M. le président. Mon cher collègue, il faut vraiment conclure !

M. Paul Vergès. Le coût des dépenses fiscales relevant de la mission outre-mer est estimé pour l’année 2015 à quelque 3,867 milliards d’euros. Peut-on raisonnablement envisager de poursuivre le même schéma de développement ?

Nous sommes à la croisée des chemins. Il est déjà très tard pour changer, mais il n’est pas encore trop tard pour prendre des mesures significatives et novatrices répondant à l’urgence économique, sociale, environnementale, et montrant une volonté de changement fondamental de politique.

Nous pouvons, s’il y a la volonté politique de le faire, ouvrir de nouvelles perspectives de développement en ayant le courage d’opérer les changements fondamentaux nécessaires : c’est le défi que nous avons à relever. Tout est une question de volonté politique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.

M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, il me revient l’honneur de m’exprimer sur le budget de l’outre-mer au nom du groupe RDSE, qui compta parmi ses membres les plus illustres Gaston Monnerville, élu de l’outre-mer, qui fut un grand président du Sénat et un ardent défenseur de la Haute Assemblée.

En guise de propos liminaire, je soulignerai, comme l’ont fait les orateurs qui m’ont précédé, que cette mission est l’une des rares, dans le contexte budgétaire que l’on sait, dont les crédits augmentent, quoique légèrement : 0,3 % en crédits de paiement – voire 2,6 % à périmètre constant –, même si les crédits d’engagement connaissent un tassement de 2,3 %.

Ce maintien constitue un effort indéniable, dans un contexte de redressement des comptes publics – nous l’avons vu au travers de l’examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2015 et de celui des autres missions. Il est, en outre, conforme à la trajectoire triennale 2014-2017 et constitue un message fort en direction de tous les territoires ultramarins.

Nous le savons, les crédits de cette mission ne constituent qu’une partie des dispositions budgétaires et fiscales inscrites dans le projet de loi de finances et ayant une incidence dans les outre-mer. Les documents de politique transversale concernant l’outre-mer mettent en lumière une stabilisation des autorisations d’engagements entre les exercices 2014 et 2015.

Toutefois, l’année 2014 fut marquée par d’importants événements climatiques et des inondations sans précédent qui frappèrent les Petites Antilles, touchant plus particulièrement Saint-Martin.

Madame la ministre, quelques jours après le passage du cyclone Gonzalo, vous êtes venue à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin vous rendre compte des dommages causés, qui sont estimés à 3 millions d’euros s’agissant des seuls équipements publics. Ces dégâts sont des plus malvenus au moment où s’ouvre la saison touristique dans les Antilles.

Dans ce contexte, l’article 57 du présent projet de loi de finances, rattaché à la présente mission, qui prévoit l’abrogation de l’aide à la rénovation d’hôtels, instaurée par la loi pour le développement économique des outre-mer de 2009, nous a alertés.

Je ne reviendrai pas sur les écueils de ce dispositif, surtout sa complexité. Paradoxalement, bien qu’il n’ait été que peu utilisé sur l’ensemble des territoires d’outre-mer, celui-ci était largement consommé par les professionnels de Saint-Martin. Si certains autres mécanismes fiscaux existent en soutien de l’industrie du tourisme, la suppression de cette aide pourrait mettre en péril le fragile équilibre de ce secteur.

L’économie saint-martinoise repose essentiellement sur le tourisme. Son impact, direct ou indirect sur l’ensemble des activités économiques de l’île demeure fort. En outre, Saint-Martin se caractérise par un taux de chômage structurellement très élevé. Si l’on se fie au tableau inséré dans la note de présentation de nos collègues rapporteurs spéciaux, il est même le plus élevé, parmi l’ensemble des territoires d’outre-mer.

En septembre dernier, madame la ministre, lors de votre intervention en clôture du colloque intitulé « Tourisme outre-mer : osons une nouvelle dynamique », à l’Assemblée nationale, vous avez fixé, parmi vos priorités, le développement des infrastructures d’accueil, notamment hôtelières. Pour ce faire, vous aviez mis en avant le CICE renforcé à 9 % et évoqué un éventuel CICE « super-renforcé » à 12 %, pour les secteurs exposés à la concurrence.

Cependant, la collectivité de Saint-Martin, disposant de l’autonomie fiscale, ne bénéficie pas de ce dispositif de crédit d’impôt, qui pourrait compenser la suppression de l’article 26 de la loi de 2010 pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM.

