M. Pierre-Yves Collombat. Il ne fera rien, comme maintenant !

M. François Patriat. Les métropoles l’informeront des décisions qu’elles ont prises en matière d’innovation pour leur université, leurs incubateurs et l’inviteront simplement à s’acquitter de la participation de la région.

C’est pourquoi je suis quelque peu déçu. Je dois être le seul président de région présent ici, et il n’y a pas beaucoup de conseillers régionaux non plus. Je me permettrai donc, mes chers collègues, de vous faire une proposition : puisque tout le monde fait tout, et le fait bien, alors supprimons les régions ! (Sourires.) Si ces dernières ne sont plus que des guichets, simplifions l’organisation territoriale, supprimons un échelon et faisons des économies !

Bien entendu, je ne voterai pas cet amendement, qui sera vraisemblablement supprimé par l’Assemblée nationale – je le souhaite en tout cas. Je ne comprends pas que, aujourd’hui, sur un sujet aussi sensible que celui de l’emploi et du développement économique, on continue à mener des guerres gauloises picrocholines. Je sais bien qu’Alésia est en Bourgogne, mais je pensais que ce temps était révolu.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Mes chers collègues, maintenons nos propos dans des proportions qui nous permettent de dialoguer au plus près de la réalité du texte. Je serais malheureux, cher François Patriat, que vous considériez que l’amendement de clarification présenté par notre rapporteur, au nom de la commission, doive conduire à supprimer les régions.

Quelle est la réalité ? Le projet de loi du Gouvernement indiquait que la région était « la collectivité territoriale responsable […] de la définition des orientations en matière de développement économique ». Le texte de la commission des lois, que nous nous préparons à modifier via un amendement de cette même commission, est plus régionaliste que le texte du Gouvernement. (Mme la ministre acquiesce.) En effet, il précise que, en plus de définir des orientations en matière de développement économique – il faut être conscient qu’une orientation n’impose pas d’obligations –, la région « est seule compétente pour décider des interventions économiques sur son territoire ».

Cette avancée en faveur des régions a paru excessive à beaucoup de nos collègues, qui ont souligné le rôle du bloc communal, de la métropole de Lyon, de leur agglomération…

M. Bruno Sido. Et de leur département !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous avons essayé de les rassurer en leur disant que tout était prévu, que la mention des différents articles dans le texte couvrait leurs préoccupations. Cependant, ils ont répondu qu’ils voulaient de la sécurité juridique. C'est pourquoi, cette nuit, nous avons fait un ultime effort pour clarifier notre rédaction, en rectifiant à nouveau l’amendement n° 1021 rectifié afin de prendre en compte les préoccupations du bloc communal, de la métropole de Lyon et des agglomérations, mais aussi des départements. Ces collectivités souhaitent pouvoir continuer à intervenir dans certains domaines, essentiellement par délégation de la région et dans le cadre fixé par cette dernière.

Je résume : le texte du Gouvernement était moins régionaliste que le texte de la commission ; ce dernier comportait déjà des renvois aux articles définissant les compétences que peuvent exercer les autres collectivités ; ces renvois n’étant pas suffisamment clairs, nous vous proposons de les clarifier afin que la commune – au titre de sa clause de compétence générale, qu’il n’était de toute façon pas prévu de supprimer ni dans le texte du Gouvernement ni dans celui de la commission –, la métropole et l’agglomération puissent continuer à intervenir. Ces collectivités doivent pouvoir exercer des responsabilités en matière de développement économique local, à condition, naturellement, que leurs actions n’entrent pas en contradiction avec les décisions prises au niveau régional.

Nous sommes très clairs sur le rôle de chacun. Nous n’avons pas créé de compétence nouvelle pour les communes, la métropole de Lyon et les agglomérations, ni pour les départements. Nous avons au contraire supprimé la compétence économique générale des départements. Nous n’avons pas supprimé, en revanche, les compétences qui s’exercent au plus près des réalités économiques. Ni la commission ni le Gouvernement n’ont proposé de les supprimer. Cela allait peut-être sans dire, mais cela va encore mieux en le disant. C’est l’objet de l’amendement n° 1021 rectifié bis dont nous discutons.

