapport, daté de juin 2014, est d’ailleurs très instructif : il nous apprend que « le mouvement de convergence est ainsi amorcé par la tarification croissante des frais de tenue de compte en métropole ». L’écart se resserre, non pas parce qu’il y a une baisse outre-mer, mais parce que les tarifs augmentent en métropole.

Pour conclure, je citerai quelques chiffres. Les crédits de la mission « Outre-mer » s’élèvent, pour 2015, à 2,19 milliards d’euros. Les compléments de rémunération de la fonction publique d’État versés aux outre-mer, tous territoires confondus, s’élevaient, en 2013, à quelque 1,164 milliard d’euros, dont la moitié pour La Réunion.