Mes chers collègues, si nous sommes tous ici des élus de la nation tout entière, nous n’en sommes pas moins des élus attachés à nos territoires. Le Sénat assure aussi la représentation des collectivités territoriales de la République, et je me fais donc le porte-parole des élus de la collectivité dont j’ai également l’honneur d’être le premier vice-président. Aussi, permettez-moi de m’éloigner quelques instants du périmètre de la mission « outre-mer ».

Madame la ministre, lors des travaux de l’Assemblée nationale, vous avez déclaré à propos des mesures inapplicables à Saint-Martin en raison de son autonomie fiscale : « C’est la rançon de la responsabilisation, qui emporte aussi quelques contraintes ». Je partage votre avis. Un statut de collectivité d’outre-mer implique en effet des responsabilités. La majorité actuelle de l’assemblée territoriale en prend toute sa part.

Toutefois, exemple parmi d’autres, entre 2011 et 2013, les recettes fiscales de la collectivité ont augmenté de plus de 40 %. Cette hausse s’est faite à la seule faveur des dispositions fiscales nouvelles votées par le Conseil territorial. Si l’État encourage la collectivité de Saint-Martin à assumer ses responsabilités, cela ne nous offense pas, loin de là. Néanmoins, cela implique aussi la même exigence de la part de l’État.

J’en donnerai quelques illustrations. La première concerne la compensation financière insuffisante des transferts de compétence intervenus en 2007. Nos concitoyens saint-martinois en subissent les conséquences au quotidien : des investissements inférieurs aux besoins et un faible budget alloué à la jeunesse saint-martinoise, dont l’extraordinaire potentiel ne demande qu’à croire en l’avenir.

Il nous faut dépassionner les discussions, dépasser les clivages et travailler ensemble à l’émergence de solutions pour l’avenir de Saint-Martin.

Le deuxième sujet concerne les recettes fiscales non reversées à la collectivité. Cela fait plusieurs années que l’exécutif demande le reversement des recettes fiscales dues : droits sur les jeux, droits de succession, fraction de taxe de l’aviation civile, compensation des règles particulières de domiciliation fiscale... La liste pourrait être encore bien plus longue.

Malgré des engagements écrits du préfet délégué auprès des collectivités de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, ainsi que de vos prédécesseurs, rien n’est encore réglé. Madame la ministre, je tiens à souligner l’inquiétude grandissante au niveau local.

À Saint-Martin, les 10 millions d’euros qui sont attendus seraient particulièrement appréciés, surtout eu égard à la situation budgétaire dégradée que nous déplorons, ainsi qu’aux dépenses imprévues liées aux événements climatiques dont j’ai fait mention tout à l’heure.

J’admets que les sujets que j’évoque ici auraient pu trouver leur place au cours de l’examen des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Cependant, votre présence aujourd’hui m’a amené à les exposer devant vous – vous le comprendrez, madame la ministre, j’en suis certain –, en attendant notre rencontre prochaine et leur examen plus en détail.

Je souligne que ces questions sont d’importance et je suis certain qu’elles pourront constituer les prémices d’un dialogue renouvelé et d’un travail en concertation entre l’État et la collectivité de Saint-Martin.

Ainsi, madame la ministre, mes chers collègues, mon groupe, le RDSE, et moi-même approuverons les crédits de la mission « Outre-mer » de ce projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Magras.

M. Michel Magras. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le niveau des crédits et leur variation sont certes des éléments clefs pour apprécier un budget, mais ils sont tout autant des signaux envoyés pour indiquer une orientation des politiques publiques, directement ou en marge du budget.

En l’occurrence, madame la ministre, dans sa globalité, c’est avec un certain soulagement que j’ai trouvé du sens aux orientations que traduisent votre budget et les annonces qui l’ont accompagné. C’est l’une des raisons pour lesquelles je commencerai volontairement par m’écarter du budget en relevant votre projet de stratégie pour relancer le tourisme outre-mer.

Je crois, en effet, qu’il s’agit d’un secteur qui doit concentrer toute l’attention, tant son potentiel de croissance est important. En outre, comme vous le savez, c’est un sujet auquel je suis particulièrement sensible. L’outre-mer possède la matière première touristique. Or le secteur du tourisme contribue à hauteur de moins de 10 % au PIB. On ne peut qu’en conclure que le potentiel de croissance et d’emplois inexploité est considérable.

C’est pourquoi, symboliquement, j’ai souhaité commencer cette intervention par ce point, pour saluer cette intention. Il en est de même s’agissant de l’augmentation des crédits du service militaire adapté, le SMA, car ce dispositif mérite d’être renforcé. Il répond en effet au besoin de formation et d’encadrement de la jeunesse ultramarine, qui enregistre des taux de chômage record, de plus de 30 % en moyenne.

Nous ne devons pas non plus ignorer les difficultés, inégales d’un territoire à un autre – sociales, voire parfois morales –, qui sont cachées derrière les chiffres de l’emploi. La jeunesse a besoin de repères, plus encore dans un contexte difficile, et je pense que le SMA constitue une réponse globale pour les jeunes qui s’y dirigent.

Ce budget prend par ailleurs en charge une partie de la politique fiscale mise en œuvre outre-mer. Ce serait me renier que d’affirmer que la défiscalisation est un outil que j’approuve de manière absolue. Nombreux sont ceux de mes collègues qui ont eu l’occasion de m’entendre la décrier en raison du caractère artificiel et non durable de l’activité économique qu’elle crée.

Pour autant, je considère qu’elle reste pour l’outre-mer un outil qui permet de compenser les difficultés d’accès au crédit et le déficit en capital pour l’investissement. Lier l’avantage fiscal à la réalisation d’un objectif – ce que j’ai souvent appelé « la défiscalisation de projet » – aurait à mon sens favorisé des investissements plus inscrits dans la durée.

Cela dit, au titre des mesures fiscales, je souhaiterais aborder en premier lieu la suppression de l’aide à la rénovation hôtelière. Mon collègue de Saint-Martin vient d’en parler brillamment. Je sais que nombreux sont mes collègues qui la déplorent. Je suis, pour ma part, plus nuancé, car je considère qu’il s’agissait d’un dispositif en demi-teinte.

Le parc hôtelier ultramarin de la Guadeloupe, que je connais mieux – mais j’ai entendu mon collègue de la Martinique dire la même chose du parc martiniquais –, nécessite un vaste plan de mise aux normes internationales pour pouvoir entrer véritablement en concurrence avec les îles voisines. Je mets donc cette suppression en perspective de la stratégie de relance du tourisme annoncée, souhaitant qu’elle préfigure la mise en place d’un outil de remplacement plus global et, j’ose le dire, plus efficace.

Toujours au titre des mesures fiscales, je crois inutile de préciser que je note avec satisfaction le relèvement à 50 % du crédit d’impôt recherche.

Il est effectivement vital d’encourager la recherche et le développement dans ces territoires, et, sur ce point, les chiffres parlent d’eux-mêmes : la recherche et développement représentent en outre-mer 0,65 % du PIB, contre 2,24 % en métropole. Le retard est donc considérable. On peut, de plus, attendre un double bénéfice de cette incitation : outre l’augmentation de la recherche par les entreprises locales, elle pourrait favoriser l’implantation d’entreprises attirées par l’avantage fiscal.

La recherche montre d’ores et déjà un dynamisme encourageant, avec une hausse de plus de 20 % des effectifs salariés du secteur de la recherche scientifique dans les départements d’outre-mer entre 2006 et 2012.

En revanche, s’agissant du crédit impôt innovation, je regrette que le taux de 20 % ait été maintenu. La mesure mérite d’être renforcée par rapport à la métropole, car elle correspond davantage au tissu entrepreneurial ultramarin, composé essentiellement de très petites, petites et moyennes entreprises.

Dans le contexte majoritairement insulaire des économies ultramarines, j’ai souvent eu à le dire, l’innovation n’est pas un mot ou une expression à la mode : elle est incontournable, voire vitale. L’insularité suppose une adaptation permanente, et encore plus aujourd’hui que se pose avec acuité la question de la transition énergétique. L’innovation est une clef du développement et de la réussite de nos territoires. L’encourager et l’accompagner n’est pas seulement un choix, c’est une obligation.

Or, avec un crédit impôt innovation fixé à 20 %, l’avantage fiscal dont pourrait bénéficier la majorité des entreprises serait moindre que celui du crédit impôt recherche, plus adapté aux grandes entreprises.

Quant au relèvement du plafond de défiscalisation pour le logement intermédiaire, il me semble conforme aux besoins et la structure socioéconomique de l’outre-mer, ce segment de logement connaissant d’importants besoins également.

À cet égard, la préservation des crédits de la ligne budgétaire unique, la LBU, marque la volonté de ne pas infléchir l’effort de rattrapage des besoins en logements sociaux. La réponse du Gouvernement au référé de la Cour des comptes sur le logement social outre-mer conforte la nécessité de maintenir la combinaison de la subvention par la LBU et de la dépense fiscale en matière de logement social.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’objectif de croissance et de création d’emplois que nous visons tous ne peut se concevoir sans aborder la question de la compétitivité.

Dans leur environnement régional, les économies des outre-mer sont comparativement désavantagées par le poids des charges qui pèsent sur leurs entreprises. Le renforcement du CICE doit donc permettre d’améliorer leur compétitivité, à condition, bien entendu, que cet allégement y soit dédié et non considéré comme un simple allégement sans contrepartie.

Pour les secteurs exposés, au sein desquels j’inclus le tourisme, ce taux devrait être renforcé par un allégement supplémentaire de charges. Cet équivalent pourrait être atteint, notamment, par le relèvement des plafonds de salaires éligibles aux exonérations de charges.

En effet, si la concentration des allégements sur les bas salaires permet de cibler le plus grand nombre, il convient de prendre garde à ne pas créer une trappe généralisée aux bas salaires, au risque de créer une économie sous-encadrée. Le relèvement des plafonds serait, de surcroît, cohérent avec l’incitation à l’investissement dans la recherche notamment, et l’on ne pourra pas non plus relancer le tourisme sans cadres.

Enfin, un dernier sujet, mais non des moindres, est celui de la continuité territoriale. J’ai relevé les propos de Mme Bello, évoquant à l’Assemblée nationale l’ambiguïté du dispositif, d’ailleurs révélée par son nom.

Le rapport de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer, la CNEPEOM, nous a amenés à conclure au sujet des dispositifs d’aide à la continuité territoriale qu’il convenait de trouver une ressource à affecter à leur financement, tout en les encadrant davantage, notamment pour l’aide à la continuité territoriale, l’ACT, un dispositif tout public, cofinancé par certaines régions.

L’ouverture d’un droit sans fixer de limites revient à augmenter la dépense selon l’évolution de la demande. Je reste néanmoins surpris, comme beaucoup d’autres, par l’amputation de 10 millions d’euros des crédits consacrés à la continuité territoriale.

Madame la ministre, je suis bien conscient qu’un budget ne peut pas tout régler et que les urgences sont nombreuses outre-mer. Je suis convaincu que, dans ce contexte, le travail et la réflexion doivent être mis en commun, et c’est dans cet esprit que j’inscris mon intervention.

Je ne saurais toutefois conclure ce propos général sans évoquer Saint-Barthélemy. Le Sénat a adopté cette semaine un amendement réduisant la dotation globale de compensation négative de Saint-Barthélemy. Je le sais, madame la ministre, c’est un sujet que vous suivez avec attention, et je suis persuadé que votre accompagnement sera déterminant pour le sort de cet amendement.

J’en terminerai avec la question qui vous a été posée à l’Assemblée de l’extension du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi aux collectivités d’outre-mer à fiscalité particulière.

La proposition de Saint-Barthélemy sur ce point est formulée dans la proposition de loi que j’ai déposée, visant notamment à créer une caisse locale de prévoyance sociale. Celle-ci permettrait un abaissement des charges en produisant un effet équivalent à celui du CICE. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Vergoz.

M. Michel Vergoz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je formulerai trois remarques sur cette mission « Outre-mer ».

La première est l’augmentation constante de ses crédits de paiement sur les trois dernières années, de 7,5 %. Ce constat atteste du respect par le Gouvernement de l’engagement pris par le chef de l’État de faire des territoires ultramarins de la République une priorité. La considération retrouvée de la République envers ses outre-mer tourne ainsi le dos au sentiment d’abandon de ces dernières années, et je m’en félicite.

Ma deuxième remarque porte sur les orientations majeures confirmées, voire renforcées, au travers de ce budget, sur des dossiers aussi vitaux que ceux du logement et de l’emploi.

S’agissant du logement, la ligne budgétaire unique est remise sur la voie de la sanctuarisation. LBU, défiscalisation, c’est, dans cet ordre, la meilleure association pour une relance sécurisée et efficiente du secteur du logement outre-mer.

À propos de la défiscalisation élargie au logement intermédiaire à hauteur de 18 000 euros, la voix des élus et des acteurs économiques a été entendue par le Gouvernement. Madame la ministre, nous nous en réjouissons.

La défiscalisation, si longtemps décriée, souvent à juste titre, est une véritable clef pour le développement économique et social des outre-mer. Mes chers collègues, nous savons reconnaître les bonnes initiatives, même quand elles ne viennent pas de nous. La mise en œuvre, aujourd’hui responsable et transparente, de la défiscalisation, est une condition essentielle à la poursuite de sa mobilisation efficace demain. Nous devons tous en être conscients et nous préparer aux évaluations.

En ce qui concerne l’emploi, de nombreuses autres mesures dans ce budget constituent des atouts essentiels pour y faire face. Il en est ainsi des exonérations de charges en augmentation, comme les orateurs précédents l’ont souligné, ainsi que de la hausse du CICE – celui-ci est une réalité, dès à présent, dont la visibilité est triennale –, à 4 % en 2013, 6 % en 2014, puis 7,5 % en 2015 et 9 % en 2016, autant de mesures de nature à renforcer ce crédit d’impôt, si d’aventure nous parvenons à le faire entrer dans le cadre de la réglementation européenne.

Soulignons également la présence aujourd’hui de la Banque publique d’investissement, la BPI, qui est opérationnelle, en lieu et place de banques privées souvent aux abonnés absents.

Il en est de même du service militaire adapté, le SMA, symbole fort de l’apprentissage et de la formation professionnelle, un outil de référence que ce budget assoit et développe, ou encore de l’économie sociale et solidaire, enfin reconnue, afin de répondre au mieux au défi du chômage qui gangrène et déstructure nos sociétés ultramarines. Dans ce budget, de nombreuses mesures constituent en effet des leviers importants pour agir plus efficacement sur l’emploi.

Ma dernière remarque concerne l’amendement présenté par M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales sur la continuité territoriale.

Comme je l’ai indiqué en 2011 et en 2012, alors que j’assurais cette fonction, la continuité territoriale, slogan de campagne déjà en 2002, n’a jamais existé, sauf à continuer de détourner les mots de leur sens véritable. Même 50 millions d’euros n’assurent en rien une continuité territoriale entre les outre-mer et l’Hexagone. En revanche, 10 millions d’euros en moins sur le SMA font beaucoup de dégâts !

En réalité, mes chers collègues, c’est d’aide à la mobilité seule que nous devrions parler. Agissons ensemble, État et régions, pour rendre cette aide plus efficace, au côté de ceux qui en ont besoin : jeunes, étudiants, personnes en formation, familles à faibles revenus... Les moyens mobilisés dans ce budget pour l’aide à la mobilité nous le permettent.

Mes chers collègues, ce budget est respectueux des engagements, il est volontaire dans un contexte budgétaire difficile, il est aussi courageux de la part du Gouvernement, face aux interrogations légitimes que pourraient lui poser nos collègues hexagonaux.

Aussi, me vient à l’esprit cette situation si bien décrite en créole : Certes, Z’enfant i pleure pas na poin tété – l’enfant qui ne pleure pas n’a pas sa tétée. (Sourires.) Toutefois, attention : À force tant lu pleure, personne i entend pu lu – à force de tant pleurer, plus personne ne l’entend. (Nouveaux sourires.)

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. C’est joli !

M. Michel Vergoz. Les outre-mer sont au pied du mur. Soyons à la hauteur. Je vous remercie de soutenir ce budget. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Sueur. Excellente intervention, tout à fait remarquable !

M. le président. La parole est à M. Pierre Frogier.

M. Pierre Frogier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne puis prendre la parole devant vous, en cette fin d’après-midi, sans me rappeler que, voilà trente ans, jour pour jour, la Nouvelle-Calédonie était défigurée par une terrible flambée de violence.

C’est en novembre 1984 qu’a débuté cette période sombre de notre histoire récente, que nous avons pudiquement baptisée « les événements », quand la revendication indépendantiste a choisi, pour s’exprimer, la voie insurrectionnelle.

Notre territoire a été livré à une véritable guerre civile, à la confrontation brutale de nos communautés. Il a vécu une période de violents désordres, d’exactions, de vols, de pillages, d’incendies, qui ont déchiré les familles, les tribus et les clans. Il y eut des familles contraintes de quitter la brousse, des clans chassés de leurs terres. Il y eut des blessés et des morts.

Trente ans après, nous n’avons pas oublié et nous ne voulons plus jamais revivre cela. Nous n’avons pas oublié non plus que ce sont les promesses aux indépendantistes du gouvernement socialiste de l’époque, promesses impossibles à tenir, qui ont mis la Calédonie à feu et à sang. Cela non plus, nous ne voulons plus le connaître !

Après nous être violemment affrontés, entre indépendantistes et partisans du maintien au sein de la France, nous avons choisi la voie difficile de la paix et de la réconciliation, et nous avons décidé de construire, ensemble, notre avenir. Depuis 1988, grâce aux accords de Matignon, prolongés par l’accord de Nouméa, nous sommes engagés dans un processus exemplaire de dialogue et de partage des responsabilités. Ce processus fait l’admiration de tous.

À l’heure où le Président de la République vient de se rendre en Nouvelle-Calédonie et alors que nous entamons la dernière phase du processus de l’accord de Nouméa, il nous a été rappelé que l’État organiserait, au plus tard en 2018, un référendum d’autodétermination pour décider de notre avenir.

Je souhaite vous redire ce soir, avec force, que ce référendum d’autodétermination n’est pas susceptible de résoudre l’équation qui nous est posée : satisfaire deux revendications radicalement antagonistes.

Si, lors de cette visite, le Président de la République a tenu à s’incliner sur les tombes de Jacques Lafleur et de Jean-Marie Tjibaou, c’est bien pour saluer la poignée de main qui a scellé un accord de paix et de réconciliation. Ce geste nous oblige et nous engage, par ailleurs, en nous rappelant que, en surmontant nos différences, la cogestion du territoire, entre les indépendantistes et nous, est devenue la norme.

Certes, vous m’opposerez que le scrutin d’autodétermination est inscrit dans l’accord de Nouméa. Toutefois, ce scrutin d’autodétermination est absurde, monsieur Sueur !

Alors que, depuis près de trente ans, nous faisons tout pour travailler ensemble, pour apprendre à nous connaître et à nous reconnaître, pour nous respecter mutuellement, nous allons rouvrir de vieilles blessures, nous allons de nouveau diviser les Calédoniens, et tout cela pour une consultation dont nous connaissons par avance le résultat, quelle que soit l’habileté rédactionnelle des questions qui seront posées. Je vous le dis, cela n’a aucun sens ! Pis, en validant la logique des blocs, le référendum brutal risque de séparer ces mains qui se sont unies.

Madame la ministre, je pense aussi comprendre que l’accord de Nouméa, dans sa rédaction actuelle, est finalement une aubaine pour l’État, ce dernier étant plus prompt à esquiver, à fuir ses responsabilités régaliennes de signataire des accords, plutôt qu’à assumer son rôle de partenaire éminent.

En vous situant à équidistance des indépendantistes et de nous, vous nous renvoyez dos à dos, au risque d’alimenter les tensions entre nous. En ajoutant un groupe d’experts indépendants à la mission Christnacht-Merle, le tout placé sous l’œil vigilant de missions parlementaires de réflexion sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie – à l’Assemblée nationale, et pourquoi pas au Sénat ? –, vous créez les conditions de l’impuissance et de la cacophonie.

Madame la ministre, les enjeux en Calédonie et dans le Pacifique exigent un État fort, sûr de lui, afin que ne triomphent pas ceux qui s’opposent dans les deux camps aux concessions nécessaires.

Un État fort, c’est être capable de se tenir aux côtés des Calédoniens, qui, en dernier ressort, décideront de leur avenir, mais en affirmant avec courage ses ambitions, ce qu’il ne fait pas.

Un État fort, c’est être capable d’affirmer la fierté de la France d’être reconnue comme puissance régionale dans le Pacifique, au moment où cet océan est convoité par d’autres grandes puissances.

Un État fort, c’est être capable de saluer le message de milliers de Calédoniens, mobilisés le jour de l’arrivée du Président de la République à Nouméa, afin de lui dire leur fierté d’être Français et leur volonté de le rester, ce qu’il n’a pas fait.

Madame la ministre, l’État n’aura pas d’autre choix que de faire la proposition d’un nouvel accord, quel qu’en soit le nom. Plus il tardera, plus l’issue sera aléatoire, et vous en porterez la responsabilité, car ce n’est pas en substituant des proclamations formelles au douloureux exercice de la négociation que l’on se rapprochera de la solution.

N’ignorez pas la volonté très majoritaire des Calédoniens à rester Français, fiers de leur appartenance à une nation capable de reconnaître et d’additionner leurs différences ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)