Mme la présidente. Mes chers collègues, je ne me serais jamais permis de vous demander de raccourcir vos interventions ; je vous ai simplement incités à respecter votre temps de parole.

La parole est à M. Olivier Cadic.

M. Olivier Cadic. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il est légitime de chercher à briser le cercle vicieux de la précarité. Nous pouvons aujourd’hui contribuer, un peu, à mettre un terme à cette double peine : la précarité sociale qui entraîne la discrimination, qui entraîne à nouveau la précarité. Dans cet objectif, je soutiens à titre personnel la proposition de loi, qui vise à renforcer la protection des personnes les plus démunies et les plus vulnérables à la discrimination.

Les travaux de la commission et ceux de M. le rapporteur sont allés dans le bon sens. Abandonner les termes vagues de « précarité sociale » permet de renforcer notre arsenal juridique et, ainsi, de protéger les Français victimes de telles discriminations.

La reconnaissance de la discrimination en raison de la pauvreté s’inscrit dans la logique de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine. En effet, celle-ci a traité la question de la discrimination à raison du lieu de résidence de telle sorte que les habitants issus des quartiers défavorisés, en particulier les jeunes, sont désormais protégés.

On nous propose aujourd’hui de modifier notre code pénal en ajoutant un nouveau critère aux vingt qui existent à ce jour. Dans le prolongement des propos de M. le président Bas en commission des lois, permettez-moi, chers collègues, de constater l’aspect caricatural que notre législation commence à prendre. Avec la précarité sociale, la liste des discriminations répréhensibles par la loi s’allonge : vingt et un critères de discrimination en droit pénal ! Jusqu’où allons-nous donc allonger cette liste ? Plutôt que d’ajouter sans cesse de nouveaux critères, ne serait-il pas plus pertinent de prendre le temps d’engager une réflexion globale sur la question des discriminations ? Ne pourrions-nous pas réfléchir à une nouvelle formulation plus générique et plus synthétique, qui permettrait d’éviter cet inventaire à la Prévert ?

Vingt et un critères ! Au reste, est-ce suffisant ? Qu’avons-nous malheureusement oublié ? Si vous cherchez des idées, j’en ai. J’ai rencontré un patron qui n’embauche pas les personnes empruntant une certaine ligne de RER pour venir travailler. Il m’a confié : « Les salariés ne sont jamais là ! Sur la ligne, il y a constamment des problèmes techniques, des travaux, quand ils ne sont pas en grève ». Dès lors, devons-nous ajouter le critère du mode de transport ?

Vingt et un critères, disais-je ! Puisqu’on ajoute des critères, cela pourrait laisser à penser que cette politique est efficace.

À l’heure où les pauvres désespèrent de trouver un emploi, nous nous contentons de leur envoyer un signal de sympathie. Comme l’a relevé M. le rapporteur, ce texte a un côté symbolique. Nous serions plus inspirés de créer un environnement économique vraiment propice à la croissance et créateur d’emplois.

Nous légiférons ici pour ne pas discriminer en raison de la pauvreté. Mais qui pourrait s’opposer à une telle démarche ? Soyez un peu logiques ! Il y a deux semaines, j’ai regretté, ici même, que la mise en accessibilité prévue en 2015 soit renvoyée aux calendes grecques. Lorsqu’une entreprise n’est pas accessible, une personne handicapée ne peut même pas se rendre à l’entretien d’embauche. Comment peut-on affirmer qu’on ne fait pas de discrimination quand une entreprise n’est pas accessible ?

Au-delà de cette remarque, j’aimerais que nous n’oubliions pas l’essentiel. La proposition de loi protège-t-elle mieux les personnes en difficulté ou ajoute-elle, une fois de plus, de la complexité ? Ne rendons-nous pas la loi encore plus difficilement lisible et compréhensible ? Peut-être passons-nous même à côté du problème.

