Sommaire

Présidence de Mme Françoise Cartron

Secrétaire :

M. François Fortassin.

1. Procès-verbal

2. Candidature à un organisme extraparlementaire

3. Caisse des Français de l'étranger. – Rejet d’une proposition de loi

Discussion générale :

M. Jean-Yves Leconte, auteur de la proposition de loi

M. Éric Jeansannetas, rapporteur de la commission des affaires sociales

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion

M. Olivier Cadic

M. Jean-Pierre Cantegrit

M. Jean Desessard

M. Dominique Watrin

M. François Fortassin

M. Richard Yung

M. Robert del Picchia

Mme Claudine Lepage

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 2 de M. Jean-Pierre Cantegrit. – Adoption, par scrutin public, de l’amendement supprimant l’article.

Article 2

Amendement n° 3 de M. Jean-Pierre Cantegrit. – Adoption, par scrutin public, de l’amendement supprimant l’article.

Article 3

Amendement n° 4 de M. Jean-Pierre Cantegrit. – Adoption, par scrutin public, de l’amendement supprimant l’article.

Amendement n° 1 rectifié de Mme Claudine Lepage. – Devenu sans objet.

Tous les articles ayant été supprimés, la proposition de loi n’est pas adoptée.

4. Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire

5. Discrimination à raison de la précarité sociale. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

M. Yannick Vaugrenard, auteur de la proposition de loi

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur de la commission des lois

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion

M. Didier Mandelli

Mme Esther Benbassa

Mme Cécile Cukierman

M. François Fortassin

M. Olivier Cadic

M. Jean-Pierre Sueur

Mme Nicole Duranton

Mme Michelle Meunier

Mme Bariza Khiari

Clôture de la discussion générale.

Article unique

Amendement n° 2 de la commission. – Adoption.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois

M. Jean-Claude Luche

Adoption de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Gérard Larcher

6. Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président

situation des migrants

MM. Roger Karoutchi, Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

taxis et vtc (véhicules de tourisme avec chauffeur)

MM. Philippe Esnol, Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

politique de la france en europe en matière d'accueil des demandeurs d'asile

Mme Esther Benbassa, M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

situation de l’hôpital

Mmes Laurence Cohen, Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

mesures en faveur des tpe et des pme

M. Bernard Lalande, Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire

situation de l’entreprise vallourec et le rôle de la banque publique d’investissement (bpifrance)

Mmes Valérie Létard, Martine Pinville, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire

situation des médecins

M. Alain Milon, Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

conséquences de la fusion des régions pour les services de l’état

Mmes Marie-Françoise Perol-Dumont, Clotilde Valter, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de la réforme de l’État et de la simplification

filière bovine

MM. François Bonhomme, Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger

industrie aéronautique

MM. Martial Bourquin, Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche

situation de la société irrifrance et soutien de la banque publique d'investissement (bpifrance)

M. Robert Navarro, Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron

7. Étude d'impact en application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution. – Discussion et retrait d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission

Discussion générale :

M. Pierre-Yves Collombat, coauteur de la proposition de loi organique

M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de la réforme de l’État et de la simplification

M. Philippe Kaltenbach

Mme Leila Aïchi

Mme Éliane Assassi

Mme Jacqueline Gourault

M. Jacques Mézard

Mme Jacky Deromedi

M. Jean-Pierre Sueur

Clôture de la discussion générale.

Article 1er A (nouveau)

M. Pierre-Yves Collombat

Amendement n° 1 de M. Philippe Kaltenbach. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 1er B (nouveau) – Adoption.

Article 1er

Amendement n° 2 de M. Philippe Kaltenbach. – Adoption, par scrutin public, de l’amendement supprimant l’article.

Suspension et reprise de la séance

M. Jacques Mézard

Retrait de la proposition de loi.

8. Dépôt d’un document

9. Candidatures à un organisme extraparlementaire

10. Communications du Conseil constitutionnel

11. Débat sur le thème : « comment donner à la justice administrative les moyens de statuer dans des délais plus rapides ? »

M. Jacques Mézard, au nom du groupe du RDSE

Mme Leila Aïchi

M. Christian Favier

M. Jean-Claude Requier

M. François Bonhomme

M. Claude Kern

M. Thani Mohamed Soilihi

M. Jean-Pierre Sueur

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

12. Communication du Conseil constitutionnel

13. Nomination de membres d’un organisme extraparlementaire

14. Octroi de mer. – Adoption des conclusions d’une commission mixte paritaire

M. Éric Doligé, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer

Mme Éliane Assassi

M. Philippe Esnol

M. Joël Guerriau

M. Georges Patient

Mme Aline Archimbaud

M. Michel Magras

M. Serge Larcher

Mme George Pau-Langevin, ministre

Texte élaboré par la commission mixte paritaire

Adoption définitive du projet de loi.

15. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Françoise Cartron

vice-présidente

Secrétaire :

M. François Fortassin.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Candidature à un organisme extraparlementaire

Mme la présidente. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations.

La commission des finances a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Maurice Vincent pour siéger au sein de cet organisme.

Cette candidature a été publiée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à réformer la gouvernance de la Caisse des Français de l'étranger
Discussion générale (suite)

Caisse des Français de l'étranger

Rejet d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi visant à réformer la gouvernance de la Caisse des Français de l’étranger, présentée par M. Jean-Yves Leconte et les membres du groupe socialiste et républicain (proposition n° 205, résultat des travaux de la commission n° 504, rapport n° 503).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Yves Leconte, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à réformer la gouvernance de la Caisse des Français de l'étranger
Article 1er

M. Jean-Yves Leconte, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la Caisse des Français de l'étranger, ou CFE, a été instituée par la loi dite « loi Bérégovoy » du 13 juillet 1984, avec pour objectif de permettre aux Français de l’étranger et aux entreprises envoyant du personnel à l’étranger de disposer d’un outil assurant la continuité de la protection sociale selon nos propres normes. Son intérêt est donc à la fois économique, pour nos entreprises, et social, pour les Français qui vivent hors de France.

Cet outil permet également aux entreprises d’intégrer les Français qui vivent à l’étranger à la solidarité nationale, en ce qui concerne le chômage, la retraite et, surtout, l’assurance maladie et les accidents du travail.

Bien entendu, la mise en place de la Caisse a dû tenir compte de contraintes spécifiques.

En France, on ne cotise qu’à partir d’un salaire minimum, il existe des cotisations sociales obligatoires et il est possible de vérifier les déclarations des cotisants. Rien de tout cela n’existe à l’étranger. Par conséquent, des revenus très faibles suffisent à faire perdre la qualité d’ayant droit, et certaines personnes doivent acquitter une cotisation du même ordre de grandeur que les revenus qu’elles ont perçus pour pouvoir continuer à être protégées… Pour les hauts revenus, à l’inverse, la Caisse des Français de l'étranger se trouve en concurrence avec les assurances privées. Enfin, pour des questions de souveraineté évidentes, la vérification des déclarations des cotisants est beaucoup plus complexe à l’étranger qu’elle ne l’est en France.

Pourtant, la Caisse des Français de l'étranger est à l’équilibre. Je ne sais pas comment évoluera le débat : la Caisse fera probablement l’objet de critiques et de remises en cause. En tout état de cause, je veux, pour ma part et compte tenu des contraintes que je viens d’évoquer, rendre hommage à une gestion qui, pendant toutes ces années, a permis à la Caisse d’être équilibrée.

Bien entendu, depuis 1984, un certain nombre de changements ont eu lieu dans le monde.

D'abord, le nombre de Français vivant hors de France a augmenté, le nombre de cotisants à la CFE ayant évolué de manière globalement corrélative, même si le taux de Français vivant hors de France qui sont cotisants ou sont ayants droit de la Caisse est resté un peu inférieur à 10 %.

Les exigences à l’égard de la médecine, laquelle, dans de plus en plus de pays, est toujours plus commerciale, ont elles aussi changé.

Depuis 1984, la coordination des régimes de protection sociale en Europe a également évolué, ce qui conduit bien naturellement à envisager la question de l’Europe, laquelle est au cœur de l’avenir de la Caisse des Français de l'étranger, que ce soit, d'ailleurs, pour les Français vivant dans l’Union européenne ou pour les ressortissants de l’Union européenne, dans leurs rapports avec la Caisse.

Enfin, pour des questions de souveraineté étatique et de sensibilité des États à la protection sociale, de plus en plus de pays n’acceptent plus que des étrangers travaillant sur leur territoire ne cotisent pas à leur propre régime de protection sociale. C’est ce que l’on a pu observer, ces toutes dernières années, en Turquie, en Chine ou aux États-Unis, où la mise en place de l’Obamacare a conduit un certain nombre de personnes auparavant affiliées à la Caisse des Français de l'étranger sans qu’elles aient à payer une autre assurance maladie à devoir choisir entre abandonner la Caisse et acquitter une double cotisation. J’ajoute, à ce sujet, que la non-adaptation de la Caisse des Français de l'étranger à l’Obamacare montre combien il est urgent de faire évoluer le système.

C’est aussi l’expatriation qui a évolué. En 1984, les personnes s’expatriaient pour accompagner les grandes entreprises. Aujourd'hui, les choses ont changé. Dans l’évolution de la population expatriée, deux grandes tendances se dessinent : d’un côté, des personnes, notamment des travailleurs indépendants, qui s’installent à l’étranger alors qu’elles sont encore très jeunes et, de l’autre, des retraités qui veulent passer leurs vieux jours à l’étranger.

Bien entendu, ces modifications changent profondément l’équilibre de la Caisse des Français de l'étranger, parce qu’il faut être prêt à la fois à répondre aux besoins de retraités s’affiliant à plus de soixante ans et être capable d’offrir aux jeunes des produits compétitifs compte tenu de leur pouvoir d’achat.

La protection des accidents du travail est la pépite de la Caisse des Français de l'étranger. Beaucoup de grosses entreprises, même parmi celles qui choisissent d’autres systèmes d’assurance maladie, font appel à la Caisse des Français de l'étranger pour cette protection, qui mériterait d’être encore plus exploitée, parce qu’elle est tout à fait spécifique.

En ce qui concerne l’assurance maladie, on constate que le nombre de cotisants est passé, entre 2007 et 2014, de 67 000 à 91 000 cotisants ; mais si l’augmentation a été de plus de 30 % pour les moins de soixante ans, elle a été de plus de 50 % pour les plus de soixante ans, si bien que l’âge moyen du cotisant a augmenté – il est aujourd'hui de quarante-sept ans. Il semblerait que l’âge à partir duquel le cotisant passe du statut de contributeur net à celui de bénéficiaire net soit de cinquante et un ans.

Cette évolution est bien entendu inquiétante, alors que, de manière quelque peu paradoxale, de plus en plus de jeunes Français vivent à l’étranger. Si la Caisse des Français de l'étranger était capable de répondre mieux aux besoins de ces plus jeunes, elle disposerait des outils pour garantir son équilibre à l’avenir.

J’ajoute, pour l’avoir vécu au début des années quatre-vingt-dix, que, lorsque les cotisations sont trop élevées par rapport à la richesse qu’un travailleur indépendant à l’étranger peut produire, ce dernier repoussera l’âge auquel il se met à cotiser, ce qui l’obligera ensuite à acquitter une rétroactivité de cotisations coûteuse et potentiellement problématique, selon sa situation du moment. C’est même une vraie difficulté pour les plus jeunes dont l’activité professionnelle présente un « trou ».

Compte tenu du fait que les remboursements de la Caisse s’établissent, aujourd'hui, sur la base du prix de journée, compte tenu de la nécessité de répondre aux besoins des jeunes, compte tenu de la situation des ayants droit et des questions posées par celle des adhérents tardifs, qui commencent à cotiser à la Caisse des Français de l'étranger alors qu’ils sont retraités, compte tenu également de la manière dont il convient de contrôler les déclarations pour éviter que la Caisse ne fasse l’objet de fraudes, il faut engager une réforme. Tout ce que je viens d’expliquer l’exige.

La manière dont la Caisse n’a pas répondu à l’enjeu de l’Obamacare, que j’évoquais tout à l’heure, montre qu’il y a urgence. D’ailleurs, monsieur Cadic, sans doute vous rappelez-vous le rapport publié par la Cour des comptes en 2010 !

L’évolution du monde que j’ai décrite au travers de mes remarques nécessite une évolution législative des principes encadrant le fonctionnement de la Caisse des Français de l'étranger. C'est la raison d’être de cette proposition de loi.

Paradoxalement, cette proposition de loi ne porte pas sur les sujets que j’ai développés : elle a pour objet de réformer le conseil d’administration de la Caisse. En effet, le renouvellement de la gouvernance doit être la première pierre de la réforme.

Aujourd'hui, le conseil d’administration est notamment composé de trois représentants de l’Assemblée des Français de l’étranger, l’AFE, et de quinze représentants des assurés élus par l’Assemblée des Français de l’étranger.

Je rappelle que, jusqu’en 2013, l’Assemblée des Français de l’étranger comptait 155 membres élus directement par les Français dans une cinquantaine de circonscriptions. C’étaient les seuls élus des Français de l’étranger.

Aujourd'hui, 443 conseillers consulaires sont élus directement par les Français dans 130 circonscriptions. Il ne serait pas convenable de les exclure du choix des membres du conseil d’administration, alors que les 90 membres de l’Assemblée des Français de l’étranger sont désormais élus indirectement, sur la base de très grandes circonscriptions, avec une connaissance moindre de celles-ci. En effet, même s’ils sont conseillers consulaires, les conseillers de l’AFE n’ont pas les moyens de rayonner sur l’ensemble du territoire de leur circonscription.

Il ne serait pas sain, à un moment où la Caisse doit faire face à des évolutions importantes, de confier son avenir à des personnes finalement élues deux fois au scrutin indirect et sans lien direct avec l’ensemble des circonscriptions définies pour la représentation des Français de l’étranger. Ce serait un déni de démocratie. Nous avons les outils pour procéder autrement !

L’urgence est réelle. En effet, le conseil d’administration de la Caisse, élu en 2008, devait être renouvelé en 2014, mais il a sollicité un délai d’un an pour réfléchir à l’avenir de la Caisse. Au bout d’un an, nous n’avons rien vu venir,… ce qui ne nous a pas empêchés de travailler de notre côté.

C'est pour permettre à la Caisse des Français de l'étranger de faire face aux enjeux que nous avons déposé cette proposition de loi : un conseil d’administration renouvelé et représentatif pourra engager au mieux les réformes de fond exigées par le contexte que je viens de décrire et par les évolutions de la Caisse des Français de l'étranger et de l’expatriation.

Le dispositif que nous proposons est intéressant à plusieurs titres.

D'abord, je rappelle qu’auparavant l’élection des membres du conseil d’administration se faisait à la sortie d’une réunion à l’Assemblée des Français de l’étranger. En somme, il y avait une urne, deux listes, et l’on votait.

Avec l’élargissement de la base électorale des représentants des assurés aux 443 conseillers consulaires, répartis sur l’ensemble du monde, au moyen d’un vote électronique, le débat sur les orientations qu’il convient de donner à la Caisse deviendrait incontournable. Il y aurait donc une vraie campagne électorale, une vraie confrontation de projets.

D’ailleurs, depuis que j’ai indiqué que nous travaillions sur cette réforme et qu’une proposition de loi sur ce sujet serait examinée aujourd'hui au Sénat, j’ai été impressionné par le nombre de réactions de Français vivant à l’étranger. Ceux-ci attendent des évolutions de la Caisse des Français de l’étranger pour qu’elle réponde mieux à leurs besoins.

Avec ce conseil d’administration renouvelé et plus en adéquation avec les besoins du terrain, il s’agit de se doter d’un premier outil pour faire progresser la Caisse des Français de l’étranger.

Une question revient souvent : pourquoi ne pas faire élire les représentants des adhérents par les adhérents eux-mêmes ? La réponse est simple : en raison de l’exigence d’universalité et d’ouverture !

Il s’agit d’une caisse facultative, sans obligation de cotisation : ce sont ceux qui ont choisi d’aller vers cette caisse – parce qu’ils ont les moyens de cotiser – qui cotisent aujourd’hui et qui cotiseront aussi demain. Par conséquent, si nous devions faire élire le conseil d’administration exclusivement par des gens ayant déjà les moyens de cotiser, le conseil d’administration finirait par défendre les intérêts des adhérents et ne serait plus animé de la volonté farouche qu’il convient d’avoir pour que la caisse soit, dans le respect de son équilibre, ouverte à un maximum de Français vivant à l’étranger.

C'est la raison pour laquelle, compte tenu de l’exigence d’universalité, il convient de conserver au conseil d’administration une base électorale reposant non pas sur les adhérents, mais sur l’ensemble des élus des Français de l’étranger.

La mesure visant à supprimer l’un des postes dévolus au MEDEF a fait couler beaucoup d’encre dans certains milieux : nous aurions commis un crime ! Sachez toutefois qu’après un an le MEDEF n’a toujours pas nommé son second représentant au conseil d’administration. Nous parlons donc d’un crime très virtuel…

Le but de cette mesure n’est d’ailleurs pas de retirer une place au MEDEF, dont le rôle est essentiel dans la gestion des organismes de sécurité sociale, mais d’en accorder une aux chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger qui sont les seules à véritablement connaître les entreprises sur le terrain.

Nous proposons donc que la représentation de ces chambres à l’étranger puisse nommer un représentant qui sera non seulement impliqué dans la gestion de la Caisse, mais aussi capable de promouvoir les produits de la CFE dans toutes les chambres de commerce, ce qui n’est aujourd’hui clairement pas le cas.

J’ai eu plusieurs fois l’occasion de constater que nous n’informions qu’au cas par cas les conseils d’administration des différentes chambres de commerce à l’étranger des évolutions de la Caisse et de ses produits . De ce point de vue, l’ouverture aux chambres de commerce est une nécessité.

Cette proposition de loi est l’un des deux éléments permettant de répondre à l’ensemble des questions que je viens d’évoquer. Elle traite du problème du conseil d’administration de la Caisse, c’est-à-dire de sa gouvernance. Au regard de la démocratie et de l’avenir de la CFE, il est urgent que cette dernière s’appuie sur un conseil d’administration à la fois renouvelé et représentatif. Seule une évolution rapide, avant le prochain renouvellement du conseil d’administration, permettra de répondre à ce défi.

Le second élément réside dans la mission commune confiée conjointement à l’Inspection générale des affaires sociales et à l’Inspection générale des finances. Cette mission a vocation à travailler aux évolutions survenues depuis 1984 et aux enjeux actuels de la protection sociale à l’étranger. Ses conclusions permettront de valider en partie les réflexions tenues dans différents cercles sur les évolutions législatives relatives au fonctionnement de la Caisse qu’il convient de mettre en œuvre et qui ne font pas l’objet de cette proposition de loi.

Il est essentiel, en termes tant d’efficacité que de démocratie, que le conseil d’administration soit élu sur des bases démocratiques et représentatives. Il sera alors pleinement légitime à travailler sur les conclusions de la mission conjointe de l’IGAS et de l’IGF et à s’exprimer sur les évolutions qui lui semblent nécessaires. Tel est l’objet de cette proposition de loi.

Il s’agit d’un devoir que nous partageons tous. La Caisse des Français de l’étranger est un outil de mobilité. J’aperçois dans l’hémicycle notre collègue Jacky Deromedi, qui écrit, dans chacune de ses lettres : « la France qui gagne est résolument internationale ». C’est la vérité !

Mais pour cela, il faut préserver et adapter cet outil de mobilité. Il faut donc permettre à l’ensemble des représentants des Français de l’étranger de participer aujourd’hui à la réflexion sur ces évolutions. Or cela ne pourra se faire qu’en adoptant cette proposition de loi : le renouvellement du conseil d’administration sur des bases démocratiques – un conseil d’administration représentant l’ensemble des Français de l’étranger, un conseil d’administration élu par l’ensemble des élus des Français de l’étranger – permettra d’aborder sereinement la question de la réforme de fond de la Caisse des Français de l’étranger et les indispensables évolutions législatives.

C'est la raison pour laquelle je vous invite à voter cette proposition de loi. Je demande à ceux qui voudraient supprimer un article ou un autre de prendre le temps de la réflexion.

M. Christophe-André Frassa. C’est tout réfléchi !

M. Jean-Yves Leconte. Construire les outils nécessaires à une réflexion transpartisane…

M. Christophe-André Frassa. Peut-être aurait-il fallu proposer un texte qui ne soit pas partisan !

M. Jean-Yves Leconte. … qui nous permette de faire évoluer ce joyau de la mobilité de nos entreprises et de nos concitoyens est une cause d’intérêt national, d’intérêt majeur pour les Français.

Je remercie ceux qui défendront, dans la discussion générale, cette proposition de loi et invite mes collègues, dont je sais qu’ils réfléchissent encore, à aller au bout de leur réflexion et à avoir l’intelligence de changer d’avis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Éric Jeansannetas, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en première analyse, l’objet de la proposition de loi aujourd’hui soumise à notre examen est très simple : il s’agit de prévenir, dans une certaine urgence, ce que nous pourrions appeler un « dommage collatéral législatif ».

La loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France a profondément revu le mode de représentation de nos compatriotes à l’étranger en créant un niveau de représentation de proximité, le conseil consulaire, élu au suffrage universel direct par les Français inscrits sur les listes électorales consulaires.

Les conseillers consulaires élisent à leur tour les membres de l’Assemblée des Français de l’étranger. L’élection des membres de l’AFE se fait donc désormais au suffrage indirect et, pour tenir compte de l’existence d’une représentation de premier niveau, leur nombre a été réduit de 155 à 90 membres.

Cette réforme a un double effet direct sur le conseil d’administration de la CFE, les représentants des assurés étant élus par les membres de l’Assemblée des Français de l’étranger : le corps électoral est mécaniquement réduit de 155 à 90 membres et un niveau supplémentaire s’est intercalé entre les électeurs et leurs représentants.

En prévoyant une élection des représentants des assurés au conseil d’administration de la Caisse par les 443 conseillers consulaires issus des élections du 25 mai 2014, la proposition de loi rétablit un suffrage universel indirect au second degré et élargit le corps électoral des représentants des assurés.

J’ajoute que les conseillers consulaires sont, au niveau local, compétents sur les questions de protection sociale.

Les dernières élections s’étant déroulées en 2008 pour un mandat de six ans, une élection aurait dû avoir lieu à l’automne 2014. Le Gouvernement a cependant prolongé par décret la durée du mandat des administrateurs de la CFE pour un an, le temps que les conséquences de la loi du 22 juillet 2013 puissent être tirées.

Les prochaines élections au conseil d’administration de la CFE devraient donc intervenir à l’automne. En l’absence de réforme, comme je l’indiquais, le corps électoral se trouverait réduit de 155 à 90 membres avec une élection au suffrage doublement indirect. Tel est l’enjeu principal de ce texte.

Cette proposition de loi procède également à quelques modifications ponctuelles : elle simplifie la représentation des assurés, attribue un des deux sièges des employeurs à un représentant du réseau des chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger et revoit le mode d’élection du président qui serait élu, en son sein, par le conseil d’administration – comme actuellement, mais parmi les seuls représentants des salariés actifs.

Plus ponctuellement, le texte vise à transposer aux administrateurs de la CFE les règles applicables aux membres des conseils d’administration des caisses du régime général de sécurité sociale, ce qui a principalement pour effet d’instaurer une limite d’âge de soixante-cinq ans qui n’est pas applicable aux administrateurs pensionnés et cotisants à la Caisse.

La modification apportée par ce texte au corps électoral des représentants des assurés me semble la bienvenue. Je ne pense pas que l’intention du législateur de 2013 était de réduire la base électorale des administrateurs de la Caisse.

Mme Claudine Lepage. Absolument pas !

M. Éric Jeansannetas, rapporteur. Sur le plan des équilibres politiques, il n’en résulterait pas plus de bouleversements que la mise en œuvre de la loi de juillet 2013 n’en a apporté au sein de l’Assemblée des Français de l’étranger.

De la même manière, la simplification de la représentation des assurés et la désignation d’un représentant du réseau des chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger ne m’ont pas paru soulever de difficultés particulières.

En revanche, sans aller jusqu’à une représentation paritaire patronat-syndicat, comme c’est le cas au sein des caisses du régime général, il me semblerait souhaitable de prévoir une légère augmentation des représentants des employeurs, dont l’implication est souhaitée. C’est pourquoi j’avais proposé que le siège correspondant soit pris aux inactifs, lesquels, pour le coup, sont surreprésentés.

Avec l’objectif de rapprocher les règles de fonctionnement du conseil d’administration des conditions de droit commun, j’ai proposé de maintenir le principe selon lequel le président est élu en son sein, sans restriction aux seuls salariés actifs. Il me paraît difficile en effet de rendre près de la moitié du conseil d’administration inéligible à ce mandat.

J’évoquais, au début de mon intervention, une certaine urgence : il est peu probable que le processus législatif parvienne à son terme et que les décrets nécessaires soient pris avant l’échéance du mois d’octobre.

La mise en œuvre de ce texte supposerait par conséquent qu’un décret prolonge une nouvelle fois le mandat du conseil d’administration actuel de la Caisse, ce qui permettrait au processus législatif de suivre sereinement son cours et, le cas échéant, de mettre en place une réforme plus globale.

Sur un éventuel nouveau décret de prorogation du mandat des administrateurs de la Caisse, madame la secrétaire d’État, il nous serait particulièrement utile de connaître votre position.

La commission des affaires sociales a bien voulu adopter les amendements que je lui proposais, autour desquels nous aurions pu, me semble-t-il, bâtir un consensus. Elle n’a cependant pas souhaité adopter le texte ainsi modifié.

Il est vrai que ce texte n’épuise pas le sujet de la CFE. Qu’il s’agisse de son offre de services ou de la clarification de sa place dans la protection sociale des Français de l’étranger, le débat est ouvert. Le positionnement de la Caisse est en effet très particulier en raison de son statut hybride qui emprunte à la fois aux caisses du régime général de sécurité sociale et aux assurances privées intervenant sur un marché concurrentiel.

Sur ces différents points, une mission conjointe de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances est en cours depuis le mois de février dernier. Elle devrait rendre ses conclusions très prochainement ; nous aurons peut-être à en examiner les conséquences législatives.

Dans l’immédiat, compte tenu des questions de calendrier, cette proposition de loi apportait à une question ponctuelle une réponse ponctuelle. Je regrette que nous n’ayons pu aboutir sur ce point. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la communauté française à l’étranger ne cesse de s’agrandir. Aujourd’hui, plus de 1 680 000 Français sont inscrits au registre des Français établis hors de France.

Au-delà des inscrits, on estime de 2 à 2,5 millions le nombre total de Français établis hors de notre territoire, de manière permanente ou quasi permanente.

Nos expatriés sont un atout et une richesse. Ils font vivre le lien entre la France et le reste du monde. Ils sont des relais d’influence pour notre culture, notre langue, nos savoirs et nos savoir-faire. Ils sont aussi des acteurs de notre diplomatie économique, indispensables au développement international de nos entreprises.

Le devoir du Gouvernement est d’accompagner ces Françaises et ces Français pour leur garantir la sécurité : non seulement en cas de menaces ou d’attaques, mais également face aux aléas de la vie, en consolidant leur droit à une protection sociale.

À cet effet, la France a signé quarante et un accords bilatéraux de sécurité sociale et œuvré pour la coordination européenne dans ce domaine.

En l’absence de coordination ou en cas de coordination incomplète, la Caisse des Français de l’étranger, créée par la loi du 31 décembre 1976, permet aux Français établis hors de France de bénéficier d’assurances facultatives équivalentes à celles du régime général. Elle propose à tous les Français expatriés une protection sociale couvrant tous les risques.

La CFE est un organisme de droit privé investi d’une mission de service public et régi par le code de la sécurité sociale. Le nombre de personnes couvertes n’a cessé de croître depuis la création de cet organisme : on compte aujourd’hui plus de 100 000 adhérents et à peu près autant d’ayants droit. L’adhésion est massivement le fait des entreprises, qui la considèrent comme un avantage dans la gestion des carrières de leurs salariés.

Près de quarante ans après sa création, la CFE doit se moderniser. La Cour des comptes a mis en lumière cette nécessité dans un rapport de 2010. Dès aujourd’hui, nous pouvons faire évoluer la gouvernance de la CFE, d’une part pour prendre en compte les évolutions introduites par la loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France, d’autre part pour mieux la rapprocher des autres caisses de sécurité sociale.

C’est pourquoi le Gouvernement apporte son soutien à cette proposition de loi présentée par les membres du groupe socialiste et républicain.

La gouvernance de la CFE doit être réformée pour tenir compte de la réforme de la représentation des Français de l’étranger introduite par la loi du 22 juillet 2013.

Le Gouvernement a démontré dès 2012 sa volonté d’entretenir un lien fort entre la France et ses expatriés. Avec la loi du 22 juillet 2013, il a établi une « démocratie de proximité » pour mieux représenter les Français de l’étranger.

Tout d’abord – cela vous concerne particulièrement, mesdames, messieurs les sénateurs –, il a amélioré la représentativité du collège élisant les douze sénateurs et sénatrices des Français établis hors de France. Ces sénateurs et sénatrices – j’insiste ! – sont désormais élus par l’ensemble des 443 conseillers consulaires auxquels s’ajoutent 65 délégués. Le 28 septembre 2014 se sont tenues les premières élections sénatoriales avec ce collège électoral élargi.

Ensuite, il a créé des conseils consulaires pour être au plus près des Français expatriés. Les conseillers consulaires sont élus au suffrage universel direct par les Français de la circonscription consulaire : 443 conseillers consulaires ont ainsi été élus les 24 et 25 mai 2014 dans 130 circonscriptions. Ils se sont réunis pour la première fois en juin 2014. Ils sont aujourd’hui les interlocuteurs directs des Français expatriés pour toutes les questions consulaires, mais aussi pour toutes les questions de protection sociale.

Ces nouveaux conseillers consulaires jouissent d’une légitimité forte. Ils constituent un nouvel échelon de représentation, plus proche.

La CFE ne peut rester étrangère à cette évolution. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui permettra peut-être de faire des conseillers consulaires les piliers de la gouvernance de la CFE.

En effet, le texte élargit la base électorale des représentants des assurés à l’ensemble de ces 443 conseillers consulaires. Il s’agit ainsi de ne plus prendre en compte les seuls membres de l’Assemblée des Français de l’étranger.

Je veux par ailleurs rappeler que, voilà un an, les mandats des administrateurs de la CFE ont été prorogés jusqu’en décembre 2015, afin, justement, de s’adapter aux évolutions introduites par la loi de 2013. Je répondrai à votre question tout à l’heure, monsieur le rapporteur.

Pour accompagner ce mouvement vers plus de proximité, la proposition de loi prévoit par ailleurs la possibilité du recours au vote électronique, pour permettre aux conseillers consulaires de participer plus facilement à l’élection des représentants des assurés du conseil d’administration de la caisse. En cas d’un tel recours, les garanties légales telles que le respect de la loi informatique et libertés et le secret du vote s’imposeront à la CFE.

La gouvernance de la CFE doit aussi s’inscrire dans le mouvement de modernisation engagé par les caisses de sécurité sociale.

Tout d’abord, cette gouvernance doit répondre aux exigences de parité. Je sais combien votre vénérable assemblée est sensible à ces questions.

Mme Claudine Lepage. Tout à fait !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Il y a quinze ans, le 6 juin 2000, la première loi sur la parité était promulguée. Ce gouvernement a porté une nouvelle étape décisive en la matière, avec la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui permet d’assurer une égale représentation des femmes et des hommes dans la société, en politique, au sein des fédérations sportives, des établissements publics et des chambres locales de commerce et d’industrie, des autorités administratives indépendantes et des ordres professionnels.

L’article 75 de cette loi impose qu’un minimum de 40 % de personnes de chaque sexe soit désigné au sein des conseils d’administration des caisses nationales du régime général.

Avec la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui, la Caisse des Français de l’étranger sera elle aussi amenée à respecter cette exigence de parité.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Ensuite, la proposition de loi vise à instaurer, comme pour le régime général, une limite d’âge pour l’ensemble des administrateurs de la CFE et rappelle l’exigence d’absence de condamnation pénale.

Enfin, la proposition de loi prévoit d’introduire une plus grande diversité dans les entreprises représentées à la tête de la CFE. Elle introduit en effet une nouvelle catégorie d’administrateurs désignés représentant le réseau des chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger, en remplacement d’un des deux représentants employeurs. Ce faisant, les représentants des petites et moyennes entreprises auront plus de visibilité.

Au-delà de la réforme de la gouvernance, nous devons mener une réflexion plus large sur la CFE : son positionnement juridique au regard des différentes législations sociales, dans le cadre aussi bien des conventions bilatérales que des règlements européens, a besoin d’être clarifié.

C’est pourquoi la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, Mme Marisol Touraine, a mandaté l’Inspection générale des affaires sociales et l’Inspection générale des finances pour une mission relative à la CFE. L’objectif est de dresser un état des lieux complet de la gestion des assurances volontaires des expatriés confiées à la CFE et de questionner la pertinence de son modèle particulier au sein de la sécurité sociale. Les conclusions de ce rapport nous seront remises en juillet prochain.

Cette proposition de loi est donc une première étape. Si elle est adoptée, la réforme de la gouvernance créera les conditions d’une réforme plus ambitieuse de la CFE.

Mesdames, messieurs les sénatrices et les sénateurs, vous avez donc l’avenir de la Caisse des Français de l’étranger en main, puisque vous déciderez aujourd'hui comment se dérouleront les prochaines élections de son conseil d’administration. Votre vote et votre choix seront pris en compte par Mme Touraine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean Desessard applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic.

M. Olivier Cadic. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la Caisse des Français de l’étranger a été créée pour offrir une protection sociale aux expatriés permettant de pallier les insuffisances des couvertures offertes par les systèmes étrangers de sécurité sociale.

Elle a été conçue comme une caisse de sécurité sociale régie par les mêmes règles d’organisation et de gestion que les caisses d’assurance maladie du régime général.

La CFE offre à ses adhérents volontaires la protection de l’assurance maladie du régime général, dont elle doit appliquer les règles, sous réserve d’aménagements prévus par la réglementation : absence de sélection des risques, respect des conditions d’octroi et de calcul des prestations.

La loi a également posé le principe de la continuité de protection entre les régimes obligatoires français et cette assurance volontaire. En contrepartie, la CFE est soumise à la tutelle de l’État.

Un rapport de 2010 de la Cour des comptes a mis en évidence la nécessaire évolution du statut et des règles de fonctionnement de la caisse : « La CFE constitue historiquement un organisme de sécurité sociale et continue d’assurer des missions qui peuvent être assimilées à une mission de service public, en offrant une couverture sociale à l’ensemble des Français expatriés, sans sélectionner les risques et en faisant dépendre leur niveau de cotisation de leurs revenus.

« Néanmoins, la caisse a progressivement, dans un contexte de concurrence avec les assureurs privés, développé des modalités d’intervention qui tendent à l’éloigner des organismes de sécurité sociale et à la rapprocher d’un assureur privé. »

Vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, une mission conjointe de l’IGAS et de l’IGF est en cours. Elle a pour objet une évaluation des performances, du rôle, de la nature et du périmètre des actions de la CFE.

Chacun peut comprendre que nous souhaitions attendre de connaître les conclusions du rapport de l’IGAS et de l’IGF avant de nous prononcer sur l’opportunité de modifier la structure du conseil d’administration, comme le prévoit l’article 1er de la proposition de loi visant à réformer la gouvernance de la Caisse des Français de l’étranger.

La CFE est administrée par un conseil d’administration, dont la composition diffère de celle des caisses de base du régime général, puisqu’elle comprend 21 membres, dont 18 sont élus par l’Assemblée des Français de l’étranger.

Le conseil d’administration de la caisse est présidé depuis sa création, en 1985, par le sénateur Jean-Pierre Cantegrit. Sous sa conduite, la caisse a toujours présenté des comptes à l’équilibre, ce qui mérite d’être souligné. En réponse à l’attente, voilà quelques années, des élus de l’Assemblée des Français de l’étranger, M. Cantegrit a su mettre en œuvre, avec une rare efficacité, un contrôle externe de la caisse.

Peu de caisses de sécurité sociale peuvent se prévaloir de comptes certifiés sans réserve. Il me paraît donc justifié de rendre hommage à l’action de ce conseil d’administration et de son président.

À la suite de la réforme de la représentation des Français de l’étranger introduite par la loi de juillet 2013, l’Assemblée des Français de l’étranger est passée de 155 membres à 90 membres.

Vouloir élargir le collège électoral pour l’élection des membres du conseil d’administration de la CFE peut répondre à une préoccupation légitime, le nombre de grands électeurs ayant diminué. Dans ce cas, pourquoi se limiter aux seuls conseillers consulaires et ne pas reprendre le collège électoral prévu pour l’élection des sénateurs établis hors de France,…

Mme Claudine Lepage. Pourquoi pas ?

M. Jean-Yves Leconte. Il existe le droit d’amendement pour cela !

M. Olivier Cadic. … qui intègre non seulement les délégués consulaires, mais aussi les parlementaires des Français de l’étranger ?

M. Jean-Yves Leconte. Tout est possible ! Mais il faut agir, monsieur Cadic !

M. Olivier Cadic. Hélène Conway-Mouret, ministre chargée, à l’époque, de la réforme, n’a pas pris en compte cette question. Pourtant, le besoin avait été souligné lors des débats préparatoires, et j’espère qu’on le rappellera. Pourquoi vouloir, dans l’urgence, comme le prévoit l’article 2 du texte, modifier un corps électoral à quelques semaines de l’élection d’un nouveau conseil d’administration ? Ne trouvez-vous pas cette précipitation suspecte ? (M. Richard Yung s’exclame.)

Par ailleurs, un vote électronique pour quelques centaines d’électeurs éparpillés aux quatre coins du monde nécessite une sérieuse préparation.

M. Jean-Yves Leconte. Robert del Picchia est spécialiste de ces questions !

M. Olivier Cadic. Cette option n’avait pas été retenue lors de l’élection sénatoriale. Le seul vote à l’urne avait déjà demandé la mobilisation de l’ensemble des représentations consulaires. Là encore, la précipitation avec laquelle vous semblez vouloir agir est incompréhensible.

Les débats sur la représentation des Français établis hors de France nous avaient permis de pointer toutes les lacunes du nouveau dispositif.

Comme je l’ai évoqué lors de la dernière campagne sénatoriale, en compagnie de Mme Jacky Deromedi et de M. Christophe-André Frassa (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et républicain.), la réforme engagée par Mme Hélène Conway-Mouret, alors ministre, fut précipitée. Elle s’est faite pour des raisons politiciennes, afin de tenter d’en tirer un bénéfice électoral pour le camp socialiste dès l’élection sénatoriale de 2014. Hélas !

M. Olivier Cadic. L’absence de compétences tangibles attribuées aux élus, la baisse significative des indemnités pour accomplir leur mandat, la création d’un nouvel échelon intermédiaire d’élus ne pouvant siéger à l’AFE, un charcutage électoral sans précédent à l’étranger, une élection à l’AFE au scrutin indirect selon des règles incompréhensibles pour l’électeur : autant de décisions qui démontrent que la réforme a été bâclée.

Au final, la réforme fait subir à la représentation des Français de l’étranger un « choc de complication ». La présente proposition de loi en débat ce jour le démontre une nouvelle fois.

Je vous propose, quant à moi, un choc de simplification. (Ah ! sur les travées du groupe écologiste.) Notre groupe votera donc les trois amendements de suppression des articles déposés par nos collègues du groupe Les Républicains.

M. Jean-Yves Leconte. C’est un choc d’immobilisme !

Mme Claudine Lepage. Les électeurs apprécieront !

M. Olivier Cadic. Nous souhaitons attendre les conclusions du rapport de l’IGAS et de l’IGF. Organisme de sécurité sociale, mutuelle, assurance privée : nous verrons leurs préconisations sur l’avenir de la CFE. Il sera bien temps d’adapter ensuite la gouvernance de la CFE.

Dès lors, comme on le dit en bon français, ne mettons pas la charrue avant les bœufs ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme Claudine Lepage. Quel renoncement !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Cantegrit.

M. Jean-Pierre Cantegrit. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les Français résidant à l’étranger bénéficient de plusieurs structures d’appui : un réseau consulaire, des établissements d’enseignement, des associations, dont deux reconnues d’utilité publique – l’Union des Français de l’étranger et l’Association démocratique des Français de l’étranger –, et une caisse de sécurité sociale. Seules la France et, dans une moindre mesure, la Belgique ont d’ailleurs créé une telle structure pour les expatriés.

Il est important de rappeler que les règles qui définissent la CFE sont fixées par l’autorité publique française. Sa mission principale est d’assurer et de protéger les Français de l’étranger en leur garantissant une couverture sociale minimale. Pour cela, elle propose de couvrir trois risques pendant leur expatriation : accidents du travail, maladie-maternité, vieillesse. Je tiens à préciser que, pour ce dernier risque, la CFE joue uniquement un rôle d’interface avec la Caisse nationale d’assurance vieillesse.

En outre, son adhésion est ouverte à tous les expatriés : salariés, travailleurs indépendants, personnes sans activité, étudiants, retraités. C’est une caisse dont les adhérents sont volontaires.

La CFE telle qu’elle existe aujourd’hui s’est bâtie en plusieurs étapes, dont deux me paraissent particulièrement importantes et méritent que l’on y revienne quelques instants.

Après les travaux de la commission Bettencourt, notre ancien collègue, qui ont abouti à la loi du 31 décembre 1976, première loi créant des assurances sociales spécifiques pour les Français résidant à l’étranger, l’année 1978 marque le véritable point de départ de la CFE : pour la première fois, les salariés français de l’étranger accèdent à la sécurité sociale.

Par la suite, après plusieurs évolutions législatives successives, la loi Bérégovoy du 13 juillet 1984, dont je m’honore d’avoir été le rapporteur au Sénat, marque la création d’une caisse autonome de sécurité sociale dite « caisse des Français de l’étranger ». Cette création a permis à tous les Français de l’étranger, quel que soit leur statut, d’accéder à la couverture maladie.

S’agissant des spécificités de la CFE, j’en retiendrai trois.

La première – je l’ai indiqué au début de mon propos – tient au volontariat. En effet, l’adhésion à cette caisse est volontaire, alors que le principe général en matière de sécurité sociale est le caractère obligatoire.

La deuxième spécificité est l’absence de monopole, contrairement à ce qui existe pour les caisses métropolitaines. Cela oblige la CFE à rechercher des adhérents.

La troisième est l’autonomie financière. La CFE n’est pas intégrée, sur le plan financier, au régime général ; elle doit équilibrer son budget avec les cotisations de ses seuls adhérents. Permettez-moi de souligner qu’elle y est toujours parvenue depuis sa création, ce qui en fait une exception dans le monde de la sécurité sociale. Son conseil d’administration a su prendre les mesures nécessaires pour maintenir cet équilibre. Ses comptes sont certifiés par le cabinet Mazars, important cabinet d’expertise-comptable, sans qu’aucune réserve ait été formulée pour les années 2012, 2013 et 2014, ce qui n’est pas le cas de toutes les caisses de sécurité sociale métropolitaines. Je remercie d’ailleurs M. Olivier Cadic de l’avoir rappelé dans son intervention.

Par ailleurs, afin de mieux répondre aux besoins de nos concitoyens expatriés, la CFE a su s’adapter en développant des partenariats avec les assureurs complémentaires. En effet, la CFE remboursant les soins dans la limite des tarifs français, l’intervention d’un assureur ou d’une mutuelle est souvent nécessaire. Notons que cette règle est aussi vraie sur le territoire français. Des partenariats ont donc été mis en place, fondés sur la création d’un guichet unique réunissant les deux intervenants pour éviter les multiplications des démarches des assurés.

J’en viens à la question de la gouvernance. Le conseil d’administration de la CFE est composé de 21 membres, dont 18 sont élus par l’Assemblée des Français de l’étranger – ce sont donc des femmes et des hommes de terrain connaissant personnellement les réalités de l’expatriation –, deux membres représentent les employeurs, le MEDEF – ces derniers représentent avec leurs salariés près de 50 % des adhérents de l’assurance maladie-maternité et encore plus pour les accidents du travail et maladies professionnelles ; nous sommes donc loin de la parité employeurs-salariés de certaines caisses métropolitaines–, et un dernier membre est désigné par la Fédération nationale de la mutualité française, la FNMF.

Permettez-moi, madame la secrétaire d’État, de faire une remarque liminaire. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 mai 2014, a indiqué que les dispositions relatives au renouvellement des membres des conseils d’administration des organismes de sécurité sociale ont un caractère réglementaire. Cela vous donne beaucoup de possibilités ; vous en avez d’ailleurs déjà saisi.

Par ailleurs, je tiens à souligner que j’ai sollicité à plusieurs reprises la modification des conventions bilatérales de sécurité sociale existantes, afin que l’adhésion à la CFE permette l’exemption d’affiliation au système de sécurité sociale de l’État d’accueil, lequel, dans de nombreux cas, ne convient pas à nos compatriotes.

Madame la secrétaire d’État, une mission menée conjointement par l’IGAS et l’IGF sur l’activité et les conditions d’intervention de la CFE est en cours. Les conclusions de cette mission pourraient avoir des conséquences substantielles sur le statut et les actions, voire sur la gouvernance de la CFE. Ces deux inspections sont en effet chargées d’étudier de façon prospective, sur la base d’un bilan de l’action menée par la CFE et d’une évaluation de ses performances, le rôle, la nature et le périmètre de ses missions.

Cette étude porte sur plusieurs axes : « clarifier le positionnement de la CFE au sein de la sécurité sociale, notamment au regard des règles des législations de sécurité sociale aux niveaux à la fois européen, dans le cadre des règlements [communautaires], et international, dans le cadre des accords de sécurité sociale » ; « tirer les conséquences de ce positionnement sur le plan du droit de la concurrence ainsi que sur la pertinence actuelle du modèle, à mi-chemin entre caisse de sécurité sociale et assureur privé » ; « étudier les axes d’amélioration de la gestion des risques financiers et du cadre législatif et réglementaire relatif à l’équilibre de la caisse » ; « vérifier si l’offre de la CFE est adaptée à l’environnement international » ; étudier l’opportunité et la pertinence, au regard de leur coût, de différentes mesures, comme l’élargissement des « conditions d’affiliation à l’assurance volontaire retraite pour les assurés maladie de la CFE n’ayant pas eu d’activité suffisante en France » ou encore la possibilité pour la CFE de rembourser des soins hospitaliers préalablement négociés et non plus sur la base d’un prix de journée.

Vous constatez comme moi qu’il s’agit d’une étude d’une très grande ampleur.

Mardi dernier, après avoir présidé le conseil d’administration de la CFE, nous avons inauguré le second bâtiment de cette caisse. Beaucoup de sénateurs représentant les Français établis hors de France y ont d’ailleurs participé, ce dont je les remercie. Dans son discours, la représentante du ministère des affaires sociales, d’ailleurs ici présente, a évoqué l’important rapport confié à l’IGAS et à l’IGF, lequel ne sera remis qu’à la fin du mois de juillet ou au début du mois d’août.

Il m’apparaît donc que cette proposition de loi est prématurée et que les importantes modifications qu’elle est susceptible d’apporter la rendent inopportune, en l’absence du rapport de l’IGAS et de l’IGF.

C’est la raison pour laquelle nous avons déposé des amendements visant à supprimer les trois articles de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la question de la représentation des Français de l’étranger est aussi ancienne que la Révolution française.

Elle a connu de nombreuses évolutions législatives. La dernière en date, la loi de juillet 2013, a réformé en profondeur – cela a été rappelé à plusieurs reprises – la représentation de nos concitoyens établis à l’étranger. Si, auparavant, ces derniers élisaient les 155 conseillers au sein de l’Assemblée des Français de l’étranger, la loi a créé les conseillers consulaires, au nombre de 443, élus au suffrage universel direct dans le cadre de 15 circonscriptions consulaires, afin de favoriser l’émergence d’élus de proximité. Le terme « proximité » requiert, dans ce cas, une vision des choses assez large… Ces conseillers élisent désormais, en leur sein, les 90 membres chargés de siéger au sein de l’AFE.

Cette évolution représente une réelle avancée démocratique. Je profite d’ailleurs de cette intervention pour saluer Kalliopi Ango Ela, qui fut la chef de file du groupe écologiste lors de l’examen de ce texte.

M. Jean-Yves Leconte. Très bien !

M. Jean Desessard. Cette réforme a eu comme conséquence indirecte de bouleverser l’organisation de la Caisse des Français de l’étranger. Cet établissement, créé par la loi du 31 décembre 1976, a pour but d’assurer et de protéger les Français de l’étranger en leur garantissant une couverture sociale. Elle est actuellement dirigée par un conseil d’administration composé de 21 membres, dont 18 sont élus par l’Assemblée des Français de l’étranger.

Avec l’adoption de la loi de 2013, ces membres du conseil d’administration de la CFE se retrouveront de fait élus au troisième degré, ce qui est assez peu démocratique, comme l’a peu ou prou reconnu M. Cadic. De plus, les représentants principaux des Français de l’étranger sont désormais les conseillers consulaires et non plus les membres de l’AFE ; il est donc illogique que ces derniers continuent à élire des représentants au sein de la Caisse des Français de l’étranger.

C’est pour répondre à ces questions que Jean-Yves Leconte présente cette proposition de loi. La mesure phare de ce texte est de donner pouvoir aux conseillers consulaires, et non aux membres de l’AFE, pour élire les administrateurs de la CFE.

Il s’agit d’une évolution logique et souhaitable, que les écologistes soutiendront.

En plus de cette mesure, il est également proposé de davantage intégrer le réseau des chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger, en leur permettant de désigner des administrateurs au sein de la CFE. La proposition de loi introduit aussi la parité dans la constitution des listes de candidature à l’élection des représentants des assurés pour plus d’égalité entre les Françaises et les Français, même à l’étranger. Elle instaure, enfin, une limite d’âge pour les administrateurs et précise que le président du conseil d’administration est un assuré actif, élu au sein du conseil parmi les représentants des assurés.

Toutes ces mesures concrètes vont dans le sens de plus de démocratie et de plus de parité.

Il y a urgence à légiférer au plus vite puisque l’élection des représentants des assurés est prévue pour octobre 2015. Sans ce texte, la légitimité de ces élus s’en trouverait fortement amoindrie.

Quelle est la divergence ? Nous ne sommes pas convaincus par les amendements de suppression, déposés au motif qu’il nous faudrait attendre les résultats d’une mission de l’IGAS et de l’Inspection générale des finances sur le sujet. En effet, il nous semble que cette mission rendra son rapport uniquement sur les questions touchant à l’activité et non à la gouvernance de la CFE. Il suffit pour s’en assurer de consulter la lettre de mission signée par Bercy et par le ministère des affaires sociales en février de cette année. Comme visiblement il y a là une différence d’interprétation – l’orateur précédent l’a dit –, pourriez-vous, madame la secrétaire d’État, nous donner davantage d’informations sur ce point et préciser quelle est cette mission ?

En conclusion, le groupe écologiste salue le travail effectué par notre collègue Jean-Yves Leconte.

M. Richard Yung. Très bien !

M. Jean Desessard. Sa proposition de loi apporte les évolutions législatives indispensables pour que les Français de l’étranger soient correctement représentés au sein de leur caisse de sécurité sociale. Aussi, vous l’aurez compris, les écologistes voteront en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi tendant à réformer les organes dirigeants de la Caisse des Français de l’étranger constitue, pour la plupart des membres de notre assemblée, l’occasion de constater qu’il existe un organisme dont la mission est de s’assurer de la couverture sociale de nos compatriotes – souvent au demeurant des binationaux – vivant à l’étranger.

Rappelons cependant rapidement que la Caisse des Français de l’étranger n’est pas un régime de sécurité sociale obligatoire et qu’elle procède, en grande partie, comme une société d’assurance maladie complémentaire.

Sa gestion est assurée par un conseil d’administration jusqu’à présent élu, sur listes, par les seuls membres élus de l’Assemblée des Français de l’étranger. Ceux-là mêmes qui désignent, une fois tous les trois ans, la moitié de nos collègues représentant les Français de l’étranger.

Mais les choses ont changé – nul ne l’ignore ! En effet, comme chacun le sait, le corps électoral élisant nos collègues sénateurs s’est singulièrement accru, puisque les délégués et conseillers consulaires, élus dans chaque circonscription, participent désormais à cette élection.

L’objectif de la proposition de loi est donc, en grande partie, de faire en sorte que le corps électoral désignant les membres de la caisse de sécurité sociale soit le plus proche possible de celui qui participe à l’élection sénatoriale. Un choix qui semble s’imposer d’autant plus que le renouvellement du conseil d’administration a pris du retard, en l’attente d’une « réforme » plus importante de l’organisme.

J’observe, et mon groupe avec moi, que nos collègues membres de la majorité sénatoriale semblent très bien s’accommoder de l’état des choses puisqu’ils nous proposent, au travers de leurs amendements, de ne rien changer à l’existant, dans l’attente de la remise du rapport conjoint IGF–IGAS sur cette caisse.

Notons, d’ailleurs, que la situation financière plutôt positive de la Caisse semble autant liée à la qualité de sa gestion qu’au nombre relativement réduit de ses cotisants et ayants droit.

Reconnaissons qu’un organisme de protection sociale dont les cotisations sont fixées en référence au montant des cotisations de couverture maladie volontaire du régime général de sécurité sociale ne peut être a priori dans une situation financière délicate, puisque les adhérents de la Caisse des Français de l’étranger ne présentent pas tout à fait la situation moyenne de nos compatriotes expatriés.

