Sommaire

Présidence de M. Thierry Foucaud

Secrétaire :

M. François Fortassin.

1. Procès-verbal

2. Mises au point au sujet de votes

3. Candidature à un organisme extraparlementaire

4. Demandes de création d’une mission d’information et d'une commission d'enquête

5. Communication du Conseil constitutionnel

6. Célébration des mariages dans des annexes de la mairie. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi

M. Simon Sutour, rapporteur de la commission des lois

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports

Mme Cécile Cukierman

M. Pierre-Yves Collombat

M. Yves Détraigne

Mme Nicole Duranton

Mme Nicole Bonnefoy

M. René Vandierendonck

M. René Danesi

M. Jacques Genest

M. Jean-Paul Fournier

M. Simon Sutour, rapporteur

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État

M. Simon Sutour, rapporteur de la commission des lois

Clôture de la discussion générale.

Article unique

M. Jean-Claude Lenoir

M. Yves Détraigne

Amendement n° 1 rectifié de M. André Reichardt. – Adoption.

Mme Cécile Cukierman

Adoption de l’article modifié.

Article additionnel après l'article unique

Amendement n° 2 de la commission. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Intitulé de la proposition de loi

Amendement n° 3 de la commission. – Adoption.

Vote sur l'ensemble

M. Roland Courteau

M. Daniel Gremillet

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

7. Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire

8. Congés exceptionnels. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

M. Jérôme Durain, rapporteur de la commission des affaires sociales

Mme Aline Archimbaud

M. Dominique Watrin

M. Gilbert Barbier

Mme Françoise Gatel

M. Philippe Mouiller

M. Jean-Pierre Godefroy

Mme Brigitte Micouleau

M. Daniel Chasseing

M. François Rebsamen, ministre

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 1 rectifié de M. Gilbert Barbier. – Adoption par scrutin public.

Amendement n° 2 rectifié de M. Gilbert Barbier. – Retrait.

Adoption de l’article modifié.

Article 2 (suppression maintenue)

Intitulé de la proposition de loi

Amendement n° 3 rectifié de M. Gilbert Barbier. – Retrait.

Vote sur l’ensemble

M. Jean-Pierre Godefroy

Mme Aline Archimbaud

M. Jean-Noël Cardoux

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

9. Dépôt de documents

Suspension et reprise de la séance

10. Lutte contre le terrorisme. – Adoption d’une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

M. Jean Bizet, auteur de la proposition de résolution, au nom de la commission des affaires européennes

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois

M. Michel Billout

M. Jacques Mézard

M. David Rachline

M. Philippe Bonnecarrère

M. Simon Sutour

M. André Gattolin

M. André Reichardt

M. Roger Karoutchi

M. Pascal Allizard

M. Harlem Désir, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes

Clôture de la discussion générale.

Texte de la proposition de résolution européenne

Amendement n° 7 de la commission des lois. – Adoption.

Amendement n° 1 de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.

Amendement n° 2 de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.

Amendement n° 4 de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.

Amendement n° 6 de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.

Amendement n° 5 de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.

Adoption de la proposition de résolution européenne dans le texte de la commission, modifié.

11. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Thierry Foucaud

vice-président

Secrétaire :

M. François Fortassin.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Mises au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve.

Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, je souhaite faire une rectification au sujet de votes qui ont eu lieu lors de l’examen de la proposition de loi visant à la lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, contre le proxénétisme et pour l’accompagnement des personnes prostituées, au cours des scrutins publics nos 112 et 115 du lundi 30 mars 2015.

Lors du scrutin public n° 112 portant sur l’amendement n° 1 rectifié, visant à rétablir le délit de racolage passif, M. Navarro et moi-même souhaitions voter contre. La consigne n’a pas été suivie, et c’est d’autant plus dommageable que cela a inversé le sens du vote.

Lors du scrutin public n° 115 portant sur l’ensemble du texte, le délit de racolage passif ayant été rétabli, M. Navarro et moi-même souhaitions voter contre.

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, je souhaite également faire une mise au point au sujet d’un vote : lors du scrutin n° 115 portant sur l’ensemble de la proposition de loi visant à la lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, contre le proxénétisme et pour l’accompagnement des personnes prostituées, Mme Doineau souhaitait voter pour et Mme Gourault s’abstenir.

M. le président. Acte est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique des scrutins.

3

Candidature à un organisme extraparlementaire

M. le président. Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration de l’Agence française de développement.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a fait connaître qu’elle propose la candidature de Mme Sylvie Goy-Chavent pour siéger en tant que membre suppléant au sein de cet organisme extraparlementaire.

Cette candidature a été publiée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

4

Demandes de création d’une mission d’information et d'une commission d'enquête

M. le président. Par lettre en date du 30 mars 2015, M. Didier Guillaume, président du groupe socialiste et apparentés, a fait connaître à M. le président du Sénat que son groupe exerçait son droit de tirage, en application de l’article 6 bis du règlement, pour la création d’une mission d’information sur la commande publique.

Par lettre en date du 31 mars 2015, M. Jacques Mézard, président du groupe du RDSE, a fait connaître à M. le président du Sénat que son groupe exerçait son droit de tirage, en application de l’article 6 bis du règlement, pour la création d’une commission d’enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l’organisation, de l’activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes.

La conférence des présidents sera saisie de ces demandes de création lors de sa prochaine réunion.

5

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 1er avril 2015, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État avait adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 2121 21 du code général des collectivités territoriales (Vote au conseil municipal ; n° 2015 471 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

6

 
Dossier législatif : proposition de loi tendant à permettre la célébration de mariages dans des annexes de la mairie
Discussion générale (suite)

Célébration des mariages dans des annexes de la mairie

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et apparentés, de la proposition de loi tendant à permettre la célébration de mariages dans des annexes de la mairie, présentée par M. Roland Courteau et les membres du groupe socialiste et apprentés (proposition n° 556 [2012-2013], texte de la commission n° 368, rapport n° 367).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à permettre la célébration de mariages dans des annexes de la mairie
Article unique

M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à donner un fondement législatif à une pratique résultant d’une instruction générale de l’exécutif : la possibilité de célébrer un mariage dans des annexes de la mairie. Surtout, elle vise à conférer aux dispositions actuelles la souplesse que commande le pragmatisme.

L’article 75, alinéa 1, du code civil pose, en principe, l’obligation, pour l’officier de l’état civil, de célébrer un mariage « à la mairie ». Le deuxième alinéa de cet article permet cependant de déroger à cette règle, en célébrant le mariage au domicile ou à la résidence de l’une des parties, dans deux hypothèses uniquement : soit « en cas d’empêchement grave » – c’est au procureur de la République qu’il appartient alors de requérir l’officier de l’état civil, afin qu’il se transporte au domicile ou à la résidence de l’un des futurs mariés –, soit « en cas de péril imminent de mort de l’un des futurs époux ». Dans ce cas, l’officier de l’état civil peut s’y transporter avant toute réquisition ou autorisation du procureur de la République.

Il résulte de ces dispositions que, à ce jour, un mariage ne peut être célébré ailleurs qu’au sein de la mairie ou, en cas d’empêchement grave ou de péril imminent de mort, au domicile ou à la résidence de l’un des époux. Le code civil ne permet pas une célébration dans une annexe de la mairie, quand bien même elle serait à proximité immédiate de celle-ci.

Cet état de fait n’est pas sans poser des difficultés, notamment lorsque les salles sont exiguës. Il pose également de nombreux problèmes lorsque les salles consacrées à la célébration des mariages ne sont pas adaptées à l’accueil du public, notamment aux personnes handicapées.

Toutefois, l’instruction générale relative à l’état civil reconnaît formellement au conseil municipal la possibilité d’affecter une annexe de la maison commune à la célébration des mariages lorsque, « en raison de travaux à entreprendre sur les bâtiments de la mairie ou pour toute autre cause, aucune salle ne peut être utilisée pour les mariages pendant une certaine période ».

En une telle hypothèse, le conseil municipal peut « prendre, après en avoir référé au parquet, une délibération disposant que le local extérieur qui paraît propre à suppléer l’habituelle salle des mariages rendue indisponible recevra l’affectation d’une annexe de la maison commune […] et que les mariages pourront y être célébrés ».

Néanmoins, bien qu’il soit, en pratique, fréquemment fait usage de cette faculté, celle-ci n’est formellement reconnue que par une simple instruction de l’exécutif. Elle ne repose sur aucune disposition législative expresse claire, ce qui n’est pas sans poser des difficultés au regard des principes de sécurité juridique et de clarté de la loi.

Par ailleurs, la possibilité ainsi reconnue au conseil municipal de désigner une annexe comme salle de célébration des mariages semble générale : en effet, elle vise « les mariages », et non « des mariages ».

Le conseil municipal qui voudrait user de cette faculté, par exemple en raison de l’exiguïté de la salle de mariage de la mairie, prendrait donc une décision applicable ipso jure à tous les mariages, quand bien même certains d’entre eux pourraient effectivement se tenir dans la maison commune. Une telle rigidité n’aurait pas de raison d’être, et il conviendrait, comme je l’ai déjà dit, de conférer clairement à ce dispositif la souplesse que commande le pragmatisme.

Enfin, la mention « pendant une certaine période », qui figure dans l’instruction générale, donne à penser que cette faculté ne peut être que temporaire. Elle ne permet donc pas de résoudre le cas, très fréquent dans les petites communes, où les locaux de la mairie ne sont manifestement pas adaptés à la célébration de mariages, sauf à ce que le conseil municipal réitère régulièrement sa décision de « délocalisation », avec les conséquences qui en résultent, en termes de lourdeurs, tant pour les services municipaux que pour ceux du parquet, notamment dans les petites communes.

En effet, de plus en plus de jeunes couples issus du milieu urbain s’installent dans les villages situés à la périphérie des grandes agglomérations dans lesquelles ils travaillent. Les maires de ces petites communes, qui sont amenés à célébrer des mariages plus souvent, mais, surtout, à accueillir un public aujourd’hui très nombreux, rencontrent des difficultés du fait de l’exiguïté de leurs locaux. En effet, chacun le sait, le public doit être admis librement à la célébration du mariage.

D’ailleurs, l’article 165 du code civil dispose que le mariage doit être célébré publiquement lors d’une cérémonie républicaine par l’officier d’état civil. Les locaux étant parfois exigus, les célébrations de mariages dans une annexe de la mairie sont – et seront – de plus en plus demandées, ce qui nécessite – et nécessitera de plus en plus régulièrement – que le conseil municipal demande au procureur de la République l’autorisation d’affecter tel ou tel autre local à cette célébration. Bref, ce type d’autorisation est contraignant lorsque le besoin est permanent.

Dès lors, des considérations tant juridiques que pratiques peuvent justifier que des mariages soient célébrés dans un autre local que la mairie, désigné à cette fin par le conseil municipal. Il semble donc important de donner un fondement législatif à cette pratique désormais courante, afin de la rendre pérenne et, ainsi, de faciliter la gestion municipale et d’alléger la charge de travail du parquet.

C’est en ce sens que nous avons décidé, mes chers collègues, de soumettre à votre examen cette proposition de loi, qui vise à modifier l’article 75 du code civil.

Le rapporteur, notre collègue Simon Sutour, a proposé un amendement, qui a été examiné et adopté par la commission des lois mercredi dernier. Cet amendement tend à insérer dans le code général des collectivités territoriales, plutôt que dans le code civil, les dispositions relatives à la possibilité de célébrer des mariages hors de la mairie.

Personnellement, je n’y vois que des avantages, dès lors qu’une telle démarche relève, notamment, d’une délibération du conseil municipal. Cette initiative est donc pertinente.

Les membres de la commission, notamment son rapporteur, m’ont convaincu que le rôle du procureur était de veiller scrupuleusement à ce que les locaux proposés ne soient pas inappropriés et que le lieu choisi réponde à la solennité attachée à la cérémonie du mariage.

C’est pour cette raison que j’étais, dans un premier temps, favorable à la proposition du rapporteur précisant que « le conseil municipal peut après autorisation du procureur affecter tout local adapté à la célébration des mariages ».

Toutefois, on peut en effet redouter que les délais de réponse du procureur soient dans certains cas extrêmement longs, surtout si plusieurs conseils municipaux font en même temps de telles demandes.

Dans la rédaction initiale de la proposition de loi, j’avais tenté d’éviter cet écueil en proposant que le conseil municipal se contente de transmettre la délibération au procureur. Néanmoins, je reconnais que cette proposition n’était pas totalement satisfaisante, pour les raisons que je viens de donner.

Dès lors, les dispositions de l’amendement proposé par nos collègues Reichhardt et Danesi me semblent répondre à la fois aux préoccupations de sécurité, de solennité, et d’accessibilité des locaux, tout en évitant que ladite autorisation soit accordée par le procureur après des délais excessivement longs. En effet, aux termes de l’amendement, le conseil municipal peut, « sauf opposition du procureur », affecter tout local adapté à la célébration de mariage. Cette rédaction me paraît tout à fait pertinente, et j’y suis donc favorable.

Pour conclure, je voudrais d’abord remercier M. Simon Sutour, rapporteur, ainsi que la commission des lois et sa présidente, d’avoir adopté, ainsi amendée, la proposition de loi que j’ai présentée avec mes collègues du groupe socialiste. Ce texte a essentiellement pour objectif de répondre aux préoccupations des maires et des élus municipaux en donnant plus de souplesse au dispositif législatif actuel.

Me croirez-vous, monsieur le secrétaire d’État, si je vous dis que ce texte est très attendu par les maires de ce pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Claude Bérit-Débat. C’est vrai !

M. Jean-Claude Lenoir. C’est tout à fait exact !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Simon Sutour, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons cette après-midi la proposition de loi tendant à permettre la célébration de mariages dans des annexes de la mairie proposée par M. Roland Courteau, qui vient de s’exprimer, et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Cette proposition de loi répond effectivement à une forte attente exprimée à plusieurs reprises par les parlementaires, bien sûr, mais aussi et surtout par les élus locaux, en particulier par les maires.

Elle entend répondre aux difficultés rencontrées par de nombreuses communes, qui souhaiteraient, pour des raisons pratiques – une salle des mariages exiguë ou difficilement accessible aux personnes à mobilité réduite, par exemple –, pouvoir célébrer des mariages en dehors de la mairie.

En plus du texte qui nous est présenté aujourd’hui, deux propositions de loi ayant le même objet ont également été déposées sur le bureau du Sénat au cours de ces dernières années par nos collègues Philippe Nachbar et Alain Gournac, et plusieurs questions écrites abordant cette problématique ont été adressées au Gouvernement.

Actuellement, le droit en vigueur impose que les mariages soient célébrés à la mairie, au sens strict du terme, c’est-à-dire dans le bâtiment de l’hôtel de ville lui-même ou dans les dépendances qui font partie du même ensemble immobilier. Les dérogations à ce principe sont très peu nombreuses et strictement encadrées.

À cet égard, l’article 75 du code civil prévoit la possibilité de célébrer le mariage au domicile ou à la résidence de l’un des époux dans deux situations seulement : en cas d’empêchement grave ou en cas de péril imminent de mort de l’un des futurs époux.

À ces deux cas s’ajoute une troisième hypothèse prévue par l’instruction générale relative à l’état civil : l’impossibilité pendant une certaine période d’utiliser une salle de la mairie en raison de travaux sur les bâtiments de la mairie ou pour toute autre cause. L’interdiction de principe de la célébration des mariages hors de la mairie s’explique essentiellement par la volonté d’éviter tout déplacement des registres de l’état civil, limitant ainsi les risques de perte ou de destruction.

Cependant, cet obstacle lié à la conservation des registres doit être reconsidéré, au regard, notamment, du développement de l’utilisation de feuilles mobiles du registre par les officiers d’état civil, qui ne transportent donc plus l’intégralité du registre, et de la dématérialisation de la conservation de ces données. Il n’y a plus, aujourd’hui, de raisons valables de refuser de faire évoluer les textes sur ce sujet.

Dès 2012, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales, la commission des lois avait donné un avis favorable à un amendement qui visait à permettre la célébration de mariages dans une annexe de la mairie pour les communes de moins de 3 500 habitants. Néanmoins, cet amendement avait ensuite été retiré avant la séance par ses auteurs.

À nouveau saisie de cette question, la commission des lois a adopté le présent texte, après lui avoir apporté plusieurs modifications.

Dans sa rédaction initiale, la proposition de loi prévoyait d’autoriser les mariages dans des annexes de la mairie par délibération du conseil municipal transmise au procureur de la République.

En premier lieu, la commission des lois a choisi d’inscrire ces dispositions dans le code général des collectivités territoriales, plutôt que dans le code civil, estimant qu’elles concernaient principalement les modalités d’affectation par le conseil municipal d’un local à la célébration de mariages.

Elle a ainsi entendu préserver la portée symbolique qui s’attache à l’article 75 du code civil relatif au déroulement de la célébration du mariage, en n’y introduisant pas de distinction entre les mariages célébrés dans le bâtiment de la mairie et ceux qui sont célébrés dans un autre local choisi à cet effet. Par conséquent, tout mariage sera célébré, quel que soit le lieu choisi, dans la « maison commune », lors d’une cérémonie républicaine, en présence de l’officier d’état civil.

En second lieu, la commission a remplacé la notion d’« annexe de la mairie » par les termes « local adapté à la célébration de mariages », car, dans le code général des collectivités territoriales, la notion d’annexe de mairie recouvre des structures bien particulières : les annexes des communes déléguées créées au sein de communes nouvelles et les annexes de quartier des communes de plus de 100 000 habitants.

Autoriser les mariages dans les « annexes » de la mairie seulement aurait limité de manière importante la portée de la présente proposition de loi. Aucun mariage n’aurait pu être célébré hors de l’hôtel de ville dans des communes qui n’ont pas d’annexes au sens du code général des collectivités territoriales, c’est-à-dire dans de nombreuses collectivités territoriales, notamment, et bien entendu nous y sommes tous très sensibles, dans les plus petites de nos communes.

En troisième lieu, la proposition de loi ne prévoyait qu’une simple transmission de la délibération du conseil municipal au procureur de la République. La commission des lois, après un débat sur ce point, a décidé de prévoir une autorisation donnée par le procureur de la République en amont de la décision d’affectation.

En effet, dans la mesure où l’affectation d’un autre local à la célébration de mariages pourrait désormais être décidée librement par le conseil municipal, alors que, à l’heure actuelle cette possibilité est strictement encadrée, il nous a semblé nécessaire de prévoir un contrôle préalable par le procureur de la République du lieu choisi, au regard du caractère solennel qui s’attache à ce type de cérémonies et de l’exigence d’une certaine pérennité de l’affectation.

Mes chers collègues, au bénéfice de ces observations liminaires, la commission des lois vous propose donc d’adopter le présent texte, tel qu’il est rédigé à l’issue de ses différents travaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser Marylise Lebranchu, qui ne pouvait être présente cette après-midi pour l’examen en première lecture par votre assemblée de la proposition de loi tendant à permettre la célébration des mariages dans les annexes de la mairie.

L’objectif de cette proposition de loi est, pour citer son auteur, de « faire en sorte que l’ensemble des mairies de France sur tous les territoires disposent d’une salle de célébration des mariages adaptée, de dimension suffisante, et accessible à tous ». Il s’agit donc de garantir à l’ensemble des citoyens qui le souhaitent de pouvoir se marier dans de bonnes conditions, et ce quelle que soit leur commune de résidence.

Aujourd’hui, certaines mairies sont confrontées à des difficultés en raison de leur exiguïté ou parce que la salle de célébration des mariages ne permet pas un accueil adéquat au public. C’est le cas, notamment, lorsque la salle des mariages se trouve au premier étage, ce qui rend son accès difficile, par exemple pour les personnes à mobilité réduite. Ces difficultés, les maires et les élus municipaux souhaitent les surmonter, afin de pouvoir offrir à l’ensemble de leurs administrés une cérémonie de qualité.

Toutefois, en l’état du droit, les solutions à leur disposition sont peu nombreuses et, surtout, parfois quelque peu complexes à mettre en œuvre. En outre, il apparaît que le droit existant n’est pas d’une nature très sécurisante.

Certes, il existe des dispositions visant à autoriser des célébrations de mariages dans un endroit extérieur à la mairie, voire au domicile des époux, comme l’a rappelé l’auteur de la proposition de loi.

M. Roland Courteau. Absolument !

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. Toutefois, ces exceptions au droit commun concernent seulement des cas rarissimes, dans lesquels l’officier de l’état civil est autorisé à se rendre à la résidence de l’une des parties en cas d’empêchement grave ou de péril imminent de mort de l’un des futurs époux.

À l’exception de ces cas rares, le code civil envisage la possibilité de célébrer les mariages à l’extérieur de la mairie, mais uniquement de manière temporaire, lorsqu’aucune salle ne peut être utilisée au sein de la mairie pendant une certaine période, notamment, par exemple, en raison de travaux de rénovation.

Le conseil municipal prend alors, après en avoir référé au parquet, une délibération disposant qu’un local extérieur, recevant à l’affection d’une annexe de la maison commune, peut être utilisé comme salle de célébration de mariages.

En revanche, une telle disposition n’existe pas pour les situations régulières, comme l’inaccessibilité – je l’ai évoquée – ou la taille trop restreinte de la salle des mariages de la mairie. Avec cette proposition de loi, c’est justement à ces problèmes que votre assemblée souhaite apporter une réponse.

En rendant possibles de façon permanente les célébrations de mariages à l’extérieur du bâtiment principal de la mairie, une telle mesure permettrait de résoudre les difficultés que je viens d’évoquer. Elle serait également utile dans le cas spécifique des communes nouvelles, puisqu’elle rendrait possible la célébration des mariages dans les mairies déléguées sur le territoire des anciennes communes.

Comme l’a très justement souligné la commission des lois, les considérations qui justifiaient le caractère strict des dérogations au principe du mariage à la mairie, telle que la volonté d’éviter tout déplacement des registres d’état civil, ne sont plus d’actualité aujourd’hui. En effet, la dématérialisation n’impose plus l’application de règles aussi contraignantes qu’à l’époque où Internet n’existait pas.

Le Gouvernement partage donc avec votre assemblée l’objectif de la proposition de loi déposée par M. Roland Courteau et son groupe. Ce texte prévoyait, dans sa version initiale, que soit simplement inscrite à l’article 75 du code civil l’autorisation de célébrer les mariages au sein d’annexes de la mairie préalablement désignées comme telles par une délibération du conseil municipal, elle-même transmise au procureur de la République.

Ainsi, sans conduire à la délocalisation de l’ensemble des mariages dans un autre lieu que l’hôtel de ville, la proposition de loi rendait possible la célébration de certains mariages dans les annexes de la mairie.

Votre commission des lois a approuvé l’assouplissement proposé. En revanche, elle a souhaité modifier plusieurs points du dispositif envisagé en apportant des précisions qui sont, me semble-t-il, bienvenues.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. Premièrement, la commission a choisi – vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur – d’inscrire les dispositions de la proposition de loi dans le code général des collectivités territoriales, plutôt que dans le code civil. Il s’agit d’une bonne chose : il n’y aura ainsi aucune distinction, dans le code civil, entre les mariages, qu’ils soient célébrés à la mairie ou au sein de ces annexes. Quel que soit le lieu choisi, ils seront tous célébrés dans la maison commune.

Ce choix apparaît d’autant plus pertinent que l’affectation d’une nouvelle salle relève de la seule compétence du conseil municipal et d’aucune autre instance. De fait, les aspects matériels de la célébration sont détachables de la procédure qui doit être respectée par l’officier d’état civil pour le mariage : lecture des articles du code civil – et il y en a ! – et échange des consentements, par exemple.

Deuxièmement, votre commission a voulu renforcer la sécurité juridique du dispositif par la mise en place d’une autorisation préalable du procureur de la République. Cette garantie concernant le choix des lieux apparaît tout aussi essentielle ; le Gouvernement y souscrit. Nous nous posons toutefois la question de savoir si les garanties ainsi apportées suffiront dans les faits à supprimer le risque de discrimination, sujet sur lequel je reviendrai.

Enfin, votre commission des lois a souhaité remplacer le terme « annexe » par celui de « local », estimant que la référence aux annexes limitait de manière trop importante la portée de la proposition de loi, puisque le dispositif ne serait alors pas accessible aux communes ne disposant pas d’annexes au sens du code général des collectivités territoriales. Le Gouvernement entend et comprend cette position.

Reste que cette modification, en élargissant le champ des possibilités pour les maires, nécessite de facto des précisions et garanties supplémentaires. Il apparaît en effet nécessaire de mieux définir le type de salle susceptible d’être retenu pour la célébration des mariages. Il apparaît aussi nécessaire de poser des conditions pour que cette ouverture voulue, souhaitée par cette proposition de loi, ne soit pas détournée, dans certains cas, par certains esprits mal intentionnés et n’aboutisse pas à des stigmatisations. Je veux dire par là qu’il ne faudrait pas que, pour certains mariages, on ne propose que l’annexe, et non le bâtiment principal.

Mme Cécile Cukierman. Tout à fait !

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. Si le Gouvernement souscrit aux finalités de cette proposition de loi, reconnaît l’intérêt d’un assouplissement des textes en vigueur et approuve certaines des modifications introduites par votre commission des lois, il estime que le texte, en son état actuel, ne permet pas d’apporter toutes les garanties nécessaires aux futurs époux. D’où son avis de sagesse bienveillante. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, tout d’abord, sans aucune ironie ni insolence, j’avoue que nous avons été assez surpris, à la lecture des conclusions de la conférence des présidents, de voir cette proposition de loi inscrite à l’ordre du jour de ce mercredi 1er avril. (Sourires.)

Au sein du groupe communiste, républicain et citoyen, nous nous sommes interrogés sur la pertinence d’un tel texte au lendemain des élections départementales. Toutefois, nous avons tous en mémoire un mariage célébré dans une salle exigüe, où les températures étaient parfois élevées… Si tout cela ne gâche pas la cérémonie, cela la rend tout de même moins agréable.

Nous nous sommes également demandé s’il fallait réellement une loi pour répondre à cette problématique. Pourquoi légiférer sur une question de bon sens, les choses se déroulant déjà parfois comme le propose ce texte ? Tout simplement parce que l’hyperjudiciarisation de notre société peut se retourner contre un maire qui déciderait, de son propre chef, de répondre aux besoins des jeunes mariés et d’organiser la cérémonie dans un autre lieu.

Nous nous sommes donc penchés sur cette proposition de loi avec intérêt. Le problème qu’elle soulève est lié à l’évolution du mariage.

L’augmentation du nombre des cérémonies à la mairie qui ne sont pas suivies de cérémonies religieuses et qui ont donc tendance à durer plus longtemps entraîne l’augmentation du nombre d’invités. Or l’exiguïté des salles pousse parfois les familles à opérer des choix terribles : faut-il inviter le grand-oncle que l’on n’a pas vu depuis longtemps, mais qui fait partie de la famille et qui voudrait bien participer aux frais du voyage de noces ? (Sourires.) Si la proposition de loi était adoptée, cette question ne devrait plus se poser, et tout le monde serait satisfait.

Mes chers collègues, j’en parle en souriant, mais il s’agit d’une véritable question dans nombre de communes. Ne voyez donc aucune méchanceté dans mon propos.

M. Roland Courteau. J’espère bien ! (Nouveaux sourires.)

Mme Cécile Cukierman. Certes, nous le savons tous ici, ni la qualité de la cérémonie ni celle de la noce ne garantissent la longévité du mariage. (Rires.) Toutefois, c’est là une autre question, à laquelle nous ne pouvons malheureusement rien.

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. Mais que fait le Sénat ? (Mêmes mouvements.)

Mme Cécile Cukierman. Ce texte invite à quelques remarques, voire à quelques inquiétudes, que M. le secrétaire d’État a déjà relayées en partie.

Bien sûr, il ne s’agit nullement de jeter l’opprobre sur l’ensemble des élus locaux, qui, je crois, remplissent leur mandat avec sérieux et dévouement. Cependant, nous ne souhaiterions pas que cette proposition de loi, quand elle sera promulguée, puisse permettre, faciliter ou encourager un contournement de la mise en conformité des bâtiments publics. Monsieur le secrétaire d’État, vous vous demandiez sur quel point de ce texte le groupe communiste se démarquerait ; vous avez la réponse. (Sourires.)

À l’heure où la baisse des dotations des collectivités territoriales, sur l’initiative du Gouvernement, est tout de même importante, nous ne souhaiterions pas que, faute de moyens financiers pour permettre la mise en conformité de l’ensemble des bâtiments publics, y compris celle de la maison commune, cette proposition de loi permette un tel contournement.

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. Non !

Mme Cécile Cukierman. Ne comptez pas non plus sur nous pour régler la question des communes nouvelles, que vous avez évoquée, monsieur le secrétaire d’État : nous avons voté contre leur création. On ne peut mettre en place des communes nouvelles, concevoir de telles grosses machines, et faire croire aux gens que tout va rester comme avant.

Par ailleurs – là, je ne souris plus –, comme l’a rappelé M. le secrétaire d’État, cette proposition de loi ne doit pas être détournée de l’objectif visé par M. Courteau et servir à « déporter » certaines cérémonies vers un bâtiment annexe, pour quelque raison que ce soit. Le choix du lieu de la cérémonie – annexe ou salle des mariages – doit toujours être proposé, et jamais imposé, aux jeunes mariés.

Mme Catherine Troendlé. Pourquoi seulement aux « jeunes » mariés ? (Sourires.)

Mme Cécile Cukierman. En effet, chère collègue, de nos jours, on peut être jeunes mariés à tout âge, et même jeunes remariés, tant notre société a évolué sur ce point ! (Nouveaux sourires.)

Nous nous félicitons du travail réalisé au sein de la commission. Le texte mérite d’être encore quelque peu amélioré, et il le sera dans le cadre de la navette parlementaire. Toutefois, parce que cette proposition de loi est attendue par de nombreux élus locaux afin d’assurer la sécurité de la cérémonie du mariage, donc de permettre à toutes et à tous de vivre un beau moment, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les idées de bon sens se passant de longues explications, je vous dispenserai des miennes. En l’espèce, elles ont toutes déjà été données, et dans le détail.

Il est évident que le groupe RDSE et moi-même voterons le texte de la commission, soit par raison, s’il demeurait en l’état, soit avec enthousiasme, si l’amendement de nos collègues était adopté. Je crois en effet que l’adoption automatique de la demande du conseil municipal, sauf opposition du procureur, est une mesure non seulement de simplification, mais aussi de raison.

Je ne feindrai pas, monsieur le secrétaire d’État, de m’étonner des réserves du Gouvernement, même si elles semblent avoir trouvé quelque écho dans cet hémicycle. Sa méfiance envers les élus locaux nous apparaît assez régulièrement dans cette assemblée. Je pense, par exemple, à l’adoption récente d’une charte de l’élu local en lieu et place d’un statut de l’élu. Dorénavant, l’élu devra, au début de son mandat, se livrer à un exercice de mortification pour dire qu’il remplira son devoir, qu’il ne prendra pas dans la caisse, etc. Nous sommes donc habitués à ce genre de choses.

Je crois que l’on peut et que l’on doit faire confiance aux élus. Ils ont toujours montré qu’ils avaient le sens du devoir. Je ne pense pas qu’il y ait quelque dérive à craindre – sauf celles qui sont inhérentes à l’exercice de toute fonction et de tout mandat – s’ils estiment nécessaire de transférer les salles des mariages ponctuellement, ou définitivement, dans un local plus adapté.

Sans mystère, nous approuvons donc cette proposition de loi, ainsi que l’amendement qui sera présenté. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le mariage, dans notre société, même s’il est de moins en moins fréquenté, si j’ose dire, a toujours beaucoup d’importance : c’est la création officielle d’une famille. Or celle-ci est la cellule de base de la société.

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. Yves Détraigne. C’est par elle que se transmettent certaines valeurs qui nous permettent, quelles que soient nos opinions ou nos origines, de vivre et de travailler ensemble.

Il est donc tout à fait essentiel que la cérémonie du mariage puisse se dérouler dans de bonnes conditions. Or, nous le savons, cela a été dit, les conditions matérielles ne sont pas toujours idéales.

En tant que maire dans la Marne, un département qui compte 620 communes, dont 42 % comprennent moins de 200 habitants, je connais bien ces salles de mariage ou ces salles uniques de conseil municipal qui sont trop étroites ou insuffisamment accessibles pour accueillir dans des conditions dignes une cérémonie de mariage.

Certes, comme cela a été rappelé, le code civil permet dans certains cas, mais qui sont très circonscrits, de célébrer le mariage ailleurs qu’à la mairie.

Dans les faits, en dehors même des exceptions prévues par la loi, les mariages peuvent être célébrés dans des locaux que dans certains cas on ne peut même pas appeler « salles annexes de la mairie », car une mairie n’a pas toujours d’annexe, mais qui sont des salles communales, par exemple une salle des fêtes, qui se prêtent mieux à l’accueil de l’ensemble des participants à la cérémonie que la salle de mariage.

En effet, cette salle peut se situer au premier étage de l’hôtel de ville. Sa mise en accessibilité n’a parfois pas encore été réalisée et peut-être ne le sera jamais, parce qu’on se contentera de rendre accessible le secrétariat de mairie au motif que de tels travaux, très coûteux, seraient inutiles pour une salle où le conseil municipal ne se réunit qu’une fois tous les deux ou trois mois. Je crois donc que la disposition qui nous est soumise est une bonne mesure.

J’en viens au travail de la commission, qui a enrichi le texte en renforçant la sécurité du dispositif proposé.

Tout d’abord, inscrire ces dispositions dans le code général des collectivités territoriales, plutôt que dans le code civil, me paraît être un bon choix, car ce texte concerne principalement les modalités d’affectation d’un local par le conseil municipal, et non pas le déroulement ou le sens de la cérémonie en elle-même.

Par ailleurs, en remplaçant le terme d’« annexe » par celui de « local adapté », la commission s’est assuré que ces dispositions puissent s’appliquer sans difficulté, ou avec moins de difficultés que si on l’avait maintenu le terme d’« annexe » dans son sens strict, à l’ensemble des communes du territoire, y compris les plus petites.

Enfin, l’obligation pour la commune de soumettre en amont à l’autorisation du procureur de la République le choix du lieu susceptible d’accueillir la cérémonie en dehors de la mairie proprement dite est important, pour prévenir toute dévalorisation de la portée symbolique et de la solennité du mariage. En effet, celui-ci pourrait être célébré dans une salle certes accessible, mais qui ne serait pas tout à fait adéquate.

Je pense par exemple à un enseignant de ma commune – j’ai évidemment refusé d’accéder à sa demande – qui trouvait « sympa » de célébrer son mariage sous le préau de l’école. Oui, un mariage, c’est « sympa », mais pas seulement : c’est une cérémonie qui doit avoir du sens pour notre société et pour la République !

Certes, le mariage ne concerne qu’une part décroissante de la population française – je crois même que, en 2013, le nombre de mariages dans notre pays a atteint son niveau le plus bas depuis de nombreuses années.

Toutefois, il faut veiller à ce que le mariage soit célébré dans les meilleures conditions, me semble-t-il. Qui sait ? Peut-être que, dans certaines petites communes, la possibilité de célébrer le mariage dans un local plus adapté que la salle du conseil municipal incitera certains jeunes, pour qui le passage devant M. le maire n’a plus grand sens, à se poser à nouveau la question d’y paraître. Mais je rêve sans doute un peu…

Quoi qu’il en soit, aux yeux du groupe centriste, tout ce qui peut faciliter la cérémonie nuptiale et faire en sorte qu’elle se déroule dans les meilleures conditions est positif. Ce texte va dans cette direction ; en conséquence, le groupe UDI-UC votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, selon l’article 75 du code civil, le mariage doit être célébré en mairie.

Par conséquent, la cérémonie doit se dérouler au sein même de la mairie. Néanmoins, il existe déjà des dérogations possibles, notamment en cas de travaux. Le conseil municipal est alors amené à prendre une délibération après en avoir référé au parquet, et les mariages pourront ainsi être célébrés temporairement dans un local annexe de la mairie.

Au regard des situations existantes, la présente initiative est bienvenue et va dans le bon sens. Elle répond en effet principalement aux besoins des communes dans lesquelles la salle des mariages de la mairie, quand elle existe, ne peut contenir qu’un nombre très restreint de personnes. Nombreuses sont les mairies rurales qui ne disposent que d’une seule petite salle, où il n’est possible de faire entrer qu’une dizaine de personnes, les autres invités devant rester à l’extérieur.

Ce point étant précisé, j’insisterai sur trois éléments qui me paraissent essentiels.

Les deux premiers sont liés : le conseil municipal doit impérativement se prononcer et le local doit être adapté. En effet, une cérémonie civile est empreinte de solennité. Les futurs époux se marient devant la République. Le mariage civil est un acte juridique, une union légale, et le lieu doit évidemment être adapté à cette cérémonie.

Peut-on dire d’un gymnase qu’il est adapté à une telle cérémonie ? Je le répète, celle-ci doit être solennelle, et non se réduire à une simple formalité. À l’heure où les symboles de la République sont si facilement bafoués, il me semble que la désignation de « local adapté » devrait être définie plus précisément comme un « lieu digne d’un mariage civil dans la République ».

Le conseil municipal doit en effet jouer pleinement son rôle et être très vigilant sur le local désigné. Le conseil municipal est capable de désigner un local adapté à un mariage civil et, bien sûr, il est légitime pour le faire, puisqu’il s’agit de locaux appartenant au patrimoine communal.

M. Roland Courteau. Évidemment !

Mme Nicole Duranton. Le troisième point que je souhaite aborder est l’autorisation du procureur de la République. Si celui-ci est bien entendu compétent pour prendre une telle décision, l’obliger à délivrer ou à refuser une autorisation pour tel ou tel local, n’est-ce pas ajouter une lourdeur administrative et allonger la procédure ?

Il est en effet indispensable que le procureur soit saisi, pour qu’il puisse prononcer éventuellement son opposition. Sans réponse de sa part, son autorisation est acquise. Ensuite, le conseil municipal sera amené à délibérer et à autoriser la cérémonie civile dans le lieu choisi.

Qu’en est-il si le procureur de la République refuse l’affectation d’un local ? Est-ce que la décision du conseil municipal importera peu ? Non ! Laissons le conseil municipal trancher.

Pour rappel, aujourd’hui, lors du déplacement exceptionnel d’un mariage dans un local annexe de la mairie, essentiellement en raison de travaux, comme je l’ai indiqué, le procureur autorise le déplacement des registres, mais ne se prononce pas sur le local. La procédure sera allégée, et le conseil municipal, par sa décision, aura toute sa place et pourra peser de tout son poids. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et du RDSE. – M. Roland Courteau applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.

Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à donner un fondement législatif à une pratique résultant d’une instruction générale de l’exécutif municipal, à savoir celle qui l’autorise à célébrer un mariage dans des locaux annexes aux mairies.

Le code civil prévoit en effet que les mariages ne peuvent a priori être célébrés que dans les locaux de la mairie elle-même. Les exceptions à cette règle sont strictement encadrées par le droit en vigueur et sont limitées à des cas particuliers et ponctuels.

Il n’est autorisé d’y déroger qu’en cas d’empêchement grave ou de péril imminent de mort de l’un des deux époux, auquel cas le mariage se tient dans le lieu de résidence de l’un de ces derniers, et dans le cas où les locaux de la mairie sont temporairement indisponibles en raison de travaux, la cérémonie pouvant alors se tenir dans un local extérieur qui paraît propre à suppléer l’habituelle salle des mariages.

Or nombreuses sont les communes qui souhaiteraient pouvoir organiser les cérémonies des mariages civils dans des locaux autres que ceux de l’hôtel de ville.

Pour ces communes, souvent de petite taille, il ne s’agit nullement de déroger au caractère solennel, civil et républicain de la cérémonie. En effet, le mariage continuera d’être présidé par un officier de l’état civil : aucun maire ne souhaite en effet renoncer à l’honneur qui lui incombe de célébrer les unions de ses administrés.

En outre, l’union continuera d’être célébrée dans une commune où les époux sont réputés être connus ; le maire peut en effet attester, comme le prévoit le code civil, que le mariage se tient dans la commune où au moins l’un des époux ou l’un de leurs parents est établi.

Enfin, les époux continueront de se devoir « mutuellement respect, fidélité, secours et assistance », même si, je vous l’accorde, sur ce point, les édiles municipaux resteront le plus souvent désemparés !

Toutefois, ce qui nous importe, en l’espèce, c’est que la tradition du mariage ne soit aucunement remise en cause. Simplement, il peut être plus commode d’organiser les cérémonies ailleurs que dans le bâtiment de la mairie compte tenu de l’exiguïté ou de la faible accessibilité de la salle de cérémonie, notamment lorsque celle-ci se situe à l’étage du bâtiment communal.

Certes, l’instruction générale relative à l’état civil reconnaît formellement au conseil municipal la possibilité d’affecter une annexe de la maison commune à la célébration des mariages. Cependant, cette pratique ne repose sur aucune disposition législative expresse claire, ce qui n’est pas sans poser des difficultés au regard des principes de sécurité juridique et de clarté de la loi.

Dès lors, il convient d’intégrer expressément à la loi la possibilité de célébrer des mariages dans un autre local adapté, lorsque le conseil municipal délibère en ce sens sur des motifs fondés.

Ainsi, en étant à l’initiative de cette proposition de loi qui, je l’espère, poursuivra rapidement son chemin à l’Assemblée nationale, le Sénat joue pleinement son rôle institutionnel de représentant des collectivités locales. Ce dispositif répond en effet, comme cela a déjà été dit, à une attente forte de la part des élus sur un problème concret et régulièrement soulevé en raison des difficultés qu’il entraîne.

Je le répète, il ne s’agit nullement de se soustraire à la solennité de la cérémonie. Bien au contraire, en permettant d’accueillir une assistance plus large et de faciliter l’accès aux cérémonies aux personnes à mobilité réduite, du fait de leur âge ou d’un handicap, le texte est fidèle au caractère républicain d’une cérémonie que tous les citoyens célèbrent, lorsqu’ils désirent s’unir, dans la « maison commune ».

En autorisant le conseil municipal à désigner un local approprié à la célébration des mariages, dans le respect de la solennité qui est due à cet événement, et sans renoncer aux symboles républicains qui lui confèrent sa noblesse, ce texte reconnaît en bonne intelligence la capacité des élus à administrer leur commune de manière pratique et pragmatique, tout en se conformant à l’esprit général du droit et à l’intérêt commun.

En prévoyant l’obligation pour la commune d’obtenir l’autorisation du procureur de la République, en assurant, donc, qu’il contrôle le lieu choisi et garantisse une certaine pérennité de son affectation, le texte sécurise juridiquement le dispositif.

En bonne intelligence, le texte choisit d’introduire de la souplesse dans le droit et d’autoriser des aménagements, sans pour autant dévier de l’esprit de la loi ; je dirais même qu’il le fait afin d’assurer une meilleure application pratique de l’esprit de la loi.

Sur un sujet qui peut paraître prosaïque, le Sénat, en sachant être pragmatique, au service des élus communaux et de leurs administrés, fait en réalité œuvre utile dans son travail de législateur. C’est pourquoi j’ai bon espoir que la Haute Assemblée saura trouver une majorité forte et de consensus pour adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. René Vandierendonck.

M. René Vandierendonck. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à ce stade de la discussion générale, l’exposé des motifs du présent texte n’est peut-être pas nécessaire.

J’aimerais toutefois évoquer une raison supplémentaire d’adopter ce texte, tout aussi légitime que celles qui ont été évoquées précédemment et qui ont trait aux problèmes liés à l’exiguïté des locaux lors de grands mariages, ainsi qu’à leur accessibilité pour tous, problèmes qui existent effectivement dans bien des endroits.

Pour la solennité de l’événement, un maire qui voudrait célébrer un mariage, le mettre en scène en quelque sorte, dans une dépendance du conseil municipal qui serait un lieu hautement patrimonial ne le pourrait pas, car la loi ne le lui permet pas.

M. Roland Courteau. Vous faites bien de le préciser, mon cher collègue !

M. René Vandierendonck. C’est du Sénat, il y a trois ans de cela, que la révolte contre les 400 000 normes, qu’il fallait alléger et assouplir, est partie. Cette proposition de loi, dont je remercie l’auteur, s’inscrit dans la même logique ; il s'agit de permettre une meilleure appréciation locale.

Quelque part, elle est d’abord et avant tout un signe de reconnaissance et une prise en considération des aspirations des maires de France. Le moins que l’on puisse dire, en tout cas, c’est qu’elle intéresse beaucoup de monde. Il suffisait de voir l’assistance nombreuse et la participation importante lors de son examen en commission des lois pour s’en convaincre !

J’ajoute que la commission s’est prononcée à l’unanimité sur ce texte ; ce n’est pas tous les jours le cas ! (Sourires.) Tout le monde l’a compris et admis, il est absolument normal que le maire, agent de l’État, subordonné hiérarchiquement à celui-ci quand il est officier d’état civil, doive se soumettre, au moment de choisir un lieu pour célébrer un mariage, au principe général du droit, qui s’impose même sans texte, de non-discrimination, ainsi qu’au contrôle de légalité de la préfecture, lequel est un préalable à l’entrée en vigueur de la décision.

Pour que les juristes nous laissent tranquilles, il a été décidé, s’agissant de l’intervention du procureur de la République, de retenir les mêmes dispositions que celles qui apparaissent à l’article 1er du décret du 3 août 1962, lequel dispose que « les actes de l’état civil peuvent […], sauf opposition du procureur de la République » – celle-ci peut d’ailleurs intervenir à tout moment – « être inscrits sur des feuilles mobiles, également tenues en double ».

Chacun d’entre vous, mes chers collègues, peut légitimement se demander si donner cette liberté aux maires n’entraîne pas le risque qu’ils l’utilisent de manière discriminatoire. Pour ma part, j’ai été maire de Roubaix pendant deux décennies ; j’ai également été membre du Haut Conseil à l’intégration, dissous depuis lors. Eh bien, je vous le dis, mes chers collègues, je ne crois pas une seule seconde à ce risque.

Il faut seulement vérifier, en renforçant, au besoin, l’agrément et les caractéristiques du lieu choisi, qu’un principe est respecté : le traitement identique de toutes les personnes intéressées. Si c’est le cas, il faut laisser à l’appréciation locale des élus, qui devront délibérer sur ce sujet de manière explicite, la possibilité de se déterminer librement.

Ce texte, tel qu’il est parti, fera l’objet d’une navette. Au pis, ses dispositions pourraient être réintroduites grâce à la voiture-balai que sera le projet de loi relatif à la justice du XXIe siècle ! (Sourires.)

Néanmoins, pour montrer la détermination des élus locaux que, constitutionnellement, nous représentons, il nous faut, mes chers collègues, nous qui, sur toutes les travées, à un moment ou à un autre, dans une question écrite ou orale ou bien par le biais d’une proposition de loi, avons soulevé le problème, nous réunir tous autour de la proposition de loi déposée par Roland Courteau. C’est pourquoi je la soutiens sans réserve ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du RDSE, ainsi que certaines travées de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. René Danesi.

M. René Danesi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi vient à point nommé pour les communes rurales. En effet, nombreuses sont celles qui ne peuvent pas mettre leurs petites mairies aux normes d’accessibilité et de sécurité pour y accueillir un groupe de personnes, à l’occasion des élections, des séances du conseil municipal et, surtout, d’un mariage.

La solution réside dans la polyvalence des bâtiments communaux, à commencer par l’école, laquelle se trouve d’ailleurs souvent sous le même toit que la mairie, du moins dans le monde rural. Utiliser une salle de classe, en dehors des cours bien entendu, ne requiert qu’un peu d’huile de coude pour déplacer le mobilier ; huile de coude bien plus facile à trouver, d’ailleurs, dans une commune rurale, que les subventions pour les investissements ! (Sourires.)

Mme Françoise Férat. C’est vrai !

M. René Danesi. Depuis 2007, la délocalisation en dehors de la mairie du conseil municipal et du bureau de vote est possible.

En effet, depuis l’adoption de la loi du 20 décembre 2007, le conseil municipal peut se réunir et délibérer à titre définitif dans un autre lieu que la mairie. Ce lieu ne doit pas contrevenir au principe de neutralité ; il doit offrir les conditions d’accessibilité et de sécurité nécessaires ; il doit permettre, enfin, d’assurer la publicité des séances.

Par ailleurs, l’article R. 40 du code électoral, modifié par le décret du 26 novembre 2007, permet au préfet de fixer le lieu de vote ailleurs que dans la mairie, en se fondant sur des faits concrets préalablement exposés par le maire.

Ne restait donc plus que le problème du mariage, lequel ne peut être célébré qu’à la mairie, en vertu de l’article 75 du code civil. Je remercie donc Roland Courteau d’avoir déposé cette proposition de loi et la commission des lois d’y avoir apporté des améliorations. L’adoption de ce texte résoudra bien des difficultés et permettra de faire des économies dans les communes rurales, elles aussi mises à la diète.

J’ai néanmoins deux observations à formuler.

La première porte sur la tutelle du procureur, qui est confortée par la rédaction retenue par la commission des lois. En référence à l’instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999, on aurait pu étendre à la délocalisation temporaire de la salle des mariages la solution retenue pour le choix définitif d’un local extérieur à la mairie, selon laquelle le procureur de la République doit seulement être informé préalablement de la décision, sur laquelle il peut uniquement faire connaître son avis. En clair, on n’a pas besoin de son autorisation préalable à la délibération du conseil municipal ! D’où l’amendement que nous avons déposé, André Reichardt et moi-même.

J’en viens à ma seconde observation. Selon l’article L. 212-15 du code de l’éducation, le maire ne peut utiliser les locaux scolaires que pour l’organisation « d’activités à caractère culturel, sportif, social ou socio-éducatif ».

Une interprétation restrictive permet de contester l’utilisation d’une salle de classe pour y célébrer un mariage, y réunir un conseil municipal, voire y tenir un bureau de vote. Une mise à jour de cet article paraît donc indiquée. C’est la suite logique de la présente proposition de loi, si elle est adoptée. Je fais donc confiance à la commission des lois pour enclencher un processus législatif qui complèterait utilement le présent texte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’UDI-UC et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Genest.

M. Jacques Genest. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par Roland Courteau que nous examinons aujourd’hui répond à un problème concret, que les maires ruraux connaissent bien.

En effet, si chaque maire se réjouit d’avoir à célébrer des mariages, signe de dynamisme démographique et d’optimisme, dans sa commune, les époux et leurs familles peuvent se trouver gênés par des contraintes difficilement surmontables. Je citerai notamment l’exiguïté des salles, qui limite le nombre d’invités pouvant assister à l’échange des consentements, ce qui est regrettable, car, pour ce type d’événement, les mariés souhaitent en général être entourés de leur famille et de leurs amis.

Je note que cette proposition de loi est également une bonne réponse au manque d’accès pour les personnes handicapées.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Jacques Genest. Plus que l’aménagement coûteux de nos mairies, souvent anciennes et à l’étage, qui, pour de nombreux villages, représenterait une charge trop lourde, surtout en cette période où les dotations baissent – dotations dont les montants ont d’ailleurs été notifiés au lendemain du résultat des élections départementales, comme par hasard (Sourires sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC. – M. Charles Revet s’exclame.) –, la célébration du mariage dans un autre bâtiment, plus accessible, serait une réponse pragmatique et parfaitement adaptée.

C’est pour cette raison que je tiens à saluer l’amendement, adopté par la commission des lois, tendant à clarifier les possibilités offertes au conseil municipal pour désigner les lieux qui accueilleront ces célébrations.

Nous pouvons faire confiance aux conseils municipaux pour délibérer avec sagesse de ces questions et aux maires et à leurs adjoints pour conférer toute la solennité voulue à la cérémonie. Dans la même logique de simplification des procédures, je soutiens donc l’amendement déposé par André Reichardt et René Danesi, qui tend à permettre au conseil municipal de ne pas attendre l’autorisation du procureur pour prendre la décision en question.

Que ce soit dans une salle des mariages ou dans une salle des fêtes, la nature du mariage républicain tient avant tout à la force de l’engagement qui est prononcé par les époux, et non à la couleur des murs qui les accueillent. Ce texte est donc l’expression du bon sens, puisqu’il vise à répondre à une situation problématique en mettant fin aux incertitudes liées au vide juridique en la matière.

Enfin, mes chers collègues, cette proposition de loi témoigne d’une confiance à l’endroit des élus municipaux, pour qu’ils exercent leurs prérogatives dans une logique de liberté et de responsabilité,…

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jacques Genest. … logique qui devrait inspirer plus souvent le législateur, notamment pour certains textes qui font actuellement l’objet de la navette.

M. Jacques Genest. Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je voterai cette proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Fournier.

M. Jean-Paul Fournier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en tant que maire de Nîmes, une commune qui a enregistré 548 mariages en 2014, je me réjouis de pouvoir apporter mon éclairage, même si beaucoup a déjà été dit.

Permettez-moi tout d’abord de remercier notre collègue Roland Courteau, qui est à l’initiative de cette proposition de loi, et de souligner le travail du rapporteur, mon collègue gardois Simon Sutour.

La célébration des mariages est au cœur de l’action des élus municipaux, du maire, de ses adjoints et, par délégation, des conseillers municipaux. C’est un événement fort, qui rassemble les attributs allégoriques de la République : le drapeau tricolore et le buste de Marianne. L’hôtel de ville, maison collective des citoyens, est le lieu par excellence de telles cérémonies.

Toutefois, dans certaines communes, les célébrations de mariages ne se font pas dans la mairie. Cet état de fait, au départ temporaire, est parfois devenu pérenne, pour des raisons pratiques ou historiques, grâce à une instruction. Par conséquent, une simplification des démarches administratives apparaît aujourd'hui nécessaire.

Tout d’abord, il faut sécuriser des situations voulues par l’histoire. Ainsi, à Nîmes, les mariages sont également célébrés dans deux mairies annexes et dans un centre administratif municipal. Cette pratique, autorisée par le procureur, s’effectue en dehors des autorisations administratives des mairies annexes prévues par l’article L. 2144-1 du code général des collectivités territoriales. Cette spécificité est notamment liée au rattachement des communes de Saint-Césaire-lès-Nîmes et de Courbessac à Nîmes dans les années cinquante.

Ainsi, depuis plus de soixante ans, les Nîmoises et les Nîmois peuvent se marier dans quatre lieux différents, dont la mairie centrale. Dans une commune étendue comme la nôtre, c’est un moyen, notamment lors des périodes estivales, de désengorger l’afflux des mariages à l’hôtel de ville, qui se trouve au cœur du secteur sauvegardé. C’est aussi un héritage que les habitants des deux anciens villages précédemment mentionnés souhaitent cultiver.

Simplifier les démarches et, surtout, les rendre solides juridiquement me semble constituer une évolution positive pour les communes ayant coutume d’utiliser plusieurs lieux de célébration des mariages.

Toutefois, une telle évolution législative apparaît également, et surtout, indispensable pour les communes peu peuplées, qui organisent seulement quelques mariages chaque année et dont le budget est relativement modeste. En effet, dans ces communes rurales, la mairie se trouve généralement au cœur du village et elle est difficile d’accès.

Parallèlement, comme je l’ai remarqué dans mes déplacements sénatoriaux, la salle des mariages, qui se situe bien souvent à l’étage, est aussi utilisée comme salle du conseil municipal. Ainsi, selon les cas, la célébration des mariages dans une salle des fêtes ou même dans un gymnase apparaît plus appropriée.

Une telle démarche est nécessaire. D’une part, les mairies sont installées dans des bâtiments classés ou répertoriés, dans lesquels la réalisation d’une rampe d’accès ou d’un ascenseur est quasiment impossible. D’autre part, les maires et leur conseil municipal ne disposent que de budgets contraints, encore plus difficiles à établir avec la baisse substantielle de la dotation globale de fonctionnement et la mise en place des rythmes scolaires, voulues par le Gouvernement.

Il faudra cependant veiller à bien cadrer cette évolution. En effet, le lieu de substitution ne doit pas être une salle des mariages – pardonnez-moi l’expression ! – « au rabais ». À mon sens, elle doit présenter tous les emblèmes de la République, ceux que j’énumérais au début de mes propos.

Dans un mariage républicain, la valeur des symboles est forte ; d’où l’importance d’un contrôle du procureur dans l’affectation de ces lieux.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jean-Paul Fournier. Les citoyens doivent pouvoir retrouver les mêmes références que dans leur hôtel de ville.

Parallèlement, il faut permettre aux communes, quand c’est possible, de proposer en même temps plusieurs lieux de célébration pour un mariage, par exemple la mairie et une salle dédiée.

À Nîmes, nous sommes en train de réfléchir à la création d’un lieu spécifique pour permettre à certains moments d’éviter la présence des cortèges aux abords de l’hôtel de ville, notamment lors des férias ou pendant les jours d’affluence commerciale.

Je tiens toutefois à préciser que les citoyens restent attachés à leur mairie centrale. Pour cela, ils adaptent leur calendrier aux disponibilités de la salle des mariages de l’hôtel de ville. Sur les 548 mariages contractés l’an dernier à Nîmes, quelque 429 l’ont été à l’hôtel de ville.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe UMP soutiendra sans réserve cette proposition de loi. D’ailleurs, notre collègue Philippe Nachbar a récemment déposé un texte allant dans le même sens.

Une telle évolution législative est sans nul doute un moyen de faciliter l’action des petites communes, de leurs élus et, surtout, de leur maire. Je pense que le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, est pleinement dans son rôle en se saisissant de la question. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Simon Sutour, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, je remercie l’ensemble des collègues qui viennent de s’exprimer. La présente proposition de loi fait visiblement l’unanimité.

Je souhaite que ce texte prospère et qu’il puisse devenir une loi. Or, ainsi que plusieurs collègues l’ont souligné, le processus législatif peut être long... J’ai encore en mémoire la proposition de loi de nos collègues Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur sur le statut de l’élu local, qui contenait des dispositions très intéressantes ; il a fallu beaucoup de temps pour qu’elle aboutisse, et ce fut au prix d’une charte de l’élu local quelque peu mortifère, comme l’a rappelé M. Collombat.

Je souhaite aborder la question des discriminations avant l’examen du texte de la commission, afin de déminer le débat. En effet, je ne voudrais pas que certaines manœuvres empêchent le processus législatif d’aboutir. Il convient d’apporter quelques précisions.

L’objet de la présente proposition de loi est de permettre l’affectation d’un autre local que la mairie à la célébration de mariages. Si une telle disposition était détournée pour pratiquer une discrimination, ce qui serait en cause, ce serait l’usage fait du local, et non son affectation en elle-même ! Le juge judiciaire pourrait alors être saisi.

Tout d’abord, il pourrait y avoir une procédure contre l’État. En effet, dès lors que le maire et les agents communaux assurent le service public de l’état civil en son nom, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, c’est l’État qui verrait sa responsabilité engagée pour les dysfonctionnements constatés.

En outre, il pourrait évidemment y avoir aussi une action contre le maire ou la commune : le maire est responsable de l’organisation et du bon fonctionnement du service de l’état civil. Si le dysfonctionnement résulte d’un abus d’autorité ou d’une discrimination, il y a faute personnelle du maire, et sa responsabilité civile ou pénale peut être engagée ; en outre, il encourt également des sanctions disciplinaires.

M. Roland Courteau. Il était utile de le rappeler !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai récemment entendu votre Haute Assemblée plaider pour le bicamérisme et juger extrêmement important qu’il y ait un Sénat et une Assemblée nationale. Laissons donc l’Assemblée nationale libre de ses choix !

Je ne pense pas que l’on puisse qualifier de « manœuvres » le fait pour des députés de se prononcer sur un texte voté par les sénateurs !

M. Charles Revet. Bien sûr !

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. Tout à l’heure, quelqu’un a évoqué la nécessaire simplification des normes, pour mieux souligner que l’on avait souvent tendance à ajouter de la complexité. Or, s’il faut désormais saisir un juge et attaquer l’État ou le maire pour pouvoir se marier, je doute que cela aille dans le sens de la simplification !

On peut toujours trouver une justification juridique à un avis. Simplement, mon avis était non pas juridique, mais politique. J’attends donc du Parlement une réponse politique.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Simon Sutour, rapporteur. Si j’ai évoqué l’éventualité de manœuvres, c’est précisément parce que je souhaite qu’il n’y en ait pas ! Et j’ai apporté ces différentes explications pour que le Gouvernement puisse passer de la sagesse bienveillante à l’avis favorable. (Applaudissements.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi tendant à permettre la célébration de mariages dans des annexes de la mairie

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à permettre la célébration de mariages dans des annexes de la mairie
Article additionnel après l'article unique

Article unique

Après l’article L. 2121-30 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 2121-30-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 2121-30-1. – Pour l’application de l’article 75 du code civil, le conseil municipal peut, après autorisation du procureur de la République, affecter tout local adapté à la célébration de mariages. »

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, sur l'article.

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord féliciter Roland Courteau de son initiative. Je pense que la présente proposition de loi sera soutenue par l’ensemble des membres de la Haute Assemblée.

Je souhaite toutefois soulever un problème. Certes, l’immense majorité des petites communes trouvera avec ce texte la solution attendue depuis longtemps pour que ces cérémonies puissent être célébrées dans des conditions conformes à l’idée que l’on se fait d’un mariage républicain. Toutefois, il y a aura des difficultés dans les grandes villes.

Je prends l’exemple d’une commune que je connais bien pour en avoir longtemps été le maire. L’un des salons de l’hôtel de ville sert à célébrer les mariages. Ses dimensions répondent aux attentes de la plupart des personnes qui souhaitent se marier, même s’il y a parfois un peu plus de monde, parfois un peu moins, et parfois personne, si l’un des conjoints a renoncé à se marier et oublié de nous en prévenir. (Sourires.)

Néanmoins, il y a effectivement de plus en plus de mariages civils, qui rassemblent beaucoup d’invités. Or nous avons une salle des fêtes parfaitement adaptée à ce genre de cérémonie à côté de la mairie.

La lecture du compte rendu des débats tenus au sein de la commission des lois montre que le texte vise à transférer le lieu de célébration, M. le rapporteur Simon Sutour ayant ainsi déclaré qu’il ne s’agissait pas de le déterminer au cas par cas. Imaginons que, dans ma ville, le conseil municipal décide de transférer la salle des mariages dans la salle des fêtes : dans la plupart des mariages, celle-ci sera bien trop grande !

Au fond, la présente proposition de loi ne règle pas le problème. Son texte est même en contradiction avec les intentions de son auteur.

La rédaction proposée pour l’article L. 2121-30-1 du code général des collectivités territoriales prévoit que le conseil municipal peut affecter tout local adapté à la célébration « de », et non pas « des » mariages. En d’autres termes, un conseil municipal qui aura une salle dédiée à la célébration des mariages pourra décider d’en célébrer dans un local annexe situé à proximité. Si cette loi est adoptée, sa mise en œuvre créera immanquablement des contentieux.

Je souhaite que nous nous en tenions au texte proposé, c'est-à-dire à la possibilité pour le maire, avec l’accord du conseil municipal, de célébrer un mariage soit dans le local qui existait auparavant, soit dans le nouveau quand il est mieux adapté à certaines célébrations.

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, sur l'article.

M. Yves Détraigne. Je voudrais soulever une question complémentaire.

L’intitulé de la proposition de loi, qui fait référence aux « annexes de la mairie », semble indiquer qu’il sera possible de changer de salle en fonction du nombre d’invités ou des desiderata de l’un des mariés.

À mon sens, tel n’est pas l’objectif. Il serait bon de l’indiquer clairement avant que nous mettions un point final à l’examen de ce texte. (M. Charles Revet s’exclame.)

M. le président. Un amendement de la commission concerne l’intitulé de la proposition de loi, monsieur Détraigne.

M. Simon Sutour, rapporteur. Nous en avons parlé ce matin en commission !

Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Tout à fait !

M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Reichardt, Danesi et Pillet et Mme Deromedi, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Remplacer les mots :

après autorisation du procureur de la République

par les mots :

sauf opposition du procureur de la République

M. Charles Revet. Très bon amendement !

M. le président. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Le présent amendement vise à substituer à l’autorisation du procureur de la République une simple possibilité d’opposition de celui-ci à l’égard de la délibération du conseil municipal.

Cet amendement, pour ses signataires, est une marque de confiance envers nos élus locaux. S’agissant d’une délibération, celle-ci bien entendu est transmise au préfet pour le contrôle de légalité. Ce point n’est naturellement pas remis en cause.

Par ailleurs, l’autorisation préalable du procureur de la République pour une délibération aussi simple, pour ne pas dire bénigne, et véritablement attendue – cet aspect a été souligné tout à l’heure – par une grande majorité des conseils municipaux ne paraît pas indispensable. Même si l’état civil relève de la compétence du procureur de la République, une information suivie d’une possibilité d’opposition semble largement suffisante.

Monsieur le secrétaire d'État, au moment où l’on cherche à libérer les collectivités locales des normes qui les étranglent, il ne semble franchement pas indispensable d’ajouter une autorisation préalable du procureur de la République, surtout pour une affaire aussi simple.

En outre, les diverses demandes d’autorisation qui ne manqueront pas de parvenir au procureur de la République, compte tenu de ce qui se dit, risquent fortement d’« emboliser » les services de celui-ci. Nous estimons tous qu’il aura bien d’autres choses à faire que d’examiner de telles demandes d’autorisation.

Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous demande d’adopter cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Simon Sutour, rapporteur. Cet amendement tend à remplacer l’obligation pour le conseil municipal de recueillir l’autorisation préalable du procureur de la République par une faculté pour ce dernier de s’opposer à l’affectation, comme notre collègue André Reichardt vient de l’expliquer.

M. Charles Revet. Très bien !

M. Simon Sutour, rapporteur. Dans la mesure où cette disposition maintient l’existence explicite d’un contrôle du procureur de la République à travers sa faculté d’opposition à l’affectation, je vous propose d’émettre un avis favorable sur cet amendement. (M. André Reichardt applaudit.)

M. Charles Revet. Très bonne initiative !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. Je vous transmettrai, monsieur Reichardt, un article que j’ai lu récemment et qui traite sur dix ans des modifications apportées au code général des collectivités territoriales ainsi que des décrets parus. Car vous avez raison, depuis dix ans, nous assistons à une véritable inflation de normes…

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. … qui pénalise les collectivités locales.

De plus, je suis au regret de vous le signaler, durant la période allant de 2005 à 2010 ces normes ont explosé ! (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Le Gouvernement ne peut donc que partager votre sentiment : à un moment où à une autre, il faut bien parvenir à une simplification des normes. C’est d’ailleurs quasiment la mission au quotidien de mon collègue Thierry Mandon. Il convient notamment d’éviter que les collectivités ne soient écrasées sous le poids de la multiplicité normative.

Mme Françoise Gatel. Alors, allons-y !

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. Néanmoins, le mariage est un acte d’état civil extrêmement important, qui ne peut être banalisé. On ne peut de facto prévoir que le procureur de la République exercera un contrôle a posteriori, car certaines salles annexes ne bénéficient pas automatiquement de la neutralité républicaine.

Mme Françoise Gatel. C’est insupportable !

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement n’approuve pas cet amendement et en demande le retrait. Compte tenu de l’importance de l’acte d’état civil qu’est le mariage, le procureur de la République doit exercer un contrôle a priori.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Grand. J’approuve cet amendement, mais je voudrais aller plus loin.

Monsieur le secrétaire d'État, vous venez d’évoquer l’autorité du procureur de la République. Pour ma part, j’aborderai la question des mariages pré-mortem, pour bien vous montrer à quel point l’autorité du procureur de la République est un dispositif totalement désuet – je le dis après trente-quatre ans de vie municipale.

Les maires se trouvent obligés de demander au procureur de la République une autorisation pour marier une personne en fin de vie dans un établissement hospitalier. Or entre le jour où le procureur signe l’autorisation et celui où le mariage a lieu, la situation du malade peut évoluer très rapidement. La seule personne qui au regard de la loi est en mesure à l’instant t de vérifier si tous les éléments concordent pour pouvoir pratiquer le mariage, ce n’est pas le procureur de la République, c’est le maire.

M. Jean-Pierre Grand. Malgré l’autorisation du procureur de la République, il m’est arrivé de refuser de marier des personnes parce que j’estimais en mon âme et conscience que les conditions n’étaient pas remplies. Ne peut-on prévoir de sous-amender le dispositif en précisant que désormais le maire est souverain pour les mariages pré-mortem ? (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour explication de vote.

M. Claude Bérit-Débat. Je serai bref, car il est important que nous puissions voter cette excellente proposition de loi de notre collègue Roland Courteau.

Je soutiens l’amendement qui vient d’être présenté. Il s’agit d’un amendement de bon sens, qui permettra de gagner du temps. J’espère que M. le secrétaire d’État maintiendra son avis de sagesse très favorable et que nous pourrons avancer très vite sur ce texte.

Cher collègue Roland Courteau, vous avez tout notre soutien et je vous exprime nos félicitations pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, pour explication de vote.

M. Roland Courteau. Je serai bref, puisque le temps nous est effectivement compté. Il serait regrettable que l’examen de la présente proposition de loi ne soit pas achevé à seize heures trente au plus tard car ce texte serait alors peut-être reporté aux calendes grecques !

Si j’ai bien compris, les auteurs de cet amendement redoutent que ladite autorisation ne soit accordée par le procureur de la République après des délais excessivement longs. Le risque, je le reconnais, est réel, surtout si le procureur de la République est sollicité par de très nombreux conseils municipaux, comme cela ne manquera pas d’être le cas.

Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois. Eh oui !

M. Roland Courteau. Voilà pourquoi cet amendement me paraît – j’y insiste – très pertinent.

Je le voterai donc, car il règle à la fois le problème des délais décisionnels tout en garantissant la solennité, la sécurité et l’accessibilité des locaux. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour explication de vote.

M. Jean-François Longeot. La présente proposition de loi, qui vise à répondre à une attente forte de la part de nos concitoyens, constitue une véritable avancée.

Cet amendement simplifiera les choses. Si le Gouvernement pouvait, pour une fois, faire confiance aux élus locaux,…

M. Jean-François Longeot. … ce serait exceptionnel ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – M. Joseph Castelli applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Claude Kern, pour explication de vote.

M. Claude Kern. M. Longeot m’a ôté les mots de la bouche : pour une fois, le Gouvernement pourrait faire confiance aux élus locaux. Cet amendement me semble excellent ; je le voterai donc également. (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées. – M. François Aubey applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.

M. François Fortassin. Puisqu’il nous est demandé d’être brefs, je dirai simplement que les membres du RDSE voteront cet amendement, qui nous paraît pertinent, ainsi que cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. Roland Courteau applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Simon Sutour, rapporteur. Je rappelle à M. le secrétaire d’État que la saisine du procureur de la République ne figurait pas dans la proposition initiale de notre collègue Roland Courteau. Cette disposition a été votée par la commission des lois sur mon initiative afin de cadrer le dispositif et d’offrir toutes les garanties juridiques nécessaires.

Notre collègue André Reichardt souhaite maintenir le rôle du procureur de la République ainsi que le cadrage juridique, il prévoit simplement la possibilité d’aller plus vite et d’obtenir à coup sûr une réponse, ou plutôt une non-réponse. Je souhaite que l’on vote très rapidement cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.

M. André Reichardt. Monsieur le secrétaire d'État, je regrette que vous placiez ce problème sur le plan politique. Cet amendement n’a rien de politique, je puis vous l’assurer. Il est exclusivement technique. Peu importe les responsabilités des gouvernements successifs – même si j’accepte de balayer devant ma porte en ce qui concerne l’inflation normative, que j’ai moi aussi évoquée tout à l’heure.

En l’occurrence, comme cela a été dit, et souligné à l’instant encore, il y a urgence à régler un problème évident pour bon nombre de communes. Le Gouvernement, indépendamment de tout aspect politique, s’honorerait à répondre favorablement à cette attente légitime. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié.

(L'amendement est adopté.) – (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.

La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote sur l'article unique.

Mme Cécile Cukierman. Nous voterons cet article qui constitue le corps du texte.

Sans me mêler des échanges entre le secrétaire d’État et le rapporteur, et sans mettre tout le monde dans le même sac, il me semble que le texte tel qu’il est rédigé sera inévitablement source de contentieux.

En effet, cette proposition de loi prévoit la possibilité de célébrer les mariages dans une salle différente. Il ne s’agit pas simplement du transfert de la salle des mariages de la maison commune vers une autre salle.

Bien évidemment, s’il y a discrimination, après de longues procédures, il sera rendu justice aux personnes concernées qui pourront certainement se marier – si elles ne se sont pas séparées entre-temps. Néanmoins, pourquoi ne pas rédiger la loi de telle sorte que soient évités de futurs problèmes ?

Cette difficulté ne devra pas être éludée dans le cadre de la navette, car nous savons tous en tant qu’élus qu’il existe des intérêts divergents. Nous l’avons constaté encore récemment lors de l’examen de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Nul ne l’ignore, certains élus locaux refusent ces mariages et ne se rendent pas disponibles pour les célébrer. C’est une réalité. Au nom de l’unanimisme, je le dénonce ! Ces élus ne sont peut-être pas très nombreux, mais ils existent : ce n’est pas acceptable et ce n’est pas faire honneur à la République ! (Mme Annie Guillemot applaudit.)

M. Claude Kern. Ce n’est pas l’objet de la proposition de loi !

Mme Cécile Cukierman. Ne mettons pas en place une loi qui permettrait de ne pas accueillir dans la salle des mariages telle ou telle cérémonie sous prétexte que celle-ci ne serait pas disponible ce jour-là. Quand on élabore la loi, il faut également prévoir les exceptions, d’autant que la difficulté que je soulève ici est bien réelle. Nous devons nous prémunir contre de tels risques afin de garantir le mariage de toutes et de tous.

Le groupe CRC votera ce texte. Nous nous félicitons d’ailleurs du travail réalisé en commission. Cependant, j’insiste : il nous faudra réfléchir tous ensemble dans le cadre de la navette pour faire évoluer cette loi dans le bon sens, dans l’intérêt des élus locaux et des familles. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Annie Guillemot applaudit également.)

M. le président. Je mets aux voix l'article unique, modifié.

(L'article unique est adopté.)

Article unique
Dossier législatif : proposition de loi tendant à permettre la célébration de mariages dans des annexes de la mairie
Intitulé de la proposition de loi

Article additionnel après l'article unique

M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Sutour, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 1er est applicable en Polynésie française.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Simon Sutour, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination, pour permettre l’application de la loi en Polynésie française.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. Avis favorable.

M. Jean-Claude Lenoir. Vous nous comblez !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article unique.

Article additionnel après l'article unique
Dossier législatif : proposition de loi tendant à permettre la célébration de mariages dans des annexes de la mairie
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Intitulé de la proposition de loi

M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Sutour, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi tendant à permettre au conseil municipal d’affecter tout local adapté à la célébration de mariages

La parole est à M. le rapporteur.

M. Simon Sutour, rapporteur. Cet amendement vise à tirer les conclusions des modifications apportées par la commission des lois. Le texte initial concernait la célébration des mariages uniquement dans les mairies annexes, alors que le texte définitif prévoit leur célébration dans tout local adapté à cette fonction.

M. Charles Revet. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. Avis favorable.

M. Jean-Claude Lenoir. Quel changement de cap !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.

Par ailleurs, je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.

Vote sur l'ensemble

Intitulé de la proposition de loi
Dossier législatif : proposition de loi tendant à permettre la célébration de mariages dans des annexes de la mairie
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Roland Courteau, pour explication de vote.

M. Roland Courteau. Il me semble percevoir sur diverses travées quelques signes qui me paraissent annoncer le vote favorable de cette proposition de loi…

M. Jean-Claude Lenoir. On ne peut rien vous cacher ! Vous êtes perspicace !

M. Roland Courteau. D’avance, je remercie le Sénat de son soutien et tout particulièrement le rapporteur, notre collègue Sutour, ainsi que les membres de la commission des lois et sa vice-présidente. Je remercie également le groupe socialiste d’avoir accepté que cette proposition de loi soit mise à l’ordre du jour des travaux du Sénat.

Voilà un texte, mes chers collègues, qui est attendu depuis longtemps par les élus des communes. Nombre de maires, cela a été dit et répété, nous saisissent des problèmes qu’ils rencontrent régulièrement et ne peuvent résoudre pour différentes raisons, notamment dans le cas très fréquent où les locaux de la mairie ne sont pas adaptés à la célébration des mariages, sauf à ce que le conseil municipal réitère à de nombreuses reprises sa demande, ce qui est source de complexité et de lourdeur.

Il s’agit donc d’en finir avec les conséquences qui résultent d’une certaine rigidité et de donner à un tel dispositif toute la souplesse nécessaire. Le Sénat va faire œuvre utile en adoptant dans quelques instants cette proposition de loi et je l’en remercie vivement, en espérant tout aussi vivement, monsieur le secrétaire d’État, que l’Assemblée nationale s’en saisira rapidement afin que le texte parvienne dans les meilleurs délais, comme l’a souligné M. le rapporteur, au bout de la navette parlementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet.

M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en entrant dans l’hémicycle, je n’étais guère favorable à cette proposition de loi. Les amendements qui ont été adoptés à l’unanimité lui redonnent un sens. Il me paraît important que la décision relève de la responsabilité du conseil municipal et donc des femmes et des hommes élus sur le terrain.

À l’issue de l’examen en commission et en séance publique, votre proposition de loi, monsieur Roland Courteau, a le mérite de la clairvoyance et, surtout, le sens de la responsabilité sur le terrain. Je me sens donc, en cet instant, convaincu de l’intérêt de la voter. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. Jean-Claude Lenoir. Convaincu et converti !

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi tendant à permettre au conseil municipal d’affecter tout local adapté à la célébration de mariages.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)

M. le président. Je constate que cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à permettre la célébration de mariages dans des annexes de la mairie
 

7

Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire

M. le président. Je rappelle que la commission des affaires étrangères a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame Mme Sylvie Goy-Chavent membre suppléant du conseil d’administration de l’Agence française de développement.

8

 
Dossier législatif : proposition de loi tendant à allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d'un enfant ou d'un conjoint
Discussion générale (suite)

Congés exceptionnels

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et apparentés, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, tendant à allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d’un enfant ou d’un conjoint (proposition n° 127 [2011–2012], texte de la commission n° 361, rapport n° 360).

Dans la discussion générale, la parole à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d'un enfant ou d'un conjoint
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis pour examiner une proposition de loi ayant pour but d’allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d’un enfant ou d’un conjoint.

C’est un sujet éminemment sensible. Le décès d’un proche est toujours une épreuve, quelles qu’en soient les circonstances ; une épreuve qui nous a tous touchés, directement ou indirectement.

Il appartient, je le crois, à la société tout entière de manifester sa solidarité mais aussi son empathie face à la douleur d’une mère, d’un père ou d’un conjoint.

Cette solidarité doit se traduire par des droits : le droit notamment à des congés exceptionnels d’une durée décente. Aujourd’hui, la durée légale des congés pour décès fixée par le code du travail varie en fonction du lien de parenté : deux jours pour le décès d’un enfant, deux jours pour le décès d’un conjoint ou du partenaire lié par un pacte civil de solidarité et un jour pour le décès d’un père, d’une mère, d’un beau-père ou d’une belle-mère, d’un frère ou d’une sœur.

Dans tous les cas, les congés exceptionnels pour décès, qui sont assimilés à des jours de travail effectifs et sont donc à la charge de l’employeur, ne peuvent aujourd'hui excéder deux jours.

Deux jours, vous en conviendrez tous, c’est insuffisant.

C’est insuffisant si l’on compare le nombre de jours accordés pour un décès au nombre de jours alloués pour les heureux événements, qui sont bien souvent prévisibles : quatre jours pour un mariage, trois jours pour une naissance ou l’arrivée d’un enfant adopté, un jour pour le mariage d’un enfant.

J’avoue que cette différence est difficilement compréhensible et justifiable. En annulant cette différence, la proposition de loi dont vous allez débattre répond à un impératif de cohérence.

C’est insuffisant également au vu des démarches beaucoup plus compliquées et difficiles à accomplir en cas de décès, dans une situation de choc et de détresse. Au-delà de l’organisation des obsèques, les formalités administratives sont nombreuses et complexes. Dans ces circonstances, elles représentent incontestablement un poids particulier. Il faut aussi faire face aux bouleversements qui peuvent toucher toute la cellule familiale ; organiser, par exemple, le retour à l’école des frères et des sœurs. Il faut du temps, tout simplement.

En accordant aux salariés plus de temps, la proposition de loi répond donc à un impératif d’humanité et de solidarité.

Pour remédier à cette insuffisance, certaines conventions collectives prévoient des jours de congés exceptionnels supplémentaires. C’est le cas, par exemple, dans les branches professionnelles de la métallurgie, du bâtiment ou encore des transports routiers. Des accords conclus dans les entreprises peuvent également le prévoir, mais il ne s’agit que d’une faculté.

En fonction de la taille et de la nature de l’entreprise qui les emploie, les salariés ne sont pas égaux et n’en bénéficient donc pas de la même manière. Ils sont alors contraints d’utiliser leur quota de congés annuels pour prolonger cette période autant que nécessaire. S’ils ne parviennent pas à un compromis avec leurs employeurs ou leurs collègues, les arrêts pour maladie, dont ce n’est pas l’objet, deviennent un recours. De tels expédients ne sont satisfaisants pour personne.

En fixant une durée décente aux congés exceptionnels accordés à tous les salariés, cette proposition de loi répond donc à un impératif d’égalité.

Cohérence, solidarité, égalité : autant de valeurs qu’il nous appartient de porter ensemble, en partageant le constat de cette insuffisance du droit et en y remédiant. Il n’est bien sûr pas question de quantifier la douleur ; nous en serions bien incapables. Il s’agit simplement de donner un peu plus de temps à ceux qui sont touchés par le drame que représente la perte d’un enfant ou d’un conjoint. L’octroi de ces jours de congés supplémentaires n’atténuera en aucune façon la douleur des familles. Ce n’est ni le rôle ni le pouvoir du législateur. Cela permettra cependant d’alléger les contraintes matérielles qui pèsent sur ce moment particulièrement difficile.

Je me réjouis que le groupe socialiste ait souhaité inscrire ce texte, qui avait été déposé en 2011 par ce groupe à l’Assemblée nationale, alors dans l’opposition, à l’ordre du jour du Sénat. Les auditions menées par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale avaient mis en lumière l’unanimité des représentants syndicaux et associatifs sur cette modification du code du travail. La même unanimité avait régné sur les bancs de l’Assemblée nationale lors du vote, le 17 novembre 2011. Par la voix de mon prédécesseur Xavier Bertrand, le gouvernement de l’époque, qui appartenait à une autre majorité que la mienne, avait émis un avis favorable.

Cette proposition de loi porte donc en elle le sceau du compromis que les parlementaires arrivent parfois à trouver sur certains sujets éthiques ou particulièrement graves.

Il est temps d’appliquer ce texte.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaiterais attirer votre attention sur deux points particuliers.

Tout d’abord, il est nécessaire de faire preuve de simplicité. Toute autre démarche serait difficilement explicable, et donc encore plus difficilement applicable.

Ensuite, et je m’exprime là en tant que ministre, il faut que vous votiez ce texte conforme si vous souhaitez qu’il soit appliqué. Sinon, les contraintes de calendrier, auxquelles nous sommes tous soumis, aboutiront à repousser de plusieurs mois, voire de quelques années, une mesure autour de laquelle nous nous étions tous rassemblés à l’époque – et je ne vois pas pourquoi il en irait autrement aujourd'hui.

Face au drame, il n’y a, je le crois, ni droite, ni gauche, ni centre. Le Gouvernement y était favorable en 2011 et, vous l’aurez compris, même s’il a changé, il l’est encore en 2015. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mmes Aline Archimbaud et Corinne Bouchoux ainsi que M. François Fortassin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jérôme Durain, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a près de quarante ans, les partenaires sociaux s’accordaient sur la possibilité pour les salariés de s’absenter de l’entreprise pour faire face à des événements importants, heureux ou malheureux, de leur vie personnelle, sans effet sur leur rémunération, ni sur leurs congés.

Il y a près de neuf ans, le Sénat décidait, sur le rapport du président de la commission des affaires sociales d’alors, Nicolas About, d’allonger le congé accordé en cas de décès du conjoint ou d’un enfant.

Il y a près de trois ans et demi, l’Assemblée nationale, en adoptant une autre proposition de loi, déposée par Mme Michèle Delaunay, décidait à son tour d’allonger ces congés.

Tel est le parcours singulier du texte aujourd’hui soumis à l’examen du Sénat. Cette proposition de loi, adoptée en 2011 par l’Assemblée nationale, porte de deux à trois jours la durée du congé en cas de décès du conjoint ou du partenaire de PACS, et de deux à cinq jours la durée du congé accordé en cas de décès d’un enfant.

Quels sont les éléments qui motivent l’intervention du législateur ?

J’écarte d’emblée l’idée d’apporter une quelconque compensation à la douleur ressentie par les familles. Combien de temps faut-il pour affronter le deuil ? La loi ne peut donner de réponse à cette question.

Aussi notre commission n’est-elle pas entrée dans un débat pour établir une hiérarchie, pour le moins délicate, entre les épreuves qui peuvent affliger les salariés, tant elles touchent à leur histoire personnelle ou à leur intimité.

Elle a simplement considéré qu’un congé de deux jours était trop bref pour permettre au salarié de faire face, dans de bonnes conditions, aux conséquences du décès, pour assurer l’organisation des obsèques notamment.

Elle a, par ailleurs, noté que la durée du congé était moins élevée en cas de décès des plus proches qu’en cas d’événement heureux, mais surtout, le plus souvent, prévisible, comme un mariage ou une naissance.

Elle a surtout souhaité, selon la logique de socle minimal de droits que constitue le code du travail, rétablir une forme d’équité entre les salariés couverts par des accords collectifs souvent plus favorables – le ministère du travail évalue leur nombre à 9,5 millions, soit 40 % – et ceux qui ne relèvent d’aucune branche professionnelle, ou d’une branche où le dialogue social est peu fructueux.

Naturellement, nous aurions pu souhaiter aller plus loin et apporter davantage de garanties aux salariés. La question du concubin, ou des parents, ou d’autres proches, s’est évidemment posée.

Au cours de notre réunion de commission ce matin, un débat s’est instauré, partageant nos collègues entre ceux qui étaient désireux d’assurer rapidement des garanties plus fortes aux salariés et ceux qui souhaitaient les élargir à l’occasion de l’examen de ce texte, quitte à en reporter la mise en œuvre.

À titre personnel, je pense que notre première responsabilité est de faire aboutir rapidement ce texte.

Tels sont donc les motifs de l’intervention du législateur.

Le texte qui nous est soumis a été amendé en commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale. À la différence de la proposition initiale, il ne distingue pas selon que l’enfant est à charge ou non et ne prévoit pas d’augmentation de la durée du congé en cas de décès d’autres parents proches, comme les parents, les beaux-parents, les frères et sœurs.

Ainsi modifié, le texte a fait l’objet d’un très large consensus qui a permis son adoption à l’unanimité à l’Assemblée nationale le 23 novembre 2011.

Notre commission soutient cette amélioration des droits des personnes affligées par le décès d’un proche et vous recommande d’adopter ce texte. Elle souhaite naturellement que, comme elle l’a fait le 25 mars dernier, le Sénat puisse le voter à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous discutons aujourd’hui d’une proposition de loi qui vise à étendre à trois jours le congé alloué à un salarié en cas de décès d’un conjoint ou partenaire de PACS, et à cinq jours en cas de décès d’un enfant. Adoptée par les députés en novembre 2011, elle n’est débattue au Sénat qu’aujourd'hui, soit trois ans et demi plus tard, malgré son caractère consensuel – M. le ministre vient de le rappeler. Nous pouvons enfin discuter de ce qui peut sembler être, à tort, un détail technique, mais qui est, pour toutes les familles confrontées au décès d’un proche et qui traversent une période de grande détresse, d’une grande importance.

La loi prévoit déjà la possibilité pour un salarié de prendre deux jours de congé pour événement familial en cas de décès d’un enfant, d’un conjoint ou partenaire de PACS. C’est un principe d’humanité, de solidarité nationale, qui s’impose.

Mais, au regard de la gravité de ces situations, on comprend bien qu’une durée de deux jours est insuffisante pour les personnes touchées par un drame, lesquelles ont besoin de prendre le temps nécessaire afin de gérer, émotionnellement et de façon pratique, la perte d’un proche.

Les chiffres sont là pour le confirmer : la direction générale du travail estime en effet que 9,5 millions de salariés prennent des congés pour événements familiaux d’une durée supérieure à celle qui est prévue par le code du travail. Cela conduit donc, dans les faits, à chercher des expédients, à faire comme on peut, en prenant, par exemple, des jours de congés classiques, pour ceux qui en disposent, et qui peuvent en poser, ou des jours de congés maladie.

Nous devons promouvoir une exigence d’égalité. C'est ce que fait cette proposition de loi, qui permet d’être plus proche de la réalité des situations des salariés et de rendre plus homogènes les droits à congés pour les événements de la vie.

En l’état actuel des textes, un événement heureux, comme le mariage ou le PACS par exemple, ouvre droit à quatre jours de congés, alors que des événements dramatiques comme le décès d’un enfant ou du conjoint ne permettent au salarié concerné de n’en prendre que la moitié.

Même si, dans l’absolu, la « hiérarchisation » des liens de parenté, qui donne droit à plus ou moins de jours, peut poser question, et même si certains amendements ont été déposés ce matin, après discussion au sein de notre groupe, il nous a paru évident de soutenir cette proposition de loi et de la voter sans amendement, tout simplement pour qu’elle puisse être rapidement appliquée.

Seul un vote conforme permettra que ce texte, déposé il y a trois ans et demi, soit enfin appliqué. Devant la réalité du deuil, de la souffrance, des drames humains que nous évoquons aujourd'hui, il nous semble possible de trouver un consensus dans cet hémicycle. Nous espérons que tous les groupes se rassembleront autour de ce sujet, qui relève d’une question d’humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur quelques travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, chacun connaît, pour l’avoir vécue, la douleur qui suit le décès d’un proche, douleur encore plus vive lorsqu’il s’agit d’un membre de sa famille.

Ces événements, qui jalonnent la vie de toute famille, sont inégalement surmontés par chacune et chacun d’entre nous, en fonction des liens qui unissaient la personne décédée à ceux qui restent. Mais ils sont d’autant mieux supportés si la personne peut engager sereinement le travail de deuil.

Actuellement, l’article L. 3142–1 du code du travail prévoit des durées variables d’autorisation d’absence exceptionnelle sans perte de salaire en fonction du lien de parenté du salarié avec la personne défunte. Ces durées sont souvent très insuffisantes à maints égards, compte tenu des difficultés pour organiser des obsèques dignes et accomplir les formalités administratives. Les difficultés rencontrées sont d’autant plus grandes en cas d’éloignement du salarié et de la personne décédée, ou du lieu prévu pour les obsèques.

Si certaines conventions collectives et la pratique d’employeurs bienveillants compensent les manques du dispositif législatif, il n’en reste pas moins que nombre de salariés sont parfois plongés dans la détresse d’un décès sans bénéficier de tout l’accompagnement nécessaire. Cela n’est pas acceptable. Dans une telle situation, les salariés n’ont souvent pour seule solution que de demander à leur médecin un arrêt maladie, afin de pouvoir assister aux obsèques.

Par ailleurs, cet article du code du travail comporte des injustices inacceptables. Je prendrai quelques exemples.

Comment comprendre qu’un salarié bénéficie de quatre jours de congé pour son mariage ou pour la conclusion d’un PACS depuis la loi de 2014, mais que le décès du partenaire du PACS ou du mariage n’ouvre droit qu’à seulement deux jours de congé ?

Il y a là une injustice sociale, qui se double d’une rupture d’égalité entre les salariés du privé et les agents de la fonction publique.

Nous regrettons par conséquent que, à la différence de la proposition initiale de Mme Delaunay, le texte soit réduit aux situations de décès d’un enfant, du conjoint ou du partenaire lié par le PACS.

La proposition de loi n’évoque plus le décès des parents et beaux-parents, ni des enfants, contrairement au texte de 2011.

C'est pourquoi nous soutenons l’amendement visant à porter à trois jours la durée du congé exceptionnel accordé aux salariés en cas de décès du père ou de la mère.

Nous regrettons, enfin, la suppression des jours de congés exceptionnels pour les enfants à la charge des salariés.

Même si, nous en sommes bien conscients, ce texte manque d’ambition, il n’en reste pas moins que les dispositions qu’il contient constituent des avancées non négligeables et humaines, dont l’adoption, il est vrai, n’a que trop tardé.

Pour cette raison, le groupe CRC votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il ne fait aucun doute que chacun ici comprend les problèmes posés par la survenue d’un événement extrêmement douloureux. Nous ne sommes pas là pour quantifier le malheur et accorder un nombre de jours de congé en conséquence.

Je partage pleinement l’objectif de la proposition de loi de Mme Delaunay, qui nous a été présentée après avoir été profondément modifiée, ce que je regrette. Du texte initial, il reste l’augmentation de durée des congés en cas de décès d’un enfant ou d’un conjoint. Les deux jours prévus par le code du travail sont effectivement bien insuffisants au regard des démarches qu’il faut entreprendre, et moralement inadaptés.

Comme l’avait rappelé Michèle Delaunay à l’Assemblée nationale en 2011, « cette situation contraint les salariés à utiliser leurs quotas de congés annuels et, lorsqu’ils ne réussissent pas à s’entendre avec leur employeur ou avec leurs collègues, peut les conduire à solliciter de leur médecin un arrêt de travail » – en général, c’est ce qui se passe – « , ce qui n’est pas satisfaisant ». C’est la raison pour laquelle de nombreuses conventions collectives ont mis en place un régime plus généreux.

Cependant, tous les salariés ne sont pas concernés par ces conventions. Il me paraît donc légitime d’améliorer le régime actuel, et le texte qui nous est proposé va bien sûr dans ce sens.

Si le texte tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale en novembre 2011 est le fruit d’un consensus, la proposition de loi initiale prévoyait d’aller beaucoup plus loin puisqu’elle avait pour objet l’ensemble des congés pour décès.

À mon sens, le texte que nous examinons n’est pas tout à fait satisfaisant au regard des évolutions sociologiques.

Tout d’abord, je déplore qu’il ne fasse pas preuve de la même indulgence dans le cas du décès du père ou de la mère, dans la mesure où les salariés ne bénéficient alors que d’un jour de congé. Il n’aurait pas été déraisonnable de porter cette durée à trois jours, car nous savons que les personnes concernées, parfois âgées, résident dans des maisons de retraite ou dans des EHPAD – établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes –, et que les démarches à réaliser nécessitent largement plus d’une journée.

Comment peut-on organiser les funérailles de son père ou de sa mère et effectuer toutes les démarches administratives en l’espace d’une seule journée ? Nous le savons bien, ce n’est pas possible !

Par ailleurs, la possibilité d’étendre à trois jours le congé en cas de décès du père ou de la mère avait été proposée par Mme Michèle Delaunay lors de l’examen de la proposition de loi en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, mais avait été rejetée à la suite d’un malentendu. J’en appelle à mes collègues du groupe socialiste, qui ont inscrit cette proposition de loi dans le cadre de l’ordre du jour réservé à leur groupe et il convient de les en remercier.

Je rappellerai que le ministre avait déclaré à l’Assemblée nationale que le texte pourrait être rectifié par le Sénat afin de modifier la durée du congé en cas de décès du père ou de la mère.

C’est pourquoi je vous proposerai tout à l’heure, mes chers collègues, d’adopter l’amendement que j’ai déposé sur ce point.

J’évoquerai ensuite une question que l’on a également oubliée. D’ailleurs, sommes-nous ici pour légiférer à la va-vite ou pour résoudre des problèmes de société…

M. Charles Revet. Nous sommes ici pour bien travailler !

M. Gilbert Barbier. Nous sommes d’accord. L’adoption de ce texte par l’Assemblée nationale date tout de même de novembre 2011 ! Notons que depuis cette date, la majorité de l’époque au Sénat aurait pu demander une inscription plus rapide de la proposition de loi à l’ordre du jour. Même si le Gouvernement intervient dans cette procédure, le groupe socialiste détenait une partie de la maîtrise de l’ordre du jour.

Ensuite, les concubins sont exclus du bénéfice de cette proposition de loi. Comme je le disais ce matin en commission, je ne souhaite pas faire l’apologie du concubinage, qu’il soit notoire ou non, mais il s’agit d’un mode vie en couple au même titre que le sont le mariage ou le PACS. Il faut revenir sur ce point afin d’obtenir une loi complète.

Je rappelle qu’en 2006 le Sénat avait adopté une proposition de loi du groupe de l’Union centriste prévoyant d’étendre l’octroi du congé en cas de décès du concubin. M. Nicolas About, alors président de la commission des affaires sociales, avait ainsi expliqué : « La situation du salarié qui perd son concubin ne se distingue guère de celle d’un salarié dont le conjoint ou le partenaire de PACS décède. Le grand nombre de couples qui vivent en union libre rend nécessaire une telle adaptation de nos règles, qui ne représente d’ailleurs pas une grande innovation sur le plan juridique, puisque la législation sociale assimile déjà souvent les concubins à des époux. »

Je comprends l’argument qui consiste à vouloir que nous débattions rapidement de ce texte. Cependant, il me paraît un peu fallacieux dans la mesure où cette proposition de loi a été déposée une première fois en 2006, puis à nouveau en 2011 par Mme Michèle Delaunay – c’est tout à son mérite – et n’a été inscrite à l’ordre du jour du Sénat que quatre ans plus tard !

Sommes-nous là pour élaborer des lois qui ne règlent qu’une partie des problèmes de société ou sommes-nous là pour légiférer d’une manière satisfaisante ?

Mon intention n’est pas de faire obstacle à l’action qui est menée. Je le répète, concernant la durée du congé en cas de décès du père ou de la mère, le ministre avait dit à l’Assemblée nationale que le Sénat pourrait revenir sur ce sujet. À l’époque, il y avait eu une sorte de malentendu lors des débats.

En tout état de cause, je souhaiterais que mes deux amendements soient adoptés cet après-midi, sachant que l’un a reçu un avis favorable de la commission, tandis que l’autre a été rejeté alors que régnait un certain brouhaha.

Il suffirait ensuite que cette proposition de loi soit inscrite rapidement à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et que celle-ci la vote conforme. Ainsi, ce texte fort intéressant pourrait entrer en application dans de brefs délais.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel.

Mme Françoise Gatel. Monsieur le ministre, nous évoquons cet après-midi un sujet qui touche à la part la plus intime de nos vies personnelles. Vouloir satisfaire rapidement ce que nous appelons tous une nécessité n’empêche pas de bien faire les choses et d’accepter les amendements de mon collègue Gilbert Barbier quant à l’extension des dispositions en cas de décès du concubin ou d’un parent.

En préambule de mon propos, je souhaiterais émettre un regret concernant la lenteur qui affecte parfois le processus institutionnel. En effet, le Sénat examine aujourd’hui, en 2015, une proposition de loi émanant de l’Assemblée nationale, mais qui, elle-même, reprend un texte voté au Sénat dès 2006, sur l’initiative de M. Nicolas About, ancien sénateur centriste.

Le Sénat avait donc déjà fait preuve de ses grandes qualités d’anticipation et d’initiative, monsieur le ministre.

Depuis 1978, les salariés bénéficient de congés pour événements familiaux destinés à leur permettre de faire face aux événements les plus importants de leur vie personnelle, qu’ils soient heureux, comme un mariage, une naissance, ou affligeants, comme un décès. Ces congés n’ont pas d’effets sur leur rémunération ou sur leurs droits à congé.

Ces périodes permettent aux salariés de faire face à l’urgence et de gérer un événement personnel sur le plan matériel et administratif ainsi que sur le plan émotionnel et psychologique.

La durée du congé varie ainsi en fonction de l’événement : pour un mariage, le droit du travail accorde quatre jours de congé alors qu’il n’octroie que deux jours pour le décès d’un conjoint ou d’un enfant.

On ne peut en effet que s’interroger sur une telle répartition. Pourquoi prévoir davantage de jours de congés exceptionnels pour un événement heureux, prévu de longue date, que pour un événement dramatique et violent, qui, par définition, ne peut être anticipé ?

Deux jours suffisent-ils lorsque vous devez gérer les obsèques et les nombreuses formalités administratives ? Deux jours suffisent-ils lorsque vous subissez une épreuve personnelle qui vous ébranle fortement et bouleverse votre vie ? D’un point de vue psychologique et émotionnel, est-on en capacité de reprendre le travail deux jours après un événement à ce point douloureux ?

La réponse est claire et sans appel, monsieur le ministre : c’est non !

Il est vrai qu’un arrangement entre le salarié et l’entreprise est souvent trouvé. L’entreprise fait alors preuve de solidarité.

Toutefois, le dialogue se révèle parfois difficile avec l’employeur, ce qui oblige le salarié à demander un arrêt maladie à son médecin. Ces démarches ne peuvent qu’ajouter de la tension à des personnes qui sont violemment affectées.

Nous pourrions certes nous interroger sur la création de charges supplémentaires pour les entreprises en cette période de grave crise économique, mais les effets de l’allongement du congé exceptionnel semblent objectivement trop circonscrits pour avoir une répercussion significative sur l’économie ou sur l’emploi.

En effet, même si je soutiens les amendements de mon collègue Gilbert Barbier, la proposition de loi votée par l’Assemblée nationale réduit ces charges supplémentaires en limitant l’octroi de congés exceptionnels supplémentaires aux cas de décès d’un enfant ou d’un conjoint.

Par ailleurs, les conventions collectives ou les accords de branche accordent souvent des avantages déjà largement supérieurs aux minima prévus par la loi. Aujourd’hui, en France, 9,5 millions de salariés bénéficieraient ainsi de l’application de conventions collectives beaucoup plus généreuses. Le texte que nous examinons permettra donc d’harmoniser les dispositions en vigueur pour chaque salarié susceptible d’affronter un tel drame familial.

Enfin, ce texte ne concerne pas le secteur public, les fonctionnaires étant régis par des règles spécifiques.

Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, je rappellerai qu’il n’y a d’entreprises que par les hommes et les femmes qui y travaillent. Si l’efficacité et la performance économique sont une exigence incontournable, l’humanisme, le respect des personnes et la solidarité sont des valeurs bien souvent ancrées au cœur des entreprises et au cœur des centristes.

Aussi, le groupe UDI-UC votera en faveur de cette proposition de loi profondément humaniste. (MM. Gilbert Barbier et Joseph Castelli applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller.

M. Philippe Mouiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à féliciter le rapporteur, Jérôme Durain, pour son travail et pour s’être engagé en faveur de cette proposition de loi.

Ce texte que nous examinons aujourd’hui a pour objet de modifier les articles du code du travail relatifs au congé pour motifs familiaux, pour le décès d’un enfant et pour le décès du conjoint ou du partenaire lié par un PACS.

Ces congés exceptionnels dits « familiaux » ont été introduits dans le code du travail par la loi du 19 janvier 1978. Ils avaient été auparavant négociés par les partenaires sociaux dans le cadre de l’accord national interprofessionnel du 10 décembre 1977. La loi du 19 janvier 1978 a ainsi introduit une pratique, un usage dans la législation.

Comme l’ont dit les orateurs qui m’ont précédé à cette tribune, la proposition de loi déposée par Mme Delaunay en octobre 2011 est soumise à l’examen de notre assemblée plus de trois ans après son adoption, à l’unanimité, par l’Assemblée nationale le 23 novembre 2011.

Il est étonnant que le Gouvernement n’ait pas songé à l’inscrire plus tôt à l’ordre du jour des travaux du Sénat, d’autant plus que cette proposition de loi vise à accroître les droits des salariés dans un contexte de vie difficile.

En juin 2011, Jean-Charles Taugourdeau, député UMP du Maine-et-Loire, avait déposé une proposition de loi dont l’objet était également d’allonger les délais du congé accordé aux salariés dans le cas d’un décès.

L’article L. 3142–1 du code du travail prévoit que tout salarié bénéficie, sur justification, d’une autorisation exceptionnelle d’absence de deux jours pour le décès d’un enfant, du conjoint ou du partenaire lié par un PACS, et d’un jour pour le décès du père, de la mère, du beau-père, de la belle-mère, d’un frère ou d’une sœur.

L’article L. 3142–2 du même code prévoit que ces jours d’absence n’entraînent pas de réduction de la rémunération, qu’ils sont assimilés à des jours de travail effectif pour la détermination de la durée du congé annuel et qu’ils sont accordés sans condition d’ancienneté.

Les délais de ces congés pour événements familiaux nous semblent bien courts compte tenu du bouleversement que peut représenter la perte d’un enfant ou de son conjoint.

Il est assez surprenant que des événements tels qu’une naissance, un mariage, un remariage ou la conclusion d’un PACS, moments heureux par excellence, prévisibles, programmables, permettent aux salariés de bénéficier d’un congé plus long, de trois ou de quatre jours en fonction de la nature de l’événement, alors que la perte d’un enfant, événement imprévisible car contraire à l’ordre naturel des choses, qui représente une douleur incommensurable, ou la disparition soudaine du conjoint ne permettent l’octroi que de deux jours de congés exceptionnels.

Ces deux jours paraissent dérisoires, ne serait-ce que pour préparer les funérailles, procéder aux diverses formalités administratives, avant de réaliser la perte de l’être cher et avant qu’advienne le temps du deuil.

Les salariés peuvent trouver de la compréhension et de la compassion auprès de leur employeur ou de leurs collègues, et peuvent prolonger ce congé de deux jours, soit en prenant sur leurs jours de congé, soit en bénéficiant d’un arrêt maladie.

Ces situations, bien heureusement, présentent un caractère exceptionnel au sein d’une même entreprise mais nous devons envisager les hypothèses dans lesquelles le salarié ne peut être soutenu dans son milieu professionnel.

Ainsi, cette proposition de loi tend à allonger les délais des congés, de trois à cinq jours en cas de décès d’un enfant, et de deux à trois jours en cas de décès du conjoint ou du partenaire lié par un PACS.

Ce matin, notre collègue Gilbert Barbier a déposé un amendement qui a reçu l’avis favorable de la commission des affaires sociales et qui étend le bénéfice de ce délai de trois jours au concubin du salarié. Certes, si cet amendement était adopté, il bouleverserait le calendrier législatif, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre. Cependant, c’est la responsabilité du Gouvernement auquel vous appartenez que de prévoir le temps nécessaire pour que ce texte soit adopté. Je crois que cette précision était fondamentale et nous soutiendrons par conséquent l’amendement de M. Barbier.

Cette proposition de loi permettra une certaine harmonisation du nombre de journées accordées aux salariés du secteur privé pour le décès d’un proche.

Toutefois, les dispositions tendant à l’allongement des congés pour événements familiaux auraient dû, me semble-t-il, faire l’objet d’une négociation entre les partenaires sociaux avant d’être introduites dans la loi.

De plus, je regrette que nous n’ayons pas de projection du coût de cette mesure pour les entreprises.

Je sais qu’il est extrêmement complexe de chiffrer l’incidence de cette proposition de loi. Je comprends cependant que, dans le contexte économique actuel, un certain nombre d’entrepreneurs soient inquiets de l’impact d’une telle mesure et qu’ils nous demandent d’en différer l’application. De nombreux messages nous sont parvenus en ce sens.

J’aurais également souhaité que, de façon claire, cette mesure soit identique, dans la fonction publique comme dans le secteur privé.

Rappelons que, dans la fonction publique, le délai est de trois jours pour le décès d’un enfant ou d’un conjoint, et qu’il peut être majoré de quarante-huit heures au maximum si le salarié doit se déplacer. L’on constate toutefois que ce temps supplémentaire est presque systématiquement utilisé. (M. Gilbert Barbier hoche la tête en signe de doute.)

En tout état de cause, il nous revient de faire en sorte que, dans ces moments on ne peut plus douloureux, nos concitoyens, quelle que soit la taille de l’entreprise, quelle que soit la convention collective dont ils dépendent, quel que soit le secteur d’activité, puissent être traités de la même manière.

L’ensemble des membres du groupe UMP de la commission des affaires sociales ont émis un avis favorable sur ce texte, et ce malgré les inquiétudes exprimées. À titre personnel, je voterai également pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur la plupart des travées de l'UMP. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, mes chers collègues, après les interventions de M. le ministre et de M. Jérôme Durain, je n’aurai sans doute pas besoin des quatorze minutes de temps de parole allouées au groupe socialiste.

Monsieur le ministre, la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui avait recueilli, en commission des affaires sociales, l’assentiment de tous les groupes et de tous nos collègues présents. Ce point est assez rare pour être souligné. C’est toutefois un peu moins vrai depuis ce matin, puisque, sur les trois amendements présentés par notre collègue Gilbert Barbier, un seul a été adopté.

La question des congés postérieurs aux deuils est posée depuis déjà longtemps. La Haute Assemblée avait, dès 2006, sur l’initiative de notre collègue Nicolas About, alors président de la commission des affaires sociales, adopté un texte du même ordre – si notre ancien collègue prend connaissance de nos travaux, il se réjouira d’ailleurs très certainement de voir que nous reprenons une idée qu’il avait avancée il y a de nombreuses années. En 2006, cette proposition de loi avait été votée avec le soutien du groupe socialiste, du groupe CRC, du centre et de la moitié du groupe RDSE, l’UMP n’ayant pas pris part au vote.

Malheureusement, la proposition de loi n’a pas été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, à l’époque en raison de réticences notoires chez certains partenaires sociaux – je reviendrai sur ce point ultérieurement.

Il aura fallu attendre 2011 – cinq ans ! – et l’initiative de Michèle Delaunay pour que la question soit de nouveau évoquée au Parlement.

Le texte initial prévoyait de porter la durée du congé à dix jours après le décès d’un enfant, à cinq jours après le décès du conjoint ou du partenaire lié par un PACS et à cinq jours après le décès d’un parent. À la suite d’une négociation avec le gouvernement, un consensus a finalement été trouvé à l’Assemblée nationale : cinq jours après le décès d’un enfant et trois jours après le décès d’un conjoint ou partenaire lié par un PACS. Le ministre du travail de l’époque, Xavier Bertrand, a « apporté tout son soutien au texte ainsi modifié ». La proposition de loi a été votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale.

C’est donc ce texte qui est aujourd’hui devant nous.

Nous sommes bien évidemment sensibles aux amendements, toujours très pertinents, de notre collègue Gilbert Barbier, particulièrement sur la possibilité de faire passer la durée du congé à la suite du décès d’un parent à trois jours. Toutefois, la navette parlementaire sur ce sujet a déjà beaucoup duré et nous entendons y mettre un terme.

Qui peut le plus peut le moins, et l’adoption par le Sénat d’un texte conforme permettra enfin aux salariés victimes d’un deuil aussi atroce de disposer du temps nécessaire pour commencer le « travail de deuil » et accomplir toutes les démarches indispensables, lesquelles sont particulièrement pénibles en cas de décès d’un enfant ou d’un conjoint.

Je voudrais ajouter que nous devons, dans cette affaire, doublement faire preuve de modestie.

Sans doute aurions-nous pu inscrire ce texte plus tôt dans une « niche » du groupe socialiste. Mieux vaut tard que jamais ! Notons aussi que, de 2006 à 2011, ce texte aurait pu être inscrit dans une « niche » de l’un des groupes politiques à l’Assemblée nationale alors majoritaires.

M. Claude Bérit-Débat. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Godefroy. Ensuite, il est bien évident que cette proposition de loi met fin à une hypocrisie.

Dans le cas où survient une perte aussi lourde, que ce soit à l’issue d’une maladie ou d’un accident, les parents ou le conjoint survivant sont hors d’état de se rendre au travail, de se concentrer sur une tâche et d’échapper à leur douleur.

Ce que l’on appelle le travail de deuil doit s’accomplir ; chacun le sait. Nous savons tous aussi que, dans ces cas, ce sont les médecins de famille qui constatent l’état des personnes et délivrent un arrêt de travail, lequel entraîne le versement d’une indemnité journalière par l’assurance maladie.

Il arrive aussi fréquemment que l’employeur prenne en compte la détresse humaine et accorde un congé exceptionnel, ce qui est tout à son honneur. Mais rien ne l’y oblige, ce qui crée une incertitude et une disparité éventuelle que le législateur se doit de corriger.

Notre collègue députée et médecin hospitalier Michèle Delaunay l’indiquait d’ailleurs en 2011, en affirmant : « Dans ma pratique professionnelle, j’ai dû accompagner des personnes qui mouraient – essentiellement des adultes. Je puis en connaissance de cause vous assurer que, lorsqu’il n’y avait pas de dialogue possible avec l’employeur, ce qui arrive parfois, le médecin prescrivait un arrêt maladie aux enfants ou aux parents. Dans ces cas, ce sont les comptes sociaux, et non les employeurs, qui prennent en charge cet arrêt de travail. Dans d’autres cas, l’employeur trouve un arrangement pour continuer à payer son employé. Cette situation totalement hypocrite n’honore pas notre législation. »

C’est donc dans cet esprit d’humanité et de service que le groupe socialiste votera cette proposition de loi. Nous espérons que le Sénat tout entier rejoindra l’Assemblée nationale unanime pour un vote unanime du Parlement.

La question que pose notre collègue Gilbert Barbier à propos du concubinage est très juste, et l’évolution de la société indéniable. Toutefois, ce texte est en navette depuis 2006 et il est sans doute temps d’avancer, quitte à rectifier certaines de ses dispositions par la suite.

J’ai aussi entendu notre collègue Philippe Mouiller nous dire, au nom du groupe UMP, que certains, à l’extérieur du Parlement, demandaient le report de ce texte. Je ne sais pas qui est à l’origine de ces requêtes – même si je le subodore –, mais devons-nous céder à cette pression extérieure, qui s’est déjà exercée par le passé ? (M. Philippe Mouiller fait un signe de dénégation.) Nous sommes d’accord ! C’est pourquoi il me semble que nous aurions tout intérêt à suivre le Gouvernement et à voter de manière unanime ce texte éminemment humain et social. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Patrick Abate applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Micouleau.

Mme Brigitte Micouleau. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi, déposée par Michèle Delaunay et les membres du groupe SRC de l’Assemblée nationale, a pour objectif de modifier la durée des autorisations d’absence dont bénéficient les salariés lors du décès d’un enfant, du conjoint ou du partenaire d’un pacte civil de solidarité.

Ce texte, et je m’en réjouis, a fait l’objet d’un large consensus, en étant adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 23 novembre 2011 à l’unanimité des suffrages exprimés.

Il répond en effet à une préoccupation ancienne au Sénat car, dès 2006, notre ancien collègue Christian Gaudin avait déposé une proposition de loi qui visait à prolonger le congé pour événement familial en cas de décès du conjoint ou d’un enfant.

Ce texte avait été adopté par le Sénat au cours de sa séance du 22 juin 2006, puis transmis à l’Assemblée nationale où il était, depuis, resté en instance.

En l’état actuel de notre droit, les autorisations exceptionnelles d’absence pour événements familiaux sont fixées par l’article L. 3142–1 du code du travail.

Alors même que la perte d’un parent et, plus encore, d’un enfant constitue une épreuve très douloureuse, les familles doivent néanmoins accomplir de nombreuses démarches administratives lors d’un décès et organiser les obsèques.

Or la perte d’un enfant est certainement l’une des épreuves les plus difficiles à traverser pour une famille. Cet événement, tellement contraire à l’ordre des choses, va bouleverser durablement le rapport que chacun entretient avec lui-même, avec ses proches, mais aussi avec le monde qui l’entoure.

Ainsi, ces autorisations exceptionnelles, en donnant du temps aux salariés, doivent évidemment leur permettre de gérer les questions matérielles, mais aussi les aider à faire face à ces événements douloureux.

Actuellement, la durée des absences autorisées varie de quatre jours à l’occasion du mariage du salarié ou de la conclusion d’un PACS à un jour pour le mariage d’un enfant ou le décès d’un parent proche.

Par comparaison, un salarié dispose de quatre jours de congé à l’occasion de son mariage ou de la conclusion d’un PACS, soit deux jours de plus qu’en cas de décès de son conjoint ou de son enfant, des circonstances qui constituent pourtant de rudes épreuves familiales.

Comment ne pas s’étonner que les événements heureux bénéficient d’une durée d’absence autorisée largement supérieure à celle qui est accordée pour les décès ?

Et l’on ne peut que constater que le nombre de jours d’absence octroyés – deux jours tout au plus – apparaît insuffisant pour remplir ces devoirs et ces contraintes matérielles.

Il est – c’est une évidence – nécessaire de disposer de temps de vie pour les moments de joie, mais également essentiel d’en disposer pour les moments malheureux.

Finalement, cette durée restreinte des congés pour décès contraint souvent les salariés à utiliser leurs congés annuels, et parfois même à solliciter un arrêt médical de travail, ce qui constitue un coût pour la sécurité sociale.

Heureusement, un échange avec l’employeur permet souvent de trouver une solution.

Ce texte va donc permettre aux salariés de ne pas dépendre de la seule capacité de compréhension de leurs employeurs. Il vise aussi à uniformiser la législation en vigueur.

Cette proposition de loi concilie donc la nécessité d’augmenter la durée du congé en cas de décès d’un enfant ou du conjoint avec la nécessité de limiter la charge supplémentaire pour les entreprises, en ouvrant ce droit uniquement aux parents proches.

Ainsi, il est proposé d’étendre la durée du congé exceptionnel à cinq jours dans le cas du décès d’un enfant, et à trois jours pour le décès du conjoint ou du partenaire lié par un pacte civil de solidarité.

Enfin, notre collègue Gilbert Barbier a déposé ce matin des amendements qui permettent de compléter ces dispositions, avec notamment l’extension du dispositif au concubin.

Compte tenu de la nécessité et de l’utilité de cette proposition de loi, et des apports de notre collègue Gilbert Barbier, mes collègues du groupe UMP et moi-même voterons pour son adoption. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous examinons fait l’objet d’un consensus général, ce qui va pour une fois faciliter la tâche des parlementaires, mais aussi occasionner quelques redites dans la discussion générale.

Je note en effet, après différents intervenants, notamment Mme Gatel et M. Godefroy, que des textes ont déjà été déposés sur ce sujet en 2006, puis en 2011, sur l’initiative du député UMP Jean-Charles Taugourdeau. Quant à celui qui nous est présenté aujourd’hui, l’initiative en revient à la députée socialiste Michèle Delaunay. D’où ce vote unanime de l’Assemblée nationale, précédant, j’imagine, celui du Sénat. Le malheur et la douleur concernent tout le monde.

Je note encore que ce consensus n’est pas seulement politique, il est aussi social – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre –, puisque les représentants des associations familiales et les syndicats ont manifesté, lors des auditions, leur accord sur les dispositions de la proposition de loi. Je note enfin que ces dispositions permettront à la réglementation française d’être à peu près conforme à ce qui se fait dans les autres pays d’Europe. Il existe donc tout un faisceau d’éléments qui convergent pour permettre l’adoption unanime du texte.

Celui-ci a pour but de modifier l’article L. 3142–1 du code du travail, en augmentant le nombre de jours dont tout salarié bénéficie, sur justification, à l’occasion de certains événements familiaux. L’autorisation exceptionnelle d’absence sera désormais de cinq jours, contre deux auparavant, pour le décès d’un enfant, et de trois jours, contre deux auparavant, en cas de décès du conjoint. La commission a renoncé in fine à modifier la durée de l’autorisation exceptionnelle d’absence pour le décès d’une sœur, d’un frère, d’un parent ou d’un beau-parent.

En tant que médecin, j’ai naturellement pu mesurer, tout au long de ma carrière professionnelle, l’importance de ces moments, de ces épreuves dans la vie d’un être, ainsi que les troubles psychologiques qui en découlent. En tant que maire, j’ai pu constater, à un autre niveau, le temps qu’il faut pour accomplir les démarches indispensables. En tant que parlementaire, je ne puis donc qu’approuver cette modification – ô combien nécessaire ! – du droit du travail, je dirais même ce droit élémentaire décent accordé à chacun pour vivre son deuil sans avoir à se justifier auprès de son employeur, quel qu’il soit.

Il est du reste singulier de constater que notre législation, qui a depuis longtemps augmenté le nombre de jours accordés pour un mariage ou une naissance, événements heureux, ne l’avait pas encore fait pour les décès, événements douloureux. Certes, pour les salariés bénéficiant d’une convention collective, ce point était acquis, mais, pour les autres, ce n’était pas le cas. D’où l’utilité de cette proposition de loi, qui répond aux aspirations humaines les plus élémentaires et permettra d’éviter aux salariés concernés de recourir aux arrêts maladie s’ils ont épuisé leurs congés annuels, selon une pratique devenue récurrente, comme l’ont rappelé de nombreux intervenants.

Il est surprenant que le Sénat ait tant tardé à examiner cette proposition de loi votée à l’automne 2011 par l’Assemblée nationale. Qu’est-ce qui a pu justifier un aussi long retard ? Il serait opportun d’en informer la représentation nationale.

Ces quelques observations faites, je suis naturellement très favorable à l’adoption de la proposition de loi. Je suis également favorable à l’amendement de Gilbert Barbier visant à étendre le bénéfice du congé au décès du concubin du salarié. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre. Je voudrais tout d'abord remercier les orateurs qui se sont exprimés dans un sens favorable à l’adoption de cette proposition de loi. On voit bien comment le débat va s’organiser. Une chose ne fait aucun doute : nous avons tous la volonté de prendre en compte des situations de détresse.

Je voudrais apporter quelques éléments complémentaires en réponse aux interventions des uns et des autres. Il existe effectivement une différence entre les salariés du secteur privé et les fonctionnaires. Ces derniers ont droit à trois jours de congé pour le décès d’un conjoint, du père, de la mère ou d’un enfant. Dans le secteur privé, la durée du congé dépend des accords de branche. Pour le décès du conjoint, elle peut aller jusqu’à cinq jours ; ce n’est donc pas toujours dans la fonction publique qu’il y a le plus de congés... Pour vous donner quelques exemples, la durée de congé est de cinq jours dans la banque, de quatre jours dans le bâtiment et de trois jours dans la métallurgie et les transports routiers.

L’occasion nous est donnée d’avancer vite sur un sujet qui, je crois, nous rassemble tous. Je reviendrai sur les amendements de Gilbert Barbier lorsqu’il les présentera, mais je souhaite en dire un mot dès à présent. Ces amendements estimables sont tout à son honneur.

Vous l’avez souligné, je porte une petite part de responsabilité. (M. Gilbert Barbier opine.) Ce texte m’avait échappé – je le regrette – au moment de son adoption par l’Assemblée nationale ; la gauche était alors majoritaire au Sénat. Cependant, je ne suis pas seul en cause : entre l’adoption de la proposition de loi de Nicolas About, en 2006, et sa validation par mon prédécesseur Xavier Bertrand, en 2011, il s’est écoulé cinq ans. C’est bien long pour une amélioration somme toute modeste d’un dispositif. Ce délai n’est pas dû à la crainte d’un surcoût pour les entreprises, qui trouvent bien souvent des arrangements ; à défaut, comme beaucoup d’entre vous l’ont signalé, on recourt à des arrêts maladie, même s’ils ne sont pas faits pour cela.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le choix vous appartient : si vous la votez conforme, la proposition de loi connaîtra une application immédiate ; si vous la modifiez, la navette reprendra.

Je ne critique pas les amendements. Je le répète, ils sont tout à fait estimables. C’est notamment le cas de celui qui vise à étendre le bénéfice du congé au décès du concubin du salarié. Tout le monde sait bien que le concubin ou la concubine joue parfois un rôle de père ou de mère.

Vous avez le choix. Cela fait neuf ans que la proposition de loi de Nicolas About a été votée. Si vous modifiez aujourd'hui le texte de l’Assemblée nationale, je travaillerai à l’obtention d’un consensus, mais il n’y aura pas de garantie. C’est le consensus obtenu par mon prédécesseur Xavier Bertrand qui avait permis l’adoption du texte en 2011. La proposition de loi de Nicolas About ne faisait pas consensus à l’Assemblée nationale. Xavier Bertrand avait trouvé un consensus après avoir auditionné l’ensemble des partenaires sociaux. Cette consultation était logique, puisque le texte vise à modifier un article du code du travail. Vous voyez sans doute où je veux en venir, mais je garde ce nouvel argument pour le débat sur les amendements.

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi tendant à allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d'un enfant ou d'un conjoint

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d'un enfant ou d'un conjoint
Article 2

Article 1er

(Non modifié)

Les 3° et 4° de l’article L. 3142-1 du code du travail sont ainsi rédigés :

« 3° Cinq jours pour le décès d’un enfant ;

« 4° Trois jours pour le décès du conjoint ou du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ; ».

M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Barbier et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Après le mot :

conjoint

insérer les mots :

, du concubin

La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Je pense que nous avons suffisamment débattu de cet amendement, qui vise à étendre le bénéfice du congé au décès du concubin notoire du salarié.

Monsieur le ministre, si Nicolas About n’avait pas pu obtenir de consensus, c’était parce que la gauche voulait aller beaucoup plus loin. En 2011, le consensus n’a pu être obtenu qu’en modifiant certaines des dispositions proposées par Michèle Delaunay, dont le texte initial n’avait pas été accepté. Enfin, cela, c’est l’histoire, et presque la préhistoire.

Si vous avez vraiment la volonté que la proposition de loi soit rapidement adoptée, monsieur le ministre, vous pouvez faire en sorte que ce soit le cas, puisque, en tant que membre du Gouvernement, vous êtes maître d’une partie de l’ordre du jour du Parlement. Vous pourriez en outre demander à l’Assemblée nationale de voter conforme le texte du Sénat. Il pourrait ainsi entrer en application d’ici à trois semaines ou un mois. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jérôme Durain, rapporteur. La commission n’a pas suivi l’avis de son rapporteur et a émis un avis favorable. Elle a en effet considéré que la loi devait prendre en considération un mode de vie en couple qui – plusieurs orateurs l’ont souligné – est de plus en plus fréquent dans notre société. En 2006, le Sénat avait déjà adopté une proposition de loi prévoyant d’étendre le droit de prendre un congé au concubin.

Vous me permettrez d’ajouter un commentaire personnel. Je comprends tout à fait la préoccupation qu’ont exprimée nombre d’orateurs. Je suis néanmoins défavorable à cet amendement, pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, la modification du texte le renverrait à l’Assemblée nationale pour une deuxième lecture, trois ans et demi après la première lecture. Comme je viens de le rappeler, un premier texte avait été adopté en 2006. Ce matin, en commission, l’un de nos collègues nous a dit qu’il avait voté la présente proposition de loi en tant que député ; faudra-t-il attendre qu’il redevienne député et la vote à nouveau avant de la voir revenir au Sénat ? J’ai quelques craintes à ce sujet.

Il y a un consensus sur le fond. La semaine dernière, en commission, il y avait également un consensus sur le caractère urgent de la proposition de loi, qui vise à répondre à des situations humaines difficiles. Nous n’avons que trop tardé. On peut certes améliorer le texte, mais il faut être pragmatique. Je suis un jeune sénateur. Je découvre beaucoup de choses. J’ai compris que la fixation de l’ordre du jour parlementaire n’était pas une science exacte, et qu’il se passait parfois un peu de temps avant que les assemblées soient saisies des textes.

Quelques fenêtres vont bientôt s’ouvrir : en avril, François Rebsamen devrait présenter en conseil des ministres un projet de loi de modernisation du dialogue social ; nous en débattrons sans doute en juin. Nous pourrions tout de suite ouvrir un droit nouveau, en prenant collectivement l’engagement de traiter la question des concubins non pas dans dix ans, mais au mois de juin. Chacun d’entre nous peut prendre cet engagement, car il ne s’agit pas d’un sujet politique, mais d’un sujet grave ayant trait à des réalités humaines difficiles. Il me semble donc que vous pourriez accepter de retirer votre amendement, monsieur Barbier, afin que nous puissions avancer dans le sens de l’intérêt des familles éprouvées par un deuil. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste. – Mme Aline Archimbaud applaudit également.)

Mme Nicole Bricq. Belle plaidoirie !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Rebsamen, ministre. Merci, monsieur le rapporteur, vous avez développé un certain nombre d’arguments que je souhaitais développer.

Je l’ai dit, vos trois amendements sont intéressants, monsieur Barbier. Cependant, outre le fait qu’un vote conforme rendrait le texte immédiatement applicable, ces amendements visent à introduire des modifications assez substantielles. Vous proposez même de modifier l’intitulé de la proposition de loi, en ajoutant la référence à un « parent proche ». Cette notion laisse une place à l’interprétation. En outre, je crains que, en prévoyant un jour pour le décès du beau-père, de la belle-mère, etc. – c’est plein de bonnes intentions, ce n’est pas moi qui dirai le contraire –, vous ne rouvriez le débat que nous connaissons depuis 2006.

Si vos amendements sont adoptés, j’ignore quand le texte sera réinscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Je rappelle, même si vous le savez pertinemment, que la dernière révision constitutionnelle a apporté une modification importante en matière de fixation de l’ordre du jour : le Gouvernement n’est plus maître que de deux semaines sur quatre.

M. François Rebsamen, ministre. De nombreux textes sont actuellement en préparation. Je ne sais quel est le calendrier prévisible d’examen des propositions de loi des différents groupes.

Si vos amendements sont adoptés, un nouveau débat sur le nombre de jours de congé pour le décès d’un proche parent pourrait être organisé. Vous recréez une sorte de hiérarchie, qui me semble d'ailleurs justifiée, mais ce n’est pas l’objet de mon intervention.

J’essaie de dire les choses clairement.

Si le débat se rouvre demain à l’Assemblée nationale, alors que, comme tout le monde l’a rappelé, un consensus avait été obtenu de main de maître par Xavier Bertrand – soit dit pour lui rendre hommage –, le risque sera que chaque groupe à l’Assemblée nationale, chaque parlementaire, car il en a la légitimité, voudra lui-même apporter de nouveau une modification, ce qui nous fera repartir pour un long chemin.

Pourtant, tout le monde en convient, au-delà de tous les accords de branche qui règlent cette question, cette proposition de loi avait vocation à couvrir l’ensemble des salariés du privé avec un dispositif clair, en tout cas sur ces deux sujets.

Tout le monde ayant compris ce que je voulais dire, je ne serai pas plus long. Si vous souhaitez modifier le texte, c’est votre responsabilité. Formellement, nous en sommes à l’examen de l’amendement n° 1 rectifié. Je demande au sénateur M. Barbier de retirer son amendement, car l’applicabilité immédiate représente un gain intéressant pour les salariés. Ce sujet mérite donc un débat entre nous, entre vous, mais, si vous ne retirez pas votre amendement, je m’en remettrai bien évidemment à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. Monsieur Barbier, l’amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?

M. Gilbert Barbier. Monsieur le ministre, invoquer ici l’argument de l’urgence est un peu dérisoire, alors que ce texte traîne depuis quatre ans. On ne va pas revenir sur ce point.

Je rappelle que nous sommes en train de discuter de l’amendement n° 1 rectifié. À la limite, je veux bien retirer l’amendement n° 3 rectifié, qui porte sur l’intitulé, car, à mon avis, il n’a pas une très grande portée. Ce retrait, monsieur le ministre, nous évitera d’avoir à débattre de nouveau sur la notion de parent proche.

En revanche, s’agissant des deux amendements précédents, je ne comprends pas que, sous prétexte d’aller vite, argument qui va faire rire beaucoup de monde quand on sait d’où l’on vient, on puisse mettre de côté une partie de la société.

S’il s’agissait d’une mesure absolument exceptionnelle, je comprendrais, mais beaucoup d’entre vous ont eu à gérer le problème du décès d’un père ou d’une mère, en se rendant dans les maisons de retraite ou les EHPAD, aux heures d’ouverture, ce qui est très compliqué. L’objet de ce texte est donc simplement de régler un problème pratique, derrière lequel il ne faut voir aucune force occulte, comme l’a dit M. Godefroy tout à l’heure…

M. Jean-Pierre Godefroy. Ce n’est pas moi ! C’est M. Mouiller !

M. Gilbert Barbier. C’est le bon sens qui m’inspire.

À mon avis, l’Assemblée nationale a simplement oublié de prévoir le concubin, le père et la mère. Si l’on interrogeait Mme Delaunay, je pense qu’elle serait tout à fait favorable à ces amendements. Loin de moi l’idée de nous diviser sur cette question, car j’ai déposé ces amendements au nom du bon sens.

Cela étant dit, j’indique d’ores et déjà que je retire l’amendement n° 3 rectifié.

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié est retiré.

La parole est M. Claude Bérit-Débat, pour explication de vote sur l’amendement n° 1 rectifié.

M. Claude Bérit-Débat. Après m’être interrogé ce matin en commission, je m’interroge de nouveau sur ces amendements.

Tout le monde ici est unanime pour reconnaître l’intérêt de cette proposition de loi, qui vise à tenir compte de deux situations humaines, et la nécessité d’aller vite. Cependant, une interrogation très forte sur la durée – depuis 2006 – revient sans cesse. L’intervention de M. Mouiller a instillé le doute dans mon esprit, comme dans celui de mon collègue Jean-Pierre Godefroy. En effet, monsieur Mouiller, vous avez évoqué la problématique des entreprises qui ne sont pas tout à fait favorables à ce texte, et qui voudraient voir son adoption retardée.

Je le répète, je m’interroge vraiment : ne s’agirait-il pas d’une procédure un peu dilatoire, même si je voudrais vraiment me tromper et que vous me le prouviez par vos réactions ?

En effet, nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut voter ce texte, mais des voix s’élèvent, unanimes, des travées de droite, pour dire qu’il faut l’améliorer. Certes, monsieur Barbier, je ne remets pas en cause le fait que l’amendement que nous examinons en cet instant, s’il était voté, apporterait une amélioration au dispositif, mais ce vote ferait repartir la navette. Or, comme vous certainement, j’ai en tête nombre de propositions de loi qui ont été votées par le Sénat et qui ne sont jamais revenues de l’Assemblée nationale, alors que la gauche n’était pas encore aux responsabilités. Vous ne pouvez donc pas mettre en cause la longueur de la navette. Aussi, je ne comprends pas très bien votre attitude.

Pour ma part, je suis très favorable à la demande de M. le ministre et à la position personnelle de M. le rapporteur, qui est contraire à l’avis de la commission.

Je souhaite que nous votions le texte en l’état, puisque tout le monde semble satisfait. Comme l’a précisé M. le rapporteur, nous pourrons compléter le dispositif à l’occasion d’un autre texte, mais nous partirons d’un acquis que nous pouvons obtenir immédiatement.

Je l’ai dit, je m’interroge, et cela me gêne un peu, tout le monde étant unanime sur le dispositif prévu par cette proposition de loi et sur la nécessité d’adopter ce texte.

M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.

M. François Fortassin. Notre rapporteur s’est exprimé, avec talent sur la forme. Sa proposition pose tout de même un problème sur le fond. Si l’on craint à chaque fois qu’une loi soit retardée, il ne faut plus déposer d’amendement dans cette enceinte ! Il appartient bien entendu au Gouvernement, et plus particulièrement au ministre chargé des relations avec le Parlement, de faire en sorte que la procédure soit accélérée, tout le monde considérant que ce texte est excellent, mais on ne peut pas non plus refuser de l’améliorer.

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Certes, je ne suis pas élu depuis longtemps, mais j’ai vu dans cette enceinte des amendements bien moins pragmatiques que ceux qui ont été déposés par M. Barbier.

La notion de concubin notoire est très claire, très pragmatique. Elle se rapporte à un fait sociétal, qui existe souvent. Je voudrais donc m’inscrire en faux contre toute interprétation, car nous soutenons de bonne foi ces amendements.

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour explication de vote.

Mme Aline Archimbaud. Bien sûr, toute proposition de loi est perfectible, et je comprends bien les préoccupations de M. Barbier. Néanmoins, n’oublions pas que cette proposition de loi chemine depuis 2006 (M. Gilbert Barbier fait un signe de dénégation.), c’est-à-dire neuf ans.

Par ailleurs, tout le monde ici s’est félicité de l’existence de cette proposition de loi, soulignant que, pour les situations douloureuses auxquelles il est fait référence, il faut absolument légiférer. C’est la raison pour laquelle il me semble qu’il faut voter le texte conforme et mettre un terme aujourd’hui à la navette.

Nous connaissons les contraintes de calendrier de l’Assemblée nationale, nombre de projets de loi devant arriver dans les semaines qui viennent. M. le ministre a d’ailleurs proposé un véhicule législatif qui pourrait porter les préoccupations et les amendements de M. Barbier.

Mes chers collègues, le bon sens, la raison, l’humanité nous obligent à voter cette proposition de loi sans amendement, sinon nous ne serions pas logiques avec tout ce que nous avons dit aujourd’hui. Dans le cas contraire, je serais troublée et je m’interrogerais également sur ce qu’a déclaré M. Mouiller au sujet d’éventuelles pressions extérieures. (M. Philippe Mouiller proteste.) Alors, il faudrait nous en dire plus…

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.

Mme Françoise Gatel. Monsieur le ministre, à mes yeux, la proposition de notre collègue Barbier n’est pas « estimable », mais juste, en ce qu’elle tend à réparer un oubli. En fait, elle acte une réalité de la vie, puisqu’il y a des conjoints mariés, des conjoints pacsés et des conjoints concubins. Donc, au nom même du principe d’humanité qui est évoqué ici, on ne peut pas oublier une catégorie de personnes qui entrent tout à fait dans l’esprit de ce texte.

Aujourd’hui, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation ; ce serait un peu malvenu, compte tenu des délais dont tout le monde a parlé. Pour autant, monsieur le ministre, je comprends votre envie de faire avancer le sujet. Mais peut-on se contenter de le faire rapidement en oubliant une catégorie de personnes susceptibles d’être concernées ? Ne vaut-il pas mieux se donner un délai de deux ou trois mois. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une loi à moitié faite. Nous ne devons oublier personne. Aussi, je soutiens l’amendement de notre collègue visant à étendre l’allongement de la durée du congé aux concubins.

M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.

M. Philippe Mouiller. En quelques mots, je vais essayer de lever le trouble… (Sourires.)

Dans un premier temps, j’ai été très clair sur mon soutien à cette proposition de loi, tant en commission que dans l’hémicycle. Ma position est sans appel.

Cependant, étant moi aussi un nouveau parlementaire, j’ai l’habitude – peut-être n’est-ce pas le cas pour tout le monde – de me poser des questions lorsque les textes arrivent en discussion et de consulter autour de moi. Je pense que c’est une bonne attitude pour évaluer le poids d’une décision.

Certains de mes collègues ont peut-être l’habitude de suivre les avis de leur parti, mais, pour ma part, je prends toujours le temps de discuter sur le terrain.

Mme Nicole Bricq. Vous ne voulez pas de cette proposition de loi, on l’a bien compris !

M. Philippe Mouiller. Or quel retour ai-je obtenu sur ce texte ? Globalement, il est largement favorable, ce qui explique ma position, notamment au regard des valeurs humaines qu’il véhicule. En même temps, certaines entreprises s’interrogent sur le coût de l’opération. (Mme Nicole Bricq s’exclame.) C’est tout simplement ce que j’ai voulu relayer.

Toutefois, – il faut être très clair sur ce point – si je compare ces interrogations et le bienfait apporté au travers de cette proposition de loi, la balance penche fortement en faveur de celle-ci.

J’ai simplement exprimé très librement à la tribune ce que j’ai entendu, sans aucune arrière-pensée ni intention d’aller à l’encontre de ce texte.

En revanche, il est clair que ce matin, lors de la discussion en commission, le débat sur la notion de concubin m’a semblé essentiel. Si je n’ai pas forcément une appréciation très claire de la durée de la navette qui nous permettrait de faire aboutir ce texte, j’ai quand même le sentiment que nous pouvons accepter les amendements de notre collègue Barbier tout en faisant en sorte que les deux assemblées aillent le plus vite possible pour faire voter le texte.

Si le bon sens est suffisamment partagé sur toutes ces travées, nous pouvons collégialement arriver à répondre à ces deux exigences : approuver ce texte important pour tout le monde et, en même temps, accepter l’amendement de notre collègue Barbier.

J’espère avoir levé tous les doutes dans l’assistance. (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour explication de vote.

M. Jean-Noël Cardoux. Il s’agit d’un débat extrêmement complexe, dans lequel tout le monde a raison, si l’on écoute attentivement les différents orateurs. Un certain nombre d’éléments ont convergé pour que nous soyons confrontés à cette situation très difficile.

La durée, tout le monde l’a avancée. C’est vrai, en tant d’années, la société évolue, et l’amendement qu’a déposé notre collègue Gilbert Barbier est tout à fait légitime quant à l’adaptation de ce texte à l’évolution de la société et, comme il l’a souligné, il est fort probable que les précédents intervenants, en particulier Mme Delaunay, l’auraient totalement approuvée.

Bien sûr, comme nous l’a expliqué M. le ministre, il y a aussi l’urgence ; on va bloquer, on le craint, encore pour quelques semaines ce texte si on vote cet amendement. Donc, il est vrai que c’est un dilemme.

Cependant, sur le fond, je retiendrai simplement un problème de procédure et d’éthique. Comme cela a été souligné, ce matin en commission des affaires sociales, la commission a voté majoritairement l’amendement. Le groupe UMP l’a voté, et je ne vois vraiment pas comment un analyste extérieur comprendrait qu’entre ce matin dix heures quinze et cet après-midi dix-sept heures quarante-cinq les mêmes sénateurs ont complètement changé leur vote.

Pour ma part, je voterai cet amendement de Gilbert Barbier, s’il le maintient. Monsieur le ministre, il vous appartient de faire preuve de volonté politique, car il est un peu facile d’invoquer des pensées sous-jacentes de telle ou telle pression. J’avoue que c’est la première fois depuis quelques jours que j’entends parler de cette éventuelle pression. Quoi qu’il en soit, ce ne sont pas ces considérations qui nous ont guidés, mais tout simplement l’équité, le pragmatisme, le souci d’adapter le texte à l’évolution de la société. Je me permets donc d’affirmer solennellement que le patronat, CGPME ou MEDEF, n’a exercé aucune pression extérieure.

Les sénateurs UMP qui n’ont pas voté ce matin en commission l’amendement de Gilbert Barbier peuvent, puisque nous n’avons pas pris de position de groupe, prendre leur décision en leur âme et conscience. En revanche, pour ce qui concerne les sénatrices et sénateurs UMP membres de la commission des affaires sociales, il me semble difficile qu’ils opèrent une telle volte-face en si peu de temps.

Je voterai donc cet amendement, en m’adressant à vous, monsieur le ministre : avec une volonté politique, je pense que dans un délai extrêmement réduit sur un détail technique comme celui-là, on peut faire avancer les choses et faire passer le texte en deuxième lecture à l’Assemblée nationale. (M. Michel Vaspart applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Certains sénateurs ont pu voter cet amendement lors de la réunion de la commission de ce matin et ne le voteront pas ce soir !

M. Jean Desessard. En effet, « le mieux est l’ennemi du bien », comme on dit parfois. M. le ministre m’a convaincu : si nous adoptons cette proposition de loi aujourd’hui, elle s’appliquera tout de suite et il sera possible de compléter le dispositif en déposant un amendement lors de l’examen du projet de loi sur la modernisation du dialogue social. Cette suggestion est intéressante : elle permet d’appliquer rapidement ces dispositions que tout le monde juge utiles ; ensuite, les compléments que tout le monde approuve également pourront aussi être apportés dans des délais assez brefs.

Voilà pourquoi j’ai changé de point de vue par rapport à la réunion de ce matin. Il me semblait effectivement intéressant de permettre aux concubins de bénéficier du dispositif, mais je me range à l’idée qu’un amendement pourra être adopté dans le cadre de l’examen d’un autre texte, avant même qu’aboutisse la navette qui s’engagerait si nous n’adoptions pas la présente proposition de loi conforme.

M. Jean Desessard. Nous gagnerons ainsi sur les deux tableaux : cette proposition de loi sera appliquée tout de suite et des amendements intéressants seront adoptés lors de l’examen d’un prochain projet de loi.

Certains se demandent s’il n’y a pas de réflexions autres. M. Mouiller nous a dit que cette mesure allait coûter cher…

M. Philippe Mouiller. J’ai simplement posé la question de son coût !

M. Jean Desessard. … et que cela méritait réflexion. Si nous adoptons le premier amendement de M. Barbier, elle coûtera encore plus cher aux entreprises, a fortiori si nous adoptons son deuxième amendement ! (Mme Annie Guillemot opine.) Pour l’instant, on nous dit que les congés de maladie sont souvent utilisés pour faire les démarches à la suite d’un décès, l’adoption de cette proposition de loi permettrait d’éviter ce détournement.

M. Cardoux a exprimé la volonté d’aller vite : il faut donc adopter aujourd’hui cette proposition de loi conforme et, lors de l’examen d’un prochain projet de loi, comme l’a dit M. le ministre, les amendements qui nous sont présentés aujourd’hui pourront être adoptés !

Je change donc mon vote par rapport à celui de ce matin, compte tenu des précisions apportées par M. le ministre.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.

M. Jean-Louis Tourenne. Premièrement, ce serait faire injure à notre intelligence que de penser qu’une position prise en commission ne puisse pas être modifiée en séance publique : à quoi serviraient nos débats dans l’hémicycle ? Si les choses étaient figées, il suffirait de rendre compte des positions de la commission. Les apports du débat peuvent donc nous amener à modifier notre position.

Deuxièmement, il ne faut pas créer de confusion, car la question posée est très simple. Tout d’abord, nous sommes unanimes pour approuver le bien-fondé de l’extension des congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d’un proche. Ensuite, il n’y a pas de divergence sur l’intérêt d’étendre aux concubins le bénéfice du nouveau droit qui sera ouvert. Que nous reste-t-il donc à décider ?

Soit nous adoptons l’amendement et nous différons l’adoption de cette mesure : les concubins ne bénéficieront donc pas de ce nouvel avantage, mais les autres personnes non plus. Nous devrons alors expliquer à l’ensemble des salariés que nous n’avons pas voulu leur accorder ce droit auquel nous sommes attachés, sous prétexte que tout le monde ne pouvait pas en bénéficier en même temps.

Soit nous adoptons la proposition de loi conforme et, dans un deuxième temps, les concubins pourront bénéficier de l’extension du nouveau droit ouvert, comme cela a été dit.

Je souhaite donc que nous puissions adopter la proposition de loi conforme, en attendant que M. le ministre nous donne l’occasion d’adopter un amendement en faveur des concubins à l’occasion de l’examen d’un autre texte, dans les semaines ou dans les mois qui viennent.

M. Gilbert Barbier. Je demande la parole pour un rappel au règlement, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. J’estime que ma probité a été mise en cause par un certain nombre de nos collègues, qui me soupçonnent d’agir pour le compte de je ne sais quels groupes – qu’ils ont désignés, notamment M. le rapporteur… (Mme Nicole Bricq s’exclame.) Chère collègue, vous me connaissez mal !

Vous avez laissé entendre que j’agissais pour le compte du MEDEF. Je suis parlementaire depuis 1978, j’ai déposé cet amendement après avoir consulté mon groupe, et personne d’autre ! Or vos propos sous-entendaient que des forces occultes auraient inspiré cet amendement.

J’avais travaillé avec Nicolas About lorsqu’il a déposé sa proposition de loi : son texte mentionnait les concubins. Vous pouvez consulter Mme Delaunay pour lui demander si elle pense que le concubinage ne doit pas être pris en compte par le dispositif, mais je pense que tel n’est pas le cas.

Le rôle du Sénat consiste à faire en sorte que les lois adoptées soient à peu près correctement rédigées plutôt que partiellement abouties, même s’il n’y parvient pas toujours. Nous pourrions adopter sans modification tous les textes qui nous viennent de l’Assemblée nationale, ce serait aller dans le sens des partisans du monocamérisme qui rêvent de supprimer notre assemblée. Tel n’est pas mon point de vue ! J’essaie donc de réaliser un travail technique relativement approfondi et je n’ai besoin de personne pour m’aider à rédiger mes amendements ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées de l’UMP. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre. Vous m’accorderez, monsieur Barbier, que je n’ai pas mis en cause l’esprit de vos amendements. (M. Gilbert Barbier marque son approbation.) Permettez-moi cependant d’apporter encore quelques arguments au débat.

Je suis toujours très heureux de pouvoir constater que le Sénat est sensible aux évolutions de la société et la prise en compte des concubins me semble effectivement une bonne chose, personne ne dira le contraire ! M. le sénateur Desessard a cité Voltaire, mais il a eu raison, car le mieux est parfois l’ennemi du bien.

Vous invoquez Mme Delaunay, mais permettez-moi de vous rappeler que la présente proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, sous l’impulsion du ministre Xavier Bertrand. Sur de tels sujets, l’unanimité est toujours difficile à obtenir, non pas en raison de divergences d’analyse, mais du fait de la volonté de chacun d’apporter des améliorations.

Vous dites que vous allez améliorer le texte, et vous avez raison, dans votre logique de parlementaire, mais peut-on faire mieux que ce qui a été approuvé par les députés à l’unanimité ? Le Sénat peut toujours amender, mais ne risque-t-il pas ainsi de rouvrir le débat ? Je sais que telle n’est pas l’intention du sénateur Barbier, mais vous savez très bien que, quand le texte sera de nouveau soumis à l’Assemblée nationale, certains députés voudront à nouveau modifier la durée des congés en fonction du degré de parenté – c’est la raison pour laquelle l’accord à l’unanimité n’était intervenu que pour les enfants, les père et mère et le conjoint.

Il faudrait évidemment ajouter les concubins au dispositif. Je me suis renseigné pour savoir si un amendement en ce sens pourrait être déposé dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais cela semble risqué.

Vous prenez la responsabilité de rouvrir le débat, en toute bonne foi. Je vous indique seulement que mon prédécesseur, à l’époque, avait mis beaucoup de temps pour obtenir l’unanimité sur cette question, comme il en avait fallu beaucoup également entre l’adoption de la proposition de loi du sénateur About et le vote à l’unanimité de l’Assemblée nationale. Je respecte les prérogatives des parlementaires, je l’ai suffisamment prouvé, mais j’attire votre attention sur le risque que vous prenez.

En ce qui concerne la maîtrise du calendrier législatif par le Gouvernement, c’est un mauvais argument, car vous savez parfaitement que les semaines qui lui sont réservées sont très encombrées : certains groupes politiques au Sénat ont même cédé une partie de leur temps réservé au Gouvernement pour faciliter l’adoption de textes. Dans le cas présent, vous invoquez cet argument pour masquer votre refus de voir appliquer cette mesure.

Enfin, certains ont estimé qu’il n’était pas possible de changer de position entre le vote en commission et la discussion en séance publique. Permettez-moi d’observer que vous avez déjà changé de position entre deux réunions de commission, ce qui est tout à fait votre droit !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe du RDSE.

Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 116 :

Nombre de votants 337
Nombre de suffrages exprimés 318
Pour l’adoption 198
Contre 120

Le Sénat a adopté.

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Barbier et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… – Le 6° de l’article L. 3142-1 du code du travail est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« 6° Trois jours pour le décès du père ou de la mère ;

« 7° Un jour pour le décès du beau-père, de la belle-mère, d’un frère ou d’une sœur. »

La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Après la longue discussion que nous venons d’avoir – j’ai entendu la remarque de M. le ministre sur le « parent proche » –, je retiens qu’il serait peut-être un peu délicat de modifier la durée du congé exceptionnel en fonction du degré de parenté. Je retire donc l’amendement.

Reste que je souhaite que, dans un prochain texte, nous puissions revenir sur la question des congés exceptionnels accordés pour le décès du père ou de la mère.

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié est retiré.

Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d'un enfant ou d'un conjoint
Intitulé de la proposition de loi

Article 2

(Suppression maintenue)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi tendant à allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d'un enfant ou d'un conjoint
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Intitulé de la proposition de loi

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Barbier et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi tendant à allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d'un enfant, d'un conjoint ou d'un parent proche

Cet amendement a été précédemment retiré par son auteur.

Vote sur l’ensemble

Intitulé de la proposition de loi
Dossier législatif : proposition de loi tendant à allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d'un enfant ou d'un conjoint
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Godefroy. Le groupe socialiste, tout en regrettant le retard qu’entraînera l’adoption de l’amendement de notre collègue Gilbert Barbier, votera la proposition de loi.

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Le groupe écologiste votera la proposition de loi, tout en regrettant également le retard pris du fait de l’adoption de l’amendement n° 1 rectifié.

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.

M. Jean-Noël Cardoux. Je tiens à rendre hommage à notre collègue Gilbert Barbier, qui a eu la sagesse de retirer son amendement n° 2 rectifié. Cela facilitera une adoption rapide à l’Assemblée nationale, car je pense que tout le monde sera à peu près d’accord sur l’ajout du terme « concubin ». Prenez ce geste en considération, monsieur le ministre, et essayez de faire inscrire le texte très rapidement à l’Assemblée nationale.

Le groupe UMP votera bien entendu la proposition de loi ainsi modifiée.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi tendant à allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d’un enfant ou d’un conjoint.

(La proposition de loi est adoptée.)

M. le président. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d'un enfant ou d'un conjoint
 

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Dépôt de documents

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la contre-expertise de l’évaluation socio-économique du projet de construction du réseau de transport public du Grand Paris/Tronçon Olympiades-aéroport d’Orly (ligne 14 sud), accompagnée de l’avis du Commissariat général à l’investissement.

Acte est donné du dépôt de ces documents.

Ils ont été transmis à la commission des affaires économiques, à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, ainsi qu’à la commission des finances.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

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Lutte contre le terrorisme

Adoption d’une proposition de résolution européenne

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission des lois et de la commission des affaires européennes, de la proposition de résolution européenne présentée au nom de la commission des affaires européennes, en application de l’article 73 quater du règlement, relative à la lutte contre le terrorisme et tendant à l’adoption d’un Acte pour la sécurité intérieure de l’Union européenne, par M. Jean Bizet et plusieurs de ses collègues (proposition n° 350, rapport et texte de la commission n° 369).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean Bizet, auteur de la proposition de résolution, au nom de la commission des affaires européennes.

 
Dossier législatif : proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du règlement, relative à la lutte contre le terrorisme et tendant à l'adoption d'un Acte pour la sécurité intérieure de l'Union européenne
Discussion générale (fin)

M. Jean Bizet, auteur de la proposition de résolution, au nom de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre pays a été frappé par de terribles attentats terroristes au mois de janvier. Peu de temps après, des attentats ont été déjoués en Belgique. Malheureusement, le Danemark a également été visé par des attaques meurtrières en février et les récents attentats de Tunis rappellent tragiquement, s’il en était besoin, que le voisinage immédiat de l’Europe est lui-même la cible du terrorisme djihadiste.

Après le moment de deuil et d’unité nationale qui s’est manifesté en France et en Europe, le temps est venu d’examiner les mesures de nature à combattre avec fermeté et détermination le terrorisme. La dimension européenne de ce combat est essentielle. Depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York, puis ceux de Madrid en 2004 et de Londres en 2005, l’Union européenne s’est dotée d’une stratégie et d’outils pour renforcer la lutte contre le terrorisme. On a malheureusement le sentiment que l’Europe pèche encore dans la concrétisation opérationnelle des objectifs qu’elle affiche dans ce domaine.

Dès janvier, la commission des affaires européennes, en lien avec la commission des lois, a décidé de passer en revue les différents dispositifs européens susceptibles de contribuer à la lutte contre le terrorisme, de les évaluer et d’envisager les pistes d’amélioration ou de renforcement. Dans le même temps, la commission d’enquête, coprésidée par Nathalie Goulet et André Reichardt, a mené des investigations sur les réseaux djihadistes. Elle a conclu ses travaux hier sur le rapport de notre collègue Jean-Pierre Sueur. Le Sénat manifeste ainsi sa forte mobilisation au service de la sécurité de nos concitoyens.

Au cours des dernières semaines, notre commission a entendu six communications : sur la création d’un PNR – passenger name record – européen, avec Simon Sutour ; sur le renforcement de l’espace Schengen, avec André Reichardt ; sur les déchéances de nationalité, avec Michel Mercier ; sur la création d’un parquet européen, avec Jean-Jacques Hyest et Philippe Bonnecarrère ; sur le renforcement de la coopération policière européenne notamment à travers Europol, avec Michel Delebarre et Joëlle Garriaud-Maylam ; sur la lutte contre la propagande terroriste sur internet, avec Colette Mélot et André Gattolin. Je veux remercier très sincèrement l’ensemble des rapporteurs de s’être mobilisés très rapidement. Ils nous ont livré des analyses très fines de l’état du droit et des pratiques dans les domaines qu’ils ont traités. Ils ont aussi formulé des propositions très pertinentes, qui ont donné lieu à des échanges fructueux au sein de la commission.

À partir de ces différentes contributions, la proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd’hui a été élaborée. Elle a fait l’objet d’une concertation approfondie entre les différents rapporteurs et avec la commission des lois.

Je veux remercier chaleureusement le président Philippe Bas et l’ensemble de la commission des lois de leur investissement dans cette démarche. Permettez-moi de saluer tout particulièrement le travail effectué par Jean-Jacques Hyest, qui va nous présenter dans un instant son rapport. Comme à son habitude, il a procédé à un examen approfondi et rigoureux du texte. À son invitation, la commission des lois a entériné la proposition que nous avions préparée. Cette convergence de vues entre nos deux commissions mérite d’être relevée ; elle n’est pas nouvelle. La commission des lois a toutefois jugé préférable de dissocier du texte les deux points qui concernaient les déchéances de nationalité. Cette décision a suscité en moi une certaine émotion, mais les grandes douleurs sont muettes… (Sourires.)

Notre collègue Michel Mercier, fort de son expérience de garde des sceaux, nous avait livré une analyse remarquable des conventions européennes et internationales applicables dans ce domaine. Je veux l’en remercier. Nous nous rangeons néanmoins aux arguments juridiques du rapporteur, qu’il vous exposera dans un instant et qui ont reçu l’assentiment de Michel Mercier.

Je veux souligner que cette question devra nécessairement être reprise dans un autre cadre. Nos concitoyens nous le demandent. Avoir la nationalité française est un honneur, permettez-moi de le souligner. Cela emporte non seulement des droits, mais aussi des devoirs. Ceux qui portent atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État ou qui commettent des attaques terroristes n’en sont pas dignes.

Le rapporteur nous présentera plus en détail le contenu de la proposition de résolution européenne. Pour ma part, j’insisterai sur la philosophie qui l’anime.

Le terrorisme porte une atteinte directe aux valeurs fondamentales de l’Union européenne. Au nom de ces valeurs, les citoyens sont en droit d’exprimer des attentes fortes quant à leur sécurité. Une menace terroriste grave et sans doute durable pèse désormais sur les sociétés européennes. Elle justifie une réponse commune de façon urgente. Dans le même temps, chacun est bien conscient qu’une réflexion doit être conduite sur les causes profondes du phénomène terroriste et sur les moyens d’y remédier dans la durée. Pour cela, il faut des actions communes, notamment dans le domaine éducatif.

Pour tous ces motifs, il nous paraît nécessaire de promouvoir une action antiterroriste commune. C’est ce que nous avons dénommé « Acte pour la sécurité intérieure de l’Union européenne ». C’est bien l’idée que l’Union doit s’engager par une série d’initiatives législatives ou opérationnelles. C’est ainsi qu’elle jouera tout son rôle pour assurer la protection de ses citoyens face à la menace terroriste.

Je veux insister sur l’importance de la coopération policière et judiciaire.

Nous disposons d’un outil intéressant avec l’agence Europol, à laquelle nous avons rendu visite l’an passé. Il faut mieux l’utiliser.

Eurojust, que nous avons également visitée, doit aussi monter en puissance.

Nous avons besoin d’un parquet européen. Le Sénat veut que ce parquet soit collégial et décentralisé – nous nous étions penchés sur cette question, voilà quelque temps, sous l’autorité de Simon Sutour. Ses compétences doivent être étendues à la lutte contre la criminalité grave transfrontière. Les réseaux criminels et terroristes se moquent des frontières. L’action policière et judiciaire pour les mettre hors d’état de nuire ne doit pas être entravée par les cloisonnements entre États membres

Le contrôle aux frontières extérieures doit être renforcé, notamment à travers l’agence FRONTEX. Nous voulons des gardes-frontières européens. Le Sénat le demande depuis longtemps. André Reichardt l’a souligné, il faut aussi réviser le code frontières Schengen pour faciliter les contrôles qui s’imposent.

Il est urgent de mettre en place un mécanisme européen de recueil des données sur les passagers des vols aériens, un système PNR européen. Nous avons plaidé dans ce sens auprès de nos collègues du Parlement européen, que nous avons rencontrés la semaine passée à Bruxelles. Sur le rapport de Simon Sutour, le Sénat a pris clairement position pour un tel mécanisme tout en l’assortissant de toutes les garanties pour la protection des données personnelles.

À Bruxelles, nous avons aussi rencontré le coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove. Il nous a confirmé la réalité de la menace que nous connaissons. Je retiens de cet entretien que la volonté ferme affichée par les États membres pour agir ensemble ne se traduit malheureusement pas suffisamment sur le plan opérationnel. D’où un accueil très positif fait à la démarche du Sénat et à la proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd’hui.

Nous sommes sous une menace constante. Pourtant, il ressort de nos contacts avec M. de Kerchove et M. Claude Moraes, président de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen, qu’il existe une carence au niveau européen sur la coordination et l’échange des informations. Il faut y remédier de façon urgente.

L’entretien que nous avons eu avec M. Moraes et une députée européenne néerlandaise a été assez tendu. Ce jour-là, à Bruxelles, nous étions dans notre rôle pour bien leur faire comprendre l’urgence de la demande et l’attente de la population française sur cette question. Il nous a semblé quand même que le Parlement européen n’était pas tout à fait conscient de ce qui se passait sur son territoire.

Internet est malheureusement utilisé pour faire l’apologie de la violence terroriste. C’est pourquoi nous souhaitons impliquer davantage les acteurs privés de l’internet dans la lutte contre le terrorisme. Nos collègues André Gattolin et Colette Mélot se sont penchés attentivement sur ce dossier.

Plus de coopération internationale est aussi nécessaire. Aucun pays ne peut vaincre seul ce fléau du terrorisme. Une mobilisation internationale est indispensable. Tous les instruments doivent être pleinement utilisés et régulièrement évalués. C’est ce que nous demandons.

Avant de conclure, je veux insister sur le rôle de la coopération entre les parlements nationaux pour faire progresser la lutte contre le terrorisme. En la matière, unir nos forces est plus que jamais nécessaire. Les citoyens nous le demandent.

Nous sommes tous d’accord pour dire que la sécurité est une responsabilité éminente des États. Le traité le rappelle à juste titre. Mais, dans le respect des compétences étatiques, la coopération européenne peut jouer un rôle appréciable. C’est pourquoi, avec le président Gérard Larcher, nous avons pris l’initiative d’associer d’autres parlements nationaux à la démarche du Sénat. Une réunion parlementaire européenne sur la lutte contre le terrorisme s’est tenue lundi dernier. Plusieurs de nos collègues étaient présents, je les en remercie. Les assemblées d’États membres de l’Union européenne ayant été confrontés à des actes terroristes étaient représentées : le Bundesrat allemand par M. Friederich, que nous connaissons bien ici, le Parlement danois, les Cortes espagnols, la Chambre des Lords britannique, représentée par notre ami lord Boswell. La Saeima de Lettonie, pays qui assure la présidence de l’Union européenne, était également représentée.

Une déclaration commune rappelant les principes fondamentaux et les actions prioritaires au niveau européen a conclu cette réunion. Nous avons ainsi souligné la solidarité et l’engagement des parlements nationaux. Nous avons envoyé un signal fort aux institutions européennes afin qu’elles prennent rapidement les décisions nécessaires.

Ce sera la responsabilité des parlements nationaux de suivre les décisions qui seront prises au niveau européen – c’est en quelque sorte ce que nous connaissons tous, à savoir le service « après-vote ». Ils devront s’assurer que la volonté existe et qu’elle se traduit dans les faits par des actions réellement opérationnelles.

Toute défaillance de l’Union européenne pour apporter les réponses adéquates en soutien de l’action des États membres ne serait ni comprise ni acceptée par nos concitoyens.

Telles sont les précisions que je souhaitais apporter au début de notre débat. Telle est la démarche qui nous a guidés dans l’élaboration de ce texte. Je tiens une nouvelle fois à souligner qu’il s’agit d’un travail collectif, sérieux et approfondi.

En adoptant cette proposition de résolution européenne, le Sénat adressera au Gouvernement une contribution de nature à mieux protéger les citoyens. Je suis persuadé qu’il recevra notre message cinq sur cinq. (Applaudissements sur la plupart des travées.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les États membres de l’Union européenne font face à une menace terroriste qui s’est récemment aggravée. Ils sont en particulier confrontés au départ de certains de leurs ressortissants ou de leurs résidents, parfois mineurs, vers des zones où opèrent des groupes terroristes. Le retour de ces personnes soulève des questions de sécurité pour l’ensemble des États membres.

Je rappelle que l’Union européenne est déjà intervenue en matière de terrorisme à de nombreuses reprises.

À l’aune des évolutions récentes des menaces, la commission des affaires européennes a étudié les différents domaines dans lesquels le cadre juridique ou la coopération actuels pourraient être améliorés.

La présente proposition de résolution européenne, présentée en application de l’article 88-4 de la Constitution, incite les institutions de l’Union européenne à adopter un acte législatif portant sur une législation antiterroriste commune, dénommé Acte pour la sécurité intérieure de l’Union européenne. Le texte préconise en premier lieu d’améliorer les mécanismes existants. Il propose en second lieu des modifications du cadre juridique.

J’évoquerai tout d’abord la nécessité de mieux faire fonctionner les mécanismes existants.

En matière de coopération policière et judiciaire, le texte souligne l’importance d’Europol et d’Eurojust dans la lutte contre le terrorisme et appelle à une amélioration du fonctionnement de ces deux structures, en insistant sur le fait que la transmission d’informations par les États devrait être plus systématique.

En outre, les auteurs de la proposition de résolution estiment qu’il est nécessaire de renforcer les moyens matériels de ces deux structures.

Le bilan d’Eurojust témoigne effectivement d’une coopération entre États encore trop faible puisque Eurojust ne traite aujourd’hui que 1 576 dossiers, à grande majorité bilatéraux, alors que tout l’intérêt de cette structure est de traiter des dossiers impliquant plusieurs États. J’ajoute que, en 2013 – année des dernières statistiques disponibles –, seuls dix-sept dossiers ont été enregistrés par Eurojust sur le sujet du terrorisme.

De plus, les équipes communes d’enquête, qui favorisent l’échange d’informations sans passer par les canaux traditionnels de l’entraide judiciaire, sont encore peu utilisées.

Le code frontières Schengen, dans sa rédaction actuelle, donne de larges marges de manœuvre aux États membres.

Les auteurs de la proposition de résolution souhaitent ainsi que, à droit constant, des « indicateurs de risque appliqués uniformément par les États membres » permettent d’exercer des contrôles approfondis de ressortissants de l’espace Schengen lorsqu’ils y entrent ou en sortent. Le texte appelle à juste titre à poursuivre la politique de prévention de la radicalisation.

La première stratégie de l’Union européenne visant à lutter contre la radicalisation et le recrutement de terroristes date de 2005. En 2010, un programme plus complet, mêlant approche policière et approche préventive, a été développé par le biais de groupes thématiques dédiés à différents aspects de la lutte contre la radicalisation. L’efficacité de cette initiative est en grande partie liée à la participation effective des États membres.

Enfin, la proposition de résolution rappelle l’importance d’une diplomatie active de l’Union européenne à l’égard des pays tiers, voisins de l’Union européenne ou limitrophes de zones où opèrent des groupes à caractère terroriste. Les pays du Maghreb doivent ainsi faire l’objet d’une attention toute particulière.

J’évoquerai maintenant les évolutions du cadre juridique proposées.

Les délégations de l’Union européenne du service européen pour l’action extérieure restent aujourd’hui très orientées sur la politique de développement et de coopération et sont effectivement peu sensibilisées aux questions de sécurité.

Par ailleurs, le texte propose de faire évoluer le cadre juridique actuel.

L’Union européenne veille à l’élaboration d’une définition uniforme et exhaustive du terrorisme par les États. Ainsi, la décision-cadre du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme donne une définition précise du terrorisme, empruntée aux traditions des États membres. Cette directive a été révisée et complétée par la décision-cadre du 28 novembre 2008 afin d’ajouter aux infractions terroristes de nouveaux comportements, essentiellement l’apologie d’actes terroristes et le prosélytisme en faveur de tels actes. À cet égard, je rappelle que le Parlement français a voté une loi en novembre 2014 qui répond à ces objectifs.

Toutefois, le phénomène nouveau de nationaux ou de résidents européens s’enrôlant dans des groupes terroristes, identifié comme une menace particulière par l’ONU dans la résolution n° 2178 du 24 septembre 2014 du Conseil de sécurité, justifie des évolutions du cadre juridique.

J’observe qu’un comité sur les combattants terroristes étrangers et les questions connexes a été constitué le 21 janvier 2015 par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe pour rédiger un protocole additionnel à la convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme, afin de prendre en compte la résolution du Conseil de sécurité précitée.

Il est difficile de procéder à une réforme rapide du code frontières Schengen. Cependant, comme le proposent les auteurs de la proposition de résolution, il serait plus efficace pour les États de pouvoir effectuer des contrôles permanents sur les personnes définies par les critères objectifs évoqués ci-dessus. Il est donc effectivement nécessaire de réformer le code frontières Schengen pour le permettre. Cette réforme sera nécessairement longue, et il ne faut pas que, à cette occasion, l’équilibre général du code soit lui-même modifié.

L’espace Schengen a suscité, il convient de le rappeler, le développement d’un système d’information commun, plus efficace qu’une juxtaposition de systèmes indépendants.

La proposition de résolution appelle en outre à l’adoption rapide de la directive relative à la mise en œuvre d’un PNR européen, en la présentant comme une mesure indispensable pour lutter efficacement contre le terrorisme. Le PNR est un système d’exploitation et de partage des données des dossiers passagers, c’est-à-dire des données recueillies par les transporteurs lors de la réservation commerciale.

Le PNR européen désigne en réalité un mécanisme de coopération entre des PNR nationaux et non la création d’un instrument européen unique. Comme nous l’avons souvent dit, notamment à l’intention de ceux qui seraient réticents à l’instauration d’un tel système, alors que le PNR est exigé par les compagnies aériennes à destination des États-Unis, il n’existe toujours pas de transmission des informations au sein de l’Europe. Avouez que ce paradoxe est difficilement acceptable.

Un premier projet de directive de la Commission européenne en date du 6 novembre 2007 a finalement été abandonné. Une nouvelle proposition de directive est en cours de discussion au Parlement européen, comme vient de l’indiquer M. Bizet.

Je rappelle que, dans sa résolution du 15 mars 2015, le Sénat a appelé à l’adoption rapide de cette directive en constatant que le système proposé respectait les droits des personnes concernées. C’est bien entendu une préoccupation que nous devons avoir en permanence.

Le texte propose aussi de modifier le rôle de l’agence européenne pour la gestion des frontières extérieures, l’agence FRONTEX, en lui confiant un rôle particulier dans la lutte contre le terrorisme. Cette recommandation rejoint les conclusions du Conseil sur le terrorisme et la sécurité des frontières des 5 et 6 juin 2014 invitant à développer le rôle de FRONTEX en ce sens. Elle répond aux préoccupations suscitées par le retour de nationaux ou de résidents ayant rejoint des zones où opèrent des groupes terroristes.

La création d’un corps de gardes-frontières européens serait quant à elle une évolution majeure.

Enfin, le texte appelle à mettre en place un parquet européen en application de l’article 86, paragraphe 4, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et estime nécessaire d’étendre « sans délai » les compétences de ce parquet européen à la criminalité grave transfrontière. Nous avons toujours été d’ardents militants d’un parquet européen, mais tel n’est pas le cas de tous les pays.

Lors de son examen par la commission des lois, la proposition de résolution a été largement approuvée. Ses auteurs rappellent que la lutte contre le terrorisme s’inscrit nécessairement dans le cadre du respect des valeurs de l’Union européenne et de l’État de droit. À juste titre, la proposition de résolution insiste sur l’importance de mieux faire fonctionner ou d’améliorer à droit constant les dispositifs existants, en renforçant l’implication des États.

Toutefois, il peut être observé que la coopération entre Eurojust et Europol est également largement perfectible. Ainsi, Eurojust n’accède pas de manière privilégiée aux fichiers d’analyse d’Europol, notamment à ceux qui sont dédiés à la lutte contre le terrorisme. Il conviendrait donc de réviser rapidement la convention entre ces deux structures afin d’améliorer leur intégration.

En revanche, sur mon initiative, la commission a estimé que les dispositions de la proposition de résolution relatives au droit de la nationalité des États membres, qui rappellent simplement la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et le droit international applicable en matière de nationalité, ne relèvent pas du périmètre d’une résolution européenne, dans la mesure où l’Union européenne n’est que très indirectement concernée par le droit de la nationalité des États membres. La commission des lois a donc décidé de supprimer ces dispositions.

La commission des lois soumet donc à la délibération du Sénat le texte ainsi établi pour la proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la dimension européenne du combat contre le terrorisme apparaît comme un axe essentiel pour l’Union européenne. Depuis les attentats survenus à New York en 2001, à Madrid en 2004 et à Londres en 2005, l’Union européenne s’est dotée d’une stratégie et d’outils pour renforcer la lutte contre le terrorisme. Cependant, à tort ou à raison, on a le sentiment que l’Union européenne pèche dans la concrétisation opérationnelle des objectifs qu’elle affiche dans ce domaine. Ce sentiment a été conforté par les récents attentats.

La commission des affaires européennes du Sénat s’est donc penchée sur cette question complexe. Comme l’a rappelé Jean Bizet, elle a procédé à un recensement de l’existant, à une évaluation et a examiné les pistes de renforcement. Elle a entendu six communications, a recherché un certain équilibre et procédé à des compromis pour aboutir à cette proposition de résolution européenne. Celle-ci rappelle certains points importants et incontournables, comme la nécessité d’encourager la coordination des politiques des États européens dans le domaine policier et judiciaire et de renforcer les moyens d’organismes européens tels qu’Eurojust, Europol ou FRONTEX. Je soutiens ces propositions, mais il me semble toutefois que les objectifs ne sont pas clairement identifiés.

Certes, la nécessaire coopération n’apparaît pas naturelle au premier abord, chaque pays, chaque organisme ayant ses propres habitudes de fonctionnement. Tout se travaille d’abord, comme le rappelait lord Boswell, par une coopération volontaire : petit à petit, un à un, puis deux à deux, les États renforcent leur coopération. Un climat de confiance est donc nécessaire. Toutefois, il ne faut pas occulter le fait qu’il est urgent d’améliorer les mécanismes de partage de l’information entre les différents organismes et les États.

Nous soutenons ainsi la mise en place d’un PNR européen, tel qu’il a été défini dans la proposition de résolution présentée par notre collègue Simon Sutour. En revanche, la préconisation de l’usage d’indicateurs de risques apparaît assez compliquée et aléatoire et ne me paraît pas la solution la mieux adaptée. Étant donné qu’il existe déjà un grand nombre de données, il serait préférable, à mon avis, de renforcer les moyens humains, qui permettraient très certainement d’analyser plus précisément l’ensemble des informations déjà disponibles.

Évidemment, la lutte contre le trafic d’armes ou le blanchiment des capitaux servant à financer le terrorisme doit être une priorité. En cela, cette proposition de résolution européenne pourrait aller plus loin, notamment par un appel au renforcement des contrôles de fonds. Je suis conscient que de nombreux textes existent sur ce sujet. Malheureusement, comme le soulignent les auteurs de la proposition de résolution, ces textes ne sont, dans leur ensemble, pas appliqués. C’est sans doute en faveur d’une meilleure utilisation des moyens existants qu’il conviendrait, là aussi, d’agir.

Concernant le trafic des armes, nous devons nous soucier non seulement de la vente d’armes, mais également du transfert de leur propriété ou, même, du transfert de leur contrôle. De plus, il faut s’assurer que le transfert puisse être interdit dès lors qu’il existe un risque substantiel que les armes soient utilisées pour commettre ou faciliter de graves violations du droit international, ce qui suppose la mise en place de mécanismes d’assurances concernant l’utilisation et l’utilisateur finaux.

Enfin, nous ne pouvons prétendre lutter efficacement contre le trafic d’armes si nous n’instaurons pas une réelle transparence dans ce domaine. Ainsi, il me paraît important d’imposer aux États de rendre régulièrement publics des rapports concernant le commerce des armes et le résultat des mesures de contrôle mises en place.

En revanche, les points 23, 24 et 26 de la proposition de résolution européenne relatifs respectivement à la révision ciblée du code frontières Schengen, au contrôle partagé des frontières extérieures de l’Union européenne et au système d’information Schengen de deuxième génération, le SIS II, qu’il conviendrait – je cite – « de perfectionner », soulèvent certaines inquiétudes, parce qu’ils proposent des orientations trop floues. Nous pensons que, mal interprétées, ces recommandations pourraient s’appliquer négativement aux politiques migratoires ou à l’accueil des réfugiés. Ces points ne peuvent donc pas bénéficier de notre soutien.

Il en était de même de l’alinéa concernant la déchéance de nationalité, qui, fort heureusement, a été retiré en commission des lois. En effet, cette question constitue un débat franco-français, qui n’a pas sa place dans une résolution européenne. Au reste, la déchéance de nationalité pose d’autres problèmes bien plus vastes. La nationalité étant un droit fondamental, comment justifier d’en déchoir des individus ? Quelle image, quelle représentation la nation transmet-elle en agissant de la sorte ? Nous devons approfondir ce débat avant de l’élever au niveau européen.

Dans son ensemble, je trouve que ce texte traite principalement des problèmes policiers et judiciaires et qu’il évacue trop l’aspect idéologique de cette forme particulière de délinquance qu’est ce nouveau terrorisme. Pourtant, il est indispensable d’apporter une réponse éducative et sociale à ce phénomène.

À cet égard, permettez-moi de douter que les politiques d’austérité conduites dans un grand nombre de pays de l’Union européenne permettent de lutter efficacement contre le terrorisme : la misère, la peur et la défiance de l’autre, ainsi cultivées, rendent le terreau encore plus fertile.

Me semble assez révélatrice de l’état d’esprit général dans lequel la Commission européenne se trouve actuellement l’information, parue hier dans la presse, que les crédits du programme Erasmus pourraient être sensiblement diminués afin de financer le plan Juncker... Le programme Erasmus est l’un des éléments sur lesquels nous devons nous appuyer ! Les échanges européens permettent d’intégrer une réelle dimension éducative par la découverte et la compréhension d’autres cultures. Si nous ne facilitons pas l’ouverture d’esprit, ne nous étonnons pas de l’influence que les mouvements terroristes peuvent exercer sur des jeunes désorientés.

La proposition de résolution fait référence au programme Erasmus, mais pour y intégrer une dimension de sécurité informatique. C’est trop partiel. J’y insiste, nous devons davantage réfléchir aux dimensions éducative et citoyenne à l’échelle européenne.

Je crains que nous n’ayons le même problème en France. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder le récent projet de décret d’avance. Une part importante de ses dispositions concerne l’ouverture de nouveaux crédits pour le financement des dépenses liées à la mise en œuvre du plan de lutte contre le terrorisme. Or les crédits nécessaires sont pris sur des programmes comme « Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative » ou « Soutien de la politique de l’éducation nationale » ou encore sur des budgets de recherche…

Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, c’est avec regret que le groupe communiste républicain et citoyen s’abstiendra sur cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, c’est sans regret que le groupe du RDSE votera unanimement cette proposition de résolution,…

MM. Roger Karoutchi et Charles Revet. Très bien !

M. Jacques Mézard. … ce qui ne veut pas dire que nous ne comprenons pas les problèmes de fond qu’a soulevés, à juste titre, notre collègue Billout.

Les attentats perpétrés contre les citoyens européens ont démontré les difficultés de l’Union européenne à se prémunir contre une menace qui est à la fois extérieure et intérieure. Les terroristes agissent avec force et rapidité, quand les démocraties, par nature, réagissent plus lentement.

L’interférence des événements géopolitiques au Proche-Orient, au Sahel ou en Afrique dans notre vie quotidienne est incontestable. Ces dernières années ont vu la déstabilisation éclair, en particulier dans le monde arabe, de régimes peu démocratiques, bien que, pour certains, laïques : l’Irak, l’Afghanistan, la Syrie. Nous ne reviendrons pas sur ce qui s’est passé en Libye ; nous en voyons les conséquences… Il faut quand même reconnaître que les interventions militaires occidentales menées dans la région depuis un certain nombre d’années n’ont pas forcément eu des résultats positifs. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)

M. Jacques Mézard. Quand on voit ce qui s’y passe désormais, on ne peut pas dire que nous ayons gagné à la chute des régimes antérieurs, certes peu démocratiques, mais laïques. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)

M. Jean-Claude Requier. Tout à fait !

M. Jacques Mézard. Je suis de ceux qui considèrent que l’Occident a, en partie, mal fait. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.) Fallait-il armer les combattants islamistes contre des régimes laïques devenus soudainement importuns ? La question continue de se poser, tout comme celle de la reprise des discussions avec le régime syrien.

Les discussions lors de l’examen de la loi du 13 novembre 2014, puis le débat préalable au Conseil européen de février dernier ont souligné la nécessité d’organiser la lutte contre le terrorisme à l’échelle européenne. Si l’Union européenne est un espace de justice et de libertés – c’est ce que nous souhaitons tous –, fondé sur une conception résolument humaniste – pas toujours celle prônée par Bernard-Henri Lévy… (M. Roger Karoutchi s’esclaffe) –, elle se doit aussi d’être un espace garantissant la sécurité et la sûreté de ses citoyens. Il n’y aura pas de liberté sans sécurité. C’est le sens de la Déclaration de Paris sur la politique européenne de lutte contre le terrorisme, signée sur l’initiative du président du Sénat.

Les eurodéputés viennent d’adopter une résolution sur les mesures antiterroristes, demandant une feuille de route concernant le terrorisme. Dans ce contexte, la présente résolution permet au Parlement français, et donc au Sénat, de peser sur le débat. Parce que notre Europe des libertés est devenue exportatrice de terrorisme, il est urgent de coordonner les initiatives nationales et européennes. Il nous faut décliner la maxime « agir local, penser global » à la lutte contre le terrorisme à l’échelle du continent.

Comme l’a souligné Gilles de Kerchove, coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, l’Union européenne dispose d’instruments, mais la mise en œuvre efficace de ceux-ci est empêchée par certains États membres. Seulement 2 % des informations du fichier Europol concernent le terrorisme et quatre États seulement alimentent 80 % du fichier consacré aux voyageurs suspects. La France ne se situe d'ailleurs pas en très bonne place dans ce domaine... Le Parlement européen, en février dernier, a ainsi relevé que les États membres n’ont transféré que 50 % de leurs informations en matière de terrorisme et de criminalité organisée à Europol et Eurojust. L’amélioration substantielle de l’information d’Europol et d’Eurojust, outils de coopération policière et judiciaire éprouvés, et des moyens de ces agences doit figurer au nombre des priorités européennes.

Dans ce contexte particulier du départ de 3 000 djihadistes et donc de leur potentiel retour des théâtres d’opérations syrien et irakien, la question du contrôle de la circulation des personnes a pris un sens particulier. Aujourd’hui, l’espace Schengen, mis en place dans les années quatre-vingt-dix, permet une libre circulation des personnes et des biens, que le retrait de la carte d’identité n’arrêtera pas. Si nous ne pouvons empêcher les djihadistes de partir, il faut essayer de les empêcher de revenir.

Une réflexion sur le renforcement des frontières extérieures de l’Union européenne doit s’engager. Il s’agira notamment de compléter le système d’information Schengen. Le ministre de l’intérieur a demandé une adaptation du code frontières Schengen, afin que le signalement « combattant étranger » soit introduit dans le SIS. Nous espérons que les négociations aboutiront, et rapidement, au vu de l’urgence qui se fait jour. Comme nous l’avons déjà dit à l’occasion d’autres débats – nous l’avions notamment demandé en novembre dernier – et comme la présente proposition de résolution le rappelle justement, la création de la base européenne PNR doit aussi être accélérée. Ce système, permettant d’avoir des contrôles plus efficaces dans les aéroports, constitue une mesure de bon sens. Toutefois, il a été rejeté en avril 2013 par le Parlement européen, qui avait pourtant donné son aval à la conclusion d’un accord PNR entre l’Union européenne et les États-Unis.

Enfin, parce que les groupes terroristes ne sont pas autarciques, il faut poser la question du financement du terrorisme. Le ministre des finances a annoncé une série de mesures, notamment le passage du seuil de paiement en liquide autorisé de 3 000 euros aujourd’hui à 1 000 euros « pour les personnes physiques ou morales résidentes en France ». Ce seuil passera de 15 000 à 10 000 euros pour les non-résidents. Mais, là encore, il faut une volonté politique exprimée au niveau européen, et la présente proposition de résolution rappelle justement qu’il faut « tarir les sources de financement du terrorisme ». C’est absolument indispensable, et, là aussi, la rapidité est essentielle. Je ne reviendrai pas sur le tas d’or qui se trouve entre les mains de Daech, mais nous voyons bien le rôle que jouent certains États de la région dans le financement du terrorisme… Cela doit être dit et, surtout, combattu !

Les membres du groupe du RDSE considèrent que, la législation européenne ayant été récemment complétée par un paquet législatif, avalisé hier par les deux commissions parlementaires compétentes au sein du Parlement européen, l’Europe disposera d’un nouveau dispositif contre les « sociétés opaques », qui permettent au crime organisé et au terrorisme de prospérer financièrement. Le combat contre celles-ci doit être mené beaucoup plus fortement. La tâche est ardue ; elle doit signifier la victoire de nos démocraties sur ceux qui veulent les détruire. Pour ces raisons, nous voterons, unanimement, la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au Front national, cela fait des années que nous tentons d’alerter l’opinion et les gouvernements successifs sur l’urgence d’adapter notre système législatif face aux menaces terroristes.

Après les événements meurtriers de janvier 2015, le réveil est brutal, en particulier pour vous ! Vous avez ouvert les frontières. Vous avez favorisé le communautarisme, en ne mettant aucun frein à l’immigration massive et incontrôlée, qui empêche toute assimilation des nouvelles populations arrivées.

Mme Éliane Assassi. Toujours les mêmes discours !

M. David Rachline. Vous avez détricoté notre armée et notre police, affaiblissant ainsi notre pays, le mettant à la merci des fondamentalistes islamistes. Ceux-là mêmes qui, aveuglés par leur idéologie, financent et développent le djihadisme international, alimentent le fanatisme religieux. Ce sont eux qui ont attaqué Paris.

J’utilise à dessein les termes de « fondamentalisme islamiste », car ils n’apparaissent nulle part dans cette proposition de résolution. Permettez-moi de ne pas comprendre pourquoi, une fois encore, le mal qui nous attaque, qui nous menace, est édulcoré, évité et, même, manifestement caché. Nous avons besoin de nommer notre ennemi pour le combattre sérieusement. Vous ne le faites pas !

Nous ne sommes pas en guerre contre le terrorisme. Le terrorisme n’est qu’un moyen au service d’une idéologie. Nous sommes en guerre, évidemment, contre le fondamentalisme islamiste. En cachant les mots, vous voulez vous persuader que le mal est moins profond qu’il n’en a l’air. Vous fuyez sans doute la réalité.

Aujourd’hui, alors que vous nous avez dépossédés de notre souveraineté, vous venez négocier avec Bruxelles telle ou telle mesure obligeant la France à se plier aux lenteurs de la concertation entre pays de l’Union européenne, alors que la situation exige des mesures concrètes et urgentes.

Par manque de temps, je relèverai deux mesures centrales dans cette proposition de résolution.

Pour ce qui concerne la question des frontières extérieures, je suis heureux d’apprendre que, trente ans après, la sacro-sainte libre circulation des personnes est remise en question. Mais, là encore, vous faites fausse route, car je ne pense pas que la plupart des pays concernés par les frontières extérieures soient prêts à abandonner leur souveraineté sur ce point. Je ne crois pas non plus qu’un corps européen, coûteux, sera plus efficace que des gardes-frontières nationaux. Nous constatons ici les méfaits de cette Europe qui cherche désespérément à renforcer ses frontières extérieures après avoir lâchement abandonné ses frontières intérieures.

La solution est évidemment de mettre fin immédiatement aux accords de Schengen et de rétablir une surveillance nationale des frontières menée par chaque État. Il y a urgence !

Concernant la définition des infractions terroristes, il serait judicieux d’instaurer enfin la déchéance de la nationalité pour tous les pseudo-nationaux…

Mme Éliane Assassi. C’est quoi un « pseudo-national » ?

M. David Rachline. … qui partent combattre à l’étranger en vue de commettre des actes de terrorisme, qu’ils soient binationaux ou qu’ils aient acquis la nationalité française récemment. Toutefois, n’oublions pas que les auteurs des dramatiques attentats de janvier 2015, perpétrés sur notre sol, étaient français et que les solutions qui sont dans cette proposition de résolution ne les auraient donc pas concernés.

Pour le cas de ces nationaux sans autre nationalité, un éloignement temporaire du territoire de l’Union européenne, à l’instar de ce que souhaitent faire les Anglais, me semble judicieux. Quoi qu’il en soit, il nous paraît évident que seules la culture, l’identité et les valeurs de la République arriveront à faire revenir à la raison ces égarés.

Quand le Gouvernement se demande comment éviter le départ des djihadistes, nous nous demandons comment éviter leur retour. En effet, ces propositions sont insuffisantes et nous ne pouvons confier notre sécurité à l’Union européenne, qui a prouvé sa mollesse et son incapacité. Par conséquent, je voterai contre la proposition de résolution.

Mme Nathalie Goulet. C’était tellement prévisible !

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution exprime trois convictions : la lutte contre le terrorisme a une dimension européenne ; l’Europe coopérative à vingt-neuf – les vingt-huit États membres et l’Union européenne elle-même constituant un bloc à part entière – peut apporter plus de sécurité ; les mesures utiles et pragmatiques qui seront prises, tout en étant respectueuses des valeurs de l’Union européenne, pourront avoir un impact – il ne faut pas se le cacher – sur les libertés publiques. Nous sommes en effet en guerre contre le terrorisme, et cette guerre sera malheureusement durable, comme l’a rappelé M. Bizet.

La commission des affaires européennes propose un texte retravaillé par la commission des lois, sous l’égide de son rapporteur M. Hyest. Cette proposition de résolution est la synthèse des préconisations que nous estimons utiles au soutien de la lutte contre le terrorisme. Les mesures ciblées sont portées par tous les groupes du Sénat. Je remercie d’ailleurs M. Bizet d’avoir su en faire la synthèse. Cet accord est important, car notre pays pèche souvent par ses clivages politiques. Il est donc salubre que nous les portions ensemble.

La lutte contre le terrorisme pose de manière liminaire la question des libertés publiques, que nous retrouverons bientôt lors de l’examen du texte sur le renseignement. La liberté n’est pas sans limite ! Il serait ravageur de laisser penser à nos concitoyens que des mesures utiles en termes de sécurité ne seraient pas prises au motif qu’elles seraient contraires aux libertés publiques. En effet, le terrorisme menace plus les citoyens de notre pays que le PNR. Tout est bien sûr dans la recherche d’un équilibre. Je fais confiance aux autorités publiques de notre pays pour respecter cet équilibre.

Le champ de la proposition de résolution est européen. N’y cherchons pas des mesures nationales – je m’adresse en particulier à l’orateur qui m’a précédé – ou des moyens mis à la disposition de notre armée, même si nous sommes nombreux à penser que la réduction des forces est absolument intenable compte tenu des dangers qui menacent notre pays.

Le champ de la proposition de résolution est large : demande d’un Acte pour la sécurité intérieure, d’une législation commune pour la définition des infractions terroristes, d’une révision des systèmes d’information Schengen, d’un renforcement de FRONTEX et d’Europol, d’un PNR européen, lutte contre les sources de financement du terrorisme et le trafic d’armes, création d’un parquet européen... Cet énoncé démontre que les moyens de lutte sont pour partie franco-français et pour partie européens. C’est la preuve que l’Europe est aussi une solution en ce domaine. Si je devais aller un peu plus loin, je dirais que la proposition de résolution montre bien que le débat entre souverainistes et fédéralistes est périmé. Cette proposition de résolution, c’est celle d’une Europe coopérative, dont l’action collective est nécessaire pour apporter plus de sécurité.

J’aimerais revenir un instant sur les propos de l’orateur précédent, qui a manifesté son opposition aux règles de libre circulation à l’intérieur du continent européen. Or tout le monde sait que nos concitoyens sont très attachés à la libre circulation au sein de l’Europe.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très juste !

M. Philippe Bonnecarrère. Je doute que les habitants de Fréjus souhaitent se faire contrôler lorsqu’ils arrivent à Vintimille, après avoir passé Menton, ou qu’ils soient désireux de changer leurs euros en lires. Nos concitoyens alsaciens ne souhaitent sans doute pas non plus se faire contrôler en allant en Allemagne ou nos concitoyens du Sud-Ouest en partant en week-end en Espagne. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. Philippe Bonnecarrère. La libre circulation au sein de l’Europe n’est aucunement contradictoire avec la nécessité de préserver les frontières de l’Europe ; elle en est même la contrepartie évidente.

Permettez-moi, monsieur Billout, sans être discourtois, de ne pas totalement être d’accord avec le lien que vous établissez avec la pauvreté. J’ai bien saisi l’esprit de votre propos, mais il me semble que le terrorisme soulève des problèmes tout à fait différents. Les attentats à New York en 2001, à Madrid en 2004, à Londres en 2005, à Toulouse en 2012, à Bruxelles en 2014 et à Paris, Copenhague et Tunis en 2015 ne peuvent pas, à mon sens, être raccrochés à des problématiques purement sociales. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Eh oui !

M. Philippe Bonnecarrère. Pour terminer, je voudrais évoquer trois points.

Le premier a trait à la question financière. À travers la proposition de résolution, nous formulons diverses demandes, notamment celle d’un renforcement de FRONTEX.

Cet après-midi, nous avons évoqué en commission des affaires européennes le budget européen. La Commission européenne a d’ailleurs confié à M. Monti une mission sur ce sujet. Or nous devons nous montrer cohérents. En effet, nous ne pouvons pas vouloir à la fois une action européenne forte en matière de lutte contre le terrorisme tout en asséchant, comme nous le faisons actuellement, le budget de l’Europe. Il y a là une incohérence qui n’est pas tenable très longtemps. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées de l’UMP.)

Le deuxième point concerne le parquet européen. Notre commission souhaite être volontariste et a pris acte du fait que la Commission Juncker avait inscrit dans la lettre de mission adressée à Mme Georgieva un objectif de mise en œuvre du parquet européen en 2016 selon les modalités qui ont été rappelées par M. Hyest et par M. Bizet. Cet objectif nous paraît nécessaire, dans la mesure où un parquet européen collégial et décentralisé nous semble être un élément important pour la sécurité de nos concitoyens.

Le troisième point porte sur Eurojust, dont nous avons rencontré les représentants il y a à peine une semaine à Bruxelles. À cette occasion, certaines propositions ont été formulées concernant la réglementation, en particulier en matière d’incrimination pénale ou de preuves électroniques recueillies dans un autre État membre. Je me permets de signaler en particulier une proposition de nature pratique : compléter le dispositif d’interconnexion électronique des casiers judiciaires – le dispositif ECRIS – par la mise en place d’une unité centrale dédiée au récolement des condamnations prononcées. Un tel dispositif existe déjà pour les condamnations prononcées à l’égard des ressortissants européens, mais nous avons eu la surprise d’apprendre que les condamnations prononcées en France ou dans un autre État membre contre des ressortissants non européens n’étaient pas interconnectées avec l’Allemagne ou l’Angleterre, par exemple.

M. Alain Gournac. Absolument !

M. Philippe Bonnecarrère. Une telle faiblesse me paraît difficilement acceptable. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP, du RDSE et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.

M. Simon Sutour. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution relative à la lutte contre le terrorisme que nous examinons aujourd’hui au Sénat est l’aboutissement d’un travail de fond entrepris sur cette question. J’ajouterai même qu’il s’agit d’un travail collectif. En effet, ce ne sont pas moins de dix rapporteurs qui ont travaillé sur les différents volets pour présenter aujourd’hui une proposition de résolution commune à quasiment tous les groupes. L’ensemble de nos évaluations, observations et préoccupations présentées en commission des affaires européennes y figurent : la création d’un PNR européen, le renforcement de l’espace Schengen, la question de la nationalité, la création d’un parquet européen, le renforcement de la coopération policière européenne et, enfin, la lutte contre la propagande terroriste sur internet.

En tant que rapporteur de la résolution sur le PNR adoptée le 15 mars dernier et en tant que vice-président de la commission des affaires européennes, je me félicite que la question de la lutte contre le terrorisme soit désormais une priorité en Europe. De même, je me félicite du travail collectif que nous avons entrepris, sous l’égide de notre président Jean Bizet. Un large consensus de notre assemblée aidera le Gouvernement dans les négociations qu’il mène au niveau du Conseil européen.

La France, vous le savez, a été tragiquement touchée, mais avant elle l’Espagne, la Belgique et depuis le Danemark l’ont été aussi. Il était temps d’agir, d’agir rapidement et raisonnablement. Comme notre Premier ministre, M. Valls, l’a dit, nous devons prendre en la matière des mesures exceptionnelles, mais pas des mesures d’exception.

Je l’ai déjà indiqué à cette tribune, les outils pour lutter contre ce fléau existent. Si la France dispose d’un arsenal législatif plutôt complet en la matière, l’Europe n’en est pas non plus dépourvue. Entre les instruments spécifiques que l’on connaît, ceux que l’on découvre ou redécouvre et ceux qu’il faut remanier, nous avons les moyens de lutter contre le terrorisme. Il faut s’en servir.

Cette réponse européenne doit bien évidemment être en phase avec l’évolution des menaces, mais, en tant que parlementaires, nous avons aussi le devoir de défendre un équilibre entre exigence de sécurité et respect des libertés publiques, qui sont au fondement même de notre République. Le point d’équilibre entre des mesures sécuritaires et la garantie des droits fondamentaux est, je dois le dire, une priorité. Dans notre assemblée, ce point d’équilibre semble avoir été trouvé. En effet, la proposition de résolution dont nous avons à débattre aujourd’hui est une synthèse des travaux du Sénat. Si elle donne la position d’une très grande majorité de sénateurs, puisqu’une quasi-unanimité semble se dessiner à ce sujet, elle revêt dans le contexte actuel un caractère beaucoup plus important encore, comme je l’ai indiqué précédemment.

Elle va tout d’abord permettre au gouvernement français d’être renforcé dans les discussions qu’il a avec les instances de l’Union européenne et les exécutifs des pays membres. Elle va également nous permettre, à nous, parlementaires français, d’être audibles lorsque nous rencontrons, à quelque niveau que ce soit, des interlocuteurs en prise avec ces questions. Ce fut le cas la semaine dernière, lorsque la commission des affaires européennes s’est rendue à Bruxelles ou encore avant-hier, au Sénat, lors d’une réunion avec les représentants des parlements nationaux d’Allemagne, du Royaume-Uni, du Danemark, de l’Espagne et de la Lettonie consacrée à la lutte contre le terrorisme en Europe. Il est très important que les parlements nationaux agissent et marquent ces questions européennes de leur poids, car le Parlement européen est bien souvent un frein en la matière. Il faut donc veiller à ne pas le laisser seul.

Pour suivre ces questions de près depuis de nombreuses années, notamment celles relatives au PNR et à la protection des données personnelles, je sais que les discussions sont très ardues. C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite saluer l’action et la détermination du Gouvernement.

Je ne vais pas entrer dans le détail de chacun des points de la proposition de résolution – œuvre collégiale – qui ont été ou seront abordés par mes collègues. Je souhaite mettre l’accent sur deux points en particulier : le PNR et les moyens non militaires antiterroristes que sont les services de renseignement, de police et de justice Europol et Eurojust.

Concernant le passenger name record – il vaudrait mieux employer le français et dire « dossier de réservation des passagers » –, la position du Sénat est claire puisque le 15 mars dernier la proposition de résolution sur la proposition de directive relative à la création d’un PNR européen que je vous ai présentée, chers collègues, est devenue résolution du Sénat.

Cette proposition de directive relative à l’utilisation des données des dossiers pour la prévention et la détection des infractions terroristes a été présentée par la Commission européenne en 2007 et refondue en 2011. L’objectif poursuivi est d’harmoniser et d’encadrer juridiquement les PNR nationaux. En effet, je tiens à souligner que le PNR suscite de nombreuses interrogations et appréhensions auprès de certains de nos collègues, notamment au sein du Parlement européen. Je veux simplement leur dire que la situation actuelle, c’est-à-dire l’empilement de PNR nationaux que chaque État fait dans son coin, est infiniment plus préoccupante du point de vue du respect des droits fondamentaux que l’adoption d’une législation européenne commune.

M. Yves Détraigne. Tout à fait !

M. Simon Sutour. Mettre en place cet outil à l’échelle de l’Europe pour combattre le terrorisme est la meilleure garantie d’un niveau élevé de protection des données et du respect de la vie privée.

De plus, il est assez surprenant de constater que les discussions sur la lutte contre le terrorisme au niveau européen se cristallisent sur cette question. En effet, dans une précédente résolution et sous la pression de certains États membres et de leurs parlements nationaux – notamment de notre Sénat –, la directive de la Commission a largement été remaniée pour une meilleure prise en compte des questions relatives aux données personnelles.

Par ailleurs, en vue d’encourager l’adoption de PNR, l’Europe finance, à hauteur de 50 millions d’euros, via le programme « Prévenir et combattre la criminalité », la création de systèmes PNR nationaux dans dix-neuf États membres, dont la France.

Je voudrais rappeler que le Sénat a bien joué son rôle. Je me souviens que nous avions évoqué la réserve parlementaire – qui n’a rien à voir avec celle dont on parle le plus souvent – au début de mon mandat de président de la commission des affaires européennes en demandant au gouvernement précédent de prendre une certaine position au sein du Conseil européen. Cela nous a permis de disposer d’un texte plus protecteur des libertés, assez abouti, mais souffrant de blocages – je n’aime pas ce mot – au niveau du Parlement européen.

Pour l’heure, le PNR est tenu par les compagnies aériennes, qui collectent les données utiles telles que le nom, la date du voyage, l’itinéraire, les moyens de paiement, la nature des bagages à chaque réservation faite par un passager. Il n’existe malheureusement pas de fichier central consultable par les autorités de police de chaque pays.

La mise en place d’un PNR européen permettrait notamment de lutter contre le phénomène des combattants étrangers. Dans les faits, il y a déjà des PNR aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans de nombreux autres pays européens ; le Premier ministre a annoncé que le PNR français devrait être opérationnel à l’automne 2015.

Des accords bilatéraux avec les États-Unis et l’Australie existent : les compagnies aériennes sont tenues de transmettre des données pour avoir la possibilité de faire atterrir leurs avions sur ces territoires. D’autres États, tels le Mexique, la Russie ou l’Arabie saoudite exigent désormais des compagnies aériennes la communication de leurs données PNR. Le Japon, la Corée du Sud, le Brésil, les Émirats arabes unis, le Qatar, de même que la Nouvelle-Zélande envisagent de le faire.

L’encadrement juridique est essentiel tant pour les voyageurs que pour les transporteurs aériens européens. L’existence d’un accord doit assurer aux voyageurs un niveau de protection des données satisfaisant. Quant aux compagnies aériennes, il est essentiel de leur garantir un cadre juridique sûr : en l’absence d’accord, elles seront exposées soit à se mettre en contradiction avec le droit de l’Union si elles transmettent des données, soit à des mesures de restriction de vols de la part des autorités des États tiers.

Le débat oppose, d’un côté, la Commission européenne et la majorité des États membres, qui souhaitent l’adoption rapide d’un PNR européen, et, de l’autre, un Parlement européen réticent, craignant pour les droits fondamentaux et ayant déjà rejeté, en avril 2013, la proposition de directive. Ce débat est utile, mais il ne doit pas tout bloquer. Or le « blocage » en question est lié au fait que cette proposition de création d’un PNR européen soit examinée selon la procédure de codécision qui met sur un pied d’égalité Parlement européen et Conseil.

L’entretien que nous avons pu avoir – Jean Bizet y a fait allusion – à Bruxelles le 24 mars dernier avec M. Claude Moraes, président de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen et Mme Sophie In’t Veld, eurodéputée néerlandaise et vice-présidente du groupe libéral, a été très constructif. Ils se sont tous deux montrés très réceptifs à notre souhait de voir ce dossier se débloquer rapidement et nous ont affirmé que les discussions avançaient de manière positive, si bien qu’un accord pourrait être trouvé au Parlement européen d’ici à la fin de l’année. Un compromis semble enfin se dessiner. Cela serait d’autant plus souhaitable qu’en cas d’accord sur le PNR européen, sa mise en œuvre effective ne pourra se faire avant dix-huit mois. Or il faut agir rapidement, car l’internationalisation de la menace terroriste constitue aujourd’hui l’une des principales menaces auxquelles l’Europe doit faire face.

Concernant Europol et Eurojust, le concept de « guerre contre le terrorisme » n’est pas adapté et peut même être contre-productif. L’outil militaire peut s’avérer parfois nécessaire pour surveiller des routes maritimes internationales et détruire des bases utilisées par les réseaux terroristes dans des zones de non droit. Pour autant, les réseaux terroristes prennent de moins en moins la forme d’organisations structurées et centralisées, ce qui rend primordial le développement de moyens non militaires antiterroristes que sont les services de renseignement, de police et de justice.

Au niveau européen, les missions dévolues à Europol apparaissent fondamentales. Or – je reprends ici les termes mêmes de la proposition de résolution – nous avons le sentiment que le potentiel des agences Europol et Eurojust pourrait être développé.

Je formulerai une proposition concernant les équipes communes d’enquête. Créées par une décision-cadre du Conseil de 2002, elles associent pour des opérations limitées dans le temps des personnels d’un ou plusieurs États membres, auxquels peuvent se joindre des représentants d’Europol, d’Eurojust ou même d’Interpol.

Nous estimons que ces structures pourraient être efficaces dans la lutte contre le terrorisme et proposons de mettre en place des dispositifs facilitant le recours, par les États membres, à ces équipes communes d’enquête. J’ajoute que l’idée de missions « mixtes » associant Europol et agences nationales pourrait participer de cette construction d’une culture commune du renseignement qui nous fait encore malheureusement défaut.

Enfin, je souhaiterais évoquer la question du financement du terrorisme, qui constitue un volet important de la coopération juridique. Il convient de faciliter la traçabilité des flux financiers européens en relançant l’idée d’un programme de traque. À cet effet, nous souhaitons favoriser l’adoption rapide de la proposition de quatrième directive du Parlement européen et du Conseil relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.

Le développement des accords bilatéraux de l’Union européenne avec les États tiers par lesquels transitent les transactions financières criminelles constitue une priorité. Le gel et la saisie des avoirs du crime organisé doivent être facilités au niveau européen, mais également au niveau national, ce qui suppose une transposition en droit interne.

J’aurais pu développer de nombreux autres aspects sur lesquels l’Europe doit avancer. Je suis néanmoins optimiste quant à la réaction des Européens.

Aujourd’hui, il est temps pour l’Europe de donner des réponses claires à ses citoyens qui la voient trop souvent comme une somme de contraintes. L’Europe est là pour assurer non seulement leur sécurité, mais aussi et surtout un haut niveau de garantie de leurs droits fondamentaux. Ne pas réagir, c’est donner des arguments aux eurosceptiques et aux populistes.

Vous l’aurez compris, c’est avec enthousiasme que le groupe socialiste votera la proposition de résolution européenne relative à la lutte contre le terrorisme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, du RDSE et de l’UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, avant d’en venir au texte que nous examinons et pour lequel j’ai été corapporteur avec ma collègue Colette Mélot au sujet de la lutte contre le terrorisme sur internet, je souhaite saluer le rôle proactif de notre assemblée ces derniers mois sur ce sujet. Cela a permis au Sénat d’être un acteur moteur dans un important travail de coopération européenne entre parlements nationaux, reflétant ainsi leur implication institutionnelle croissante, pleinement consacrée depuis le traité de Lisbonne.

Face à une menace si grave, les citoyens – français comme européens – ont légitimement le droit de réclamer que leur sécurité soit garantie. Nous ne pouvons passer sous silence cette attente de tous. Nous avons le devoir, dans le respect de nos valeurs démocratiques et de notre attachement aux libertés fondamentales, d’honorer cette requête.

Le groupe écologiste votera donc en faveur de cette proposition de résolution européenne, malgré des réserves parfois sérieuses sur certains de ses éléments. Nous la voterons, car elle a le grand mérite de mettre l’accent sur deux maîtres mots de la stratégie antiterroriste – la coopération et la prévention –, notamment à travers d’importantes actions de sensibilisation et de pédagogie dans la lutte contre la radicalisation au sein de nos sociétés.

Ce texte incite également à combattre efficacement les sources de financement du terrorisme et le trafic d’armes à feu et exhorte à l’instauration rapide d’un parquet européen, collégial et décentralisé.

Il soulève aussi l’enjeu capital de la sécurité informatique dans des sociétés où la numérisation fulgurante et automatique des données rend fragiles tous les secteurs d’activité face à des cyberattaques d’envergure.

Enfin, l’évaluation systématique des instruments existants, ainsi que de ceux préconisés, est fondamentale, car elle permet d’expérimenter et de réajuster ces outils sans sombrer dans le dogmatisme des solutions toutes faites sur un sujet complexe et en perpétuelle transformation.

Nous voterons également en faveur des deux amendements présentés par notre collègue Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois. Nous adhérons en effet à sa position sur le point 50 relatif aux déchéances de nationalité, en affirmant qu’il s’agit là d’une question strictement nationale soumise à des procédures purement nationales et qui n’a donc pas sa place dans ce texte.

Lors du débat préalable au Conseil européen informel du 12 février dernier, largement consacré à la lutte antiterroriste, j’ai eu l’occasion de m’exprimer sur l’importance d’une coopération européenne renforcée et d’une mise à disposition de moyens adéquats, à la hauteur de la gravité de la menace. Je ne crois pas me tromper en affirmant que nous sommes tous convaincus de ce besoin. Toutefois, il ne suffit pas d’être convaincu : les moyens alloués, comme l’a rappelé notre collègue Bonnecarrère, doivent être à la hauteur des exigences. Coordonner une opération entre corps de police d’un même État est déjà un défi en soi ; imaginez donc l’ampleur de celui qui consiste à vouloir coordonner les différents corps de police de vingt-huit États membres, ne parlant pas forcément la même langue, n’ayant pas la même expérience de la menace terroriste ni, évidemment, les mêmes cadres légaux... Comprenez donc que sans volonté et effort de coopération des acteurs opérationnels, toute incantation politique restera vaine !

En ce qui concerne la question sensible du PNR européen, les principaux points d’achoppement sont, comme j’ai déjà pu l’exprimer au sein de cet hémicycle, la durée de rétention des données et la surveillance et le ciblage de masse. Une telle surveillance est en effet lourde et potentiellement très coûteuse, alors que la coopération policière et judiciaire manque déjà de moyens. Elle est aussi moins efficace qu’une surveillance ciblée, car elle rallonge la durée d’analyse des informations reçues.

Le Parlement européen s’est finalement prononcé le 11 février dernier pour la création d’un PNR européen d’ici à la fin de 2015 tout en garantissant le respect des libertés individuelles, comme l’exige la Cour de justice de l’Union européenne. Le texte que nous étudions adopte une position similaire en prenant le soin d’assurer la protection des données personnelles. Nous sommes conscients que l’alternative à cet outil serait vraisemblablement la juxtaposition de vingt-huit PNR nationaux en dehors de tout cadre de coopération, ce qui ne serait évidemment pas une meilleure solution.

Par ailleurs, je ne suis pas pleinement convaincu de l’utilité de réviser le code frontières Schengen, car, comme nous avons pu le constater, ces actes terroristes tendent à être de plus en plus endogènes et perpétrés par ce qu’on appelle des « loups solitaires » qui ne sortent pas du territoire national.

Pour combattre le terrorisme à l’échelle transnationale, l’Union européenne doit s’inscrire aussi dans une stratégie globale. En effet, il apparaît crucial que son action ne soit pas sectorisée à l’extrême, comme c’est trop souvent le cas, et encore moins focalisée sur la seule et stricte coopération policière et judiciaire.

Ainsi, l’Union européenne a enfin exprimé la volonté de dynamiser son industrie numérique, qui accuse un très net retard sur celle de nos principaux concurrents. C’est évidemment une bonne chose. Mais si cette volonté n’est sous-tendue que par un intérêt strictement économique, sans intégrer pleinement la question de la sécurité informatique, nous courrons, je vous le prédis, au désastre.

Si j’évoque cette question, c’est que plusieurs directives sont actuellement en discussion, et ce depuis plusieurs années déjà, notamment celle relative à la sécurité des réseaux et de l’information, dite « directive SRI », ou encore celle sur les données personnelles. Il est donc temps que cette directive SRI aboutisse et intègre pleinement les défis de sécurité informatique auxquels nous sommes confrontés. Sans cette cohérence, l’Union ne pourra intervenir qu’en réaction, alors que c’est en amont et dans une logique de prévention que nous devons d’abord agir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE et de l’UDI-UC.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre pays a pris progressivement conscience, à partir de l’année 2013, d’un phénomène quasiment inconnu jusque-là : le départ de centaines de nos jeunes compatriotes vers les zones de combat syro-irakiennes pour y rejoindre des groupes terroristes et y accomplir ce qu’ils appellent le « djihad ». On évoque ainsi quelque 1 400 ressortissants français impliqués dans ces réseaux, dont un grand nombre sont encore présents sur place et participent activement aux combats, mais également aux exactions graves que l’on sait. D’autres sont déjà de retour et constituent une menace sérieuse pour la sécurité de notre population. Les événements tragiques de janvier 2015 sont présents dans tous les esprits, et ils exigent une réaction à la hauteur de ces dangers.

Diverses mesures ont déjà été prises au niveau national et d’autres le seront encore très prochainement, mais il est clair que, même si la France semble avoir le triste privilège d’alimenter le contingent de djihadistes le plus nombreux, la lutte contre cette forme de terrorisme ne peut pas simplement et seulement être menée à l’échelle du pays : elle exige une action concertée au niveau international et d’abord, bien entendu, au plan européen. C’est pourquoi je voudrais remercier M. le président de la commission des affaires européennes, notre collègue Jean Bizet, d’avoir pris l’initiative d’une vraie réflexion sur ce sujet et de m’y avoir associé, tout particulièrement pour ce qui concerne les aspects relatifs au code frontières Schengen. Le résultat de nos travaux est cette proposition de résolution européenne, dont je m’empresse de dire qu’elle est non seulement opportune, mais particulièrement adaptée et équilibrée.

Je souhaite insister sur certains points et soulever quelques observations.

En premier lieu, je voudrais exprimer mon accord le plus total sur la demande formulée dans la proposition de résolution d’une législation antiterroriste commune qui soit rapidement adoptée par l’Union européenne sous la forme d’un « Acte pour la sécurité intérieure ». En effet, pour lutter à titre préventif contre le terrorisme, plutôt que de veiller au coup par coup à améliorer tel ou tel outil dont elle dispose déjà, il est primordial que l’Union européenne se dote d’une stratégie globale.

Certes, l’Union doit respecter les fonctions essentielles des États membres, notamment celles qui ont pour objet de maintenir l’ordre public et de sauvegarder leur sécurité nationale, mais elle doit également veiller à proposer des instruments permettant d’établir la meilleure coopération possible entre ces États. Elle doit ainsi pouvoir apporter un appui substantiel, notamment à ceux d’entre eux qui en éprouvent le besoin. Il en est ainsi, par exemple, de FRONTEX, qui devrait assurément disposer de moyens humains et financiers renforcés, en particulier ce corps de gardes-frontières européens dont le Sénat a déjà vainement demandé la création par le passé.

À cet égard, il importe d’être tout à fait intransigeant à l’avenir sur une application rigoureuse, par tous les pays concernés, de ce code frontières Schengen. Il n’est pas acceptable, comme c’est le cas actuellement, que certains États prennent des libertés avec les contrôles dont ils sont normalement responsables à leurs frontières extérieures. Sur ce point, je souscris pleinement au souhait et à la demande exprimés dans la proposition de résolution : d’une part, des contrôles approfondis et quasi systématiques des ressortissants des pays membres de l’espace Schengen doivent être effectués sur le fondement d’indicateurs de risques appliqués uniformément par les États membres lorsque ces personnes entrent et sortent de cet espace ; d’autre part, une révision ciblée du code frontières doit être engagée pour autoriser, sur le même fondement d’indicateurs de risques, des contrôles approfondis systématiques de manière permanente.

Je précise que, par « contrôle », il faut entendre non seulement le contrôle de l’authenticité des papiers d’identité, mais également celui des personnes en lien avec les dispositifs d’identification du système d’information Schengen II. Celui-ci doit d’ailleurs lui-même être perfectionné par la prise en compte de relevés ADN dans les données biométriques et singulièrement enrichi par la fourniture des informations adéquates par les États membres. Il convient en effet d’insister sur la nécessité d’une véritable coopération de tous les États au bon fonctionnement des instruments mis en place au niveau européen en matière policière et judiciaire. Sans la fourniture par chacun des États des informations nécessaires, l’efficacité de la lutte est évidemment compromise.

En deuxième lieu, je ne m’étendrai pas sur la nécessité d’une adoption urgente par le Parlement européen de la proposition de directive PNR. En qualité de sénateur alsacien – l’Alsace dispose d’un aéroport international permettant d’entrer en France ou en Suisse –, je peux témoigner aisément de la relativité, pour ne pas dire davantage, d’un PNR exclusivement français. Je voudrais plutôt conclure en apportant trois observations personnelles au débat.

Tout d’abord, l’Union européenne devrait jouer un rôle accru pour juguler au mieux l’influence des sites internet dans le phénomène de radicalisation des jeunes. Plutôt que de laisser aux différents États membres la charge de la surveillance de la toile chez eux, une véritable mutualisation au niveau européen de cette tâche apporterait une plus-value évidente en la matière.

Ensuite, les discussions avec les grands opérateurs mondiaux d’internet gagneraient à être menées à l’échelon européen afin de parvenir à une régulation commune visant à éliminer ou du moins à réduire la promotion du djihadisme sur internet.

Enfin, parce que les zones de combat, on l’a dit, se trouvent aux portes de l’Europe, il me semble indispensable que l’Union européenne développe une nouvelle forme de collaboration avec les pays du voisinage, tout particulièrement en matière de lutte contre le terrorisme. Cette collaboration pourrait naturellement porter sur un plus grand partage des informations, même si on connaît les difficultés que cela implique, mais également, j’ose le dire, sur l’attribution de moyens financiers spécifiques à cette lutte. Je pense par exemple à la Turquie, aux pays du Maghreb, bien sûr, mais aussi – pourquoi pas ? – à l’Égypte, tous pays qui, comme vous le savez, sont à la recherche de moyens accrus – c’est le cas tout particulièrement de la Turquie – pour nous aider dans cette tâche ardue.

Telles sont les observations que je souhaitais formuler sur cette proposition de résolution européenne, dont je répète qu’elle me semble bien dimensionnée eu égard à l’importance du problème, et que, bien entendu, je voterai avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.

M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme beaucoup de points ont été abordés, je n’utiliserai peut-être pas tout mon temps de parole – c’est ce qu’on dit en général au début d’une intervention… (Sourires.)

Je voterai avec détermination la proposition de résolution. S’il faut voter ce texte, c’est parce que, en réalité, on n’est pas très sûr de l’attitude du Parlement européen. En général, lorsque des parlements nationaux prennent l’initiative d’adopter une proposition de résolution européenne, c’est parce qu’ils ne sont pas très sûrs que le Parlement européen va agir. Ils veulent en quelque sorte mettre un peu de pression, faire du lobbying.

Mme Nathalie Goulet. C’est assez bien vu !

M. Roger Karoutchi. À une époque ancienne, même si elle ne remonte pas à Mathusalem, j’ai été député européen. Je suis donc toujours avec grand intérêt les travaux du Parlement européen. Or on sait bien que les politiques des États membres diffèrent en matière de sécurité et de terrorisme. Si, pour notre part, nous nous sentons directement concernés, et pas seulement du fait des attentats du mois de janvier, et si des pays comme la Belgique, l’Allemagne ou le Royaume-Uni sont très sensibles à ce risque,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. N’oubliez pas l’Espagne !

M. Roger Karoutchi. … il est très clair que certains pays d’Europe de l’Est, voire des pays d’Europe du Nord sont nettement moins allants que nous sur ces questions. Ils ont d’ailleurs beau jeu d’invoquer le respect des libertés ou le respect des droits de l’homme – principes auxquels nous ne sommes pas moins attachés qu’eux – pour refuser toute mesure sécuritaire supplémentaire.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Exact !

M. Roger Karoutchi. Nous sommes donc dans une situation où les pays directement menacés disent aux pays moins menacés : « Merci de nous aider, merci de comprendre que la lutte est européenne. »

Cela étant, et je m’adresse à certains de mes collègues, sur un certain nombre de sujets, comme sur la radicalisation via internet, s’il peut y avoir une concertation et une coordination au niveau européen, je souhaite vivement que ce soit les autorités françaises qui soient en pointe. N’oublions pas que nous disposons du système PHAROS – plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements –, qui permet de signaler les comportements illicites sur internet. Le nombre de signalements pour apologie du terrorisme sur la toile est d’ailleurs passé de 600 en 2013 à 1 600 en 2014, pour atteindre quelque 30 000 entre janvier et mars 2015 !

On est donc confronté, c’est certain, à un véritable problème : le terrorisme, la propagande terroriste et l’apologie du terrorisme ne sont pas seulement le fait des réseaux qui doivent être sous la surveillance de nos services, mais aussi, désormais, de sites internet, et on a beau les fermer, ils s’en créent d’autres. On est donc face à un véritable défi : comment faire en sorte que les autorités nationales et européennes puissent lutter contre ce phénomène ?

Je suis d’accord sur tout ce qui a été dit et proposé : Europol, renforcement de la coopération, etc. Pour autant, en l’absence d’un corps de gardes-frontières efficace, on aura beau faire toutes les déclarations que l’on veut, on aura un problème. Il en ira de même si des gouvernants ne sont pas persuadés de la nécessité de protéger les frontières de l’Union. Je rappelle tout de même qu’un ministre grec a récemment déclaré que non seulement il allait laisser le plus de personnes possible traverser la frontière de son pays, mais en plus que, s’il y avait des djihadistes dans le lot, ce serait tant mieux ! Si les responsables allemands ont réagi, car ces propos étaient dirigés contre eux, ce n’est pas vraiment le cas des responsables communautaires : en pleine négociation sur la dette grecque, vous comprenez, il ne fallait pas faire trop de vagues…

Je trouve qu’il est parfaitement anormal qu’un ministre grec puisse tenir de tels propos. Ce pays reste tranquillement dans l’Union européenne alors qu’il menace quasiment tout le reste de l’Europe en refusant de surveiller ses frontières extérieures.

M. André Reichardt. C’est scandaleux !

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. C’est de la provocation…

M. Roger Karoutchi. Oui, c’est de la provocation, mais nous sommes tous comptables du fait que certains ne jouent pas le jeu.

M. Roger Karoutchi. Oui, l’Europe doit renforcer ses instruments de lutte contre le terrorisme ! Oui, la France prend les bonnes mesures ! Dans ce domaine, je suis pour l’unité nationale – je suis plus réservé quand on nous demande de réaliser l’unité nationale sur le projet de loi Macron… Il faut soutenir le Gouvernement dans ses efforts en matière de renseignement, de renforcement de la sécurité et plus généralement de lutte contre le terrorisme. L’unité nationale doit être pour le gouvernement français une force supplémentaire sur laquelle s’appuyer pour dire à nos partenaires européens que, certes, nous faisons confiance à l’Europe, mais qu’elle ne doit pas nous décevoir, sinon son image risque de continuer à se détériorer dans l’esprit de nos compatriotes.

Faites en sorte, monsieur le secrétaire d’État, que l’Europe soit à la hauteur des attentes de nos concitoyens, qu’elle réponde à leurs craintes, faute de quoi la crise de confiance entre elle et les citoyens français ne pourra que s’aggraver. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard.

M. Pascal Allizard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avant toutes choses, je voudrais remercier la commission des affaires européennes et la commission des lois de leur travail sur ce sujet difficile. Je tiens également à saluer la récente initiative internationale prise par Gérard Larcher sur le dossier du terrorisme.

Les attentats de Paris ont fait resurgir le spectre de l’islamisme radical et du terrorisme. Pour la plupart des Français, ces derniers ne constituaient, me semble-t-il, ni une menace immédiate ni une priorité nationale.

Pourtant, le phénomène n’est pas nouveau, puisque le terrorisme islamiste a été particulièrement meurtrier en France, notamment au milieu des années quatre-vingt-dix. Permettez-moi de rappeler également, mes chers collègues, que le plan Vigipirate existe depuis 1995 et que les politiques de sécurité ont été renforcées après le 11 septembre 2001 ou l’affaire Merah, notamment.

Même si des évolutions sont impératives, et même si une meilleure application des lois existantes est peut-être souhaitable, la France est sans doute l’un des pays européens les mieux préparés. Elle doit le rester, car elle demeure une cible prioritaire.

Contrairement à leur discours, les terroristes ne portent pas un projet pour l’humanité ; ils sont plutôt, au contraire, la négation de l’humanité, au point de vouloir effacer toute trace de son passé. Cette négation culturelle s’attaque à la mémoire, aux témoignages de l’histoire et des civilisations. Je pense aux destructions des bouddhas en Afghanistan, à l’incendie de bibliothèques et mausolées au Mali. Que dire, encore, de l’acharnement à fracasser les statues préislamiques de Mossoul ou à raser la cité assyrienne de Nimrud ? À Bruxelles et Tunis, des musées ont été volontairement visés. Il nous faut réagir, et cela à la bonne proportion, car les faits criminels s’enchaînent.

Compte tenu des aspects protéiformes de la menace, la lutte contre le terrorisme n’appelle pas une réponse univoque. Elle réside dans la complémentarité entre différentes actions : des mesures défensives et offensives ; des mesures nationales, européennes – c’est le sens de notre débat – et internationales ; des mesures à court, moyen et long terme ; mais aussi, cela a été dit, des mesures sectorielles, dans les domaines du renseignement, de la défense, de la police, de la justice, de l’éducation, lesquelles devront être assorties de moyens.

Cette réponse impose aussi une prise de conscience des citoyens de la réalité de la menace et des efforts que les sociétés démocratiques devront consentir, notamment en matière de finances ou de libertés publiques.

Pour indispensable qu’elle soit, l’option strictement militaire a montré ses limites. Al-Qaïda dans la péninsule arabique, AQPA, vient encore de démontrer sa capacité de nuisance au Yémen ; Daech poursuit son expansion au Moyen-Orient et au Maghreb ; la Libye est livrée au chaos ; la Tunisie est menacée de déstabilisation.

Voilà peu, Jean-Claude Juncker appelait à la création d’une armée européenne. Ce concept daté n’a jamais vraiment pris corps et, malgré des moyens militaires en berne, la France a dû prendre, souvent seule, ses responsabilités dans le combat contre le terrorisme. Nos soldats et leurs matériels sont mis à rude épreuve dans les opérations extérieures, les OPEX, ou en soutien au plan Vigipirate. Ce point sera, je l’espère, l’objet d’un autre débat.

Le seul bienfait, si j’ose dire, de ce contexte tragique est de placer désormais les Européens au pied du mur et de ne plus laisser la place aux atermoiements.

Nous pourrions envisager une révision ciblée du code Schengen et mieux préserver nos frontières extérieures. L’agence FRONTEX doit monter en puissance et disposer des moyens adéquats.

Par ailleurs, la coopération judiciaire et policière devrait connaître une nouvelle ambition, soutenue par Europol et Eurojust.

De même, l’utilisation des données de voyage des passagers devrait être facilitée, et la lutte contre le cybercrime relancée.

Il faudra aussi lutter contre le trafic d’armes de poing et de fusils d’assaut qui fleurit en Europe, compte tenu des porosités entre le milieu du banditisme et celui du terrorisme.

Si, au final, nous réussissions à renforcer la coopération européenne en matière de sécurité et de renseignement, la lutte devra impérativement se prolonger sur le terrain des idées et des valeurs : la République de la raison contre l’obscurantisme !

L’école doit ainsi reprendre toute sa place dans la promotion de la laïcité, des valeurs de la démocratie et l’apprentissage de la citoyenneté.

M. Charles Revet. Il y a de quoi faire !

M. Pascal Allizard. Certains syndicats d’enseignants n’auraient pas tout à fait cette vision ; on peut le regretter. Il faudra, en tout cas, y travailler.

La République a cédé du terrain durant des années et, par ses renoncements, elle s’est affaiblie. L’Union européenne a fait de même. Malgré dernièrement les millions de personnes dans les rues de Paris, il existe, il faut en avoir conscience, une autre France, dont un récent rapport du renseignement soulignait les dérives, et qui prend les traits d’un communautarisme identitaire et religieux s’affichant de façon plus évidente dans les zones sensibles depuis les attentats.

J’ajoute que les déboires rencontrés récemment lors des tentatives de blocage de sites internet faisant l’apologie du terrorisme doivent aussi nous inviter à réfléchir davantage sur nos stratégies de contre-mesures.

Pour conclure, face à cette situation inédite, nous et nos partenaires européens sommes condamnés à l’action pour donner vie à la récente Déclaration de Paris. La présente proposition de résolution européenne prend alors tout son sens. Il faut donc, mes chers collègues, évidemment la voter ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Harlem Désir, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, qui est retenu en ce moment même à l’Assemblée nationale par l’examen du projet de loi relatif au renseignement par la commission des lois.

La proposition de résolution européenne relative à la lutte contre le terrorisme et tendant à l’adoption d’un Acte pour la sécurité intérieure de l’Union européenne, dont nous débattons aujourd’hui, et qui a été adoptée à l’unanimité lors de son examen en commission, est le signe de la mobilisation de votre assemblée sur ce thème et de votre large conviction de la nécessité impérieuse d’agir contre le terrorisme.

La menace reste très élevée. Le nombre de combattants étrangers n’a jamais été aussi important. La nécessité d’agir de façon conjointe à l’échelon européen n’a jamais été aussi impérieuse. Les moyens mobilisés par la France n’ont jamais été aussi grands, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de nos frontières. Mais la lutte contre le terrorisme est un impératif à la fois national et international. Elle constitue par conséquent aujourd’hui une obligation pour l’Union européenne.

Cette lutte exige de notre part une stratégie globale et une action coordonnée avec nos partenaires européens. C’est ainsi que nos efforts pour apporter des réponses à la mesure des enjeux seront efficaces dans la durée. La France joue donc, depuis plusieurs mois, un rôle moteur pour renforcer la coopération européenne dans l’élaboration d’une riposte commune à la menace terroriste.

À la suite des attentats du mois de janvier à Paris, nous avons reçu de très nombreuses marques de solidarité de la part de nos partenaires européens. Je veux les rappeler en cet instant. De nombreux chefs d’État ou de gouvernement et des représentants des institutions européennes ont répondu à l’appel du Président de la République. Ils étaient présents dans la rue, à ses côtés, aux côtés des Français, lors la marche républicaine du 11 janvier.

Cette mobilisation européenne, à nos côtés, j’y insiste, a montré que l’Europe est d’abord une communauté de valeurs, une communauté de destin, qui s’incarne dans la solidarité et la fraternité. Face au terrorisme, qui a de nouveau frappé depuis, à Copenhague comme à Tunis, tuant une nouvelle fois des citoyens européens, l’Europe a montré sa volonté de lutter avec détermination tant pour combattre les terroristes et assurer sa sécurité que pour défendre les valeurs de liberté et les principes de la démocratie.

Face au terrorisme, notre première force réside dans l’unité et la solidarité des Européens. Il serait vain, de ce point de vue, de penser que, en agissant chacun de notre côté, nous serions plus efficaces pour protéger nos concitoyens et assurer la défaite des terroristes. Tous les pays de l’Union européenne sont concernés ; tous sont menacés, même si tous n’en ont peut-être pas l’égale conscience.

C’est la raison pour laquelle, sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, le ministre de l’intérieur a proposé à nos partenaires de l’Union européenne une stratégie antiterroriste globale.

D’importantes avancées ont été réalisées au cours des derniers mois. Dès le 11 janvier, jour même de cette grande marche, une première réunion des ministres de l’intérieur des États les plus directement concernés par le phénomène de radicalisation violente et par les départs de combattants pour la Syrie et l’Irak a été organisée à Paris par le ministre de l’intérieur. Les orientations communes alors définies ont servi de cadre à la déclaration conjointe que les ministres européens de l’intérieur et de la justice ont ensuite adoptée le 29 janvier à Riga. Ces propositions ont été largement reprises dans le programme de travail arrêté par le Conseil européen du 12 février qui constitue la feuille de route de l’Union européenne en matière de lutte contre le terrorisme.

Je voudrais revenir sur trois grandes priorités en particulier, sur lesquelles nous devons obtenir des résultats dans les prochains mois, et qui recoupent celles sur lesquelles la proposition de résolution du Sénat insiste.

La première est l’adoption, d’ici à la fin de l’année, d’un PNR européen.

La deuxième est le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne.

La troisième est la lutte contre la propagande et le recrutement terroristes sur internet.

Ces trois grandes priorités concentrent l’essentiel de nos efforts au plan européen. Mais notre action comprend également d’autres volets, que plusieurs orateurs ont soulignés, comme la lutte contre le trafic d’armes, la coopération opérationnelle policière et judiciaire et l’intensification des échanges d’informations qui passe en particulier par un meilleur usage d’Europol et d’Eurojust.

La première priorité, c’est donc l’adoption d’un PNR européen, qui permette aux polices des États membres, dans des conditions de stricte protection des données personnelles, d’accéder aux listes de passagers des avions dès la réservation des billets.

Ce programme, qui concerne les dossiers de ces passagers, est un outil essentiel pour repérer ceux qui veulent rejoindre les zones de conflit ou ceux qui en reviennent, ceux que l’on appelle les « combattants étrangers », mais qui sont plutôt des terroristes. L’idée est d’avoir connaissance du moment où ces personnes effectuent ces déplacements. À travers le recensement des trajets, qui empruntent parfois des voies détournées, qui ne conduisent pas directement aux destinations en question, il s’agit aussi d’identifier les personnes en lien avec les groupes terroristes qui recrutent dans ces zones de conflit, et qui forment de futurs terroristes. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons aboutir rapidement à un texte conciliant les exigences de sécurité et la protection des données personnelles.

Dès le 12 janvier, je me suis rendu au Parlement européen pour y rencontrer son président, le président de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, et les responsables des différents groupes parlementaires, afin d’échanger sur ce sujet spécifique.

Bernard Cazeneuve et moi-même avons également reçu au ministère de l’intérieur, le 3 février dernier, les députés européens français des différents groupes du Parlement européen.

Nous avons proposé aux parlementaires européens des réponses aux questions qu’ils pouvaient soulever sur la conciliation entre la protection des données personnelles et les objectifs de sécurité. Nous avons évoqué en particulier l’inclusion de garanties concernant la protection des données personnelles dans le projet de directive PNR, comme le respect obligatoire d’un code de bonne conduite par les agents de l’Unité Information Passagers, l’UIP, et les services, ainsi qu’une formation obligatoire en matière de protection des données et des droits fondamentaux pour tous ceux qui devront traiter des données du PNR. Nous avons également abordé la question de la constitution d’une « liste blanche », afin que les passagers contrôlés à tort ne le soient pas lors d’un prochain voyage. Les listes devraient d’ailleurs pouvoir être en permanence affinées. Enfin, nous avons traité du renforcement des sanctions pénales en cas de mauvaise utilisation des données du PNR, qu’elle soit volontaire ou non.

En l’espèce, nous en sommes absolument convaincus, une réponse peut être apportée à tout argument relatif à la protection des libertés individuelles ou des données personnelles. L’objectif des gouvernements des États membres et des services de police ou de renseignement – c’est ce que nous faisons valoir auprès du Parlement européen – est bien la lutte contre le terrorisme et la criminalité internationale. Il s’agit d’assurer la sécurité de nos concitoyens, et non de procéder à un fichage au nom de je ne sais quelle arrière-pensée ; il ne pourrait d’ailleurs y avoir aucun accord européen en ce sens.

En revanche, avec la possibilité d’utiliser le transport aérien sans contrôle, il y a bien une menace réelle et imminente. Cela implique une réponse efficace immédiate.

Le 17 février, le rapporteur du projet de directive PNR au Parlement européen, M. Kirkhope, que certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont également eu l’occasion de rencontrer, a déposé un projet de rapport révisé, tenant compte de ces nouveaux éléments. C’est le signe d’une volonté nouvelle du Parlement européen de s’engager dans des discussions avec les États membres pour aboutir sur cette directive au plus vite. Le rapport contient plusieurs propositions permettant de renforcer les garanties en matière de protection et d’accès aux données, ainsi que de mettre en place le PNR européen.

En effet, comme cela a été souligné, l’autre solution serait la multiplication de systèmes purement nationaux. De toute manière, nous mettons en place un PNR au niveau national. Mais il nous semble préférable, et même indispensable, d’avoir une harmonisation et une coordination européennes des PNR. Ce sera plus efficace pour échanger des informations et moins lourd à gérer pour les compagnies aériennes.

Nos efforts de sensibilisation auprès des députés européens ont commencé à porter leurs fruits. La phase de négociation qui va s’engager est décisive. C’est en travaillant sur les textes, avec des projets de compromis robustes et documentés, que nous parviendrons à dégager un accord le plus rapidement possible.

La deuxième grande priorité, c’est le contrôle aux frontières extérieures de l’Union européenne ; beaucoup d’intervenants y ont fait référence. Il y va de la crédibilité et de l’efficacité de l’espace Schengen, qui doit protéger les Européens tout en garantissant la liberté de circulation.

Car les Européens sont attachés à la liberté de circulation. Du point de vue de la sécurité, cela n’aurait aucun sens de remettre en cause l’espace Schengen, qui est également, du fait de la constitution de ce lieu de libre circulation, un système de coordination des contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne.

Je vous le rappelle, monsieur Rachline, tous les terroristes n’ont pas forcément eu à franchir les frontières de l’espace Schengen pour commettre leurs actes.

Au demeurant, pour pouvoir identifier ceux qui franchissent ces frontières, il est préférable de travailler en coordination avec les services de police et de renseignement, ainsi qu’avec les services des aéroports des autres pays de l’Union européenne. Il est ainsi plus facile de savoir quand un individu en provenance de Syrie, d’Irak ou du Yémen tente d’entrer sur le territoire européen.

Nous devons par conséquent impérativement nous doter des moyens d’assurer des contrôles approfondis et systématiques, y compris des ressortissants européens à l’entrée de l’espace Schengen.

Les contrôles doivent être approfondis, ce qui suppose d’interroger les bases de données, principalement le système d’information Schengen, pour vérifier si la personne est signalée ou recherchée. Et ils doivent être systématiques : dans certains cas objectifs, par exemple en fonction de l’origine géographique du vol ou de la présence d’indices qui ne laisseraient aucune place au doute, tous les passagers doivent être contrôlés.

La solution est donc de renforcer Schengen, et non d’y renoncer, en améliorant les procédures de contrôle aux frontières extérieures de l’espace Schengen.

Les travaux menés actuellement vont dans cette direction. La déclaration du Conseil européen du 12 février dernier représente une étape importante. Les chefs d’État ou de gouvernement ont pris la décision de renforcer les contrôles de manière coordonnée ; j’insiste sur cette exigence de coordination. Il me paraît important que chaque pays de l’Union européenne s’engage dès maintenant en ce sens.

Aussi devons-nous établir rapidement des critères de contrôle communs – la Commission devra très prochainement proposer une liste – et les appliquer conjointement.

La France défend également une révision ciblée du code frontières Schengen. Cette idée a été reprise par ses partenaires. Il s’agit de pouvoir rendre ces contrôles systématiques, et sans motivation particulière. C’est indispensable pour combattre efficacement les évolutions de la menace terroriste.

Le code précité a été conçu à une époque où les États européens étaient confrontés à une menace terroriste différente, que l’on pourrait rétrospectivement qualifier de « conventionnelle ». Il s’agissait surtout de groupes « étanches » qui venaient de l’extérieur pour commettre des attentats en Europe avant de retourner dans leur pays d’origine, en tout cas pour qui concernait l’espace Schengen. D’autres groupes terroristes étaient liés à des conflits internes à certains pays.

Désormais, ce n’est plus le cas. La menace est diffuse ; elle est internationale et interne à la fois. Les terroristes sont citoyens de pays de l’Union européenne. Ils ont des passeports qui leur permettent très facilement d’effectuer des déplacements internationaux. Ils peuvent circuler à l’intérieur de l’espace de Schengen. Il faut donc adapter les règles de contrôle de cet espace.

Par ailleurs, la menace est, d’une certaine manière, en « accès libre », ce qui renforce sa dimension virale. En effet, nombre de ceux qui se radicalisent et finissent par basculer le font à la suite d’une fréquentation assidue de sites internet de propagande terroriste.

J’en viens donc à la troisième priorité de notre action : la prévention de la radicalisation, en particulier sur internet, et la sauvegarde de nos valeurs.

Les groupes terroristes utilisent internet pour radicaliser et recruter un certain nombre de jeunes. Leur objectif est d’amener ceux-ci à se rendre sur les théâtres de conflit, de les former, puis de leur faire commettre des actes terroristes.

Nous devons par conséquent mener une lutte déterminée contre la propagande et le recrutement terroristes sur le net. Nous ne pouvons pas laisser prospérer en toute impunité les messages appelant à la haine et au meurtre, les messages de propagande terroriste, les vidéos de torture, d’assassinat, de décapitation ou de crucifixion.

C’est pourquoi nous devons systématiser et amplifier les premières initiatives de la Commission européenne. Il s’agit de renforcer le dialogue avec les entreprises de l’internet, afin d’améliorer les procédures de signalement des sites terroristes et de permettre le retrait des contenus illicites.

Le dialogue avec les opérateurs de l’internet est nécessaire. Il sera d’autant plus efficace que l’Union européenne se sera dotée des moyens juridiques adéquats. Le droit national de certains États membres, dont la France, rend d’ores et déjà possible le retrait des contenus illicites. Il me semblerait également pertinent d’adopter de tels dispositifs au plan européen. En effet, nous parlons de réseaux internationaux et d’entreprises qui, par définition, peuvent être utilisés par les groupes terroristes, comme par tous les utilisateurs, à partir de n’importe quel lieu sur la planète.

L’Union européenne et l’ensemble des États membres doivent donc mettre tout leur poids dans la balance lors de la discussion avec les entreprises concernées. Nous encourageons évidemment aussi chaque État à instituer dans son droit interne des règles permettant la suppression ou l’interruption de la diffusion de certains contenus.

Parallèlement, nous devons développer sur internet un contre-discours pour contrecarrer les phénomènes de radicalisation et d’endoctrinement. Le Gouvernement a déjà agi en ce sens, notamment avec une vidéo qui permet de montrer la réalité des crimes commis par les terroristes et auxquels seraient amenés à prendre part les futurs recrutés.

Au plan européen, une initiative a été lancée avec l’appui de la Belgique : la création d’une équipe de communication stratégique sur la Syrie qui s’appuie elle-même sur une expertise du Royaume-Uni en la matière. Elle bénéficie de financements européens.

Nous devons d’urgence mener une réflexion sur les pratiques de cryptage qui ont été développées par les grands acteurs de la communication sur internet, notamment en réponse à ce que l’affaire Snowden avait révélé. Ces pratiques empêchent aujourd'hui l’interception de certaines communications, y compris à des fins de défense nationale ou de lutte antiterroriste.

Aussi, après s’être rendu dans la Silicon Valley voilà quelques semaines, le ministre de l’intérieur organisera une table ronde avec les acteurs internationaux d’internet à la mi-avril à Paris. Nous devons essayer d’adopter ensemble une sorte de code de bonne conduite.

La lutte contre la radicalisation et la défense de nos valeurs démocratiques supposent aussi des réponses dans le domaine de l’éducation, de la citoyenneté et de l’intégration sociale. Je n’oppose pas ces volets. D’ailleurs, Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, a réuni ses homologues à Paris voilà quelques semaines pour travailler sur le sujet. Mais cela ne nous épargnera de devoir trouver extrêmement rapidement des réponses opérationnelles en matière de sécurité.

Terrorisme interne en même temps qu’international, terrorisme « viral », terrorisme « en accès libre » : tel est donc le nouveau visage de la menace à laquelle nous sommes tous confrontés en Europe. La France se donne les moyens d’y répondre. Mais adapter notre riposte implique aussi plus que jamais de renforcer notre coopération avec les États tiers sur les questions de sécurité et de lutte contre le terrorisme.

Je pense en particulier, et cela a été évoqué également, à la coopération avec les États du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord, du Sahel, mais aussi des Balkans occidentaux.

L’Europe doit s’engager avec une très grande détermination dans la lutte contre les filières criminelles qui organisent l’immigration clandestine et le trafic des êtres humains. Celles-ci sont parfois une source de financement pour les groupes terroristes. Elles peuvent aussi être utilisées pour faire passer des terroristes. Le travail de coopération avec les États d’origine et de transit doit s’intensifier. Cela passe notamment par un soutien aux services de police et des douanes de ces États tiers. La possibilité de mettre en place un système européen de gardes-frontières a été entérinée par le Conseil européen du mois de juin 2014. Il faut continuer à soutenir cette idée. Dans l’immédiat, nous devons renforcer les moyens de l’agence FRONTEX.

Plusieurs orateurs ont souligné l’importance de faire aboutir le parquet européen, ce qui figure également dans la proposition de résolution.

Nous soutenons pleinement la création d’un tel parquet. Cette institution sera effectivement décisive pour lutter contre les comportements délictuels portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne, mais également parce qu’elle permettra de franchir un nouveau pas dans l’intégration européenne en matière judiciaire. Certes, l’objet immédiat du projet en discussion a trait aux intérêts financiers de l’Union européenne.

La mise en place du parquet est importante dans le cadre des actions de lutte contre le financement du terrorisme. Les négociations sur le texte ont avancé sous la présidence italienne, puis sous la présidence lettone actuellement. Des accords ont déjà été trouvés sur plusieurs points essentiels.

Ainsi, et cela rejoint la préoccupation du Sénat, le futur parquet européen verra le jour sous une forme collégiale, afin de garantir la pleine efficacité du dispositif. Il disposera d’une compétence prioritaire pour ouvrir des enquêtes et engager des poursuites sur les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, sur la base du modèle de compétence concurrente entre le parquet européen et les autorités nationales chargées des poursuites.

Ces principes ont été soutenus par la Haute Assemblée dans le cadre de la résolution du 28 octobre 2013, portant un carton jaune à la proposition initiale de la Commission européenne, ainsi que de la déclaration commune sur le parquet européen adoptée à Paris au mois de septembre 2014 par des parlementaires représentant dix parlements nationaux.

Un accord a également été trouvé sur le point suivant : les procureurs européens exerceront par principe la supervision des investigations menées dans leur État membre d’origine et les instructions données aux procureurs européens délégués passeront par leur intermédiaire.

Les travaux continueront avec l’objectif d’aboutir sur le parquet européen en 2016.

Le renforcement de l’action européenne en matière de lutte contre le terrorisme constitue une priorité et une urgence absolue. Il doit s’accompagner d’autres actions, en particulier dans le domaine de l’Europe de la défense – ce sera à l’ordre du jour du Conseil européen du mois de juin –, mais aussi dans celui de la politique d’immigration, notamment pour les trafics de personnes.

Nous avons demandé à la Commission européenne d’avancer la publication de l’Agenda européen pour les migrations. Il sera adopté au mois de mai, et non en juillet. Il devra être centré sur une politique d’asile efficace, sur la lutte contre les migrations irrégulières, sur la sécurisation de nos frontières extérieures et sur la régulation des migrations légales.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les mesures dont vous débattez visent à l’adoption d’un Acte pour la sécurité intérieure de l’Union européenne. Vos travaux sont une contribution importante à la lutte contre le terrorisme, laquelle doit être coordonnée et efficace et ne pourra avoir de résultats que si elle est menée conjointement à l’échelle européenne. Cela suppose de la volonté et de la détermination de la part des États. Il faut également que les propositions avancées par la France et par les ministres de l’intérieur à Riga puissent être adoptées. C’est ce que nous attendons de nos partenaires et du Parlement européen.

Je vous remercie de votre attention et de votre mobilisation sur ce sujet très important ! (Applaudissements.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de résolution européenne relative à la lutte contre le terrorisme et tendant à l’adoption d’un acte pour la sécurité intérieure de l’union européenne

Le Sénat,

Vu l’article 88- 4 de la Constitution,

Vu les articles 2 et 4 du traité sur l’Union européenne ainsi que les articles 67, 69 et 73 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la décision cadre du Conseil du 13 juillet 2002 relative à la lutte contre le terrorisme et la décision cadre du Conseil du 28 novembre 2008 modifiant ladite décision cadre,

Vu la stratégie de l’Union européenne visant à lutter contre la radicalisation et le recrutement des terroristes adoptée le 30 novembre 2005 et révisée en 2008 et en 2014,

Vu les conclusions relatives à la lutte contre le terrorisme adoptées par le Conseil des affaires étrangères le 9 février 2015,

Vu la déclaration des membres du Conseil européen du 12 février 2015 sur la lutte contre le terrorisme,

Considérant que le terrorisme constitue une atteinte directe aux valeurs fondamentales, énoncées à l’article 2 du traité sur l’Union européenne, de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités, sur lesquelles l’Union est fondée; que ces valeurs sont communes à tous les États membres ;

Considérant qu’au nom des valeurs fondamentales énoncées audit article 2, les citoyens européens sont en droit d’exprimer des attentes fortes quant à leur sécurité ; que la lutte contre le terrorisme et l’utilisation des moyens conférés à cette fin aux États membres doivent respecter les valeurs de l’Union et l’État de droit ;

Considérant que l’Union respecte les fonctions essentielles des États membres, notamment celles qui ont pour objet d’assurer leur intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale et que ladite sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre ;

Considérant que l’Union constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le respect des droits fondamentaux et des différents systèmes et traditions juridiques des États membres ; que l’Union œuvre pour assurer un niveau élevé de sécurité par des mesures de coordination et de coopération entre autorités policières et judiciaires et autres autorités compétentes, ainsi que par la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale et, si nécessaire, par le rapprochement des législations pénales ;

Considérant qu’en vertu des traités, il est loisible aux États membres d’organiser entre eux et sous leur responsabilité les formes de coopération et de coordination qu’ils jugent appropriées entre les services compétents de leurs administrations chargées d’assurer la sécurité nationale ;

Considérant le rôle des parlements nationaux pour veiller au respect du principe de subsidiarité, conformément au protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité ;

Considérant qu’une menace terroriste grave et sans doute durable pèse désormais sur la plupart des sociétés européennes et justifie une réponse commune urgente ;

Considérant que l’Union européenne dispose, d’ores et déjà, d’un certain nombre d’instruments susceptibles d’être utilisés à titre préventif pour lutter contre le terrorisme et, partant, réduire la menace ; que la mise en œuvre opérationnelle de ces instruments demeure toutefois insuffisante ; que l’utilisation accrue de ces instruments doit s’accompagner d’une intensification de la coopération entre les différents services chargés de la sécurité intérieure des États membres tant dans le domaine du renseignement et de la surveillance que dans celui des enquêtes, des poursuites et de la répression ;

Considérant que cette coopération plus développée ne dispensera pas d’une réflexion en profondeur sur les causes du phénomène terroriste dans nos sociétés et les moyens d’y remédier sur la durée par des actions communes notamment dans le domaine éducatif ;

Estime que, afin de répondre aux attentes légitimes des citoyens européens et d’assurer la sécurité intérieure de l’Union européenne, une législation antiterroriste commune devrait être rapidement adoptée par l’Union européenne sous la forme d’un « Acte pour la sécurité intérieure » ;

– Sur la définition des infractions terroristes :

Considère qu’il s’agit de mieux prendre en compte les nationaux qui partent combattre à l’étranger dans le dessein, comme le souligne, en particulier, la résolution n° 2178 du 24 septembre 2014 du Conseil de sécurité des Nations unies sur les « combattants étrangers », de « commettre, d’organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d’y participer ou de dispenser ou recevoir un entraînement au terrorisme, notamment à l’occasion d’un conflit armé… » ;

Insiste sur la nécessité de disposer d’un cadre juridique européen facilitant la surveillance, les poursuites et les mises en cause en ce qui concerne les « combattants étrangers » ;

– Sur la révision du Code frontières Schengen et le contrôle des frontières extérieures :

Souhaite qu’à droit constant, il soit procédé rapidement, sur le fondement d’indicateurs de risque appliqués uniformément par les États membres, à des contrôles approfondis quasi systématiques de ressortissants des pays membres de l’espace Schengen lorsqu’ils entrent et sortent de cet espace ;

Demande également la révision ciblée du Code frontières Schengen pour autoriser, sur le fondement d’indicateurs de risque appliqués uniformément par les États membres, les contrôles approfondis systématiques de ressortissants des pays membres de l’espace Schengen qu’il serait nécessaire d’effectuer de manière permanente ;

Considère qu’un contrôle efficace des frontières extérieures doit être une responsabilité partagée au niveau de l’Union européenne ;

Constate qu’en l’état actuel, l’agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (FRONTEX) ne peut apporter aux États qu’un appui ponctuel et limité dans le temps pour des opérations ciblées ; estime qu’une mission permanente de contrôle des frontières extérieures de l’Union devrait être dévolue à un FRONTEX disposant de moyens humains et financiers pérennes et considérablement renforcés et dont devrait relever un corps de gardes-frontières européens ; demande instamment le renforcement des moyens aujourd’hui très faibles de FRONTEX ;

Souhaite que les dispositifs d’identification des personnes tels que le système d’information Schengen (SIS II) soient perfectionnés ; appelle aussi de ses vœux une intensification et une uniformisation de l’utilisation du SIS II par les États membres ;

Invite les États membres à réfléchir plus activement à la définition d’une politique européenne des visas, limitée jusqu’à présent au court séjour et au transit, dont les critères communs prendraient notamment en compte des indicateurs de risque liés à la menace terroriste ;

– Sur la mise en place d’un système PNR européen :

Rappelle que dans sa résolution n° 78 en date du 15 mars 2015, le Sénat estime urgente l’adoption de la proposition de directive relative à l’utilisation des données des dossiers passagers pour la prévention et la détection des infractions terroristes et des formes graves de criminalité, nommée communément « directive PNR » ; juge que la mise en place d’un tel mécanisme européen serait seul de nature à assurer une coordination efficace entre les PNR nationaux dans le respect des garanties indispensables pour la protection des données personnelles ;

Souligne que cette mesure indispensable pour harmoniser les critères de fonctionnement des PNR nationaux pourrait être appliquée, dans un premier temps, d’une manière expérimentale avant d’être évaluée, réexaminée ou renforcée ; rappelle qu’en tout état de cause, le PNR européen pourra être aménagé pour intégrer le futur cadre de protection des données personnelles en cours de discussion ;

– Sur une lutte effective contre les sources de financement du terrorisme et le trafic d’armes :

Souligne la nécessité de tarir les sources de financement du terrorisme, en particulier à travers le blanchiment des capitaux et le trafic d’armes ; demande en conséquence l’application résolue des législations européennes en la matière, l’adoption rapide de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme qui actualise la législation existante, des propositions législatives annoncées pour 2015 par la Commission européenne en matière de lutte contre le trafic d’armes à feu, ainsi qu’une coordination accrue des politiques nationales au niveau de l’Union ;

Rappelle le rôle fondamental de la coopération internationale en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le trafic d’armes à feu dans des conditions garantissant la protection des droits individuels ;

– Sur le renforcement de la coopération policière et judiciaire :

Souligne le rôle fondamental des deux agences européennes que sont Europol en matière de coopération policière et Eurojust en matière de coopération judiciaire ; insiste sur le fait que leur potentiel pourrait être développé ;

Estime qu’il convient de mieux exploiter les capacités d’Europol et demande que les services nationaux des États membres fournissent plus systématiquement les informations nécessaires ; considère qu’il importe d’accélérer la mise en place, au sein d’Europol, d’une « plate-forme européenne de lutte contre le terrorisme » ;

Souhaite que le Centre européen sur le cybercrime (EC3), qui dépend d’Europol, inscrive dans ses priorités, au même titre que la lutte contre la diffusion d’images et de vidéos pédopornographiques, la lutte contre la diffusion de la propagande et du prosélytisme terroristes ;

Constate que les données transmises à Eurojust par les juridictions des États membres sont quantitativement très en deçà de ce qu’elles pourraient et devraient être ; qu’il importe donc de sensibiliser sans relâche les services judiciaires des États membres à la valeur ajoutée que peut apporter au plan de l’efficacité une agence européenne de collecte et d’échange de données à caractère judiciaire comme Eurojust ;

Souhaite que, dans la lutte contre le terrorisme, les États membres aient plus souvent recours aux équipes communes d’enquête, prévues par la décision-cadre 2002/465/JAI du Conseil, avec une participation effective de représentants d’Europol et d’Eurojust ;

Souligne tout l’intérêt du mandat d’arrêt européen qui permet d’accélérer les remises de personnes suspectées entre États membres ; fait toutefois valoir que cet instrument devrait être utilisé plus systématiquement dans la lutte contre le terrorisme ;

Juge indispensable la mise en place dans un délai rapide d’un parquet européen collégial et décentralisé en application de l’article 86, paragraphe 4 du TFUE ; souligne la nécessité d’étendre sans délai les compétences de ce parquet européen à la criminalité grave transfrontière ;

– Sur la place d’internet dans la lutte contre le terrorisme :

Rappelle la responsabilité des acteurs privés de l’internet et souhaite les voir mieux impliqués dans la lutte contre le terrorisme ;

Relève l’intérêt des procédures administratives telles que prévues par la loi n° 2014-1333 du 13 novembre 2014 sur le terrorisme qui permettent d’obtenir efficacement des fournisseurs d’accès le blocage des sites internet diffusant des contenus illégaux ;

Estime qu’il devrait être envisagé d’étendre les compétences du Centre européen sur le cybercrime (EC3) pour porter des contenus terroristes ou extrémistes à la connaissance des réseaux sociaux, aux fins de suppression ;

Demande le renforcement des moyens financiers et humains de la section d’Europol consacrée à la recherche et au partage avec les États membres d’informations ayant trait au terrorisme djihadiste sur internet ;

Rappelant sa résolution n° 138 du 19 avril 2013, juge urgente l’adoption de la proposition de directive concernant des mesures destinées à assurer un niveau commun élevé de sécurité des réseaux et de l'information dans l'Union ;

Appelle de ses vœux l’intégration d’une dimension de sécurité informatique dans les formations en informatique dispensées dans le cadre du programme « ERASMUS » ;

– Sur une stratégie éducative de précaution et de lutte contre la radicalisation :

Soutient le développement de réseaux européens visant à sensibiliser l’ensemble des acteurs européens au phénomène de radicalisation et à proposer des solutions s’insérant dans une logique de contre-discours et notamment le réseau de sensibilisation à la radicalisation (RSR) ;

– Sur le renforcement de la coopération internationale :

Souligne que la lutte contre le terrorisme international doit constituer une priorité de l’action extérieure de l’Union européenne et de son Service européen pour l’action extérieure (SEAE) ; qu’il importe, à l’évidence, de construire un partenariat global avec les acteurs régionaux des parties du monde les plus sensibles et que ce dialogue, s’il sait combiner les impératifs de sécurité et de développement, pourrait être de nature à réduire la menace terroriste sur la durée ;

– Sur l’évaluation des instruments existants :

Souhaite qu’il soit procédé à une évaluation systématique de l’efficacité de l’ensemble des instruments dont dispose aujourd’hui l’Union européenne pour lutter contre le terrorisme qu’il s’agisse des législations ou des agences ou autres organismes européens ; relève que ce diagnostic peut être effectué en appliquant la procédure prévue par l’article 70 du TFUE.

M. le président. L'amendement n° 7, présenté par M. Hyest, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Remplacer le mot :

juillet

par le mot :

juin

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il s’agit de corriger une erreur de référence.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 7.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 1, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 25

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Souhaite que les inspections des matériels, logiciels et services de FRONTEX se fassent de façon inopinée et aléatoire afin de refléter au plus près la réalité du travail quotidien ;

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Nous avons beaucoup parlé de FRONTEX aujourd'hui. Je voudrais qu’il soit précisé que les inspections de matériels et de personnels sont faites de manière inopinée et aléatoire. La règle veut en effet que les contrôles soient annoncés. Or il m’a été indiqué à de nombreuses reprises ces derniers mois que des inspections inopinées étaient préférables.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cette recommandation ne semble pas être du niveau de la présente résolution européenne qui ne se concentre pas sur FRONTEX en particulier, mais traite de l’ensemble des mécanismes relatifs à la lutte contre le terrorisme. La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Le Gouvernement partage la position de la commission. Je comprends votre intention, madame Goulet. J’ai d’ailleurs annoncé que le Gouvernement proposait de modifier le code frontières Schengen. En tout état de cause, la résolution est déjà claire sur ce point. Voilà pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable.

M. le président. Madame Goulet, l’amendement n° 1 est-il maintenu ?

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, je retire cet amendement. Il serait néanmoins utile que le Gouvernement prévoie des inspections inopinées, ce qui rendrait service à tout le monde, y compris à nos personnels de la police de l’air et des frontières, lesquels ont formulé auprès de moi une demande expresse.

M. le président. L'amendement n° 1 est retiré.

L'amendement n° 2, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 33

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Estime que les cartes bancaires prépayées, de par l’anonymat qu’elles offrent à leurs détenteurs, présentent un risque trop élevé d’être employées comme outils de financement de départs pour le djihad ; juge que leur interdiction sur le territoire européen doit être envisagée ;

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Je n’ai pas beaucoup d’espoir, mais je ne suis pas une femme de renoncement ! (Sourires.)

On a beaucoup parlé de financement du terrorisme. Je sais pertinemment que ma proposition ne relève pas du texte présenté aujourd'hui et qu’elle trouverait mieux sa place lors de travaux ultérieurs.

Cela étant, j’attire votre attention sur deux points, monsieur le secrétaire d'État. Tout d’abord, sur la multiplication des cartes de paiement anonyme. (M. Simon Sutour s’exclame.) Monsieur Sutour, c’est un problème non seulement national, mais également européen ! Je suis ravie que mon intervention figure dans le compte rendu des débats : le jour où il y aura un souci, je pourrais prouver que j’ai déjà défendu cette position !

Il s’agit d’un sujet sérieux qui touche à la fois à l’évasion fiscale et au terrorisme. Nous savons tous que MM. Coulibaly, Kouachi et autres se sont servi de très faibles crédits, et n’ont pas eu besoin de beaucoup d’argent pour préparer leurs actions. Ces cartes prépayées servent précisément à tous les trafics dans nos banlieues. Si vous n’y croyez pas, mon cher collègue, tant pis pour vous ; c’est pourtant la réalité !

Le présent amendement ainsi que l’amendement n° 5, tous deux relatifs aux problèmes de financement, sont des amendements d’appel. L’amendement n° 2 vise à attirer l’attention sur le problème des cartes de paiement anonyme. L’amendement n°5, quant à lui, met l’accent sur les difficultés liées au financement participatif, ou crowdfunding. La multiplication de ce mode de paiement participatif, sans aucun contrôle, peut créer des complications.

J’attends votre réponse, monsieur le secrétaire d'État, car je connais d’ores et déjà la position de la commission. Une fois que vous me l’aurez donnée, je pourrais retirer ces amendements après avoir néanmoins obtenu une publication intéressante au Journal officiel

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ma chère collègue, vous semblez déjà savoir que l’avis de la commission est défavorable !

Néanmoins, je vous rappelle que la quatrième directive anti-blanchiment, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, en cours d’examen, aborde la question du montant maximal de chargement des cartes bancaires prépayées. C’est un progrès !

Par ailleurs, l’interdiction totale de ces cartes semble être une mesure compliquée à mettre en œuvre en pratique.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Dans le cadre de son plan d’action pour lutter contre le financement du terrorisme, le Gouvernement a annoncé une série de réformes tendant à limiter les paiements anonymes. Il souhaite ainsi que soient transposées au plus vite les dispositions du quatrième paquet anti-blanchiment européen qui limitent d’ores et déjà les possibilités d’acquisition, de recharge et de cession anonyme de cartes prépayées. Ces dispositions conduiront, en effet, à une justification d’identité obligatoire pour tous les achats ou recharges de carte supérieurs à 250 euros, ou pour tout retrait de liquide avec ces cartes supérieur à 100 euros.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. L’objectif visé au travers du présent amendement, à savoir éviter que des cartes offrant la même souplesse d’utilisation que les espèces ne servent à financer de manière non traçable l’achat d’armes ou la préparation d’actes terroristes, est donc satisfait par la quatrième directive anti-blanchiment. À partir du moment où l’achat et l’utilisation de ces cartes seront encadrés, la menace que représentent celles-ci ne justifie pas que la France soutienne leur interdiction sur le territoire européen, eu égard à leur intérêt comme moyen de paiement.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

M. le président. Madame Goulet, l’amendement n° 2 est-il maintenu ?

Mme Nathalie Goulet. Malgré cet avis défavorable, la réponse du Gouvernement est très satisfaisante. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, et je retire l’amendement n° 2, de même que l’amendement n° 5, par anticipation.

M. le président. L’amendement n° 2 est retiré.

L'amendement n° 4, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 41

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Invite les États membres à harmoniser leur politique de soutien aux victimes, particulièrement en envisageant la création d’un fonds européen de garantie des victimes des actes de terrorisme ;

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. On parle beaucoup du terrorisme, monsieur le secrétaire d'État, mais peu des victimes. Cet amendement, qui ne sera certainement pas, lui non plus, à la hauteur de l’excellente proposition de résolution européenne dont nous discutons aujourd'hui, vise à prévoir d’harmoniser la politique à l’égard des victimes, notamment grâce à la création d’un fonds européen de garantie des victimes des actes de terrorisme. C’est une mesure tout à fait possible puisqu’un certain nombre de fonds européens, dont j’ai ici la liste, existent déjà et alimentent des fonds nationaux pour améliorer la situation des victimes de terrorisme.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La proposition de résolution s’adresse aux institutions européennes et non aux États membres.

En outre, l’Union européenne prend déjà en compte la situation des victimes : la directive du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil a établi des normes communes pour les États membres visant en particulier à ce que la victime soit informée tout au long de la procédure.

Ainsi, l’article 17 de la directive prend en compte la situation des victimes qui résident dans un autre État membre que celui où l’infraction a été commise.

En tout état de cause, la création d’un fonds spécifique pour les victimes d’attentats paraît disproportionnée au regard du nombre de dossiers traités par les États. En France, 89 dossiers ont été ouverts à ce titre en 2013 et 2,5 millions d’euros ont été versés. Ces chiffres doivent être mis en regard des 16 328 dossiers ouverts en France la même année pour les victimes d’infraction hors terrorisme et des 261 millions d’euros versés à ce titre.

Il ne semble donc pas indispensable à la commission de créer un fonds spécifique. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Cet amendement vise à créer un fonds européen de garantie des victimes des actes de terrorisme.

À l’échelon de l’Union européenne, il existe trois textes généraux en matière d’indemnisation des victimes.

Tout d’abord, l’article 10 de la décision-cadre 2002/475/JAI relative à la lutte contre le terrorisme prévoit que les États membres prennent « si nécessaire, toutes les mesures possibles pour garantir une aide adéquate à la famille de la victime ».

Par ailleurs, la directive 2004/80/CE relative à l’indemnisation des victimes de la criminalité concerne toutes les infractions, mais ne porte que sur les procédures d’indemnisation dans le cadre de situations transfrontalières.

Enfin, la directive 2012/29/UE sur l’harmonisation des droits des victimes d’infraction dans le cadre des procédures pénales prévoit d’obtenir qu’il soit statué dans un délai raisonnable sur l’indemnisation par l’auteur de l’infraction dans le cadre de la procédure pénale. Il doit être tenu compte au cours de la procédure des besoins spécifiques de certaines catégories de victimes, dont les victimes de terrorisme.

Par ailleurs, l’Union européenne finance le réseau européen d’associations d’aide aux victimes du terrorisme, et associe étroitement celles-ci aux activités du réseau de sensibilisation à la radicalisation.

La législation européenne a prévu de demander aux États membres de mettre en place des systèmes d’indemnisation des victimes. En revanche, la création d’un fonds européen de garantie des victimes de terrorisme n’entre pas dans la compétence de l’Union européenne telle qu’elle est déterminée par l’article 82 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Qu’il y ait des règles et que des accords soient passés sur le plan européen pour prévoir un système d’indemnisation des victimes du terrorisme, nous en sommes d’accord ; nous sommes même prêts, si besoin, à renforcer l’application de ces textes. Pour autant, il n’existe aucune base pour créer un fonds spécifique à l’échelon européen d’indemnisation des victimes : cela relève de la compétence de chacun des États membres.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

M. le président. Madame Goulet, l’amendement n° 4 est-il maintenu ?

Mme Nathalie Goulet. Je retire cet amendement, tout en remerciant M. le secrétaire d’État qui m’a fait gagner le temps de quatre questions orales du mardi matin grâce aux excellentes réponses qu’il vient de m’apporter.

M. le président. L'amendement n° 4 est retiré.

L'amendement n° 6, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 33

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Invite les États membres à harmoniser leurs politiques au regard des prises d'otages ;

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Cet amendement est retiré, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 6 est retiré.

L'amendement n° 5, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 48

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Souligne la nécessité d’un contrôle accru des opérations de financement participatif en ligne ; appelle à la création d’une procédure commune de déclaration préalable en ligne de ces opérations ;

Cet amendement a été précédemment retiré par Mme Goulet.

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de résolution européenne relative à la lutte contre le terrorisme et tendant à l’adoption d’un Acte pour la sécurité intérieure de l’Union européenne.

(La proposition de résolution européenne est adoptée.)

M. le président. En application de l’article 73 quinquies, alinéa 7, du règlement, la résolution que le Sénat vient d’adopter sera transmise au Gouvernement et à l’Assemblée nationale.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du règlement, relative à la lutte contre le terrorisme et tendant à l'adoption d'un Acte pour la sécurité intérieure de l'Union européenne
 

11

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 2 avril 2015 :

De neuf heures à treize heures :

Suite de la proposition de loi autorisant l’usage contrôlé du cannabis (n° 317, 2013-2014) ;

Rapport de M. Jean Desessard, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 250, 2014-2015) ;

Résultat des travaux de la commission (n° 251, 2014-2015).

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques (n° 269, 2014-2015) ;

Rapport de M. Antoine Lefèvre, fait au nom de la commission des finances (n° 362, 2014-2015) ;

Texte de la commission (n° 363, 2014-2015).

Proposition de résolution pour un guide de pilotage statistique pour l’emploi (n° 325, 2014-2015).

À quatorze heures trente : débat sur la préparation de la révision de la loi de programmation militaire.

À seize heures quinze :

Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse (n° 297, 2014-2015) ;

Rapport de M. Philippe Bonnecarrère, fait au nom de la commission mixte paritaire (n° 296, 2014-2015).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures quarante-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART