Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la transition énergétique n’a pas commencé ces derniers mois. Les bouleversements intervenus dans la production de l’énergie depuis le XIXe siècle le démontrent et vous avez justement rappelé tout à l’heure, madame la ministre, la loi de 1919 sur l’énergie hydraulique – la « houille blanche », comme on disait alors. Qu’il serait difficile, aujourd’hui, de construire autant de barrages ! (Mme la ministre acquiesce.)

Cela n’enlève rien à l’utilité d’un texte législatif tirant le bilan de l’accélération des évolutions technologiques et des besoins de nos concitoyens, et donnant les grandes orientations d’une politique nationale qui doit être empreinte de pragmatisme plus que d’idéologie et qui doit aussi donner confiance aux Français quant à la capacité de la nation à assurer demain la production d’énergie par ses capacités technologiques et sa recherche.

Avant de rappeler les positions du RDSE souvent exprimées ici, en particulier en soutien à la filière nucléaire, et puisque nous sommes dans la discussion générale, je m’attacherai à ce qui est un enjeu fondamental de ces prochaines années : la synergie, plus encore, la symbiose entre les réseaux énergétiques et informatiques afin de produire ce dont nous considérons techniquement avoir besoin et pas davantage, ce qui implique donc de prévoir, de gérer et d’anticiper. Nous connaissons parfaitement la courbe quotidienne de consommation d’énergie.

Nous disposons d’un réseau de distribution. Aujourd’hui, nos entreprises et nos habitants sont consommateurs, il faut qu’ils deviennent de plus en plus des producteurs ; le réseau est distributeur, il convient qu’il devienne distributeur et collecteur. Nous devons aller à marche forcée vers un réseau intelligent, nous en avons les moyens techniques et intellectuels.

L’objectif est de faire coïncider demande et offre à chaque instant, ce qui requiert, nous le savons, de pouvoir stocker de l’énergie par divers procédés à développer : par des systèmes hydroélectriques comme ceux de la centrale de Montézic dans l’Aveyron, par les batteries, par les volants à inertie, par l’hydrogène… Sans nul doute, d’ailleurs, les véhicules électriques deviendront demain un moyen de stockage.

Dans ce contexte, il est bien évident que les énergies renouvelables telles que l’éolien et le solaire ont un intérêt manifeste pour s’adapter aux courbes de consommation.

Au-delà de cette vision – nécessaire et qui est celle de demain –, cette approche de cet objectif de complémentarité absolue entre réseaux énergétiques et informatiques, il m’appartient de rappeler nos positions sur quelques aspects fondamentaux de ce projet de loi.

Je commencerai par la filière nucléaire : le groupe RDSE a constamment souligné son attachement fort à cette filière qui est un atout pour la France et dont le savoir-faire en la matière est universellement reconnu. Je relève d’ailleurs avec intérêt que tous les gouvernements successifs se font une priorité, si ce n’est un devoir, de faciliter l’exportation de nos entreprises autour d’Areva ou d’EDF. Ce qui est bon pour l’étranger ne le serait-il point pour la France ?

Au moment où la lutte contre le réchauffement climatique est un impératif rappelé à juste titre par le Gouvernement et par vous-même, madame la ministre, quel atout que de disposer d’une telle filière ! Oui, nous considérons que le développement de la filière nucléaire ne doit se prêter à aucun marchandage électoral,… (M. Ronan Dantec rit.)

M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. Les écologistes n’y ont même pas pensé ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Jacques Mézard. … que l’intérêt de la nation est de poursuivre dans cette voie et de faire le choix de la quatrième génération de réacteurs, dont les avantages sont connus,…

M. Ronan Dantec. Passons à la cinquième !

M. Jacques Mézard. … à commencer par le recyclage de certains éléments radioactifs. Et si cela ne fait pas plaisir à mon collègue Ronan Dantec, cela me fait plaisir de ne point lui faire plaisir ! (Rires. – MM. François Fortassin, Daniel Raoul et Jean-François Husson applaudissent.)

Si Superphénix a subi le sort politique que l’on connaît, Phénix a parfaitement fonctionné jusqu’à son arrêt programmé.

D’une manière générale, aidons la recherche, car un pays qui interdit la recherche fait fausse route, pour ne pas dire davantage.

Cela étant, soutenir la filière nucléaire n’est aucunement incompatible avec le développement des énergies renouvelables et nous y sommes favorables sans aucune réserve, contrairement à ceux qui les prônent sur le plan national et déposent des recours sur le plan local.