Comme le précise le rapport d’information, fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, intitulé Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité !, l’un des principaux problèmes posés par la précarité sociale est l’autodiscrimination, conséquence du stigmate social que peut représenter la pauvreté. Un nombre toujours plus élevé de personnes éligibles aux aides sociales ne réclament pas ces aides. Vont-ils, dans ce cas, engager un recours en justice pour discrimination ? Ne devrions-nous pas plutôt réfléchir à la question de l’autodiscrimination ?

J’aimerais ne pas clore mon propos sur une note grave. En dépit du bien-fondé de la proposition de loi, il ne faut pas occulter le problème de fond qui se cache derrière. En effet, je vous invite, mes chers collègues, à ne pas vous tromper de cible : c’est bien l’étendue de la précarité sociale qu’il faut combattre et qui est le véritable problème de notre pays. C’est bien l’existence d’une armée de chômeurs, dont une politique que je regrette fait grossir les rangs, qui autorise le choix et, donc, la discrimination. Celle-ci n’en est qu’une de ses conséquences désastreuses. Il faut donc s’inquiéter de cette loi et non s’en réjouir. Si nous devons aujourd’hui légiférer sur cette forme de discrimination, c’est bien parce que la précarité sociale devient endémique.

Cette proposition de loi arrive à un moment où notre pays est durement touché par le chômage et la pauvreté. La pauvreté concerne aujourd’hui, en France, 8,7 millions de personnes, soit 14,3 % de la population. Je rappelle également qu’un enfant sur cinq est touché. Ne l’oublions pas, notre combat doit être avant tout de vaincre la précarité sociale !

Le groupe UDI-UC s’abstiendra sur cette proposition, mais quatre de ses membres, dont je suis, la voteront. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens, au nom du groupe socialiste, à saluer l’initiative forte de notre collègue Yannick Vaugrenard, qui fait suite au remarquable rapport d’information qu’il a publié voilà quelques mois sur le sujet, un rapport très parlant, très vivant et très vrai.

Vous l’avez dit, cher collègue, il y a 8,7 millions de personnes pauvres en France, soit 4 millions de ménages. Le cri lancé avec tant de fermeté et d’autorité, mais aussi tant de douceur et de tendresse par Geneviève de Gaulle-Anthonioz, désormais entrée au Panthéon, mérite d’être entendu. C’est ce que vous faites avec cette proposition de loi.

On a dit que de nombreux critères de discrimination étaient déjà inscrits dans la loi. Certes, on pourrait peut-être simplifier, mais, voyez-vous, mes chers collègues, ils sont tous nécessaires, parce qu’il est profondément inacceptable qu’un être humain soit discriminé en raison de son origine, son sexe, sa situation de famille, sa grossesse, son apparence physique, son patronyme, son lieu de résidence, son état de santé, son handicap, ses caractéristiques génétiques, ses mœurs, son orientation ou son identité sexuelle, son âge, sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

À cette liste, il est proposé d’ajouter, après le lieu de résidence, la précarité sociale, la pauvreté. Pour ma part, je pense que tous ces critères sont justifiés. C’est bien de parler en général des droits de l’homme et de la femme, mais c’est encore mieux de les appliquer très précisément.

Comme je tiens, à l’instar de nombre d’entre vous, à ce que la proposition de loi soit adoptée, je m’en tiendrai là, conformément à ce qui m’a été, à juste titre, demandé.

Permettez-moi cependant de prendre le temps de saluer notre collègue rapporteur Philippe Kaltenbach. La commission des lois a fait du bon travail. Elle a souhaité que la loi de 1881 ne soit pas modifiée. Nous aurons l’occasion d’en reparler, mais chacune des dispositions de cette loi est très importante pour défendre la liberté de la presse.

Par ailleurs, je me félicite, monsieur le rapporteur, que vous ayez remplacé le critère de « précarité sociale » par celui de « particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur » pour d’évidentes raisons tenant aux exigences de clarté évoquées à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel, en vue d’une bonne interprétation de la loi.

Mon cher collègue Yannick Vaugrenard, merci d’avoir élaboré ce texte, de nous l’avoir présenté. Je tiens également à remercier toutes les associations œuvrant sur le terrain qui portent ce texte avec vous, et avec nous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la pauvreté est un fléau qui touche plus de 8 millions de personnes en France.

La proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale est effectivement issue des travaux de la délégation sénatoriale à la prospective, menés entre 2013 et 2014 sous la présidence de Joël Bourdin.

Les auteurs de cette proposition de loi ont décidé d’introduire un vingt et unième critère et, ainsi, d’allonger la liste des discriminations invocables comme préjudices au regard de l’article 225-1 du code pénal, de l’article L. 1132-1 du code du travail, de la loi de 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations et de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Ce vingt et unième critère est celui de la « précarité sociale », qui pourrait donc justifier des sanctions pénales. Aux termes de l’exposé des motifs, « cette reconnaissance est une manière forte d’adresser un message ». C’est en tout cas ce qu’espèrent les auteurs de la proposition de loi. Nous sommes très clairement en train de débattre d’une proposition de loi symbolique, d’une proposition de loi « prise de conscience », si je puis dire, mais, finalement, cette proposition de loi ne fera pas, hélas ! avancer les choses.

Nous devrions plutôt réfléchir à autre chose qu’à une simple prise de conscience. La pauvreté progresse en France ; ce phénomène n’est pas nouveau. En témoigne le rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective : « Loin de diminuer, la pauvreté est un phénomène qui se durcit, s’intensifie, se transforme et s’étend à de nouvelles populations. » Ce même rapport d’information en appelait d’ailleurs à des changements profonds sur un certain nombre de sujets fondamentaux. Il se voulait « lanceur d’alerte », mais j’ai l’impression que nous n’en sommes, encore aujourd'hui, avec cette proposition de loi, qu’au stade du lancement d’alertes.

Ce n’est pas le sujet que je dénonce, bien au contraire, mais bel et bien la manière de l’aborder. L’un des trois objectifs recherchés dans le rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective était : « prendre conscience ». Nous débattons ici d’une proposition de loi visant effectivement à aider à prendre conscience. Cela signifie-t-il qu’il faudra, dans un an, voire plus, déposer une proposition de loi traitant du deuxième objectif, à savoir « instaurer la confiance », puis, dans deux ou trois ans, d’une dernière concernant le troisième objectif, « oser la fraternité » ?

Nous légiférons beaucoup, mais il nous faut aller plus loin et plus vite, surtout pour ce qui concerne cette question dramatique de la pauvreté. À mon sens, il ne suffit pas d’engager une action symbolique pour se donner bonne conscience. Le véritable débat devrait être celui de la pauvreté. Ce qui a poussé Yannick Vaugrenard à écrire son rapport d’information, c’est le constat que la pauvreté devient héréditaire : la pauvreté se transmet de génération en génération, comme une malédiction. Si des enfants sont pauvres, c’est parce qu’ils vivent dans des familles pauvres, lesquelles sont de plus en plus souvent monoparentales.

Au cours de ces dernières années, on a noté un changement notable dans la constitution sociale des ménages pauvres en France. Désormais, le nombre de personnes pauvres vivant dans des familles monoparentales est bien supérieur au nombre de personnes pauvres vivant dans des familles nombreuses. Aussi, il serait opportun de réfléchir à cette question sur le fond, afin de trouver les moyens de ralentir cette augmentation.

De plus, à la tête de ces familles monoparentales, on trouve essentiellement des femmes. Celles-ci subissent une double précarisation, parce qu’elles occupent très souvent des emplois peu qualifiés, qu’elles subissent des temps partiels contraints, peu rémunérés. J’entends par là que la lutte contre la pauvreté, la précarité sociale, ne peut s’exonérer d’une réflexion sur les inégalités, d’autant que celles-ci ne sont pas uniquement financières.

Le rapport de 2013 sur l’état de la pauvreté en France était une nouvelle occasion de proposer des mesures concrètes, afin d’essayer d’améliorer le quotidien de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants qui ont des difficultés à satisfaire leurs besoins fondamentaux tels que se nourrir, se loger, se faire soigner, s’éduquer ou encore payer ses factures. À mon sens, ce n’est pas en ajoutant simplement un critère pénalement répréhensible que nous avancerons.

Nous sommes des responsables politiques. Il est donc de notre devoir, ici, au sein de la Haute Assemblée, non seulement de réagir, mais également d’agir, en formulant des propositions concrètes, afin d’éviter que les victimes ne s’enfoncent un peu plus encore. Engager une réflexion plus large et répondre globalement aux problématiques soulevées dans le rapport de M. Vaugrenard me paraîtraient participer d’une démarche plus cohérente et plus judicieuse. C’est pourquoi je m’abstiendrai sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier.

Mme Michelle Meunier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie à mon tour notre collègue Yannick Vaugrenard d’avoir pris cette initiative. Cela nous permet de nous intéresser une fois encore à la situation de nos concitoyennes et de nos concitoyens qui souffrent et qui, trop souvent, perdent l’espoir de voir leurs conditions de vie s’améliorer.

Inscrire dans la loi l’interdiction de toute forme de discrimination liée à la situation économique et sociale de la personne constitue un geste fort. Une telle démarche s’appuie sur des situations vécues qui témoignent du caractère indigne de comportements qu’il convient donc de sanctionner et d’interdire. Même s’il ne sera pas toujours aisé de démontrer la volonté de nuire de l’auteur d’une discrimination et donc de le poursuivre – comme c’est le cas, aujourd’hui, pour les autres types de discriminations –, l’ajout du critère de « vulnérabilité » sociale au fondement d’une discrimination fixe des limites positives qui viennent renforcer le pacte républicain.

Je ne rappellerai pas les statistiques qui ont déjà été évoquées : ces chiffres sont tout à fait insupportables, notamment concernant les 3 millions d’enfants pauvres.

C’est au nom de l’engagement républicain qu’ont été mis en place, après-guerre, notre sécurité sociale, puis les nombreux dispositifs de redistribution qui existent dans notre pays. Ils représentent autant de remparts contre l’exclusion et la grande pauvreté. Cependant, c’est aussi le rôle du droit commun de favoriser l’intégration de toutes les personnes, y compris lorsqu’elles vivent en situation de précarité et de pauvreté. Je pense notamment au droit au logement, à la santé, à la formation et à l’emploi, ainsi qu’à l’accès aux modes de garde ou à la cantine pour les enfants. Sur ce dernier point, je constate avec regret que la ville de Toulouse envisage de mettre fin à la gratuité des cantines scolaires, décision qui affecterait près de 7 000 familles.

La loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, votée en 2014, permet déjà de limiter les inégalités touchant les femmes de notre pays. La réforme de l’éducation, quant à elle, contribuera à fournir à chacune et à chacun, quel que soit son milieu social d’origine, les mêmes chances de se construire. Enfin, l’action individualisée de la protection de l’enfance cherche à prendre en compte, le plus en amont possible, les difficultés des familles et tente d’y remédier.

Il nous faut maintenir ces efforts de solidarité, sans stigmatiser ou discriminer celles et ceux qui en bénéficient. Il importe même d’aller plus loin dans cette volonté de donner une chance à toutes et à tous, dès le plus jeune âge, en imposant des indicateurs de suivi régulier dans tous les domaines des politiques publiques pour les moins de dix-huit ans et en fixant des objectifs précis de progrès.

Nous ne pouvons plus tolérer que la société accepte les discriminations subies par une partie de ses enfants, du fait des difficultés économiques et sociales de leurs parents et de leur famille. Comme vous l’avez indiqué, madame la secrétaire d’État, il n’y a pas de fatalité. Il est de notre devoir d’aider ces futurs adultes à surmonter leurs difficultés. Tel est le sens de ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari.

Mme Bariza Khiari. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de loi s’inscrit dans le long – trop long – combat mené pour lutter contre les discriminations. Trop longtemps, notre pays a négligé les conséquences que celles-ci entraînent, refusant de considérer qu’elles sont souvent des morts sociales. Aussi, les pratiques discriminatoires, parce qu’elles n’ont longtemps suscité que de l’indifférence, ont profondément entamé l’adhésion aux valeurs égalitaires, méritocratiques et solidaires de notre République.

Le texte présenté par notre collègue Yannick Vaugrenard, dont je salue l’engagement pour cette belle cause marquée par la fraternité, propose l’ajout d’un vingt et unième critère constituant une discrimination, celui de la précarité sociale.

Le chômage ou le RSA sont des épreuves économiques, des moments difficiles de la vie auxquels nous devons faire en sorte de ne pas ajouter l’indignité, les vexations et les humiliations. Il nous revient, à tout le moins, de faire en sorte que cette double peine ne soit pas considérée avec indifférence ou, pis, avec de la condescendance. La pauvreté est une situation subie, et non pas choisie !

La proposition de loi offre donc une protection bienvenue. Néanmoins, il faut signaler que peu de plaintes pour discrimination connaissent une issue satisfaisante, tant le chemin est semé d’embûches et de difficultés. Si les tribunaux sont mal équipés pour traiter des questions de discrimination, il nous incombe de leur donner des instruments plus adaptés, et non de renoncer à l’action. Préciser les critères de discrimination et mieux armer les juges doivent constituer un impératif. L’évolution des consciences et la réduction des discriminations n’interviendront d’ailleurs qu’à la condition de maintenir une attention constante.

Dans son avis du 9 juin 2015, le Défenseur des droits a souligné que le critère de précarité sociale était discutable, parce qu’il constituait « une situation, temporaire ou chronique » et non « une caractéristique pérenne de la personnalité ». Cet argument me semble avoir ses propres limites, car il suffit de passer en revue la liste des critères pour identifier d’autres situations temporaires, comme la grossesse, la situation de famille, l’état de santé ou le lieu de résidence. Adopté sur l’initiative de la commission des lois, le changement sémantique de « précarité » en « vulnérabilité » sociale, terme dont la définition légale existe, est donc tout à fait judicieux.

L’état de pauvreté ne relève pas de la responsabilité individuelle mais résulte d’un contexte économique et social, sur lequel nous avons la mission d’agir. Toutefois, je fais le pari que l’ajout d’un tel critère intensifiera le combat pour la justice et le progrès social.

Mes chers collègues, pour faire vivre le troisième pilier de notre devise, celui d’une « fraternité » qui symbolise le lien de solidarité qui devrait unir tous les membres de la famille humaine, le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de loi, qui contribue à franchir un degré supplémentaire dans le combat contre les discriminations. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale
Article unique (fin)

Article unique

I. – L’article 225-1 du code pénal est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, après les mots : « de leur apparence physique, », sont insérés les mots : « de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, » ;

2° Au second alinéa, après les mots : « de l’apparence physique, », sont insérés les mots : « de la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue de son auteur, ».

II. – Le code du travail est ainsi modifié :

1° À l’article L. 1132-1, après les mots : « de ses caractéristiques génétiques, », sont insérés les mots : « de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, » ;

2° (nouveau) Après l’article L. 1133-5, il est inséré un article L. 1133-6 ainsi rédigé :

« Art. L. 1133-6. – Les mesures prises en faveur des personnes vulnérables en raison de leur situation économique et visant à favoriser l’égalité de traitement ne constituent pas une discrimination. »

III. – (Supprimé)

IV. – La loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations est ainsi modifiée :

1° Au premier alinéa de l’article 1er, après les mots : « ses convictions, », sont insérés les mots : « la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, » ;

2° L’article 2 est ainsi modifié :

a) (Supprimé)

b) Au 2°, après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « , la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue de son auteur, ».

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L'amendement n° 1 rectifié est présenté par M. Mohamed Soilihi.

L'amendement n° 2 est présenté par M. Kaltenbach, au nom de la commission.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Compléter cet article par trois paragraphes ainsi rédigés :

... – Le code du travail applicable à Mayotte est ainsi modifié :

1° À l'article L. 032-1, après les mots : « de ses caractéristiques génétiques, », sont insérés les mots : « de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, » ;

2° Après l'article L. 033-4, il est inséré un article L. 033-5 ainsi rédigé :

« Art. L. 033-5. – Les mesures prises en faveur des personnes vulnérables en raison de leur situation économique et visant à favoriser l'égalité de traitement ne constituent pas une discrimination. »

... – Le I est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna.

... – Le IV est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises, dans les matières relevant de la compétence de l'État.

L’amendement n° 1 rectifié n’est pas soutenu.

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 2.

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Cet amendement vise à corriger un oubli des auteurs de la proposition de loi initiale, que la commission des lois n’a pas pensé à réparer. Heureusement, notre collègue Thani Mohamed Soilihi a remarqué que le texte de la commission ne permettrait pas l’application de la loi dans les collectivités d’outre-mer. Pour pallier l’éventuelle absence de notre collègue aujourd’hui, la commission des lois a déposé un amendement identique au sien, que je vous invite à adopter, mes chers collègues.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 2.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Si j’interviens à ce moment du débat, ce n’est pas pour rappeler l’aggravation récente des situations de détresse sociale que rencontre la société française en raison, d’une part, du chômage de masse et, d’autre part, du glissement d’un certain nombre de nos concitoyens dans les différents régimes de minima sociaux, après l’épuisement de leurs droits aux allocations chômage. Je laisserai donc de côté toutes les considérations de politique générale sur la lutte contre la pauvreté. Je souhaite me concentrer sur le thème de la proposition de loi, à savoir la lutte contre les discriminations au titre de la pauvreté.

Je me suis longuement interrogé sur cette approche. La question qui nous est posée est en réalité très profonde, car il convient d’aborder le problème de la pauvreté sous un autre angle que l’angle strictement matériel. Nous devons non seulement nous interroger sur le regard porté par chacun de nos concitoyens sur celui ou celle qui est en situation de pauvreté, mais aussi nous interroger sur le regard que les pauvres portent sur eux-mêmes. Bien souvent, ces deux regards coïncident et aboutissent à la dévalorisation des personnes en détresse, ce qui représente peut-être le premier obstacle sur le chemin d’un retour à l’estime de soi, étape pourtant indispensable pour retrouver les capacités, les ressources et le ressort qui permettent à ces personnes au fond du trou de commencer à en sortir.

Tout ce qui, dans le débat public, peut contribuer à accorder davantage de considération à nos concitoyens en situation de pauvreté, indépendamment de la nécessité du traitement matériel de la pauvreté – qui est un enjeu politique majeur sur lequel j’ai moi-même dressé un certain nombre de constats –, me paraît aller dans la bonne direction. Toutefois, la commission des lois a relevé que le critère de « vulnérabilité » constituerait le vingt et unième motif de sanction pénale pour fait de discrimination, menant ainsi l’analyse juridique qui lui revient. Or je crains qu’un tel cumul de critères au fil des années n’ait pas beaucoup de sens et ne soit pas réellement efficace dans le cadre de la lutte contre les discriminations. En réalité, nous devrions réfléchir à une refonte complète de cette approche qui, faite d’ajouts successifs, se révèle beaucoup trop ponctuelle.

Laissons cependant de côté ces considérations juridiques, tout comme les considérations économiques que j’évoquais précédemment. Admettons donc que cette proposition de loi est une main tendue et qu’elle mérite à ce titre, malgré tous ses défauts – pardon à son auteur ! –, de recevoir une sanction positive de la part du législateur. C’est pourquoi, à titre personnel, et après avoir beaucoup hésité, je voterai le texte, non sans avoir rappelé que l’ensemble de mon groupe a décidé de s’abstenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)