Par conséquent, pour nos collègues de la majorité, il est urgent d’attendre et de ne rien changer au mode de fonctionnement de la Caisse, la situation financière étant saine. Oc c’est précisément parce que la gestion semble saine et que la norme des choses veut que, de temps à autre, on accepte de voir cette gestion soumise à l’avis des électeurs qu’il nous paraît nécessaire d’adopter la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui.

Si nous ne sommes pas capables d’adopter, parce que le texte provient de la minorité du Sénat, une proposition de loi qui ne fait que traduire quant au fond un certain « parallélisme des formes » avec l’existant en matière de droit électoral, cela pose question.

Supprimer un à un les articles du texte qui nous est proposé aux fins de pousser à l’adoption d’une « coquille vide » en lui opposant, comme cela est encore le cas aujourd’hui, la loi implacable de la majorité, montre le peu de cas que l’on peut faire ici de l’activité parlementaire.

M. Jean-Yves Leconte. Très bien !

M. Dominique Watrin. Nous le regrettons, car le problème qui nous est posé dépasse la seule question des organes de direction de la Caisse des Français de l’étranger.

Sorte de « compagnie d’assurance exerçant des missions de service public », la Caisse est en effet appelée, dans les années à venir, à connaître des évolutions, ne serait-ce que parce que le mouvement du monde, l’interpénétration des économies, la grande qualité des salariés et des diplômés français sont autant de faits générateurs de mouvements plus ou moins importants de population.

L’expatriation de nombre de nos compatriotes ne repose d’ailleurs pas uniquement sur des motivations fiscales, les cieux de quelques pays prétendus plus cléments que les nôtres, selon des légendes assez répandues – allez en parler aux Français salariés résidant en Suisse, qui sont soumis à de lourds prélèvements !

Non, il s’agit d’abord de la reconnaissance de la qualité professionnelle de nombreux salariés et diplômés français – singulièrement les plus jeunes d’entre eux et le plus souvent issus des classes populaires –, qui passe de plus en plus par un séjour professionnel, plus ou moins long, à l’étranger.

Au demeurant, dans certains de nos grands groupes, le « stage » plus ou moins prolongé dans une filiale ou dans un établissement domicilié à l’étranger est un moment incontournable du déroulement de carrière.

Repenser et réformer la Caisse des Français de l’étranger nous paraît donc inévitable, et il n’y a pas lieu d’attendre.

S’opposer aujourd’hui à la réforme nécessaire de sa gouvernance augure mal de la capacité à entendre les évolutions ultérieures et indispensables de l’intervention de cet établissement.

Nous, les membres du groupe CRC, sommes favorables à cette évolution logique – du point de vue de l’évolution du droit électoral, comme il a été précisé, et même si ce n’est qu’une première étape, comme l’a souligné Mme la secrétaire d’État –, qui n’est qu’un préalable somme toute modeste au regard d’autres évolutions nécessaires que nous serons amenés à accompagner. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean Desessard applaudit également.)

M. Jean-Yves Leconte. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au cours de ces dernières années, la représentation de nos concitoyens résidant hors de France n’a pas échappé au chantier de la rénovation de la vie publique.

Plus particulièrement, la loi du 22 juillet 2013 a modifié le mode de désignation des conseillers de l’Assemblée des Français de l’étranger.

Naturellement, soucieux d’approfondir la démocratie représentative, notre groupe du RDSE avait approuvé ce texte.

Comme l’a souligné M. le rapporteur, la proposition de loi visant à réformer la gouvernance de la Caisse des Français de l’étranger est la conséquence de la loi relative à la représentation des Français établis hors de France.

En effet, depuis 2013, les membres de l’AFE, désormais élus par les conseillers consulaires, sont au nombre de 90, contre 155 auparavant. Les 15 représentants des assurés au conseil d’administration de la Caisse étant jusqu’à présent élus par les membres de l’AFE, il en résulte une réduction du corps électoral.

C’est pourquoi ce texte apporte une modification opportune en prévoyant, à l’article 2, l’élection des représentants des assurés directement par les 443 conseillers consulaires. Comme l’a également indiqué la commission, outre l’élargissement du corps électoral, la modification proposée entraîne la suppression d’un degré d’élection, rapprochant ainsi les assurés de leurs représentants.

La proposition de loi s’intéresse également à la composition du conseil d’administration qui comporte au total 21 membres. Si le droit régissant cette composition est assez proche de celui qui encadre en général les caisses de sécurité sociale, le caractère facultatif de l’adhésion à la CFE justifie certaines différences.

Aussi, l’article 1er concernant les différentes catégories de membres du conseil d’administration de la Caisse ainsi que les règles d’éligibilité de son président apportent des rééquilibrages qui maintiennent la spécificité de la Caisse tout en la rendant plus conforme aux catégories qu’elle représente.

Une gouvernance rénovée, plus de proximité : toutes ces mesures vont dans le bon sens. On ne peut que les approuver.

Certes, plusieurs de nos collègues relèvent qu’il serait prématuré de voter ce texte alors qu’une mission de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales a été lancée au début de l’année pour étudier les activités de la Caisse.

À mon sens, la proposition de loi étant limitée à la réforme du conseil d’administration, son adoption ne devrait pas handicaper une éventuelle réforme d’ampleur.

Sans préjuger les conclusions de la mission, il est en tout cas certain qu’il sera pertinent de revoir les conditions d’intervention de la Caisse des Français de l’étranger, ou tout au moins de les clarifier.

Si l’on se fonde sur un rapport de la Cour des comptes publié en 2010, le caractère équilibré de cette caisse destinée aux expatriés n’exonère pas une réflexion, notamment sur les pratiques avantageuses – c’est le moins que l’on puisse dire – et dérogatoires de la Caisse.

Définie comme un organisme de droit privé, dotée d’une autonomie financière, la CFE est toutefois tenue de suivre des règles figurant dans le code de la sécurité sociale. Or il semblerait que ce ne soit pas toujours le cas. Je pense, par exemple, à des arrangements dérogatoires permettant des adhésions tardives ou d’opportunités, le terme « opportunité » peut bien entendu recouvrir beaucoup de choses... Le contrôle sur la capacité contributive réelle des assurés devrait aussi être amélioré pour déterminer des assiettes de cotisations plus justes.

Je n’en dirai pas plus, car ces questions appartiennent à un autre débat, bien plus large que celui d’aujourd’hui ; mais sans méconnaître – je le répète – sa particularité, la CFE doit, conformément aux grands principes qui fondent notre régime général, s’approcher le plus possible des valeurs de solidarité et d’équité.

En attendant, et compte tenu de tous ces éléments, le groupe du RDSE votera cette proposition de loi. (MM. Richard Yung, Philippe Kaltenbach et Jean Desessard applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la CFE a été créée en 1985, par le gouvernement Fabius, avec Pierre Bérégovoy comme responsable des finances. Cette caisse a montré une très grande utilité pour les Français expatriés. Notre devoir est bien sûr de continuer à renforcer la CFE.

En dépit d’une tarification segmentée, par publics, et malgré la troisième catégorie aidée, instaurée par Lionel Jospin – qui a d’ailleurs glissé discrètement d’un financement de l’État vers un financement par la Caisse elle-même, ce qui donne lieu à quelques débats lors de l’examen du projet de loi de finances –, le service de la CFE n’est toujours pas accessible à nos expatriés. En effet, le nombre d’adhérents correspond à 11 % du nombre des Français recensés par les consulats et à environ 7 % du nombre total d’expatriés. Ce constat s’explique aussi par la concurrence des systèmes de sécurité sociale étrangers, en particulier au sein de l’Union européenne.

Du fait de l’évolution du profil des assurés, nous avons moins de jeunes, qui s’assurent autrement ou ne s’assurent pas, et plus d’assurés retraités. Ce déséquilibre fait peser un risque sur l’équilibre financier de la Caisse, qui est aujourd’hui assuré grâce aux adhésions des salariés et des entreprises. Nous devons donc faire évoluer ce système.

J’ajoute que nous avons de plus en plus de créateurs d’entreprise parmi les Français à l’étranger, deux sur dix, selon une étude de la Chambre de commerce internationale, la CCI. Nous nous en réjouissons. Pour ma part, je considère que c’est un grand progrès. C’est l’idée d’avoir quelqu’un de la CCI. Si cela pose des difficultés, si d’autres préfèrent le MEDEF, après tout, il existe une branche du MEDEF internationale, nous sommes prêts à débattre d’amendements en ce sens ; ce n’est pas une table de la loi !

Outre ces enjeux stratégiques, la CFE est régie par des règles de fonctionnement qui doivent être revues. C’est le constat de la Cour des comptes en 2010. Les magistrats de la Cour avaient recommandé une clarification du statut et des missions de la Caisse pour rendre son activité conforme au droit interne et aux principes communautaires. Le lien avec le droit communautaire est un autre volet que nous n’abordons pas.

La CFE doit donc impérativement s’engager dans la voie de la réforme. Je constate avec satisfaction qu’une première étape a été franchie avec la certification des comptes depuis 2010 et l’amélioration de la tutelle de l’État sur la Caisse grâce à la signature d’une convention de partenariat liant la CFE et l’État pour la période 2014–2016.

D’autres évolutions sont nécessaires. Je les rappelle brièvement, elles ont été évoquées à plusieurs reprises : la réforme des modalités de remboursement des soins à l’étranger, la création d’une nouvelle catégorie d’adhérents pour les retraités n’ayant jamais cotisé à la CFE, l’attribution de la qualité d’ayant droit, etc. Toutes ces mesures ont été recensées et figurent dans le mandat qui a été confié à l’Inspection générale des affaires sociales et à l’Inspection générale des finances. Nous verrons donc au mois de juillet ce qu’il en est.

C’est donc un vaste chantier qui attend la CFE. Mes collègues du groupe socialiste et républicain…

M. Richard Yung. Oui, c’est le nom de notre groupe, désormais, parce que nous sommes républicains !

M. Ladislas Poniatowski. Vous êtes les bienvenus ! (M. Jean Desessard rit.)

M. Richard Yung. Avec mes collègues du groupe socialiste et républicain, disais-je, nous considérons que la réalisation de ce chantier doit être précédée de la réforme de la gouvernance – nous avons clairement un fort désaccord sur ce point.

C’est l’objectif que nous nous fixons par la présente proposition de loi. Je ne reviendrai pas sur la présentation de ses dispositions. Je rappelle simplement que la modification de la composition du conseil d’administration vise essentiellement à tenir compte de l’évolution de la population française à l’étranger. En proposant de substituer un représentant de CCI France International à un représentant du MEDEF, nous souhaitons tirer les conséquences de cette évolution.

L’élargissement du collège électoral des administrateurs représentant les assurés tend, quant à lui, à répondre à un impératif démocratique. Il serait pour le moins paradoxal de réduire ce collège de 155 à 90, alors même que nous avons récemment élargi celui qui est chargé d’élire les sénateurs représentant les Français établis hors de France. En proposant de faire participer au scrutin les 443 conseillers consulaires…

M. Richard Yung. Nous ne sommes pas figés sur les 443 : si vous voulez intégrer les délégués, qui sont environ 70,…

M. Robert del Picchia. Ils sont 64 !

M. Richard Yung. … qui sont 64, les sénateurs – des personnes de très grande qualité –…

MM. Robert del Picchia et Jean-Pierre Cantegrit. Les députés aussi !

M. Richard Yung. … et les députés – de la même qualité ou presque (M. Robert del Picchia sourit.) –, nous pouvons en discuter et adopter des amendements en ce sens. C’est cela le débat législatif !

En faisant participer au scrutin les conseillers consulaires élus en mai 2014, nous souhaitons renforcer la légitimité démocratique du conseil d’administration. Cette question n’a pas de lien direct avec celle de la politique financière des cotisations, des adhésions ; ce sont deux thématiques différentes.

Je ne comprends pas, je vous le dis honnêtement, votre blocage sur cette question. Il faut lier les deux questions, avez-vous dit. Il n’y a pas de raison de les lier. Je vous rappelle que cela fait un an que ça dure ! Si nous n’avons pas tranché au mois d’octobre, nous devrons expliquer que ce sont les 90 membres de l’AFE qui constituent le corps électoral. Ce ne sera pas un message très positif envoyé à nos représentants des Français à l’étranger ; ce sera mal perçu.

Nous devons aller de l’avant : il ne faut pas procrastiner ; il ne faut pas être bloqué ; il ne faut pas être conservateur ; il ne faut pas être réactionnaire…

M. Jean Desessard. Oh là là, non !

MM. Robert del Picchia et Henri de Raincourt. Non !

M. Richard Yung. Il faut aller dans le sens de l’histoire ! Pour ces raisons, nous voterons contre les amendements de suppression qui ont été déposés sur cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Robert del Picchia.

M. Robert del Picchia. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, avant toute chose, il me paraît bon de répéter ce que nos collègues ont dit, pour faire œuvre de pédagogie, à savoir que la Caisse des Français de l’étranger a la particularité heureuse d’être en équilibre. Cela peut paraître normal aux yeux de beaucoup d’entre vous, mais, quand on connaît les bilans des caisses nationales, ou devrais-je dire plutôt les déficits - la caisse des artisans en est un bel exemple –, on ne peut que se satisfaire de ce bilan positif de la CFE, tout le monde en convient.

Alors, tout va-t-il pour le mieux à la CFE ? Eh bien non, car malgré les efforts des dernières années, une catégorie de nos compatriotes ne peut toujours pas, nonobstant une réduction d’un tiers du montant des cotisations pour cette catégorie, profiter de cette caisse, et c’est fort regrettable. La Caisse a certes été élargie à cette catégorie aidée, ce qui a facilité les adhésions, mais nous sommes toujours loin d’une caisse de sécurité sociale pour tous comme sur le territoire national.

Passe encore en Europe, où réside la moitié des expatriés et où les services sociaux fonctionnent plutôt bien, mais cela devient bien plus difficile ailleurs, dans le reste du monde, pour l’autre moitié des 2,5 millions de Français de l’étranger. On peut certainement apporter des améliorations pour faire taire la mauvaise rumeur d’une caisse pour riches…

J’ajoute que la modification des statuts concernant l’élection du conseil d’administration est l’une des conséquences de la loi sur la représentation des Français de l’étranger, qui a presque multiplié par quatre le nombre d’élus à travers le monde, lequel dépasse, avec les élus parlementaires, député compris, mon cher Richard Yung, les cinq cents personnes. Il faudra donc faire cette réforme !

Je voudrais tout de même rappeler que, lors des débats sur la loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France, nous avions demandé que soit intégrée l’élection du conseil d’administration de la Caisse. Cela nous a été refusé !

M. Jean-Yves Leconte. Vous n’aviez pas déposé d’amendements !

M. Robert del Picchia. Nous avons des témoins, ici.

M. Richard Yung. Nous aussi, nous avons des témoins !

M. Robert del Picchia. Nous avions discuté avec le ministère à plusieurs reprises de la loi et nous l’avions demandé !

La proposition de loi que nous examinons ce jour traite donc de cet organisme fondamental pour les Français de l’étranger, et je tiens à saluer tout particulièrement Jean-Pierre Cantegrit pour son action au service de la protection sociale et de la CFE, dont il assure la présidence avec succès depuis de longues années. Il n’est pas interdit d’applaudir… (MM. Jean-Claude Luche et Henri de Raincourt applaudissent.)

Alors, où en est-on de cette proposition de loi, madame la secrétaire d’État ? Le texte proposé par nos amis socialistes, je dis bien « nos amis socialistes »,…

Mme Claudine Lepage et M. Philippe Kaltenbach. … et républicains !

M. Robert del Picchia. … n’a pas été adopté par la commission. D’autres avant moi ont pris la parole pour expliquer l’évidence : alors qu’une mission de réflexion sur l’activité et l’organisation de la CFE est en cours, alors que l’on en attend les conclusions dans un peu plus d’un mois, alors que les auteurs de la proposition de loi ne peuvent ignorer ces faits, ayant été auditionnés par l’IGAS et l’IGF, nous nous réunissons pour constater à quel point il est urgent d’attendre…

M. Robert del Picchia. J’aimerais insister également sur un autre point. Alors que les plus hautes instances de l’État comme le Conseil constitutionnel ou le Conseil d’État ne cessent de déplorer depuis des années la prolifération des règles législatives et l’encombrement du calendrier parlementaire, je ne peux que regretter l’impatience de mes collègues auteurs de la proposition de loi. (M. Jean Desessard rit.)

Bien sûr, madame la secrétaire d’État, nous sommes pour la réforme de la CFE. (Ah ! sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)

Bien sûr, nous sommes d’accord pour réformer la parité de façon qu’elle soit respectueuse de la loi.

M. Jean-Yves Leconte. Mais plus tard !

M. Robert del Picchia. Mme Morales, qui en fait partie, le sait bien.

Bien sûr, nous sommes tous favorables à l’élargissement du collège électoral de la CFE.

M. Philippe Kaltenbach. Alors, votez la proposition de loi !

M. Robert del Picchia. C’est, nous l’avons dit, la suite logique de la réforme de la représentation des Français de l’étranger. Les conseillers consulaires doivent évidemment pouvoir participer à l’élection des administrateurs de la Caisse, tout le monde en est d’accord.

Bien sûr aussi, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes favorables à la simplification de cette élection, dont les sous-catégories compliquent démesurément la constitution des listes. Plus généralement, je partage une bonne part des observations du rapporteur.

Toutefois, il me semble qu’il ne faut pas céder à l’impatience.

M. Philippe Kaltenbach. La démocratie attendra !

M. Robert del Picchia. Une réforme de fond est en cours. La stabilité juridique est synonyme de sécurité. On ne compte plus les critiques sur la perte de qualité de la loi. Évitons donc une autre loi qui corrigerait dans quelques mois celle que l’on nous demande d’adopter maintenant. On pourra toujours voter une loi avant le mois de décembre prochain.

Et, puisqu’il s’agit de santé, ne nous précipitons pas, mes chers collègues, dans une médecine d’urgence, n’administrons pas un remède inutile et insuffisant à celle que j’ose qualifier de « malade imaginaire » ! Attendons le diagnostic avant que d’opérer ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Nos docteurs de l’IGAS et de l’IGF sont en train de le faire, attendons l’ordonnance, madame la secrétaire d’État !

La Caisse attend une vraie réforme, j’attendrai avec elle. Elle sera mieux réussie, surtout si nous avons le temps pour réfléchir à l’application du traitement.

Et puis, de grâce, mes chers collègues, n’exagérons pas dans l’application de ce traitement…

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Robert del Picchia. Je conclus, madame la présidente.

Je vous rappelle qu’à la quatrième représentation du Malade imaginaire, Molière, qui jouait le rôle d’Argan, était réellement en train de mourir sur scène. Sa femme pleura, dit-on, pendant des jours. Ne pleurons pas une Caisse des Français de l’étranger qui serait morte et réincarnée en une sorte de mutuelle inadaptée, voire handicapée.

Prenons notre temps, quelques mois, pour refaire, mes chers collègues, une vraie santé à la CFE ! (MM. Jean-Pierre Cantegrit, Henri de Raincourt et Jean-Claude Luche applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage.

M. Jean Desessard. Docteur Lepage, vous opérez ou vous n’opérez pas ? (Sourires.)

M. Richard Yung. Diafoirus !

Mme Claudine Lepage. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je me réjouis que le Sénat examine ce jour une proposition de loi évoquant la protection sociale des Français établis hors de France, sujet éminemment important pour nos compatriotes résidant à l’étranger. Nous avons déjà trop attendu.

Créée il y a quarante ans, la Caisse des Français de l’étranger est un outil essentiel pour assurer la protection sociale des Français établis hors de France. Assurant une continuité des droits avec les régimes français de sécurité sociale et évitant de fait une rupture entre le statut que l’on possède en France et celui d’expatrié, la Caisse des Français de l’étranger a répondu aux attentes de nombreux compatriotes. En ouvrant ses prestations, sous certaines conditions, aux ayants droit, la CFE a su renforcer son attractivité, notamment par rapport à des assurances privées.

Ce système, avec ses avantages donc mais également ses imperfections, a dans l’ensemble bien fonctionné pendant près de quarante ans.

Mais aujourd’hui une évolution est rendue nécessaire au regard des changements que connaît l’expatriation. Personne ne peut contester ici que la sociologie des Français de l’étranger a, au cours des années, profondément évolué.

Nous le constatons d’ailleurs à chacun de nos déplacements : plus de jeunes se rendent à l’étranger à la recherche d’une première expérience professionnelle, davantage de compatriotes franchissent les frontières de l’Hexagone pour passer leur retraite, de nombreuses PME ou TPE sont créées par des Français installés à l’étranger...

Nous constatons également que ces publics certes différents ont un point commun : ils ne trouvent pas à la CFE une offre correspondant à leurs besoins respectifs. C'est encore plus vrai pour les jeunes qui n’ont souvent pas les moyens financiers d’adhérer à la CFE et qui, lorsqu’ils le peuvent enfin, se trouvent freinés par l’obligation de rétroactivité. Il conviendrait à l’avenir de rendre la Caisse plus attractive pour ces jeunes, d’autant plus que leur prise en charge s’avère moins coûteuse que celle des retraités et de leurs, parfois nombreux, ayants droit.

Ces manquements actuels de la CFE sont, je crois, connus de tous. L’IGAS et l’IGF mènent d’ailleurs une mission commune sur « l’activité et les conditions d’intervention de la Caisse des Français de l’étranger ». Cette mission, qui ne porte donc pas sur la gouvernance, devra notamment indiquer si, compte tenu de l’évolution de l’expatriation, l’offre de la Caisse est toujours adaptée. Elle devra également clarifier le positionnement de la CFE au sein de la sécurité sociale, notamment aux niveaux européen et international.

Il nous faut, en effet, aussi prendre en compte le fait que de plus en plus de pays se dotent d’un système d’assurance maladie obligatoire pour l’ensemble de leurs salariés, quelle que soit leur nationalité, comme la loi « Obamacare » aux États-Unis.

Sur l’initiative de Barack Obama, les États-Unis ont mis en place un système de protection sociale obligeant toute personne qui réside aux États-Unis à souscrire une assurance santé reconnue par l’administration américaine. Cette mesure a eu des conséquences pour la Caisse des Français de l’étranger, car l’administration américaine a considéré que la CFE, seule, ne répondait pas aux conditions fixées par « Obamacare ».

Face à cette nouvelle réglementation, la CFE a clairement manqué de réactivité, de dynamisme et, surtout, de transparence, notamment dans la recherche d’un partenaire commercial de qualité et en mesure de respecter les nouveaux principes imposés par « Obamacare ». Ces manquements ont plongé pendant de nombreux mois les 5 000 Français résidant aux États-Unis et cotisant à la CFE dans une grande incertitude.

Mais, au-delà de cette nécessité de s’adapter, l’urgence aujourd’hui est bel et bien la gouvernance de la CFE, notamment l’élargissement du collège électoral procédant à l’élection du conseil d’administration. C’est d’ailleurs l’objet de cette proposition de loi initiée par les sénateurs socialistes représentant les Français établis hors de France et soutenue par le groupe socialiste et républicain du Sénat. Il ne faut pas oublier, bien entendu, de citer le travail fait en amont par les membres Français du monde du conseil d’administration de la CFE, dont l’expertise et l’engagement auront été très précieux.

Depuis sa création, la gouvernance de la Caisse des Français de l’étranger a malheureusement peu évolué ou n’a pas évolué ; elle n’est aujourd’hui plus en adéquation ni avec la représentation politique des Français établis hors de France ni avec la réalité de l’expatriation.

Selon les textes aujourd’hui en vigueur, les membres du conseil d’administration de la CFE sont élus par les membres de l’Assemblée des Français de l’étranger. Or, depuis la réforme de la représentation politique des Français de l’étranger introduite par la loi du 22 juillet 2013, leur nombre s’est réduit à 90, alors que, en même temps, étaient instaurés les conseillers consulaires.

Les modifications apportées par la réforme de la représentation des Français de l’étranger appellent un nécessaire changement. Et il y a, de surcroît, urgence puisque la prochaine élection du conseil d’administration doit avoir lieu dans quelques mois. Il est donc aujourd’hui indispensable d’inscrire dans le code de la sécurité sociale que ce sont désormais les 443 conseillers consulaires qui procèdent à l’élection des membres du conseil d’administration de la CFE, et non plus seulement les 90 membres de l’Assemblée des Français de l’étranger. Mais nous sommes bien sûr prêts à élargir ce collège aux délégués dont l’élection est concomitante de celle des conseillers consulaires.

Faut-il préciser, mes chers collègues, que ne pas procéder à l’élargissement du collège électoral reviendrait à ne pas reconnaître le rôle joué par les conseillers consulaires dans près de 130 circonscriptions électorales ? Il me semble que c’est un bien mauvais message que l’on adresserait à ces nouveaux élus...

Pour conclure, je souhaiterais préciser que cette proposition de loi n’a qu’un seul but : moderniser le fonctionnement de ce formidable outil qu’est la CFE pour la faire entrer pleinement dans le XXIe siècle et répondre aux attentes des Français de l’étranger. Je forme le vœu que, pour le bénéfice de tous, nous y parvenions. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

proposition de loi visant à réformer la gouvernance de la caisse des français de l’étranger

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à réformer la gouvernance de la Caisse des Français de l'étranger
Article 2

Article 1er

L’article L. 766-5 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Le 1° est ainsi rédigé :

« 1° Quinze administrateurs élus, représentant les assurés, dont :

« a) Dix au titre des assurés actifs ;

« b) Cinq au titre des assurés inactifs ; » ;

2° Au 3°, les mots : « deux représentants des employeurs, désignés » sont remplacés par les mots : « un représentant des employeurs, désigné » ;

3° Après le 4°, il est ajouté un 5° ainsi rédigé :

« 5° Un représentant désigné par le réseau des chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger. » ;

4° Au douzième alinéa, après les mots : « en son sein » la fin de l’alinéa est ainsi rédigé : « parmi les représentants des assurés. Nul ne peut être président s’il n’est adhérent à la Caisse des Français de l’étranger en tant qu’assuré actif. »

Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par M. Cantegrit, Mme Deromedi, MM. Duvernois et Frassa, Mmes Garriaud-Maylam et Kammermann et M. del Picchia, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Cantegrit.

M. Jean-Pierre Cantegrit. Cet amendement, cosigné par les sénateurs représentant les Français de l’étranger du groupe Les Républicains, vise à supprimer l’article 1er.

À travers cet article, il est proposé, notamment, de modifier l'article L. 766–5 du code de la sécurité sociale qui fixe la composition du conseil d'administration de la Caisse. Comme nous l’avons largement indiqué, la mission conjointe de l'IGAS et de l'IGF a pour objet une évaluation des performances, du rôle, de la nature et du périmètre des actions de la Caisse des Français de l’étranger. Il n’est donc pas opportun d’apporter de telles modifications sans connaître les conclusions du rapport de cette mission.

Ce texte est prématuré et il pourra être repris, et nous en aurons tout à fait le temps en temps utile. Je précise, madame la présidente, que notre groupe demandera un scrutin public sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Éric Jeansannetas, rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur cet amendement de suppression.

Permettez-moi tout de même d’observer que, telle qu’elle est décrite, la mission de l’IGAS et de l’IGF ne porte pas sur la gouvernance. Or c’est bien de la gouvernance que traite la proposition de loi, à l’exclusion de tout autre sujet.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage, pour explication de vote.

Mme Claudine Lepage. Nos arguments sont connus, mais mieux vaut les répéter.

Cet amendement vise à supprimer purement et simplement l’article 1er de la proposition de loi au motif que les conclusions du rapport de la mission que mènent actuellement l’IGAS et l’IGF sur « l’activité et les conditions d’intervention de la Caisse des Français de l’étranger » ne sont pas encore connues.

Cet argument me paraît difficilement recevable étant donné que la lettre de mission adressée à l’IGAS et à l’IGF par le ministère des finances et par le ministère des affaires sociales et de la santé ne porte aucunement sur la gouvernance de la Caisse des Français de l’étranger. Dans cette lettre, que j’ai sous les yeux, ne figure d’ailleurs à aucune reprise le mot « gouvernance »...

Mes chers collègues, vous l’aurez bien compris, il n’est donc absolument pas nécessaire d’attendre les conclusions de cette mission pour examiner cette proposition de loi, et partant cet article, visant uniquement à réformer la gouvernance de la Caisse des Français de l’étranger.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Le groupe écologiste votera contre l’amendement.

Monsieur del Picchia, puisque vous avez utilisé des images médicales, je vous inciterai à voter ce texte à doses homéopathiques ! (M. Richard Yung sourit.) Vous l’avez dit, vous considérez qu’il faut changer le corps électoral,…

M. Jean Desessard. … qu’il est normal d’aller vers la parité…

M. Jean Desessard. … et que d’autres dispositions sont intéressantes. Globalement, vous êtes donc favorable au contenu de cette proposition de loi.

La seule chose qui vous retient, c'est de penser qu’il sera possible d’aller plus loin quand le rapport sera rendu. On aurait pu tous acter ici que ce texte était déjà une bonne mesure et ensemble arrêter les modalités pour analyser, de façon sereine, les autres dispositions qu’il serait nécessaire de prendre. À ce moment-là, une proposition de loi aurait pu émaner d’une autre partie de l’hémicycle.

Alors que vous êtes d’accord sur son contenu, comme M. Cadic l’a dit plus ou moins et comme d’autres intervenants et vous-même l’avez confirmé, il serait dommage qu’il n’y ait pas de vote unanime sur ce texte,…

M. Jean Desessard. … quitte à ce que, après le rapport, des dispositions complémentaires soient apportées.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. L’un des points fondamentaux de l’article 1er est l’apport des chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger. Supprimer cet article reviendrait à les faire « sortir » du conseil d’administration, alors qu’il me semble essentiel de permettre au conseil d’administration d’être en adéquation avec le besoin des PME, lesquelles, et non les grandes entreprises, sont, j’ose le dire, la vache à lait de la Caisse des Français de l’étranger.

Je vous ai entendu dire qu’il n’y avait pas d’urgence. Pourtant, je pense à ceux qui ne peuvent se permettre de cotiser, à ceux – auto-entrepreneurs, indépendants – qui ne peuvent pas toujours payer leurs cotisations en raison de l’application de la rétroactivité, quelle que soit l’évolution de leurs revenus. Ces personnes ont besoin d’une évolution de la Caisse des Français de l’étranger, non pas vers plus de laxisme dans la gestion, mais vers davantage d’ouverture et d’adéquation aux besoins. Évidemment, si vous ne pensez pas à ces gens-là, il n’y a pas d’urgence !

L’argument est facile, monsieur Cantegrit. Lorsque j’avais dix ans, vous siégiez déjà dans cet hémicycle. Aussi, je comprends que vous soyez convaincu que l’éternité vous appartient, à vous et à la Caisse des Français de l’étranger. Mais ce n’est pas le cas, et il y a quelques urgences ! Il faut penser, mes collègues et moi-même l’avons dit, à ceux qui ne peuvent pas cotiser, à l’évolution des cotisants, et aux exigences du droit européen. Se mettre la tête dans le sable est totalement irresponsable eu égard à ces urgences et aux Français que nous représentons !

Je suis surpris qu’une personne comme vous, qui est sénateur depuis près de quarante ans, n’use même pas de son droit d’amendement pour faire des propositions et que M. del Picchia dise : il aurait été bien de faire telle réforme, mais, finalement, on ne l’a pas faite. (M. Robert del Picchia s’exclame.) Quand on siège depuis plus de dix ans dans l’hémicycle, on sait tout de même utiliser son droit d’amendement !

Ensuite, il ne faut pas tout mélanger. Est-ce qu’on est dans une assemblée, est-ce qu’on croit à la démocratie ? Finalement, quand des gens sont élus depuis dix ans, peut-on dire : « Pourvu que ça dure ! », « C’est eux qui décident » ?

Il y aura des enjeux eu égard aux propositions que devra formuler la mission de l’IGAS et de l’IGF. Selon moi, il est de bonne politique que le conseil d’administration qui, à ce moment-là, devra prendre position soit un conseil d’administration élu selon des règles correctes, démocratiques et représentatives. C'est la raison pour laquelle il faut une première étape.

Monsieur del Picchia, avant d’opérer un patient, on l’emmène à l’hôpital, sinon ça ne marche pas ! (M. Robert del Picchia s’exclame.) C’est pourquoi il est indispensable d’avoir un conseil d’administration renouvelé et représentatif avant de réfléchir aux autres aspects de la réforme.

Vous avez cité Molière, tout à l’heure, mon cher collègue. Eh bien, pour ma part, je dirai que les anciens sont les anciens et que nous, nous sommes les gens de maintenant !

Mme la présidente. La parole est à M. Robert del Picchia, pour explication de vote.

M. Robert del Picchia. Je ne comptais pas prendre la parole mais je souhaite tout de même répondre aux attaques qui me sont directement adressées.

Je comprends l’enthousiasme de notre ami Jean-Yves Leconte, sa verve…

M. Ladislas Poniatowski. Et son grand respect des idées des autres ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Robert del Picchia. … et sa façon d’aborder le sujet ; c’est normal, il a travaillé pour sa proposition de loi et il regrette un peu qu’elle ne soit pas adoptée. Je le comprends, c’est humain ! Tout le monde s’est trouvé une fois dans cette situation ! Rappelez-vous, par exemple, les problèmes que j’ai moi-même eus pour faire adopter certaines propositions de loi, qui ont d’ailleurs été reprises ensuite par le groupe socialiste, et que nous avons votées ensemble.

Néanmoins, je veux souligner un point : nous ne disons pas que nous ne souhaitons pas cette réforme. Je le répète, nous allons la mener, mais nous le ferons lorsque nous disposerons de tous les éléments pour la conduire en profondeur, et lorsque l’IGAS et l’IGF auront rendu leur rapport. Il n’y a que quelques mois à attendre ! Nous avons attendu quarante ans, vous l’avez dit. Nous pouvons attendre encore trois mois, non ? (Mme Evelyne Yonnet s’exclame.)

Alors, pour filer votre métaphore, je veux bien procéder à cette opération ; néanmoins, dans certains cas, l’opération réussit mais le patient meurt !

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.

M. Olivier Cadic. Que de mauvaise foi ! Oui, que de mauvaise foi !

Mme Evelyne Yonnet. Il sait de quoi il parle !

M. Olivier Cadic. En effet, parler d’urgence, à quelques semaines de cette élection, alors que, lors de l’adoption de la réforme de la représentation des Français de l’étranger, que vous avez fait voter – et l’on se rappelle ici dans quelles conditions, avec quelle précipitation –, nous vous avions prévenu que cette difficulté émergerait et vous aviez rejeté cet argument !

M. Olivier Cadic. Puis, un an plus tard, vous avez décidé de proroger d’un an le conseil d’administration.

Or, maintenant, tout à coup, à quelques semaines de la prochaine élection, urgence de chez urgence : il faut s’occuper de ces assurés qui seraient à l’abandon ! Mais de qui se moque-t-on ? Je trouve vraiment que vous faites ici preuve d’une mauvaise foi extraordinaire…

Mme Claudine Lepage. Vous êtes un spécialiste !

M. Olivier Cadic. … et que cette précipitation est gênante !

Concernant par ailleurs l’IGAS et l’IGF, cela a été dit, la mission qui leur est confiée a pour objet – c’est écrit en toutes lettres – une évaluation des performances, du rôle, de la nature et du périmètre des actions de la Caisse des Français de l’étranger. Or c’est bien de cela qu’il est question aujourd'hui ! Voilà l’enjeu ! Quand je dis que l’on ne met pas la charrue devant les bœufs, cela signifie qu’il faut d’abord décider si l’on conserve un organisme de sécurité sociale, si l’on s’oriente vers une mutuelle ou si l’on opte pour une assurance privée. Là est aujourd’hui l’enjeu ! Alors attendons que soit remis le rapport commun de l’IGAS et de l’IGF ; en outre, nous en sommes quasiment à la veille, cela doit avoir lieu le mois prochain !

D’ailleurs, franchement, quelle grande réforme ! Il s’agirait de retirer, au conseil d’administration de la Caisse, un siège au MEDEF au profit des CCI internationales ; mais de quoi parle-t-on ? Il faut être sérieux !

Mme Nicole Bricq. Justement !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Cantegrit, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Cantegrit. J’ai soutenu lors de la discussion générale un texte sobre, par lequel j’indiquais qu’il ne me paraissait pas opportun, comme vient de le dire M. Cadic, alors qu’une double mission de l’IGF et de l’IGAS est en cours sur le sujet – pour laquelle j’ai d’ailleurs été, comme d’autres, auditionné –, de mettre tout de suite en œuvre une réforme et qu’il me semble au contraire souhaitable d’attendre.

Je suis pris à partie par M. Leconte, d’une façon qui n’est d’ailleurs pas très sympathique puisque j’ai bien compris que, selon lui, je suis resté trop longtemps à la présidence de cette caisse ! (M. Jean Desessard rit.) Or, monsieur Leconte, il a été longuement indiqué tout à l’heure que les comptes de cette caisse sont à l’équilibre, qu’ils ont été certifiés sans réserve pendant trois exercices par un des premiers cabinets français d’audit, Mazars, et qu’ils ont fait l’objet de deux réserves mineures concernant le quatrième exercice ! Je crois donc que je n’ai pas à rougir de la gestion de cette caisse, cher collègue ! Je ne sais pas comment vous l’auriez personnellement administrée, mais quelques-uns de vos propos me laissent supposer que votre gestion serait peut-être plus aléatoire concernant l’équilibre des comptes ! Cela ne m’étonnerait pas, en tout cas !

Par ailleurs, votre position à propos du MEDEF – j’ai rappelé qu’il représente près de 50 % des adhérents pour l’assurance maladie et leur quasi-totalité pour les accidents du travail – est inopportune et blessante ! La représentante Mme Fauchois au conseil d’administration de la Caisse, s’est exprimée en ce sens avant-hier ; elle s’étonnait ainsi que l’on supprime l’un des membres représentant les employeurs, même si ce conseil n’ pas été renouvelé puisqu’il a été prolongé d’un an.

Par ailleurs, sur le fond, comme l’indiquaient précédemment MM. Cadic et del Picchia, il ne me paraît pas opportun de ne retenir que les conseillers consulaires comme électeurs. Pourquoi changer le corps électoral du conseil d’administration alors que celui des sénateurs représentant les Français établis hors de France a déjà évolué ?

Enfin, vous affirmez que l’on peut proposer maintenant des amendements ; mais vous pouviez vous-même présenter un texte rédigé différemment, monsieur Leconte !

Compte tenu du texte que vous nous avez soumis, nous demandons la suppression du présent article et nous sollicitons un scrutin public.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 2.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 206 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l’adoption 188
Contre 154

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l'article 1er est supprimé.

Article 1er
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Article 3 (début)

Article 2

L’article L. 766-6 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° À la première phrase du premier alinéa, les mots : « membres de l’Assemblée des Français de l’étranger » sont remplacés par les mots : « conseillers consulaires » ;

2° Après le premier alinéa, sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

« Les membres du conseil d’administration doivent être âgés de dix-huit ans au moins et de soixante-cinq ans au plus à la date de leur élection ou de leur nomination, n’avoir fait l’objet d’aucune des condamnations mentionnées aux articles L. 6 et L. 7 du code électoral et ne pas avoir fait l’objet d’une condamnation à une peine correctionnelle prononcée en application des dispositions du code de la sécurité sociale ou dans les cinq années précédant la date susmentionnée à une peine contraventionnelle prononcée en application de ce code.

« Toutefois la limite d’âge de soixante-cinq ans n’est pas applicable aux administrateurs s’ils sont pensionnés et cotisants à la caisse des Français de l’étranger. » ;

3° À l’avant dernier alinéa, les mots : « des articles L. 231-6 et » sont remplacés par les mots : « de l’article ».

Mme la présidente. L'amendement n° 3, présenté par M. Cantegrit, Mme Deromedi, MM. Duvernois et Frassa, Mmes Garriaud-Maylam et Kammermann et M. del Picchia, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Cantegrit.

M. Jean-Pierre Cantegrit. Cet amendement est défendu, madame la présidente !

Mme la présidente. Mes chers collègues, puis-je considérer, que le vote sur cet amendement est le même que sur l’amendement précédent ?

M. Jean Desessard. Pour le groupe écologiste, même vote !

M. Richard Yung. Pour le groupe socialiste et républicain aussi !

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, le fait de considérer que cet amendement est adopté en se fondant sur le même vote que sur l’amendement précédent me pose problème. Il n’a pas été procédé à un scrutin public ; or il me semble que, quitte à aboutir à une loi incohérente, il y a une majorité dans l’hémicycle contre la suppression de l’article 2.

Il faut donc soit s’assurer des votes à main levée, soit redemander un scrutin public ; je ne vois en effet pas au nom de quoi on pourrait considérer que le même vote s’applique.

Mme la présidente. Madame la sénatrice, c’est la coutume. Mais puisque vous souhaitez que nous revenions au formalisme, il sera procédé à un scrutin public sur l’amendement n° 3 visant à supprimer l’article 2.

Quel est l’avis de la commission sur cet amendement ?

M. Éric Jeansannetas, rapporteur. L’avis de la commission est favorable. À titre personnel, j’exprime la même réserve que précédemment. L’article que cet amendement vise à supprimer concerne l’élargissement du corps électoral. Sans doute allons-nous manquer une occasion.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 3.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 207 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l’adoption 188
Contre 153

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l'article 2 est supprimé.

Article 2
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Article 3 (fin)

Article 3

L’article L. 766-7 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Après le premier alinéa est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les listes de candidats sont composées alternativement d’un candidat de chaque sexe. » ;

2° Le deuxième alinéa est complété par deux phrases ainsi rédigées :

« Le décret fixe également les modalités d’organisation de l’élection. En cas de vote par correspondance électronique, celui-ci se fait :

« 1° Dans le respect de la loi n° 78–17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et par correspondance ;

« 2° Au moyen de matériels et de logiciels de nature à respecter le secret du vote et la sincérité du scrutin. »

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les trois articles qui la composent auraient été supprimés. Il n’y aurait donc pas d’explication de vote sur l’ensemble.

L'amendement n° 4, présenté par M. Cantegrit, Mme Deromedi, MM. Duvernois et Frassa, Mmes Garriaud-Maylam et Kammermann et M. del Picchia, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Cantegrit.

M. Jean-Pierre Cantegrit. Les raisons pour lesquelles nous présentons cet amendement ayant déjà été exposées, je précise simplement que notre groupe demande un scrutin public sur celui-ci.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Éric Jeansannetas, rapporteur. La commission a émis un avis favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Je prends acte de la détermination de la « minorité-majorité » sénatoriale – minoritaire en séance et donc obligée de recourir aux scrutins publics pour rester majoritaire. De la même manière, bien qu’il y ait quatre élus de gauche et huit de droite parmi les sénateurs représentant les Français de l’étranger, il faut tout de même recourir aux scrutins publics pour l’emporter !

Je regrette profondément que l’ensemble des conseillers consulaires – on aurait d’ailleurs pu proposer d’autres électeurs, mais il aurait fallu pour cela que vous exerciez votre droit d’amendement – ne puissent participer à l’élection du prochain conseil d’administration de la Caisse des Français de l’étranger. Telle est la responsabilité que portent les groupes Les Républicains et UDI-UC par leur vote sur l’article 2. Cela me semble profondément dommageable pour l’avenir de la Caisse et je pense que cela porte atteinte à la démocratie de proximité que nous avons voulu instaurer.

J’appelle aussi votre attention sur le fait que nous avons évoqué ce sujet au moment du vote de la loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France ; vous pouviez aussi, alors, utiliser votre droit d’amendement !

En tout état de cause, il est regrettable de revendiquer et de maintenir le statu quo, alors qu’il est nécessaire d’évoluer à ce sujet.

Mme la présidente. La parole est à M. Robert del Picchia, pour explication de vote.

M. Robert del Picchia. En réponse à l’intervention de notre ami Jean-Yves Leconte, je le répète, nous voulons cette réforme et nous allons la faire. Cela demande simplement un peu de patience, c’est l’affaire de quelques mois.

Pourquoi dire que nous voulons empêcher les conseillers consulaires de voter, alors que nous sommes, au contraire, tout à fait pour ce vote ? Nous sommes même favorables à un élargissement du corps électoral qui comprendrait tous les électeurs – délégués, parlementaires – qui votent pour les sénateurs. Vous voyez bien que nous ne sommes pas contre, nous voulons simplement le faire le moment venu, lorsque nous aurons recueilli les éléments que nous fourniront l’IGAS et l’IGF.

Mme Nicole Bricq. Non ! Ce n’est pas vrai !

M. Robert del Picchia. Je vous prends au mot, mes chers collègues ! Lorsque nous débattrons d’une proposition de loi sur ce sujet – celle-ci ou une autre version améliorée – je la voterai si nous avons un vrai débat sur les bases qui nous seront fournies par l’IGAS et l’IGF – vous pouvez le noter. Je suis capable de le faire, et vous le savez.

Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.

M. François Fortassin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous invite à prendre ma déclaration comme une forme d’humour dénuée d’agressivité.

Je croyais jusqu’à ce jour que les sénateurs représentant les Français de l’étranger étaient les membres d’un joyeux club de pinsonnets du dimanche. Je m’aperçois aujourd’hui que vous ressemblez davantage à « un vol de gerfauts hors du charnier natal » ! (Sourires.)

M. Robert del Picchia. Mais non ! On veut seulement que ce club fonctionne correctement !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est important, les citations littéraires !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 4.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 208 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l’adoption 187
Contre 153

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l'article 3 est supprimé, et l’amendement n° 1 rectifié n’a plus d’objet.

Toutefois, pour la bonne information du Sénat, j’en rappelle les termes.

L'amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme Lepage, M. Yung et Mme Conway-Mouret, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

« Le décret fixe également les modalités de l’élection organisée par la Caisse des Français de l’étranger.

« En cas de vote par correspondance électronique, la Caisse des Français de l’étranger doit s’assurer que celui-ci se fait :

Les trois articles de la proposition de loi ayant été successivement supprimés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi visant à réformer la gouvernance de la Caisse des Français de l’étranger n’est pas adoptée.

Article 3 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à réformer la gouvernance de la Caisse des Français de l'étranger
 

4

Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire

Mme la présidente. Je rappelle que la commission des finances a proposé une candidature pour la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Maurice Vincent membre de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations.

5

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale
Discussion générale (suite)

Discrimination à raison de la précarité sociale

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale, présentée par M. Yannick Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain (proposition n° 378, texte de la commission n° 508, rapport n° 507).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Yannick Vaugrenard, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale
Article unique (début)

M. Yannick Vaugrenard, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, afin que cette proposition de loi soit adoptée aujourd’hui, je vais délibérément écourter mon propos.

Je tiens tout d’abord à remercier la commission des lois, en particulier son président Philippe Bas, ainsi que le rapporteur Philippe Kaltenbach, qui ont réalisé un travail de précision juridique pour garantir la constitutionnalité de ce texte.

« Ce qu’il y a de scandaleux dans le scandale, c’est qu’on s’y habitue... » Ces mots de Simone de Beauvoir prennent une résonance toute particulière au moment où nous entamons l’examen de la proposition de loi visant à lutter contre la discrimination pour précarité sociale que j’ai l’honneur de vous présenter ce matin.

Oui, mes chers collègues, la pauvreté est un scandale !

La France, globalement, est un pays riche. Pourtant, 8,5 millions de personnes y vivent sous le seuil de pauvreté fixé à 60 % du niveau de vie médian, soit 987 euros par mois. Nous en sommes malheureusement revenus aux niveaux constatés dans les années soixante-dix.

Plus scandaleux encore, un enfant sur cinq est pauvre. L’UNICEF le rappelait la semaine passée, cela correspond à 3 millions d’enfants dans notre pays. Dans les zones urbaines sensibles, c’est même le cas d’un enfant sur deux.

Il faut nous rendre à l’évidence : le système tel qu’il est actuellement conçu ne protège pas – ne protège plus – totalement contre l’exclusion.

Les chiffres que je viens de citer, fournis par l’INSEE sont peut-être les plus récents, mais, connus avec retard, ils portent en réalité sur l’année 2012. Nul doute que la situation, depuis trois ans, a empiré. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à voir l’augmentation de plus de 12 %, dans le même laps de temps, du nombre d’allocataires au RSA socle.

Parce qu’elle a atteint des niveaux inédits, parce qu’elle s’est ancrée dans notre société et qu’elle s’y enracine, la pauvreté est une véritable humiliation pour notre République.

Je ne cesserai de le répéter, les personnes en situation de pauvreté et de précarité sont d’abord et avant tout des victimes. Des victimes qui subissent une forme de « double peine », puisque, à la pauvreté, s’ajoute la discrimination, et ce dans tous les domaines : santé, logement, emploi, formation, justice, éducation, vie familiale, exercice de la citoyenneté et, parfois, relations avec les services publics.

Il existe ainsi toute une partie de nos concitoyens à qui l’on dénie ses droits fondamentaux, à qui l’on interdit d’accéder à la citoyenneté de façon pleine et entière. Or trop peu, malheureusement, s’en soucient ! Serait-ce parce que les pauvres votent peu ou même ne votent pas du tout ? Serait-ce parce que vous ne les verrez jamais manifester, ou très rarement ? Ou tout simplement parce que nous ne les voyons pas ? En tout cas, ils demeurent, la plupart du temps, malheureusement, inaudibles.

Il n’est pas si loin le temps où un ministre de la République dénonçait les supposées « dérives de l’assistanat », « cancer, selon lui, de la société française ». Cette stigmatisation, c’est la culpabilisation, alors que les hasards de la vie – ce ne sont d’ailleurs pas toujours des hasards, car on constate une forme d’hérédité en la matière – ont pu provoquer aussi la pauvreté. Faut-il rappeler qu’être pauvre n’est pas un choix ? La précarité matérielle se double d’une stigmatisation organisée ou simplement tolérée, tant les préjugés sont ancrés dans notre société.

À cet égard, la stigmatisation peut s’analyser aussi bien comme une cause que comme une conséquence de la pauvreté. Combien de nos concitoyens préfèrent ne pas demander les prestations auxquelles ils ont droit et qui pourraient leur apporter un réel soutien, de crainte, justement, d’être stigmatisés ? « Le cancer » dont souffre la société française, il est là ! quand le pauvre se sent coupable de la situation dramatique dans laquelle il se trouve.

Le rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale de décembre 2012 faisait état d’un taux de 35 % de non-recours au RSA socle et de 68 % de non-recours au RSA activité, soit plus de 5 milliards d’euros par an. Dans le même temps, la fraude au RSA est estimée à 60 millions d’euros par an.

Renforcer l’effectivité des droits des personnes en situation de pauvreté est l’un des points majeurs mis en lumière dans le rapport que j’ai publié en février 2014, au nom de la délégation à la prospective, sous le titre Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité !

Mettre l’accent sur la pauvreté et la précarité, ce n’est pas seulement faire preuve de bons sentiments, c’est juste mettre le doigt sur une terrible réalité.

Je voudrais vous citer quatre exemples pour bien montrer le poids et la violence des discriminations qui touchent ces personnes, quatre exemples particulièrement choquants.

Envisageons cette famille, une mère avec ses sept enfants, vivant dans un logement reconnu insalubre de quatre pièces. Elle présente un dossier pour un logement décent et suffisamment grand pour l’accueillir. Deux semaines après avoir pourtant donné son accord, le bailleur revient sur son engagement. Il refuse de louer son bien à cette famille « parce qu’elle présente un risque d’insolvabilité élevé ».

Or le montant de l’aide personnalisée au logement couvre intégralement le montant du loyer, et la famille bénéficie en outre d’une garantie du Fonds de solidarité pour le logement. Voilà donc une discrimination bien réelle !

Le deuxième exemple a été constaté, cette fois, dans le domaine de la santé. Un enfant est suivi par un orthodontiste. Au début des soins, la famille bénéficie d’une mutuelle, et tout se passe très bien ; puis ses droits évoluent : elle relève désormais de la couverture maladie universelle complémentaire. Avant la consultation, la mère de l’enfant prévient logiquement le secrétariat de ce changement de situation. C’est alors que l’orthodontiste vient les trouver dans la salle d’attente et, devant les autres patients, leur explique qu’il ne peut poursuivre le traitement, qu’il arrête les soins et les renvoie en conséquence vers l’hôpital.

Et comment ne pas être scandalisé par l’exclusion du musée d’Orsay, au début de l’année 2013, d’une famille en grande précarité (Mme Evelyne Yonnet opine.), deux parents et leur enfant âgé de douze ans. Plusieurs visiteurs se seraient plaints de leur « odeur » ?

Un autre drame a ému l’opinion et fut largement médiatisé à l’époque : cet enfant évincé de la cantine de son établissement scolaire sous le prétexte que sa mère, qui venait d’être licenciée, pouvait désormais s’occuper du repas de midi.

Heureusement, notre société a gardé les capacités à s’indigner devant de telles décisions ! Je me réjouis, à ce propos, que l’Assemblée nationale ait adopté, le 12 mars dernier, la proposition de loi présentée par Roger-Gérard Schwartzenberg, visant à garantir le droit d’accès à la restauration scolaire. Je souhaite que le Sénat inscrive prochainement ce texte à l’ordre du jour de ses travaux, pour confirmer ainsi le vote de nos collègues députés.

Nous ne devons pas nous résigner à ce raz-de-marée de la misère, d’autant plus dramatique qu’il est particulièrement silencieux. Nous devons refuser la fatalité, avancer avec la volonté de faire reculer la pauvreté, de faire bouger les lignes, c’est notre responsabilité politique !

Nombreux sont ceux qui ne manquent pas une occasion, pour s’en flatter, d’évoquer le succès d’Esther Duflo, jeune économiste française travaillant aux États-Unis, spécialiste des questions liées à la pauvreté. Elle a été choisie pour conseiller le Président Obama sur ce sujet. Ceux qui se flattent de son succès oublient de rappeler ce qu’elle a maintes et maintes fois répété : c’est bien souvent par idéologie, par ignorance et par inertie – ce qu’elle appelle les « 3 i » – que nos politiques échouent.

Il n’est donc que temps de reconnaître sur toutes les travées de notre assemblée, sans idéologie, sans parti-pris, et parce que nous avons la volonté de peser sur les choses, oui, il est temps de reconnaître la réalité de la discrimination pour précarité sociale, et de la sanctionner. C’est tout le sens de la proposition de loi qui vous est aujourd’hui soumise, parce que je pense aussi que la République sans le respect, ce n’est pas la République !

Afin de lutter le plus efficacement possible contre ces cas de discrimination à l’égard des personnes pauvres, le choix des mots « précarité sociale » apparaissait indiqué, mais je ne mésestime pas les précisions juridiques apportées par la commission des lois par souci de constitutionnalité, et je les fais volontiers miennes.

En octobre 2013, Dominique Baudis, alors Défenseur des droits et auquel je tiens, ici, à rendre hommage, s’est adressé aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat pour attirer leur attention sur deux nouveaux critères de discrimination qui devraient être ajoutés à l’article 225–1 du code pénal : le critère de discrimination à raison du lieu de résidence et le critère de discrimination à raison de la pauvreté.

Le premier critère, la discrimination à raison du lieu de résidence, a été consacré dans la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.

L’ajout du vingt et unième critère de discrimination émane d’une revendication très forte exprimée depuis de nombreuses années par l’Association ATD Quart Monde. À cet égard, je tiens à saluer leurs représentants, présents aujourd’hui dans les tribunes.

Par ailleurs, le protocole additionnel n° 12 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales interdit toute discrimination fondée sur la fortune et l’origine sociale. Il serait du reste urgent, madame la secrétaire d’État, que la France prenne le temps de le ratifier.

Plusieurs États ont également inscrit ce critère de discrimination dans leur droit. L’un des exemples les plus couramment cités concerne le Québec, où la discrimination fondée sur la « condition sociale » a été introduite dès 1975, dans la Charte des droits et libertés de la personne.

Dans le prolongement du rapport publié au nom de la délégation à la prospective, j’ai demandé aux services du Sénat d’établir une note de législation comparée sur cette question de la discrimination à raison de la pauvreté. Je tiens à les remercier pour le travail qu’ils ont réalisé.

Sur huit pays étudiés, il ressort que quatre d’entre eux ont institué une interdiction explicite de la discrimination à raison de la pauvreté, entendue au sens large. Parmi les États membres de l’Union européenne, la Belgique fait décidément figure de modèle, puisqu’elle prévoit cette interdiction depuis 2007, poursuivant le mouvement engagé par l’Afrique du Sud en 2000 et auquel se sont ralliés, plus récemment, la Bolivie en 2010 et l’Équateur en 2014.

Pour toutes ces raisons, l’article unique de la présente proposition de loi tend donc à ajouter le critère de discrimination à raison de la précarité sociale ou, pour être plus précis juridiquement et tenir compte du travail de la commission des lois, « de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique apparente ou connue de son auteur ».

Ajoutons donc ce nouveau critère au code pénal, au code du travail, ainsi qu’à la loi n° 2008–496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai évoqué le rapport du Conseil économique, social et environnemental publié en 1987 et l’engagement de longue date de l’Association ATD Quart Monde. Comment ne pas saluer, en cet instant, la mémoire de Geneviève de Gaulle-Anthonioz et son inlassable combat pour le respect de la dignité humaine ? Le 27 mai dernier, la République lui a rendu, ainsi qu’à trois autres héros de la Résistance, un hommage ô combien mérité.

Je ne peux que faire miennes ces phrases que le Président de la République a prononcées à cette occasion devant le Panthéon : « Parce qu’elle voulait, cette grande dame, porter son combat sur le terrain du droit. Parce qu’elle entendait sortir son peuple de l’ombre par la lumière de l’expression de la volonté générale. Parce qu’elle estimait que la pauvreté n’est pas une fatalité individuelle mais une défaillance collective. Parce qu’elle voulait inscrire le respect de la dignité de tous dans le marbre de la République. Elle savait bien qu’il ne suffit pas d’une loi pour éradiquer la pauvreté et assurer l’accès de tous aux droits fondamentaux. »

Le Président de la République poursuivait ainsi : « En près de vingt ans, hélas ! le nombre d’enfants pauvres, de familles pauvres, n’a pas diminué. Alors il nous revient d’agir encore pour que le droit au travail, à la santé, au logement, à la culture, ne soient pas des mots pieusement conservés dans les journaux officiels de la République française mais soient d’ardentes obligations que seul un sursaut de l’ensemble de notre pays pourra réussir à honorer. Pour que la solidarité ne soit pas regardée comme de l’assistance. Pour que les pauvres ne soient pas soupçonnés de vouloir le rester et pour en finir avec la stigmatisation de l’échec. Pour que nous ne soyons pas indifférents. »

À ce moment de mon propos, je tiens à rendre hommage, à travers l’engagement de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, à l’ensemble des associations caritatives et humanitaires, dont le formidable et indispensable travail ne doit en aucune manière nous exonérer de nos propres responsabilités.

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, disons-le clairement : la pauvreté est une violation des droits humains. Sa tragique banalisation dans notre pays et ce déterminisme inacceptable qu’est l’hérédité de la pauvreté, sa transmission, trop souvent, de génération en génération, constituent un échec patent de notre société.

En ce sens, la reconnaissance de la discrimination, au sens commun, pour précarité sociale est une manière forte d’adresser un message de vraie considération et de fraternité à toutes celles et tous ceux, nombreux dans notre pays, qui se sentent mis de côté.

Dans le cadre des auditions que j’ai menées pour préparer le rapport d’information sur la pauvreté, le témoignage d’un membre d’ATD Quart Monde m’a particulièrement marqué.

Placé enfant, comme tous ses frères et sœurs, dans une famille d’accueil, balloté de foyer en foyer, il s’est retrouvé à dix-huit ans à la rue, car, désormais majeur, il était considéré comme capable de se débrouiller seul. Alors qu’aucun droit ne lui était ouvert, toutes les portes se sont refermées.

Confronté depuis toujours à une situation de grande pauvreté, pas un instant au cours de son audition il n’a évoqué ses problèmes financiers. Il a au contraire insisté sur les notions de respect, d’écoute et d’attention.

Qu’il me soit permis, avec beaucoup d’humilité en ce jour chargé d’histoire, de lancer, au travers de la présente proposition de loi, un appel au respect de la personne humaine, de sa dignité et à la grandeur d’âme de notre démocratie.

« Certains jours il ne faut pas craindre de nommer les choses impossibles à décrire », écrivait René Char.

Dire la réalité de la pauvreté, des discriminations qui y sont liées, pour mieux les dénoncer et les sanctionner, tel est, mes chers collègues, l’objet de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mme Esther Benbassa et M. François Fortassin applaudissent également.)

Mme Bariza Khiari et M. Marc Daunis. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi de Yannick Vaugrenard, visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale.

Le présent texte vise à inscrire dans la législation un vingt et unième critère définissant les discriminations : celui de la précarité sociale ou, pour employer un langage plus direct, celui de la pauvreté.

Il s’agit d’inscrire ce critère non seulement dans notre droit pénal, mais aussi dans le code du travail et dans la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation du droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Cette proposition de loi reprend l’une des nombreuses préconisations formulées par Yannick Vaugrenard, dans le rapport qu’il a rédigé au nom de la délégation sénatoriale à la prospective et intitulé Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité !

Force est, hélas ! de l’admettre : notre pays reste confronté au problème de la pauvreté. Selon l’INSEE, la France compte entre 4,9 et 8,5 millions de personnes considérées comme pauvres, selon que l’on prend pour seuil 50 % ou 60 % du niveau de vie médian. Quoi qu’il en soit, la pauvreté touche un nombre considérable de nos concitoyens. Ce constat a, récemment encore, été rappelé : notre pays dénombre 3 millions d’enfants pauvres, ce qui représente un enfant sur cinq.

De plus, les personnes en situation de pauvreté font l’objet d’une importante stigmatisation. Malheureusement, certains responsables politiques n’hésitent pas à verser dans la caricature, en dénonçant « l’assistanat » et en pointant du doigt les personnes en difficulté, assimilées à des fainéants dont le seul but serait de profiter du système. Ces personnes seraient responsables de tous les maux de la société. De tels propos ne peuvent qu’aggraver les choses.

Cette mise au ban, que subissent les personnes en situation de précarité sociale, est loin d’être sans conséquence. Aussi, il fallait réagir fortement. À cet égard, je me félicite de l’initiative prise par Yannick Vaugrenard, avec le soutien de tous les sénateurs socialistes, en vue d’ajouter un vingt et unième critère pour lutter contre les discriminations, en tenant compte des discriminations liées à la pauvreté.

En effet, les personnes en situation de précarité sociale peuvent faire l’objet de perceptions négatives et d’un traitement différencié.

Toute rupture dans l’égalité de traitement ne constitue pas, en soi, une discrimination. Toutefois, de telles discriminations, fondées sur les critères de pauvreté, mettent en cause les fondements mêmes de la République.

Cela étant, la notion de précarité sociale répond à une définition qui demeure approximative. Juridiquement parlant, elle présente toujours une forme d’incertitude.

Aussi, tout le travail que j’ai mené, en tant que rapporteur, avec la commission des lois, a consisté à redéfinir les termes de « précarité sociale », pour apporter une garantie juridique et prévenir une éventuelle censure de ce texte de loi par le Conseil constitutionnel.

Le premier enjeu de cette proposition de loi est d’apporter une forme de reconnaissance symbolique.

Bien sûr, la France doit mener la lutte contre les discriminations, en faisant confiance aux juridictions. In fine, le nombre de condamnations prononcées pour ce motif reste très faible : on n’en dénombre qu’une petite vingtaine chaque année. Mais reconnaître ce phénomène, c’est déjà assurer un affichage politique. Symboliquement, les Français prennent conscience de ces discriminations, et l’ensemble des acteurs peuvent se mobiliser, pour éviter qu’elles ne persistent.

Au-delà, il s’agit de permettre un exercice effectif de la reconnaissance des droits par les personnes en situation de précarité.

Yannick Vaugrenard l’a clairement expliqué : souvent, les personnes en grande difficulté ne font pas usage des droits qui leur sont reconnus. Un chiffre assez parlant permet de l’illustrer. Il porte sur le revenu de solidarité active, le RSA : un tiers des personnes susceptibles de bénéficier du RSA socle n’entreprennent aucune démarche pour l’obtenir.

La pauvreté est ressentie comme une double peine : la précarité matérielle se renforce d’une stigmatisation. Or ce sentiment d’humiliation entretient les phénomènes de discrimination.

Yannick Vaugrenard et moi-même, pour préparer ce rapport, avons auditionné un grand nombre de représentants d’associations. Ces derniers témoignent du ressenti des personnes en situation de grande pauvreté, de la violence qu’elles éprouvent. Malheureusement, nombre d’entre elles préfèrent ne pas demander les prestations auxquelles elles ont droit, de peur d’être stigmatisées.

Inscrire aujourd’hui dans la loi le critère de la discrimination à raison de la pauvreté, c’est donc également émettre un message fort en direction de toutes ces personnes, pour leur dire : vous êtes dans votre droit. Vous avez des droits. Il faut les faire valoir pleinement, en luttant contre le regard des autres. Nous sommes à vos côtés pour que vous puissiez exiger le respect de vos droits.

Il s’agit aussi de faire évoluer les mentalités : nous avons la capacité, à travers la loi pénale, d’énoncer clairement ce qui est interdit. Aujourd’hui, nous devons dire qu’il est interdit de montrer du doigt une personne du fait de sa précarité sociale, de sa pauvreté, de la vulnérabilité découlant de sa situation économique. Il faut, à ce titre, prendre en compte le pouvoir dissuasif de la loi pénale.

Le but est bien de réduire les comportements discriminatoires et tous les abus stigmatisants dans le langage ou l’attitude.

De plus, dans la conjoncture économique que nous connaissons, il semble nécessaire de réaffirmer la solidarité et la fraternité comme les éléments fédérateurs de la société française.

De surcroît, il faut renforcer toutes les actions de sensibilisation : bien entendu, il faut que tous ceux qui luttent contre les discriminations puissent communiquer sur ce sujet, faire œuvre de pédagogie et sensibiliser nos concitoyens aux réalités actuelles de la précarité et de la pauvreté, en insistant sur la nécessaire solidarité dont la société tout entière doit faire preuve.

Tout le travail de la commission a été d’élaborer la bonne définition, pour renforcer le dispositif juridique proposé. En effet, il fallait définir le critère juridique opérant répondant aux exigences du droit pénal.

Mes chers collègues, vous le savez, il faut respecter le principe de légalité des délits et des peines, lequel revêt une valeur constitutionnelle. Ce principe a été confirmé clairement, et à plusieurs reprises, par le Conseil constitutionnel. En résulte une exigence de précision de la loi pénale, laquelle fait l’objet d’un principe d’interprétation stricte.

En conséquence, le législateur a obligation de fixer lui-même, et précisément, le champ d’application de la loi pénale, afin de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis.

La « précarité sociale », que mentionnait la proposition de loi initiale et que soutenaient de nombreuses associations, est une notion subjective, regroupant une grande diversité de situations. Il aurait été difficile, pour le juge pénal, de la définir par sa jurisprudence. En aurait découlé un risque de fragilité, que le Conseil constitutionnel aurait pu sanctionner, soit à l’occasion d’une saisine directe, soit, plus probablement, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, ou QPC.

Voilà pourquoi la commission a choisi de se fonder sur une notion figurant d’ores et déjà dans le droit français. Elle a, sur mon initiative, retenu la détermination d’un critère fondé sur la vulnérabilité résultant de la situation économique.

Constituerait ainsi une discrimination toute distinction opérée entre des personnes à raison de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de l’auteur de la discrimination.

Avant d’aboutir à la définition qu’elle vous propose aujourd’hui, la commission a exploré diverses pistes. Elle a, notamment, examiné des termes qui auraient pu résulter du droit international et qui figurent dans diverses conventions ou déclarations.

Les textes internationaux dont il s’agit font référence à la fortune ou à l’origine sociale. Mais ces deux concepts sont datés et, en droit français, ils n’auraient qu’une portée juridique extrêmement étroite et peu opératoire. C’est la raison pour laquelle nous les avons écartés.

Au fil des auditions, nous avons par ailleurs été orientés vers la prise en compte d’un seuil, par exemple le seuil de pauvreté défini par l’INSEE, ou encore les seuils applicables aux minima sociaux. Néanmoins, à nos yeux, le choix de ce critère aurait provoqué un effet couperet : on serait considéré dans une situation de précarité sociale si l’on gagne 850 euros par mois, et ce ne serait plus le cas avec un revenu mensuel de 870 euros. Cet effet couperet aurait, de facto, écarté des personnes en situation de pauvreté, qui, dès lors, n’auraient plus pu être protégées contre les discriminations. Aussi, nous avons également écarté cette piste.

Nous avons abouti à la définition, inscrite dans le présent texte, de la « précarité sociale » comme critère fondé sur « la vulnérabilité de la personne à raison de sa situation économique ». Ce faisant, nous répondons aux exigences constitutionnelles de précision de la loi pénale.

Au demeurant, cette définition a déjà été employée à plusieurs reprises. Elle figure dans la jurisprudence pénale et a été utilisée récemment, en 2012, dans la loi relative au harcèlement sexuel, au titre des facteurs aggravants. Nous aboutissons donc à une définition juridiquement garantie.

Par ailleurs, la commission s’est employée à renforcer la sécurité des droits et l’efficacité du dispositif.

Nous avons veillé à ne pas introduire cette forme de discrimination dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, laquelle vise plus particulièrement les discriminations et les injures racistes et antisémites. En effet, les propos méprisants ou condescendants prononcés à l’encontre d’une personne en situation de pauvreté sont d’ores et déjà sanctionnés par le délit d’injure. Il n’est donc pas nécessaire d’aggraver cette peine, en recourant à la loi sur la liberté de la presse.

Enfin, nous avons souhaité compléter le chapitre du code du travail relatif aux différences de traitement autorisées, afin de ne pas faire obstacle à des actions positives, ce que l’on appelle « la discrimination positive », en faveur des personnes en situation de grande précarité.

À mes yeux, nous pouvons nous féliciter de l’initiative prise par Yannick Vaugrenard et, plus généralement, par nos collègues socialistes, pour introduire ce vingt et unième critère de discrimination. Nous le savons, un nombre toujours croissant de personnes se heurtent à des difficultés matérielles, auxquelles s’ajoutent les obstacles liés à la stigmatisation à raison de la pauvreté.

Modifié dans le sens que je viens d’indiquer, le présent texte a été adopté à une large majorité de la commission des lois. Quelques-uns de ses membres se sont abstenus, mais aucun d’entre eux n’a voté contre. L’ensemble des travaux effectués, le travail mené par Yannick Vaugrenard, au sein de la délégation sénatoriale à la prospective, la rédaction, par ses soins, de cette proposition de loi, puis son examen par la commission, doivent nous permettre, à présent, de nous rassembler largement, sur toutes les travées de cet hémicycle.

Madame la secrétaire d’État, parallèlement, nous ne pouvons qu’inviter le Gouvernement à poursuivre son action contre la précarité sociale. Cet objectif figure dans le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. À ce titre, je salue les diverses initiatives engagées, comme les rendez-vous des droits, qui permettent une meilleure appropriation des droits par les personnes en situation de grande fragilité. Nous devons, collectivement, encourager les pouvoirs publics à poursuivre des actions de cette nature, pour lutter contre la pauvreté et contre les stigmatisations.

Mes chers collègues, à travers ce texte de loi, le but est bien de réhabiliter les valeurs d’assistance, de solidarité et de fraternité, qui sont aujourd’hui indispensables à la qualité du vivre-ensemble, et qui forment le fondement de la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur Yannick Vaugrenard, mesdames, messieurs les sénateurs, l’entrée au Panthéon de quatre grandes figures de la Résistance, parmi lesquelles Geneviève de Gaulle-Anthonioz, ancienne présidente d’ATD Quart Monde, a été l’occasion, pour le Président de la République, de rappeler les valeurs qui font la France. Ces valeurs, celles d’humanité, de fraternité, d’égalité et de solidarité, nous rappellent chaque jour la force de notre République, mais aussi sa fragilité, et partant l’impérieuse nécessité de les cultiver, de les préciser, de les renforcer.

Nous sommes ici réunis pour examiner une proposition de loi déposée par les sénateurs du groupe socialiste et républicain. Ce texte vise à rendre illicite un nouveau type de discrimination qui se propage dans notre pays, une forme de mise à l’écart des plus fragiles, des plus vulnérables, de ceux qui, précisément, ont le plus besoin d’aide à un moment donné.

La réalité, c’est que nos vies ne sont pas rectilignes. Elles sont faites de va-et-vient successifs, de petits pas, de grands bonds en avant parfois, mais aussi de périodes difficiles, d’accidents de parcours, de séparations, de ruptures. Pour celles et ceux qui traversent ces moments difficiles, l’important, c’est de ne pas se sentir seul, c’est de ne pas se sentir isolé.

Geneviève de Gaulle n’a cessé de le dire tout au long de sa vie : la véritable force est dans la solidarité humaine, et il n’y a pas de courage s’il n’est pas partagé.

C’est la raison pour laquelle la lutte contre la pauvreté, ce n’est pas seulement l’affaire des familles précaires, des institutions chargées de l’action sociale ou des travailleurs sociaux, c’est bien l’affaire de toute la société française. En effet, prévenir l’exclusion, c’est un investissement, c’est ce qu’on appelle « l’investissement social ».

Le plan de lutte contre la pauvreté était un engagement de campagne du Président de la République, repris par le Premier ministre dans son discours de politique générale le 3 juillet 2012, et il a été officiellement adopté le 21 janvier 2013, lors d’un comité interministériel de lutte contre l’exclusion.

Ce plan comportait à l’origine plus de soixante mesures destinées à permettre à chacun d’accéder à une vie digne sur le plan matériel, mais aussi à l’emploi, à la formation, au logement, aux soins et aux services de santé. Il a été enrichi de cinquante nouvelles actions le 3 mars dernier par le Premier ministre.

Ces nouvelles actions ont pour objectif de répondre à de nouveaux besoins, identifiés par l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, lors de son évaluation du plan, mais aussi, et surtout, par les associations de lutte contre l’exclusion et par les personnes elles-mêmes en situation de pauvreté, représentées au sein du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, ou CNLE.

Ce plan est d’abord conçu comme une forme de « bouclier social », qui protège ceux qui font face à des difficultés plus ou moins temporaires. Il a également été conçu pour être un « tremplin social », afin de permettre aux personnes de rebondir.

Le principe d’accompagnement des personnes, qui a été réaffirmé par le Premier ministre, vise précisément à redonner confiance à ceux qui ont subi un accident de parcours, afin de leur donner les moyens d’agir par eux-mêmes et de retrouver la liberté de choix.

Le plan est bâti sur un principe essentiel, qui mérite d’être renforcé : l’objectivité, qui consiste à ne pas porter de jugement sur les situations de pauvreté et d’exclusion, mais à les regarder en face, telles qu’elles sont. Ces situations concernent désormais plus de 8 millions de nos concitoyens, jeunes et moins jeunes, adultes et enfants, chômeurs et salariés.

De ce principe fondamental d’objectivité découle un second principe dit de « non-stigmatisation », consistant à ne plus considérer la pauvreté comme un phénomène qui ne concernerait que quelques malchanceux, pour lesquels on ne pourrait rien faire, car ils seraient en partie, sinon pleinement, responsables de leur situation.

Rendre celles et ceux qui sont en difficulté coupables de leur situation, c’est avant tout se rendre coupable d’inhumanité, c’est aussi ignorer ou mépriser, volontairement, les valeurs républicaines.

Celles et ceux qui connaissent des difficultés sociales sont encore aujourd’hui trop souvent perçus comme responsables de leur situation. Trop souvent, il est considéré qu’ils pourraient s’en sortir s’ils le voulaient vraiment. Je vous le dis de façon directe : ces accusations sont scandaleuses !

Il est scandaleux de stigmatiser celles et ceux que l’on qualifie d’« assistés », comme pour se prémunir soi-même du risque d’en être, comme si pointer du doigt permettait de se distinguer et d’éloigner le danger.

Il est temps d’affirmer que si ces personnes sont dans ces situations, c’est précisément parce que, très souvent, elles n’osent même plus faire valoir leurs droits ou y renoncent de peur d’avoir à essuyer un refus, synonyme de honte, de peur d’avoir à affronter un système devenu tellement complexe qu’il semble que l’on ait volontairement érigé des barrières pour les mettre à l’écart.

C’est pour cette raison que Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, et moi-même agissons chaque jour pour simplifier les démarches et pour faciliter l’accès aux aides et aux prestations sociales. C’est pour cela que nous avons mis en place, avec la caisse d’allocations familiales, les rendez-vous des droits. C’est pour cela que nous mettons en place le simulateur en ligne des droits sociaux, qui va permettre à chacun de connaître en quelques clics l’ensemble de ses droits. C’est pour cela que nous simplifions l’ensemble des procédures et les mots employés dans les courriers de toutes les institutions.

Malgré cela, la peur du stigmate continue d’alimenter le non-recours aux droits et le renoncement aux aides : ces personnes qui abandonnent, qui renoncent à croire que l’on veut réellement les aider ; ces personnes qui ne souhaitent plus qu’une chose, se faire oublier pour qu’on ne leur renvoie plus leur propre image ; ces personnes qui, bien sûr, ne votent même plus, qui ne croient plus en la capacité de l’État et de la société à les protéger et à les aider. Eh bien, ces personnes sont nos concitoyens et ils ont les mêmes droits que chacun et chacune d’entre nous, et nous avons le devoir de leur garantir le droit à la citoyenneté et le droit à la dignité.

Face à ce constat, mesdames, messieurs les sénateurs, je crois qu’il est temps d’aller plus loin.

Depuis le début du quinquennat, le Gouvernement a agi dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Nous avons ainsi introduit dans le code pénal, dans le code du travail, ainsi que dans la loi de 2008 sur les discriminations, un vingtième critère relatif au lieu de résidence, afin que le fait de vivre dans un quartier défavorisé, qui est déjà souvent synonyme de situations de précarité, ne s’accompagne pas de phénomènes supplémentaires d’exclusion.

Avant d’entrer au Gouvernement, j’avais moi-même participé, en tant que parlementaire, à faire ajouter dans la loi sur le harcèlement sexuel une circonstance aggravante en cas de vulnérabilité économique de la personne victime de harcèlement, afin que l’abus de faiblesse soit puni plus sévèrement dans ce domaine.

Aujourd’hui, il apparaît nécessaire d’aller plus loin. Le texte de loi que vous proposez poursuit un objectif louable à double titre : il vise tout à la fois à lutter contre la stigmatisation des personnes en situation précaire et à renforcer leurs possibilités d’accéder à leurs droits, en rendant illégales les pratiques discriminatoires fondées sur la situation économique réelle ou supposée de ces personnes.

Ce texte, en réalité, vise à agir sur les stéréotypes, en établissant une nouvelle norme permettant de faire évoluer les représentations et donc les pratiques discriminatoires. Elle vise à faire prendre conscience à chacun que la pauvreté n’est pas une fatalité et qu’une situation n’est jamais irréversible.

Avant toute chose, elle vise à redonner confiance aux personnes qui ont perdu espoir, afin qu’elles sachent que, désormais, le droit est avec elles, et qu’il est donc possible de postuler pour un logement, un emploi ou une place en crèche sans craindre de se voir renvoyer à sa situation, comme s’il n’était pas permis d’espérer en sortir. Les attitudes que ces personnes subissent étaient contraires à nos valeurs, elles seront désormais contraires à nos lois !

Mme Evelyne Yonnet. Très bien !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Malgré l’arsenal juridique dont nous disposons déjà, nos lois ne suffisent plus à couvrir toutes les situations dont nous parlons aujourd’hui. Quelles sont précisément ces situations ? C’est la difficulté principale que vous deviez résoudre afin de respecter le principe de légalité des peines, sans lequel la justice ne peut rien.

Il s’agissait d’abord d’être concret et de partir de situations objectives bien définies. C’est ce travail que vous avez fait, mesdames, messieurs les sénateurs, qui a permis d’aboutir à ce texte.

Mais la difficulté était également de trouver une formulation de ce critère qui ne soit pas elle-même stigmatisante, comme l’aurait été, par exemple, le fait de bénéficier de prestations sociales, auxquelles certaines personnes renoncent, précisément pour ne pas être stigmatisées : il s’agissait en effet d’éviter que le dispositif ne se retourne contre les personnes visées.

Je salue en ce sens le travail de la commission des lois du Sénat, qui a su proposer une formulation équilibrée. Le chemin était étroit, entre un critère parfaitement objectif mais par trop restrictif, et un critère extensif qui risquait la censure constitutionnelle.

Nous sommes, selon moi, à un moment capital pour notre pays. Cette proposition de loi souligne l’importance, sinon la nécessité absolue, de protéger et de renforcer nos valeurs de solidarité, de fraternité, et d’unité face aux divisions qui nous menacent, face au risque du repli sur soi et de haine de l’autre.

Cette loi ne doit donc pas seulement constituer un simple étendard que l’on brandirait pour se donner bonne conscience. Il s’agit bel et bien de nous doter d’un nouvel arsenal juridique qui devra donner lieu à des peines, afin qu’il puisse pleinement jouer son rôle de sanction, mais aussi de dissuasion des comportements qui s’écarteraient de la norme.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit en définitive : ériger un point de repère, une norme permettant à chacun de prendre conscience que notre société ne peut plus se permettre de considérer la pauvreté et l’exclusion sociale comme une fatalité contre laquelle il est inutile de se battre. Il s’agit de prendre conscience collectivement que nous participons à créer et à renforcer l’exclusion sociale et que nous en sommes donc en quelque sorte tous responsables.

C’est bien de cela qu’il s’agit : faire évoluer et élever notre conscience collective afin d’éviter que l’individualisme ne prenne le pas sur le sens du collectif. Car la solidarité, le Président de la République lui-même l’a rappelé à plusieurs reprises, ce n’est pas un supplément d’âme, mais ce lien invisible qui nous protège collectivement. C’est en réalité ce que nous avons de plus précieux, ce qui nous fait nous sentir plus forts, ce qui nous donne confiance dans l’avenir et ce qui fait notre capacité collective à rester unis.

C’est pourquoi, vous l’aurez compris, le Gouvernement est favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Esther Benbassa et M. François Bonhomme applaudissent également.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous incite à respecter le temps de parole imparti afin que nous puissions achever l’examen de cette proposition de loi à treize heures trente au plus tard.

La parole est à M. Didier Mandelli.

M. Didier Mandelli. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis 2008, la situation de pauvreté en France s’est aggravée. Selon le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, nous assistons à une massification de la pauvreté. La France compte 3,5 millions de chômeurs – en prenant en compte les chômeurs ayant une activité réduite, on dépasse les 5 millions –, 3,5 millions de mal-logés et 8,5 millions de ménages pauvres. Ces chiffres sont inquiétants. D’après le dernier rapport de l’UNICEF en date du 9 juin 2015, 3 millions d’enfants vivent sous le seuil de pauvreté, soit un sur cinq.

La pauvreté touche les enfants, les familles monoparentales, les jeunes, les personnes âgées... Elle nous indigne, nous choque, nous déstabilise, nous révolte.

Dans son rapport de février 2014 intitulé Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité ! mon collègue et voisin Yannick Vaugrenard et la délégation à la prospective soulignent qu’« en dépit […] d’une multitude de propositions formulées, d’une protection sociale considérée comme l’une des meilleures au monde, de toutes les mesures qui ont déjà été mises en place, il faut se rendre à l’évidence : le système tel qu’il est actuellement conçu ne protège plus contre l’exclusion ».

Ce rapport très éclairant, qui s’inscrit dans une démarche prospective sur le thème de la pauvreté, nourrit notre réflexion pour changer les mentalités en profondeur.

Comment lutter contre la pauvreté ? La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui, issue des travaux de la délégation à la prospective du Sénat, prévoit d’ajouter la « précarité sociale » comme un vingt et unième critère de discrimination, à la liste des discriminations invocables comme préjudice au regard de l’article 225–1 du code pénal et de l’article L. 1132–1 du code du travail.

Une discrimination est une inégalité de traitement fondée sur un critère interdit par la loi – sexe, âge, état de santé, etc. – et dans un domaine cité par la loi – accès à un service, embauche… Actuellement, vingt critères de discrimination – « critères prohibés » – sont fixés par la loi.

Ainsi, défavoriser une personne en raison de ses origines, de son sexe, de son âge, de ses opinions est formellement interdit par la loi comme par les conventions internationales approuvées par la France.

Les discriminations pour précarité sociale sont une réalité. Une enquête de l’IFOP réalisée en 2013 pour le Défenseur des droits révélait que 37 % des chômeurs se déclaraient victimes d’une discrimination à l’embauche.

À titre d’exemple, les candidats à un emploi qui résident en centre d’hébergement et de réinsertion sociale ou sont passés par une entreprise d’insertion ont moins de chance que d’autres d’obtenir un emploi.

De nombreux organismes, comme ATD Quart Monde ou la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, travaillent depuis quelques années à faire reconnaître cette discrimination dans notre droit pénal.

Faut-il cependant modifier le dispositif législatif contre les discriminations ? Nous nous interrogeons.

En effet, des personnalités auditionnées par le rapporteur ont émis des réserves sur la pertinence et la portée normative de l’introduction de ce nouveau critère.

C’est le cas de Jérôme Vignon, président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, qui considère que les discriminations sont souvent fondées sur une multiplicité de critères et que l’ensemble des situations discriminatoires est aujourd’hui appréhendé par le droit en vigueur.

Par ailleurs, l’actuel Défenseur des droits, Jacques Toubon, relève dans un avis du 9 juin 2015 que « la précarité sociale est une situation, temporaire ou chronique, […] mais n’est pas une caractéristique pérenne de la personnalité ».

Par conséquent, la question se pose : quelle est l’utilité d’introduire ce critère de discrimination, au-delà de la valeur symbolique ?

Alors que le Gouvernement prône le choc de simplification, créer un nouveau critère de discrimination dans notre droit pénal et dans notre droit du travail aura pour effet de contribuer à l’inflation normative tant décriée par tous. Cette proposition de loi n’a pas été assortie d’une étude d’impact évaluant les conséquences de l’introduction de ce nouveau type de discrimination.

Alors que les tribunaux sont engorgés par les contentieux et ont déjà du mal à faire face, on peut s’interroger sur les conséquences de ce texte quant à l’activité de nos juridictions, auxquelles nous confions toujours plus de travail sans toujours leur accorder les moyens nécessaires.

Interdire la discrimination à l’égard des pauvres n’aboutira pas à éradiquer la pauvreté, nous le savons bien. Si c’était le cas, nous aurions dû voter un tel texte beaucoup plus tôt.

La valeur symbolique de la proposition de loi est importante, nous en convenons, mais est-elle suffisante ? Je répondrai par la négative pour deux raisons.

Tout d’abord, pour lutter contre la discrimination liée à la précarité sociale, nous devons faire évoluer les mentalités et éviter la stigmatisation. À cette fin, nous devons intensifier les actions de sensibilisation auprès du grand public et des organismes publics.

Ensuite, mener une réflexion globale sur l’origine des discriminations, leurs manifestations et leurs traitements paraît plus judicieux que d’accumuler les critères de discrimination pénalement répréhensibles.

Voilà pourquoi le groupe Les Républicains s’abstiendra sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, être pauvre n’est pas uniquement un problème économique, c’est aussi un phénomène multidimensionnel qui englobe le manque de revenus et l’inexistence des capacités de base nécessaires pour vivre dans la dignité.

La discrimination et l’exclusion sont parmi les principales causes et conséquences de la pauvreté. Les femmes, les enfants, les personnes âgées, les personnes handicapées, les migrants, les réfugiés, les demandeurs d’asile et les personnes vivant avec le VIH sont les catégories les plus exposées à l’extrême pauvreté et aux discriminations qui en découlent. Celles-ci contribuent à aggraver leur situation et à accroître leur exclusion sociale.

Des enfants interdits de cantine parce que leurs parents sont chômeurs, des médecins qui n’accordent pas de rendez-vous à des malades parce qu’ils sont bénéficiaires de la CMU, des CV ignorés parce que le postulant vit dans un centre d’hébergement : voilà ce qu’est être discriminé parce qu’on est pauvre !

Le traitement défavorable et inégalitaire que subissent parfois les personnes pauvres découle de la perception négative dont elles sont l’objet. Aussi nous est-il proposé d’ajouter, à l’article 225-1 du code pénal, un vingt et unième critère de discrimination : celui de la précarité sociale.

Dans le rapport intitulé La lutte contre les discriminations : de l’incantation à l’action, que j’ai rédigé, au nom de la commission des lois, avec mon estimé ancien collègue Jean-René Lecerf, la proposition n° 2, parmi les onze principales propositions que nous y formulions, recommandait d’ajouter la précarité sociale à la liste des critères de discrimination figurant à l’article 225-1 du code pénal afin d’harmoniser la législation et son application jurisprudentielle. Tel est l’objectif visé par le texte qui nous réunit aujourd’hui, ce dont je me félicite.

Je veux saluer ici l’initiative de notre collègue Yannick Vaugrenard et le travail de notre rapporteur Philippe Kaltenbach, qui s’est attaché, afin que la proposition de loi ne soit pas qu’une déclaration de principe, à définir un critère juridique opérant et répondant aux exigences du droit pénal. Reste encore à trouver un mot pour désigner cette discrimination, similaire au terme anglais « povertyism ». Cette absence de dénomination dénote encore plus fortement le déni dont elle est l’objet.

La proposition de loi constitue un message fort, qui dit aux victimes de discriminations que leur préjudice est reconnu et à leurs auteurs que leur comportement et leurs discours ne sauraient être tolérés dans un État de droit. Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste la soutient avec conviction. Encore faut-il, après les symboles, passer aux actes pour combattre la pauvreté, parfois extrême, qui touche un nombre croissant de nos concitoyens en ces temps de crise économique. Il y a urgence ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, dès 2012, la commission d’experts de l’Organisation internationale du travail a demandé au gouvernement français, dans le cadre de la convention n° 111, de « fournir des informations sur toute mesure prise aux fins d’introduire “l’origine sociale” dans la liste des motifs de discrimination interdits par le code du travail ». En 2013, un avis adopté par la Commission nationale consultative des droits de l’homme recommandait d’ajouter la précarité sociale aux critères de discrimination existants.

Issue de ces recommandations, la proposition de loi qui nous est présentée s’inscrit dans le prolongement de la conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale de décembre 2012. Il s’agit d’alerter sur la recrudescence de situations discriminantes à l’encontre de personnes les plus pauvres et, pour citer l’avis de la CNCDH, de « l’image négative et culpabilisante dont [elles] pâtissent [et qui] pèse dans les démarches qu’elles entreprennent pour l’accès à la santé, au logement, à l’emploi, à la formation, à la justice, à l’éducation, à la vie familiale, à l’exercice de la citoyenneté ou encore dans leur relation aux services publics ». Des personnes qui se voient refuser un logement à celles qui se voient refuser l’accès à certains soins parce qu’elles sont bénéficiaires de la couverture maladie universelle, de nombreux exemples ont été cités ; je n’en ajouterai pas.

Ces discriminations, bien souvent, vont de pair avec d’autres, comme notre collègue Esther Benbassa vient de le rappeler. Elles contribuent ainsi à aggraver la situation de ces personnes dans le besoin et à accroître leur exclusion sociale. Pour faire prendre conscience à la société tout entière de la gravité de certains comportements discriminatoires qui stigmatisent les personnes pauvres, ce critère de discrimination doit être inscrit dans la loi.

L’association ATD Quart Monde fait également depuis de nombreuses années avec force une telle recommandation. L’objectif est de garantir l’accès des plus pauvres à l’exercice de leurs droits et d’avancer, de fait, vers l’éradication de l’extrême pauvreté.

Cependant, l’introduction de ce vingt et unième critère de discrimination laisse entière la question de sa mise en œuvre effective. En effet, comme cela a été rappelé, les personnes en situation de précarité sont souvent celles qui vont le moins réclamer l’application de leurs droits. Tout comme la CNCDH, nous sommes donc inquiets de la diminution du budget de l’accès au droit et à la justice qu’entraînera la démodulation prévue de l’indemnité allouée aux avocats dans le cadre de l’aide juridictionnelle.

L’examen de ce texte nous invite aussi à mettre en lumière les questions sous-jacentes qu’il ne résout pas. Certes, la notion de « précarité sociale » peut être inscrite dans la liste des motifs de discrimination punis par la loi, mais ne faudrait-il pas plutôt déterminer l’origine de cette précarité sociale et ce qui la favorise ? En tout cas, ces questions laissent poindre toute l’ironie que renferme ce texte : alors même que le Gouvernement met en œuvre des mesures d’austérité, vous nous proposez d’adopter, mesdames, messieurs les sénateurs socialistes, une loi pour lutter contre l’exclusion des plus précaires. Il serait pourtant facile de faire la liste de toutes les lois, qu’elles soient votées ou en cours d’examen au Parlement, qui étendent la précarité, voire l’aggravent. Mais l’heure est trop grave, je ne le ferai donc pas.

Nous soutiendrons cette proposition de loi, car elle est plus que jamais nécessaire, même si elle ne pourra suffire. En effet, nous ne devons pas seulement renforcer la lutte contre les discriminations ; il nous faut sortir des postures moralisatrices et nous attaquer à la racine du mal.

Sur le fond du texte, je souhaiterais mettre en exergue deux interrogations.

Premièrement, il nous est proposé d’inscrire la « précarité sociale » dans la liste des critères de discriminations. Or les critères existants, hormis la grossesse et l’état de santé, sont des caractéristiques permanentes. Une fois ancrée dans la liste des discriminations, on peut craindre que la précarité sociale ou la « vulnérabilité résultant de la situation économique » devienne également une caractéristique propre à certaines personnes, qui relèverait d’un état permanent, voire insoluble. On ne peut pas limiter notre combat politique à accepter le pauvre ; il s’agit de combattre la pauvreté !

Deuxièmement, en creux, une disposition ajoutée par M. le rapporteur nous interpelle. Il s’agit de l’introduction d’un nouvel article dans le code du travail, qui dispose : « Les mesures prises en faveur des personnes vulnérables en raison de leur situation économique et visant à favoriser l’égalité de traitement ne constituent pas une discrimination. » Cette disposition a pour objet de permettre des mesures d’action positive en faveur des personnes vulnérables en raison de leur situation économique. Autrement dit, il est question de mettre en œuvre une discrimination positive à l’égard des plus pauvres au travail. Il est donc plus facile d’accorder une discrimination positive que de mettre un terme aux discriminations.

Pour conclure, je dirai que, une fois sortie de son contexte, cette proposition de loi n’est pas contestable. Comme l’indique son auteur, il s’agit d’adresser un message de vraie considération et de fraternité à l’égard de celles et ceux qui se sentent mis de côté dans notre pays à raison de leur précarité sociale. C’est pourquoi, malgré les réserves que nous avons émises, les sénateurs et sénatrices du groupe communiste républicain et citoyen la voteront. Nous combattons la précarité et, comme plus de quarante associations et syndicats qui se sont exprimés le 10 juin dernier, nous ne pouvons accepter que les victimes de cette précarité et, plus généralement, de la pauvreté soient également les victimes stigmatisées d’une exclusion sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, comme on nous a appelés à réduire la longueur de nos interventions, je serai particulièrement bref.

La lutte contre la précarité constitue un devoir moral de tout élu, quelle que soit sa sensibilité. C’est aussi un devoir légal. Lorsque j’étais président de conseil général, j’ai dû me coltiner ces problèmes, qui sont toujours extrêmement délicats.

Beaucoup de choses ont déjà été dites. Je ne pourrais que les répéter, peut-être plus mal. Je vous dirai simplement que le groupe du Rassemblement démocratique et social européen a la passion de la fraternité et de la solidarité. C’est pourquoi nous voterons le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je ne me serais jamais permis de vous demander de raccourcir vos interventions ; je vous ai simplement incités à respecter votre temps de parole.

La parole est à M. Olivier Cadic.

M. Olivier Cadic. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il est légitime de chercher à briser le cercle vicieux de la précarité. Nous pouvons aujourd’hui contribuer, un peu, à mettre un terme à cette double peine : la précarité sociale qui entraîne la discrimination, qui entraîne à nouveau la précarité. Dans cet objectif, je soutiens à titre personnel la proposition de loi, qui vise à renforcer la protection des personnes les plus démunies et les plus vulnérables à la discrimination.

Les travaux de la commission et ceux de M. le rapporteur sont allés dans le bon sens. Abandonner les termes vagues de « précarité sociale » permet de renforcer notre arsenal juridique et, ainsi, de protéger les Français victimes de telles discriminations.

La reconnaissance de la discrimination en raison de la pauvreté s’inscrit dans la logique de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine. En effet, celle-ci a traité la question de la discrimination à raison du lieu de résidence de telle sorte que les habitants issus des quartiers défavorisés, en particulier les jeunes, sont désormais protégés.

On nous propose aujourd’hui de modifier notre code pénal en ajoutant un nouveau critère aux vingt qui existent à ce jour. Dans le prolongement des propos de M. le président Bas en commission des lois, permettez-moi, chers collègues, de constater l’aspect caricatural que notre législation commence à prendre. Avec la précarité sociale, la liste des discriminations répréhensibles par la loi s’allonge : vingt et un critères de discrimination en droit pénal ! Jusqu’où allons-nous donc allonger cette liste ? Plutôt que d’ajouter sans cesse de nouveaux critères, ne serait-il pas plus pertinent de prendre le temps d’engager une réflexion globale sur la question des discriminations ? Ne pourrions-nous pas réfléchir à une nouvelle formulation plus générique et plus synthétique, qui permettrait d’éviter cet inventaire à la Prévert ?

Vingt et un critères ! Au reste, est-ce suffisant ? Qu’avons-nous malheureusement oublié ? Si vous cherchez des idées, j’en ai. J’ai rencontré un patron qui n’embauche pas les personnes empruntant une certaine ligne de RER pour venir travailler. Il m’a confié : « Les salariés ne sont jamais là ! Sur la ligne, il y a constamment des problèmes techniques, des travaux, quand ils ne sont pas en grève ». Dès lors, devons-nous ajouter le critère du mode de transport ?

Vingt et un critères, disais-je ! Puisqu’on ajoute des critères, cela pourrait laisser à penser que cette politique est efficace.

À l’heure où les pauvres désespèrent de trouver un emploi, nous nous contentons de leur envoyer un signal de sympathie. Comme l’a relevé M. le rapporteur, ce texte a un côté symbolique. Nous serions plus inspirés de créer un environnement économique vraiment propice à la croissance et créateur d’emplois.

Nous légiférons ici pour ne pas discriminer en raison de la pauvreté. Mais qui pourrait s’opposer à une telle démarche ? Soyez un peu logiques ! Il y a deux semaines, j’ai regretté, ici même, que la mise en accessibilité prévue en 2015 soit renvoyée aux calendes grecques. Lorsqu’une entreprise n’est pas accessible, une personne handicapée ne peut même pas se rendre à l’entretien d’embauche. Comment peut-on affirmer qu’on ne fait pas de discrimination quand une entreprise n’est pas accessible ?

Au-delà de cette remarque, j’aimerais que nous n’oubliions pas l’essentiel. La proposition de loi protège-t-elle mieux les personnes en difficulté ou ajoute-elle, une fois de plus, de la complexité ? Ne rendons-nous pas la loi encore plus difficilement lisible et compréhensible ? Peut-être passons-nous même à côté du problème.

Comme le précise le rapport d’information, fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, intitulé Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité !, l’un des principaux problèmes posés par la précarité sociale est l’autodiscrimination, conséquence du stigmate social que peut représenter la pauvreté. Un nombre toujours plus élevé de personnes éligibles aux aides sociales ne réclament pas ces aides. Vont-ils, dans ce cas, engager un recours en justice pour discrimination ? Ne devrions-nous pas plutôt réfléchir à la question de l’autodiscrimination ?

J’aimerais ne pas clore mon propos sur une note grave. En dépit du bien-fondé de la proposition de loi, il ne faut pas occulter le problème de fond qui se cache derrière. En effet, je vous invite, mes chers collègues, à ne pas vous tromper de cible : c’est bien l’étendue de la précarité sociale qu’il faut combattre et qui est le véritable problème de notre pays. C’est bien l’existence d’une armée de chômeurs, dont une politique que je regrette fait grossir les rangs, qui autorise le choix et, donc, la discrimination. Celle-ci n’en est qu’une de ses conséquences désastreuses. Il faut donc s’inquiéter de cette loi et non s’en réjouir. Si nous devons aujourd’hui légiférer sur cette forme de discrimination, c’est bien parce que la précarité sociale devient endémique.

Cette proposition de loi arrive à un moment où notre pays est durement touché par le chômage et la pauvreté. La pauvreté concerne aujourd’hui, en France, 8,7 millions de personnes, soit 14,3 % de la population. Je rappelle également qu’un enfant sur cinq est touché. Ne l’oublions pas, notre combat doit être avant tout de vaincre la précarité sociale !

Le groupe UDI-UC s’abstiendra sur cette proposition, mais quatre de ses membres, dont je suis, la voteront. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens, au nom du groupe socialiste, à saluer l’initiative forte de notre collègue Yannick Vaugrenard, qui fait suite au remarquable rapport d’information qu’il a publié voilà quelques mois sur le sujet, un rapport très parlant, très vivant et très vrai.

Vous l’avez dit, cher collègue, il y a 8,7 millions de personnes pauvres en France, soit 4 millions de ménages. Le cri lancé avec tant de fermeté et d’autorité, mais aussi tant de douceur et de tendresse par Geneviève de Gaulle-Anthonioz, désormais entrée au Panthéon, mérite d’être entendu. C’est ce que vous faites avec cette proposition de loi.

On a dit que de nombreux critères de discrimination étaient déjà inscrits dans la loi. Certes, on pourrait peut-être simplifier, mais, voyez-vous, mes chers collègues, ils sont tous nécessaires, parce qu’il est profondément inacceptable qu’un être humain soit discriminé en raison de son origine, son sexe, sa situation de famille, sa grossesse, son apparence physique, son patronyme, son lieu de résidence, son état de santé, son handicap, ses caractéristiques génétiques, ses mœurs, son orientation ou son identité sexuelle, son âge, sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

À cette liste, il est proposé d’ajouter, après le lieu de résidence, la précarité sociale, la pauvreté. Pour ma part, je pense que tous ces critères sont justifiés. C’est bien de parler en général des droits de l’homme et de la femme, mais c’est encore mieux de les appliquer très précisément.

Comme je tiens, à l’instar de nombre d’entre vous, à ce que la proposition de loi soit adoptée, je m’en tiendrai là, conformément à ce qui m’a été, à juste titre, demandé.

Permettez-moi cependant de prendre le temps de saluer notre collègue rapporteur Philippe Kaltenbach. La commission des lois a fait du bon travail. Elle a souhaité que la loi de 1881 ne soit pas modifiée. Nous aurons l’occasion d’en reparler, mais chacune des dispositions de cette loi est très importante pour défendre la liberté de la presse.

Par ailleurs, je me félicite, monsieur le rapporteur, que vous ayez remplacé le critère de « précarité sociale » par celui de « particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur » pour d’évidentes raisons tenant aux exigences de clarté évoquées à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel, en vue d’une bonne interprétation de la loi.

Mon cher collègue Yannick Vaugrenard, merci d’avoir élaboré ce texte, de nous l’avoir présenté. Je tiens également à remercier toutes les associations œuvrant sur le terrain qui portent ce texte avec vous, et avec nous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la pauvreté est un fléau qui touche plus de 8 millions de personnes en France.

La proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale est effectivement issue des travaux de la délégation sénatoriale à la prospective, menés entre 2013 et 2014 sous la présidence de Joël Bourdin.

Les auteurs de cette proposition de loi ont décidé d’introduire un vingt et unième critère et, ainsi, d’allonger la liste des discriminations invocables comme préjudices au regard de l’article 225-1 du code pénal, de l’article L. 1132-1 du code du travail, de la loi de 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations et de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Ce vingt et unième critère est celui de la « précarité sociale », qui pourrait donc justifier des sanctions pénales. Aux termes de l’exposé des motifs, « cette reconnaissance est une manière forte d’adresser un message ». C’est en tout cas ce qu’espèrent les auteurs de la proposition de loi. Nous sommes très clairement en train de débattre d’une proposition de loi symbolique, d’une proposition de loi « prise de conscience », si je puis dire, mais, finalement, cette proposition de loi ne fera pas, hélas ! avancer les choses.

Nous devrions plutôt réfléchir à autre chose qu’à une simple prise de conscience. La pauvreté progresse en France ; ce phénomène n’est pas nouveau. En témoigne le rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective : « Loin de diminuer, la pauvreté est un phénomène qui se durcit, s’intensifie, se transforme et s’étend à de nouvelles populations. » Ce même rapport d’information en appelait d’ailleurs à des changements profonds sur un certain nombre de sujets fondamentaux. Il se voulait « lanceur d’alerte », mais j’ai l’impression que nous n’en sommes, encore aujourd'hui, avec cette proposition de loi, qu’au stade du lancement d’alertes.

Ce n’est pas le sujet que je dénonce, bien au contraire, mais bel et bien la manière de l’aborder. L’un des trois objectifs recherchés dans le rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective était : « prendre conscience ». Nous débattons ici d’une proposition de loi visant effectivement à aider à prendre conscience. Cela signifie-t-il qu’il faudra, dans un an, voire plus, déposer une proposition de loi traitant du deuxième objectif, à savoir « instaurer la confiance », puis, dans deux ou trois ans, d’une dernière concernant le troisième objectif, « oser la fraternité » ?

Nous légiférons beaucoup, mais il nous faut aller plus loin et plus vite, surtout pour ce qui concerne cette question dramatique de la pauvreté. À mon sens, il ne suffit pas d’engager une action symbolique pour se donner bonne conscience. Le véritable débat devrait être celui de la pauvreté. Ce qui a poussé Yannick Vaugrenard à écrire son rapport d’information, c’est le constat que la pauvreté devient héréditaire : la pauvreté se transmet de génération en génération, comme une malédiction. Si des enfants sont pauvres, c’est parce qu’ils vivent dans des familles pauvres, lesquelles sont de plus en plus souvent monoparentales.

Au cours de ces dernières années, on a noté un changement notable dans la constitution sociale des ménages pauvres en France. Désormais, le nombre de personnes pauvres vivant dans des familles monoparentales est bien supérieur au nombre de personnes pauvres vivant dans des familles nombreuses. Aussi, il serait opportun de réfléchir à cette question sur le fond, afin de trouver les moyens de ralentir cette augmentation.

De plus, à la tête de ces familles monoparentales, on trouve essentiellement des femmes. Celles-ci subissent une double précarisation, parce qu’elles occupent très souvent des emplois peu qualifiés, qu’elles subissent des temps partiels contraints, peu rémunérés. J’entends par là que la lutte contre la pauvreté, la précarité sociale, ne peut s’exonérer d’une réflexion sur les inégalités, d’autant que celles-ci ne sont pas uniquement financières.

Le rapport de 2013 sur l’état de la pauvreté en France était une nouvelle occasion de proposer des mesures concrètes, afin d’essayer d’améliorer le quotidien de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants qui ont des difficultés à satisfaire leurs besoins fondamentaux tels que se nourrir, se loger, se faire soigner, s’éduquer ou encore payer ses factures. À mon sens, ce n’est pas en ajoutant simplement un critère pénalement répréhensible que nous avancerons.

Nous sommes des responsables politiques. Il est donc de notre devoir, ici, au sein de la Haute Assemblée, non seulement de réagir, mais également d’agir, en formulant des propositions concrètes, afin d’éviter que les victimes ne s’enfoncent un peu plus encore. Engager une réflexion plus large et répondre globalement aux problématiques soulevées dans le rapport de M. Vaugrenard me paraîtraient participer d’une démarche plus cohérente et plus judicieuse. C’est pourquoi je m’abstiendrai sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier.

Mme Michelle Meunier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie à mon tour notre collègue Yannick Vaugrenard d’avoir pris cette initiative. Cela nous permet de nous intéresser une fois encore à la situation de nos concitoyennes et de nos concitoyens qui souffrent et qui, trop souvent, perdent l’espoir de voir leurs conditions de vie s’améliorer.

Inscrire dans la loi l’interdiction de toute forme de discrimination liée à la situation économique et sociale de la personne constitue un geste fort. Une telle démarche s’appuie sur des situations vécues qui témoignent du caractère indigne de comportements qu’il convient donc de sanctionner et d’interdire. Même s’il ne sera pas toujours aisé de démontrer la volonté de nuire de l’auteur d’une discrimination et donc de le poursuivre – comme c’est le cas, aujourd’hui, pour les autres types de discriminations –, l’ajout du critère de « vulnérabilité » sociale au fondement d’une discrimination fixe des limites positives qui viennent renforcer le pacte républicain.

Je ne rappellerai pas les statistiques qui ont déjà été évoquées : ces chiffres sont tout à fait insupportables, notamment concernant les 3 millions d’enfants pauvres.

C’est au nom de l’engagement républicain qu’ont été mis en place, après-guerre, notre sécurité sociale, puis les nombreux dispositifs de redistribution qui existent dans notre pays. Ils représentent autant de remparts contre l’exclusion et la grande pauvreté. Cependant, c’est aussi le rôle du droit commun de favoriser l’intégration de toutes les personnes, y compris lorsqu’elles vivent en situation de précarité et de pauvreté. Je pense notamment au droit au logement, à la santé, à la formation et à l’emploi, ainsi qu’à l’accès aux modes de garde ou à la cantine pour les enfants. Sur ce dernier point, je constate avec regret que la ville de Toulouse envisage de mettre fin à la gratuité des cantines scolaires, décision qui affecterait près de 7 000 familles.

La loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, votée en 2014, permet déjà de limiter les inégalités touchant les femmes de notre pays. La réforme de l’éducation, quant à elle, contribuera à fournir à chacune et à chacun, quel que soit son milieu social d’origine, les mêmes chances de se construire. Enfin, l’action individualisée de la protection de l’enfance cherche à prendre en compte, le plus en amont possible, les difficultés des familles et tente d’y remédier.

Il nous faut maintenir ces efforts de solidarité, sans stigmatiser ou discriminer celles et ceux qui en bénéficient. Il importe même d’aller plus loin dans cette volonté de donner une chance à toutes et à tous, dès le plus jeune âge, en imposant des indicateurs de suivi régulier dans tous les domaines des politiques publiques pour les moins de dix-huit ans et en fixant des objectifs précis de progrès.

Nous ne pouvons plus tolérer que la société accepte les discriminations subies par une partie de ses enfants, du fait des difficultés économiques et sociales de leurs parents et de leur famille. Comme vous l’avez indiqué, madame la secrétaire d’État, il n’y a pas de fatalité. Il est de notre devoir d’aider ces futurs adultes à surmonter leurs difficultés. Tel est le sens de ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari.

Mme Bariza Khiari. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de loi s’inscrit dans le long – trop long – combat mené pour lutter contre les discriminations. Trop longtemps, notre pays a négligé les conséquences que celles-ci entraînent, refusant de considérer qu’elles sont souvent des morts sociales. Aussi, les pratiques discriminatoires, parce qu’elles n’ont longtemps suscité que de l’indifférence, ont profondément entamé l’adhésion aux valeurs égalitaires, méritocratiques et solidaires de notre République.

Le texte présenté par notre collègue Yannick Vaugrenard, dont je salue l’engagement pour cette belle cause marquée par la fraternité, propose l’ajout d’un vingt et unième critère constituant une discrimination, celui de la précarité sociale.

Le chômage ou le RSA sont des épreuves économiques, des moments difficiles de la vie auxquels nous devons faire en sorte de ne pas ajouter l’indignité, les vexations et les humiliations. Il nous revient, à tout le moins, de faire en sorte que cette double peine ne soit pas considérée avec indifférence ou, pis, avec de la condescendance. La pauvreté est une situation subie, et non pas choisie !

La proposition de loi offre donc une protection bienvenue. Néanmoins, il faut signaler que peu de plaintes pour discrimination connaissent une issue satisfaisante, tant le chemin est semé d’embûches et de difficultés. Si les tribunaux sont mal équipés pour traiter des questions de discrimination, il nous incombe de leur donner des instruments plus adaptés, et non de renoncer à l’action. Préciser les critères de discrimination et mieux armer les juges doivent constituer un impératif. L’évolution des consciences et la réduction des discriminations n’interviendront d’ailleurs qu’à la condition de maintenir une attention constante.

Dans son avis du 9 juin 2015, le Défenseur des droits a souligné que le critère de précarité sociale était discutable, parce qu’il constituait « une situation, temporaire ou chronique » et non « une caractéristique pérenne de la personnalité ». Cet argument me semble avoir ses propres limites, car il suffit de passer en revue la liste des critères pour identifier d’autres situations temporaires, comme la grossesse, la situation de famille, l’état de santé ou le lieu de résidence. Adopté sur l’initiative de la commission des lois, le changement sémantique de « précarité » en « vulnérabilité » sociale, terme dont la définition légale existe, est donc tout à fait judicieux.

L’état de pauvreté ne relève pas de la responsabilité individuelle mais résulte d’un contexte économique et social, sur lequel nous avons la mission d’agir. Toutefois, je fais le pari que l’ajout d’un tel critère intensifiera le combat pour la justice et le progrès social.

Mes chers collègues, pour faire vivre le troisième pilier de notre devise, celui d’une « fraternité » qui symbolise le lien de solidarité qui devrait unir tous les membres de la famille humaine, le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de loi, qui contribue à franchir un degré supplémentaire dans le combat contre les discriminations. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale
Article unique (fin)

Article unique

I. – L’article 225-1 du code pénal est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, après les mots : « de leur apparence physique, », sont insérés les mots : « de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, » ;

2° Au second alinéa, après les mots : « de l’apparence physique, », sont insérés les mots : « de la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue de son auteur, ».

II. – Le code du travail est ainsi modifié :

1° À l’article L. 1132-1, après les mots : « de ses caractéristiques génétiques, », sont insérés les mots : « de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, » ;

2° (nouveau) Après l’article L. 1133-5, il est inséré un article L. 1133-6 ainsi rédigé :

« Art. L. 1133-6. – Les mesures prises en faveur des personnes vulnérables en raison de leur situation économique et visant à favoriser l’égalité de traitement ne constituent pas une discrimination. »

III. – (Supprimé)

IV. – La loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations est ainsi modifiée :

1° Au premier alinéa de l’article 1er, après les mots : « ses convictions, », sont insérés les mots : « la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, » ;

2° L’article 2 est ainsi modifié :

a) (Supprimé)

b) Au 2°, après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « , la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue de son auteur, ».

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L'amendement n° 1 rectifié est présenté par M. Mohamed Soilihi.

L'amendement n° 2 est présenté par M. Kaltenbach, au nom de la commission.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Compléter cet article par trois paragraphes ainsi rédigés :

... – Le code du travail applicable à Mayotte est ainsi modifié :

1° À l'article L. 032-1, après les mots : « de ses caractéristiques génétiques, », sont insérés les mots : « de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, » ;

2° Après l'article L. 033-4, il est inséré un article L. 033-5 ainsi rédigé :

« Art. L. 033-5. – Les mesures prises en faveur des personnes vulnérables en raison de leur situation économique et visant à favoriser l'égalité de traitement ne constituent pas une discrimination. »

... – Le I est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna.

... – Le IV est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises, dans les matières relevant de la compétence de l'État.

L’amendement n° 1 rectifié n’est pas soutenu.

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 2.

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Cet amendement vise à corriger un oubli des auteurs de la proposition de loi initiale, que la commission des lois n’a pas pensé à réparer. Heureusement, notre collègue Thani Mohamed Soilihi a remarqué que le texte de la commission ne permettrait pas l’application de la loi dans les collectivités d’outre-mer. Pour pallier l’éventuelle absence de notre collègue aujourd’hui, la commission des lois a déposé un amendement identique au sien, que je vous invite à adopter, mes chers collègues.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 2.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Si j’interviens à ce moment du débat, ce n’est pas pour rappeler l’aggravation récente des situations de détresse sociale que rencontre la société française en raison, d’une part, du chômage de masse et, d’autre part, du glissement d’un certain nombre de nos concitoyens dans les différents régimes de minima sociaux, après l’épuisement de leurs droits aux allocations chômage. Je laisserai donc de côté toutes les considérations de politique générale sur la lutte contre la pauvreté. Je souhaite me concentrer sur le thème de la proposition de loi, à savoir la lutte contre les discriminations au titre de la pauvreté.

Je me suis longuement interrogé sur cette approche. La question qui nous est posée est en réalité très profonde, car il convient d’aborder le problème de la pauvreté sous un autre angle que l’angle strictement matériel. Nous devons non seulement nous interroger sur le regard porté par chacun de nos concitoyens sur celui ou celle qui est en situation de pauvreté, mais aussi nous interroger sur le regard que les pauvres portent sur eux-mêmes. Bien souvent, ces deux regards coïncident et aboutissent à la dévalorisation des personnes en détresse, ce qui représente peut-être le premier obstacle sur le chemin d’un retour à l’estime de soi, étape pourtant indispensable pour retrouver les capacités, les ressources et le ressort qui permettent à ces personnes au fond du trou de commencer à en sortir.

Tout ce qui, dans le débat public, peut contribuer à accorder davantage de considération à nos concitoyens en situation de pauvreté, indépendamment de la nécessité du traitement matériel de la pauvreté – qui est un enjeu politique majeur sur lequel j’ai moi-même dressé un certain nombre de constats –, me paraît aller dans la bonne direction. Toutefois, la commission des lois a relevé que le critère de « vulnérabilité » constituerait le vingt et unième motif de sanction pénale pour fait de discrimination, menant ainsi l’analyse juridique qui lui revient. Or je crains qu’un tel cumul de critères au fil des années n’ait pas beaucoup de sens et ne soit pas réellement efficace dans le cadre de la lutte contre les discriminations. En réalité, nous devrions réfléchir à une refonte complète de cette approche qui, faite d’ajouts successifs, se révèle beaucoup trop ponctuelle.

Laissons cependant de côté ces considérations juridiques, tout comme les considérations économiques que j’évoquais précédemment. Admettons donc que cette proposition de loi est une main tendue et qu’elle mérite à ce titre, malgré tous ses défauts – pardon à son auteur ! –, de recevoir une sanction positive de la part du législateur. C’est pourquoi, à titre personnel, et après avoir beaucoup hésité, je voterai le texte, non sans avoir rappelé que l’ensemble de mon groupe a décidé de s’abstenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Luche, pour explication de vote.

M. Jean-Claude Luche. Il a été rappelé à plusieurs reprises ce matin que nos concitoyens pouvaient bénéficier de prestations sociales, notamment du RSA. Or, en tant que président d’un conseil départemental, je souhaiterais vous demander, madame la secrétaire d’État – ce n’est pas à proprement parler de votre compétence, mais vous êtes chargée de la lutte contre l’exclusion –, comment puis-je faire savoir aux bénéficiaires potentiels du RSA qu’ils y ont droit. Reste que je n’ai pas d’argent pour le payer… Il faut donc que le Gouvernement donne aux départements les moyens de contribuer à la diminution de la pauvreté et de l’exclusion, par l’insertion, à laquelle conduit notamment le RSA.

Pour ma part, je m’abstiendrai sur cette proposition de loi.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures quinze, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale
 

6

Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur France 3 et Public Sénat.

Je tiens à saluer la première présence au banc du Gouvernement de Mme Clotilde Valter, dans ses fonctions de secrétaire d’État chargée de la réforme de l’État et de la simplification (Applaudissements.), et de Mme Martine Pinville, dans ses fonctions de secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire. (Applaudissements.)

Mesdames les secrétaires d’État, je vous adresse, en notre nom à tous, nos souhaits de cordiale bienvenue. Vous aurez une séance de répit, peut-être, mais pas plus… (Rires.)

situation des migrants

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains.

M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre de l’intérieur, l’affaire des migrants pose en réalité trois problèmes.

Tout d’abord, il y a un problème humanitaire. Sans revenir dessus en détail, il est clair que ce qui se passe actuellement en Méditerranée est inacceptable. La mort, la souffrance, le débarquement dans des conditions invraisemblables en Italie créent une situation qui s’impose à tous, et pas seulement aux Italiens.

Ensuite, se pose un problème matériel et financier. Je ne reviendrai pas sur les chiffres de la Cour des comptes, qui évalue à peu près à 2 milliards d’euros le coût pour notre pays de l’asile, déboutés compris, et de l’immigration clandestine, si l’on ajoute l’aide médicale de l’État, l’hébergement, l’allocation temporaire d’attente, la durée d’instruction de chaque dossier de demandeur d’asile. À défaut d’être certifié, ce chiffre apparaît quand même probable ; en ces temps de contraintes financières et matérielles, il ne peut que nous interpeller.

Enfin, un certain nombre de responsables, pas seulement de droite, disent que nous sommes à un point de rupture, l’acceptation de cette situation par notre société étant de plus en plus difficile. Il n’est qu’à voir les incidents qui se sont produits entre les CRS et certains migrants à Calais ou à Paris. D’aucuns proposent la création de centres, mais personne ne s’y retrouve.

Parallèlement, nous avons l’impression que l’Europe balbutie, et ce qui vient de se passer à Luxembourg n’est pas de nature à nous rassurer. Nous avons également le sentiment que vous souhaitez faire preuve de fermeté, mais que le cadre européen ne se prête pas à la prise de décision rapide et efficace qui s’impose au regard de ce qui se passe en Méditerranée.

Le système français n’a plus la capacité financière de suivre. D’un côté, nous intégrons mal ceux qui obtiennent le droit d’asile et, de l’autre, nous traitons massivement ceux qui sont déboutés et qui ne sont pas raccompagnés à la frontière.

Pour résumer, je dirai que nous subissons une pression considérable aux frontières, notamment celles du sud, avec l’Italie. Par ailleurs, le point d’acceptation dans la société française est dépassé, d’autant qu’on nous annonce 300 000 personnes supplémentaires dans l’année qui vient. Aussi, ma question est simple : concrètement, que fait le Gouvernement français ? Certes, vous avez annoncé hier un plan pour un meilleur accueil, qui contient d’ailleurs un certain nombre de mesures qui étaient déjà prévues, mais je suis désolé de vous dire que nous sommes loin du compte au regard de la pression que nous subissons à nos frontières.

Monsieur le ministre, le Gouvernement ayant la responsabilité de la sécurité intérieure et de l’unité de la nation, comment comptez-vous procéder ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. David Assouline. Trente secondes de dépassement !

M. le président. Je demande à chacun de respecter son temps de parole.

La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur Karoutchi, vous évoquez un problème extrêmement grave, à propos duquel je m’interdis tout commentaire, étant moi-même en situation de responsabilité. Pourtant, j’entends beaucoup de commentaires, y compris de la part de ceux qui ont, par le passé, exercé des responsabilités. Étant donné la gravité de la situation, chaque parole sur le sujet devrait être pesée et responsable.

Nous devons trouver les solutions les plus pertinentes à ce problème international. Vous pourrez dire tout ce que vous voulez sur le niveau d’acceptation en Europe, la réalité qui s’impose à nous est celle d’hommes et de femmes jetés sur les chemins de l’exode par les persécutions et les exactions perpétrées par des régimes sanguinaires et des groupes terroristes.

Faut-il que l’Europe assure l’accueil de ceux qui relèvent du statut de réfugié ? La réponse du Gouvernement est clairement oui ! Les cinq pays accueillant 75 % de ces réfugiés peuvent-ils continuer à le faire seuls ? La réponse est clairement non ! C’est la raison pour laquelle nous avons proposé un dispositif de solidarité. Il faut savoir que les propositions faites par l’Union européenne ont été inspirées par la France.

Le 30 août 2014, j’ai fait une tournée des capitales européennes en proposant à tous mes homologues d’accepter un dispositif introduisant non seulement plus de solidarité, mais également plus de responsabilité, ce qui implique trois choses.

D’abord, il faut que les migrants soient enregistrés dans le pays de première arrivée, pour qu’il soit possible de distinguer ceux qui relèvent du statut de réfugié de ceux qui relèvent de l’immigration économique irrégulière.

Ensuite, il faut que ceux qui relèvent de l’immigration économique irrégulière soient reconduits vers les pays de provenance. C’est pourquoi nous avons obtenu le triplement des moyens de Frontex et de passer d’une opération exclusivement humanitaire à une opération couplant l’humanitaire au contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne.

Enfin, nous devons travailler avec les pays de provenance – d’où mon déplacement au Niger voilà trois semaines –, pour qu’il y ait de véritables centres de réadmission et le maintien dans la bande sahélienne de populations auxquelles nous devons, par ailleurs, apporter des projets de développement.

En France, nous menons deux types d’action.

D’une part, nous proposons des dispositifs d’hébergement renforcés. Nous prévoyons en effet plus de places pour les réfugiés qui sont dans les CADA – les centres d’accueil pour demandeurs d’asile –, dans la rue ou les centres d’hébergement d’urgence, car ils doivent entrer dans le droit commun du logement, avec des dispositifs d’insertion. Nous ouvrons également de nouvelles places dans les centres d’hébergement d’urgence et dans les CADA.

D’autre part, nous faisons davantage preuve fermeté en mettant en place des dispositifs de reconduite à la frontière.

M. le président. Il faut conclure !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous avons éloigné 15 000 personnes l’an dernier ; c’est beaucoup plus que ce qui avait été fait auparavant. Sachez que nous continuerons à conduire cette politique de fermeté avec responsabilité et humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

taxis et vtc (véhicules de tourisme avec chauffeur)

M. le président. La parole est à M. Philippe Esnol, pour le groupe du Rassemblement démocratique et social européen.

M. Philippe Esnol. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.

Mardi, plus d’une centaine de taxis parisiens ont participé à des rassemblements du type « opération escargot » au départ des aéroports parisiens, avant de converger vers la capitale.

Hier, les organisations de taxis, regroupées en intersyndicale, ont appelé le Gouvernement à faire cesser au plus vite les applications mobiles organisant le transport entre particuliers, de type UberPop, faute de quoi elles envisagent, à partir du 25 juin, un mouvement d’ampleur nationale à durée illimitée.

Comment en est-on arrivé là, alors qu’en octobre 2014 a été promulguée une loi sur le sujet ? Ce texte réprime plus fortement l’activité clandestine de taxi et réglemente l’activité des voitures de transport avec chauffeur, les VTC.

Monsieur le ministre, à en croire les chauffeurs de taxi, cette loi ne serait que très peu appliquée. Les contrôles seraient nettement insuffisants, pour ne pas dire inexistants, notamment ceux qui sont destinés à vérifier que les VTC respectent l’obligation qui leur est faite de retourner à leur point d’origine entre deux courses.

Aujourd’hui, de nombreux litiges sont devant les tribunaux et des procédures ont été engagées contre des chauffeurs UberPop, mais la relaxe, la semaine dernière, de l’un d’entre eux a rallumé la colère des taxis, qui dénoncent cette concurrence déloyale et des pratiques de travail dissimulé sous couvert de covoiturage.

Sans approuver les menaces de blocage, il nous semble urgent que le Gouvernement prenne les mesures qui s’imposent et permette tout simplement à la loi de la République de s’appliquer. D’ailleurs, peut-on seulement attendre une autre position du pouvoir exécutif, et particulièrement de votre ministère ? Aussi, allez-vous donner des instructions pour intensifier les contrôles policiers et les procédures judiciaires à l’encontre des taxis non professionnels en infraction ? (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez pour savoir si nous sommes prêts à faire ce que nous faisons déjà. La réponse ne fait pas de doute, puisque tout ce que vous souhaitez nous voir mettre en œuvre est déjà appliqué, comme je vais vous le démontrer.

La loi du 1er octobre 2014 définit le cadre juridique dans lequel les activités de taxi et de VTC peuvent se développer. Deux acteurs économiques, à savoir les chauffeurs de taxi et ceux de VTC, sont aujourd’hui confrontés à l’activité totalement illicite, incontestablement illégale des véhicules UberPop, dont les chauffeurs se prêtent à ces activités sans acquitter la moindre charge sociale, contrairement à eux, qui évoluent dans un cadre concurrentiel extraordinairement contraint.

Un tribunal correctionnel s’est déjà prononcé, précisément parce que nous avons agi. Les conducteurs de ces véhicules en infraction s’exposent désormais à des peines d’amende de 1 500 euros. Par ailleurs, pour ceux qui organisent ces activités, comme l’entreprise UberPop, la loi a prévu des amendes de 300 000 euros et des peines d’emprisonnement, mesure qui fait actuellement l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Vous me demandez si nous agissons et si des procédures sont en cours. Sachez que nous avons diligenté un nombre incalculable de contrôles et que nous continuerons à le faire avec la plus grande fermeté. Plus de 420 procédures ont ainsi été engagées par mon ministère depuis la fin de l’année dernière, avec des suites pénales données par l’autorité judiciaire. Je me dois d’ailleurs de compléter votre information sur les décisions du tribunal correctionnel de Paris rendues la semaine dernière. Cette juridiction a condamné le même jour un conducteur à une peine de prison avec sursis, et le parquet a fait appel de la décision de relaxe que vous avez évoquée dans votre question.

Par ailleurs, le Premier ministre a saisi le délégué national à la lutte contre la fraude afin que des contrôles et des actions soient engagés en matière fiscale et sociale. Comme le prévoit un projet de circulaire interministérielle, les procédures seront transmises systématiquement aux URSSAF et aux services fiscaux pour mise en œuvre des redressements éventuels.

Nous faisons tout cela dans le respect du droit, avec détermination et une volonté absolue de transparence. J’ai totalement confiance dans les autorités judiciaires pour donner les réponses pénales les plus fermes à l’égard de ces actes inacceptables.

M. le président. Il faut conclure !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je le répète, comme nous l’avons fait jusqu’à présent, nous continuerons ces contrôles, et les préfets prendront des arrêtés d’interdiction de ces activités manifestement et incontestablement illicites. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

politique de la france en europe en matière d'accueil des demandeurs d'asile

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour le groupe écologiste.

Mme Esther Benbassa. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

Depuis la semaine dernière, j’accompagne avec mes collègues écologistes les expulsés de la rue Pajol. On n’y a pas vu beaucoup d’élus, mais des centaines de gendarmes mobiles. Curieux, n’est-ce pas ? Surtout face à ces êtres démunis, au regard vide, épuisés à force de dormir dehors. Ils ne parlent pas, on les dirait atteints d’un mutisme dénotant la souffrance. Par pudeur, je n’en dirai pas plus.

Des voisins, des jeunes gens et des moins jeunes apportent qui une couverture, qui un peu à manger ou à boire. Une modeste association de bienfaisance leur sert un plat chaud avec un peu de pain.

Monsieur le ministre, vous avez certes annoncé hier la création de quelques milliers de places pour les demandeurs d’asile entre la fin de l’année et la fin de 2016 et 5 000 places de plus d’ici à 2017 pour ceux qui ont déjà obtenu le statut de réfugié. Si nous saluons vos promesses d’hébergement, une question demeure : l’« humanité » affichée prévaudra-t-elle sur une « fermeté » parfois brutale ?

En 2014, notre pays a octroyé l’asile à 17 % des demandeurs, alors que, d’une manière générale, dans l’Union européenne, ce taux s’élève à 45 % !

Avant l’ouverture de vos hypothétiques grands chantiers, que ferez-vous dans l’immédiat des expulsés des campements que vous qualifiez d’illicites, des demandeurs d’asile sans logement ou en centre de rétention ? Ils ne vont quand même pas dormir dans la rue ou rester dans ces centres jusqu’à la fin de 2015 ! Des places d’hébergement doivent être ouvertes en urgence et accessibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre ! Quid des mesures privatives de liberté à la frontière pour les mineurs isolés demandeurs d’asile auxquelles le candidat Hollande avait promis de mettre fin ? (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Des actes, monsieur le ministre, nous voulons des actes, et pas des mots ni des promesses non tenues ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Madame Benbassa, je vous remercie pour votre question.

Vous aurez constaté avec moi que ceux qui commentent ces situations compliquées sur les plateaux de télévision ne sont pas au banc du Gouvernement en train d’agir pour trouver des solutions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Didier Guillaume. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. D’une manière générale, ceux qui sont sur les plateaux de télévision, je ne les ai pas beaucoup vus auprès des migrants faisant acte de solidarité.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je conviens que ce n’est pas votre cas, madame Benbassa. On ne peut pas en effet être à la fois discrètement auprès des migrants avec les qualités du cœur et dans un exercice narcissique de pur commentaire à la télévision. Je tenais à préciser les choses, car j’ai vu un cynisme total et assez peu d’humanité.

Vendredi, lorsque nous avons décidé avec des membres de l’OFII, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, et de l’OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, de mettre à la disposition des migrants qui ont été évacués du camp de La Chapelle des solutions d’hébergement, il n’y avait pas un policier. Les migrants sont montés dans le bus tout à fait librement, car ils savaient que nous avions prévu des dispositifs d’urgence. Qui les en a fait descendre ? Ce sont des groupuscules, ces mêmes acteurs que l’on retrouve sur les plateaux de télévision, qui avec le plus pur cynisme ont conduit ces migrants dans une caserne qui menace de tomber en ruines.

Madame Benbassa, nous n’avons pas proposé hier quelques milliers de places d’hébergement, mais 11 000 places, qui permettront de créer 4 200 places d’hébergement en plus des 8 000 que nous avons déjà créées en centre d’accueil pour demandeurs d’asile. Nous voulons conduire une politique de l’asile qui permette à ceux qui ont le statut de réfugié d’être accueillis dignement.

Nous ouvrons aussi 1 500 places de plus en hébergement d’urgence afin qu’il n’y ait plus une personne vulnérable qui dorme dans la rue. La création de ces places d’hébergement supplémentaires nécessitera, non pas des commentaires, mais un travail qui sera difficile.

Enfin, nous offrons 5 000 places pour ceux qui dorment dans la rue, qui sont dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile ou les centres d’hébergement d’urgence et qui ont depuis longtemps le statut de réfugié, car ils ont le droit d’entrer dans un parcours d’insertion.

M. le président. Il faut conclure !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous appelez cela des mesurettes. Or c’est un travail extrêmement difficile que nous faisons avec un certain nombre d’associations et la ville de Paris, et que nous continuerons à faire.

J’aimerais sur ce sujet un peu moins de commentaires, de posture et de cynisme et plus de sobriété et de dignité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC.)

situation de l’hôpital

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain et citoyen.

Mme Laurence Cohen. Ma question s'adresse à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

L’hôpital public est en crise, il est malade des réformes successives dont il est victime depuis des années.

Les nouvelles restrictions budgétaires de 3 milliards d’euros d’ici à 2019 menacent 22 000 emplois, dont 4 000 à l’AP-HP, l’assistance publique-hôpitaux de Paris.

Un personnel épuisé, en sous-effectif, avec des salaires gelés depuis 2010 et à qui on demande toujours plus, est-ce ainsi que l’on pense assurer l’égalité d’accès aux soins et leur qualité ?

La loi HPST et la tarification à l’activité ont transformé l’hôpital en une entreprise, la gestion prenant le dessus sur le curatif.

L’annonce du projet de réforme des 35 heures de Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP, a mis le feu aux poudres. Les hospitaliers ne sont pas dupes de ces pseudo-réformateurs qui visent à « convertir des problèmes de moyens en problèmes d’organisation », comme le dit le sociologue Nicolas Belorgey, auteur de L’Hôpital sous pression.

Une nouvelle mobilisation d’ampleur à l’appel de l’ensemble des organisations représentatives des personnels a encore eu lieu ce matin, la quatrième en quelques semaines. Visiblement, le dialogue amorcé par le directeur général et la présentation de son document de travail n’ont pas suffi à calmer la colère des agents.

Diminuer le nombre de RTT reviendrait à réduire la durée quotidienne du travail et, donc, le temps de transmission entre les équipes de soins, indispensable à la bonne prise en charge des patients qui ont besoin d’un suivi permanent.

Si la colère gronde de Morlaix à Marseille, en passant par le centre hospitalier de Calais ou bien encore l’hôpital de Feurs dans la Loire, c’est parce que les personnels de santé savent bien que l’AP-HP sert de laboratoire d’expérimentation à toutes les réformes hospitalières. Sur l’ensemble du territoire national, on demande aux personnels toujours plus de sacrifices et, dans les faits, on assiste à un démantèlement de l’hôpital public. Des groupements hospitaliers de territoire à la promotion de l’ambulatoire, qui, sous couvert de modernité, devrait rapporter 1,5 milliard d’euros d’économies et ouvrir un boulevard aux prestataires privés, c’est la recherche de productivité, et non celle de la qualité des soins, qui est visée.

Madame la ministre, dans l’intérêt des patients et des personnels de santé, allez-vous renoncer aux 3 milliards d’euros d’économies programmés pour l’hôpital public et intervenir auprès de Martin Hirsch pour qu’il retire définitivement son projet de réforme ? Comment le Gouvernement entend-il permettre aux hôpitaux publics de continuer à assurer dans de bonnes conditions leurs missions, améliorer les conditions de travail des personnels de santé, garantir une offre de soins et une qualité de prise en charge des patients, dont on constate tous les jours qu’elles se dégradent ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. L’hôpital public est une institution dont nous sommes fiers et à laquelle l’ensemble des Français sont attachés, car il est le cœur battant de la République sociale : il est ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre et accueille tous nos concitoyens lorsqu’ils en ont besoin.

Le Gouvernement s’est fortement engagé pour défendre, soutenir et développer l’hôpital public. Je ne vous laisserai donc pas dire, madame la sénatrice, que nous assistons à son démantèlement dans notre pays.

Mme Marisol Touraine, ministre. En 2015, nous lui avons alloué 1,5 milliard d’euros de plus qu’en 2014. Depuis 2012, nous y avons créé près de 30 000 emplois afin d’assurer un meilleur accueil des patients.

L’hôpital public est aussi un lieu d’innovation et d’adaptation. C’est pourquoi nous devons faire en sorte – c’est le sens des projets que je porte – qu’il travaille mieux avec la médecine de ville et que la recherche y soit toujours plus performante. Je me réjouis d’ailleurs que nous ayons eu l’occasion cette année de célébrer la centième première mondiale réalisée dans un centre hospitalier universitaire français. C’est une réelle fierté pour notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Je suis extrêmement attentive aux conditions de travail au quotidien des personnels de l’hôpital public, qui sont, je le sais, très attachés à leurs missions car profondément attachés à la solidarité.

L’hôpital public pour répondre aux défis qu’il a à relever doit évoluer et s’adapter dans le cadre d’un dialogue social. À cet égard, je veux dire ma confiance à Martin Hirsch. Je sais qu’il œuvre avec les organisations syndicales pour que les conditions de travail et l’organisation soient adaptées et pour relever le défi d’une meilleure prise en charge de nos concitoyens vingt-quatre heures sur vingt-quatre et trois cent soixante-cinq jours par an.

C’est en relevant les défis de manière résolue et en adoptant une politique d’innovation et de modernisation que nous parviendrons à maintenir les valeurs d’égalité et de solidarité au fronton de nos hôpitaux publics. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Didier Guillaume. Très bonne réponse !

mesures en faveur des tpe et des pme

M. le président. La parole est à M. Bernard Lalande, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Bernard Lalande. Au nom de mon groupe, je salue la nomination au Gouvernement de Martine Pinville et de Clotilde Valter. Nous avons la certitude qu’elles serviront la République avec dévouement et avec talent dans leurs nouvelles fonctions.

Ma question s'adresse à Martine Pinville, secrétaire d'État chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire.

Dès 2012, dans un contexte économique difficile avec une croissance en berne, le Gouvernement a eu la volonté de résoudre une équation complexe : accorder des incitations fiscales aux entreprises pour les pousser à investir sans dévier de la trajectoire de redressement des finances publiques.

En allégeant les coûts des entreprises de 20 milliards d’euros par an, via le CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, en créant la Banque publique d’investissement, en développant des politiques de soutien à l’innovation, à la recherche et à l’économie numérique et, plus récemment, en créant un amortissement supplémentaire pour les investissements en matériels industriels, le Gouvernement répond aux attentes des entreprises et des entrepreneurs et, je tiens à le rappeler, obtient des résultats, puisque la croissance est de retour depuis le début de l’année 2015. Ces mesures énoncent un postulat : les résultats d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain. L’objectif clairement annoncé par le chef du Gouvernement est de transformer la reprise d’activité en emplois non délocalisables.

Ainsi, pour lever les freins à l’emploi dans les TPE et les PME, tout en favorisant le développement de leur activité, le 9 juin dernier ont été annoncées un certain nombre de mesures dynamiques et adaptées qui devraient permettre à cette catégorie d’entreprise de bénéficier de la reprise de la croissance. L’une de ces mesures consiste à garantir des pratiques concurrentielles loyales en luttant contre les fraudes au détachement de travailleurs. Des mesures relatives à la lutte contre les fraudes au détachement de travailleurs et à la lutte contre le travail illégal avaient d’ailleurs déjà été prises, en particulier à travers le décret du 30 mars 2015. Nous savons aussi que la France, par la voix du Gouvernement, agit en Europe sur le sujet.

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer en quoi les mesures annoncées dans le plan « Tout pour l’emploi dans les TPE et les PME » amélioreront les dispositifs déjà existants et quel sera le calendrier de leur mise en œuvre ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée du commerce.

Bonne chance pour cette première réponse au Sénat ! (Sourires.)

Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. La question que vous posez, monsieur le sénateur, c’est celle de la stratégie de l’État pour enrichir la croissance en emplois.

Les mesures présentées la semaine dernière par le Premier ministre concernent 99 % des entreprises qui emploient près de la moitié des salariés. Si nous parvenons à les aider à se sortir de la crise, alors la partie sera gagnée.

Ce plan comporte des mesures structurelles.

Tout d’abord, un mécanisme de plafond-plancher pour les prud’hommes en fonction de la taille de l’entreprise et de l’ancienneté de l’employé, afin de redonner de la visibilité aux entrepreneurs. Un petit patron a besoin, comme vous le savez, de savoir dès l’acte d’embauche ce qui se passera dans le pire des cas.

Ensuite, concernant les accords de maintien de l’emploi, le Gouvernement souhaite donner la possibilité à ceux qui sont confrontés à la difficulté de se mettre d’accord pour la surmonter.

Autres mesures structurelles : le recours à des travailleurs détachés doit devenir non seulement illégal, mais également impossible ; je pense aussi au renouvellement possible des CDD ou à l’accès des PME aux marchés publics.

Le Premier ministre a également annoncé des mesures plus ponctuelles, comme une aide à la première embauche. Pourquoi maintenant ? Parce qu’il faut battre le fer tant qu’il est chaud. Les petits patrons étaient hier résignés. Ils sont aujourd’hui hésitants. Nous devons les faire basculer dans l’action pour qu’ils embauchent.

Le Gouvernement prend aussi des mesures pour la formation, l’accompagnement et la simplification. Notre économie doit recréer des emplois, même lorsque la reprise est fragile, comme aujourd’hui. C’est le sens de notre action et l’objectif des mesures présentées hier.

Monsieur le sénateur, nous ne sommes pas condamnés à attendre de parvenir à 2 % de croissance pour que le chômage baisse. C’est l’ambition et la volonté du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

situation de l’entreprise vallourec et le rôle de la banque publique d’investissement (bpifrance)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard, pour le groupe Union des démocrates et indépendants-Union centriste.

Mme Valérie Létard. Madame la secrétaire d’État Martine Pinville, je suis heureuse de vous saluer à mon tour à l’occasion de votre première intervention devant notre assemblée.

M. le président. Elle est entraînée, maintenant ! (Sourires.)

Mme Valérie Létard. Ma question s’adressait à M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

Le groupe Vallourec, fleuron de l’industrie française et leader mondial des tubes acier sans soudure, est confronté à une baisse très forte de son activité, consécutive à la chute des investissements des groupes pétroliers.

Présent dans le monde entier avec 22 000 salariés, Vallourec a annoncé, le 29 avril dernier, la suppression de 1 500 emplois en Europe, dont 600 en France, principalement dans les tuberies, et la recherche d’un partenaire majoritaire pour reprendre l’aciérie de Saint-Saulve dans le nord de la France, mais environ deux cents entreprises sous-traitantes se trouvent également fragilisées.

À ma demande, ainsi qu’à celle de mes collègues élus du Valenciennois, M. Macron a mis en place un groupe de travail animé par le préfet de région, dont la mission consiste à rechercher les solutions acceptables pour assurer le maintien de l’activité et de l’emploi dans l’aciérie et les tuberies du nord de la France. Sont également concernées la Côte-d’Or et la Seine-Maritime.

Dans ce cadre, le ministre s’est engagé à ce qu’il n’y ait aucune fermeture de site, mais les perspectives d’activité présentées par la direction de Vallourec et sa volonté confirmée de céder la seule aciérie française du groupe renforcent mon inquiétude : inquiétude que le Nord-Pas-de-Calais et le Valenciennois, leurs salariés et leur population ne subissent un nouveau saccage de leur appareil industriel, alors que les acteurs locaux agissent sans relâche pour développer un pôle industriel d’excellence ; inquiétude que la cession de l’aciérie de Saint-Saulve ne préfigure en réalité sa disparition.

Le Gouvernement peut-il accepter qu’un groupe mondial, mais français, fragilise les sites situés dans le pays qui l’a vu naître et qui a assuré sa croissance ? Madame la secrétaire d’État, comment envisagez-vous l’intervention de l’État, actuellement actionnaire de Vallourec via Bpifrance, pour assurer la pérennité de l’aciérie de Saint-Saulve ? Pouvez-vous nous assurer que M. Macron demandera qu’aucun plan social ne soit engagé par Vallourec tant que les discussions du groupe de travail qu’il a pris l’initiative de réunir n’auront pas abouti ?

Si le Gouvernement, comme l’indiquait son ministre Emmanuel Macron, veut retrouver « l’esprit du capitalisme industriel », la situation de Vallourec lui offre une occasion d’en apporter la preuve concrète. Plus qu’une grande entreprise, Vallourec est un symbole, le symbole d’une industrie qu’un État acteur et stratège doit absolument soutenir. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du commerce.

Mme Martine Pinville, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire. Dès l’annonce par Vallourec de son projet de restructuration, Emmanuel Macron a rappelé l’attachement de l’État à la préservation des capacités industrielles de Vallourec et son souhait que cette restructuration soit menée sans fermetures de site et sans départs contraints en France. Le Gouvernement a retenu le choix de Vallourec de privilégier le dialogue social et une concertation avant d’engager le processus d’information et de consultation.

Dès le 6 mai, le ministre de l’économie a reçu les élus du Nord pour leur rappeler toute l’attention et la mobilisation de l’État au sujet de cette restructuration annoncée. Comme il s’y est engagé lors de cette rencontre, ses équipes travaillent avec Vallourec pour offrir des perspectives industrielles à l’aciérie de Saint-Saulve, outil qui a bénéficié d’investissements massifs ces dernières années et représente donc une capacité industrielle à haut potentiel.

Ainsi, nos cabinets, la direction générale des entreprises et notre agence de prospection à l’international, Business France, sont mobilisés dans la recherche d’un partenaire ou d’un repreneur pour cette aciérie. Des contacts ont déjà été pris avec plusieurs acteurs industriels de la sidérurgie connus de ces équipes et une prospection internationale sera lancée en juillet. Nous souhaitons que soit retenue la solution la plus ambitieuse industriellement ; cette solution ne doit évidemment pas avoir de conséquences négatives ailleurs sur notre territoire.

Toujours comme le ministre s’y est engagé le 6 mai, un groupe de travail réunissant Vallourec, des élus et des représentants de l’État a été mis en place sous la présidence du préfet de région. Ce groupe de travail s’est réuni une première fois le 15 juin dernier. Il doit permettre à tous de proposer et d’étudier toute solution permettant de préserver l’activité sur les sites du Nord et les emplois associés.

Par ailleurs, le Gouvernement est convaincu que, dans chaque dossier de restructuration, le regard, l’analyse et les propositions des salariés sont indispensables. Qui connaît en effet mieux l’outil industriel que ceux qui le mettent en œuvre tous les jours ? C’est pourquoi le préfet et son équipe recevront les salariés aujourd’hui pour évoquer tous les volets de ce projet de restructuration.

Enfin, comme il s’y est engagé, Emmanuel Macron se rendra sur les sites de Vallourec du département du Nord dès que possible.

Vous l’aurez compris, madame la sénatrice, nous sommes mobilisés, à tous les niveaux, sur ce dossier sensible. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

situation des médecins

M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour le groupe Les Républicains.

M. Alain Milon. Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Madame la ministre, les médecins de France vous lancent un cri d’alarme que le Gouvernement ignore. Après la mobilisation des médecins généralistes à Roanne, les médecins de Quimper ont lancé, ces deux derniers jours, un vaste mouvement de protestation contre le projet de loi de modernisation de notre système de santé. Demain, d’autres villes prendront le relais.

MG France, réuni en assemblée générale le week-end dernier, et les autres syndicats de médecins – la Fédération des médecins de France, la FMF, la Confédération des syndicats médicaux français, la CSMF, le Syndicat des médecins libéraux, le SML, Le Bloc – ont réaffirmé leur opposition au tiers payant obligatoire et généralisé.

Nous estimons, comme les professionnels de santé, que la mise en place du tiers payant obligatoire et généralisé n’est pas une bonne mesure, pour au moins trois raisons.

Premièrement, au nom de la liberté de choix des patients. Demain, les complémentaires santé orienteront les patients vers tel ou tel professionnel de santé, comme cela se fait déjà dans d’autres domaines, l’optique par exemple.

Deuxièmement, au nom de la liberté d’exercice. Demain, l’offre de soins va se réduire, les médecins se déconventionneront, pour le moins, ou ne s’installeront pas, pour le pire.

Troisièmement, au nom de la rupture du contrat moral qui lie les médecins et l’État. Demain, ce contrat sera rompu unilatéralement par l’État, et sans concertation.

Vous imposez une mesure dont l’application est, en plus, d’une rare complexité que tous les partenaires possibles dénoncent. À cause de cette complexité, vous avez d’ailleurs reporté la mise en œuvre de cette mesure à 2017.

Les multiples réactions d’opposition des médecins libéraux à cette mesure témoignent de leur attachement à des conditions d’exercice leur permettant de se consacrer totalement à la médecine et d’un refus des tâches administratives. Elles ne sont pas, comme certains peuvent l’affirmer, le produit d’un corporatisme, mais l’expression d’une volonté de sauver la médecine libérale, non adversaire de la médecine salariée et pilier de la santé publique dans notre pays.

M. le président. Votre question !

M. Alain Milon. Le Gouvernement fait mourir un système, sans avoir rien mis d’autre en place. Les médecins généralistes, principalement concernés par cette mesure, souhaitent le retrait de celle-ci. Les entendrez-vous enfin ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.)

M. Charles Revet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Le projet de loi de modernisation de notre système de santé, qui a été adopté par l’Assemblée nationale et qui sera examiné dans votre hémicycle dans quelques semaines, comprend tout un ensemble de mesures : mesures de prévention, pour favoriser la prise en charge de la santé précoce des enfants et des jeunes adultes, mesures visant à lever les obstacles financiers que peuvent rencontrer nos concitoyens, mais aussi les obstacles géographiques comme les déserts médicaux, mesures destinées à renforcer le service public hospitalier, mesures de démocratie sanitaire.

Je constate que la question du tiers payant reste le seul sujet de discussion avec les professionnels, qui, pour le reste, affirment leur engagement en faveur de la prévention, souhaitent que l’organisation de leur profession sur le territoire soit mieux identifiée, que leurs relations avec l’hôpital soient plus solides et expriment, bien sûr, leur attachement à la démocratie sanitaire.

Monsieur le sénateur, le tiers payant, qui existe dans la plupart des pays européens, ne remet nullement en cause l’exercice de la médecine libérale. Nos concitoyens sont attachés au choix de leur médecin et les médecins sont, à juste titre, attachés à la possibilité d’exercer dans les conditions qu’ils souhaitent. Lorsque vous présentez votre carte Vitale dans une pharmacie, le pharmacien n’est pas plus inféodé aux assureurs privés que ne le seront demain les médecins, qui ne verront pas remettre en cause leurs conditions d’exercice.

Mme Isabelle Debré. Ce n’est pas la même chose !

Mme Marisol Touraine, ministre. Il s’agit de mesures de simplification, destinées à garantir à tous nos concitoyens l’accès aux professionnels de santé.

Pour rassurer, j’ai inscrit dans le projet de loi des mesures garantissant des délais de paiement rapprochés, une organisation simplifiée à partir de l’assurance maladie et une mise en place progressive à partir du 1er juillet prochain.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Marisol Touraine, ministre. Vous le voyez, le débat est engagé, et je suis certaine qu’il se poursuivra dans les meilleures conditions possibles avec l’ensemble des professionnels. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

conséquences de la fusion des régions pour les services de l’état

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, pour le groupe socialiste et républicain.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Ma question s’adresse à Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État chargée de la réforme de l’État et de la simplification, que je félicite chaleureusement pour sa nomination, tout comme Mme Martine Pinville.

À la suite de la création des nouvelles grandes régions, l’évolution de l’organisation territoriale de l’État est en phase de préparation. Selon les annonces faites par M. le Premier ministre le 22 avril dernier, l’objectif est de conforter l’État départemental dans la mise en œuvre des politiques publiques. Autant on ne peut que se féliciter de la volonté du Gouvernement de renforcer l’action de l’État à ce niveau, tant le besoin de proximité est une attente forte des administrés et des territoires, autant cette réforme suscite bien des inquiétudes, à ce stade, chez les agents concernés et, plus largement, chez nos concitoyens. Ainsi, des interrogations légitimes sont soulevées, par exemple, sur l’avenir de services, tels que les rectorats, les agences régionales de santé ou les services fiscaux, implantés dans les actuelles capitales régionales, qui craignent d’être dépouillées.

Dans le cadre de la mission interministérielle relative à l’organisation territoriale de l’État, un certain nombre d’hypothèses se dessinent, semble-t-il, d’ores et déjà. Afin de lever toute ambiguïté et de ne pas laisser les fantasmes s’alimenter, pouvez-vous nous indiquer, madame la secrétaire d’État, quelles sont les différentes pistes envisagées pour que l’évolution de l’implantation des services de l’État ne se fasse pas au détriment des actuelles capitales régionales qui perdront ce statut à partir du 1er janvier 2016 ? Pouvez-vous nous garantir que cette refonte de la présence territoriale de l’État prendra bien en compte la notion d’aménagement du territoire, qu’elle tiendra compte des spécificités locales et qu’elle n’engagera pas une spirale de concentration dans la seule métropole chef-lieu de la nouvelle grande région, ce qui serait contraire à l’esprit des annonces du 22 avril et, surtout, à la réalité des attentes de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la réforme de l’État

Nous lui souhaitons également bonne chance pour sa première intervention.

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de la réforme de l’État et de la simplification. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier de votre accueil.

Madame la sénatrice, vous interrogez le Gouvernement sur les effets de la création de treize grandes régions et faites état de l’inquiétude qui s’exprime dans certains territoires, comme celui de la Haute-Vienne dont vous êtes l’élue, quant au maintien des services de l’État dans les anciennes capitales régionales qui perdront ce statut à la fin de l’année 2015.

La réforme de l’État s’inscrit dans le prolongement de la réforme régionale, avec un objectif de montée en gamme des services publics, la volonté de conforter les territoires et de n’en laisser aucun sur le bord du chemin. Les principes de cette réforme ont été posés, comme vous l’avez dit, à l’occasion du conseil des ministres du 22 avril dernier. Ils consistent en la recherche d’un fonctionnement efficace des services, d’une juste association des territoires à la réforme pour permettre à chacun de trouver sa place et, enfin, d’un renforcement de la proximité de l’action de l’État dans une logique d’équilibre des territoires, avec une attention particulière portée à la situation des anciens chefs-lieux régionaux. Il revient aux préfets préfigurateurs de mettre en œuvre ces principes dans les propositions d’organisation qu’ils doivent remettre bientôt au Premier ministre.

Le préfet Dartout, préfigurateur de la région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charente, conduit des consultations avec l’ensemble des acteurs, en particulier les élus locaux. Les enjeux sont importants quant à la taille de la future région, mais aussi en raison de la fusion des trois régions actuelles.

Soyez assurée que le Gouvernement est très attentif au respect de ces principes. L’équilibre des territoires ne signifie ni saupoudrage des services de l’État, ni statu quo, ni concentration dans une seule ville de l’ensemble des services. Les ministres sont allés à la rencontre des élus locaux et chacun se prépare de manière constructive à l’émergence des nouvelles régions, du côté de l’État comme de celui des collectivités locales.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État. C’est avec cette ambition d’équilibre que le Gouvernement continuera à travailler. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

filière bovine

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour le groupe Les Républicains.

M. François Bonhomme. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement, et porte sur la crise de la viande bovine.

Après plusieurs jours de blocus des abattoirs, les éleveurs bovins, en situation de cessation de paiement ou en voie de l’être, viennent de suspendre leur action de protestation.

Monsieur le ministre, vous avez présidé hier une table ronde réunissant les différents acteurs de la filière. À l’issue de celle-ci, la grande distribution et les abatteurs ont consenti un prix revalorisé. Il est prévu de payer aux producteurs 5 centimes de plus par kilo de carcasse et d’incrémenter les prix d’un même montant toutes les semaines, jusqu’à ce que le prix d’achat aux éleveurs couvre les coûts de production.

D’autres mesures ont été annoncées : un projet de plateforme d’aide à l’exportation des viandes et une clause de revoyure afin de vérifier la réalité des engagements pris.

Mais voilà, le récent rapport au Parlement de Philippe Chalmin, qui préside l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, est clair : la baisse des prix des bovins a principalement profité à la partie aval, notamment en raison de la concentration des centrales d’achat, qui se retrouvent en position de force. Plus généralement, sur 100 euros de valeur alimentaire produite, 8 euros seulement reviennent au producteur. C’est donc un problème de fond.

Vous le savez, la filière bovine, et plus largement les éleveurs, ne sont pas du genre à se plaindre, et ils ont autre chose à faire que de défiler ou de mener des actions. Cette désespérance des éleveurs n’est donc pas qu’une simple montée de température. C’est la crise profonde d’une profession très fragilisée, qui ne peut accepter durablement d’être une variable d’ajustement.

J’ajoute que, en quelques années, la filière viande bovine a subi une baisse de 30 % des installations. En l’absence de revenu, les exploitations ne peuvent plus être transmises, ce qui empêche tout projet professionnel pour les jeunes qui veulent se lancer.

Tout cela est d’autant plus absurde que la France n’est pas autosuffisante en viande bovine, malgré une baisse de la consommation, et qu’elle doit chaque année importer des volumes importants de viande pour répondre à la demande des consommateurs.

M. le président. Votre question !

M. François Bonhomme. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer quelles mesures durables et fortes vous entendez prendre pour rétablir des prix rémunérateurs pour les producteurs et redonner un avenir à cette filière qui participe à notre modèle alimentaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur.

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, qui se trouve en ce moment même au Congrès national des jeunes agriculteurs, lesquels représentent l’avenir de notre agriculture. (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)

Hier encore, de nombreux abattoirs de viande bovine étaient bloqués par des éleveurs qui, vous l’avez rappelé, font face à une situation très difficile. Les raisons de la crise sont multiples : l’embargo russe, l’arrivée de vaches laitières de réforme sur le marché, lequel en a été perturbé... Tout cela se traduit, vous avez eu raison de l’indiquer, par des prix trop bas par rapport aux coûts de production. Cette situation risque de mettre en péril l’avenir même des éleveurs, et donc de la filière. Or l’élevage bovin est d’une importance majeure pour l’économie de nombreux territoires.

La priorité pour l’élevage s’est traduite récemment dans les choix faits par la France pour la mise en œuvre de la PAC, la politique agricole commune.

Au-delà des aides, il faut aussi donner des perspectives économiques positives. C’est dans cet état d’esprit que Stéphane Le Foll a réuni les acteurs économiques de la filière, d’abord en mai dernier, puis hier, et qu’il a appelé l’ensemble de ces professionnels, en particulier les abatteurs et les distributeurs, à faire preuve de responsabilité.

Hier, un accord très important a été obtenu en vue d’une remontée progressive du prix d’achat des animaux, laquelle prendra effet dès cette semaine et sera répercutée par tous les maillons de la chaîne. Car c’est bien là l’enjeu ! En conséquence, les éleveurs ont accepté de débloquer les abattoirs partout en France.

Stéphane Le Foll a aussi annoncé le doublement de l’enveloppe débloquée en mai pour la prise en charge des cotisations sociales des éleveurs, la portant à 7 millions d’euros pour répondre aux situations urgentes de défaut de trésorerie.

M. Didier Guillaume. Très bonne mesure !

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. Au-delà des problèmes conjoncturels, nous faisons face à des difficultés structurelles. C’est pourquoi le ministre de l’agriculture a défini hier une feuille de route pour y remédier. Il faut ainsi une plus grande transparence sur les prix à la production, mais aussi sur des produits emblématiques, comme le steak haché.

Par ailleurs, nous nous sommes engagés avec Stéphane Le Foll, dans le cadre de ce que nous avons appelé ensemble « la diplomatie des terroirs », à aider notre agriculture à exporter à l’international.

M. le président. Il faut conclure !

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. Nous avons d’ores et déjà obtenu des avancées, en particulier au Vietnam, à la suite de mon récent déplacement dans ce pays.

Stéphane Le Foll, moi-même et l’ensemble des membres du Gouvernement sommes totalement mobilisés aux côtés de cette filière, qui le mérite bien. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Marc Daunis. Très bien !

industrie aéronautique

M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Martial Bourquin. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

Le 15 juin dernier, le salon du Bourget a ouvert ses portes. Force est de constater que la filière aéronautique se porte bien : 180 000 salariés, un chiffre d’affaires de 50 milliards d’euros en 2014, des ventes de Rafale, des carnets de commandes pleins... Nous pouvons tous être fiers de cette réussite.

À cet égard, je ferai une première remarque : à chaque fois que l’industrie française fait le choix de l’innovation, de la technologie, du haut de gamme, à chaque fois qu’elle s’appuie sur ses territoires et ses savoir-faire, elle est capable du meilleur. Nous avons visité, avec mes collègues de la commission des affaires économiques, le site Airbus de Saint-Nazaire, et nous avons pu voir de près cette réussite. Celle-ci doit nous conduire à nous interroger sur l’ensemble des filières. En effet, à chaque fois que nous nous situons dans le bas de gamme, dans le low cost, nos entreprises sont en difficulté. Il nous faut donc à tout moment choisir l’innovation, favoriser la production industrielle sur notre territoire et créer des écosystèmes industriels capables de relever le gant de la concurrence au niveau international.

L’idéologie post-industrielle a fait de grands ravages dans notre pays. Il nous faut donc, j’y insiste, relever le gant de la réindustrialisation. Airbus, la filière aéronautique en général, ainsi que d’autres filières industrielles nous montrent le chemin.

Monsieur le secrétaire d’État, l’industrie aéronautique va recruter de nombreux salariés. Quelles mesures entendez-vous prendre pour l’aider à réaliser ces recrutements et à former ces personnels ? Notre pays connaît – c’est un problème récurrent – un chômage très important, mais je rappelle qu’il y a aussi 300 000 offres d’emploi qui ne sont pas couvertes.

M. le président. Il faut conclure !

M. Martial Bourquin. Dans l’industrie automobile, en particulier, ce problème se pose avec une très grande acuité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Robert Hue applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des transports.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Le salon du Bourget, plus grand salon aéronautique du monde, est une vitrine exemplaire pour notre filière aéronautique. Vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, cette filière a créé 10 000 emplois en 2014 et en créera à nouveau le même nombre en 2015. Sur les quatre dernières années, elle a créé en tout 50 000 emplois, dont 23 000 nets.

Sur le plan commercial, je puis vous dire que l’édition 2015 du salon sera également un succès. À l’heure où nous parlons, Airbus a enregistré 421 commandes fermes et intentions d’achat, ATR 46 commandes fermes, assorties de 35 options, avec une percée historique au Japon, et Airbus Helicopters 30 commandes fermes.

Le 22 mai dernier, avec Emmanuel Macron, nous avons réuni le comité stratégique de la filière aéronautique pour dresser le bilan des actions que nous avions engagées et pour nous inscrire dans la démarche d’innovation dont vous avez rappelé toute l’importance.

Je souhaite insister sur deux points importants.

Tout d’abord, le secteur aérien s’est fermement engagé dans la voie de la transition énergétique. Il représente en effet 2 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial et 12 % des émissions liées au transport. Ce secteur développe donc des solutions technologiques et opérationnelles pour réduire son empreinte écologique. Il se fixe ainsi comme objectif de réduire de 50 % les émissions de CO2 à l’horizon de 2050, et ce malgré la croissance continue du trafic.

Ensuite, et vous avez eu raison d’insister sur ce point, il est nécessaire de poursuivre les efforts de recherche, d’innovation et de développement. Plusieurs engagements, pris au titre des investissements d’avenir, vont soutenir des projets d’investissement, au premier rang desquels figurent le développement du nouvel hélicoptère lourd d’Airbus Helicopters, via des avances remboursables, des plateformes de démonstration technologique pour les PME, ainsi que des projets de recherche.

Par ailleurs, j’ai annoncé ce matin que le Gouvernement s’engageait à soutenir le lancement immédiat du programme « systèmes embarqués et fonctions avancées », dit aussi SEFA, et qu’il donnait son accord de principe au plan « Usine du futur ».

Il est vrai, monsieur Bourquin, que 2 000 emplois font défaut dans ce secteur. Or cette industrie d’avenir a besoin de recruter, notamment des jeunes chaudronniers. Il faut donc mettre en place des formations à ces métiers, car il y a des emplois pérennes à la clef.

Je voudrais adresser un message aux jeunes et à leur famille : l’aéronautique est une filière d’avenir, pour eux comme pour la France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

situation de la société irrifrance et soutien de la banque publique d'investissement (bpifrance)

M. le président. La parole est à M. Robert Navarro, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Robert Navarro. Depuis la fin de l’année 2013, je suis mobilisé, avec d’autres, afin de soutenir une PME innovante, l’entreprise Irrifrance, et ses 140 salariés. Située à Paulhan dans l’Hérault, cette société est spécialisée dans la fabrication de matériels d’irrigation. Elle est soutenue par OSEO, le FEDER – le Fonds européen de développement régional – et la région Languedoc-Roussillon. Particulièrement innovante, elle vient d’être récompensée pour son « pivot solaire » au salon international de l’eau.

Voulant exporter plus facilement et conquérir de nouveaux marchés, Irrifrance a néanmoins dû se battre pendant trois ans afin d’obtenir une « garantie assurance prospection » de la part de la COFACE – la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur – et un appui de la BPI, la Banque publique d’investissement ; trois années durant lesquelles le dossier a été bloqué, pour d’obscures raisons diplomatiques, et sans qu’un refus ait pour autant été motivé, trois années qui ont entraîné des difficultés pour cette entreprise.

La société demande un soutien de la BPI pour un contrat de développement participatif et une aide à l’innovation. Pourtant, malgré un soutien à l’échelon régional, la direction de la BPI à Paris refuse de se prononcer et n’accepte pas le moindre rendez-vous. Un tel blocage par l’administration est inadmissible !

De deux choses l’une : ou bien le dossier remplit les critères pour être soutenu, ce dont je suis convaincu, et, dans ce cas, il doit l’être ; ou bien, ce dossier n’est pas éligible, auquel cas la BPI doit se prononcer et motiver sa décision. En off, celle-ci aurait déclaré qu’« elle n’interviendrait en aucune façon dans la société tant que l’actionnaire actuel serait en place ».

Que faire ? Quelles que soient les raisons diplomatiques, la question des 140 emplois dans un territoire où ils sont indispensables est, à mon sens, prioritaire. Aussi, je demande au Gouvernement de s’engager sur deux points précis. Je souhaite, d’une part, que la BPI accorde enfin un rendez-vous aux dirigeants de la société et, d’autre part, qu’elle se prononce sur les dossiers déposés. Le Gouvernement est résolument engagé pour l’emploi. Néanmoins, si l’administration abuse de son pouvoir, les dispositifs en place menacent de rester lettre morte.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée du commerce.

Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur, vous l’avez indiqué, Irrifrance est une entreprise implantée depuis des années à Paulhan, en région Languedoc-Roussillon. Cette PME spécialisée dans la conception et la fabrication de matériels d’irrigation emploie près de 140 salariés.

Il est incontestable que cette société est reconnue dans son secteur et peut se prévaloir d’une renommée internationale. Elle s’est d’ailleurs vue remettre le trophée Hydro innovation 2015 pour le développement d’un nouveau concept de pivot autonome alimenté par énergie solaire. Il n’empêche que la société traverse aujourd'hui une période difficile.

Comme vous le savez, le Gouvernement travaille depuis plusieurs mois avec la direction de l’entreprise pour trouver des solutions aux difficultés que celle-ci rencontre. Le défi que doit relever Irrifrance consiste à trouver de nouveaux marchés et à compenser cette situation par un développement important de son activité à l’export. D’ailleurs, je tiens à le souligner, ses dirigeants et ses salariés ne ménagent pas leurs efforts pour conquérir les marchés à l’international.

Irrifrance sollicite également la COFACE pour l’octroi de garanties publiques sur les prospects à l’export dans les territoires où elle est positionnée. Les projets les plus aboutis ont d’ailleurs pu être accompagnés, d’autres sont en cours d’instruction.

Un tel développement, qu’il s’agisse du volet innovation ou du volet export, nécessite des moyens financiers. Des discussions sont à ce titre engagées entre l’actionnaire et le management de l’entreprise.

La BPI n’a pas vocation à se substituer à l’actionnaire. C’est avant tout à ce dernier que revient la responsabilité de définir la stratégie de sa société. Il doit accompagner financièrement son développement, examiner éventuellement un adossement industriel ou créer des partenariats afin de renforcer l’entreprise dont le potentiel est important, tant la demande sur les marchés de l’irrigation s’intensifie. C’est dans ce cadre, avec une stratégie clairement établie et une vision de long terme, que la BPI pourrait s’inscrire.

Soyez certain que le Gouvernement reste entièrement mobilisé et est en contact fréquent avec l’entreprise afin de répondre aux besoins d’Irrifrance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.

Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)

PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi organique visant à supprimer les alinéas 8 à 10 de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014
Discussion générale (suite)

Étude d'impact en application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution

Discussion et retrait d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi organique visant à supprimer les alinéas 8 à 10 de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014
Article 1er A (nouveau)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du RDSE, de la proposition de loi organique visant à supprimer les alinéas 8 à 10 de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014, présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues (proposition n° 776, texte de la commission n° 510, rapport n° 509).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre-Yves Collombat, coauteur de la proposition de loi organique.

M. Pierre-Yves Collombat, coauteur de la proposition de loi organique. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi, compte tenu de l’importance de l’assistance cet après-midi, de préciser de quoi il va être aujourd'hui question.

L'article unique auquel se résume la proposition de loi organique initiale du groupe du RDSE que j'ai l'honneur de présenter est ainsi rédigé : « Les huitième à dixième alinéas de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution sont supprimés. » Il me semble qu’il demande quelques explications.

Aux termes de l'article 39, alinéa 3, de la Constitution, issu de la réforme du 23 juillet 2008, « la présentation des projets de loi déposés devant l’Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique », en l'espèce, la loi organique du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

L'article 8 de cette loi dispose que « les projets de loi font l'objet d'une étude d'impact », dont le contenu est défini aux alinéas 2 à 11, et que les documents rendant compte de cette étude d’impact doivent être exposés « avec précision », selon l'alinéa 3. Une étude d'impact ne saurait donc être un recueil de généralités et de banalités rassemblées à la hâte.

La proposition de loi organique que nous vous soumettons aujourd'hui, tout en conservant l'obligation d'informer le Parlement sur l'impact juridique des projets de loi, supprime les obligations prévues aux alinéas 8, 9 et 10 de l’article susvisé, soit « l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d’administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue ; l’évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l’emploi public ; les consultations qui ont été menées avant la saisine du Conseil d’État ».

Pour terminer, s’agissant de la procédure, je rappelle que l'article 39, alinéa 4, de la Constitution prévoit qu'un projet de loi ne peut être inscrit à l'ordre du jour du Parlement si « la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues. En cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, le président de l’assemblée intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours. »

Après ce préliminaire, permettez-moi de vous présenter maintenant les motivations et les enjeux de la présente proposition de loi organique.

Si j'étais un disciple du père Malebranche, je dirais que la cause occasionnelle de ce texte est la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014, après saisine du Premier ministre, validant l'étude d'impact annexée au projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

Cette saisine a fait suite au refus de la conférence des présidents du Sénat d'inscrire à l'ordre du jour ledit projet de loi, au motif que son étude d'impact était insuffisante au regard de la loi organique du 15 avril 2009. (M. Jean-Pierre Sueur s’exclame.)

Par ailleurs, la cause efficiente, le moteur de cette proposition de loi organique, après la décision particulièrement désinvolte – et je pèse mes mots – du Conseil constitutionnel, c'est le constat fait par M. le rapporteur de l'échec définitif de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 à imposer au Gouvernement des études d'impact dignes de ce nom. On peut lire dans son rapport : « On peut conclure de ce bilan d’étape après sept ans d’application de ce dispositif d’évaluation que ses effets sont loin d’être concluants. D’une part, il n’a nullement remédié à la crise de la production législative, tant sur le plan de la qualité des textes qui continue à se dégrader, que sur celui de leur inflation […] D’autre part, la désinvolture fréquente avec laquelle les études d’impact de nombreux projets de loi sont élaborées et leur contrôle par le Conseil constitutionnel effectué rend perplexe sur la nécessité de maintenir en l’état ce dispositif. »

On peut difficilement faire plus « bidon » que l’étude d’impact annexée au projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. Une étude d'impact ne saurait être un recueil de généralités et de banalités rassemblées à la hâte, disais-je précédemment. Pourtant, le Conseil constitutionnel a validé toutes les arguties du Gouvernement permettant de passer outre cette analyse : ainsi, l’utilisation des données de l’INSEE, de la CNAF, la Caisse nationale des allocations familiales, ou de la DGCL, la Direction générale des collectivités locales, vaut exposé des méthodes de calcul ; l’addition de la population, du PIB, des budgets des anciennes régions composant une nouvelle région, puis la division du résultat ainsi obtenu par la population pour parvenir à des ratios par habitant sont des « éléments de nature à éclairer le Parlement » – il ne sait faire ni addition ni division ! – sur les effets démographiques de la réforme, en termes de richesse ou de gestion administrative.

Le Conseil constitutionnel va même jusqu'à considérer comme non significative l'inobservation de l'alinéa 9 de l’article 8 de la loi organique précitée, en l'espèce l’exposition avec précision de « l'évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l’emploi public », au motif que « le Gouvernement ne mentionne pas la modification [du] nombre [des emplois publics] dans les objectifs poursuivis par [le] projet de loi ». L'avenir est donc aux projets de loi dont l'exposé des motifs se résumerait à cette phrase : l’objectif de la loi est de réformer ! Circulez, il n’y a pas d’étude d’impact à faire ! C'est à de tels détails que l'on mesure le mieux le mépris dans lequel la haute bureaucratie tient députés et sénateurs.

M. Jacques Mézard. Excellent !

M. Pierre-Yves Collombat. Aux termes de l’exposé des motifs du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, l'objectif de ce texte est, entre autres, « d'améliorer la gouvernance territoriale ainsi que l'efficacité et l'efficience des politiques publiques mises en œuvre dans les territoires » par un redécoupage des régions, afin de donner « à ces dernières une taille critique sur le plan géographique, démographique et économique. » Or l'étude d'impact évite soigneusement de poser la question de la pertinence de la notion de « taille critique » en matière d'économie, de développement, de gouvernance. Même en Allemagne, pays auquel on compare la France, les Länder sont très hétérogènes eu égard aux différents points de vue que j’ai exposés. Ainsi la Bavière, le plus grand Land, est-elle vingt et une fois plus peuplée que la Brême, le plus petit Land, dont le PIB est seize fois et demie inférieur au sien. S'il y a un succès économique allemand, il ne doit rien à la « taille critique » des collectivités territoriales du pays.

Évidemment, l'étude d'impact n’explique en rien le lien qui pourrait exister entre le rattachement du Cantal à la région Rhône-Alpes ou celui de la Somme à la région Champagne-Ardenne plutôt qu’au Nord-Pas-de-Calais d'abord envisagé et la dynamisation des territoires respectifs de ces entités.

Évoquant le regroupement de la région Languedoc-Roussillon et de la région Midi-Pyrénées, l’étude d’impact se borne à noter que la nouvelle région « deviendrait […] un lieu de convergence d'axes économiques importants, à la confluence des grands courants d'échanges. Elle disposerait d'atouts géostratégiques indéniables et d'infrastructures adaptées et qui confèrent à la fonction logistique et au transport un potentiel de développement ». Le Conseil constitutionnel a validé ce beau collier de banalités que ne rehausse aucun chiffrage sur les effets économiques et financiers de la future loi, région par région et globalement.

Pourquoi ne pas réunir la région Franche-Comté avec l'Alsace et la Lorraine, ce qui aurait pour avantage de mettre en valeur l'axe Rhin-Rhône et une cohérence historique ancienne ?

Pourquoi créer le « Poichenli », regroupement des actuelles régions Poitou-Charentes, Centre et Limousin, au lieu de prévoir un rapprochement avec d’autres collectivités ? Pourquoi constituer une grande région Rhône-Alpes-Auvergne ? Pourquoi les petits Pays de la Loire ont-ils été oubliés ? Ceux qui ont suivi les allers-retours entre l'Élysée et Matignon et l'évolution des cartes ont bien une idée sur la réponse, mais on n’en trouve nulle trace dans l’étude d’impact.

M. Jacques Mézard. Excellent !

M. Pierre-Yves Collombat. Selon l'étude d'impact, l’objectif de la loi est, en outre, d'appuyer le redressement financier et économique du pays « sur une réforme structurelle renforçant l'efficacité de l'action des collectivités territoriales. » Cette étude invoque des « économies d'échelles », lesquelles sont aussi célèbres que l'Arlésienne, mais n’en dit rien...

On comprend d’ailleurs le silence des auteurs de ce document, les chiffres les plus divers circulant. Selon le Gouvernement, les économies attendues de la réforme de l'organisation territoriale et communale varient entre 12 milliards d'euros et 25 milliards d'euros. L'OCDE, pour sa part, considère que, au stade actuel du processus, il n’est pas possible de le savoir. Quant à la Commission européenne, elle doute que, à moyen terme, la réforme ait le moindre effet positif. Elle juge même que, à court terme, elle pourrait avoir des effets négatifs.

Mais, me dira-t-on, n’est-ce pas faire preuve d’inconséquence que de demander la suppression de l'obligation pour le Gouvernement d'éclairer le Parlement sur les effets les plus importants des projets de loi en raison de l'insuffisance des études d'impact actuelles ? Ne faudrait-il pas, au contraire, exiger plus du Gouvernement, et mieux préciser ses obligations ? S'il existait un juge pour faire respecter les obligations actuelles comme les nouvelles, la réponse à ces questions serait : très certainement.

Puisque tel n'est pas le cas, mieux vaut appeler un chat un chat et dire clairement que les études d'impact ne sont pas des études, encore moins des études « d’impact » : elles sont un simple emballage rhétorique des projets de loi. Si l'on veut véritablement donner au Parlement les moyens de légiférer et de contrôler en toute connaissance de cause, il faut trouver autre chose, par exemple, lui octroyer des moyens propres, comme c'est le cas dans d'autres démocraties, où le parlementarisme n'a pas été encore « rationalisé ».

Maintenir la fiction actuelle, c'est interdire toute réforme, sérieuse celle-là, de notre démocratie.

J’en viens à mon dernier point.

La cause finale, …

M. Jean-Pierre Sueur. Ah ! je l’attendais ! (Sourires.)

M. Pierre-Yves Collombat. … l'objectif de cette proposition de loi organique est d'en finir non seulement avec l’une de ces lois inutiles qui, selon le mot bien connu de Montesquieu, affaiblissent les lois nécessaires, mais également avec les trompe-l’œil démocratiques, les dispositifs décoratifs qui, années après année, ont été accrochés aux voûtes de la Constitution pour éviter d'avoir à affronter les blocages bien réels d'une Ve République vieillissante. Ce pourrait être la suite de ce texte, une fois adopté. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – M. le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, comme M. Pierre-Yves Collombat vient de l’indiquer, la proposition de loi organique qui a été déposée par le groupe du RDSE porte sur les dispositions de la loi organique de 2009 relative aux études d’impact. Elle a un objet manifeste et un objet latent.

L’objet manifeste est de prendre acte du fait que le Gouvernement est totalement libre d’entendre par « étude d’impact » ce qu’il veut. De ce point de vue, le Conseil constitutionnel ne se sent pas en mesure de contester la façon dont le Gouvernement interprète la notion d’étude d’impact.

L’objet latent est de constater que le contrôle donné au Parlement à travers les études d’impact n’existe pas en fait. Sous cet angle, la révision constitutionnelle de 2008 a totalement échoué.

La commission, après avoir examiné ce texte, l’a adopté et complété par des dispositions, afin d’encadrer davantage la façon dont le Gouvernement présente ses projets de loi et de permettre à la conférence des présidents d’avoir plus le loisir d’analyser les projets de loi et ce qu’il reste des études d’impact qui lui sont soumis.

Comme je viens de l’indiquer, la présente proposition de loi organique part d’un constat : le Gouvernement est totalement libre de mettre dans ces études d’impact ce qu’il veut.

Ainsi, après avoir élaboré à une vitesse accélérée le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, le Gouvernement y a ensuite joint un certain nombre de documents ; il a donc rempli les annexes, si je puis dire, en ajoutant notamment une étude d’impact. Or il a considéré, par exemple, que les effets de ce texte en matière d’emploi public ne figuraient pas parmi ses objectifs.

Comme vous le savez, mes chers collègues, la conférence des présidents a estimé que, dans ces conditions, il n’y avait pas lieu d’examiner le projet de loi puisqu’il ne comportait pas de véritable étude d’impact. Le Gouvernement a alors fait appel de cette décision et demandé au Conseil constitutionnel de statuer.

Le Conseil, le 1er juillet 2014, s’est prononcé lui aussi, en quelque sorte, en procédure accélérée : ayant d’autres dossiers à examiner, il n’avait pas beaucoup de temps à consacrer à l’examen de cette saisine, qui était la première effectuée en vertu de l’article 39 de la Constitution. Et il a validé la façon de procéder du Gouvernement. Celui-ci ayant affirmé que l’évaluation des effets du projet de loi en cause sur l’emploi public ne faisait pas partie de ses objectifs, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il n’en fallait pas plus et qu’il n’y avait pas de raison de sanctionner le Gouvernement. Il a donc pris pour argent comptant cette attitude gouvernementale.

Une telle interprétation signifie qu’une étude d’impact n’est pas l’étude des effets objectifs d’un texte sur l’économie, les finances, l’emploi public, etc., quel que soit le point de vue de l’auteur du projet de loi, mais qu’elle consiste tout simplement à analyser la façon dont cet auteur interprète la loi et que l’on s’en tient purement et simplement à cette interprétation. La loi organique de 2009 et son article 39 n’ont évidemment pas été rédigés dans cette intention.

Cette interprétation pose donc un problème quant à la façon dont le Gouvernement travaille et dont le Conseil constitutionnel le contrôle.

Les auteurs de la proposition de loi organique ont tiré le bilan de cette situation : le Gouvernement a toute latitude pour appliquer ou non l’article 39 de la loi organique précitée et le Conseil constitutionnel n’a ni le temps ni peut-être l’envie d’examiner cette question, au motif qu’il n’est pas le juge d’opportunité, comme on nous l’a dit lors des auditions. Toutefois, en fait, il est bien juge d’opportunité, puisqu’il se range à l’opportunité telle que le Gouvernement l’entend !

M. Jacques Mézard. Très bien !

M. Hugues Portelli, rapporteur. Comme ni le Conseil constitutionnel, qui contrôle le Gouvernement, ni le Gouvernement, qui élabore les textes, n’appliquent les dispositions de la loi organique, celles-ci deviennent de facto obsolètes, ou du moins applicables uniquement à géométrie variable, lorsque le Gouvernement le décide.

Cette proposition de loi organique n’est pas originale puisqu’elle reprend mot pour mot les termes d’un amendement déposé par le groupe socialiste lors de l’examen de la loi organique de 2009.

M. Jacques Mézard. Eh oui ! On ne pouvait pas trouver mieux !

M. Philippe Kaltenbach. À l’époque, l’UMP avait voté contre ! J’ai là le compte rendu des débats…

M. Hugues Portelli, rapporteur. Peut-être, mais tel n’est pas le sujet !

Cela étant, la commission des lois s’est rangée au constat dressé par les auteurs de la proposition de loi organique.

Mais à partir du moment où l’étude d’impact perd en grande partie de son sens, que reste-t-il ? Un certain nombre d’éléments de la loi organique demeurent. En effet, celle-ci prévoit, certes, que le Gouvernement doit exposer avec précision – ce qu’il ne fait pas – notamment les effets économiques, financiers, les conséquences sur l’emploi public des projets de loi, mais elle lui impose également d’autres obligations.

Ainsi, le Gouvernement doit étudier quels sont les effets du projet de loi en question sur le droit en vigueur, qu’il soit national, européen ou international – il s’agit tout de même du premier travail de l’exécutif. Il doit également exposer les consultations qui ont été menées avant le dépôt de ce texte. Enfin, il doit faire état de la façon dont le Conseil économique, social et environnemental a examiné celui-ci.

Je vous rappelle, mes chers collègues, que la première mention des études d’impact date de 1958, avant même qu’on les réinvente en 2008, avec l’évaluation par le Conseil économique et social des projets de loi.

Par conséquent, si cette proposition de loi organique est adoptée, il reste un certain nombre de dispositions en matière d’étude d’impact.

Comme je l’ai mentionné au début de mon intervention, la commission des lois a adopté un certain nombre de dispositions complémentaires.

Premièrement, elle souhaite que la conférence des présidents dispose de plus de temps pour examiner les projets de loi et les études d’impact qui leur sont annexées. Actuellement, elle n’a que dix jours pour le faire, ce qui ne lui permet pas de travailler sérieusement. La commission propose donc que la conférence des présidents bénéficie d’un mois complet pour effectuer ce travail. En effet, même si la portée des études d’impact est réduite, celles-ci seront cependant assez fournies pour rendre ce laps de temps nécessaire si l’on veut qu’un travail effectif soit réalisé.

Deuxièmement, la commission est favorable à la publicité des avis du Conseil d’État sur les projets de loi que, je vous le rappelle le Président de la République, a souhaitée. La commission se rallie totalement à ce point de vue et le défendait d’ailleurs.

M. Philippe Kaltenbach. C’est une très bonne chose !

M. Hugues Portelli, rapporteur. C’est d’autant plus important que, dès lors que le Conseil d’État saura que ses avis seront rendus publics, le contenu de ceux-ci sera différent. En effet, les avis du Conseil d’État tels qu’ils sont aujourd'hui rédigés ont un caractère confidentiel, parfois un peu ésotérique, puisqu’ils ne s’adressent qu’aux initiés. La publicité conduira à des avis davantage étoffés et permettra une meilleure connaissance de la façon dont le conseil juridique de l’exécutif envisage le texte qui lui est proposé.

Troisièmement, la commission demande que le Gouvernement motive le recours à la procédure accélérée. Ce point est important pour une raison très simple : la conférence des présidents est amenée à se prononcer sur le recours à la procédure accélérée, à donner son accord ou non. Même s’il est très rare, pour toutes sortes de raisons, que les conférences des présidents des deux assemblées s’accordent pour dire qu’elles refusent un tel recours, la procédure existe. Si le Gouvernement motivait sa décision, le débat s’engagerait sur des bases beaucoup plus solides.

Quatrièmement, la commission souhaite que les amendements déposés par le Gouvernement et qui modifient substantiellement le contenu d’un projet de loi fassent l’objet d’une étude d’impact.

Pour justifier cette requête, je vous donnerai un seul exemple, mes chers collègues. Lors de l’examen, en 2013, d’un texte concernant la fonction publique et dont j’étais le rapporteur, on a vu apparaître au cours du débat un amendement du Gouvernement tendant à rien moins qu’inverser la règle en matière de décision administrative : désormais, le silence de l’administration vaudrait acceptation. Or il s’agissait d’une modification fondamentale. La preuve en est que, depuis deux ans, on prend des mesures pour rendre cette disposition de moins en moins applicable parce qu’elle pose des problèmes considérables. Ainsi, une quarantaine d’exceptions qui concernent uniquement les décisions de l’administration centrale de l’État ont été proposées avant que ne soit étudié le cas des décisions administratives prises par les collectivités territoriales.

Si, à l’époque, cet amendement avait fait l’objet d’une étude d’impact, il est évident qu’il n’aurait jamais été déposé, ou alors beaucoup plus tard.

Tels sont, mes chers collègues, les points sur lesquels la commission des lois a débattu et les ajouts auxquels elle a procédé, pensant ainsi avoir un peu enrichi la proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de la réforme de l’État et de la simplification. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à vous remercier du travail que vous avez accompli sur le présent texte.

Cela étant, la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République a modifié l'article 39 de la Constitution aux termes duquel désormais « la présentation des projets de loi déposés devant l'Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique. » Sur ce fondement, comme vient de l’indiquer M. le rapporteur, l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 dispose : « Les projets de loi font l'objet d'une étude d'impact. » Ce même article précise le contenu de cette dernière.

L’intention du législateur était de renforcer les moyens du Parlement dans sa mission de contrôle et de vote des lois. Outre qu'elle constitue une exigence démocratique, l'obligation d'édicter des études d'impact contribue à une meilleure qualité de la loi alors que l'on reproche trop souvent à celle-ci d'être bavarde, avec toutes les conséquences que l'on connaît en termes d'insécurité juridique, d'instabilité du droit et, éventuellement, de contentieux.

Dans sa décision du 1er juillet 2014, le Conseil constitutionnel, saisi pour la première fois sur le fondement de l'article 39, alinéa 4, de la Constitution aux fins de contrôle d’une étude d'impact, a considéré « que [...] le contenu de cette étude d'impact répond à celles des autres prescriptions de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 qui trouvent effectivement à s'appliquer compte tenu de l'objet des dispositions du projet de loi en cause ; qu'il ne saurait en particulier être fait grief à cette étude d'impact de ne pas comporter de développements sur l'évolution du nombre des emplois publics dès lors que le Gouvernement ne mentionne pas la modification de ce nombre dans les objectifs poursuivis par ce projet de loi ».

Par cette décision, le Conseil constitutionnel a ainsi consacré une vision pragmatique de l’obligation qui pèse sur le Gouvernement. Nous pensons nous aussi que cette obligation ne doit pas être artificiellement formaliste. Si dans une démocratie, le Gouvernement se doit d’éclairer la représentation nationale sur les choix qu’il lui soumet, on ne saurait toutefois accepter que lui soient imposées des contraintes de pure façade qui ne seraient pas respectées. Telle n’était pas la volonté du constituant de 2008 et tel n’est pas le souhait du Gouvernement aujourd’hui.

Déposée au Sénat le 23 juillet 2014, la présente proposition de loi organique a été transmise à la commission des lois, laquelle a adopté un texte le 10 juin dernier. Elle comprenait à l’origine un article unique ainsi rédigé : « Les huitième à dixième alinéas de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution sont supprimés. »

En supprimant les rubriques les plus significatives et porteuses de contenu de ce texte, notamment l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, cette disposition a pour effet de vider de sa substance l’obligation qui pèse sur le Gouvernement. Or cette obligation lui est assignée pour que soit impérieusement respecté l’objectif du législateur de 2009, lequel était très attaché à la transparence démocratique et à la qualité de la loi.

Pour ces motifs, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi organique. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)

M. Pierre-Yves Collombat. Le Gouvernement veut travailler ! Le Gouvernement veut faire des études d’impact !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

M. Philippe Kaltenbach. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi organique présentée par l’éminent président du groupe du RDSE, Jacques Mézard. Il s’agit, comme cela a été expliqué, d’une réaction à la décision du Conseil constitutionnel saisi par le Gouvernement après que la conférence des présidents ait souhaité contester l’étude d’impact annexée au projet de loi qui portait redécoupage des régions. On peut tous s’interroger sur une réaction qui ressemble à un geste d’humeur. Je crois toutefois que, indépendamment de son aspect quelque peu provocateur, cette proposition de loi nous donne l’occasion de revenir sur le fond de l’affaire, c’est-à-dire l’intérêt des études d’impact pour le fonctionnement du Parlement

Lorsque la réforme constitutionnelle de 2009 a été adoptée, je n’étais pas parlementaire. J’ai donc relu attentivement les déclarations des uns et des autres au moment des débats qui ont eu lieu alors. Et je dois en donner acte au groupe du RDSE, il est complètement cohérent, car, dès cette époque, Michel Charasse avait défendu en son nom l’idée selon laquelle les études d’impact n’étaient pas utiles

La situation est un peu différente pour les membres de l’ex-UMP. À défaut de celles de M. le rapporteur, j’ai retrouvé les déclarations de MM. Hyest, Gélard et Karoutchi, qui défendaient les études d’impact et apportaient un soutien clair et entier au Gouvernement. Je relève donc une évolution importante et pour le moins notable dans la position de mes collègues de l’exemple-UMP ! Je ne sais pas si c’est le changement de nom du groupe qui produit cette évolution…

Vous pourriez me rétorquer, mes chers collègues, que le groupe socialiste et républicain a également évolué, et vous n’auriez pas tort ! Mais nous avons maintenant, six ans après, le recul nécessaire pour apprécier l’importance et l’intérêt des études d’impact.

M. Pierre-Yves Collombat. Surtout, vous êtes au Gouvernement !

M. Philippe Kaltenbach. Pendant six ans, tout le monde a pu le constater, même si l’étude d’impact n’est pas parfaite, même si elle peut toujours être sujette à critiques, elle est aujourd’hui un élément indispensable pour le travail des parlementaires. Pour ma part, j’en suis vraiment profondément convaincu.

Je ne suis parlementaire que depuis quatre ans. Chaque fois que je travaille sur un projet de loi, je suis très attentif à l’étude d’impact parce qu’elle est une mine d’informations. Bien sûr, nous le savons, l’étude d’impact est là pour accompagner le texte du Gouvernement. Cela n’empêche pas qu’elle fournit des informations et des chiffres qui peuvent d’ailleurs parfois être utilisés pour contrer le discours du Gouvernement.

L’étude d’impact annexée au projet de loi relatif au redécoupage des régions a été abondamment critiquée voilà quelques mois. Quoi qu’il en soit, le Conseil constitutionnel a tranché. Officiellement saisi, il a apporté dans sa décision des réponses également précises aux questions précises qui lui avaient été posées.

Dans une démocratie moderne, il faut que la loi fondamentale puisse être respectée, et nous avons besoin d’une justice constitutionnelle – j’y suis attaché – à laquelle nous devons nous plier.

Les auteurs de la saisine du Conseil constitutionnel argumentaient sur le fait que l’étude d’impact n’aurait pas été assez précise, pas assez argumentée ni assez documentée. Ils considéraient qu’elle ne mentionnait aucunement le devenir des agents de la fonction publique territoriale concernés. Ils lui reprochaient enfin de ne pas exposer les consultations menées avant la saisine du Conseil d’État.

À tous ces arguments avancés pour contester l’étude d’impact – que ce soit par le groupe du RDSE, par l’ex-groupe UMP, devenu le groupe Les Républicains, par le groupe CRC –, le Conseil constitutionnel, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, n’a pas répondu par un soutien aveugle et sourd au Gouvernement, un soutien sans réflexion, un soutien purement opportuniste.

Non ! Le Conseil constitutionnel a complètement justifié sa décision, qu’il a articulée en trois points. D’abord, il a précisé que l’étude d’impact, qui comprend des développements relatifs à différentes options possibles sur les délimitations des régions, les élections régionales et départementales et la durée des mandats des membres des conseils régionaux et départementaux, expose les raisons des choix opérés par le Gouvernement et en présente les conséquences prévisibles. On le voit bien, le Conseil constitutionnel a jugé que l’étude d’impact est suffisante pour éclairer le choix des parlementaires.

Ensuite, le Conseil a précisé qu’il ne pouvait être fait grief à l’étude d’impact de ne pas comporter de développements sur l’évolution du nombre d’emplois publics dès lors que le Gouvernement ne mentionnait pas la modification de ce nombre dans les objectifs poursuivis par ce projet de loi.

Enfin, le Conseil a répondu aux auteurs de la saisine qu’il n’était pas établi que ce projet de loi ait été soumis à des consultations dans des conditions qui auraient dû être exposées dans l’étude d’impact.

On le constate bien, sur la forme, nous avons affaire à un texte d’humeur, qui traduit une réaction à une décision du Conseil constitutionnel, laquelle me semble totalement argumentée. Je ne considère pas que le travail du Parlement soit de contester une décision de la justice constitutionnelle.

Sur le fond, le groupe socialiste et républicain est maintenant favorable aux études d’impact. Je trouve quelque peu incohérent de contester l’étude d’impact au motif qu’elle n’est ni assez documentée ni assez précise tout en voulant en réduire le périmètre et la portée, bref, la réduire à néant !

Si on avait vraiment voulu renforcer l’étude d’impact, pourquoi ne pas nous avoir demandé de travailler ensemble à une meilleure définition pour inciter le Gouvernement à plus de précision ? Nous aurions pu vous rejoindre sur cette voie, mes chers collègues.

Dans cette réaction, je vois une forme de provocation. Du moins ouvre-t-elle le débat – et je sais gré au groupe du RDSE de nous permettre de discuter de nouveau de ce sujet.

Les membres du groupe socialiste et républicain restent, pour leur part, attachés à l’étude d’impact telle qu’elle figure aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement visant à supprimer la disposition qui affaiblit ce document.

Sur les différents amendements adoptés à la demande du rapporteur par la commission des lois, nous aurons des positions différenciées : autant, sur certains points, nous sommes d’accord et nous suivrons le rapporteur et la commission, autant, sur d’autres, nous aurons une approche plus mesurée. J’y reviendrai en présentant les amendements déposés par le groupe socialiste et républicain. Nous attendons de connaître la réaction et le vote de la Haute Assemblée sur l’amendement de suppression que je défendrai pour nous prendre position sur l’ensemble du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les espaces réservés des groupes politiques sont toujours des moments intéressants de la vie de la Haute Assemblée. Ils révèlent ce qui fait vibrer les groupes, leurs aspirations politiques et l’usage qu’ils entendent faire de la possibilité de faire la loi.

Le groupe écologiste pense que l’initiative parlementaire est un levier majeur pour améliorer concrètement la vie quotidienne de nos concitoyens. Ainsi, nous essayons, aussi souvent que cela nous l’est permis, d’impulser, au sein de cette assemblée, une réflexion en profondeur sur la préservation de l’environnement et la protection de la santé de toutes et de tous. Ce sont là des préoccupations qui sont, en effet, le fondement même de notre engagement politique. Et c’est tout le sens que nous donnons aux dispositions législatives dont nous sommes à l’origine : la protection des lanceurs d’alerte ou encore l’interdiction de l’usage des pesticides. Toutefois, ce n’est manifestement pas un but que vous poursuivez, monsieur Mézard, puisque vous n’avez voté ni l’une ni l’autre !

Pour en revenir au débat qui nous occupe aujourd’hui, le groupe écologiste avoue sa grande surprise à la lecture de la proposition de loi organique qui nous est présentée.

En effet, mes chers collègues, vous n’avez manifestement pas accepté que, à la suite du différend entre le Premier ministre et la conférence des présidents du Sénat lors de la présentation du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 1er juillet 2014, ait considéré que la présentation de ce texte et, de ce fait, la validité de son étude d’impact étaient bien conformes à la Constitution. Il semblerait donc que la proposition de loi organique que vous nous proposez s’inscrive dans une logique bien particulière qui relève plus de la tactique politicienne que d’une réflexion de fond.

Effectivement, vous demandez la suppression des études d’impact, ou plus exactement, puisqu’il s’agit d’être précis, la suppression d’une partie substantielle de ces études qui accompagnent nécessairement chaque projet de loi.

Il s’agit là de votre droit, nous ne le contestons pas. Néanmoins, nous ne souhaitons pas ici juger le bien-fondé ou non des décisions du Conseil constitutionnel ni en tirer des conséquences, qui seraient d’ailleurs elles-mêmes inconstitutionnelles.

Nous ne pouvons, sous couvert de suivre les préceptes de l’ouvrage De l’esprit des lois cité dans l’exposé des motifs, souscrire à la suppression des études d’impact, qui, je le rappelle, évaluent les « conséquences économiques, financières, sociales et environnementales », ce dernier critère étant par nature, sans mauvais jeu de mot, particulièrement cher aux écologistes, mais pas seulement !

Pointant du doigt l’inefficacité des études d’impact et le peu d’éclairage qu’elles fournissent, selon vous, en amont du débat parlementaire, vous nous proposez de les vider de leur substance en retirant ce qui se rapporte aux « conséquences économiques, financières, sociales et environnementales » des projets de loi. J’emprunterai le raisonnement inverse : si vous jugez ces études d’impact incomplètes et imparfaites en la matière, pourquoi ne pas exiger au contraire leur renforcement au travers d’études plus approfondies sur ces différents points ?

En conclusion, je me permettrai, à mon tour, de citer Montesquieu qui affirmait : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »

Cette proposition de loi organique est pour nous une caricature du mésusage du temps parlementaire !

Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, le groupe écologiste votera contre ce texte.

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi organique du président Mézard et du groupe du RDSE a au moins deux grands mérites.

Premièrement, elle nous rappelle l’extraordinaire inflation législative et l’immense difficulté du Parlement à faire face à la pression de l’exécutif sur le plan de l’élaboration de la loi.

Deuxièmement – est-ce tout à fait volontaire ?–, elle montre bien la fragilité, voire l’arbitraire, des décisions du Conseil constitutionnel, que beaucoup considèrent comme le sacro-saint gardien des normes.

Pour en revenir au premier point, il faut rappeler que l’étude d’impact qui doit accompagner les projets de loi, à l’exception d’un certain nombre d’entre eux – les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, par exemple –, avait pour finalité annoncée de limiter l’inflation législative.

Ce raisonnement avait toute sa logique. En effet, de nombreux textes législatifs sont des lois d’affichage, d’opinion, des lois qui, par médias interposés, doivent démontrer un certain volontarisme. Cet affichage explique que bien souvent – trop souvent ! – les décrets d’application ne suivent pas et que la loi devienne ainsi lettre morte.

Produire une étude d’impact dans les conditions prévues par la loi organique de 2009 devait logiquement conduire à écarter les projets de loi dépourvus d’objectifs réels et sérieux. Or, l’exécutif, dès 2009 et aujourd’hui encore, plutôt que de ralentir la cadence infernale, continue à appuyer sur l’accélérateur, au risque de faire exploser la machine institutionnelle. Les études d’impact sont négligées, voire, de fait, oubliées.

C’est aussi pour souligner ce fait, grave, que mon groupe a décidé, le 28 juin 2014, de saisir la conférence des présidents de la véritable provocation que constituait l’étude d’impact du projet de loi créant les nouvelles régions. Rien n’était mentionné, sinon un verbiage superficiel, sur les conséquences économiques, sociales et financières de la création de ces nouvelles régions. Rien n’était indiqué non plus sur les conséquences pour l’emploi public de cette évolution institutionnelle très importante.

Lorsque nous voyons où nous en sommes aujourd’hui avec le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, c’est-à-dire la création de répartitions incompréhensibles pour les citoyens – des citoyens qui, de surcroît, ont été écartés du débat –, mais aussi pour nombre d’élus, il aurait mieux valu prendre le temps de réaliser une étude d’impact sérieuse. Les membres de mon groupe et moi-même avons rappelé souvent, trop souvent sans doute, que l’une des sources essentielles des difficultés du travail du Sénat et du Parlement se situait dans l’avalanche des normes produites par l’exécutif, soumis lui-même à l’avalanche des normes bruxelloises et aux exigences de la mondialisation financière.

Il faut le dire au Gouvernement, la pression exercée sur le Parlement, rabaissé au simple rang de chambre d’enregistrement, est dangereuse pour la démocratie, l’efficacité et l’intelligibilité de la loi.

Il faut aller vite, réformer vite. Le débat serait archaïque et il conviendrait de bousculer les immobilismes et les conservatismes. Cette conception autoritaire du fonctionnement des institutions n’est pas acceptable, surtout pas du point de vue d’hommes et de femmes de gauche, qui porte en son cœur la confrontation des idées comme élément de construction démocratique.

Cette proposition de loi organique met ensuite en évidence – second mérite – la faiblesse de l’argumentation du Conseil constitutionnel.

Je ne rappellerai pas la critique historique que nous émettons sur un organisme dépourvu d’une réelle légitimité, qui se comporte comme une Cour suprême intouchable convaincue de sa puissance et de la justesse innée de son jugement, conviction qui provient de l’absence de contestation possible de ses décisions.

L’exposé des motifs de la présente proposition de loi organique est efficace, mais aussi effrayant par certains aspects.

Vous rendez-vous compte, mes chers collègues, que l’on a confié, par exemple, le jugement des questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, ce qui lui permet de faire et défaire la loi comme bon lui semble cinq, dix, vingt ou trente ans après son vote, alors que, sur un point pourtant aussi évident et flagrant que l’examen de l’étude d’impact du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, il a eu – il faut le dire ! – tout faux.

Cette proposition de loi organique pose donc indirectement, mais crûment, la question de la légitimité du Conseil constitutionnel. Nous proposons, pour notre part, d’autres pistes de contrôle de constitutionnalité, en particulier une commission parlementaire de contrôle de constitutionnalité qui permettrait d’apporter une garantie démocratique.

Si la proposition de loi organique soulève de vraies questions, la réponse qu’elle apporte nous paraît totalement contreproductive. Mais peut-être avons-nous mal compris… Il nous semble en effet que ses auteurs proposent en réalité de vider les études d’impact de leur sens en supprimant, en particulier, l’obligation d’évaluation non seulement des conséquences économiques, sociales et financières, mais aussi des conséquences sur l’emploi public d’un texte.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. À juste titre !

Mme Éliane Assassi. Je comprends l’agacement du groupe du RDSE et de son président, et je le partage pleinement. Toutefois, cette forme de terre brûlée ne nous semble pas la bonne option.

Nous ne pouvons donc soutenir l’article unique de la proposition de loi organique initiale, et qui est aujourd’hui devenu l’article 1er du texte qui nous est soumis. En effet, M. le rapporteur, Hugues Portelli, et les membres de la commission des lois ont complété la proposition de loi organique par un certain nombre de dispositions que nous pouvons approuver, même si l’effet sera cosmétique face à la pression législative dont je parlais précédemment.

Justifier la procédure accélérée est une bonne chose, même si nous sommes, pour notre part, partisans de l’empêcher in concreto… Rendre public l’avis du Conseil d’État paraît évident. Enfin, réaliser une étude d’impact sur les amendements substantiels déposés par le Gouvernement est une idée pertinente, mais, me semble-t-il, très difficile à réaliser. Comment, en effet, définir les amendements substantiels ? Là aussi, nous avons proposé à maintes reprises une autre voie, à savoir empêcher le dépôt tardif des amendements du Gouvernement, quels qu’ils soient.

En conclusion, le groupe communiste, républicain et citoyen, sous réserve d’évolution de la proposition de loi organique, s’abstiendra sur ce texte modifié par la commission des lois, en rappelant toutefois fortement son souhait du maintien de l’exigence en matière d’étude d’impact. (M. Jacques Mézard applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.

Mme Jacqueline Gourault. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme le disait Portalis, « les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison. Le législateur […] ne doit point perdre de vue que les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois ».

M. Pierre-Yves Collombat. C’était autrefois ! (Sourires.)

Mme Jacqueline Gourault. Je crains que le bon sens de cette formule n’ait été quelque peu oublié. La perte de qualité de la loi et l’inflation législative sont certes dénoncées de manière récurrente, mais les projets de loi continuent de s’entasser et les études d’impact continuent de les justifier de manière plus ou moins floue.

Introduites à l’occasion de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les études d’impact constituaient pourtant un dispositif important et contraignant, puisque le non-respect des règles posées par l’article 39 de la Constitution pouvait être sanctionné par le refus d’inscrire un projet de loi à l’ordre du jour d’une assemblée.

Deux questions se posent. Premièrement, les études d’impact permettent-elles encore de satisfaire une évaluation approfondie des conséquences d’une législation en vigueur et des effets vraisemblablement produits par une nouvelle loi ? Deuxièmement, le contrôle de la conformité des études d’impact aux prescriptions organiques est-il encore effectif ? Les exemples détaillés par Pierre-Yves Collombat montrent que non, et les membres du groupe UDI-UC souscrivent à cette analyse.

Le premier constat de non-conformité d’une étude d’impact aux prescriptions organiques remonte à 2014 avec le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. Nous nous rappelons tous cet épisode au cours duquel notre opposition à l’engagement de la procédure accélérée ne fut pas entendue et n’emporta pas l’adhésion à l’Assemblée nationale.

Mais il s’agit surtout d’un épisode qui constitue l’échec criant de la contestation par le Sénat d’une étude d’impact et de la méconnaissance par le Gouvernement des règles fixées par la loi organique du 15 avril 2009.

L’examen du projet en loi en séance publique fut retiré de l’ordre du jour, et le Premier ministre saisit le Conseil constitutionnel, conformément au quatrième alinéa de l’article 39 de la Constitution. Dans sa décision du 1er juillet 2014, le Conseil estima que le projet de loi avait été présenté dans des conditions conformes à la loi organique précitée, notamment à son article 8 relatif au contenu de l’étude d’impact, comme les orateurs précédents l’ont expliqué.

Malgré les observations du Sénat, le Conseil constitutionnel a rejeté le grief fondé sur le fait que cette étude d’impact ne comportait aucun développement sur l’évolution du nombre des emplois publics. Je dois avouer que la justification de cette décision nous laisse perplexes. Dès lors que le Gouvernement ne mentionne pas la modification de ce nombre dans les objectifs poursuivis par ce projet de loi, un tel développement ne serait-il pas nécessaire ? Il s’agit pourtant d’un texte lourd de conséquences pour nos collectivités et nos territoires !

Dans votre rapport, cher collègue Hugues Portelli, vous citez le professeur Jean-Marie Pontier, qui a réagi à cette décision en la qualifiant de « jurisprudence minimaliste ». Je le rejoins et, comme lui, je regrette que le Conseil constitutionnel n’ait pas saisi l’occasion d’opérer un meilleur contrôle de l’exigence des études d’impact.

Après sept ans d’application, les bénéfices de l’étude d’impact sont donc loin d’être évidents : le double aspect de l’élaboration des études d’impact et du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel nous laisse dubitatifs.

Je le dis à regret, mais, au nom de mon groupe, je me permets d’affirmer que les études d’impact ressemblent de plus en plus à des coquilles vides...

Comme je l’ai indiqué précédemment, nous souscrivons au constat initial dressé par Pierre-Yves Collombat. Toutefois, la suppression d’une partie des études d’impact au motif que le Conseil constitutionnel n’en contrôle pas l’effectivité, suppression qu’il présente comme une conséquence logique de la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014, ne nous paraît pas convaincante.

Vous proposez en effet, mon cher collègue, la suppression des alinéas 8 à 10 de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, qui dresse la liste d’éléments que doit contenir l’étude d’impact, notamment l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ou encore les conséquences sur l’emploi public. Mais en quoi la suppression de ces alinéas résout-elle le problème ?

Réduire encore davantage les obligations imposées au Gouvernement et alléger celles qui pèsent sur les études d’impact ne changeront pas la donne ! Cela revient même à donner raison au Gouvernement et à lui accorder une solution de facilité sans renforcer en rien le pouvoir de contrôle des assemblées.

Autrement dit, le texte, dans sa rédaction initiale, tire une conséquence illogique d’un constat qui fait sens.

J’en viens maintenant aux modifications importantes introduites par la commission. Vous nous avez proposé, monsieur le rapporteur, de compléter les documents joints au projet de loi présenté, de prévoir l’obligation de motiver la procédure accélérée et la transmission de l’avis du Conseil d’État. Cela nous semble justifié : accélérer le processus législatif est lourd de conséquences ; le Gouvernement doit s’en expliquer.

Vous avez proposé également d’allonger le délai laissé à la conférence des présidents pour contester la conformité des conditions de présentation d’un projet de loi. La loi organique du 15 avril 2009 n’accorde en effet à la conférence des présidents de la première assemblée saisie du texte qu’un délai de dix jours pour constater éventuellement la non-conformité par l’étude d’impact des prescriptions organiques. Dans la pratique, ce délai est insuffisant; une période de trente jours nous semble plus appropriée pour cet exercice de contrôle.

Enfin, la commission a étendu l’obligation de l’étude d’impact aux amendements du Gouvernement. Je trouve l’idée très séduisante, surtout quand on se remémore certains exemples récents d’amendements gouvernementaux qui étaient tellement lourds et complexes qu’ils constituaient presque une réforme à eux seuls – je pense, par exemple, à l’amendement sur la métropole du Grand Paris. Dans ces hypothèses, une obligation d’étude d’impact serait la bienvenue.

Pour autant, appliqué sans distinction à l’ensemble des amendements gouvernementaux, ce dispositif ralentirait et alourdirait inutilement l’examen des textes. Pour qu’il puisse s’appliquer dans les faits, sans entraver ni la souplesse des travaux en séance ni la réactivité des parlementaires et des membres du Gouvernement à parvenir à des solutions consensuelles, ce mécanisme devrait être limité à certains amendements du Gouvernement, les plus lourds de conséquences.

En guise de conclusion, je voudrais remercier le groupe du RDSE d’avoir suscité ce débat sur un sujet pour lequel nous partageons tous un vif intérêt, et qui tend à la fois à contenir l’inflation normative et à améliorer l’efficacité de la production législative.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe UDI-UC s’opposera à la simplification du contenu des études d’impact prévu à l’article 1er, mais soutiendra les diverses dispositions introduites lors de l’examen du présent texte en commission sur l’initiative de M. le rapporteur. (MM. Philippe Kaltenbach et Jean-Pierre Sueur applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Madame la secrétaire d’État, je vous salue à l’occasion de votre première séance au Sénat, je vous souhaite bon courage et vous adresse tous mes vœux de succès.

Je tiens maintenant à saluer l’excellent rapport de M. Portelli, qui a accompli un travail de grande qualité, et très utile de surcroît.

Le groupe du RDSE a déposé cette proposition de loi organique non pas simplement pour le plaisir de débattre aujourd’hui, mais parce que la question des études d’impact et de leur utilisation par le Gouvernement pose un réel problème de démocratie parlementaire. Il n’est point besoin en effet de continuer à réaliser des études d’impact qui ne sont que des paravents ou des coquilles vides pour tenter de justifier une conformité strictement formelle à la loi.

L’actualité et l’ordre du jour du Parlement mettent chaque jour davantage en évidence les difficultés à réaliser un travail législatif de qualité. Or c’est la première mission du Parlement et donc de notre assemblée.

Madame Aïchi, il est malvenu que votre groupe donne des leçons de démocratie, surtout si vous fuyez immédiatement après les avoir données. Cela nous distingue fondamentalement, je ne suis pas un président de groupe qui passe son temps sur les plateaux de télévision et dans les sièges luxueux des avions gouvernementaux…

Mme Éliane Assassi. Moi non plus !

M. Jacques Mézard. Certes !

Quoi qu’il en soit, il est de bon ton, dans les médias nationaux et chez les commentateurs politiques, qui cumulent leurs interventions depuis de longues années dans de multiples médias écrits ou télévisuels, d’imputer au Parlement la responsabilité de l’encombrement législatif et de l’accumulation de textes à l’application aléatoire. J’entendais encore ce matin, sur une chaîne d’information en continu, un brillant éditorialiste à écharpe écharper une nouvelle fois le Parlement qui bloquerait les réformes. Au plus haut niveau, l’exécutif considère que le Parlement ne va pas assez vite, qu’il parle trop. Une seule chambre, avec un usage hebdomadaire de l’article 49-3 de la Constitution, conviendrait davantage, sans doute…

Mais ne vaudrait-il pas mieux poser les questions de fond : pourquoi cette inflation législative et réglementaire, due d’abord au Gouvernement ? Qui en est à l’origine, l’élu ou l’administration ? Est-il bien raisonnable que chaque ministre ou secrétaire d’État veuille sa loi, raison d’être de son passage au Gouvernement ? Est-il bien raisonnable que, du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte au projet de loi de modernisation de notre système de santé, en passant par le projet de loi Macron et tant d’autres, le Parlement soit submergé de projets de loi catalogues, lesquels comportent parfois des centaines d’articles, mélangeant souvent le législatif et le réglementaire et s’infiltrant dans le détail du quotidien de nos concitoyens ? Est-il raisonnable que la plupart de ces projets de loi, écrits dans une langue administrative peu compréhensible pour les citoyens, soient mis en discussion devant le Parlement en utilisant de manière quasi systématique la procédure accélérée ?

Pensez-vous vraiment, mes chers collègues, que le souci de nos concitoyens soit de modifier constamment la législation, et que ceux-ci soient convaincus que c’est le bon moyen pour améliorer leur condition de vie et créer des emplois ? Je consacre ma vie au droit, et je suis chaque jour davantage convaincu que, moins il y a de textes, plus et mieux on les applique. C’est un fait que l’on pourrait rappeler aux exécutifs successifs.

Oui, la loi doit tenir compte de l’évolution de la société, des bouleversements technologiques et sociaux, et parfois précéder ou lancer ces évolutions, mais cela n’a rien à voir avec la fièvre législative dont sont atteints nos exécutifs successifs, inspirés par une fonction publique certes très compétente, mais dont la propension à fabriquer des textes est mondialement reconnue.

Quand la loi n’est que réactive et à effet médiatique, il est difficile qu’elle soit de qualité. Oui, le corpus des futures actions d’un exécutif devrait être ficelé dans le pacte des candidats à l’élection présidentielle. Il est sain de légiférer en amont plutôt qu’en aval.

Et les études d’impact dans tout cela ? Elles n’ont de sens que si ce sont de véritables études décrivant les conséquences possibles de l’application du projet de loi qui sera examiné et si le Parlement a le temps nécessaire pour les analyser et travailler sur leurs manques ou leurs failles.

L’expérience acquise depuis la révision constitutionnelle de 2008 démontre la faiblesse chronique des études d’impact : paravents des textes qu’elles accompagnent en annexe, elles sont le plus souvent réalisées à la va-vite sur commande tardive pour permettre au Gouvernement de dire qu’une étude d’impact a été effectuée.

Le cas de la loi relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral en a été l’illustration : urgence et étude d’impact indigente, ce que personne ne conteste sérieusement. À la demande des groupes du RDSE, Les Républicains et CRC, la conférence des présidents a réagi le 26 juin 2014 en constatant – c’était la première fois – « la méconnaissance des règles fixées par la loi organique du 15 avril 2009 », ce qui a obligé le Premier ministre à saisir le Conseil constitutionnel, lequel a balayé la position du Sénat dans une décision lapidaire que je ne commenterai pas ; d’autres viennent de le faire mieux que je ne le pourrais.

Je rappellerai simplement que le projet de loi et l’étude d’impact ont été déposés au Sénat le 18 juin 2014 pour un examen au fond quelques jours après. Cela démontre, s’il en était encore besoin, que ce type d’étude d’impact associé à l’urgence n’a strictement aucun intérêt, et que toutes les arguties pour soutenir le contraire relèvent d’un pur cynisme et d’un profond mépris du travail parlementaire.

Voilà pourquoi nous avons demandé l’inscription à l’ordre du jour de la présente proposition de loi organique. Qui ne dit mot consent, et le devoir du parlementaire, ce n’est pas de passer son temps sur les plateaux de télévision, c’est d’indiquer à l’exécutif, quel qu’il soit, son sentiment sur ses méthodes.

Nous nous sommes entretenus avec le rapporteur. Dans un souci d’efficacité, les membres de mon groupe se sont ralliés aux conclusions de son excellent rapport. Les mesures qu’il propose apporteront un plus à la vie parlementaire et donc à l’élaboration de la loi.

Je m’étonne que le groupe socialiste et républicain piétine ce qu’il avait essayé de faire adopter voilà quelques années. Je vous le dis souvent, mes chers collègues, avec toute l’amitié que j’ai pour vous : vous brûlez toujours ce que vous avez adoré, et vous adorez toujours ce que vous avez brûlé. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacky Deromedi.

Mme Jacky Deromedi. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi organique de Jacques Mézard et plusieurs des membres du groupe du RDSE nous donne l’occasion d’évoquer le rôle du Conseil constitutionnel dans nos institutions.

Le Conseil a gagné ses lettres de noblesse grâce aux décisions qu’il a rendues dans le domaine des libertés publiques. L’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité, la QPC, a conforté sa mission en la matière. Toutefois, il ne faudrait pas oublier que la Constitution lui confie également des attributions particulières en termes de contrôle du bon déroulement de la procédure législative. La récente réforme constitutionnelle de 2008 a complété ces attributions en ce qui concerne la présentation des projets de loi.

La présente proposition de loi organique porte sur cette mission du Conseil constitutionnel. Qu’en est-il aujourd’hui du respect par le Conseil des compétences respectives du pouvoir exécutif et du Parlement ? Y aurait-il dans sa jurisprudence, comme l’affirment certains commentateurs, deux poids, deux mesures en faveur du pouvoir exécutif et au détriment du Parlement ?

L’une des difficultés que rencontre le Conseil constitutionnel est de devoir interpréter des règles constitutionnelles et organiques très générales. Il en donne des interprétations de plus en plus détaillées. Cette situation fait courir un risque : le Conseil pourrait être tenté de rendre des arrêts de règlement.

De fait, sa jurisprudence présente un certain contraste. Dans certains cas, il adopte des interprétations très rigoureuses, très formalistes des procédures légales : la toute récente démission d’office de quatre membres de la Haute Assemblée – elle a fait l’objet de critiques – en est un exemple probant. Dans d’autres situations, il émet une interprétation très souple, dégagée de formalisme, généralement au profit du pouvoir exécutif. Tel est le cas en matière budgétaire, lorsqu’il s’agit d’apprécier la sincérité des évaluations de recettes et de dépenses, ou encore pour les lois d’habilitation, dont les termes sont parfois extrêmement généraux ; le Conseil autorise cette généralité. Ce fut le cas, bien évidemment, dans la décision du 1er juillet 2014 sur les études d’impact qu’a critiquée Jacques Mézard

La loi organique du 15 avril 2009 dispose que les projets de loi doivent faire l’objet d’une étude d’impact et précise les informations que doit contenir chaque étude. L’an dernier, la conférence des présidents du Sénat a estimé que l’étude d’impact jointe au projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral n’était pas conforme à la loi organique précitée. Saisi par le Premier ministre, le Conseil constitutionnel a jugé, le 1er juillet 2014, que cette étude respectait au contraire les conditions fixées par cette loi.

Cette décision a été critiquée en doctrine. M. le rapporteur cite à juste titre le commentaire du professeur Pontier, selon lequel « la solution du Conseil constitutionnel paraît […] inconsistante, parce que l’occasion était donnée au Conseil d’opérer un contrôle de l’exigence d’études d’impact, et qu’il ne l’a pas saisie ». Le professeur Pontier regrette les « approximations » factuelles de l’étude d’impact et l’absence d’étude historique sérieuse, au point que l’étude « donne l’impression d’avoir été faite “à la va-vite”, sans véritable travail de réflexion ». Le contrôle du Conseil Constitutionnel est donc purement formel ; il contraste avec celui du Conseil d’État qui l’a conduit à demander trente-six fois au Gouvernement de compléter des études d’impact.

À la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014, la question qui se pose est de savoir si les études d’impact ont encore un sens. Nul doute que, malgré les insuffisances dont elles souffrent parfois, elles apportent des informations intéressantes et nécessaires au Parlement et l’aident à se prononcer en meilleure connaissance de cause. Il est donc préférable de les maintenir, quelle que soit l’analyse faite par le Conseil constitutionnel.

Je soutiens les mesures adoptées par la commission des lois. Elles imposent des contraintes supplémentaires au Gouvernement : il devra motiver l’utilisation de la procédure accélérée ; il devra joindre l’avis rendu par le Conseil d’État, lorsqu’il aura décidé de le rendre public ; les amendements du Gouvernement tendant à apporter une modification substantielle au texte initial devront faire l’objet d’une étude d’impact. Par ailleurs, la conférence des présidents disposera d’un délai de trente jours – contre dix actuellement – pour saisir le Conseil constitutionnel.

Le groupe Les Républicains soutient totalement les conclusions de la commission des lois, et il remercie son président, Philippe Bas, et son rapporteur, Hugues Portelli, de l’excellent travail qu’ils ont effectué. Nous voterons cette proposition de loi organique, persuadés qu’elle contribuera à renforcer les moyens d’action et d’information du Parlement. (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, « si Alexandre penche la tête, ses courtisans penchent la tête », écrivait Nicolas Malebranche, déjà cité, pour dénoncer le conformisme. Jamais je n’accuserai de conformisme Jacques Mézard et Pierre-Yves Collombat.

Pour m’inscrire dans cette tradition, je m’exprimerai à titre totalement personnel ; mes propos n’engageront en rien le groupe auquel j’appartiens.

J’étais hostile à l’obligation d’adjoindre une étude d’impact aux projets de loi lorsqu’elle fut instaurée. J’y reste défavorable. J’eusse aimé, cher Jacques Mézard, que vous nous eussiez présenté une proposition de loi constitutionnelle pour réformer la Constitution à cet égard. Je veux, madame la secrétaire d'État, m’en expliquer.

Je crois profondément que l’impact de la loi est justement l’objet du débat politique. Faire des choix politiques, c’est engager la conviction que l’on porte en soi pour telle ou telle réforme. Aucune étude d’impact ne peut prédire à l’avance, de manière incontestable et absolue, quel sera l’effet – ou la cause, mon cher Pierre-Yves Collombat, qu’elle soit accidentelle, essentielle ou finale – d’une loi.

Prenons un exemple très simple. Imaginons qu’un projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés, ou OGM, soit déposé. Je suis persuadé que, lors de son examen en séance publique, la première intervention serait une contestation de la validité de l’étude d’impact, car, selon ce que l’on pense du sujet, on estimera que l’étude est bonne ou qu’elle est mauvaise.

Autrement dit, l’étude d'impact obéit à une illusion, y compris d’ordre méthodologique et philosophique : celle de croire qu’il y aurait, sur l’impact de la loi, une vérité qui surplomberait le Gouvernement et le Parlement, la majorité et l’opposition, une vérité qui s’imposerait à tous. Une telle vérité n’existe pas ! Par définition, les études d'impact seront toujours contestées et contestables.

Par conséquent, et non sans une pensée pour les fonctionnaires des différents ministères chargés de ce pensum – vous pourrez bientôt constater, madame la secrétaire d'État, que leur rédaction est un exercice très long et très difficile et que le résultat est toujours jugé insuffisant –, je considère, pour ma part, qu’il faut éviter de se perdre dans des études d'impact et résister à cette idée toute faite qu’elles établiraient la vérité.

Il est préférable que le Gouvernement et le Parlement puissent tout simplement disposer des meilleurs moyens d’expertise et solliciter les experts et les scientifiques qu’ils souhaitent entendre sur un certain nombre de points, de textes, de projets. Cela suppose, naturellement, des moyens et, comme Jacques Mézard l’a dit très justement, une conception du temps législatif qui ne soit pas incompatible avec le débat parlementaire lui-même et avec l’analyse de la loi.

Il faut du temps pour faire de bonnes lois et pour les expertiser, mais ce qu’il faut, c’est que chacun – Parlement et Gouvernement – dispose des capacités d’expertise nécessaires.

Je ne crois donc pas à des études d'impact objectives. Hier soir, nous avons examiné une proposition de loi sur la fin de vie. Que vaut une étude d'impact sur un tel sujet ? Pour ce qui me concerne, je pense que, dans un tel débat, il faut procéder à de nombreuses auditions, entendre de nombreux praticiens, penseurs, scientifiques, analystes… Mais, en tant que parlementaires, il nous revient de nous battre pour la conception qui nous paraît la plus juste, la plus humaine, la plus conforme au droit et à l’intérêt général.

Je le répète, il ne me semble pas qu’une étude d'impact puisse dégager une vérité qui s’imposerait absolument à tout le monde. Il est inévitable que les études d'impact fassent l’objet de critiques, car elles ne peuvent pas répondre à l’objet qu’on leur assigne.

Ne restons pas au milieu du chemin ! Mon cher Pierre-Yves Collombat, vous qui enseignâtes avec tant de talent la philosophie, je veux vous rappeler que Nicolas Malebranche, qui a déjà été cité, disait fort justement : « Les préjugés occupent une partie de l’esprit et en infectent tout le reste. »

M. Pierre-Yves Collombat. Internet est fabuleux…

M. Jean-Pierre Sueur. Puisque nous sommes entre nous, je ne résiste pas au plaisir de vous faire part d’une autre citation de Nicolas Malebranche, qui est restée gravée dans mon esprit, car je la trouve très forte : « il faut toujours rendre justice avant que d’exercer la charité. » (MM. Pierre-Yves Collombat et Philippe Kaltenbach applaudissent.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE TENDANT À MODIFIER LES DISPOSITIONS DE LA LOI ORGANIQUE DU 15 AVRIL 2009 RELATIVES AUX CONDITIONS D’INFORMATION DES ASSEMBLÉES

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi organique visant à supprimer les alinéas 8 à 10 de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014
Article 1er B (nouveau)

Article 1er A (nouveau)

Après l’article 7 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, il est inséré un article 7-1 ainsi rédigé :

« Art. 7-1. – Est joint au projet de loi auquel il se rapporte un document motivant l’engagement de la procédure accélérée lorsque, au plus tard, le Gouvernement décide d’engager cette procédure au dépôt du projet de loi.

« Le précédent alinéa n’est pas applicable aux projets de révision constitutionnelle, aux projets de loi de finances, aux projets de loi de financement de la sécurité sociale ainsi qu’aux projets de loi prorogeant des états de crise. »

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l'article.

M. Pierre-Yves Collombat. Je tiens à intervenir avant que ne débute l’examen des amendements et, d’une certaine manière, de la substance du texte, parce que notre débat me semble assez révélateur de la façon dont fonctionnent nos institutions : le nombre de sénateurs présents dans l’hémicycle cet après-midi est significatif, en dépit des plaintes, en dépit des colonnes que l’on nous demande de remplir ; toutefois, il ne se passe rien !

Qu’est-ce qu’une démocratie qui fonctionne ? C’est une démocratie dans laquelle les changements de majorité se traduisent par des changements de politique sur l’essentiel.

Mme Éliane Assassi. Nous sommes d’accord !

M. Pierre-Yves Collombat. Or nous constatons que nous changeons régulièrement de majorité sans changer de politique sur l’essentiel. Ceux qui s’insurgeaient hier sont aujourd'hui d’accord… Ils auront bientôt l’occasion de s’insurger de nouveau !

Comment voulez-vous que l’on avance dans ces conditions ? Comment voulez-vous que le bon peuple ait confiance dans ses institutions ? Et l’on s’étonne après qu’il n’aille plus voter ou qu’il ait parfois des façons un peu surprenantes de s’exprimer…

De cela, nous avons un très bel exemple aujourd'hui.

De ce point de vue, accuser ceux qui n’ont pas changé de position sur cette question de se livrer à des tactiques politiciennes, c’est se moquer du monde !

M. Pierre-Yves Collombat. Ce sont quasiment les seuls à demeurer constants ! Mais peut-être est-ce un compliment dans la bouche d’experts en la matière…

Bien évidemment, je conçois que l’on puisse discuter de la validité du moyen que nous proposons. Toujours est-il qu’il faut bien, de temps en temps, mettre un peu les pieds dans le plat et dire : « le roi est nu ! »

Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par M. Kaltenbach et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

M. Philippe Kaltenbach. Le présent amendement vise à supprimer une disposition introduite en commission, sur l’initiative de M. le rapporteur

Le texte prévoit désormais qu’il sera demandé au Gouvernement de joindre « au projet de loi auquel il se rapporte un document motivant l'engagement de la procédure accélérée ».

Bien évidemment, je ne remets pas en cause l’utilité de connaître les motivations du Gouvernement et je partage la volonté de M. le rapporteur d’en disposer.

Toutefois, j’ai noté, lors des travaux de la commission, que cette disposition pourrait avoir un effet pervers et être contreproductive. En effet, la mesure ne s’appliquerait que lorsque le Gouvernement décide d’engager la procédure accélérée au dépôt du projet de loi.

Une telle disposition pourrait inciter les gouvernements, qu’ils soient de gauche ou de droite, à recourir systématiquement à la procédure accélérée après le dépôt de leurs textes, puisque, dans ce cas, ils n’auraient plus à motiver leur décision d’y recourir. Tout cela serait de nature à nuire à la visibilité des parlementaires sur leurs travaux.

C’est ce constat qui a motivé le dépôt de cet amendement de suppression.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Hugues Portelli, rapporteur. La commission émet un avis défavorable, pour une raison très simple : de son point de vue, cette disposition n’aura aucun effet pervers.

En effet, demander au Gouvernement de motiver le recours à la procédure accélérée ne limite en rien son pouvoir d’initiative en matière législative, qui demeure total. Cela permet simplement d’éclairer le Parlement. Les conférences des présidents des deux assemblées pouvant s’opposer conjointement à l’engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un texte, autant qu’elles puissent se prononcer en connaissance de cause !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. L’article 1er A ajoute à la loi organique du 15 avril 2009 un article 7-1, qui oblige le Gouvernement à justifier du recours à la procédure accélérée.

Cette obligation pose une difficulté constitutionnelle, car les articles 42 et 45 de la Constitution qui régissent la procédure accélérée ne renvoient pas à une loi organique. Dès lors, le Parlement ne peut pas obliger le Gouvernement à motiver le recours à la procédure accélérée. Les renvois à la loi organique relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution ne peuvent constituer un fondement suffisant.

En outre, nous pouvons redouter, à l’instar de Philippe Kaltenbach, que la nouvelle obligation issue de l’article 1er A n’ait un effet pervers. En effet, elle pourrait avoir pour conséquence d’inciter le Gouvernement à retarder l’annonce de l’engagement de la procédure accélérée après le dépôt du projet de loi. Or il n’est pas dans l’intérêt du Parlement qu’un tel engagement soit différé dans le temps.

Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement de suppression.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Hugues Portelli, rapporteur. Je veux juste apporter une précision, madame la présidente.

L’amendement adopté par la commission et qui est à l’origine de l’article 1er A est fondé non pas sur l’article 45, mais sur l’article 39 de la Constitution, c'est-à-dire sur les conditions de dépôt des projets de loi. Il ne porte donc nullement atteinte à la Constitution.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Étant donné les objections qui nous sont faites dès à présent, j’ai quelques craintes sur le sort qui sera réservé à la demande que nous formulerons ultérieurement – que le Gouvernement motive en droit ses propositions.

Indépendamment de toute argutie juridique, il est élémentaire que le Gouvernement justifie des raisons pour lesquelles il engage la procédure accélérée. À moins qu’il n’ait pas de raison de l’engager… si ce n’est pour faire passer de nombreuses lois dont on puisse parler à la télévision !

Si l’on veut lutter contre l’encombrement législatif, la disposition figurant à l’article 1er A est la meilleure façon de procéder. En outre, une telle motivation est une politesse élémentaire à l’égard du Parlement !

Je trouve assez curieux que de grands chantres de la démocratie refusent ce qui est de bon sens !

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Avec cet article, nous touchons au fond du débat sur le fonctionnement parlementaire. Certes, le sujet ne déchaîne pas l’intérêt des médias. Pourtant, il est fondamental.

Mme la secrétaire d'État nous dit que les dispositions de l’article 1er A ne seraient ni cohérentes ni compatibles avec la Constitution. C’est tout à fait inexact. M. le rapporteur vient de le rappeler. L’amendement qu’il a déposé en vue de l’élaboration du texte de la commission, auquel nous souscrivons totalement, est fondé sur l’article 39 de la Constitution.

Cela étant, je constate que certains peuvent, pendant des années, chanter les louanges de la démocratie parlementaire et appeler à son renforcement et nous dire aujourd'hui que le Gouvernement, quel qu’il soit, doit pouvoir utiliser la procédure accélérée quand il le veut et pour n’importe quel texte, parce que cela arrange sa communication. Ce n’est pas un exemple démocratique.

En tout état de cause, ceux qui s’associent à ce discours se souviendront, dans peu d’années, de ce qui s’est passé aujourd'hui : ils pourront compter sur Pierre-Yves Collombat et sur moi-même pour le leur rappeler... Je ne doute pas que, à ce moment, ils nous applaudiront chaleureusement ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er A.

(L'article 1er A est adopté.)

Article 1er A (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi organique visant à supprimer les alinéas 8 à 10 de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014
Article 1er (Texte non modifié par la commission) (début)

Article 1er B (nouveau)

Après l’article 7 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, il est inséré un article 7-2 ainsi rédigé :

« Art. 7-2. – Est joint au projet de loi auquel il se rapporte l’avis rendu par le Conseil d’État en application du deuxième alinéa de l’article 39 de la Constitution, lorsque le Gouvernement a décidé de le rendre public. » – (Adopté.)

Article 1er B (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi organique visant à supprimer les alinéas 8 à 10 de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014
Article 1er (Texte non modifié par la commission) (fin)

Article 1er

(Non modifié)

Les huitième à dixième alinéas de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution sont supprimés.

Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par M. Kaltenbach et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

M. Philippe Kaltenbach. Avec cet amendement de suppression, nous revenons au cœur du sujet.

En effet, la proposition de loi organique déposée par les membres du groupe du RDSE avait pour seul et unique objet de réduire la liste des précisions demandées dans les études d'impact – l’article unique du texte est, depuis, devenu l’article 1er.

Il nous est ainsi proposé, dans cet article, de supprimer les huitième à dixième alinéas de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, autrement dit, tout d’abord, « l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d’administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue », ensuite, « l’évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l’emploi public », enfin, « les consultations qui ont été menées avant la saisine du Conseil d’État ».

Or les membres du groupe socialiste et républicain considèrent que ces alinéas sont indispensables pour rendre les études d’impact pleinement utiles au Parlement. C'est la raison pour laquelle, par cet amendement, nous proposons en quelque sorte de « supprimer la suppression » voulue par le groupe du RDSE.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Hugues Portelli, rapporteur. La commission a émis un avis très largement défavorable sur cet amendement.

Il a été question, voilà quelques instants, du respect que nous devions tous à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Je rappelle toutefois que nous sommes ici dans une enceinte parlementaire. Or, le Parlement, lorsqu’il a estimé dans le passé – ce qui lui est arrivé assez souvent – qu’il n’était pas d’accord avec la façon dont le Conseil interprétait la Constitution ou une loi organique, ne s’est jamais senti gêné pour modifier la Constitution ou la loi organique, car le pouvoir constituant et le pouvoir législatif organique lui appartiennent en premier et dernier ressorts.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. L’article 1er constitue le cœur de la proposition de loi organique. Il vise en effet à supprimer l’obligation, pour le Gouvernement, de présenter, à l’appui de ses projets de loi, des études d’impact comportant des éléments précis relatifs à l’évaluation des coûts et des bénéfices attendus, aux conséquences sur l’emploi public et aux consultations menées sur le texte.

Cet article a donc pour objet de vider de sa substance l’obligation qui pèse sur le Gouvernement d’éclairer le Parlement de la façon la plus complète possible, tout en maintenant suffisamment de souplesse pour ne pas créer un système basé sur un formalisme inutile.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel, sur laquelle se fondent les auteurs de cette proposition de loi organique pour justifier leur position, paraît conforme à la volonté du constituant, qui a entendu privilégier une approche souple de l’obligation faite au Gouvernement. Ce dernier ne souhaite pas revenir sur le contenu de la loi organique qui constitue une garantie démocratique.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. On nous dit – tout du moins ceux qui sont de bonne foi – que notre diagnostic est bon, mais que nos remèdes sont mauvais. Dès lors, je pose la question : quel autre choix s’offre à nous ? Faire une loi constitutionnelle, me dit M. Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !

M. Pierre-Yves Collombat. Mais qui contrôlera cette loi, sinon le Conseil constitutionnel ? Cela ne changera donc rien ! L’évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l’emploi public, par exemple, est une obligation – que le Gouvernement l’ait inscrite dans le texte concerné ou non !

Vous pourrez avoir la loi constitutionnelle la plus complète possible, avec de nombreuses dispositions concernant l’environnement, la Lune et le Soleil (Sourires.), si le Conseil constitutionnel décide de s’asseoir dessus, si je puis me permettre cette expression, il ne se passera rien du tout !

Par ailleurs – je suis d’accord avec Jean-Pierre Sueur sur ce point –, la vérité ne tombera pas du ciel, mais surgira d’un débat informé. S’il est une solution, c’est de donner au Parlement les moyens d’obtenir ces informations.

Toutefois, pour arriver éventuellement, à l’avenir, à la mise en place d’un tel mécanisme, il faut déjà commencer par faire le vide, par nettoyer la place et par reconnaître que le dispositif actuel n’est pas bon, qu’il s’agit d’un leurre, d’une illusion. Ce n’est qu’en dissipant d’abord les illusions que l’on pourra peut-être espérer un jour arriver à un système qui fonctionne.

Mais les choses vont continuer leur train, dans la mesure où le Gouvernement peut faire exactement ce qu’il veut, le Conseil constitutionnel – par pragmatisme – soutenant tout ce qu’il fait, dit ou veut !

Tout se passe comme si nous étions encore en 1958, au moment où les institutions étaient menacées. Il s’agissait alors de protéger l’exécutif d’un pouvoir législatif envahissant. Comme le disait Alain Peyrefitte à l’époque, la Constitution a été faite pour gouverner sans majorité.

Aujourd’hui, l’exécutif gouverne avec des majorités « en béton » qui suivent ses directives, quoi qu’il se passe ! Se pose donc le problème inverse de celui auquel était confronté le constituant de 1958. Or les exégèses du Conseil constitutionnel sont encore les mêmes que celles de 1958, ce qui est tout de même un peu fort ! C’est de cela que nous sommes en train de mourir ! Il faudra bien que vous le réalisiez un jour !

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Madame la secrétaire d’État, je vois que vous appréciez votre premier contact avec la Haute Assemblée, et je m’en réjouis. (Sourires.)

Mes chers collègues, nous sommes au cœur d’un vrai débat parlementaire, que veulent bien évidemment éluder ceux qui sont aux responsabilités. Et ceux qui se disent qu’ils pourraient y revenir bientôt sont particulièrement prudents, car ils ont bien l’intention, madame la secrétaire d’État, de faire la même chose que ce que vous êtes en train de faire.

M. Philippe Kaltenbach. Voire pire ! (Sourires.)

M. Jacques Mézard. Peut-être, cela dépend.

M. Pierre-Yves Collombat. Ce sera tout de même difficile ! (Nouveaux sourires.)

M. Jacques Mézard. Nous sommes dans le cynisme. Que veut le Gouvernement ? Il souhaite pouvoir continuer à déposer des études d’impact réalisées à la va-vite, n’importe comment. Il est d’ailleurs amusant de constater – je l’ai dit à propos de la fusion des régions – que le Gouvernement fait travailler a posteriori France Stratégie pour connaître les vraies conséquences de la loi après qu’elle est votée. Mais pas avant, surtout pas ! C’est original !

Le Gouvernement veut pouvoir continuer à abuser de la procédure accélérée puisqu’il a été affirmé, au plus haut niveau de l’État, que le Parlement n’allait pas assez vite. Il faudra bientôt que nous votions la loi la veille du dépôt des textes ! Or on nous donne des catalogues que nous devons absorber en quelques jours. Et si ce n’est pas bien fait, on déclare devant l’opinion publique que le Parlement travaille mal, qu’il passe son temps à parler pendant des heures au lieu de voter sans discussion les excellents projets de loi qui lui sont soumis. C’est cela, la démocratie parlementaire ?

Oui, mon cher Philippe Kaltenbach, il s’agit bien de cynisme. Je vous le dis amicalement – d’ailleurs, vous le savez – notre texte reprend un amendement – on relevait des signataires éminents – que votre groupe avait déposé dans cette enceinte même voilà quelques années à peine.

Cela signifie que, une fois le parti auquel vous appartenez au Gouvernement, vous piétinez vos prises de position antérieures. Tant que les choses iront ce train sous le régime de la Ve République, ne vous étonnez pas que ça aille de plus en plus mal !

En 2009, vous disiez au gouvernement Fillon qu’il fallait limiter les études d’impact à tel ou tel aspect – au moins Jean-Pierre Sueur est-il cohérent sur ce point – et, aujourd’hui, vous revendiquez l’inverse. Vous faites le maximum que pour notre texte ne soit pas adopté, parce qu’il vous gêne ! Vous voudriez que j’approuve ce que vous faites ? Bien au contraire, je trouve que c’est très mal ! Non seulement c’est contraire au déroulement normal de l’examen d’un projet de loi devant le Parlement, mais cela permet au Gouvernement de faire ce qu’il veut en s’appuyant sur cette technocratie dont nous subissons les textes et les excès au quotidien.

Vous voulez vider notre proposition de loi organique de son contenu ? Nous l’avions compris. Ce n’est pas la première fois ; nous en avons l’habitude depuis deux ans et demi et cela continuera – je n’ai aucun doute là-dessus. Toujours est-il que ce que vous faites est contraire aux convictions et aux principes dont vous avez, dans le passé, été les premiers défenseurs. Et cela, ce n’est pas bien ! Je vous le dis en face, cela ne vous honore pas !

Monsieur Sueur, vous, vous êtes cohérent. Il faudrait déposer une proposition de loi constitutionnelle ? Mais que ne l’avez-vous fait ? Président de la commission des lois, vous aviez beaucoup de pouvoirs. Vous aviez, bien plus que nous aujourd’hui, les moyens de conforter l’action du Parlement.

À cause de tout cela, chaque jour, dans l’opinion, dans les médias, c’est le procès du parlementarisme, ce qui est dangereux pour la démocratie ! Et par ce que vous faites, monsieur Kaltenbach, vous y contribuez. Je suis aussi là pour vous le dire ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour explication de vote.

M. Philippe Kaltenbach. Dans la mesure où j’ai été mis en cause par Jacques Mézard, je tiens en fait à lui répondre, madame la présidente.

Mon cher collègue, rassurez-vous : si j’avais assez de poids politique pour remettre en cause à moi seul le parlementarisme, cela se saurait ! (Sourires.) Mais c’est loin d’être le cas.

J’en suis d’accord, le dispositif actuel n’est pas parfait. C’est évident ! Est-il inutile pour autant ? Nous ne le pensons pas.

Voilà sept ans, c’est vrai, le groupe socialiste du Sénat défendait d’autres positions. Depuis lors, nous avons pu pratiquer l’étude d’impact, avec ses aspects positifs, mais aussi ses insuffisances. Aujourd’hui, nous jugeons globalement qu’une étude d’impact la plus détaillée possible est utile au travail du Parlement.

Il est normal de pouvoir évoluer dans ses positions, mon cher collègue !

Oui, l’étude d’impact est un plus. Oui, elle pourrait être mieux faite - nous pouvons y travailler ensemble. Bien sûr, nous pourrions avoir une meilleure information, être avertis plus en amont et disposer de plus de moyens ! Le groupe socialiste est d’accord. Mais ce n’est pas à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi d’humeur, qui provoque le débat, que l’on réglera la question au fond.

Le groupe socialiste du Sénat, sur l’initiative de son président, Didier Guillaume, a lancé des consultations pilotées par Gaëtan Gorce, dans le cadre d’une réflexion portant sur une redéfinition du parlementarisme pour le XXIsiècle et un meilleur fonctionnement des institutions, de façon à aboutir à des propositions concrètes.

Nous en sommes tous conscients, il convient de faire évoluer le fonctionnement de nos institutions, qui doivent devenir plus démocratiques, en associant davantage les citoyens et en faisant mieux travailler le Parlement. J’espère que ce travail de réflexion mené par Gaëtan Gorce débouchera sur des conclusions qui nous permettront de débattre dans cet hémicycle.

Quoi qu’il en soit, je le répète, on ne peut pas traiter les dysfonctionnements de la VRépublique à l’occasion d’une proposition de loi qui, je suis désolé de devoir le dire, prend le problème par le petit bout de la lorgnette !

Vous avez en effet mis les pieds dans le plat, monsieur Mézard. Certes, il faut le poursuivre le débat que vous avez ainsi lancé, mais sans saboter pour autant les études d’impact. Il convient de réfléchir ensemble à un meilleur fonctionnement des institutions et du parlementarisme et à une démocratie qui permette de mieux associer les citoyens.

Le groupe socialiste travaille dans ce sens. À la suite des travaux menés par Gaëtan Gorce, nous formulerons des propositions, pour défendre le bicamérisme et le parlementarisme et renforcer notre fonctionnement démocratique.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 2.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 209 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 179
Pour l’adoption 161
Contre 18

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l'article 1er est supprimé.

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Madame la présidente, je sollicite une suspension de séance de dix minutes.

Mme la présidente. Mes chers collègues, la demande étant de droit, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures quinze.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Je voudrais d’abord faire remarquer une chose : nos excellents collègues du groupe socialiste et républicain étaient tellement peu nombreux qu’ils ont dû recourir au scrutin public pour réussir à vider notre texte de sa substance. Quand on donne des leçons sur la présence des sénateurs en séance, quand on se répand sur la nécessité d’assister aux débats en plus grand nombre, il faut, mes chers collègues, essayer de joindre les actes à la parole !

Mme Éliane Assassi. C’est vrai !

M. Philippe Kaltenbach. Nous sommes là, nous !

M. Jacques Mézard. Et nous vous en félicitons ! Cela illustre néanmoins parfaitement la pratique de certaines méthodes, méthodes que vous critiquez d’ailleurs à juste titre, étant tous deux souvent présents en séance.

Pour ce qui nous concerne, nous avons fait plus d’efforts cet après-midi ; c’est bien normal : il s’agit de l’ordre du jour réservé à notre groupe. Mais, de grâce, épargnez-nous à l’avenir vos discours itératifs sur le sujet.

Je souhaitais surtout prendre la parole pour retirer la présente proposition de loi, madame la présidente. Je ne suis aucunement dupe de ce qui se passe. Je le regrette néanmoins ; il s’agit là d’un débat de fond, qui a trait au fonctionnement du Parlement.

J’ai malgré tout été très heureux du travail réalisé par M. le rapporteur, sur le plan juridique, notamment constitutionnel. J’ai apprécié ce qu’il nous a indiqué à propos du rôle du Parlement, de sa capacité à s’exprimer en direction du Conseil constitutionnel.

D’aucuns l’oublient trop : nous passons de plus en plus du gouvernement de la République, traditionnel, au gouvernement des juges, ce qui n’est pas forcément le souhait de nos concitoyens.

Cela étant, continuer la discussion sur un texte privé de son article 1er n’a guère de sens. Le groupe socialiste et républicain aura réussi à contenter le Gouvernement ; c’est d’ailleurs son rôle principal. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Je n’en dirai pas plus, ce serait désobligeant, et je respecte trop l’ensemble de mes collègues sénateurs pour ce faire.

Quant au Gouvernement, il pourra continuer à produire des études d’impacts qui ne servent à rien, dans lesquelles on ne trouve strictement rien, pour des textes sur lesquels il choisit d’engager la procédure accélérée, ce qui lui facilite encore les choses.

Je vous le dis, madame la secrétaire d’État, chers collègues du groupe socialiste et républicain, le jour où vous rejoindrez les travées d’une opposition, je ne manquerai pas, si je suis encore là, de vous rappeler ces excès.

Mme Françoise Laborde. Nous serons là !

M. Jacques Mézard. En tout cas, nous ferons le maximum pour continuer à siéger ici !

M. Philippe Kaltenbach. Nous n’en doutons pas !

M. Jacques Mézard. Je sais que cela ne vous fait pas toujours plaisir, mais nous sommes résistants ; et cela dure depuis 1892, quel que soit le régime ! (Sourires sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.) Ce n’est d’ailleurs pas toujours facile, notamment quand vous êtes au pouvoir, chers collègues socialistes…

Mais j’aurai au moins eu la satisfaction – et c’est déjà beaucoup – de dire ce que j’avais à dire.

Madame la présidente, je retire notre texte, ce qui clôt le débat !

Mme la présidente. La proposition de loi organique visant à supprimer les alinéas 8 à 10 de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014 est donc retirée.

Madame la secrétaire d’État, je salue votre première intervention dans notre hémicycle et vous souhaite une bonne continuation.

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. Je vous remercie, madame la présidente.

Article 1er (Texte non modifié par la commission) (début)
Dossier législatif : proposition de loi organique visant à supprimer les alinéas 8 à 10 de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014
 

8

Dépôt d’un document

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre l’avenant n° 1 à la convention du 17 décembre 2014 entre l’État et BPI-Groupe, action « Fonds national d’innovation », « Partenariats régionaux d’innovation » et « Fonds d’innovation sociale ».

Acte est donné du dépôt de ce document.

Il a été transmis à la commission des finances, à la commission des affaires sociales et à la commission des affaires économiques.

9

Candidatures à un organisme extraparlementaire

Mme la présidente. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au Conseil supérieur de la coopération.

La commission des affaires économiques propose la candidature de M. Jean-Jacques Lasserre, pour siéger comme titulaire, et celle de M. Marc Daunis, pour siéger comme suppléant au sein de cet organisme.

La commission des affaires sociales propose, pour sa part, la candidature de M. Jean-Pierre Godefroy, pour siéger comme titulaire, et celle de Mme Anne Emery-Dumas, pour siéger comme suppléante au sein du même organisme extraparlementaire.

Ces candidatures ont été publiées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

10

Communications du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 18 juin 2015, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel quatre décisions de renvoi de questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :

- les dispositions de l’article 1er de la loi n° 2010-729 du 30 juin 2010 (Produits à base de bisphénol A) (2015-480 QPC) ;

- les dispositions du IV de l’article 1736 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi de finances rectificative pour 2008 (Recouvrement de l’impôt – Infractions commises par les tiers déclarants) (2015-481 QPC) ;

- les dispositions du tableau du a) du A du 1 de l’article 266 nonies du code des douanes (Taxe sur les déchets non dangereux) (2015-482 QPC) ;

- le a) du 3° du II de l’article L. 136 7 du code de la sécurité sociale (Contribution sociale sur les produits de placement) (2015-483 QPC).

Le texte de ces décisions de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de ces communications.

11

Débat sur le thème : « comment donner à la justice administrative les moyens de statuer dans des délais plus rapides ? »

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Comment donner à la justice administrative les moyens de statuer dans des délais plus rapides ? », organisé à la demande du groupe du RDSE.

La parole est à M. Jacques Mézard, au nom du groupe du RDSE.

M. Jacques Mézard, au nom du groupe du RDSE. Je voudrais avant toutes choses remercier vivement Mme la garde des sceaux. Nous savons en effet l’effort qu’elle fait pour être parmi nous ce jour, et nous l’apprécions d’autant plus que tous les ministres ne nous honorent pas souvent de leur présence…

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dans l’ordre du jour réservé à notre groupe, nous avons souhaité aborder la question des délais de jugement devant les juridictions administratives et, par là même, les moyens de les rendre plus rapides. Nous avons le souhait de connaître la position du Gouvernement sur ce qui est devenu un problème.

Tribunaux administratifs, cours administratives d’appel et bien sûr Conseil d’État : c’est le triptyque institutionnel qui constitue la justice administrative de notre pays, de la première instance en passant par l’appel, jusqu’à la cassation.

La justice administrative n’est pas, comme certains voudraient le laisser entendre, une exception française de plus. Il suffit de penser au Conseil d’État belge ou au Consiglio di Stato italien pour s’en convaincre ; il faut dire, et c’est le jour pour se le rappeler, que Napoléon était passé par là ! (Sourires.) Je ne parle même pas de l’Allemagne, qui ne connaît pas moins de cinq ordres juridiques distincts.

La justice administrative n’en est pas moins une caractéristique majeure de notre système juridique. Son organisation, son fonctionnement, son mode de recrutement par le biais de concours spécifiques, la porosité pouvant exister avec le corps préfectoral, notamment, ainsi que son droit d’origine jurisprudentielle la distinguent de l’ordre judiciaire classique, souvent plus familier à nos concitoyens.

Depuis quelques années, cette justice administrative, garante tant du respect des libertés face à la puissance publique – on nous l’a rappelé lors de l’examen du projet de loi relatif au renseignement – que de la protection des prérogatives de cette même puissance publique contre les intérêts particuliers, a vu son contentieux croître sans discontinuer, tandis que ses moyens financiers et humains restaient assez constants.

Ainsi, ce sont environ 200 000 décisions qui sont rendues chaque année dans ces juridictions, pour l’essentiel en première instance. Autant dire que l’engorgement des juridictions administratives est, non pas toujours, mais très souvent, une réalité. À cela s’ajoute, ce qui n’arrange pas les choses, la lenteur due à la multiplication des expertises, lenteur parfois programmée, qui soulève également la question de la qualité desdites expertises.

Si de louables efforts ont été réalisés par les juridictions afin de réduire les délais de jugement et de rajeunir le stock d’affaires pendantes, la situation pose toujours problème.

Je tiens à dire très clairement que ce débat n’a pas pour objet de critiquer les juridictions administratives. Si la durée des procédures, de plus en plus nombreuses et souvent systématiques, bloque le développement de ce pays, la responsabilité en incombe d’abord aux gouvernements successifs et à nous-mêmes, parlementaires.

À force de multiplier les lois, les règlements, les normes, les schémas - prescriptifs, ou non, mais sur lesquels on se fonde pourtant - et les documents d’urbanisme, notre législation est devenue un maquis dans lequel se réfugient tous ceux qui ont un intérêt, le plus souvent personnel, parfois politique – cela peut être dans le meilleur sens du terme, d’ailleurs –, à bloquer un dossier.

Constamment, le pouvoir exécutif et le législateur fabriquent des mines qui explosent à la figure des porteurs de projet. La loi dite « Grenelle de l’environnement », adoptée avec les meilleures intentions du monde, en est l’illustration : les fils des trames vertes et bleues sont en train d’enserrer de multiples initiatives, empêchant ainsi tout mouvement.

De la même manière, ce n’est point la faute des juridictions administratives si nous assistons à une inflation constante du contentieux, depuis les points du permis de conduire jusqu’aux nouveaux droits accordés aux citoyens par la puissance publique elle-même, sur le logement ou la sauvegarde de l’emploi, par exemple.

Quand l’exécutif et le législateur créent de nouvelles sources de contentieux, il paraîtrait judicieux et de bon sens de donner aux juridictions administratives les moyens suffisants pour y répondre dans des délais acceptables. Le contentieux administratif doit en effet permettre de résoudre des conflits et non de les créer, de donner à l’administration les moyens de faire retomber la pression par l’usure du temps, même si ce n’est pas non plus la meilleure solution.

Ce n’est pas davantage la responsabilité des juridictions administratives si gouvernements et législateur s’ingénient à créer une kyrielle d’organismes divers, autorités administratives indépendantes – nous nous en occupons dans une commission d’enquête dédiée –, commissions ou autres comités ayant qualité pour prendre des décisions susceptibles de recours, voire de prononcer des sanctions. Hier, lors de son audition par la commission d’enquête que je viens d’évoquer, et dont je suis le rapporteur, le président de l’Autorité de la concurrence nous indiquait avoir infligé 1 milliard d’euros d’amendes. Quelle juridiction pourrait se prévaloir d’un tel succès, madame la garde des sceaux ?

Tous ces organismes s’infiltrent par leurs décisions dans le processus juridictionnel. Cela complique encore le cheminement des dossiers et allonge considérablement la durée des procédures. On peut citer à l’appui de notre propos l’exemple de l’urbanisme commercial, avec ses commissions départementales et sa commission nationale. Certains membres de cette dernière instance, et parmi les plus éminents, reconnaissent d’ailleurs que, lorsqu’il y aura des SCOT partout, leur utilité sera moins évidente...

Il faut ajouter à cela le processus du traitement des dossiers par les juridictions administratives et le contentieux du permis de construire. Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir certains dossiers de contentieux d’urbanisme, pour ne citer que ce domaine, s’étaler sur huit à dix ans.

Madame la garde des sceaux, vous êtes une ministre d’importance, dans le bon sens du terme. Le Gouvernement veut réformer, faire voter des lois dans tous les domaines. Ces réformes sont-elles simplificatrices ? C’est parfois le cas. Le plus souvent, cependant, elles viennent compliquer davantage encore le fonctionnement de nos institutions. Plus vous créez d’autorités administratives indépendantes, de hauts conseils – formule à la mode – ou autres comités Théodule, plus la situation devient compliquée et source de contentieux.

Il n’est guère de projet important pour une collectivité locale, pour une entreprise, pour l’État, qui ne suscite de recours, soit en vertu du principe du « NIMBY » – pas chez moi, mais chez le voisin, c’est toujours mieux ! –, soit pour préserver un intérêt strictement personnel ou corporatiste. Cela peut être aussi la déclinaison d’une idéologie.

Résultat ? Quand il faut trois ou quatre ans dans les pays voisins pour juger tous les recours, il faut souvent le double en France. Cela a des conséquences catastrophiques pour le développement économique de notre pays, pour la vie de nos territoires, pour la modernisation de nos équipements, pour l’emploi.

Dans une démocratie, il est naturel, il est juste que tout citoyen puisse exercer une voie de recours contre une décision lui portant grief ou que toute association justifiant d’un intérêt à agir puisse faire valoir ses droits. Il ne pourrait y avoir d’entrave à l’exercice de ce droit fondamental.

Dans une démocratie, il est aussi naturel, aussi juste que ceux qui exercent des recours abusifs, qualifiés comme tels par les juridictions, soient sanctionnés financièrement et parfois pénalement, comme cela a pu être le cas contre les auteurs de recours frauduleux s’agissant des permis de construire à Marseille.

Dans une conjoncture économique difficile, et durablement difficile, la durée de nos procédures constitue un handicap pour le pays. Il convient de mettre un terme à cette situation. Il s’agit non pas de faire obstacle aux recours, mais de pouvoir prendre des décisions plus rapides, quel que soit leur sens. Et quand les décisions sont rendues, madame la garde des sceaux, il est important que l’État fasse le nécessaire pour qu’elles soient appliquées dans les meilleurs délais, et non en fonction de la plus ou moins grande capacité des opposants à mobiliser les médias ou les équilibres politiques ! Quoi de pire pour un pays démocratique que de ne point avoir la capacité de faire exécuter les décisions de justice ?

Lors de l’examen du projet de loi Macron, un débat s’est instauré sur la fixation d’un délai maximum pour que les juridictions administratives statuent sur certains dossiers. Le ministre de l’économie a répondu en indiquant qu’une mission parlementaire pourrait travailler sur ce thème – il me semble d’ailleurs le lui avoir susurré…C’est une des pistes de réflexion. Cependant, madame la garde des sceaux, ce débat a pour objet d’attirer de nouveau l’attention du Gouvernement sur ces questions d’une cardinale importance.

Face à une situation qui suscite tant de difficultés pour notre pays en période de crise économique, quelles sont les réponses du Gouvernement ? Il importe non pas d’agir à tort et à travers, mais de rendre des décisions justes et rapidement. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que, pour reprendre les termes du Conseil d’État dans son arrêt Magiera de 2002, les « principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives » posent l’exigence du délai raisonnable de jugement.

Malgré une diminution sensible, et appréciable, visant à une meilleure prise en compte de ce principe, le délai moyen constaté pour les affaires ordinaires, c’est-à-dire hors référés, procédures d’urgence, ordonnances et affaires dont le jugement doit intervenir dans des délais particuliers, s’établissait devant les tribunaux administratifs en 2013 à un an, dix mois et deux jours. Il s’agit du délai le plus évocateur, puisque ces tribunaux traitent l’essentiel du contentieux administratif.

En effet, la justice administrative, en soumettant la puissance publique au droit, est l’une des principales garanties d’un État de droit digne de ce nom. Or, lorsqu’une décision intervient aussi longtemps après l’acte administratif litigieux, sa portée effective s’en voit diminuée.

Certes, depuis la loi du 30 juin 2000, des procédures de référé efficaces qui permettent au juge administratif de se prononcer en temps utile ont été mises en place. Toutefois, elles ne concernent que certains contentieux et s’inscrivent par nature dans le provisoire, les ordonnances de référé étant dépourvues de l’autorité de la chose jugée. Bien que l’efficacité de ces procédures mérite d’être saluée, je m’intéresserai donc ici uniquement au juge administratif en tant que juge du fond.

La préoccupation de célérité de la justice administrative a suscité des réformes récentes, concernant notamment les contentieux dits « de masse », parmi lesquelles le recours élargi à un juge unique ; la possibilité élargie de statuer par ordonnance, à juge unique, sans conclusions du rapporteur public et sans audience, notamment pour des requêtes mal étayées ou relevant d’une série ; la possibilité de dispenser le rapporteur public de prononcer ses conclusions devant les tribunaux administratifs et cours administratives d’appel ; la suppression de l’appel pour certains contentieux.

Compte tenu de l’augmentation du flux contentieux et des moyens finis dont dispose la collectivité, le principe de réalité justifie de tels aménagements.

Il convient cependant d’être prudent : la logique gestionnaire ne doit pas l’emporter sur les valeurs et les spécificités de la justice. Le contentieux de masse ne doit pas être synonyme de justice à la chaîne. De telles réformes conduisent, en effet, à priver le justiciable de certaines garanties, comme l’examen collégial, le prononcé public des conclusions qui offrent une analyse développée du litige, le possible réexamen en appel par des juges plus expérimentés ou encore l’audience publique.

Compte tenu des litiges concernés, ces réformes risquent fort de se faire au détriment des justiciables les plus fragiles, d’autant que leurs effets tendent à se conjuguer, puisqu’elles concernent essentiellement les mêmes contentieux. L’extension de telles procédures ne me semble donc pas souhaitable, et l’évaluation de leur incidence sur la qualité des jugements apparaît nécessaire.

À l’égard de ces aménagements, je rejoins les préoccupations de Mme Elsa Costa, juge administratif, qui, dans un article au titre évocateur, Des chiffres sans les lettres, publié à l’AJDA en octobre 2010, s’inquiète des conséquences de telles réformes sur la qualité de la justice administrative et l’application de la logique de performance au travail des juridictions.

Intervenir en amont, par l’élargissement des recours administratifs préalables obligatoires, nous semble être une voie intéressante. Elle offre à l’administration une possibilité de revoir sa position. C’est une solution peu coûteuse pour le justiciable, qui ne le lie aucunement quant aux moyens qu’il développera au cours d’un éventuel recours contentieux. Il nous semblerait donc opportun d’engager une réflexion sur l’extension des matières où est exigé un recours administratif préalable.

Toutefois, chers collègues, le principal levier pour accélérer les délais de traitement du contentieux est bien évidemment l’octroi de moyens supplémentaires, notamment en personnel.

En tendance longue, le nombre de recours augmente fortement, 20 000 au début des années soixante-dix contre environ 200 000 aujourd’hui. Des efforts ont été consentis en termes de recrutement, qu’il s’agisse d’agents ou de magistrats, de nouvelles juridictions ont été créées, mais ce mouvement ne suit que difficilement l’augmentation du flux contentieux. Le recrutement d’assistants de justice, au demeurant mal rémunérés et sans possibilités d’évolution, ne saurait être une solution viable dans la mesure où ces personnels ne disposent d’aucune garantie d’indépendance et n’ont évidemment pas vocation à se substituer aux magistrats.

Il semble ainsi nécessaire d’intensifier l’effort de recrutement de magistrats, notamment dans le corps des conseillers des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel, corps qui traite l’essentiel du contentieux, puisque le Conseil d’État n’a plus que des compétences limitées en première instance, et est désormais essentiellement un juge de cassation. En ce sens, augmenter le nombre de personnes recrutées à l’occasion du concours annuel dédié, qui est le mode principal de recrutement du corps, serait de nature à apporter une solution pérenne à l’encombrement du prétoire du juge administratif.

Il n’est en effet pas possible d’augmenter indéfiniment la productivité des magistrats sans remettre en cause la logique de la justice, à savoir l’examen dépassionné, impartial et collégial d’un litige.

Nous sommes conscients du cadre budgétaire contraint qui est le nôtre. Il faut toutefois rappeler que la France accorde à sa justice un budget moindre que ses partenaires, et ce qu’il s’agisse de l’ordre administratif ou de l’ordre judiciaire, d’ailleurs : 61 euros par an et par habitant en 2012, contre 89 euros en Belgique, 114 euros en Allemagne et 125 euros aux Pays-Bas.

L’État de droit n’est pas qu’un coût, c’est avant tout la condition de notre liberté. La justice administrative étant l’une des garanties essentielles de cette construction, il importe de ne pas sacrifier ce qui fait son office même à une logique purement comptable et quantitative occultant les valeurs de justice et de démocratie.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le débat inscrit à l’ordre du jour par le groupe du RDSE aujourd’hui nous amène à nous interroger sur la question de la justice administrative, de ses moyens et de son efficacité. Vaste programme qui mériterait sans doute plus qu’un débat ! Je vis cependant tenter d’apporter quelques réflexions dans le temps qui m’est imparti.

La maîtrise des délais de jugement, alliée au maintien de la qualité des décisions rendues, demeure la préoccupation majeure de la juridiction administrative, bien que l’objectif de ramener à un an les délais de jugement devant le Conseil d’État, les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs, fixé par la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, ait été pour la première fois atteint en 2011seulement. Cependant, ces résultats demeurent fragiles.

La poursuite de la montée en puissance des contentieux de masse – droit au logement opposable, DALO, revenu de solidarité active, RSA, ou droit des étrangers – qui ont respectivement crû de 44 %, de 77 % et de 25 % entre 2010 et 2013 – ils continuent d’ailleurs à augmenter – ont contribué à alimenter l’engagement du contentieux dans les juridictions administratives.

Face à cette progression du contentieux administratif, force est de constater que la juridiction manque de moyens pour statuer dans des délais plus rapides. Alors que les gains de productivité dus notamment à l’informatisation des procédures ont atteint leur limite, d’autres solutions doivent être discutées.

Lors de son audition au Sénat par la commission des lois en octobre 2012, Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, avait bien exposé la situation : « Nous avons épuisé les mesures de simplification envisageables. Se pose à présent la question de la réduction des contentieux. »

Le préalable incontournable ici réside bien évidemment dans l’accroissement des moyens humains et budgétaires alloués à la juridiction. Un rapport du Sénat notait déjà en 1991 que « l’administration ne dispose pas toujours des moyens de sa politique contentieuse ».

La juridiction administrative représente un petit corps du ministère de la justice : les 1 133 magistrats pourraient être augmentés de quelques dizaines de recrues. À cet égard, nous resterons attentifs à la création annoncée de trente-cinq emplois en 2015, ce qui reste malgré tout très faible.

Cependant, aujourd’hui, alors que les marges de manœuvre budgétaires sont limitées, se pose la question des outils procéduraux ou organisationnels qui peuvent être mis en place pour éviter la dégradation de la situation de la juridiction administrative.

À ce titre, les procédures de règlement alternatif des litiges, par exemple les « recours administratifs préalables obligatoires », apparaissent comme de bons moyens de résorption du contentieux.

Pourtant, instaurées en 2000, soit il y a déjà quinze ans, les commissions de recours administratifs préalables obligatoires n’ont jamais été mises en place, la loi du 30 juin 2000 censée renouveler profondément les procédures d’urgence devant le juge administratif n’ayant, elle-même, jamais été appliquée, à l’exception des recours formés par les militaires.

Le Conseil d’État a rendu dans le courant de l’année 2008, à la demande du Premier ministre, un rapport destiné à envisager les possibilités de développement de ces recours préalables. Ses réserves viennent confirmer les difficultés qu’éprouve depuis toujours le droit public français à concevoir la nature et la fonction juridiques exactes des recours exercés par les particuliers devant les autorités administratives.

Pourtant, de plus en plus, les citoyens saisissent la justice administrative, comme en témoigne la montée en puissance des contentieux de masse. Par exemple, dans mon département, la délivrance de cartes de stationnement pour personnes en situation de handicap a entraîné en une seule année plus de 150 recours.

Ces recours exercés par les justiciables seuls, sans avocats, sont, hélas, souvent « mal ficelés » et contribuent à l’engorgement des tribunaux administratifs.

Or, dans deux tiers des cas, il est de l’intérêt du justiciable que ces contentieux se règlent à l’amiable, sans passer par le tribunal administratif.

Dans ce contexte, nous défendons l’idée de la création des commissions de médiation. D’ailleurs, certains dispositifs existent déjà, mais ne sont pas toujours mis en application. À l’instar de la gestion du contentieux du RSA, la médiation entre le département et la caisse d’allocations familiales devrait être systématisée. J’ai moi-même mis en place, dans le Val-de-Marne, une médiation pour résoudre en amont des contentieux entre nos concitoyens et notre administration départementale.

Bien entendu, ces recours amiables ne doivent en aucun cas empêcher les justiciables de poursuivre au contentieux si la solution ne les satisfait pas.

Dès lors, cet outil procédural apparaît potentiellement efficace pour réduire les délais de la justice administrative, désengorger les tribunaux et, surtout, donner une réponse effective aux justiciables.

En parallèle, l’idée d’un outil organisationnel peut être avancée pour mieux répartir les charges de travail entre les tribunaux administratifs. Car le problème n’est pas tant que tous les tribunaux administratifs soient engorgés, mais que certains d’entre eux le sont réellement – je pense à celui de Montreuil –, quand d’autres connaissent une activité moindre – celui de Clermont-Ferrand, par exemple.

Se pose ainsi la question d’une forme de péréquation des moyens humains, avec la mise en place d’un système de « magistrats volants » dans une zone géographique donnée. Des remplacements ponctuels pourraient ainsi être mis en place, tout en assurant, en parallèle, des garanties pour les magistrats, notamment à travers une souplesse accrue en matière de détachement, par exemple.

Il est important de souligner que ces outils procéduraux ou organisationnels ne doivent être mis en œuvre ni au détriment des magistrats ni au détriment des justiciables.

L’efficacité de la justice administrative, comme celle de la justice judiciaire, d’ailleurs, ne réside pas uniquement dans la diminution des contentieux ou dans la réduction des délais. Il s’agit là de moyens pour parvenir finalement à rendre une justice « profitable » aux citoyens.

En ce sens, il faut faire preuve d’une extrême vigilance quant à la tendance à expédier les dossiers. La réforme du droit d’asile en cours d’examen au Parlement en est l’illustration parfaite : la multiplication des procédures accélérées souhaitée par le Gouvernement se fera malheureusement, nous le savons, au détriment des demandeurs d’asile.

La demande tacite de passer de moins en moins de temps sur les dossiers en première instance sous prétexte que le recours se chargera de l’étude approfondie, n’est pas acceptable, pas plus que les rejets par ordonnance, de plus en plus fréquents, avant que la requête ne soit jugée irrecevable. L’évacuation des dossiers pour satisfaire à des statistiques ne peut évidemment devenir la règle. Je vous rappelle, à cet égard, que l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que tout citoyen a droit à un « procès équitable ».

S’il est nécessaire de réduire les délais de traitement, cela doit se faire avec l’objectif d’améliorer la qualité de la décision et, bien entendu, dans le strict respect des droits des justiciables. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.- M. François Bonhomme applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi de m’inscrire dans la suite logique de l’excellente présentation du président Mézard et d’insister plus particulièrement sur certains points qu’il m’apparaît important d’aborder.

En effet, les délais de jugement administratifs ne sont pas qu’une question théorique destinée à satisfaire la curiosité intellectuelle des spécialistes de droit public, dont les compétences reconnues sont par ailleurs respectées. C’est une préoccupation éminemment concrète pour nos concitoyens et pour nos élus, qui se trouvent parfois confrontés à des situations locales délicates, voire dramatiques, sans être nécessairement bien armés pour faire face à leur dimension technico-juridique. Parfois, des enjeux propres aux territoires, notamment des enjeux de développement économique, ne peuvent supporter des délais de jugement excessivement longs.

Bien qu’elles soient amenées à statuer sur des affaires qui engagent des projets aux retombées potentiellement importantes en termes d’aménagement, d’activité et d’attractivité, les juridictions administratives peuvent apparaître relativement éloignées de ces préoccupations, déjà occupées comme elles le sont, il est vrai, par d’autres sujets réputés plus urgents.

Les retards pris dans le jugement d’affaires à caractère économique ou industriel peuvent avoir des conséquences bien réelles et lourdes pour des régions entières lorsqu’elles conduisent à différer de plusieurs années, voire de faire échouer, à force d’usure et de découragement, qui, un projet de nouvelle infrastructure, qui, un projet d’aménagement commercial, qui, la création d’activités agricoles ou industrielles…

Trop d’entrepreneurs et de maires ont renoncé à mener à bien des projets à cause d’une procédure administrative trop longue, donc coûteuse en temps et en moyens financiers ! Ce n’est un secret pour personne, les lenteurs administratives peuvent parfois être utilisées dans une intention dilatoire, afin de faire échouer des projets pourtant utiles aux habitants, notamment dans les territoires ruraux et enclavés.

Faut-il que les habitants de tel ou tel département ou commune renoncent aux bienfaits d’une société et d’une économie avancées à cause d’une lenteur excessive, par manque de moyens de la justice administrative ?

Loin de moi l’idée de souhaiter la disparition de l’escargot breton, du scarabée pique-prune, du crapaud sonneur à ventre jaune ou de tel ou tel oiseau rare. (Sourires.) Mais enfin, il faut savoir raison garder ! Savez-vous que, pour réaliser la déviation de Figeac, dans le Lot, il a fallu installer des clôtures permettant aux fameux crapauds sonneurs à ventre jaune de quitter le chantier sans pouvoir y revenir ?

M. Pierre-Yves Collombat. Avec ou sans casque ? (Sourires.)

M. Jean-Claude Requier. Coût pour le conseil général ? Près de 100 000 euros ! (Exclamations.)

Chers collègues, sur ces sujets, gardons-nous des émotions excessives. Regardons plutôt avec discernement les situations concrètes sur le terrain afin de déterminer où réside le véritable intérêt des populations. Ne soyons pas complaisants, mais ne soyons pas suspicieux non plus. Posons simplement les questions dans les bons termes.

Ainsi, la justice administrative est compétente dans le jugement de projets d’aménagement importants, tels que le Center Parcs de l’Isère. Cette affaire oppose les acteurs économiques chargés de la réalisation du projet de parc de loisirs, avec un certain nombre de retombées attendues en termes d’activité, d’emploi et d’attractivité, à des groupes de défense de l’environnement qui considèrent ce projet au contraire comme un repoussoir néfaste pour le territoire, son écosystème, et donc in fine pour son attractivité.

Cela nous amène à une question de fond : la véritable attractivité réside-t-elle dans une nature revenue à l’état sauvage ou bien dans les aménagements réalisés par l’homme ?

On voit bien le lien avec le juge administratif et le rôle que ce dernier doit jouer dans ce domaine. Cependant, a-t-il en la matière les capacités matérielles et les outils juridiques pour statuer dans des délais raisonnables ? Ne faudrait-il pas revoir certaines procédures et en permettre l’accélération ?

Nous le voyons, madame la ministre, mes chers collègues, ici non plus, l’enjeu n’est pas mince. Il s’agit, au fond, de savoir ce que nous voulons pour le futur de nos territoires et comment nous envisageons leur développement. Le juge administratif, dans ce domaine, a un grand rôle à jouer. En a-t-il la pleine conscience ? En a-t-il les moyens ? Saura-t-il instaurer un dialogue constructif avec les élus, à la fois pour les accompagner, en amont, en matière juridique et pour rendre des décisions qui correspondent aux réalités du territoire ?

C’est au politique et au législateur qu’il appartient de faire évoluer les choses. C’est pourquoi, madame la garde des sceaux, nous attendons de connaître votre appréciation et les éventuels remèdes envisagés par l’exécutif. Si nous déplorons le trop grand nombre de procédures accélérées au Parlement, madame la ministre, nous vous demandons, en revanche, d’accélérer les procédures devant les tribunaux administratifs ! (Sourires et applaudissements.)

M. Jacques Mézard. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « Ce qui, à l’heure actuelle, déconcerte le plaideur et déconsidère la justice, c’est la lenteur. Il y a une lenteur nécessaire pour que le procès soit sérieux, mais il y a aussi une lenteur abusive ». Tel était déjà le constat dressé par le professeur Jean Rivero, voilà plus de vingt-cinq ans.

La question des délais de jugement n’est donc pas neuve. L’accroissement de la capacité de jugement des juridictions administratives reste l’un des objectifs affichés dans le rapport de notre confrère Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial de la mission « Conseil et contrôle de l’État » de la loi de finances pour 2015.

L’enveloppe budgétaire de cette mission a crû cette année de moins de 1 % par rapport à 2014, mais le programme « Conseil d’État et autres juridictions administratives » a vu ses crédits progresser de 2,2 %, pour se porter à 383,3 millions d’euros.

Si l’objectif principal de ce programme en matière de performance est bien la réduction des délais de jugement, pourtant, aux yeux de beaucoup, la justice administrative reste compliquée et, en tout cas, bien trop lente.

Cette réduction des délais de jugement est encouragée par la Cour européenne des droits de l’homme, qui exige « un délai raisonnable de jugement ». Ce principe a d'ailleurs été repris par le législateur dans la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice ; l’objectif était alors de ramener ce délai à un an maximum.

Cet objectif peut être considéré comme atteint, en 2014, avec un délai moyen de huit mois et quinze jours devant le Conseil d’État, de six mois et dix jours devant la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, de onze mois devant les cours administratives d’appel, et de dix mois devant les tribunaux administratifs.

Pour 2015, des délais moyens de dix mois sont envisagés tant pour les tribunaux administratifs que pour les cours administratives d’appel, ce qui correspondrait à une stabilisation pour les premiers et à une diminution d’un mois pour les secondes.

Certes, des efforts ont été faits en matière de renforcement des moyens humains, avec la création, en 2015, de trente-cinq emplois supplémentaires, principalement en faveur des tribunaux administratifs, avec quatorze postes de magistrats administratifs, et à destination de la CNDA. C’est un bon début !

Cette maîtrise globale des délais est une ambition d’autant plus nécessaire que l’on observe une augmentation du nombre d’affaires enregistrées devant toutes les juridictions administratives. Cette progression s’est établie, pour les seuls tribunaux administratifs, à 15,6 % au premier semestre 2014.

De même, la charge de travail du Conseil d’État a augmenté avec le traitement des questions prioritaires de constitutionnalité.

Bien évidemment, comme les autres juridictions, les juridictions administratives ont été, surtout ces dernières années, victimes d’un engorgement en raison de la judiciarisation de notre société, qui conduit à une multiplication du nombre de litiges portés devant les tribunaux. Il y a donc une forte pression contentieuse qui fragilise les juridictions.

Par ailleurs, parce que cet indicateur de délai de dix mois agrège la totalité des affaires en stock, il ne reflète pas la réalité. Cette présentation est donc quelque peu biaisée. En effet, ces dix mois correspondent à une moyenne entre des contentieux très disparates.

Certains contentieux administratifs sont contraints par des délais très brefs, comme les référés ou le contentieux électoral.

À ce sujet, madame la ministre, si nous n’avions pas eu un redécoupage des cantons aussi baroque et, pour tout dire, un peu incohérent, il est vraisemblable que cela n’aurait pas nourri un contentieux d’une si grande ampleur en 2014. Je le dis d’autant plus facilement, madame la ministre, que vous n’y êtes pas pour grand-chose, puisque ce génial découpage provenait du ministre de l’intérieur. Ma foi, il a produit un résultat assez remarquable, en tout cas sur le plan électoral…

D’autres, contentieux administratifs, portant sur des questions très sensibles et pourtant ordinaires qui intéressent nos concitoyens et les élus, tels l’urbanisme, le tracé des lignes à grande vitesse, les déclarations d’utilité publique, les travaux publics et les permis de construire, sont traités bien plus lentement que la moyenne affichée ne le laisse supposer.

Quel projet n’a pas été compromis par la lenteur des procédures ? Il en va de même pour les dossiers relevant du contentieux fiscal. C’est cette réalité que dénoncent régulièrement nos concitoyens.

Or, force est de le constater, particulièrement en matière de droit de l’urbanisme, un grand nombre de recours abusifs, voire malveillants, sont recensés, qui font obstacle à l’exécution des travaux et alourdissent le travail des juridictions.

De fait, l’introduction d’un recours contentieux suffit, dans la généralité des cas, à bloquer des projets, alors même que rien dans le code de l’urbanisme ne confère un caractère suspensif aux recours. Cette situation trouve sa source notamment dans le refus des financeurs de s’engager sur un projet tant qu’il n’est pas purgé de tout contentieux. C’est même devenu, pour certains, une stratégie de blocage à part entière.

Or, lorsqu’un recours est déposé, il faut bien souvent attendre dix-huit mois pour obtenir un avis. On voit bien que tout cela n’est pas favorable aux projets de nature économique.

À la suite du rapport remis en 2013 à la ministre du logement par M. Daniel Labetoulle, une ordonnance de juillet 2013 apporte des solutions intéressantes contre ces recours abusifs. Elle encadre l’intérêt du requérant à agir dans le temps et dans l’espace, et permet surtout au juge de condamner le requérant de mauvaise foi à verser des dommages et intérêts au bénéficiaire d’un permis de construire s’il estime que celui-ci a subi un préjudice excessif.

Pour réduire les délais de traitement du contentieux, l’ordonnance prévoit qu’un porteur de projet d’urbanisme pourra désormais régulariser son permis de construire en cours d’instance. C’est une amélioration importante.

Ces procédures de simplification contentieuse ont permis à la juridiction administrative de faire face à l’augmentation du contentieux et de réduire quelque peu ses délais de jugement.

Pour autant, il semble que le nombre de recours n’ait pas faibli et, aujourd’hui, les professionnels de l’immobilier estiment qu’ils bloquent la création de près de 35 000 logements sociaux. Tout le monde y perd, qu’il s’agisse de l’impact direct sur le secteur de la construction et de l’impact indirect sur l’emploi.

La question centrale ne tient-elle pas à la complexité de notre droit, à la qualité déclinante de son écriture, qui offre toujours matière à recours ?

Qu’en est-il, madame la ministre, du permis environnemental, qui pourrait contribuer à réduire le nombre des autorisations exigibles et, de ce fait, les possibilités de contentieux ?

De manière générale, ne convient-il pas de redéfinir la fonction et l’objet même du procès administratif, et le considérer non pas seulement comme un procès fait à un acte, mais selon une conception plus triangulaire, où l’intérêt propre du requérant serait examiné ?

Enfin, les requérants seraient sans doute moins nombreux si les risques liés à l’introduction de leurs recours étaient plus prégnants. Il y a là un point d’équilibre qui me semble avoir été parfois perdu de vue, et il n’est pas sûr que l’État de droit en soit le grand gagnant. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je vous prie d’excuser l’absence de Jacqueline Gourault, qui m’a demandé de vous délivrer son message.

Derrière ce véritable sujet de dissertation, qu’il aurait été intéressant de soumettre directement à nos étudiants, parfois plus pragmatiques et sans doute plus imaginatifs, se cache un problème qui n’est pas nouveau, mais qui, en effet, mérite que l’on s’y attarde.

La lenteur de notre justice est un enjeu d’autant plus important que le nombre d’affaires explose, comme l’atteste le dernier rapport du Conseil d’État, du 21 mai dernier : on observe une hausse du nombre de recours de 2,8 % devant les tribunaux administratifs, de 3,2 % devant les cours administratives d’appel, mais, surtout, de 26,8 % devant le Conseil d’État.

Oui, c’est un problème lorsque le droit et la morale nous imposent de garantir à tous un procès équitable. Et oui, c’est un problème quand il s’agit de garantir la confiance de nos concitoyens envers la justice et, par extension, envers notre système républicain et démocratique.

La justice administrative ne fait pas exception et apparaît comme une priorité, tant elle traite du quotidien des Français et de leurs relations avec les administrations et avec l’État.

Le vice-président du Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé, lors de son audition au Sénat par la commission des lois, en octobre 2012, avait considéré que « nous avons épuisé les mesures de simplification envisageables ». Pour autant, ne nous résignons pas !

En effet, face à ce phénomène, plusieurs leviers s’offrent encore à nous.

Premier levier, il faut améliorer en interne le délai de traitement de chaque affaire, notamment en accompagnant davantage l’introduction des nouvelles technologies au sein de nos juridictions administratives.

Deuxième levier, sûrement le plus important, il faut faire baisser le nombre de recours pour offrir plus de temps de traitement à chaque affaire. Cette dernière option nécessite une révision globale de notre modèle économique et social.

L’instillation du juge unique, qui représente non plus une exception mais le modèle dominant, du moins en première instance, a été une première réponse à ces enjeux. Face à l’explosion du contentieux administratif, ce recours croissant au juge unique répond directement à la volonté de désencombrer le prétoire des juges administratifs.

D’autres moyens existent pour désengorger les juridictions, comme les nouvelles technologies. Encore faut-il les utiliser !

Le recours aux outils informatiques s’est bien entendu généralisé au sein des juridictions, qui sont aujourd’hui en train d’adopter la dématérialisation des procédures juridictionnelles, permettant d’éviter le maniement du papier et accélérant l’instruction des affaires.

Télérecours, l’application informatique qui permet de gérer la communication dématérialisée des requêtes, des mémoires et des actes de procédure entre les juridictions administratives et les parties, est en effet une avancée majeure. Introduit dans un décret du 21 décembre 2012, ce service est ouvert à l’ensemble des juridictions de France métropolitaine et est accessible à tous les avocats et à toutes les administrations pour l’ensemble des contentieux, quels que soient leur objet et le type de la procédure.

Néanmoins, le travail est encore long, et de nombreuses et nécessaires mesures n’ont pas été prises pour accompagner au mieux la généralisation de ce dispositif.

D’abord, les justiciables sans conseil n’ont pas encore accès à cette application. Ils devraient pouvoir y accéder.

Ensuite, l’utilisation du dispositif par les professionnels n’est pas obligatoire et les formations sont inadaptées. Il nous faut déterminer un calendrier pour que cet usage devienne rapidement obligatoire, et ce dans les meilleures conditions.

Enfin, se pose la question de l’archivage électronique. Il n’a tout simplement pas été prévu !

Vous l’aurez compris, le groupe UDI-UC porte l’ambition d’un « système judiciaire 2.0 », dans lequel serait introduit un mécanisme généralisé de signature électronique, qui garantit, lui aussi, un traitement rapide des dossiers et surtout des économies certaines pour nos juridictions.

Je vois un autre levier pour désengorger notre justice administrative dans la simplification des liens entre l’administration et les administrés afin de réduire les recours. L’illisibilité et la complexité de notre système économique et social sont responsables aujourd’hui des délais de traitement des affaires.

Dans le cadre du débat sur l’application des lois qui se tenait la semaine dernière, l’intervenant du groupe UDI-UC appelait à se poser la question de l’utilité de la loi et des conséquences de chacune des dispositions sur le terrain.

Le constat est ici sans appel : la complexité de notre modèle social et économique a aujourd’hui ouvert des brèches dans lesquels certains s’engouffrent qui freinent considérablement l’efficacité de notre justice.

Ainsi, de nombreuses dispositions ont fait – inutilement, avouons-le ! – exploser le nombre de recours. C’est d’abord le cas du droit opposable au logement, le DALO, introduit en France par la loi du 5 mars 2007, à l’origine de près de 100 000 recours en 2014, dont une grande partie devant le juge administratif. L’année dernière, cette tendance à l’augmentation s’est plus spécialement concentrée sur certains contentieux en première instance. Par exemple, les contentieux sociaux ont bondi de 22 %, du fait d’une hausse de 31 % du contentieux du DALO et de 26,5 % du contentieux du RSA.

Les raisons de cette hausse sont limpides : on laisse parfois croire aux Français que la justice réglera leurs problèmes, et on continue de voter des textes législatifs souvent imprécis qui deviennent autant de nids à contentieux.

J’insiste, la réduction des délais de traitement des affaires doit être considérée comme une priorité, à l’heure où la confiance des Français en notre système démocratique se délite. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’engorgement des juridictions administratives françaises est un phénomène ancien et, malgré des efforts pour l’endiguer, notre pays s’est vu condamné par la Cour européenne des droits de l’homme à de nombreuses reprises sur le fondement du nécessaire caractère raisonnable de la durée de la procédure.

Depuis une vingtaine d’années, le nombre d’affaires enregistrées a augmenté en moyenne de 6 % par an dans les tribunaux administratifs et de 10 % dans les cours administratives d’appel, atteignant en 2014 un niveau exceptionnellement élevé.

Cette hausse s’est particulièrement concentrée sur certains contentieux de masse, tels que ceux qui ont trait au droit au logement opposable, au revenu de solidarité active ou encore aux étrangers. Ce phénomène s’est observé partout sur le territoire, y compris en outre-mer. Vous ne m’en voudrez donc pas si je m’appesantis un instant sur la situation au sein de mon département.

En 2014, on comptait à Mayotte 800 contentieux, ce qui peut sembler dérisoire au regard des moyennes nationales, mais représente tout de même une augmentation de 20 % par rapport à l’année précédente.

Je ne vous étonnerai pas si je vous annonce que plus d’un tiers des dossiers traités par le tribunal administratif de Mayotte concerne les droits de personnes étrangères. Ce département est, vous le savez, soumis à une insoutenable pression migratoire. Un autre tiers des requêtes est relatif à la fonction publique. Enfin, un dernier tiers, et c’est relativement nouveau, porte sur les contentieux fiscaux, de permis de construire, de marchés publics et électoraux.

Le délai moyen de jugement est de sept à huit mois. Là encore, si nous semblons faire office de bon élève, il faut garder en tête que ce chiffre a vocation à augmenter, le recours au juge administratif étant assez récent à Mayotte

De manière générale, les causes de cette lenteur excessive en France sont connues : elles proviennent à la fois de la prolifération et de l’enchevêtrement des lois, de l’accroissement du contentieux en raison notamment d’une plus forte judiciarisation des relations ente le public et les administrations, de la complexification de la procédure, ou encore du comportement dilatoire de certaines parties, qui jouent sur la longueur des délais.

Les juridictions administratives sont parvenues jusqu’à présent, grâce aux efforts budgétaires consentis et à la forte mobilisation des magistrats et des personnels, à maintenir leurs performances à un niveau satisfaisant, et à réduire de manière significative les délais de jugement et le stock des affaires pendantes, et ce malgré la pression contentieuse à laquelle elles doivent faire face.

Cependant, en raison du contexte économique actuel, force est de constater que les marges de manœuvre budgétaires sont limitées.

Nous sommes réunis ici pour examiner les différents outils organisationnels et procéduraux qui ont été mis en œuvre, et ceux qui pourront l’être pour éviter la dégradation de la situation.

Face à l’accroissement de la demande de justice, les juridictions administratives ont cherché à adapter leur mode de fonctionnement et à améliorer leur accessibilité. La dématérialisation de l’instruction, telle que l’application Télérecours, qui permet aux parties et aux juridictions d’échanger par voie électronique, a suscité un réel gain d’efficacité. Dans les tribunaux administratifs, Télérecours est utilisée pour 56,2 % des recours éligibles et pour 63,4 % dans les cours administratives d’appel. La question de rendre obligatoire l’usage de cette application est clairement posée, mais il y a un certain nombre de préalables, notamment techniques, qui doivent faire l’objet de vérifications, selon Jean-Marc Sauvé.

Nul doute que cette technique connaîtra, lorsqu’elle y sera développée, un franc succès en outre-mer, où la distance constitue bien souvent une cause de lenteur supplémentaire. Les tribunaux administratifs de Saint-Denis de La Réunion et de Mayotte ont d’ailleurs ouvert la voie en l’adoptant depuis le 8 juin dernier.

Des moyens procéduraux pour réduire les délais contentieux ont également montré leur efficacité à court terme.

Je pense notamment à la multiplication des hypothèses de recours au juge unique, au lieu de la formation collégiale, réservées aux matières caractérisées par leur facilité, ou encore aux procédures enserrées dans des délais extrêmement contraints, comme c’est le cas en droit des étrangers où le juge administratif statue dans les 72 heures sur la légalité des mesures d’éloignement.

J’ai également en tête la compétence donnée aux tribunaux administratifs en premier et dernier ressort pour les contentieux sociaux, le contentieux du permis de conduire et pour les affaires concernant les permis de construire dans la trentaine d’agglomérations où les besoins en logement sont les plus forts.

Il a été également jugé important de lutter contre les recours abusifs, qui prolifèrent particulièrement en matière d’urbanisme.

Recours abusifs ? Cette sémantique cache plusieurs cas de figure : celui où un recours initialement introduit pour des raisons compréhensibles est, par la suite, mis en œuvre avec une forme d’acharnement qui ralentit la procédure ; celui où l’apparence d’un intérêt pour agir dissimule mal une véritable volonté de nuire ; enfin, le recours qui est introduit non pas pour obtenir l’annulation du permis de construire, mais pour permettre d’en monnayer le retrait auprès de son titulaire.

Au final, on estime à 25 000 le nombre de logements qui ne peuvent pas sortir de terre chaque année à cause de ces pratiques.

En 2013, le groupe de travail présidé par Daniel Labetoulle s’est notamment penché sur la problématique de ces recours malveillants et a présenté, dans un rapport intitulé Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre », plusieurs propositions pour y mettre un terme, telles que la possibilité pour le juge administratif de fixer une date au-delà de laquelle des moyens nouveaux ne pourraient plus être invoqués devant lui.

Par ailleurs, à l’occasion de l’examen au Sénat du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, présenté par Emmanuel Macron, la discussion qui s’était engagée en séance autour d’un article visant à encadrer le droit de recours en matière d’installations d’élevage montrait que nous nous trouvions face à un véritable sujet, qui dépassait le champ de la construction.

Les mesures mises en place en matière d’urbanisme sont-elles transposables à d’autres matières ?

Pour conclure, l’ensemble de ces procédures de simplification contentieuse a permis à la juridiction administrative de faire face à l’augmentation du contentieux et de réduire ses délais de jugement.

Néanmoins, Michel Delebarre, dans son rapport pour avis sur les deux programmes de la mission « Conseil et contrôle de l’État » craint que le levier budgétaire ne soit pas suffisant pour préserver ces bonnes performances et que les réformes procédurales entreprises n’aient, à terme, un impact sur la qualité de la justice rendue. Compte tenu de l’entrée en vigueur récente de ces mesures, il ne lui a pas été possible de réaliser un bilan de l’application de ces dispositions. Le taux d’annulation des décisions rendues par le juge administratif n’ayant pas connu d’augmentation notable pourrait constituer un indice positif.

Dans une allocution prononcée lors de la réunion annuelle des présidents des juridictions administratives, M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, soutenait l’idée que d’autres leviers d’efficacité et de qualité, encore insuffisamment exploités, pouvaient être actionnés. Le développement des modes alternatifs de règlement des litiges afin de canaliser en amont les flux d’entrées constitue, selon lui, une piste d’évolution intéressante. Le projet de loi Justice du XXIsiècle comportera-t-il des dispositions en ce sens ?

En tout état de cause, la modernisation de la juridiction administrative est nécessairement liée à des exigences démocratiques. Pour juger vite, il faut s’en donner les moyens. Toute la difficulté est alors de trouver l’équilibre entre la qualité de la justice administrative et l’amélioration de la rapidité de la juridiction administrative, afin que la seconde élément n’exclue pas la première.

Mes chers collègues, le débat est ouvert. Les interventions des uns et des autres montrent l’immensité du chantier et les difficultés qui y sont attachées. Il nous appartient d’y donner une suite, faute de quoi ce débat n’aurait servi à rien. Notre commission des lois serait dans son rôle si elle décidait de s’atteler à ce dossier et de prendre des initiatives. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier notre collègue Jacques Mézard et le groupe du RDSE de nous avoir donné l’occasion d’un débat sur ce sujet, qui est très important dans la vie concrète de nos concitoyens et pour l’ensemble de nos institutions.

Cette question est ancienne et des initiatives ont déjà été prises. Tout d’abord, la loi du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, qui donne au juge administratif le pouvoir d’adresser des injonctions aux administrations. Ensuite, la loi du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, qui instaure une procédure pour les cas d’urgence. Enfin, le décret du 24 juin 2003, d’ailleurs quelque peu critiqué, qui autorise le président du tribunal administratif à statuer en qualité de juge unique dans un certain nombre de circonstances.

Cette question reste toutefois pleinement d’actualité puisque chacun sait que la croissance du contentieux administratif est une tendance structurelle. Selon Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, depuis vingt ans, le nombre d’affaires enregistrées augmente chaque année en moyenne de 6 % dans les tribunaux administratifs, ou TA, et de 10 % dans les cours administratives d’appel, ou CAA. En 2014, le nombre d’affaires nouvelles a atteint un niveau exceptionnellement élevé, qui a représenté une augmentation de 11,3 % pour les tribunaux administratifs et de 30,8 % pour le Conseil d'État.

Néanmoins, il faut aussi souligner les efforts accomplis. Le délai prévisible moyen de jugement est ainsi inférieur à un an, alors qu’il a été beaucoup plus élevé par le passé. En 2014, il était de dix mois et un jour devant les TA, de onze mois et un jour devant les CAA et de huit mois au Conseil d'État. La part des affaires datant de plus de deux ans dans le stock a par ailleurs diminué, pour passer, en 2014, sous 11 % dans les TA, 3 % dans les CAA et 4,5 % au Conseil d'État.

Que faire pour améliorer les choses ? Plusieurs de nos collègues, comme Thani Mohamed Soilihi à l’instant, ont présenté un certain nombre de pistes de réflexion. À mon tour, je veux en citer six.

En premier lieu, l’application Télérecours, dont a aussi parlé Thani Mohamed Soilihi, permet aux parties et aux juridictions d’échanger par voie électronique ; elle est en vigueur, mais il convient de la consolider et d’étendre le recours à cette procédure. En effet, au moment où l’on réfléchit à la justice du XXIsiècle, madame le garde des sceaux, on ne comprendrait pas que l’on n’utilise pas pleinement les facultés offertes par l’informatique.

En deuxième lieu, les nouvelles rédactions expérimentées au Conseil d'État pour certaines décisions se sont révélées probantes ; elles sont d’ailleurs aussi mises en œuvre dans certains TA et certaines CAA. Il s’agit d’une procédure de nature à simplifier les choses et à rendre plus claires les décisions de justice, ce qui est demandé par beaucoup de nos concitoyens.

En troisième lieu, je veux mentionner la procédure de cristallisation des moyens, qui permettrait de décourager les recours abusifs. Il s’agirait d’éviter que les auteurs d’un recours n’invoquent en cours de procédure de nouveaux moyens pour retarder la décision de justice.

En quatrième lieu, dans le cas de recours abusifs, la possibilité donnée à la victime du recours de formuler une demande reconventionnelle à caractère indemnitaire devant le juge pourrait constituer une arme dissuasive et efficace ; je ne sais pas si cela vous paraît réaliste, madame la ministre. Dans ce cas, ce serait la victime, et non l’État, qui percevrait les sommes versées au titre de l’amende.

En cinquième lieu – on en parle souvent, mais pourquoi ne pas le mentionner dans le débat qui nous occupe ? –, les procédures de conciliation et de médiation doivent être développées, car elles permettent d’éviter un certain nombre de contentieux. Je sais, madame la ministre, que vous y êtes attachée.

Enfin, en sixième lieu, il est nécessaire de développer, de généraliser le recours administratif préalable, pour en faire une habitude chez nos concitoyens. En effet, beaucoup d’entre eux ne savent pas qu’avant que de saisir le tribunal administratif on peut évidemment introduire un recours gracieux devant l’autorité qui a pris telle décision ou rédigé tel acte. Si cela était connu, un certain nombre de recours contentieux pourraient être évités. Il faut donc organiser une meilleure communication sur cette possibilité auprès des justiciables.

Madame la ministre, j’emploierai les vingt secondes qui me restent pour rendre hommage aux magistrats et à l’ensemble du personnel des tribunaux administratifs, des cours administratives d’appel et du Conseil d'État. Nous sommes en effet souvent témoins de l’ampleur de leur tâche et de la conscience professionnelle qu’ils mettent à l’assumer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, avec votre autorisation, je souhaite faire le choix de la proximité en m’exprimant du banc des ministres plutôt que de la tribune. (Sourires et assentiment.)

Je veux d’abord remercier M. Jacques Mézard de cette initiative ; vous avez eu raison de la saluer, monsieur Sueur. Comme vous l’avez dit vous-même, monsieur le sénateur, la justice administrative est mal connue en tant qu’ordre de juridiction ; pourtant, c’est paradoxal, elle est bien connue de nos concitoyens, qui savent en général saisir les juridictions administratives, notamment de première instance.

Je ne vais pas dresser un nouveau tableau de la justice administrative ; cela serait superflu puisque vos interventions ont montré à quel point vous connaissez le sujet et combien vous avez préparé ce débat. Toutefois, vous avez dû observer comme moi que les chiffres mentionnés peuvent diverger d’un orateur à l’autre. Je m’autorise donc à vous livrer les miens,…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … parce que je prétends qu’ils ont une probabilité d’exactitude légèrement supérieure. (Nouveaux sourires.) Dans la mesure où je prends la parole après vous, je me propose de répondre individuellement aux interrogations que j’ai relevées dans vos interventions.

M. Jacques Mézard, que j’ai remercié au début de mon propos, n’a évidemment pas pu s’empêcher de déplorer la création d’autorités administratives indépendantes. (Mêmes mouvements.)

Je lui rappelle néanmoins que le Gouvernement a supprimé certaines de ces AAI. Il en a certes créé aussi, et encore récemment, dans le cadre du projet de loi relatif au renseignement. Je sais d’ailleurs à quel point cela vous a agacé, monsieur le sénateur, vous l’avez dit explicitement. Cela étant, depuis trois ans, le Gouvernement s’est fixé comme règle de réduire le nombre d’agences ou d’autorités administratives indépendantes. Nous avons donc plutôt orienté notre action en ce sens, dans le cadre de la modernisation de l’action publique, ce qui peut objectivement être vérifié : nous le mesurons régulièrement.

Je veux également vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, parce que vous avez quasiment tous rendu hommage aux personnels des juridictions administratives, que ce soient les tribunaux administratifs, les cours administratives d’appel ou le Conseil d'État lui-même. Le travail fourni par les magistrats, les greffiers, les assistants de justice et les assistants du contentieux est en effet de très grande qualité ; il me semble donc juste de leur rendre hommage.

Si nous considérons les données chiffrées, on peut effectivement constater, d’une part, avec M. Sueur, qu’il y a eu de réels progrès en matière de délais – cela peut se mesurer objectivement et j’y reviendrai quand j’aborderai l’évolution sur une dizaine d’années – mais on peut aussi observer, d’autre part, avec M. Mézard, un accroissement du contentieux. Celui-ci peut être engendré tant par le législateur lui-même que par le mouvement de « judiciarisation » de la société, souligné par M. Kern ; les citoyens appellent en effet de plus en plus à leur secours la justice, souvent judiciaire mais aussi administrative. Le champ contentieux s’est ainsi élargi, le recours au juge administratif s’est développé, et, malgré les efforts incontestables des magistrats et des greffiers, une surcharge pèse aujourd’hui sur les juridictions administratives.

En 2004, le délai moyen de traitement d’une affaire devant la justice administrative était de trois ans. Aujourd'hui, comme vous l’avez rappelé, monsieur Sueur, le délai moyen est bien de huit mois devant le Conseil d'État, de onze mois devant les cours administratives d’appel, de dix mois devant les tribunaux administratifs et de six mois devant la Cour nationale du droit d’asile. L’amélioration est donc absolument incontestable, même s’il est vrai que le contentieux est devenu plus massif.

Par ailleurs, des contentieux particuliers pèsent aussi sur les juridictions administratives. Ainsi, le droit des étrangers représente 31 % des affaires traitées. M. Soilihi le mentionnait spécifiquement pour Mayotte, mais telle est la moyenne nationale, dans laquelle Mayotte prend bien sûr sa part. Le contentieux du droit opposable au logement, cité par M. Kern, a crû de 44 %, quand le contentieux social sur le revenu de solidarité active, vous le disiez, monsieur Favier, a augmenté de 77 % entre 2010 et 2013, ce qui est considérable.

Tout cela pèse donc ! Il y a ainsi eu 240 000 requêtes devant la juridiction administrative en 2014, ce qui est très important. Sur les vingt dernières années, le nombre de requêtes présentées a augmenté en moyenne annuelle de 6 % devant les tribunaux administratifs et de 10 % devant les cours administratives d’appel !

Les délais de jugement se sont donc améliorés, grâce au travail des personnels – magistrats et greffiers –, mais les volumes croissent : en 2014, ils ont augmenté, par rapport à 2013, de 30,8 % devant le Conseil d'État, de 3,4 % devant les cours administratives d’appel et de 11,3 % devant les tribunaux administratifs.

J’ai évoqué les contentieux massifs, mais on se rend aussi compte que, qualitativement, les interventions des juridictions administratives sont de plus en plus diversifiées, en raison de l’initiative du législateur, bien sûr. Quelques affaires très médiatisées nous rappellent ainsi la variété des sujets traités. Dans la lutte contre l’antisémitisme, par exemple, on se souvient d’une affaire particulièrement emblématique l’année dernière.

En ce qui concerne la dignité de la fin de vie, s’agissant d’une affaire qui est dans tous les esprits, il est bon, reconnaissons-le, que le juge prenne son temps, non pas trop de temps, mais le temps nécessaire à la réflexion.

En effet, il est des sujets qui concernent profondément la société, qui sont extrêmement sensibles, sur lesquels il n’y a pas de réponse arithmétique, binaire.

Ces affaires, qui nous interrogent tous, qui nous interpellent tous, chargent le juge d’une mission très lourde. Il est donc bon qu’il prenne le temps d’un examen approfondi.

Enfin, il y a bien d’autres contentieux, notamment sur le travail dominical ou les taxis, à propos desquels la justice administrative est saisie.

J’en viens plus précisément à vos interventions et à vos interrogations.

Monsieur Mézard, vous avez parlé de délais pouvant aller jusqu’à huit ou dix ans en matière d’urbanisme. Je ne doute pas que vous ayez eu à connaître d’affaires ayant nécessité de tels délais absolument insupportables pour tout le monde, mais je puis vous dire que la moyenne des délais en matière de contentieux d’urbanisme est beaucoup plus rassurante, puisqu’elle est de un an et cinq mois, d’après les chiffres fournis par les différents échelons de la justice administrative. Bien évidemment, il s’agit d’une moyenne, ce qui n’exclut pas que quelques affaires aient pu effectivement durer huit ou dix ans.

En la matière, vous le savez, nous devons composer avec l’ordonnance de juillet 2013 et le décret d’octobre 2013, qui a réparti les contentieux, notamment pour les logements ayant une surface supérieure à 1 500 mètres carrés dans les zones où il y a une tension entre l’offre et la demande de logements. En l’espèce, c’est le tribunal administratif qui juge en premier et dernier ressort, sous le contrôle du Conseil d’État, juge de cassation. Cette disposition vise à réduire les délais de jugement.

Par ailleurs, force est de constater non seulement une réduction des délais, mais également une amélioration incontestable de la qualité des jugements. Un élément chiffré corrobore ce constat : en dix ans, sur 125 affaires enregistrées au Conseil d’État pour absence de délai raisonnable dans une procédure devant le juge administratif, seule une soixantaine ont donné lieu à condamnation, ce qui est toujours trop non seulement pour les victimes, mais également pour les autres parties, mais vraiment peu au regard du nombre d’affaires qui sont soumises à la justice administrative chaque année.

Madame Aïchi, vous avez rappelé, à bon droit, d’ailleurs, que la justice administrative soumettait la puissance publique au respect du droit. Il s’agit d’une mission extrêmement importante, qui répond au besoin de limiter tous les pouvoirs.

À cet égard, M. Mézard a cité quelques pays qui connaissent également une structure administrative comparable à la nôtre, mais je dois dire que, au Royaume-Uni, notre justice administrative est une véritable curiosité : les missions du Conseil d’État sont un mystère absolument insondable pour nos voisins d’outre-Manche. (Rires.)

Monsieur Favier, je vous remercie de votre engagement en faveur de la médiation. Nous avons là une voie alternative qui permet de construire une réponse dans le domaine administratif. En matière judiciaire, nous connaissons déjà ce type de procédures, qui ouvrent un véritable espace de dialogue pour que les parties construisent ensemble la réponse au différend qui les oppose. Dans le cadre de notre projet de loi Justice du XXIsiècle, réforme que nous allons présenter en conseil des ministres le mois prochain et au Parlement dès la rentrée, nous entendons développer la voie de la médiation en matière administrative, ce qui devrait être une autre source d’amélioration.

Vous vous êtes également interrogé sur la façon de réduire les délais et de faire en sorte que les personnes qui ne sont pas représentées à l’audience aient tout de même accès aux débats. À ce sujet, je vous informe que nous nous efforçons de développer la procédure orale, notamment avec le décret du 13 août 2013, et nous allons continuer à travailler sur ces aspects.

Monsieur Requier, j’avoue que je ne m’attendais pas à entendre parler des crapauds à ventre jaune dans un débat sur la justice administrative… (Sourires.) Cela montre surtout que nous avons pris des initiatives pour améliorer le droit de l’environnement, même si ce n’est pas ce que demandent les crapauds !… (Nouveaux sourires.)

Nous allons également introduire le préjudice écologique,…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … mais je bataille depuis des mois pour obtenir une date dans l’agenda parlementaire, très chargé. Si nous n’y arrivons pas par le biais d’un projet de loi, je suis disposée à passer par une proposition de loi, après vous avoir transmis l’étude d’impact et les dispositions déjà rédigées.

En effet, la Haute Assemblée a déjà adopté à l’unanimité la proposition de loi de M. Retailleau, dont nous étions convenus, à l’époque, qu’elle était incomplète, inachevée.

À la suite de cet épisode, j’avais moi-même mis en place un groupe de travail, qui a remis son rapport deux mois après. Je m’étais engagée à enrichir le texte et à vous le soumettre. Ce projet de loi est prêt, mais il y a juste un problème d’agenda parlementaire. Aussi, je le répète, je suis prête à vous donner et le texte et l’étude d’impact, pour que nous puissions avancer sur le préjudice écologique, qu’il est temps de faire entrer dans le code civil.

Monsieur Bonhomme, vous avez évoqué la judiciarisation de la société, en rappelant que les moyennes que nous évoquons recouvraient des réalités très disparates.

Vous avez précisé qu’un surcroît de contentieux était dû au découpage, mais je ne suis pas sûre que ce soit le cas. Je dirais plutôt que du contentieux a été produit pour obtenir ce que certains n’avaient pu obtenir dans l’hémicycle. Je ne dis pas cela pour remettre en cause des procédures judiciaires, car elles existent pour être utilisées. Il s’agit d’une pratique tout à fait légitime, mais il faut savoir qu’il y a eu une saisine massive du Conseil d’État à cette occasion, ce qui prouve bien, comme le vice-président de cette juridiction me l’a expliqué, qu’il s’agissait d’une action politico-judiciaire.

Je le répète, c’est tout à fait légitime, mais, pour autant, on ne peut pas dire que c’est le découpage en lui-même qui a produit du contentieux.

Il se trouve juste que des parlementaires ont choisi de porter au-delà de l’hémicycle le débat sur le découpage, ce qui a produit du contentieux. Ce phénomène n’a pas vraiment fait le bonheur du Conseil d’État, qui a néanmoins examiné les recours avec rigueur et scrupuleusement, comme il le fait pour tous les contentieux.

M. Éric Doligé. Très, très scrupuleusement !...

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. N’est-ce pas, monsieur le sénateur ? (Sourires.) Je transmettrai vos compliments, sans faire état de la tonalité qui l’accompagnait…

M. Éric Doligé. Je vous remercie, madame la garde des sceaux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Kern, vous avez évoqué la dématérialisation, comme MM. Favier, Mézard et Sueur.

L’application Télérecours a été expérimentée et généralisée depuis 2013. Elle est arrivée dans les outre-mer de l’océan Indien et sera disponible à la rentrée dans les outre-mer des Amériques.

Cette procédure est très utilisée. Vous avez donné des chiffres pour Mayotte, monsieur Soilihi, qui sont représentatifs de ce qui se passe ailleurs : 60 % pour les tribunaux administratifs et 90 % pour le Conseil d’État.

Cet outil dématérialisé est donc maintenant entré dans la panoplie des justiciables, qui s’en sont emparés et se sont familiarisés avec l’application.

La seule question qui se pose aujourd’hui est de savoir si nous allons rendre obligatoire cet outil pour l’ensemble des contentieux et des procédures. Un groupe de travail s’est penché sur la question et remettra son rapport à la fin du mois de juillet. Nous évaluerons alors la pertinence de cette généralisation, mais, compte tenu de l’usage qui est fait de l’application aujourd’hui, il n’y a pas d’obstacle important à envisager ce développement.

D’une manière générale, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais faire étudier le compte rendu de cette séance, afin de tirer le bénéfice de toutes vos observations et de toutes les suggestions que vous avez formulées pour améliorer le fonctionnement de la justice administrative. Bien entendu, ce travail sera mené de concert avec nos juridictions.

J’ai évoqué les dispositions relatives au contentieux de l’urbanisme qui sont contenues dans l’ordonnance et le décret de 2013. Je dois également mentionner la loi du 16 février 2015 et le décret du 27 février 2015, qui ont réformé le Tribunal des conflits. Cette réforme permet de traiter de manière plus rapide, plus souple et plus massive, aussi, les questions préjudicielles, et donc la répartition des contentieux entre les deux ordres de juridiction.

Enfin, plusieurs d’entre vous ont évoqué l’élargissement des compétences du juge unique. Le souci de réduire les délais, d’accélérer les procédures et de répondre le plus vite possible aux requêtes ne doit pas jouer au détriment des droits des justiciables. Vous l’avez dit vous-mêmes, nous devons améliorer le fonctionnement de la justice administrative, mais sans pour autant sacrifier les justiciables.

Par exemple, un certain nombre des dispositions du décret du 13 août 2013, qui reprennent des propositions et des réflexions émanant de l’ordre administratif lui-même, sont aujourd’hui mises en œuvre et méritent à ce titre d’être évaluées pour s’assurer que le justiciable n’est pas pénalisé et que le plus vulnérable n’est pas exclu du fait de la suppression de la procédure d’appel et de l’intervention plus large et plus fréquente du juge unique. D’ailleurs, pour certains contentieux, nous avons, à l’inverse, rétabli le jugement par une formation collégiale.

Je vous ai déjà parlé de la médiation. Nous allons également développer l’action de groupe, dans le cadre de la réforme de la justice du XXIsiècle. Le développement de l’action de groupe est de nature à améliorer la situation, puisque nous avons vu que, parmi les contentieux massifs, certains, de nature sérielle, peuvent faire l’objet d’un traitement de ce type. Or l’action de groupe est une procédure très démocratique et très protectrice des justiciables, notamment des plus vulnérables. La réforme de la justice du XXIsiècle comportera donc des dispositions relatives à l’action de groupe.

Mesdames, messieurs les sénateurs, mon intervention a été un peu hachée, mais je tenais à répondre à chacun d’entre vous, plutôt que de dresser un tableau d’ensemble d’une justice administrative que vous connaissez déjà fort bien. Je vous remercie d’avoir contribué à cette réflexion, d’être toujours aussi exigeants à l’égard de cette justice moins visible, mais néanmoins efficace, qui mobilise des personnels de grande qualité et très dévoués.

Cette justice devra nous prouver qu’elle est à la hauteur des nouvelles missions que nous lui confions, puisque, comme le rappelait M. Mézard, le projet de loi relatif au renseignement la charge de la protection des citoyens, tâche d’une importance et d’une exigence extrêmes, qui sera sans doute parfois délicate à assumer. Nous avons veillé à ce que les magistrats soient habilités « secret défense » et à ce qu’ils puissent statuer dans ces contentieux en toute indépendance et souverainement. Ces mesures étaient nécessaires pour rassurer nos concitoyens sur la capacité de la puissance publique à garantir leur sécurité, mais aussi son attachement à la préservation des libertés individuelles.

Mille mercis, mesdames, messieurs les sénateurs, pour ce débat de grande qualité que j’ai écouté avec attention et qui enrichira encore nos réflexions et nos initiatives pour améliorer le fonctionnement de la justice administrative. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste, du RDSE et de l’UDI-UC.)

Mme la présidente. Madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à vous remercier pour la qualité de vos interventions.

Nous en avons fini avec le débat sur le thème « Comment donner à la justice administrative les moyens de statuer dans des délais plus rapides ? ».

12

Communication du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. Par lettre en date du 18 juin 2015, M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué à M. le président du Sénat une décision rendue le même jour, par laquelle le Conseil constitutionnel a rejeté une requête concernant les opérations électorales auxquelles il a été procédé, le 28 septembre 2014, pour l’élection de deux sénateurs dans le département de l’Aveyron.

Acte est donné de cette communication.

13

Nomination de membres d’un organisme extraparlementaire

Mme la présidente. La commission des affaires économiques et la commission des affaires sociales ont proposé des candidatures pour le Conseil supérieur de la coopération.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame MM. Jean-Jacques Lasserre et Jean-Pierre Godefroy membres titulaires de cet organisme extraparlementaire, ainsi que M. Marc Daunis et Mme Anne Emery-Dumas, membres suppléants.

Mes chers collègues, avant de passer à la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt heures quinze.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

14

 
Dossier législatif : projet de loi modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer
Article 3

Octroi de mer

Adoption des conclusions d’une commission mixte paritaire

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer (texte de la commission n° 516, rapport n° 515).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Éric Doligé, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici enfin parvenus au terme de l’examen du projet de loi modifiant la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer.

La commission mixte paritaire, qui s’est réunie jeudi dernier, est parvenue à un accord. Sur les sept articles restant en discussion, six ont été adoptés par la commission mixte paritaire dans la rédaction de l’Assemblée nationale et un a fait l’objet d’une modification rédactionnelle.

Je rappelle que, compte tenu des délais dans lesquels ce texte devait être adopté, le régime de l’octroi de mer actuel arrivant à expiration le 30 juin 2015, le Gouvernement avait engagé la procédure accélérée.

Dans sa version initiale, le présent projet de loi comportait trente-sept articles. En première lecture, le Sénat en a modifié vingt et un, supprimé un et introduit deux nouveaux.

Prenant acte du travail réalisé par notre assemblée et de la nécessité d’adopter ce texte dans les meilleurs délais afin d’éviter tout vide juridique, la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale avait adopté sans modification le présent projet de loi au cours de sa réunion du 27 mai 2015.

Au cours de sa séance du 1er juin 2015, l’Assemblée nationale a toutefois adopté neuf amendements. Les députés ont tout d’abord modifié six articles afin d’en préciser la rédaction. L’Assemblée nationale a en outre adopté trois autres amendements, dont deux méritent d’être plus précisément présentés.

À l’article 6, nos collègues députés ont adopté un amendement du Gouvernement visant à élargir le champ des productions pour lesquelles le droit commun s’appliquera dans le cadre des échanges entre la Guyane et le marché unique antillais. Le Sénat avait adopté un amendement du Gouvernement tendant à exclure de l’application des règles dérogatoires du marché antillo-guyanais huit positions tarifaires, dont la référence 4818 10. Les députés ont inclus dans cette liste trois positions tarifaires supplémentaires : 4818 2091, 4818 2099 et 4818 9010. Si les élus guyanais demandaient initialement l’inscription de l’ensemble de la position 4818, le texte ainsi modifié satisfait toutes les parties, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.

À l’article 7, l’Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement visant à préciser que les exonérations de certaines importations doivent être accordées par position tarifaire. Cette précision permettra de rassurer certains acteurs économiques, qui craignaient des exonérations trop larges.

L’Assemblée nationale a enfin précisé, à l’article 6, la mission de la commission tripartite créée par un amendement du Gouvernement adopté au Sénat.

Mes chers collègues, un travail important a été fait sur ce texte, dans le cadre d’un dialogue fructueux avec le Gouvernement, notre collègue député Dominique Baert, rapporteur de ce texte, à qui je souhaite un prompt rétablissement, et M. René Dosière, qui l’a remplacé. Si des interrogations demeurent encore, je crois que ce projet de loi apporte des réponses qui étaient attendues dans les outre-mer, s’agissant notamment de la question des échanges entre la Guyane et le marché unique antillais.

Vous l’aurez compris, le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire préservant la totalité des modifications introduites par le Sénat, je vous proposerai donc de l’adopter. Contrairement à ce que je vous avais annoncé, madame la ministre, il n’y aura pas d’amendement !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la commission mixte paritaire qui s’est réunie la semaine dernière a adopté, sans réserve, le texte aujourd’hui soumis à votre approbation.

Nous voici donc à la fin du processus législatif concernant ce projet de loi modifiant la loi relative à l’octroi de mer. Chacun mesure bien l’importance de ce texte pour les territoires ultramarins.

D’une part, l’octroi de mer constitue une ressource indispensable pour le financement des collectivités territoriales puisque, en 2014, son produit s’est élevé à 1,146 milliard d’euros, soit environ 40 % des ressources fiscales des collectivités locales ultramarines.

D’autre part, le présent texte entérine la prolongation jusqu’en 2020 de ce dispositif si essentiel pour le développement économique des productions locales et pour l’emploi outre-mer. Ce texte assure donc une visibilité et une lisibilité tant aux entreprises qu’aux collectivités locales.

Je tiens à souligner la qualité des travaux conduits par le Parlement, notamment au Sénat, sous la houlette de M. Doligé, pour enrichir positivement le texte malgré les contraintes de temps importantes qui pesaient sur son examen.

Je me félicite que ce projet de loi puisse être voté avant la date couperet du 30 juin 2015, qui marque la fin de prorogation de l’ancien dispositif. En effet, il fallait qu’il n’y ait pas de rupture juridique dans la transition entre les deux dispositifs, comme le Gouvernement l’a toujours soutenu et comme je m’y étais totalement engagée. C’était l’une des principales préoccupations des acteurs socioéconomiques et des élus locaux ; l’engagement est désormais tenu.

Le texte aujourd’hui soumis à votre approbation met également fin à de nombreux mois de discussion avec la Commission européenne.

Je ne peux que constater que cette discussion, débutée il y a plus de deux ans et demi, a été fructueuse. Les demandes de la France ont été entendues, s’agissant notamment de l’augmentation du nombre de positions douanières bénéficiant d’un différentiel de taxation et des spécificités propres aux territoires ultramarins. Cela permet de préserver les grands équilibres du régime dans le cadre de cette réforme co-construite entre les autorités françaises et les autorités européennes.

La prolongation du dispositif permettra de consolider davantage les filières productives locales, dont les parts de marché sont en constante progression depuis 2005. Certes, le régime d’octroi de mer ne suffit pas, seul, à accompagner le développement économique de nos territoires, mais il est un maillon essentiel de celui-ci. S’il ne faut en aucun cas relâcher nos efforts dans le domaine du développement, de l’innovation et du soutien à la croissance, cette réalité démontre, s’il en était encore besoin, que le bénéfice du différentiel de taxation permet de soutenir activement la création de richesses et d’emplois.

Le projet de loi clarifie et modernise la mise en œuvre de cette taxe. Ainsi, partant de l’évaluation de l’ancien dispositif, nous avons fait le choix de procéder à l’abaissement du seuil d’assujettissement afin de répondre aux demandes de simplification formulées par de nombreuses entreprises, de taille moyenne notamment. Cet abaissement du seuil d’assujettissement de 550 000 à 300 000 euros, largement concerté avec les élus à l’hiver 2013, permet, en fonction des géographies, de placer hors du champ de l’octroi de mer de 75 % à 87 % des entreprises productrices.

Quant aux autres opérateurs, ceux dont le chiffre d’affaires est compris entre 300 000 et 550 000 euros et qui étaient auparavant assujettis mais exonérés, ils restent soumis aux mêmes obligations déclaratives, mais ne seront plus automatiquement exonérés. Néanmoins, ils auront deux ans pour déduire la taxe d’amont ayant grevé leurs investissements.

Au-delà de l’abaissement du seuil, plusieurs autres dispositions peuvent être soulignées. C’est le cas de l’encadrement des taux que les conseils régionaux et, à Mayotte, le conseil départemental sont autorisés à fixer, que nous avons introduit dans le texte à la demande, notamment, du Conseil d’État.

Les collectivités territoriales voient également le champ des exonérations élargi. Elles pourront désormais choisir d’exonérer ou non les établissements de santé, de recherche, d’enseignement ou relevant d’organismes caritatifs ou philanthropiques.

Lors de son examen du texte, le Sénat avait également fait le choix d’élargir le champ des bénéficiaires de ces exonérations aux personnes morales exerçant des activités scientifiques de recherche et d’enseignement, ainsi qu’aux établissements et services sociaux et médico-sociaux. Ce choix n’a été remis en cause ni lors de l’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale ni lors des travaux de la commission mixte paritaire. Ces avancées consolident largement les marges de manœuvre données aux collectivités régionales pour construire de réelles stratégies de développement économique et de soutien aux filières productives sur leurs territoires.

Lors des débats à l’Assemblée nationale, les modalités d’exonération ouvertes aux conseils régionaux ont été complétées. Les collectivités territoriales pourront choisir d’exonérer soit par secteur d’activité, soit par nomenclature douanière. C’est une avancée notable qui permet l’introduction d’une plus grande souplesse.

Le rééquilibrage des échanges et des flux commerciaux entre le marché unique antillais et la Guyane a occupé une part importante de nos débats. C’était nécessaire. Le dialogue constructif que nous avons eu a permis d’aboutir à une situation que l’ensemble des acteurs reconnaît être équilibrée.

C’est ainsi que nous avons introduit une liste de dix « produits préservés », qui feront l’objet, dans le cadre des relations commerciales entre le marché unique antillais et la Guyane, d’une application du droit commun. Je ne peux que me féliciter de ces échanges, parfois nourris et même très spécialisés, et souligner le sens du compromis et des responsabilités qui a présidé aux discussions entre les élus et nous a permis d’aboutir.

Pour l’avenir, la commission de concertation que nous avons créée analysera les flux d’échanges entre la Guyane et le marché unique antillais et pourra proposer, si nécessaire, la modification de la liste de produits préservés, sur la base, notamment, d’un état statistique des flux d’échanges. Le décret d’application précisant les missions et la composition de cette commission est en cours d’élaboration. La finalisation de ces écritures se fait en lien étroit avec l’ensemble des parties concernées.

Enfin, le décret d’application de la loi – hors les dispositions relatives à la commission interrégionale Guadeloupe, Martinique et Guyane, qui fera l’objet d’un décret spécifique – est désormais finalisé, après une longue période de concertation informelle avec les exécutifs régionaux. Il sera transmis pour consultation aux collectivités dès la fin de cette semaine, afin de permettre un examen du projet de décret lors du comité des finances locales de juillet.

La conformité de notre régime à l’encadrement communautaire des aides d’État est le dernier point à examiner pour parachever la révision de notre dispositif.

Comme vous le savez, j’ai fait procéder à la notification de ce régime à la Commission européenne en mars dernier. La commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, que j’ai reçue lundi dernier, m’a indiqué que cette notification ne pourrait aboutir dans les délais impartis. Je le regrette profondément. Néanmoins, elle nous a rassurés : le dispositif d’octroi de mer sera pleinement opérationnel au 1er juillet prochain.

En effet, la commissaire européenne s’est engagée envers la France à ce que l’ensemble des éléments permettant d’attester la pleine conformité du régime d’octroi de mer au droit communautaire lui soient communiqués par écrit dans les délais impartis, c'est-à-dire avant le 1er juillet prochain. Notre dispositif d’octroi de mer restera donc placé, comme il l’est aujourd’hui, sous le règlement général d’exemption par catégorie, ou RGEC, qui est le règlement de droit commun pour les régimes d’aides d’État. La Commission européenne prendra par ailleurs en compte les spécificités de nos régimes d’aides, en rehaussant de quinze points les seuils applicables de cumuls d’aides afin de sécuriser pleinement les opérateurs économiques.

Ces avancées pragmatiques obtenues avec la Commission européenne nous permettent de consolider l’ancrage de nos régimes d’aides d’État au sein du RGEC grâce à une prise en compte appropriée de nos spécificités concernant tant les secteurs exclus que les seuils d’aide pour l’ensemble de nos régimes d’aide au fonctionnement. Bien évidemment, cela ne nous empêche pas de plaider en faveur d’une révision dans les meilleurs délais de ce régime général, qui n’est manifestement pas adapté aux réalités des outre-mer. Nous avons obtenu de la commissaire européenne l’engagement que cette révision serait mise en œuvre dès que possible. En attendant, ce projet de loi permet d’assurer la continuité des régimes d’aide afin qu’aucune rupture juridique ne vienne fragiliser notre tissu économique.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier de votre investissement dans ces travaux et du soutien que vous avez apporté au Gouvernement tout au long de l’élaboration du texte et que vous lui apporterez encore aujourd’hui en adoptant ce projet de loi. (Mme Aline Archimbaud et M. Philippe Esnol applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme en première lecture et pour les mêmes motifs, nous nous abstiendrons sur ce projet de loi. Non seulement ce texte traduit en droit interne les décisions prises par le Conseil de l’Union européenne, mais surtout la question de l’octroi de mer ne peut être abordée sans que l’on parle de fiscalité.

La réforme de la fiscalité sera très probablement l’un des sujets que les outre-mer mettront en avant lors de l’examen du futur projet de loi pour l’égalité réelle entre l’outre-mer et la métropole.

Le défi que les outre-mer ont à relever est considérable. Pour cette seule problématique de la fiscalité, il faut imaginer des solutions afin que le rapport entre fiscalité directe et fiscalité indirecte soit plus équilibré. Je rappelle que, dans les outre-mer, la fiscalité directe représente 20 % des ressources et la fiscalité indirecte 80 %. Cette dernière est acquittée par tous, y compris par les ménages les plus défavorisés, à l’instar des 42 % de foyers réunionnais vivant sous le seuil de pauvreté monétaire.

Alors que, jeudi dernier, une séance de questions cribles thématiques a été consacrée à la dotation globale de fonctionnement et à sa préalable réforme, nous nous devons de nouveau de signaler que la structure de financement des collectivités locales d’outre-mer repose sur des bases fragiles et qu’elles ne sauraient se satisfaire d’une réforme pensée pour des collectivités locales de France métropolitaine, sans réelle prise en compte des réalités ultramarines.

Mon collègue Paul Vergès le rappelle souvent : près de soixante-dix ans après la loi de 1946, il est indispensable d’ouvrir une nouvelle étape pour le développement des outre-mer et il faut en finir avec la situation d’« apartheid social » dans laquelle vivent les populations d’outre-mer.

Pour ce faire, il faut tirer le bilan des soixante-dix ans d’application de la loi de 1946, à commencer par celui de l’octroi de mer, et avoir le courage politique de remettre en cause certains dispositifs mobilisés jusqu’à présent dans les outre-mer. Le texte que nous allons voter aujourd’hui s’appliquera pendant dix ans, mais le dispositif repose sur un fondement dérogatoire dont l’avenir reste, malgré tout, incertain.

La vraie problématique est donc la suivante : à l’horizon de vingt ans, fixé par le Président de la République, la construction de l’égalité réelle doit conduire les outre-mer à s’interroger sur leur stratégie de développement et à relever le défi de leur double intégration à la France – donc à l’Europe – et à leur environnement géoéconomique. L’octroi de mer est l’un des paramètres à prendre en compte.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Esnol.

M. Philippe Esnol. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons ce soir est apparu soudainement dans l’ordre du jour des travaux de notre assemblée en raison de son caractère à la fois urgent et stratégique, le dispositif de l’octroi de mer actuellement en vigueur devant expirer d’ici à quelques jours, très exactement le 30 juin prochain.

Cette taxe héritée du colbertisme, applicable en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à Mayotte et à La Réunion, avait été initialement mise en place pour frapper les marchandises importées afin de soutenir les productions locales et de stimuler le développement économique. À partir de la fin des années quatre-vingt, cet outil fiscal adapté aux spécificités de l’outre-mer, assimilable à un droit de douane dans le marché unique européen, a dû être mis en conformité avec les règles communautaires de libre circulation des marchandises et de non-discrimination.

Le Conseil de l’Union européenne avait accepté de faire perdurer le dispositif à condition que les productions locales y soient aussi assujetties et qu’il soit fortement encadré, les exonérations, totales ou partielles, pour motif de développement économique étant uniquement accordées à des productions dites « sensibles », limitativement énumérées. Le déficit de compétitivité pouvait, quant à lui, demeurer compensé au moyen d’un différentiel de taxation entre produits locaux et produits importés, prenant la forme d’une surtaxe sur ces derniers, dont les collectivités décidaient de l’importance en fonction des réalités locales.

La loi du 2 juillet 2004, que le présent texte tend à modifier, avait consolidé ce régime pour dix ans. Par une décision en date du 17 décembre dernier, le Conseil de l’Union européenne en a autorisé la reconduction pour cinq nouvelles années, sous réserve de quelques modifications.

La principale modification consiste en l’exonération de plein droit pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 300 000 euros. C’est assurément une bonne nouvelle pour les très petites entreprises, en ce qu’il s’agit d’une véritable mesure de simplification. En effet, celles-ci seront désormais exemptées de déclaration, laquelle constituait pour elles une charge administrative très contraignante. Toutefois, en contrepartie, le seuil d’assujettissement à l’octroi de mer, qui s’élevait jusqu’à présent à 550 000 euros de chiffre d’affaires, est abaissé dans le même temps à 300 000 euros. Cet élargissement de l’assiette devrait permettre de dégager 2,5 millions d’euros de ressources supplémentaires pour les collectivités bénéficiaires.

Si le projet de loi a pour objet la transposition en droit interne de ces dispositions communautaires, le Gouvernement a également cherché à aller plus loin dans la modernisation du dispositif, en proposant des mesures que nous approuvons : d’une part, l’extension du champ des exonérations aux activités de recherche, d’enseignement et de santé, aux organismes à caractère caritatif, aux marchandises destinées à l’avitaillement des aéronefs et des navires ainsi qu’aux carburants utilisés pour l’agriculture et la pêche ; d’autre part, l’ouverture de la possibilité, pour les entreprises nouvellement assujetties, de déduire le montant de taxe ayant grevé les biens d’investissement.

Par ailleurs – cela n’aura échappé à personne –, si l’objectif premier de l’octroi de mer était le soutien à la production locale des outre-mer, il s’est aujourd’hui, dans un contexte de baisse drastique des dotations de l’État, doublé d’un objectif accessoire de financement des collectivités territoriales. Pour tout dire, l’enjeu financier est même considérable, quand on sait qu’il s’agit de la première recette fiscale des communes dans les départements et régions d’outre-mer. Le produit de l’octroi de mer peut représenter jusqu’à 45 % de leur budget et s’élève, pour les cinq départements et régions d’outre-mer confondus, à près de 1 milliard d’euros.

Aussi le groupe du RDSE salue-t-il le volontarisme du Gouvernement, qui a permis d’obtenir la prolongation de ce dispositif et de faire fléchir Bruxelles, qui veille scrupuleusement au respect du principe de l’interdiction des aides d’État. En effet, pour toutes les raisons qui viennent d’être évoquées, il apparaît clairement que sa reconduction était essentielle, et même indispensable.

Cependant, madame la ministre, nous tenons également à attirer votre attention sur la nécessité de réfléchir dès à présent sérieusement à un système alternatif plus pérenne, dans la mesure où le dispositif n’est reconduit que jusqu’en 2020 et, surtout, parce qu’il est fondé sur cette contradiction flagrante : on impose les productions locales afin de pouvoir continuer à les soutenir ! En outre, il pénalise injustement les consommateurs et contribue à renchérir le coût de la vie, alors même que la lutte contre la vie chère et la préservation du pouvoir d’achat des Français sont hissées au rang de priorités.

En conclusion, le groupe du RDSE se réjouit qu’un consensus soit spontanément apparu sur un sujet aussi important pour nos territoires ultramarins. Les désaccords entre l'Assemblée nationale et le Sénat sur les sept articles qui restaient en discussion ont pu être levés en commission mixte paritaire, puisqu’ils portaient essentiellement sur des aspects rédactionnels, et non sur le fond. Nous nous félicitons que la commission mixte paritaire ait abouti et nous voterons bien sûr ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil de l’Union européenne a autorisé la prolongation du dispositif de l’octroi de mer pour cinq ans, à condition qu’il soit procédé à quelques aménagements avant la fin de ce mois. Nous sommes donc conduits à voter dans l’urgence un régime fiscal sans pouvoir le transformer en profondeur. En effet, voilà moins de trois mois, le 25 mars dernier, le Gouvernement engageait la procédure accélérée pour modifier la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer, et nous examinons aujourd’hui les conclusions de la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 11 juin dernier.

La commission mixte paritaire a adopté dans la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale les articles définissant les importations et les livraisons, les extensions du champ des exonérations, les bases d’imposition pour l’octroi de mer, la déductibilité de l’octroi de mer ayant grevé certains biens d’investissement, la possibilité, pour les entreprises franchissant le seuil d’assujettissement à l’octroi de mer, de déduire la taxe supportée par certains biens d’investissement et l’octroi de mer régional.

Enfin, la commission mixte paritaire a supprimé l’exonération de plein droit pour certaines entreprises, en fixant des modalités de détermination du chiffre d’affaires de référence au regard de l’assujettissement.

Ainsi, la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer est modernisée. C’est une très belle avancée ! Il s’agit d’une première évolution après la grève générale de 2009 en Guadeloupe et en Martinique, conduite par Élie Domota et le LKP au nom de la lutte contre la vie chère qui pénalise les ultramarins. Pour autant, il manque à mon sens une étape majeure, dont nous devrons rapidement envisager le franchissement et qui consisterait à étudier objectivement les conséquences sociales et économiques de l’octroi de mer.

L’adoption de ce texte permettra, dans l’immédiat, de répondre aux besoins de financement des collectivités ultramarines, en conformité avec les exigences européennes. Nous sommes bien conscients des limites de ce mode de fiscalité. Si l’insularité, l’éloignement et les différentes contraintes géographiques imposent aux services publics ultramarins des adaptations particulières, il faudra cependant trouver de nouvelles solutions. Nous avons cinq ans pour engager un véritable débat sur la fiscalité des outre-mer et le financement des collectivités ultramarines. L’octroi de mer pose question en matière de justice sociale et représente un enjeu pour le fonctionnement des services publics en outre-mer. Au terme de nos travaux, nous n’avons pas remis en cause les équilibres et le fonctionnement de cet impôt, eu égard à l’enjeu financier pour les collectivités d’outre-mer.

L’octroi de mer constitue une part importante des ressources des communes et des collectivités territoriales. À l’heure où la situation financière de ces dernières est de plus en plus fragile du fait de la baisse des dotations de l’État, nous avons pu mesurer à quel point l’octroi de mer est crucial, en particulier pour le financement de l’action publique locale, cet impôt représentant la première recette fiscale des collectivités, d’un montant de près de 1,146 milliard d'euros par an. C’est une ressource très difficilement substituable, qui peut représenter jusqu’à 40 % des recettes fiscales.

Bien sûr, les spécificités perdurent, par exemple sur le marché antillo-guyanais, instance de concertation inter-régionale vouée à se développer. Les discussions et les accords entre les trois régions de Guyane, de Guadeloupe et de Martinique montrent que les conseils régionaux continuent d’œuvrer ensemble pour une meilleure application du dispositif d’octroi de mer et souhaitent qu’une véritable dynamique perdure. Dans cette région, le rôle de la commission inter-régionale qui sera mise en place est précis. Elle permettra la concertation sur la mise en œuvre de l’octroi de mer et l’évaluation de l’ensemble des échanges de biens sur les marchés de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique. La rotation de sa présidence a fait l’objet d’échanges vifs et sincères avec le Gouvernement, tant au Sénat qu’à l'Assemblée nationale.

Je salue le travail accompli par les parlementaires, qui a permis de mieux préciser le cadre dans lequel les régions des Antilles et de la Guyane inscriront leurs échanges mutuels. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir pris l’engagement de rendre plus souples les relations avec les douanes, notamment en ce qui concerne les contentieux et la transmission des données essentielles à l’élaboration des différentiels par les conseils régionaux.

L’octroi de mer suscite aussi bien des convoitises. En Guyane, cette recette, censée être reversée intégralement aux communes, est pourtant ponctionnée chaque année de 27 millions d’euros au profit du conseil général. Il s’agit d’une exception locale contestée par les communes, qui sont déjà classées parmi les plus démunies.

Cette très vieille taxe avait pour objectif de protéger la production locale et de soutenir les filières de production. Or, les taux de chômage étant très élevés, il apparaît clairement que les productions locales ne décollent pas.

Ce constat nous conduit à nous interroger sur les conséquences de l’adoption de ce projet de loi, qui aboutira à la taxation de centaines d’entreprises de production agricole ou industrielle dont le chiffre d’affaires est compris entre 300 000 et 550 000 euros. Certes, ces entreprises bénéficieront de contreparties et pourront en particulier déduire une partie de leurs dépenses d’investissement du montant de leurs impôts.

De plus, ce modèle économique fondé sur l’importation est complexe, compte tenu de l’application de taux différents en fonction des particularités et des politiques locales. Surtout, c’est un impôt inéquitable, qui frappe d’abord les consommateurs, notamment les plus pauvres d’entre eux. Les familles ayant le plus d’enfants sont pénalisées par le surcoût de leurs achats. Une convergence avec la TVA est évoquée de façon récurrente ; cette question devra un jour être abordée.

Le développement économique même est touché. L’octroi de mer me semble être une mauvaise TVA sociale. Taxer les importations pour favoriser la production locale est une chose, mais taxer ce qui ne peut pas être produit localement est injuste. Consacrer cette recette au financement du service public et, par conséquent, à celui de son fonctionnement représente une déperdition pour le financement de l’économie réelle. L’octroi de mer ne saurait être utilisé comme l’instrument d’une forme de protectionnisme éducateur ; trop souvent, il étouffe l’économie locale et fragilise le développement des services publics de l’État.

Si l’article 7 du texte élaboré par la commission paritaire contribue à clarifier les champs d’exonération, l’exonération n’est pas systématique. Indépendamment de la capacité de l’État à payer l’impôt, quel que soit son montant, les gestionnaires locaux rationnent les consommables et ajustent leurs commandes de matériel à l’impôt, et non l’inverse. J’avais défendu ici un amendement visant à exonérer les importations nécessaires au bon fonctionnement des services publics de l’État, par exemple celles d’équipements nécessaires aux forces de sécurité.

Les demandes d’exonération aux collectivités territoriales aboutissent de plus en plus difficilement dans un contexte tendu de baisse des dotations de l’État. Soit l’État adapte son budget à l’inflation des coûts d’entretien et d’approvisionnement de ses services dans les outre-mer, soit on exonère et on soulage les gestionnaires et les services publics nationaux de la contrainte exercée par cet impôt.

Le projet de loi modifiant la loi du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer procède au toilettage de l’octroi de mer qu’il était urgent d’accomplir pour répondre aux exigences du Conseil de l’Union européenne. Je partage à cet égard les conclusions de notre rapporteur. Ce texte nous fait prendre conscience des enjeux, des atouts, des bénéfices et des résistances sur le sujet. Nous devons définir de nouvelles ressources pour les territoires ultramarins afin de favoriser leur développement économique, dans le respect des populations les plus fragiles et de l’autorité de l’État.

Ces débats confirment que le sujet est complexe et que nos échanges en vue de trouver d’autres solutions doivent se poursuivre. Un important travail conduit en concertation avec les élus ultramarins est nécessaire afin de faire évoluer ce mode de recette ancestral, qui compte, reconnaissons-le, parmi les plus atypiques de notre administration.

Une réflexion approfondie doit être menée pour refondre la fiscalité et, plus globalement, répondre aux besoins de financement du développement des territoires ultramarins. Il nous reste cinq ans pour proposer un nouveau modèle juridiquement sécurisé. Je tiens toutefois, madame la ministre, à saluer le rattrapage du retard qu’avait pris l’élaboration de ce texte. La sagesse et l’expertise des parlementaires ont permis d’aboutir à une loi fruit de la synthèse des travaux des deux chambres, que nous validerons ce soir.

Afin de respecter le droit européen et de préserver une ressource vitale pour les collectivités locales et territoriales, le groupe UDI-UC unanime votera le texte élaboré par la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, le projet de loi modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer était très attendu dans les départements d’outre-mer et a suscité un vif intérêt, à la hauteur de l’importance que revêt cette taxe dans ces territoires. L’octroi de mer est vital non seulement pour le développement de leurs productions locales, mais aussi pour leurs collectivités locales. Sans cette ressource, qui représente un peu plus de 1 milliard d’euros, ces dernières seraient encore plus fragilisées financièrement qu’elles ne le sont déjà.

Le texte soumis à notre vote aujourd’hui est le fruit de longs débats et négociations entre tous les acteurs concernés. Son adoption mettra un terme à un processus législatif qui a débuté voilà plusieurs années. En tant que membre de la commission des affaires européennes, j’ai eu à défendre ce dispositif auprès des instances de l’Union européenne, aux côtés du Gouvernement.

Je tiens à cet égard à saluer votre action, madame la ministre, celle de vos collaborateurs et de vos services. Elle a été déterminante pour que nous puissions aboutir à ce texte de compromis. Il vous a fallu faire preuve de patience et d’opiniâtreté pour arriver à ce résultat en respectant l’échéance impérative du 30 juin 2015, qui marque la fin de la prorogation de l’ancien dispositif. Le nouveau dispositif prendra effet le 1er juillet prochain, ce qui est de nature à rassurer les acteurs socioprofessionnels et les collectivités locales.

Je me félicite des avancées que contient ce texte.

Le projet de loi prévoit d’abord l’extension des exonérations à un certain nombre d’activités, notamment dans les domaines de la recherche, de l’enseignement, de la santé, des organisations caritatives.

En matière de gouvernance, l’instauration d’une présidence tournante – chacun des exécutifs régionaux l’assurera à tour de rôle – de la commission de concertation sur la mise en œuvre de l’octroi de mer est plus que salutaire. Je me réjouis de l’introduction par le Sénat de cette disposition par le biais d’un sous-amendement que j’avais déposé.

En ce qui concerne les échanges entre le marché unique antillais et la Guyane, les négociations ont été âpres – à juste titre, la Guyane étant pénalisée –, mais finalement constructives, puisqu’elles ont permis d’aboutir à l’établissement d’une liste de dix produits préservés. À cet égard, je me réjouis que l’Assemblée nationale y ait inscrit le papier essuie-mains – au titre de la nomenclature 4810 –, alors que l’amendement que j’avais présenté à cette fin avait été repoussé par le Sénat. Pour autant, il appartiendra à la commission de concertation de veiller à assurer un équilibre entre les Antilles et la Guyane. Je rappelle que celle-ci avait établi une liste d’une vingtaine de produits.

Par ailleurs, les points suivants restent en suspens.

À votre demande, madame la ministre, j’avais retiré, lors de l’examen du projet de loi au Sénat, mon amendement portant sur l’instauration d’une clause de reversement entre la Guyane et le marché unique antillais, à l’instar de celle qui existe déjà entre la Guadeloupe et la Martinique. Les conseils régionaux de ces deux territoires ont indiqué qu’ils ne seraient pas opposés à la mise en place d’une clause de reversement entre la Guyane et le marché unique antillais. Ce point devra donc être prioritairement inscrit à l’ordre du jour de la première réunion de la commission de concertation.

Concernant la répartition du produit de l’octroi de mer et le prélèvement de 27 millions d’euros par an au profit du conseil général de la Guyane, je ne reviendrai pas sur les raisons de cette spécificité guyanaise, « anomalie liée à des considérations d’opportunité politique et financière », comme l’a souligné le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, M. Dominique Baert, mais j’insisterai de nouveau sur la nécessité d’y mettre fin. Depuis mon entrée au Sénat, j’ai déposé plusieurs amendements tendant à la suppression immédiate ou progressive de ce prélèvement, mais ils ont systématiquement été rejetés. M. Éric Doligé, conscient de la réalité du problème, avait souhaité que cette question soit traitée par la délégation sénatoriale à l’outre-mer dans les plus brefs délais. De même, M. Baert, lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, a proposé la création d’une mission d’information au sein de la commission des finances. Qu’en est-il, madame la ministre ?

En tant que membre du Comité des finances locales, j’ai également alerté Mme Pires Beaune à ce sujet, car le rapport d’étape sur la réforme des concours financiers de l’État aux collectivités territoriales est plus que lacunaire concernant la situation des communes d’outre-mer. Je vous ai d’ailleurs transmis, madame la ministre, une copie du courrier que l’intergroupe parlementaire des outre-mer, que j’ai l’honneur de présider, a adressé à Mme Pires Beaune. Vous le savez, le Gouvernement ne pourra pas éternellement éluder cette question. L’association des maires de Guyane a décidé d’ester en justice pour réclamer les 108 millions d’euros perdus au cours des quatre dernières années, si aucun règlement amiable n’est trouvé avec l’État. Il est inutile de vous rappeler que les besoins en Guyane sont criants, en raison des retards importants constatés dans tous les domaines et d’un fort taux de croissance démographique, supérieur à 4 %, soit le plus élevé de France et l’un des plus forts au monde. Il est urgent d’agir !

Malgré ces points cruciaux restant en suspens, je voterai le texte élaboré par la commission mixte paritaire, madame la ministre, car il est le fruit d’une réelle concertation avec les acteurs concernés. Comme d’autres, je ne peux que regretter que la prorogation ne soit que de cinq années. Il nous faudra tous réfléchir à une évolution du dispositif. En effet, au cours des entretiens auxquels j’ai participé en qualité de vice-président de la commission des affaires européennes du Sénat, à Bruxelles en juillet 2012, la Commission nous avait encouragés à anticiper la fin du régime en vigueur, rappelant l’incompatibilité de l’octroi de mer avec l’esprit du marché unique. Les services de la Direction générale fiscalité et union douanière de la Commission européenne avaient insisté sur le fait qu’un tel régime ne pouvait être que transitoire et qu’il devrait bientôt disparaître. Nous ne devons donc pas attendre pour préparer la transition vers un autre système, qui ne reposerait plus sur une taxation discriminatoire. L’horizon étant dégagé jusqu’en 2020, profitons-en pour anticiper la prochaine échéance.

Nous devons analyser l’octroi de mer sous tous les aspects : soutien au développement économique local, autonomie financière des collectivités d’outre-mer, incidence sur le coût de la vie outre-mer. Il nous faut ouvrir très en amont un débat de fond sur le meilleur moyen d’assurer le développement économique outre-mer sans fragiliser les recettes fiscales des collectivités territoriales. Je vous invite donc, madame la ministre, à ne pas rester passive, au cours des prochaines années, sur ce dossier important pour les outre-mer.

Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à notre tour, nous nous félicitons que les travaux de la commission mixte paritaire aient débouché sur un accord et nous remercions tous ceux qui ont permis cette issue positive.

La commission mixte paritaire a adopté plusieurs articles dans le texte de l’Assemblée nationale et élaboré une nouvelle rédaction pour l’article 6, qui prévoit désormais la création d’une commission de concertation ayant pour mission d’analyser les échanges de biens entre la Guyane et le marché unique antillais. Nous nous réjouissons de cette avancée.

Pour le groupe écologiste du Sénat, l’octroi de mer, qui constitue une ressource très importante pour les collectivités des outre-mer, devra continuer de faire l’objet d’un débat, y compris après l’adoption du présent projet de loi, sans pour autant mettre en péril la situation financière déjà fragile de ces collectivités. Parmi les pistes qui nous tiennent à cœur, j’évoquerai la nécessaire poursuite du dialogue avec l’Union européenne afin d’envisager les moyens de pérenniser cette ressource au-delà de 2020, sans pénaliser les collectivités ultramarines.

Au-delà du débat qui aboutit aujourd’hui, contraint par l’échéance impérative du 30 juin, nous demandons de nouveau avec force au Gouvernement que se poursuive une réflexion à plus long terme sur la définition d’une stratégie de développement économique locale robuste, afin de pouvoir élaborer, par exemple, des propositions visant à encourager l’investissement dans des filières économiques locales et innovantes, dans les domaines de l’agriculture, de l’aquaculture, de la pêche, de la transformation des produits locaux, de l’écotourisme, des services aux personnes, des énergies nouvelles, etc.

Dans cette perspective, il faut mettre en place ou renforcer les actions en matière de recherche-développement, de formation, initiale et continue, des populations et des cadres, ainsi qu’encourager l’investissement dans des réseaux locaux. Le renforcement de l’économie locale créerait des conditions propices à une évolution de la fiscalité. Il nous paraît important de travailler sur cette dimension économique. Nous sommes prêts à prendre notre part à la réflexion, en vue à la fois de répondre à la grave crise sociale qui frappe les territoires ultramarins comme l’ensemble de la France et de mettre en valeur les ressources variées et spécifiques de ces derniers, à commencer par leur biodiversité terrestre et marine. Si nous savons protéger et développer ces ressources, elles pourront constituer une base très intéressante pour le développement économique.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Magras.

M. Michel Magras. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici donc arrivés au terme du processus législatif relatif à la modification de la loi sur l’octroi de mer.

Le texte soumis à notre approbation vise d’abord et avant tout à entériner la prorogation de ce dispositif jusqu’en 2020. Outre qu’il met notre droit en conformité avec nos engagements européens, il tend à clarifier et, pour ainsi dire, à moderniser le régime de l’octroi de mer.

Cet instrument fiscal qui, depuis 1992, concerne à la fois les livraisons et les importations de biens, revêt pour les départements ultramarins une importance capitale, en matière tant de développement économique que de financement.

Les collectivités devenues depuis 2012 des « pays et territoires d’outre-mer », comme Saint Barthélémy, sont considérées comme situées hors du territoire douanier de l’Union européenne. Elles bénéficient ainsi d’une large autonomie en matière douanière. La seule taxe qui s’applique aux marchandises entrant sur notre territoire est le droit de quai, fixé à 5 % pour toutes les marchandises, à l’exception des véhicules, pour lesquels le taux est plus élevé. L’octroi de mer et l’octroi de mer régional ne sont donc pas applicables dans les collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.

Les départements de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane, de La Réunion et de Mayotte, où s’applique le système de l’octroi de mer, ont vu l’an dernier leurs recettes fiscales atteindre, grâce à cette taxe, un niveau supérieur à 1,4 milliard d’euros, ce qui représente en moyenne 40 % de leurs ressources.

Dans un environnement local hautement concurrentiel, où les difficultés à faire émerger de nouvelles productions sont de plus en plus grandes, nous comprenons l’importance de ce mécanisme protecteur pour ces départements.

La nouvelle mouture du dispositif comprend les modifications substantielles suivantes.

D’abord, le choix a été fait d’abaisser de 550 000 à 300 000 euros le seuil d’assujettissement, de sorte que les entreprises locales dont le chiffre d’affaires est supérieur à 300 000 euros seront désormais redevables de l’octroi de mer.

En revanche, les entreprises insulaires dont le chiffre d’affaires est inférieur à 300 000 euros seront, elles, exonérées de plein droit. Ce nouvel étiage tend à satisfaire les demandes de simplification émises par nombre d’entreprises de taille moyenne.

Nous devons ensuite nous féliciter de l’extension du champ des importations susceptibles d’être exonérées de l’octroi de mer. Lors de l’examen du texte au Sénat, il a opportunément été décidé d’étendre le champ des exonérations que les assemblées territoriales peuvent accorder aux établissements et services sociaux et médico-sociaux notamment, ainsi qu’aux établissements exerçant des activités scientifiques, de recherche et d’enseignement.

Cet élargissement du champ des bénéficiaires est de nature à accroître les marges de manœuvre des collectivités d’outre-mer, et devrait in fine leur permettre de bâtir des stratégies de développement économique adaptées aux caractéristiques de leurs territoires.

Par ailleurs, nous devons, mes chers collègues, nous féliciter de l’aménagement du régime particulier de territorialité auquel sont soumis les échanges de biens entre la Guyane et les Antilles.

Désormais, dans le cadre des relations commerciales entre le marché unique antillais et la Guyane, certains produits « préservés », tels les alcools, seront taxés dans la collectivité de destination. Discuté en amont avec les élus territoriaux, cet aménagement vise à résorber les déséquilibres observés dans les échanges commerciaux.

Rappelons enfin qu’une commission de concertation chargée d’analyser les flux commerciaux entre la Guyane et le marché unique antillais va être mise en place. Elle aura pour mission de faire évoluer les règles d’échanges et de taxation et, en tant que de besoin, d’amender la liste des produits préservés arrêtée par le présent projet de loi.

Autre motif de satisfaction, le texte prévoit, suivant la proposition formulée en ce sens par le Sénat, que le Parlement sera destinataire du rapport qui devra être transmis avant la fin de l’année 2017 par le Gouvernement à la Commission européenne, destiné à évaluer les effets économiques du nouveau régime d’octroi de mer. L’association de la représentation nationale est à saluer.

Il y a lieu de se réjouir de l’équilibre trouvé et du compromis élaboré avec succès par la commission mixte paritaire.

Compte tenu de l’ensemble de ces considérations, le groupe Les Républicains approuvera le texte établi le 11 juin par la commission mixte paritaire.

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Larcher.

M. Serge Larcher. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je salue votre présence dans cet hémicycle afin d’adopter les conclusions de la commission mixte paritaire, dont les travaux ont permis d’aboutir à un texte prorogeant de cinq ans le dispositif de l’octroi de mer.

Chacun l’a rappelé, ce régime constitue un enjeu fondamental pour nos économies ultramarines, en raison de sa double fonction : stimuler le développement économique et assurer le financement des collectivités locales. En Martinique, l’octroi de mer représente près de 50 % du budget des communes et plus de 16 % du budget régional. Les collectivités elles-mêmes, par la commande publique, jouent un rôle majeur pour l’emploi dans les départements d’outre-mer.

Il faut donc saluer le travail de longue haleine du Gouvernement, qui a réussi à mener la négociation avec Bruxelles en respectant la date butoir du 30 juin 2015 fixée par les instances européennes. Il faut se féliciter de ce que l’encadrement communautaire du régime de l’octroi de mer soit opérationnel au 1er juillet prochain et qu’aucune rupture juridique ne vienne fragiliser l’équilibre économique de nos départements, déjà compromis par la baisse des dotations de l’État.

Je salue également les avancées introduites par nos collègues députés sur la question du marché unique antillais et de la prise en compte des spécificités soulignées par la Guyane. Le passage de six à sept du nombre des productions guyanaises bénéficiant d’un mécanisme de taxation au titre de l’octroi de mer spécifique dans le cadre des échanges entre le marché unique antillais et la Guyane est le signe d’un dialogue constructif, qui doit perdurer, entre Martiniquais, Guadeloupéens et Guyanais. La commission tripartite interrégionale à présidence tournante aura pour mission de mettre en œuvre l’octroi de mer dans sa globalité. Son action permettra, sur la durée, le respect des intérêts de chacun et la poursuite du processus de discussion, en fonction des réalités du marché.

Enfin, revenant sur les propos que j’ai tenus lors de l’examen du projet de loi par le Sénat, je souhaite vous alerter, madame la ministre, sur la nécessité d’engager dès que possible une réflexion sur la définition d’un système alternatif plus pérenne, qui pourrait se substituer à l’octroi de mer.

En effet, ce régime a beau remplir des fonctions essentielles pour nos économies, il demeure un outil imparfait. Son instabilité, le manque de visibilité à long terme, encore renforcées par une prorogation de cinq ans seulement, son impact sur le coût de la vie et son influence indirecte sur le taux d’emploi en témoignent de façon criante.

De plus, les deux missions de l’octroi de mer, à savoir assurer le financement des collectivités et stimuler le développement économique, me paraissent difficilement conciliables. En effet, plus les importations en provenance de l’Hexagone ou de l’étranger augmentent, plus les ressources des collectivités croissent. En d’autres termes, plus notre dépendance à l’égard de l’extérieur se renforce, plus le niveau de l’activité locale, et donc de l’emploi, se détériore. Plus on encourage la production régionale en mettant en place des exonérations partielles ou totales, plus le manque à gagner en termes de recettes budgétaires est important… On le voit, il faudra trouver une alternative afin de rompre ce cercle vicieux.

L’horizon 2020 est très proche : j’appelle tous les parlementaires ultramarins à se mobiliser autour de vous, madame la ministre, afin d’ouvrir ce chantier commun à tous les départements d’outre-mer, d’une importance primordiale pour le financement des collectivités et l’équilibre de nos économies. Nos intérêts et nos spécificités étant toujours à défendre et à valoriser auprès des instances européennes, il me semble que c’est un travail que nous devons engager au plus vite.

Je voterai bien sûr ce texte.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme George Pau-Langevin, ministre. Je voudrais remercier l’ensemble des parlementaires du travail accompli et de leurs interventions constructives.

Je comprends tout à fait qu’ils soulignent les limites du système de l’octroi de mer et la nécessité de réfléchir tous ensemble à une amélioration de la fiscalité dans les outre-mer. Il faudra notamment examiner les moyens de procéder à un rééquilibrage entre fiscalité indirecte et fiscalité directe, en tenant compte toutefois du fait que le produit de cette dernière est nécessairement quelque peu réduit, les populations ultramarines étant souvent pauvres. Je compte lancer rapidement cette réflexion.

Enfin, les travaux que nous entamons pour promouvoir l’égalité réelle entre les outre-mer et l’Hexagone ont été évoqués. Là encore, il s’agit d’un grand chantier : l’égalité est un principe républicain que nous nous efforçons de mettre en œuvre au travers des politiques concernant les outre-mer, tout en étant bien conscients que des progrès restent encore à faire. Tel est le sens de la mission qui a été confiée à Victorin Lurel. J’appelle tous les parlementaires à nous aider à définir les moyens d’établir cette égalité réelle que nous appelons tous de nos vœux. Ce sera la prochaine étape de notre travail commun.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte élaboré par la commission mixte paritaire, en ne retenant que les amendements ayant reçu l’accord du Gouvernement.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :

projet de loi modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer

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Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer
Article 6

Article 3

L’article 3 de la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer est ainsi rédigé :

« Art. 3. – Pour l’application de la présente loi :

« 1° Est considérée comme importation d’un bien :

« a) Son entrée sur le territoire d’une collectivité mentionnée à l’article 1er.

« Par dérogation au premier alinéa du présent a, l’entrée en Guadeloupe d’un bien en provenance de la Martinique et l’entrée en Martinique d’un bien en provenance de la Guadeloupe ne sont pas considérées comme des importations ;

« b) Sa mise à la consommation sur le territoire d’une collectivité mentionnée à l’article 1er si, lors de son entrée sur le territoire, il a été placé :

« – sous l’un des régimes suivants prévus par les règlements communautaires en vigueur : entrepôt d’importation, perfectionnement actif, transformation sous douane, transit et admission temporaire en exonération totale, ou magasin de dépôt temporaire. Il en est de même si le bien a reçu la destination douanière de l’entrepôt franc ou de la zone franche ;

« – ou sous le régime suspensif mentionné au a du 2° du I de l’article 277 A du code général des impôts ;

« 2° Est considérée comme livraison d’un bien le transfert du pouvoir de disposer d’un bien meuble corporel comme un propriétaire. »

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Article 3
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Article 7

Article 6

L’article 5 de la même loi est ainsi rédigé :

« Art. 5. – I. – Pour les biens relevant des positions tarifaires 2208 40, 2208 70, 2208 90, 3208 90, 3209 10, 4818 10, 4818 2091, 4818 2099, 4818 9010, 7214 20 et 7214 99 et par dérogation à l’article 4 :

« 1° Les livraisons mentionnées au 1° de l’article 4 dans une collectivité du marché unique antillais de biens expédiés ou transportés par l’assujetti, par l’acquéreur qui n’est pas établi dans cette collectivité ou pour leur compte à destination de la Guyane et les livraisons en Guyane de biens expédiés ou transportés par l’assujetti, par l’acquéreur qui n’est pas établi dans cette collectivité ou pour leur compte à destination du marché unique antillais sont exonérées de l’octroi de mer ;

« 2° Les importations en Guyane de biens dont la livraison a été exonérée dans le marché unique antillais et les importations dans le marché unique antillais de biens dont la livraison a été exonérée en Guyane sont soumises à l’octroi de mer.

« II. – Il est créé une commission de concertation sur la mise en œuvre de l’octroi de mer et d’évaluation de l’ensemble des échanges de biens sur les marchés de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique.

« Elle est chargée :

« 1° D’analyser les flux d’échanges entre la Guyane et le marché unique antillais ;

« 2° De proposer des évolutions des règles d’échanges et de taxation ;

« 3° De proposer, si nécessaire, la modification de la liste de produits mentionnée au I du présent article, notamment sur la base d’un état statistique des flux d’échanges entre la Guyane et le marché unique antillais. Cette proposition intervient au plus tard le 1er septembre.

« La présidence de la commission est assurée à tour de rôle par le président du conseil régional de Guadeloupe ou son représentant ou par le président de l’assemblée de Guyane ou son représentant ou par le président du conseil exécutif de l’assemblée de Martinique ou son représentant.

« La commission est composée d’élus du conseil régional de Guadeloupe, de l’assemblée de Guyane et de l’assemblée de Martinique.

« Les services de l’État compétents apportent leur expertise technique sur demande de la commission.

« Les acteurs socioprofessionnels peuvent être consultés sur proposition de la commission.

« Un décret fixe les conditions d’application du présent article. »

Article 6
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Article 11

Article 7

L’article 6 de la même loi est ainsi modifié :

1° Les cinq premiers alinéas sont ainsi rédigés :

« Les conseils régionaux de Guadeloupe et de La Réunion, l’assemblée de Guyane, l’assemblée de Martinique et le conseil départemental de Mayotte peuvent exonérer l’importation :

« 1° De biens destinés à une personne exerçant une activité économique, au sens de l’article 256 A du code général des impôts. Les exonérations sont accordées par secteur d’activité économique et par position tarifaire, dans des conditions fixées par décret ;

« 2° De biens destinés à des établissements ou à des personnes morales exerçant des activités scientifiques, de recherche ou d’enseignement ;

« 3° De biens destinés à l’accomplissement des missions régaliennes de l’État ;

« 4° De biens destinés aux établissements et centres de santé, ainsi qu’aux établissements et services sociaux et médico-sociaux publics ou privés ; »

2° Il est ajouté un 6° ainsi rédigé :

« 6° De biens destinés à des organismes mentionnés au b du 1 de l’article 200 du code général des impôts. »

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Article 7
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Article 16

Article 11

L’article 9 de la même loi est ainsi modifié :

1° Au 1°, le mot : « marchandises » est remplacé par le mot : « biens » ;

2° Le 3° est ainsi rédigé :

« 3° Le prix payé ou à payer au prestataire situé en dehors de la collectivité, pour les biens qui sont expédiés temporairement hors d’une collectivité mentionnée à l’article 1er et réimportés dans cette collectivité, après avoir fait l’objet d’une réparation, d’une transformation, d’une adaptation, d’une façon ou d’une ouvraison. Le présent 3° ne s’applique pas aux biens dont l’importation est exonérée conformément au 2° de l’article 4. »

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Article 11
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Article 17

Article 16

L’article 19 de la même loi est ainsi modifié :

1° Le I est ainsi rédigé :

« I. – L’octroi de mer qui a grevé un bien d’investissement est déductible en totalité lorsque le bien est affecté à hauteur de plus de 50 % à des opérations ouvrant droit à déduction et l’octroi de mer n’est pas déductible lorsque le bien est affecté à hauteur de 50 % ou moins à des opérations ouvrant droit à déduction. » ;

2° Le premier alinéa du II est ainsi modifié :

a) La première phrase est ainsi modifiée :

– au début, sont ajoutés les mots : « L’octroi de mer qui a grevé » ;

– à la fin, les mots : « n’ouvrent pas droit à déduction » sont remplacés par les mots : « n’est pas déductible » ;

b) La seconde phrase est ainsi rédigée :

« Il en est de même de l’octroi de mer qui a grevé les éléments constitutifs, les pièces détachées et les accessoires de ces véhicules et engins. »

Article 16
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Article 29 (début)

Article 17

Après l’article 19 de la même loi, il est inséré un article 19-1 ainsi rédigé :

« Art. 19-1. – Les personnes qui, au cours d’une année civile, franchissent le seuil d’assujettissement mentionné à l’article 2 peuvent, dans les conditions prévues à l’article 19, déduire l’octroi de mer qui a grevé les biens d’investissement acquis durant cette année civile et durant l’année civile précédente. Le montant de l’octroi de mer dont la déduction est ainsi ouverte doit être mentionné de façon distincte sur la première déclaration trimestrielle. L’octroi de mer dont la déduction a été omise sur cette déclaration peut figurer sur les déclarations ultérieures, dans les conditions prévues au second alinéa de l’article 16. »

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Article 17
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Article 29 (fin)

Article 29

L’article 37 de la même loi est ainsi modifié :

1° Le I est ainsi modifié :

a) Le premier alinéa est ainsi modifié :

– le début est ainsi rédigé : « Les conseils régionaux de Guadeloupe et de La Réunion, l’assemblée de Guyane, l’assemblée de Martinique ou le conseil départemental de Mayotte peuvent... (le reste sans changement). » ;

– le mot : « région » est remplacé par le mot : « collectivité » ;

b) Au deuxième alinéa, après le mot : « application », est insérée la référence : « du I » ;

c) Le troisième alinéa est ainsi modifié :

– les mots : « au titre des articles 6 et 7 » sont remplacés par les mots : « en vertu des articles 6 à 7-1 » ;

 après les mots : « les conseils régionaux », sont insérés les mots : « de Guadeloupe et de La Réunion, l’assemblée de Guyane, l’assemblée de Martinique et le conseil départemental de Mayotte » ;

2° Au III, le mot : « région » est remplacé par le mot : « collectivité » et les références : « aux articles 28 et 29 » sont remplacées par la référence : « à l’article 28 ».

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Mme la présidente. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d’aucun amendement.

Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?...

Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je vais mettre aux voix l’ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer dans la rédaction résultant du texte proposé par la commission mixte paritaire.

(Le projet de loi est définitivement adopté.)

Article 29 (début)
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15

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 22 juin 2015, à seize heures et le soir :

Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au dialogue social et à l’emploi (n° 476, 2014-2015) ;

Rapport de Mme Catherine Procaccia, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 501, 2014-2015) ;

Texte de la commission des affaires sociales (n° 502, 2014-2015) ;

Avis de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances (n° 490, 2014-2015) ;

Avis de M. Alain Dufaut, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 493, 2014-2015).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt et une heures quinze.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART