Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

M. Philippe Kaltenbach. Et nous, réunis en petit comité, nous introduirions, à côté du principe d’égalité, voire en concurrence et même en contradiction avec lui, un principe d’équité dans la représentation des territoires ?...

M. Philippe Kaltenbach. Deux principes, de force équivalente, figureraient donc dans le même article de la Constitution. Pour ma part, je considère que le principe d’égalité devant le suffrage, qui assure aussi l’égalité devant la loi, ne figure pas pour rien à l’article 1er de la Constitution : il est au sommet de la hiérarchie constitutionnelle, les autres principes étant seconds.

Certains voudraient nous faire croire que cette modification est seulement cosmétique et vise à régler un problème technique de découpage cantonal ou de représentation des petites communes au sein des intercommunalités. Or, j’y insiste, tel n’est pas le cas.

Si nous ne sommes pas opposés à ce que l’on essaie de régler un problème qui se pose effectivement, nous considérons que la modification de l’article 1er, telle que je l’ai présentée, va bien au-delà d’une réforme technique ; elle remet en cause une valeur fondamentale de la République, à savoir l’égalité, sans qu’un travail vraiment approfondi ait été mené.

Nous pouvons naturellement continuer à réfléchir sur la manière de concilier égalité et justice dans la représentation électorale, mais il est certain que ce n’est pas en quelques heures de débat que nous pourrons élaborer une solution qui fasse consensus.

Cela m’amène à une autre remarque ; je regrette d’ailleurs que Gérard Larcher ne soit plus là pour l’écouter. J’ai le plaisir et l’honneur d’être associé à la réflexion actuellement en cours sur les méthodes de travail de la Haute Assemblée, qui est à l’origine de nombreuses réunions et d’intenses discussions.

M. Philippe Kaltenbach. Certains ici présents assistent à ces débats, le mardi à huit heures du matin, et tentent d’élaborer des propositions très techniques, par exemple sur la réduction éventuelle du temps de parole ou encore sur l’organisation de la semaine sénatoriale. Beaucoup de temps est pris, donc, pour réfléchir à ces questions, auxquelles tout le monde est associé.

En revanche, pour modifier l’article 1er de la Constitution, personne n’est consulté, et surtout pas les citoyens ! Ceux-ci sont complètement tenus à l’écart de ce travail, alors qu’ils se sont déjà prononcés par référendum en faveur de notre texte fondamental, et ce à plusieurs reprises.

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. Philippe Kaltenbach. Par ailleurs, qu’est-ce que cette « représentation équitable » dont fait mention l’article 1er du présent texte ? S’agit-il du tunnel des plus ou moins 33 %, qui apparaît en son article 2 ? Là aussi, je m’étonne ; j’ai en effet entendu à cette même tribune un orateur brillant, qui préside le groupe parlementaire auquel appartiennent les auteurs du présent texte, nous expliquer qu’il fallait se dégager d’une conception arithmétique de la politique, et que les principes étaient au-dessus des réalités purement mathématiques…

Je ne suis pas opposé aux seuils, mes chers collègues. Je les ai défendus lors de nos débats sur la fusion des intercommunalités et, par souci de cohérence, je ne les combattrai pas aujourd’hui. Cela dit, à mon sens, traduire un grand principe, proclamé dans un article, en un simple chiffre, apparaissant dans un autre, montre bien que cette question doit rester technique ; il faut donc se contenter d’y apporter une réponse technique.

J’ajoute, sans esprit de polémique, que cette proposition de loi constitutionnelle me paraît très opportuniste.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oh !

M. Philippe Kaltenbach. Personne n’en est dupe. Nous sommes, après tout, une assemblée politique, et loin de moi l’idée d’en faire le reproche aux auteurs du présent texte.

Néanmoins, à mon sens, cette proposition de loi constitutionnelle relève surtout d’une logique d’affichage politique. Tout le monde a noté, en effet, que sa discussion intervenait à quelques semaines seulement des élections départementales, dont la tenue a requis un redécoupage qui a provoqué de nombreux débats.

M. Jean Bizet. C’est un hasard, cher collègue ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Est-il défendu de légiférer à cette période ?

M. Philippe Kaltenbach. Ce redécoupage a fait l’objet de très nombreuses contestations, et d’autant de recours devant le Conseil d’État, tous rejetés d’ailleurs. Cela montre que ce travail a été très bien réalisé ; monsieur le secrétaire d’État, je compte sur vous pour adresser mes félicitations au ministre de l’intérieur.

Mme Sylvie Goy-Chavent. Ce fut un merveilleux charcutage, plutôt !

M. Philippe Kaltenbach. Non, ma chère collègue, le charcutage était l’apanage de MM. Marleix ou Pasqua ! Le redécoupage dont je parle a au contraire corrigé des inégalités très fortes de représentation.

Mme Sylvie Goy-Chavent. Le groupe socialiste aussi sait manier le scalpel !

M. Philippe Kaltenbach. Comme à chaque fois, chers collègues de la majorité, vous affirmez vouloir défendre les territoires ruraux.

Or aucune disposition dans le présent texte ne précise que le tunnel des plus ou moins 33 % s’appliquera spécifiquement à ces territoires. Si le présent texte était adopté, d’abord par le Parlement, puis par référendum – cela fait beaucoup de conditions ! –, il se pourrait même que l’on assiste à une distorsion de son application entre les zones urbaines, où le tunnel des plus ou moins 33 % serait respecté, et les zones rurales, où il serait beaucoup plus étroit.

La défense des territoires ruraux n’est donc pas clairement affirmée, ce qui montre bien que la réflexion n’est pas aboutie. Vous êtes allés beaucoup trop vite, chers collègues, pour traiter de ce sujet.

En outre, un référendum sur ce texte est plus qu’improbable. M. le président de la commission des lois l’a lui-même noté : il faudrait que l’Assemblée nationale vote la proposition de loi constitutionnelle, puis que le Président de la République la soumette au référendum. Est-ce la préoccupation actuelle des Français ? Je vous laisse juges de l’opportunité de cette décision…

Pour conclure, je citerai Montesquieu, qui déclarait qu’il ne fallait « toucher aux lois que d’une main tremblante » ; j’ajouterai que c’est encore plus vrai quand il s’agit de l’article 1er de la Constitution, qui proclame ce principe fondamental de notre République qu’est l’égalité.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Regardez ma main, cher collègue : elle tremble ! (Sourires.)

Mme Éliane Assassi. Vous n’êtes pourtant pas Montesquieu ! (Nouveaux sourires.)

M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le président de la commission, je ne puis donc que vous encourager à suivre la position du groupe socialiste, qui votera pour la suppression de l’article 1er de la présente proposition de loi constitutionnelle et pour le maintien de son article 2, laquelle modifie l’article 72 de la Constitution.

Ainsi pourrons-nous nous concentrer sur l’aspect purement technique de la question, ce fameux tunnel, qui peut en effet être élargi. Toutefois, par pitié, ne touchons pas à l’article 1er de la Constitution, à ce principe fondamental de la République !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous faites la moitié du chemin, cher collègue !

M. Philippe Kaltenbach. Faites l’autre moitié, monsieur le président de la commission, et nous pourrons peut-être nous retrouver ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens avant tout à remercier Mme Assassi, qui a très gentiment accepté de me laisser m’exprimer avant elle ; en effet, un impératif m’oblige à quitter bientôt la séance. Pour la récompenser, je serai le plus bref possible et n’épuiserai même pas les cinq minutes de temps de parole auxquelles j’ai droit ! (Sourires.)

Je n’ai pas eu besoin de préparer mon intervention. En effet, si ce texte avait existé au moment du récent redécoupage des cantons, nombre de problèmes auraient été résolus. J’indique en outre que, lors de nos débats sur le sujet, nous avions adopté de nombreux amendements à une très large majorité, exprimée par l’ensemble des groupes parlementaires du Sénat.

Nous pourrions donc nous arrêter là et considérer que le texte que nous examinons aujourd’hui, dont je voudrais d’ailleurs remercier ses auteurs, le président du Sénat et le président de la commission des lois, est très simple et d’une très grande clarté.

Cela dit, adopter un tunnel de plus ou moins 33 % ne signifie pas que tout se passera parfaitement sur le terrain. On l’a vu avec la règle des plus ou moins 20 %, le ministère de l’intérieur peut très bien accepter une distorsion de moins 20 % en milieu urbain et de plus 20 % en milieu rural !

M. Philippe Adnot. C’est un peu original : l’esprit de la loi était de permettre une meilleure représentation du milieu rural, et non pas le contraire.

Or presque tous les départements comprennent des cantons plus petits en milieu urbain et plus étendus en milieu rural. Cela montre bien que la lettre de ces nouvelles dispositions n’aura de valeur que le jour où leur esprit – utiliser le tunnel pour mieux représenter le milieu rural – trouvera réellement application.

Je précise d’ailleurs que la marge de plus ou moins 33 % prévue par la présente proposition de loi constitutionnelle est une fourchette à l’intérieur de laquelle il est possible d’évoluer.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Absolument !

M. Philippe Adnot. Je voterai donc ce texte, que je trouve de grande qualité.

Avant de terminer, je voudrais, monsieur le secrétaire d’État, vous interroger sur un tout autre sujet. Vous le savez, la loi relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral a provoqué l’apparition de cantons beaucoup plus étendus qu’auparavant.

De plus, le bureau centralisateur est désormais situé dans la commune la plus importante du département – parfois à son extrémité, donc –, et non plus en son chef-lieu, lequel est pourtant relativement central. Dans certains départements – dans le mien, par exemple – cela implique que les maires devront traverser tout le territoire pour y déposer les résultats !

Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est une décision prise par des Parisiens !

M. Philippe Adnot. Ne pourrait-on pas décider que les maires les remettent plutôt à la gendarmerie, qui les transmettra ensuite à la préfecture ?

Il s’agirait d’une mesure extraordinairement simple. Puisque nous discutons d’un texte qui ne manque pas de bon sens, je fais appel au vôtre sur ce point, monsieur le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’UDI-UC et du RDSE.)

M. Jean Bizet. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, notre assemblée est saisie, dans une certaine précipitation, d’une proposition de loi constitutionnelle tendant à assurer la représentation équilibrée des territoires.

J’évoque une certaine précipitation, car ce texte, déposé au Sénat le 19 décembre 2014, c’est-à-dire pendant la suspension des travaux parlementaires, a été inscrit par la conférence des présidents du 22 janvier dernier à l’ordre du jour d’aujourd'hui.

Pour la petite histoire, la commission s’étant réunie le 28 janvier dernier, le dépôt d’amendements en commission a été fixé au lundi 26 janvier, soit trois jours seulement après l’inscription du texte à l’ordre du jour, week-end compris.

En clair, sans aller jusqu’à parler de débat d’initiés, un sénateur qui n’aurait pas été tenu informé de manière préalable, ce qui n’était pas mon cas, ne pouvait s’être préparé pour l’examen du texte en commission. Vu l’importance du sujet et sa complexité, il lui était en tout cas difficile de mener une réflexion aboutie pour nos discussions d’aujourd’hui.

J’arrêterai là ces quelques remarques de forme, mais il est tout de même curieux, à l’heure où le Sénat réfléchit à ses méthodes de travail, de débattre dans ces conditions d’une proposition de loi constitutionnelle présentée par le président du Sénat et le président de la commission des lois. Modernité ne veut pas dire précipitation, chers collègues. Manquer de temps pour s’imprégner d’une telle problématique, c’est, en réalité, réserver son examen aux spécialistes.

J’en viens au fond de la proposition de loi constitutionnelle, qui vise à introduire dans la Constitution le principe de « représentation équitable » des territoires. Ses auteurs, ainsi que la majorité des membres de la commission des lois, contestent, de fait, la jurisprudence du Conseil constitutionnel, laquelle se fonde, depuis 1985, sur l’appréciation démographique du principe d’égalité devant le suffrage.

En effet, le Conseil constitutionnel a fixé une limite maximale d’écart de proportionnalité à 20 % par rapport à la moyenne. Nous le savons tous, dans les faits, ce principe de proportionnalité – entre répartition des sièges, délimitation des circonscriptions et population – est appliqué de manière plus simple qu’il n’y paraît, au nom de motifs d’intérêt général. C’est ainsi que le Conseil constitutionnel a accepté sans sourciller la création de deux sièges de sénateurs, l’un à Saint-Martin, l’autre à Saint-Barthélemy, représentant chacun une poignée d’électeurs.

Cela dit, cette proposition de loi constitutionnelle pourrait apparaître, à première vue, comme une avancée démocratique. Qui, dans cette assemblée, ne souhaite pas voir les territoires représentés dignement ?

M. Bruno Sido. Eh oui !

Mme Éliane Assassi. Qui ne souhaite pas un lien étroit entre la population et les élus ?

Toutefois, la précipitation que j’évoquais d’emblée montre bien le caractère opportuniste – je regrette de le dire – de cette initiative,…

M. Philippe Kaltenbach. Elle est même électoraliste !

Mme Éliane Assassi. … qui est prise à quelques semaines des élections départementales.

Elle se fonde, en effet, sur l’inquiétude, certes légitime, de nombreux élus ruraux, qui craignent qu’une désertification démocratique ne s’ajoute à une désertification économique et sociale.

Nous notons toutefois une contradiction manifeste entre le constat actuel de cette difficulté de représentation des territoires et l’acceptation, dans le passé, de textes importants, qui ont réécrit l’architecture institutionnelle de notre pays.

En effet, dans l’exposé des motifs de la présente proposition de loi, on peut lire : « Si l’égalité de suffrage constitue l’un des principaux piliers de notre démocratie, son application ne peut ignorer le fait territorial qui, à travers la géographie et l’histoire, est au cœur de l’identité de notre Nation. Il en est ainsi particulièrement des territoires ruraux qui, faiblement peuplés, doivent conserver dans les collectivités territoriales une représentation suffisante pour que le lien entre les élus et la population qu’ils représentent puisse être maintenu malgré les distances. »

Les auteurs de cette proposition de loi constitutionnelle semblent donc regretter l’importante réorganisation du territoire mise en œuvre depuis quelques années !

Certes, une distance croissante apparaît entre les institutions locales et les citoyens. De fait, la multiplication quelque peu anarchique des établissements publics de coopération intercommunale, ou EPCI, l’apparition des métropoles et de pôles métropolitains, l’incitation à la création de communes nouvelles, l’établissement de grandes régions déconnectées de la réalité des territoires et, dans de nombreux cas, l’éloignement, parfois physique, des centres de décisions et des assemblées délibérantes, amplifient, de manière considérable, la crise de la représentation politique locale.

Nous l’avons dit et répété – peut-être avons-nous prêché dans le désert –, le rabaissement du rôle de la commune et les attaques incessantes contre les départements, deux structures intimement liées aux concepts de démocratie de proximité à la française et de maillage démocratique, portent un coup dur à la démocratie.

M. Bruno Sido. Tout à fait !

Mme Éliane Assassi. La création des métropoles est, nous l’avons souligné, un acte de soumission institutionnelle au marché. C’est la mise en concurrence des territoires : chaque pôle métropolitain exerce une puissance d’attraction sur la vie économique et sociale et sur la population elle-même.

On peut s’apitoyer sur la désertification des zones rurales, à l’image des auteurs de la présente proposition de loi constitutionnelle, tout en acceptant ou en laissant faire des politiques qui l’organisent institutionnellement.

Oui, la compétitivité économique et la course à la rentabilité du territoire condamnent des pans entiers de notre pays à la régression économique et sociale, au vieillissement de la population et à un isolement progressif !

La création des grandes régions, des super-régions, n’a pas été précédée du grand débat national qui s’imposait.

M. Bruno Sido. C’est vrai !

Mme Éliane Assassi. L’éloignement entre les citoyens et les institutions territoriales est ainsi poussé jusqu’à la caricature. (M. Jacques Mézard applaudit.) Il faudra désormais faire parfois des centaines de kilomètres pour aller d’une extrémité à l’autre d’une région. Quelle proximité y aura-t-il entre élus et citoyens dans de telles conditions ?

M. Bruno Sido. Bonne question !

Mme Éliane Assassi. Les présidents Gérard Larcher et Philippe Bas souhaitent maintenir un lien entre population et élus, malgré la distance. Néanmoins, ils s’exonèrent un peu facilement des responsabilités de leur parti et de leurs prises de position antérieures quant aux décisions qui ont mené à la situation actuelle !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. À tout péché miséricorde… (Sourires.)

Mme Éliane Assassi. La démocratie régionale n’était déjà pas simple à faire vivre ; la création de ces super-régions est un contresens démocratique !

Sans aller jusqu’à évoquer l’image de l’arroseur arrosé, je trouve étonnante la soudaine inquiétude relative à la représentation des territoires dans les assemblées territoriales ou les établissements publics de coopération intercommunale. Ce problème était évident pour l’acceptation dans les grandes lignes de la profonde modification de l’architecture institutionnelle de notre pays.

Par ailleurs, mes chers collègues, la Constitution ne se réforme pas tous les jours. Engager une réforme institutionnelle nécessite d’examiner dans sa globalité la problématique de la représentation politique. Selon moi, représenter les territoires, c’est représenter la population de ces territoires. Sinon, cela n’a pas de sens.

La question de la démocratie ne peut pas se limiter à celle de la représentation des territoires. Il faut parler du pluralisme et de l’exigence de la proportionnelle, qui est liée au respect de ce grand principe : l’absence de diversité professionnelle, sociale ou d’origine est patente. La question du scrutin proportionnel est cruciale. Il apparaît de plus en plus évident que le scrutin majoritaire bloque une évolution démocratique et empêche le renouveau.

Le mode de représentation actuel n’est fondamentalement pas juste. Nous n’avons eu de cesse de le dire ; là encore, nous sommes de nouveau très cohérents. Il est d’ailleurs frappant de noter que, plus l’élu est éloigné, plus il est mal perçu par la population ! C’est pour cela que le maire est toujours autant apprécié. Et, contrairement à ce que l’on prétend dans les cercles parisiens, les citoyens sont très attachés au département.

M. Bruno Sido. Tout à fait !

Mme Éliane Assassi. La notion de représentativité doit donc être reposée dans le cadre d’un débat global sur nos institutions locales et nationales.

Comment répondre à cette exigence citoyenne de participation et de contrôle ? Alors que des millions de personnes sont descendues dans les rues le 11 janvier dernier, n’est-il pas impressionnant de constater, par exemple, la faible participation à l’élection législative du Doubs, pourtant si médiatisée ? Le Sénat pourrait jouer un rôle nouveau dans ce domaine et s’ouvrir à la citoyenneté.

Cette proposition de loi constitutionnelle, qui aborde un thème important, celui de la représentation des territoires, nous paraît bien éloignée des exigences démocratiques actuelles, face à la réelle sclérose de nos institutions.

Monsieur le président du Sénat, monsieur le président de la commission des lois, les citoyens ne demandent pas seulement une juste représentation de leurs territoires ; ils réclament aussi du pouvoir ! En effet, ce dernier leur échappe de plus en plus, en raison de la domination de l’économie sur la politique, d’une complexification croissante des normes ou de la tutelle de la Commission européenne sur les décisions de notre pays.

Oui, nous partageons l’idée de respecter les territoires par une juste représentation politique, mais aussi par le biais de leur développement. Nous ne voulons pas de leur extinction progressive.

Respecter les territoires, c’est aussi relancer une véritable politique de décentralisation, et non pas de déstructuration permettant une recentralisation autoritaire.

Respecter les territoires, et c’est pour cela que nous ne sommes pas favorables à la modification proposée de l’article 1er de la Constitution, c’est respecter l’unicité de la République, qui doit permettre un développement harmonieux et égalitaire des territoires. Or les choix politiques que vous soutenez tournent le dos à ce principe républicain fondamental.

Nous ne souhaitons pas l’inscription dans la Constitution d’un principe susceptible de systématiser une surreprésentation des zones rurales.

Pour toutes ces raisons, et malgré les inquiétudes réelles, exprimées par de nombreux élus ruraux, qu’une désertification démocratique ne s’ajoute à une désertification économique et sociale, nous ne pouvons pas voter en faveur de cette proposition de loi constitutionnelle. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)

M. Jacques Legendre. Quelle surprise !

Mme Éliane Assassi. Mais vous auriez pu être surpris, monsieur Legendre ! (M. Bruno Sido s’esclaffe.)

La question d’une éventuelle modification de la Constitution mérite, me semble-t-il, d’être posée dans un cadre plus large que celui qui nous est proposé aujourd'hui.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Et demain ?

Mme Éliane Assassi. Cette raison, aussi, fonde notre refus de voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Philippe Kaltenbach applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cela ne vous surprendra pas, nous voterons la présente proposition de loi constitutionnelle.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Jean Bizet. Voilà qui commence bien !

M. Jacques Mézard. Je remercie tout d'abord M. le président du Sénat et M. le président de la commission des lois d’avoir pris une telle initiative. Ce texte a l’avantage d’adresser un certain nombre de messages, en particulier à destination de nos concitoyens qui habitent dans ce qu’il est convenu d’appeler les « territoires ruraux ».

Monsieur le secrétaire d’État, votre approche de la relation avec le Sénat est très « bartolonienne ». (Sourires sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC et de l’UMP.) Vous avez indiqué clairement que le Gouvernement ne pouvait pas souscrire à un tel projet.

Pourtant, il me paraît nécessaire d’introduire une référence aux territoires dans la Constitution. Nous ne serions d’ailleurs pas les seuls ; de nombreux pays l’ont fait, de manière juste et équilibrée.

Il est proposé de compléter – il s’agit bien d’un ajout, d’une amélioration, et non d’une suppression – l’article 1er de la Constitution par les mots : « La République garantit la représentation équitable de ses territoires dans leur diversité. » Oui, mes chers collègues, il est nécessaire de parler des territoires !

Il est également juste de modifier l’article 72 de la Constitution en prévoyant la règle du tiers. Au cours de son intervention, notre excellent collègue Philippe Kaltenbach a indiqué qu’il était d’accord pour un tunnel de plus ou moins 30 %, mais qu’il ne voulait pas d’une telle règle. Je trouve cela pour le moins original !

Soyons clairs : au sein de nos assemblées, en matière d’urgence ou d’arrière-pensées électoralistes, personne n’a de leçon à donner. Tout cela me paraît fort bien partagé, y compris par nous ! (Sourires.) Pour ma part, comme je le rappelle chaque semaine, je crois à la nécessité de tenir un discours loyal et de parler franchement.

Venu défendre le texte instituant le binôme, parfois en agitant quelques menaces, M. le Premier ministre, alors ministre de l’intérieur, avait déclaré : « J’ai dit ici même que le Gouvernement serait favorable à ce que nous desserrions la contrainte représentée par le tunnel, ou pour le dire simplement, par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, si cela était possible. »

Or, mes chers collègues, c’est tout à fait possible, s’il y a un Parlement, s’il y a une République, et si le Parlement le veut !

M. Bruno Sido. Tout à fait !

M. Jacques Mézard. C’est cela, l’important : il faut rendre un peu de pouvoir au Parlement, au lieu de le mépriser constamment et considérer que ce qu’il fait n’a guère de sens ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

La présente proposition de loi constitutionnelle concerne les collectivités territoriales, non les élections législatives ou sénatoriales. Toujours à propos de constance, j’aimerais vous rappeler – c’est toujours utile – ce que ce même ancien ministre de l’intérieur déclarait lors de l’examen en deuxième lecture du texte sur les départements : « Ces derniers incarnent, mieux que tous les autres niveaux de collectivités, la diversité de nos territoires, urbains, périurbains ou ruraux, montagnards, littoraux ou insulaires, en métropole ou dans les outre-mer. […] Il convient de prolonger fidèlement cet héritage ». Nous avons vu ce qu’il en est advenu dans les mois suivants...

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Jacques Mézard. Ces derniers temps, les cas d’école relatifs au fameux tunnel des plus ou moins 20 % se sont multipliés.

D’où sort cette règle, qui ne figure pas dans la Constitution ? De la jurisprudence du Conseil constitutionnel ! Elle est devenue un argument d’autorité, permettant, nous l’avons constaté, de rejeter sans autre forme d’examen toute disposition législative susceptible de déroger à l’égalité arithmétique, au nom de la représentation équilibrée des territoires.

L’argument a maintes fois été avancé : lors de l’examen, en 2010, du projet de loi de réforme des collectivités territoriales ou lors de l’invalidation, le 20 juin 2014, des règles de l’accord local de représentation des intercommunalités. D’ailleurs, les problèmes considérables que cela pose sur le terrain ne sont toujours pas réglés, malgré la légère amélioration que nous devons à nos collègues Jean-Pierre Sueur et Alain Richard.