Cet amendement ne résulte pas d’une sorte de complot fomenté aux portes de l’hémicycle. Il s'agit d’un amendement de clarification présenté officiellement par la commission des lois afin de faire en sorte que chacun trouve son compte dans le texte tout en affirmant très fortement, et plus clairement que dans le texte du Gouvernement, la compétence régionale.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Hier soir, en écoutant les différentes interventions, j’ai été frappé par la confusion du débat. Ce matin, en lisant l’amendement n° 1021 rectifié bis de notre rapporteur Jean-Jacques Hyest, j’ai cru voir une avancée salutaire.

Je voudrais dire comment je perçois cet amendement, pour répondre aux propos de mon ami François Patriat. Il ne faudrait pas, en effet, qu’il y ait des lectures très différentes aboutissant à ce qu’on ne comprenne pas ce que souhaite le Sénat.

Il est clair, cher François Patriat, que si cet amendement signifiait que tout le monde fait tout, il représenterait un recul, et vous auriez tout à fait raison de vous insurger. Cependant, à mon sens, il n’entame en rien la principale innovation du projet de loi, qui est peut-être le seul progrès sensible qui résultera de sa lecture au Sénat, car nous nous en tiendrons probablement au statu quo sur bien des points. Pour moi, ce qui est essentiel, c’est que le texte affirme nettement la compétence économique des régions. Le rôle de ces dernières est clairement mentionné : la région est la collectivité de l’économie. Il faut le dire et le redire, parce que, si tel n’était pas le cas, ce que nous faisons n’aurait aucun sens.

En même temps, j’ai compris que l’adjectif « seule » posait un réel problème, dans la mesure où l’on maintient la compétence générale des communes, et par conséquent leur compétence en matière économique, qu’elles peuvent également déléguer à leur intercommunalité.

M. Bruno Sido. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Sueur. L’adjectif « seule » pose surtout un problème de fait. Si la région a un rôle éminent en matière économique, il est clair qu’il existe des armatures urbaines, des communautés et des métropoles, et que ces collectivités interviennent forcément dans le processus économique.

Il s’agit donc d’affirmer que l’impulsion, la compétence, c’est la région. Notre rapporteur Jean-Jacques Hyest a prononcé une phrase essentielle : les aides économiques seront du ressort des régions ; ce sont les régions qui en seront à l’origine et les attribueront. Cela étant, chacun comprend bien que, avant d’attribuer des aides, il n’est pas interdit de dialoguer avec la ville, qu’elle soit grande, moyenne ou petite, sur le territoire de laquelle on veut aider à une implantation industrielle ou dans laquelle on veut créer une implantation industrielle.

Cet amendement n’a de sens, à mon avis, que s’il conforte l’intuition initiale du projet de loi : l’importance du couple région-économie, l’idée que la région joue un rôle majeur en matière économique et qu’il nous faut des régions fortes sur le plan économique.

M. François Patriat. Elles ne peuvent rien faire !

M. Jean-Pierre Sueur. Cependant, les régions doivent agir en lien avec les armatures urbaines, les métropoles et les communautés, sans quoi un certain nombre de questions pratiques ne pourront être réglées.

Je tiens à intervenir lourdement – pardonnez-moi de le faire de cette manière – pour dire que, si l’on retient de notre texte que tout est dans tout et réciproquement, si on a le sentiment qu’il s’agit de paroles creuses, nous aurons mal travaillé. En revanche, si nous affirmons le rôle éminent de la région en matière économique, tout en rappelant que ce rôle n’est pas exclusif, car ce ne serait pas possible dans les faits, je crois que nous aurons fait un pas en avant pour renforcer les régions de notre pays.

M. le président. La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Je voudrais à mon tour appuyer cet amendement, qui apporte une clarification utile. Personne ne conteste le rôle majeur que doivent jouer les régions en matière de développement économique. Je souhaiterais même que, en Île-de-France, l’action régionale soit encore plus forte.

Cependant, l’économie ne peut être l’exclusivité d’un niveau de collectivité. Si nous sommes favorables à ce que la région soit responsable, ou plutôt chef de file, et qu’elle aille même plus loin dans son intervention, peut-être en se dispersant moins dans d’autres actions pour se concentrer davantage sur l’économie, et en particulier sur la lutte contre le chômage, nous considérons que les autres niveaux de collectivité ont eux aussi un rôle à jouer.

Prenons le cas des départements. Je préside un département de 1,3 million d’habitants ; il est donc plus peuplé que certaines régions. Les autorités départementales ne peuvent pas être en dehors de l’action économique. Cependant, le cadre doit être redéfini. Par exemple, nous finançons aujourd'hui les pôles de compétitivité. Je pense que ce n’est pas notre rôle : c’est plutôt à la région de s’en charger. Pour autant, cela ne signifie pas que nous devions nous désengager complètement de l’action économique.

L’un des plus grands chantiers du monde, la réalisation du Grand Paris Express, va débuter en Île-de-France. Dans mon département, 5 milliards d'euros d’investissements vont être réalisés. Il faut déplacer des entreprises. Qui fera ce travail ? Sera-t-il géré à l’échelon régional, ou devons-nous agir avec les outils dont nous disposons ? Notre agence de développement nous a permis de relocaliser des entreprises en quelques mois et sans perte d’emplois, grâce à nos liens, à nos habitudes de coopération, à notre proximité avec le milieu économique.

M. François Patriat. L’agence régionale ne peut pas le faire ?

M. Christian Favier. Notre agence de développement est donc utile. Je dirai même qu’elle est certainement plus efficace que l’agence régionale. Pour autant, je ne suis pas hostile à ce que, demain, elle devienne en quelque sorte une structure déconcentrée de l’agence régionale. Faisons toutefois attention à ne pas bloquer du jour au lendemain ce qui fonctionne d’ores et déjà sous prétexte de vouloir confier à la région en quelque sorte l’exclusivité de l’action économique.

Nous avons besoin de plus de coopération entre l’échelon régional et l’échelon départemental. Il y a des progrès considérables à réaliser dans ce domaine. Il faut développer une politique contractuelle. Je suis d'accord pour que les départements ne versent plus d’aides directes aux entreprises ; nous sommes d’ailleurs plutôt réservés sur ce point. Pour autant, il est évident que, au titre de leur compétence en matière de solidarité territoriale et d’insertion sociale des populations en difficulté, les départements doivent continuer à favoriser le développement de l’économie sociale et solidaire.

Cet amendement est important, car il permet de clarifier les choses. Il n’enlève rien aux régions, mais il précise de manière positive la façon dont nous pourrons travailler à l’avenir.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Je ne suis pas convaincu que le travail réalisé sur la base du projet de loi du Gouvernement, avec la participation du Parlement, aboutisse in fine à une simplification du fonctionnement de nos institutions territoriales. La responsabilité en incombe d'abord au Gouvernement, à cause de la manière dont les projets de réforme territoriale ont été hachés et présentés dans le désordre (M. Alain Bertrand acquiesce.), sans que l’on commence par le début, ou par ce qui devait au moins aller avec, c'est-à-dire la question des ressources des collectivités territoriales.

L’amendement de la commission, que nous soutenons, vise un peu à mettre des rustines sur des pneus percés. Mais c’est en effet utile.

M. Jacques Mézard. La réalité n’est pas sous-jacente, elle a été exprimée très clairement hier soir. Comme en commission, j’ai été très sensible aux arguments de Gérard Collomb.

Pourquoi en arrivons-nous à ce type de difficulté ?

D’abord, il y a une ambiguïté, me semble-t-il, voire plus, en ce que le Gouvernement a visé très clairement dans son projet de loi – et cela figure notamment dans l’exposé des motifs – la suppression des conseils départementaux. C’est ce qui sous-tend sa position, qui est certes respectable ; mais comme il s’est passé un certain nombre d’événements, il faut quand même faire avec les conseils départementaux, encore que j’ai entendu, voilà quelques jours, une interview de M. le secrétaire d’État André Vallini qui me donnant le sentiment que la question n’était pas forcément définitivement tranchée.

Mes chers collègues, vous en conviendrez, tout cela entraîne une ambiguïté constante, totale. Madame la ministre, nous pouvons entendre que vous ne voulez plus de départements ; mais, à partir du moment où l’on fait avec tout en voulant faire sans, on fait mal ! Telle est la réalité qui va inéluctablement complexifier encore les choses.

Pourquoi des métropoles ? Pourquoi des départements ? Pourquoi des intercommunalités ? Force est aujourd’hui de constater que, quelle que soit leur taille, les intercommunalités, à savoir les communautés de communes, les communautés d’agglomération, les métropoles, les communautés urbaines, portent la réalité du développement économique sur leur territoire, au sein duquel elles assurent la péréquation et l’équité.

Or les régions, de par leur composition politique, de par leur système électoral, sont, disons-le, à l’exception de celle de notre excellent collègue François Patriat, le plus souvent coupées des réalités du terrain et veulent imposer des systèmes plus idéologiques que proches des véritables besoins de nos collectivités et de nos territoires.

Cette dualité, avec, d’un côté, la faible représentativité des régions, aggravée par la fusion et la création de grandes entités régionales, et, de l’autre, la représentation des territoires au sein des intercommunalités, assurée par les représentants des exécutifs qui sont sur le terrain et qui font le travail de développement, va, j’en suis convaincu, amplifier la fracture territoriale.

Tout cela n’est pas clair, n’est pas raisonnable, n’est pas réaliste.

Nous voterons cet amendement, dont la vertu est, dirais-je, de préserver l’essentiel.

M. François Patriat. D’affaiblir les régions !

M. Jacques Mézard. Mon cher François Patriat, si toutes les régions fonctionnaient selon les méthodes que vous utilisez, il y aurait moins de débats sur cette question.

M. Henri de Raincourt. J’en suis témoin !

M. Jacques Mézard. Malheureusement, telle n’est pas la réalité.

Pour conclure, je vous rappellerai que, lors de l’audition des présidents de région, ici, au Sénat, le mot répété à l’envi par ces élus était : « pouvoir » ! Pour ma part, étant un jacobin national, je ne veux pas l’émiettement du jacobinisme régional. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – M. Michel Amiel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Pour prolonger ce que vient d’indiquer le président de mon groupe, je dirai que si, tous autant que nous sommes, nous avions constaté partout un dynamisme évident de la région en matière de développement économique, nous serions moins réticents.

Si le projet de loi prévoyait pour les régions de nouvelles ressources financières en vue d’animer cette politique économique, par exemple en s’inspirant du modèle rêvé de l’Allemagne en ce qui concerne la mobilisation de l’épargne locale ou en modifiant l’utilisation de la banque publique d’investissement, nous serions moins réticents.

Si, en même temps que nous discutons des compétences des régions et des autres collectivités, nous nous étions posé la question du mode de scrutin pour la désignation des assemblées régionales et, partant, de leur président, de façon que les conseils régionaux soient véritablement représentatifs des territoires, ce qui n’est pas le cas actuellement, nous serions moins réticents.

Aussi, je crois que l’effort fait, de nuit de surcroît, par notre collègue Jean-Jacques Hyest …

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je l’avais fait avant ! (Sourires.)

M. Pierre-Yves Collombat. … est tout à fait méritoire. (Nouveaux sourires.)

C’est la raison pour laquelle nous voterons cet amendement.

Cela dit, à la lecture de ce texte, je ne peux m’empêcher de penser que, décidément, nos lois deviennent de plus en plus illisibles. Monsieur le rapporteur, vous avez certes introduit de la clarté, mais est-ce de la lumière ? En ce qui me concerne, j’ai plutôt songé à ce vers du Cid :

« Cette obscure clarté qui tombe des étoiles ». (Sourires.)

M. Bruno Retailleau. Bel oxymore !

M. le président. La parole est à M. Gérard Collomb.

M. Gérard Collomb. Je veux remercier M. le président de la commission des lois, ainsi que M. le rapporteur, d’avoir réalisé un tel travail entre la levée de la séance d’hier et le début de la séance d’aujourd’hui. Cela va nous permettre de parvenir à une position commune sur pratiquement toutes les travées de cet hémicycle.

Notre débat d’hier visait, de notre point de vue, à remettre en cause non pas le rôle majeur des régions en matière d’économie, mais la compétence exclusive de ces dernières en ce domaine, qui aurait eu pour effet de priver de capacité d’action un certain nombre d’autres territoires.

Je dirai même que, quelquefois, nous trouvons que les régions en font non pas trop sur le plan économique, mais plutôt pas assez …

M. Bruno Sido. Voilà !

M. Gérard Collomb. C’est pourquoi, devant ce constat, nous souhaitons avoir la capacité d’action.

En ce qui concerne les grandes agglomérations – ce n’est d’ailleurs pas un hasard si beaucoup des orateurs qui se sont exprimés hier en étaient issus –, il faut bien se rendre compte que la taille de ces territoires n’est pas le fait générateur du phénomène de métropolisation. Ce dernier apparaît lorsque, tout d’un coup, se cristallisent sur un territoire un certain nombre de fonctions supérieures ayant trait aux universités, à la recherche, à l’innovation, aux start-up.

Évidemment, si ceux qui sont à la tête des métropoles se désintéressaient totalement de ce qui fait l’essence même de leur territoire, il faudrait supprimer cet échelon territorial qui n’offrirait plus aucun intérêt.

À mon sens, nous sommes arrivés à un bon équilibre, qui, je l’espère, sera sauvegardé jusqu’au bout du débat.

Pour ma part, je ne souhaite pas que nous provoquions des batailles rangées entre les métropoles et les régions, les uns mobilisant l’Association des régions de France, les autres, l’Association des communautés urbaines de France, voire l’Association des maires de France, qui s’est inquiétée hier de la teneur de nos débats. Pour ma part, je suis favorable à des accords.

Monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, je le répète, avec votre amendement, vous nous proposez un point d’équilibre. Aussi, je retirerai mon amendement, pour me rallier à celui de la commission.

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet.

M. Daniel Gremillet. À mon tour, je voudrais rendre hommage à M. le rapporteur, car je me retrouve très bien dans sa proposition introduisant l’idée de chef de file, qui est très équilibrée.

M. François Patriat. C’est l’éloge du surplace !

M. Daniel Gremillet. N’oublions pas que la région est aussi aujourd’hui chef de file sur les crédits européens. Cette dimension lui donne donc une autorité supplémentaire, sans pour autant nier les réalités territoriales de proximité.

Par ailleurs, dans les compétences de la région, figure le domaine de la formation. On ne peut pas raisonnablement dissocier aujourd’hui les deux domaines, surtout lorsque l’on constate le grand écart entre, d’une part, les formations proposées à ceux qui sont sur le marché de l’emploi et, d’autre part, la réalité des besoins de l’économie. Il est donc vraiment nécessaire de prévoir un chef de file pour assurer de la cohérence entre le secteur économique et le domaine de la formation.

Enfin, s’agissant du fonctionnement, cet amendement, auquel j’adhère parfaitement, va avoir des conséquences sur la définition des ressources des régions, même si tel n’est pas l’objet de notre discussion aujourd’hui. En effet, devenir chef de file sans moyens ne signifie rien.

Sans entrer dans le débat à cet instant, ce constat montre bien la dimension et la portée du compromis proposé, qui a le mérite de la lisibilité. Je le répète, je m’y retrouve très bien, à ceci près que nous devrons avoir le courage de donner aux régions des exécutifs qui ne soient pas otages.

Aujourd’hui, quand on voit les délais pour agir, parfois même l’impossibilité d’intervenir sur le développement économique compte tenu de notre tendance, par rapport à d’autres pays ou à d’autres régions européennes, à couper les cheveux en quatre, il est légitime de s’interroger. Ce n’est pas le débat d’aujourd’hui, mais nous devrons avoir le courage de le trancher un jour, car il n’est pas acceptable de prendre en otage le développement économique de nos régions.

En conclusion, je voudrais encore une fois féliciter M. le rapporteur, dont je voterai l’amendement.

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Cet amendement apporte des précisions et des éléments de clarification.

Toutefois, quels changements l’adoption de ces dispositions permettrait-elle ? Je n’en vois pas beaucoup, si ce n’est que la compétence renforcée de la région va se traduire par l’élaboration d’un schéma régional de développement économique, d’internationalisation et d’innovation.

À ce sujet, je me pose des questions, auxquelles je souhaiterais avoir des réponses, si possible : ce schéma va-t-il être opposable, et, si c’est le cas, comment cette opposabilité va-t-elle se traduire dans les relations entre les différentes entités parties prenantes du développement économique d’un territoire ?

En d’autres termes, les décisions que prendra la région en matière d’implantations économiques, d’orientations économiques vont-elles s’imposer aux territoires, qui, par ailleurs, vont garder des responsabilités en matière de développement économique, c’est-à-dire principalement le bloc communal et les départements ?

Cet amendement apporte à mon avis des éléments de clarification, et je le voterai donc. Néanmoins, cette question de l’opposabilité se pose et il convient de s’interroger sur la manière de la faire vivre.

Une autre question se pose également, et ce de manière accrue, me semble-t-il : comment la concertation avec l’ensemble des parties prenantes territoriales de l’élaboration de ce schéma régional va-t-elle être organisée ?

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard. Sans vouloir retarder nos travaux, je tiens à donner acte à la commission du dépôt de cet amendement et à la remercier de son travail. Cette loi doit en effet nous permettre de parvenir à un surcroît d’efficacité, c’est-à-dire à des plus-values, et non à des moins-values par destruction de ce qui existe et qui fonctionne.

Or, tout en souscrivant totalement au discours exprimé hier par M. le sénateur-maire de Lyon sur le fait que la richesse est concentrée aujourd’hui dans les métropoles, qui sont les lieux de créativité, je n’oublie pas qu’il y a, dans la diversité de notre pays, des territoires qui ont des modèles économiques inversés, en quelque sorte.

Je suis élu de l’un de ces territoires. Dans les deux départements savoyards, qui regroupent une population quasi équivalente à celle de l’Auvergne, la richesse est créée non pas dans la zone urbaine, mais dans les vallées : c’est là que sont concentrées la production d’énergie, la majeure partie de l’activité industrielle liée à la présence de l’énergie et l’activité touristique, puisque ce territoire est la première destination mondiale pour les sports d’hiver.

Chez nous, ce sont donc les vallées qui irriguent la ville. Dans ce contexte, les départements jouent un rôle historique, puisqu’ils ont soutenu l’essentiel des parcs d’activités et des technopôles, directement ou sous forme de syndicat mixte. Il est important que cette action puisse être poursuivie.

Cet amendement, tel qu’il est rédigé, réaffirme la compétence de la région, mais il apporte des éclaircissements sur les délégations possibles de cette compétence aux structures départementales, qui peuvent continuer à jouer leur rôle fédérateur et d’interface entre l’économie des vallées et celle des zones urbaines.

Je défendrai plus tard un amendement qui traite des zones frontalières. Certes, c’est un autre problème, mais nous devons prendre en compte le fait que, pour un certain nombre de territoires de notre pays, la richesse et les emplois dépendent en large part de métropoles situées hors du territoire national, qu’il s’agisse de Bâle, pour le sud de l’Alsace, ou de Genève, pour les deux départements savoyards et l’Ain.

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Le temps est au consensus dans cet hémicycle, mais je ne peux pas du tout m’y associer.

Dieu sait que de forts désaccords nous opposent à M. Hyest, y compris sur les marges de manœuvre que nous donne la Constitution, mais la manière dont il a présenté hier la première proposition de la commission des lois, en insistant sur la nécessité de sortir de l’enchevêtrement des compétences et d’améliorer la lisibilité du dispositif, me semblait assez courageuse, tout comme le travail réalisé par la commission en matière de développement économique pour maintenir le schéma existant était également courageux.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il l’est toujours !

M. Ronan Dantec. Honnêtement, l’expression « sous réserve des interventions économiques » me fait peur.

L’articulation des compétences respectives de la métropole et de la région nous posait un vrai problème, Gérard Collomb s’est longuement exprimé sur ce point hier. De toute évidence, la répartition des compétences entre ces deux entités qui sont aujourd’hui les véritables lieux du développement économique n’était pas calée. Le travail restait donc à faire sur ce point.

Mais profiter de cet éclaircissement nécessaire pour rétablir le département comme acteur économique important est un leurre, et je pèse mes mots ! Je pense même que l’expression « sous réserve », pour un certain nombre de régions, va se traduire par un « aide-toi et le ciel t’aidera » extrêmement dangereux.

L’idée qui a présidé à l’institution du schéma régional et à la réforme de la carte et de la taille des régions était aussi de forcer les régions à agir en faveur de l’égalité territoriale. Tel était d’ailleurs le sens de l’amendement n° 295 de Pierre Jarlier, que nous avons voté hier.

Avec cette nouvelle rédaction, les régions pourront refuser d’intervenir en faveur de départements plutôt périphériques et sous-dotés, au motif qu’ils ne font rien – évidemment, puisqu’ils n’en ont pas les moyens ! M. Mézard ne sera pas d’accord avec cette lecture, mais nous sommes en profond désaccord avec lui sur la manière dont évolue ce pays.

Cet amendement, tel qu’il est rédigé aujourd’hui, représente un recul en termes d’égalité territoriale et réduit la responsabilité de la région en matière de développement territorial équilibré.

Je pense que d’autres possibilités s’offraient à nous pour rééquilibrer les compétences entre la région et la métropole, parce qu’il s’agit d’un enjeu majeur. En revanche, le compromis qui a été trouvé, s’il ne nous étonne pas, compte tenu du parcours politique de certains de nos collègues, réduit la responsabilité de la région et jouera, à terme, au détriment des territoires les plus faibles.

Ma lecture ne recueille certainement pas l’approbation de la plupart des collègues présents dans cet hémicycle ; quoi qu’il en soit, je ne voterai pas cet amendement.