M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. On n’engage pas de grands travaux en considérant un chantier isolément ; il faut comparer chaque projet avec les autres solutions possibles. Des grands chantiers différents de celui qui nous est proposé aujourd’hui mériteraient peut-être d’être examinés, voire privilégiés, dans une perspective d’aménagement du territoire.

En outre, nous n’avons pas évoqué l’emprise, pourtant importante, des grands travaux sur les terres agricoles. Nous allons nous apercevoir dans les années à venir que celles-ci représentent une richesse inestimable. On a trop souvent tendance à croire que les créations d’emplois viendront du bâtiment, des constructions. Pour ma part, j’estime que la conservation des terres agricoles est un enjeu essentiel.

Par ailleurs, certains n’ont de cesse d’appeler à « l’action » et de reprocher aux écologistes leurs « réticences ». (Protestations sur plusieurs travées.) Certes, je reconnais que cela n’a pas été formulé en ces termes…

Les écologistes ne sont pas les seuls à dénoncer les grands travaux inutiles. Je vous renvoie à la lecture du rapport annuel de la Cour des comptes. Certains s’agitent, s’activent, veulent à tout prix construire un équipement, avant de se rendre compte que l’infrastructure réalisée était inutile ! On se retrouve parfois avec deux gares au même endroit quand d’autres territoires n’en ont aucune.

Dans une période difficile pour l’emploi, tout le monde croit qu’il est utile de lancer des grands travaux et que l’État et l’Europe apporteront leur contribution. Quelques années plus tard, la Cour des comptes nous présente la facture !

M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour explication de vote.

M. François Patriat. Je n’imaginais pas que le canal Rhin-Rhône serait abordé aujourd’hui.

Les grands travaux sont évidemment nécessaires à notre pays, qui a besoin d’investissements. Les grands projets européens, dont la liaison grande vitesse Lyon-Turin, doivent avancer. Source d’activité immédiate, ils représentent un intérêt économique.

Mais il faut prendre à compte un autre élément. Les créations d’emplois ou une activité économique temporaire ne sont pas une justification à eux seuls ; les grands travaux doivent aussi être utiles au pays et rentables.

Le canal Rhin-Rhône, au-delà des considérations environnementales, soulève un problème de fond : existe-t-il suffisamment de chargeurs de cet équipement ? (M. Patrick Abate acquiesce.) À mes yeux, le tissu économique qui permettrait de rentabiliser à terme cet outil n’existe pas. L’investissement risque donc d’être perdu.

Permettez-moi de vous livrer une anecdote. Un échangeur rail-route construit à la demande de chambres de commerce et des acteurs économiques au sud de la capitale bourguignonne pour 20 millions d’euros a été fermé un an après son inauguration, parce qu’aucune entreprise ne l’utilisait pour du chargement. Soyons donc un peu sérieux !

Je soutiens le projet du Gouvernement pour le canal Seine-Nord Europe. En revanche, les liaisons Rhin-Rhône et Saône-Moselle sont de beaux projets virtuels, mais je ne suis pas en mesure d’évaluer aujourd’hui leur efficacité économique à terme !

M. le président. Je mets aux voix l’article 3 bis A, modifié.

(L’article 3 bis A est adopté.)

Article 3 bis A (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Article 3 bis (Texte non modifié par la commission)

Article additionnel après l’article 3 bis A

M. le président. L’amendement n° 1036, présenté par Mmes Assassi, Didier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l’article 3 bis A

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code des transports est ainsi modifié :

1° L’article L. 4311-4 est ainsi rédigé :

« Art. L. 4311-4. - Les investissements effectués par l’Agence des voies navigables pour la modernisation ou le développement des voies d’eau sont réalisés dans le cadre de dispositifs financiers publics, excluant le recours aux contrats de concession ou de partenariat public-privé. » ;

2° Le 8° de l’article L. 4311-2 est abrogé.

La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Nous proposons d’ajouter un article au code des transports pour limiter le recours aux contrats de concession ou aux partenariats public-privé, qui tend à se généraliser pour la réalisation et la gestion des infrastructures de transport.

Ces pratiques n’ont pas permis de réduire les dépenses des collectivités publiques dans les secteurs où elles ont été utilisées, qu’il s’agisse des prisons, des hôpitaux ou des universités. Pourtant, l’État souhaite persévérer dans l’erreur pour l’ingénierie des transports.

À l’heure actuelle, les 240 partenariats public-privé coûtent à l’État près de 1,2 milliard d’euros de loyers par an, et ce jusqu’en 2025 ! Outre l’endettement des collectivités, la dégradation des services publics pour cause de réductions de budgets et la maltraitance des salariés des multinationales, les partenariats public-privé représentent autant de travail en moins pour les ingénieurs de nos administrations, dont l’expertise était jusqu’à présent reconnue dans la construction et la gestion des ouvrages d’art.

La logique d’externalisation des infrastructures de transport a conduit à la perte de savoir-faire interne, notamment au sein de Voies navigables de France, VNF. Cet établissement était voilà peu encore capable de construire ou gérer en régie une écluse ou un barrage. Mais les choix politiques successifs de recourir à des marchés publics ont entraîné la perte de cette compétence, et ce sans économie pour les services de l’État ou amélioration du développement de nos voies navigables.

Dans de nombreux cas, les entreprises qui remportent les marchés n’ont en réalité pas les compétences spécifiques aux ouvrages d’art concernés. Les agents de VNF sont obligés de gérer au quotidien des dysfonctionnements successifs nécessitant de faire appel à d’autres entreprises privées.

Nous voulons donc rappeler que cette option ne doit pas être choisie comme solution de financement des investissements de la voie d’eau. Alors qu’il est prévu de réduire les effectifs de VNF de 150 équivalents temps plein d’ici à 2016, nous pouvons nous interroger sur la volonté réelle du Gouvernement de conserver une maîtrise publique de la gestion et de l’exploitation des ouvrages pourtant nécessaires à l’entretien de nombre de nos canaux.

Demain, ce seront des prestataires privés qui réaliseront l’intégralité de l’entretien et de la maintenance de ces infrastructures et équipements de sécurité, dans le cadre d’un service public de la voie d’eau complètement « vidé ». (Sourires.) Pour l’ensemble de ces raisons, nous demandons un encadrement strict des contrats passés par VNF avant leur « siphonage » ! (Nouveaux sourires.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Il me semble excessif d’exclure ex ante les contrats de concession et de partenariat public-privé pour le transport fluvial.

Par ailleurs, les auteurs de cet amendement évoquent un risque de privatisation des filiales de Voies navigables de France. Or l’article L. 4311-2 du code des transports, qu’il est proposé de supprimer, prévoit que ces filiales « doivent être à capitaux majoritairement publics ».

La commission spéciale a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1036.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Article additionnel après l’article 3 bis A
Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Article additionnel après l’article 3 bis

Article 3 bis

(Non modifié)

Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi permettant la réalisation d’une infrastructure ferroviaire entre Paris et l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, notamment en modifiant l’article L. 2111-3 du code des transports.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.

Mme Laurence Cohen. Quelle surprise de voir un tel article dans ce texte !

Le projet du « Charles-de-Gaulle Express », ou CDG Express, est emblématique, tant pour son histoire mouvementée que pour son caractère « lucratif » ! Ce projet est le symbole d’une conception des transports publics aux antipodes de la nôtre.

Répondre aux besoins du plus grand nombre en desservant au plus près les territoires ou répondre à ceux de quelques privilégiés avec un transport sur mesure : telle est malheureusement ici l’alternative, aussi binaire soit-elle.

Le Charles-de-Gaulle Express, c’est une liaison ferroviaire de quelques dizaines de kilomètres censée relier la gare de l’Est et l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle en vingt minutes. En ces temps de restrictions budgétaires, on pourrait qualifier ce projet de « pharaonique » – son coût est évalué à 1,9 milliard d’euros – et parler de gabegie, vu qu’une telle liaison existe déjà, avec le RER B !

Mme Catherine Deroche, corapporteur de la commission spéciale. Qui fonctionne si bien…

Mme Laurence Cohen. Pourquoi ne pas décider d’investir massivement sur cette ligne de RER ? (Protestations sur les travées de l’UMP.) Cela améliorerait les conditions de transport au quotidien de centaines de milliers de Franciliens, notamment sur la partie Nord du réseau, ainsi que celles des touristes et des hommes d’affaires, sans opposer ces différentes catégories de voyageurs.

Vous préférez manifestement ce projet « vitrine » à nouveau ressuscité, notamment au regard de l’échéance de prochains grands événements mondiaux. Pour nous, il est loin de représenter une priorité. Nous souhaitons que l’amélioration de la desserte de l’aéroport s’effectue dans le cadre du service public, profitant ainsi aux Franciliens de villes populaires comme La Courneuve, Drancy, Le Blanc-Mesnil, Aulnay-sous-Bois, Sevran... Avec le projet du CDG Express, ces populations verront seulement passer des trains qui ne s’arrêteront pas. Quel mépris à leur égard !

Monsieur le ministre, à l’heure où vous entendez développer massivement le transport en autocar – nous en avons eu la démonstration hier soir –, pourquoi ne pas avoir songé à proposer une ligne d’autocars pour permettre aux hommes d’affaires de rejoindre l’aéroport ? (Exclamations sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)

M. Michel Bouvard. Elle existe déjà !

Mme Laurence Cohen. Soyez logiques, mes chers collègues

Au-delà de la philosophie du projet, nous contestons aussi le choix qui a été fait pour sa mise en œuvre, celui des ordonnances. Pour nous, cette option est tout simplement impensable ; vous connaissez notre opposition à ce procédé.

À ce stade, les élus que nous sommes ne connaissent toujours ni le montage financier de ce projet ni les contours précis de la structure qui lui sera dédiée, notamment la présence possible d’un tiers investisseur. Comment être certains que l’État et les collectivités locales ne seront pas sollicités pour y contribuer ? Convenez-en, un tel manque d’information est tout à fait regrettable pour un investissement de cette envergure.

Nous voterons contre cet article 3 bis, pour des raisons tant de forme que de fond. Vous pouvez ainsi constater la cohérence de l’argumentation de notre groupe CRC. Nos positions ne sont pas à géométrie variable, selon que les transports s’adressent aux populations, aux hommes d’affaires ou aux touristes !

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, sur l’article.

Mme Évelyne Didier. L’article 3 bis du projet de loi est issu d’un amendement du Gouvernement déposé en commission spéciale à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure permettant la réalisation du projet « Charles-de-Gaulle Express ». Cet article appelle plusieurs remarques.

Nous déplorons le recours à l’article 38 de la Constitution. C’est une position constante de notre part. Cette pratique dépossède encore une fois le Parlement de son pouvoir législatif. Le recours aux ordonnances permet d’échapper à l’étude d’impact et empêche toute concertation en amont avec les parlementaires, alors même que le projet fait l’objet de débats depuis de longues années, s’agissant en tout cas de la concession.

Même si vous estimez que le recours à l’article 38, avec la procédure de ratification des projets de loi d’habilitation, permet au Parlement d’intervenir, l’ordonnance n’est pas amendable ; elle restera le fruit exclusif du travail de l’administration et des cabinets ministériels concernés. Il est regrettable que le Gouvernement place encore une fois l’administration au-dessus des parlementaires ! Nous pensons au contraire que les élus de la région Île-de-France, ainsi que les associations d’usagers et les syndicats de travailleurs, auraient leur mot à dire à ce sujet.

M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati, sur l'article.

M. Philippe Dominati. Je ne suis pas loin de partager ce qui vient d’être dit.

La commission spéciale ayant eu à examiner quelque 1 600 amendements, le débat, très technique, sur le CDG Express n’a pas pu être abordé dans ce cadre – ce n’est pas faire injure M. le président de la commission spéciale et à Mme la corapporteur que de le rappeler –, et il a été décidé de le réserver pour la séance, afin que chaque sénateur puisse s’en saisir. (M. le président de la commission spéciale et Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur, le contestent.)

Cela fait vingt ans que le projet de liaison entre la gare de l’Est et l’aéroport Charles-de-Gaulle est sur le bureau des élus franciliens ! Le sujet est complexe et très important. Il concerne tout le monde ; le choix que nous effectuerons en matière d’infrastructures en Île-de-France déterminera qui sera mis à contribution. Je le rappelle, pour l’instant, en Île-de-France, lorsque l’État se trompe, ce sont les entreprises et les Franciliens qui payent ; il y a un prélèvement spécifique. Il serait bon qu’une telle charge puisse être supportée par l’ensemble du pays.

Le projet d’une liaison directe entre l’aéroport et le cœur de l’agglomération a vu le jour en 1995. J’y suis favorable et je pense que beaucoup d’élus franciliens partagent mon opinion.

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Nous sommes d’accord !

M. Philippe Dominati. En 2000, un arbitrage a été rendu par le ministre Jean-Claude Gayssot, qui a choisi entre la voie ferroviaire et la voie autoroutière, alors préconisée par la région Île-de-France et la chambre de commerce et d’industrie.

Le débat public s’est engagé en 2003. La question a été débattue à de multiples reprises. L’argument des jeux Olympiques avait déjà été invoqué en 2005 pour accélérer la réalisation du projet.

En 2006, le Parlement a voté une loi spécifique, pour un coût de 640 millions d’euros. Cela n’a pas fonctionné.

En 2008, il a été considéré que le projet était d’ordre privé. On a désigné un attributaire, Vinci, pour un coût de 747 millions d’euros. Cette démarche a été abandonnée en 2011.

On nous indique à présent que l’État ne mettra pas un euro dans ce projet, car celui-ci devrait être d’ordre privé. Mais nous ne savons toujours pas comment le financer !

Je suis donc confronté à un dilemme. D’un côté, je suis partisan du projet. De l’autre, j’ai l’impression que le choix des ordonnances est fait pour que l’État puisse mettre la poussière sous le tapis ! La technostructure gagnera encore une année, sans nous dire qui paiera un projet dont je rappelle que le coût a triplé, pour atteindre 1,8 milliard d’euros aujourd’hui !

Je réitère donc ma question : qui va payer ? Prétendre que le groupe Aéroports de Paris, ou ADP, est un partenaire privé, c’est un peu se moquer du monde ! La SNCF et ADP devront assumer le coût et les éventuels déficits d’un projet que la compagnie Air France, principal utilisateur de l’aéroport Charles-de-Gaulle, ne veut pas financer ! C’est en partie l’usager qui paiera.

Pourquoi les partenaires privés ont-ils reculé jusqu’à présent ? Je vous rappelle, Vinci est actionnaire minoritaire d’ADP.

Le Parlement veut-il se lancer les yeux fermés dans un tel projet quitte à devoir en assumer le déficit futur ? Nous évoquerons l’état des infrastructures de transports en Île-de-France à l’occasion d’amendements ultérieurs ; mon collègue Roger Karoutchi interviendra sur le sujet. Nous verrons alors si la représentation nationale est véritablement prête à prendre en charge les déficits.

Pour ma part, je ne veux pas que les Franciliens ou les entreprises franciliennes soient pénalisés, comme cela s’est déjà produit par le passé. L’État ne veut pas débourser un centime, mais il exige de tout régenter : ce n’est plus acceptable !

Aujourd'hui, ADP fonctionne ; ses résultats atteignent 300 millions d’euros ou 400 millions d’euros par an. Mais il ne serait pas concevable d’affirmer que le CDG Express est un projet privé et qu’ADP est un opérateur privé alors que les contribuables devront payer le déficit dans quelques années. Faut-il vous rappeler l’exemple d’Orlyval ou d’autres dossiers de ce genre ? Nous n’avons pas encore étudié le prolongement de la ligne 14 ou l’amélioration de la liaison RER B directe. L’État a perdu vingt ans !

Il ne faudra pas vous étonner si l’ensemble des citoyens sont mis à contribution lorsque la vente d’un certain nombre d’infrastructures aéroportuaires ou portuaires se révélera nécessaire ! La solidarité nationale est nécessaire en matière d’infrastructures. Les problèmes financiers de l’Île-de-France vous concernent tous. Soyez donc attentifs !

À moins que le Gouvernement ne nous apporte les précisions nécessaires, j’estime que l’adoption de cet article autorisant à légiférer par ordonnance reviendrait à mettre une nouvelle fois la poussière sous le tapis, comme l’État le fait depuis vingt ans ! (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 8 est présenté par Mmes Assassi, Didier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L'amendement n° 429 est présenté par M. Desessard et les membres du groupe écologiste.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour présenter l’amendement n° 8.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. L’article 3 bis permet au Gouvernement de prendre par voie d’ordonnance des mesures permettant la réalisation du CDG express, projet de ligne directe entre Paris et l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle.

Ce faisant, l’article autorise la réalisation en urgence de ce projet pour des motifs, aujourd'hui pour le moins incertains, de jeux Olympiques ou d’Exposition universelle. Or le projet est coûteux et chaotique, comme M. Dominati vient de le souligner. En outre, nous sommes convaincus qu’il pourrait se révéler socialement injuste.

C’est ce qui motive notre amendement de suppression. Élus franciliens, nous connaissons bien ce projet. Nous en parlons depuis plusieurs années. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est loin de faire l’unanimité ! Surtout, il apparaît très éloigné des réalités des problématiques que connaissent aujourd'hui les Franciliens en termes de transports. Il n’est d’ailleurs pas certain que ces derniers soutiendraient un tel projet si on les interrogeait, surtout en leur indiquant tous les tenants et les aboutissants, notamment les charges exorbitantes qu’ils seraient susceptibles de devoir assumer…

Pour notre part, nous considérons qu’un tel projet ne répond ni aux difficultés de transport ni aux priorités des Franciliens. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l'amendement n° 429.

M. Jean Desessard. L’article 3 bis permet au Gouvernement de prendre par voie d’ordonnance des mesures permettant la réalisation du CDG Express. Nous y sommes opposés.

Sur la forme, nous ne comprenons pas pourquoi cela figure aujourd’hui dans le projet de loi. Le sujet aurait mérité un véritable débat, tant la situation est complexe, comme cela a été rappelé.

Sur le fond, l’article vise à faciliter la réalisation d’un projet que nous jugeons coûteux et socialement injuste. En plus, il est prévu de le faire en urgence, et pour des motifs hypothétiques, comme les jeux Olympiques ou l’Exposition universelle.

Une telle réalisation de prestige sera financée au détriment d’autres dessertes pourtant absolument nécessaires ; c’est tout le problème. Des investissements urgents sont requis dans certaines banlieues ou dans certains quartiers pour permettre des déplacements quotidiens entre le domicile et le lieu de travail. Vous nous proposez une ligne rapide, moderne et prestigieuse pour les cadres pressés qui voudront rejoindre l’aéroport au plus vite, pendant que les plus modestes devront continuer à s’entasser dans le RER B.

Mes chers collègues, attention aux fractures territoriales ! Elles ont des effets politiques que nous ne pouvons pas maîtriser.

M. Roger Karoutchi. Allons bon !

M. Jean Desessard. Tout comme dans le monde rural, il existe une fracture territoriale en région parisienne !

Les travaux devront être entrepris. Si le terminus est bel et bien maintenu gare de l’Est, les voies devront forcément traverser la seule zone industrielle de Paris, CAP 18, dédiée à l’imprimerie, mettant en danger 2 000 emplois. À ce jour, aucune estimation des indemnités d’expropriation et de perte d’exploitation des locataires n’a été chiffrée ; aucune étude de sols n’a été réalisée.

Par conséquent, les écologistes s’opposent à ce grand projet précipité et discutable tant sur la forme – ce n’est pas aujourd'hui que nous devrions en débattre – que sur le fond ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements, dont nous ne partageons pas les motivations.

Comme l’a souligné M. Dominati, le CDG Express vise à répondre à des besoins réels. Nous devons donc nous fixer pour objectif la réalisation de ce projet dans un calendrier tendu. L’équipement devra être opérationnel pour les jeux Olympiques et l’Exposition universelle. Nous ne pouvons plus retarder la mise en œuvre du chantier. Cela a été rappelé, il y a déjà eu beaucoup de temps perdu depuis l’échec du montage de la concession en 2011.

J’invite notre collègue Philippe Dominati, qui a affirmé que nous n’aurions pas eu beaucoup d’échanges sur le sujet en commission spéciale, à se reporter au compte rendu de nos travaux. Nous avons déjà eu un débat nourri en commission. Certes, nous pouvons évidemment continuer en séance.

Il me paraît en revanche légitime de demander des explications à M. le ministre ; on peut déplorer le manque d’information sur le financement du projet et sur les modalités de constitution de la filiale entre ADP et SNCF réseau. Il est impossible de croire que le Gouvernement n’ait pas ces éléments en sa possession, un dossier d’information ayant été transmis à la Commission européenne au mois de décembre 2014.

Le débat parlementaire ne peut pas se dérouler sereinement si le Gouvernement ne nous apporte pas des éléments précis et ne nous tient pas directement informés sur un projet d’une telle envergure.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Je souhaite d’abord expliquer pourquoi l’article 3 bis a bien sa place dans le présent projet de loi.

Ainsi que Mme la corapporteur l’a rappelé, c’est une disposition emblématique : relancer la croissance et l’activité dans notre pays, cela signifie parfois arrêter de procrastiner. Or, et l’ensemble des intervenants l’ont souligné, cela fait bien longtemps que l’on parle du CDG Express. Le meilleur moyen de relancer la croissance, c’est d’avancer. C’est, je le crois, ce qu’attendent nos concitoyens.

Au demeurant, rien n’empêche les autocars de se développer sur le territoire francilien. Notre projet n’a rien d’exclusif. Il s’inscrit dans la perspective plus large du Grand Paris et des investissements publics, y compris sur les contournements et les ouvertures de lignes.

À aucun moment le Gouvernement ne prétend répondre au problème des déplacements franciliens via le CDG Express. Mais cet élément du schéma de développement des transports franciliens méritait un traitement particulier. L’ouverture de cette ligne peut justifier de ne pas mettre d’argent public. La chronique des tentatives successives des années précédentes a été rappelée.

À la lumière des expériences passées, et dans le cadre d’un projet d’aménagement plus large qui modifiera les conditions de rentabilité et d’aménagement du projet, le Gouvernement veut développer le CDG Express.

Une société commune sera constituée entre ADP et SNCF Réseau, afin de mettre le projet en œuvre avec du capital des deux sociétés. Il ne s’agit donc pas de capital public.

Il a été affirmé à plusieurs reprises que l’on donnerait le pouvoir à l’administration. Je vous rassure, dans notre système institutionnel, cette dernière ne me semble pas être l’ennemie du Parlement. Chacun a sa place. L’administration travaille sous l’autorité des ministres. La plupart du temps, il s’agit de femmes et d’hommes qui œuvrent au service de l’intérêt général. Je ne pense pas qu’il soit sain de les considérer comme des ennemis de classe. En l’espèce, ce n’est même pas l’administration qui travaillera sur le projet ; ce seront les agents de la filiale commune de SNCF Réseau et d’ADP. Cette société aura la possibilité de se financer par fonds propres et de lever du capital pour monter des projets, dont la rentabilité est effectivement à long terme, mais ce n’est pas peine perdue.

Le plan d’affaires préliminaire établi à ce stade, sur lequel nous allons demander à la société de projet de travailler – c’est exactement la même dynamique que celle qui a été évoquée précédemment à propos du Grand Paris –, devra être crédible, avec une tarification adaptée des billets délivrés aux usagers ; ce sera un élément de cette rentabilité. Selon les éléments indicatifs que nous avons pu obtenir, le tarif s’établirait autour de 23 euros à 25 euros. C’est relativement cher. Mais ce sera ensuite aux entreprises franciliennes souhaitant que leurs salariés en bénéficient de décider de la politique à mettre en place et, éventuellement, de subventionner ces billets.

Les moyens de transport seront également empruntés par les touristes et la clientèle d’affaires, Paris ayant aussi cette vocation. Or le réseau actuel ne permet pas de prendre en compte cette réalité. À cet égard, ce projet est tout est à fait cohérent avec le dispositif relatif aux autocars dont nous discutions hier. Quand on croit à la mobilité, on croit à toutes ses formes ! Elles ne sont pas exclusives les unes des autres.

De même que l’on ne fera pas voyager tous les Français en TGV partout dans notre pays, on ne fera pas voyager tous les Franciliens, qu’ils soient touristes, hommes d’affaires, habitants habituels ou occasionnels de la région, avec les mêmes moyens de transport. D’ailleurs, ce n’est déjà pas le cas aujourd’hui !

Nous allons donc accroître l’offre de transports et la mobilité sur notre territoire.

Nous examinerons ensuite comment financer ce projet, en fonds propres et sur le plan de l’accès à la dette à court et long termes. La rentabilité dépendra d’ailleurs de la capacité de financement sur le long terme.

Le projet figure parmi ceux que le Gouvernement a déposés à la Banque européenne d’investissement pour être éligible au plan d’investissement européen, dit plan Juncker, qui permet des financements très longs à taux d’intérêts réduits. Il s’agit précisément du type d’infrastructure pertinent pour cet accès au financement. Si ce projet était retenu, cela permettrait d’accroître sa rentabilité et de moduler les tarifs.

Tous les paramètres ne sont pas encore définis, mais un plan d’affaires commence à se dessiner. Nous voulons que la société de projet avance sur ce point au cours des prochains mois.

C’est ainsi que nous approcherons de la réalisation du projet, dans le même esprit de transparence que j’évoquais à propos du canal Seine-Nord. La société de projet et le Gouvernement devront rendre compte de manière régulière des plans d’affaires actualisés, à la lumière des avancées techniques réalisées.

Voilà les éléments de clarification que je voulais apporter à ce stade. Je confirme qu’il n’y a pas d’argent public sur la table, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer. Ce projet a ses propres conditions de rentabilité ; elles dépendent de son accès au financement long. Mais il doit aussi être mis en résonance avec l’ensemble de l’argent public consacré au Grand Paris et avec son calendrier. C’est ainsi que l’on donnera de la crédibilité à l’un et l’autre.