M. François Fortassin. Effectivement !

M. Jacques Mézard. Dans ces domaines, comme dans tant d’autres, la durée des procédures dans notre pays, qui à cet égard fait figure d’exception en Europe, est inacceptable. Que les tribunaux tranchent, mais dans des délais raisonnables, le législateur doit intervenir et le Gouvernement commence à le faire.

Madame la ministre, j’insiste sur le développement de la filière hydrogène : selon nous, elle doit être une des priorités d’avenir, eu égard à la diversité des méthodes de production, comme moyen évident de stockage et en raison de la compatibilité de cette énergie avec les véhicules électriques, puisqu’il suffit de substituer une pile à combustible à la batterie. Je crains que, sur ce terrain, nous ne prenions un retard pénalisant par rapport à d’autres pays, dont l’Allemagne et le Japon.

Nous n’oublions pas non plus la filière méthanisation dans ce rapide éventail.

Je ne pourrais conclure sans évoquer les économies d’énergie et le vaste chantier qu’elles constituent pour nos entreprises, en particulier dans le secteur du bâtiment, là encore couplés avec la domotique, qui va entraîner une révolution de l’habitat et du lien social. S’il est un secteur, mes chers collègues, où il ne faut point économiser les deniers de l’État et des collectivités locales, c’est bien celui des économies d’énergie.

S’il est une conclusion que l’on doit tirer de l’examen de ce projet de loi, c’est la confiance dans l’avenir : la France a les moyens, et même le devoir, de faire de cet enjeu une réussite. C’est ce que nous souhaitons, c’est ce que nous voulons, tout en veillant à ne pas fragiliser les points forts de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. Daniel Raoul applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Didier Guillaume. Madame la présidente, madame la ministre, madame, monsieur les présidents de commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le sénat s’empare cet après-midi du débat sur la transition énergétique, essentiel pour nos enfants et pour notre planète.

La belle notion de transition de notre modèle énergétique fait partie de ces idées souvent avancées dans les programmes politiques, mais au fond jamais vraiment explorées. Je me réjouis donc que ce gouvernement choisisse de porter ce débat, conformément aux engagements du Président de la République. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)

Au lieu de transition énergétique, nous pourrions même parler de transition écologique, tant ce texte va au bout de cette réflexion (M. Bruno Sido s’esclaffe.),…

M. François Marc. C’est vrai !

M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. Oh là !

M. Didier Guillaume. ... tant il a été enrichi au fil des débats.

M. François Marc. Effectivement !

M. Bruno Sido. Bravo ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Didier Guillaume. C’est la preuve que chacun comprend aujourd’hui les enjeux de la protection de l’environnement.

Dès 2012, François Hollande évoquait l’excellence environnementale comme priorité. Il appelait à la mobilisation sur cette thématique, de manière à engager une action en France, en Europe et dans le monde pour lutter contre le réchauffement climatique. Mais, en 2012, les réactions n’étaient pas encore celles que l’on constate aujourd’hui. Certains le raillaient même, et parlaient de diversion.

Il a fallu travailler, travailler encore, consulter les associations et les partis afin de proposer un texte ambitieux qui engage la France dans l’excellence environnementale.

Je souhaite vous féliciter très chaleureusement, madame la ministre, au nom de notre groupe, pour le remarquable travail que vous avez accompli…

Mme Ségolène Royal, ministre. Merci !

M. Didier Guillaume. … afin d’aboutir à ce projet de loi.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. François Marc. Il fallait le dire !

M. Didier Guillaume. Votre engagement a été entier et votre effort immense, pour parvenir à un texte dont la qualité est reconnue très largement, au-delà des rangs de la majorité.

M. François Marc. C’est vrai !

M. Didier Guillaume. L’ouvrage va se poursuivre au Sénat, dans le dialogue et le respect qu’appelle la hauteur de l’enjeu.

Que ce texte nous soit proposé aujourd’hui, en février 2015 n’est pas anodin : 2015, c’est l’année du climat, l’année de la COP 21 à Paris, en décembre prochain. La France a déjà engagé des négociations approfondies avec tous les pays en vue d’un accord historique. Cela nous oblige à la responsabilité. La France doit être aujourd’hui à la pointe et donner l’exemple.

Nous devons montrer que nous prenons l’avenir de notre planète au sérieux. Certes, la France ne sauvera pas seule la planète, mais elle doit montrer la voie.

Le climat est notre grande cause nationale en 2015, il doit être la grande cause du monde entier en 2015 et dans les années qui viennent.

Les ressources s’épuisent, d’autres orateurs l’ont dit, les forêts reculent, les climats se transforment et le niveau des océans monte. Ce tableau noir, c’est celui de l’environnement de l’humanité en 2015.

Chacun sait aujourd’hui que les réfugiés climatiques se multiplient et que les conséquences qu’emportent sur la santé les dégradations de l’environnement augmentent. Il y a urgence !

Le projet de loi qui nous est présenté porte des objectifs ambitieux qui répondent à l’exigence que je viens de présenter.

Faut-il, dès lors, ergoter sur le fond et la forme ? Ce texte serait flou, annonçant une loi fourre-tout, son financement ne serait pas assuré… Mes chers collègues, les mêmes remarques ont été opposées au Grenelle 1 de l’environnement. Je ne les entends pas comme des éléments négatifs : lorsque l’on s’engage dans un texte de cette ampleur, il est logique d’y faire face. N’inversons toutefois pas la forme et le fond. Ce qui compte, c’est le fond. Le reste viendra ensuite, avec les grandes orientations.

Nous devons travailler sur un texte ambitieux, et il est donc nécessaire de fixer des termes. Sans ambition, jamais nous ne nous dépasserions pour atteindre le véritable objectif : préserver notre environnement pour que l’espèce humaine puisse continuer à vivre.

M. Didier Guillaume. Un des objectifs de ce texte fait particulièrement débat : celui qui concerne le nucléaire. Je souhaite m’y attarder un instant. La loi vise à faire passer de 75 % à 50 % la part du nucléaire dans la production électrique à l’horizon 2025.

M. Bruno Sido. C’est impossible !

M. Didier Guillaume. Votre amendement, madame la ministre, précise que la réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité se fera « en accompagnement de la montée en puissance des énergies renouvelables, tout en préservant l’indépendance énergétique de la France » et en maintenant « un prix de l’électricité compétitif ». Cet amendement du Gouvernement est clair et nous agrée tout à fait.

Nous devons travailler sur ce nouveau mix énergétique, qui est indispensable. On peut affirmer que 2025, c’est trop tôt et qu’il faudrait choisir 2030. Aurions-nous avancé 2030, on aurait demandé 2035,…

M. Ronan Dantec. C’est vrai !

M. Didier Guillaume. … et ainsi de suite. Ce n’est jamais le bon moment !

M. Marc Daunis. Très bien !

M. Didier Guillaume. Il faut se fixer des objectifs clairs et politiques ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.) Le Gouvernement l’a fait et nous devons tenir !

Pourquoi opposer la baisse du nucléaire de 75 % à 50 % à la baisse des émissions de gaz à effet de serre ? Ce n’est pas du tout pertinent, car il s’agit de deux sujets complètement différents ! Roland Courteau et Jean-Jacques Filleul évoqueront tout à l'heure les autres pistes envisagées dans ce texte.

En revanche, il n’est pas possible de réduire davantage la part du nucléaire, pour des raisons d’indépendance énergétique mais aussi industrielles. Le nucléaire est en effet essentiel à notre indépendance comme au niveau économique et social.

N’oublions jamais que, lorsque nous débattons du nucléaire, nous évoquons aussi les milliers de personnes qui travaillent dans ce secteur.

La réduction proposée par le Gouvernement a un sens : il s’agit de faire place au développement des énergies renouvelables, de toutes les énergies renouvelables, y compris la biomasse, la méthanisation ou la géothermie, tout en permettant le renouvellement du nucléaire français.

C’est la raison pour laquelle nous proposons de mettre l’innovation au cœur du développement du nucléaire. L’innovation et la recherche sont indispensables. Le rapport produit par l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques il y a deux ans, auquel nous sommes quelques-uns à avoir participé, montrait bien les difficultés auxquelles cette filière est confrontée : sous-traitance en cascade, intrusions, etc. (M. Bruno Sido s’exclame.) Il faut avancer.

Cessons de croire qu’il faut choisir entre ceux qui pensent que le nucléaire, c’est tout beau et tout rose et ceux qui pensent que c’est mauvais. La vérité est au milieu !

M. Jean-Yves Roux. Très bien !

M. Didier Guillaume. Le groupe socialiste est favorable à l’énergie nucléaire (M. Roland Courteau opine.), avec trois exigences : l’excellence industrielle, l’efficacité économique et la transparence totale. Voilà ce que nous souhaitons pour ce secteur, et c’est la direction dans laquelle il est indispensable d’avancer. (M. Bruno Sido s’exclame.)

M. Marc Daunis. Très bien !

M. Didier Guillaume. Enfin, nous voulons une énergie nucléaire plus sûre, plus performante en termes de déchets. Prolonger ou non la durée de vie des centrales actuelles n’est pas un choix politique, la décision sera prise par l’Autorité de sûreté nucléaire,…

M. Marc Daunis. Très bien !

M. Didier Guillaume. l’ASN, qui demeure le meilleur et le plus sérieux gendarme du nucléaire au monde.

Certaines centrales sont déjà très anciennes. Faut-il prolonger leur activité encore quarante, cinquante ou soixante ans ? Au vu de ce qui se passe ici ou là, nous devons avertir du danger : l’excellence industrielle est indispensable.

En revanche, madame la ministre, il nous semble que le Gouvernement doit s’engager dans la construction de nouveaux réacteurs nucléaires…

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Didier Guillaume. … plus petits et plus performants, en remplacement des plus anciens, sur les mêmes sites. Il y va de notre indépendance industrielle et nucléaire.

Quel modèle de croissance voulons-nous ? Celui du mix énergétique, où chacun trouve sa place dans une énergie moins chère et moins polluante.

Alors que par le passé il n’était question que de protéger en se restreignant, il est aujourd’hui possible, selon nous, de se développer en préservant. Nous ne sommes pas favorables à une décroissance fatale, nous souhaitons une croissance durable ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Madame la présidente, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la loi sur la transition énergétique est enfin en débat au Sénat.

« Enfin », non pas tant parce qu’il aura fallu attendre près de trois ans dans le quinquennat de François Hollande pour que ce projet de loi soit présenté, mais surtout parce qu’il y a urgence ! Il faudrait d’ailleurs parler de loi d’urgence énergétique et climatique.

Urgence climatique, tout d’abord : si nous n’agissons pas radicalement, chacun à son niveau de responsabilité, alors nous enregistrerons au XXIe siècle une augmentation des températures supérieure à ce que la planète a connu entre l’ère glaciaire et nos jours. Nous savons tous, sauf à nous réfugier dans des incantations obscurantistes, que nos sociétés n’y survivront pas dans leurs modes d’organisation actuels, et que les crises, notamment alimentaires, auront raison des fragiles équilibres du monde.

La France doit donc assumer sa part de la responsabilité collective. Des objectifs précis de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont dans la loi, ils constituent un message essentiel à quelques mois de la conférence de Paris.

Urgence économique ensuite, car nous ne pouvons ignorer les grandes faiblesses de notre pays : importations d’énergie fossile grevant notre balance commerciale, production d’électricité nucléaire à un prix trop longtemps minoré, mais aujourd’hui clairement non compétitif.

Ces déséquilibres menacent la compétitivité de notre économie,…

M. Ronan Dantec. … mais aussi les budgets des ménages, dans un pays où la précarité énergétique s’accroît.

M. Bruno Sido. Mais non !

M. Ronan Dantec. Je ne doute pas que certains affirmeront ici sur l’air des lampions électriques que le nucléaire reste la production la moins chère. (M. Bruno Sido s’exclame.) C’est faux, ainsi que plusieurs commissions parlementaires l’ont confirmé !

J’avance seulement un chiffre, le débat permettra d’y revenir : à Hinkley Point, en Grande-Bretagne, le réacteur EPR ne trouve son équilibre économique qu’à un prix garanti de 110 euros le mégawattheure pendant trente-cinq ans, alors que l’éolien terrestre est déjà à 70 euros avec un amortissement sur quinze ans (M. Bruno Sido s’exclame de nouveau.), et que le photovoltaïque sera bientôt à 40 euros, c’est-à-dire trois fois moins cher ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. Bruno Sido. Mais il faut du vent et du soleil !

M. Ronan Dantec. Si nous ne rééquilibrons pas rapidement nos stratégies énergétiques en sortant du piège du tout-nucléaire, nos géants mondiaux de l’énergie, et en premier lieu l’opérateur public historique, courent au désastre économique.

Faut-il rappeler ici la situation d’Areva, ex-fleuron de l’industrie nationale ? Elle est plus que critique !

M. Bruno Sido. Mais vous savez pourquoi !

M. Ronan Dantec. Le groupe doit dans l’urgence se délester de 1 milliard d’euros d’actifs, dont, peut-être, son activité de démantèlement de sites nucléaires. Ce serait tout bonnement insensé, car c’est le seul vrai marché d’avenir.

Laisser la France s’entêter dans le tout-nucléaire serait une folie. Nous devons diversifier rapidement notre mix énergétique, nous devons renforcer des filières industrielles fortes sur le renouvelable, ce qui n’est pas possible sans un marché intérieur dynamique.

Il nous faut donc affronter nos tabous, comme la fin de vie programmée des centrales. On préfère ici l’acharnement thérapeutique à une approche sereine de l’inéluctable. Une centrale nucléaire n’est pas immortelle. Ses tuyauteries s’usent avec le temps, il faut l’accepter. Les pics de mise en service se situant au début des années 1980, il est clair que nous ne pourrons pas prolonger tous ces réacteurs au-delà de quarante ans, en particulier, et cela n’a pas été rappelé, dans un contexte de surproduction européenne et d’effondrement des prix. Les coûts de prolongation sont estimés à près de 1,5 milliard d’euros par réacteur.

La loi fixe un objectif raisonnable de 50 % d’électricité nucléaire à l’horizon 2025. Pourquoi le contester, sauf à considérer que cet horizon est trop lointain et que 2022 serait plus conforme à la programmation pluriannuelle de l’énergie et à la pyramide des âges des centrales ? Si Ladislas Poniatowski propose de fixer la date à 2022, je le soutiendrai ! (Sourires.)

Une fois fait le deuil nécessaire du tout-nucléaire français, il reste à en enterrer les restes. C’est un vrai problème, auquel, par exemple, les Allemands sont aujourd’hui confrontés. Nous devons y apporter des réponses techniques et mettre en place des services : c’est un marché important ! Aussi, je l’ai dit, la stratégie d’Areva d’un éventuel désengagement de l’économie du démantèlement est une aberration totale.

Nous avons trop délégué trop longtemps à quelques-uns – grandes entreprises et grands corps de l’État – l’avenir énergétique de ce pays, et donc son avenir tout court. C’est bien la force de cette loi que d’avoir replacé la politique au cœur de ce sujet essentiel.

La discussion collective a rendu cela possible : le débat national sur la transition énergétique, qui s’est tenu entre fin 2012 et 2013, a montré qu’une véritable expertise citoyenne existait dans ce pays, qui débouchait sur des scénarios crédibles quand les scénarios fondés sur le maintien du tout-nucléaire ne permettent pas de tenir nos grands objectifs climatiques ! Tel est l’enseignement du débat national, qui a ainsi permis de légitimer cette loi !

Je voudrais donc saluer ici toutes celles et tous ceux qui s’y sont investis, ministres, élus, militants associatifs, représentants des syndicats et acteurs du monde économique. Par l’énergie qu’ils ont déployée dans ce débat, ils nous ont éclairé le chemin.

Ensuite, la loi redonne une maîtrise politique et une visibilité à la stratégie d’un État planificateur autour d’une programmation pluriannuelle de l’énergie de cinq plus cinq ans, discutée au Parlement, soumise à l’avis d’un comité d’experts et du Conseil national de la transition écologique. C’est un de ses points forts.

Enfin, la mobilisation des territoires constitue un autre enjeu politique.

En qualité de président du groupe de travail « gouvernance » du débat national sur la transition énergétique, je me réjouis notamment du renforcement du SRCAE, le schéma régional climat air énergie, outil essentiel de planification régionale, qui devrait devenir prescriptif en étant intégré au schéma régional d’aménagement du territoire, ainsi que du développement des plans climat air énergie territoriaux, dorénavant obligatoires dans toutes les intercommunalités.

C’est dans les territoires que se jouera vraiment la transition énergétique française. Des exemples concrets, à Nantes ou Grenoble, montrent que des politiques volontaristes et cohérentes permettent des réductions massives d’émissions de gaz à effet de serre. Certains territoires sont déjà parvenus à réduire de 30 % ou de 35 % leurs émissions par rapport à 1990. Ils montrent la voie à suivre.

L’ingénierie financière au service des territoires est ici centrale. Les fonds d’innovation, les fonds de garantie, les tiers investisseurs, la loi énumère de nombreux outils. Certes, ces outils peuvent encore être améliorés, mais, surtout, il nous faudra donner aux territoires l’envie de les utiliser.

En ce sens, nous ne pouvons que nous féliciter de la décision de « prioriser » le développement des plans climat dès 2015, une mesure prévue dans la feuille de route environnementale que vous avez présentée, la semaine dernière, madame la ministre, avec Manuel Valls, et qui reprend une proposition du rapport que j’ai rédigé avec Michel Delebarre. Les rapports parlementaires peuvent donc être utiles…

Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette loi dense, qui traite aussi l’économie circulaire, la qualité de l’air ou les enjeux agricoles. Mon collègue Joël Labbé y reviendra dans quelques instants et nous en discuterons tout au long du débat.

Mais, surtout, au travers de cette loi, nous pourrons dire : enfin ! la France est en marche, soucieuse, au-delà des postures, de répondre aux enjeux de demain et prête à bousculer les conservatismes. Dans sa rédaction initiale, la loi est conforme aux engagements du Président de la République durant sa campagne électorale.

M. Ronan Dantec. Aussi, madame la ministre, vous pouvez compter sur la mobilisation et la vigilance des écologistes pour éviter qu’elle ne soit détricotée. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur quelques travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Jouanno.

Mme Chantal Jouanno. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, un peu moins de six ans après le vote du Grenelle, nous nous retrouvons ici pour débattre des actions à mener face aux enjeux climatiques.

Si la répétition est la base de la conviction, alors il ne devrait plus rester dans cet hémicycle un seul climato-sceptique. Mes chers collègues, vous devriez a priori être tous enchantés par les éoliennes !

Si, par un malencontreux hasard, quelques-uns d’entre vous avaient encore quelques doutes, les collègues qui m’ont précédée ont à peu près listé tous les arguments plaidant en faveur de l’urgence climatique.

Pour ma part, je me bornerai à évoquer trois éléments.

Premièrement, j’aborderai la dimension économique.

Le coût de l’inaction est cinq fois supérieur au coût de l’action, comme l’a souligné Mme la ministre. Si nous ne faisons rien, le coût pour la France sera compris entre 100 milliards et 150 milliards d’euros en 2050, un ordre de grandeur globalement retenu dans le rapport Stern ou dans le rapport de la Banque mondiale, intitulé Turn Down the Heat ».

Deuxièmement, je parlerai du plan social.

Comme cela a été évoqué, la précarité énergétique est devenue un véritable fléau, particulièrement en Île-de-France, mais aussi dans les zones rurales : elle touche 11,3 millions de personnes. Aujourd'hui, un peu à l’image du tonneau des Danaïdes, on préfère régler le problème via des tarifs sociaux, plutôt que de le traiter à la source.

Troisièmement, enfin, j’évoquerai un élément que l’on oublie souvent à l’échelle internationale, je veux parler de la sécurité. Le Conseil de sécurité des Nations unies l’a traité une fois.

Les changements climatiques affecteront le plus les pays les plus pauvres et nombre de nos voisins. Selon les Nations unies, on comptait 50 millions de réfugiés climatiques ou de déplacés environnementaux en 2010 ; ils seront entre 200 millions et 250 millions en 2050. Il est donc dans notre intérêt d’aider ces pays à assurer leur transition énergétique et d’agir aujourd'hui non pas parce que nous nous plaçons sur le terrain de la morale ou de l’exemplarité – même si l’on aime que notre pays soit exemplaire ! –, mais parce qu’il s’agit d’un investissement rationnel, d’un intérêt presque cynique.

Madame la ministre, ne nous voilons pas la face, les grandes orientations de ce projet de loi s’inscrivent, il est vrai, dans celles qui ont été débattues dans la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dite « loi Grenelle 1 », et nous y sommes favorables. Bien sûr, on l’a vu, nous débattrons de certaines dates – 2020, 2025, 2030 ou 2040 –, mais un consensus semble se dégager sur les grandes orientations.

Fallait-il une nouvelle loi ? Fallait-il prévoir des mesures d’adaptation ?

Oui, il fallait prendre des mesures. Dans le domaine des énergies renouvelables, par exemple, des blocages ont été constatés, avec un effondrement du nombre de projets. Il en est de même dans le domaine de la rénovation des bâtiments. De nouvelles initiatives ont ainsi vu le jour dans l’économie circulaire.

Cette loi comporte donc de bonnes mesures, notamment concernant le tiers-financement, les budgets carbone ; elle prévoit des mesures concrètes au sujet de l’économie circulaire. Eu égard aux exigences portant sur les énergies renouvelables, des mesures devaient effectivement être prises.

Est-ce une loi d’adaptation ou une loi de transition ?