PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

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Article 14 (supprimé) (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Malades et personnes en fin de vie

Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (proposition n° 348, texte de la commission n° 468, rapport n° 467, avis n° 506).

Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits par les groupes pour expliquer leur vote.

Je vous inviterai ensuite, mes chers collègues, à vous rendre en salle des conférences pour voter et suspendrai la séance pendant la durée du scrutin, prévue pour une demi-heure.

Je proclamerai enfin le résultat à l’issue du dépouillement, aux alentours de quinze heures quarante-cinq, puis je donnerai la parole au Gouvernement.

Explications de vote sur l'ensemble

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.

La parole est à Mme Françoise Gatel, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons débattu longuement et démocratiquement d’une proposition de loi importante relative à la fin de vie.

Ce texte proposait deux évolutions par rapport à la loi Leonetti de 2005 : d’une part, la sédation profonde et continue pour des personnes atteintes d’une maladie incurable, réfractaire à tout traitement et dont le pronostic vital est engagé, et, de l’autre, le caractère contraignant des directives anticipées.

Le texte proposé par la commission des affaires sociales du Sénat était un texte équilibré et mesuré, qui permettait de répondre aussi bien à la demande légitime d’une fin de vie apaisée qu’au besoin de sécurisation des médecins, sans pour autant banaliser les actes pouvant conduire à la mort.

Le Sénat a également, de manière pertinente, mis en évidence l’indignité et la grande misère des soins palliatifs dans notre pays, accessibles aujourd’hui à seulement 20 % des personnes qui en auraient besoin.

Le Sénat a ainsi enrichi le texte en insistant sur le développement des soins palliatifs sur l’ensemble du territoire, non seulement à l’hôpital, mais aussi dans les structures médico-sociales et à domicile. Aujourd’hui, 70 % des Français meurent à l’hôpital, alors que 70 % des Français voudraient mourir chez eux. Le Sénat a également plaidé pour une meilleure formation aux soins palliatifs des médecins.

Surtout, ce texte affirmait un devoir de fraternité envers les plus vulnérables d’entre nous, à avoir ceux qui vont mourir. Il affirmait, par là même, la double finalité de la médecine, tout à la fois curative et palliative.

Cependant, au cours de son examen en séance publique, le texte est devenu une coquille vide.

La sédation profonde telle qu’elle a été définie, acte de compassion et de bienveillance, n’est pas le cheval de Troie d’une euthanasie déguisée.

Le Sénat a clairement refusé le droit au suicide assisté et à l’euthanasie. En effet, ces questions ne sauraient être débattues au simple détour d’un amendement sur un texte qui ne concerne, encore une fois, que ceux qui vont mourir et non ceux qui veulent mourir.

Nos débats ont été nourris de nos convictions, de nos expériences personnelles, de nos émotions, de nos valeurs, mais aussi de nos questionnements.

Vole-t-on leur mort à ceux qui n’ont plus que quelques moments à vivre ? Vole-t-on des moments de vie, de partage et d’échanges avec les proches quand la science est devenue impuissante à soulager et que l’heure de la mort a sonné ? Porte-t-on atteinte à la vie en accordant, dans les derniers moments, le repos qui apaise, allège les souffrances et les tourments ?

De quoi parlions-nous ici ? Nous parlions des derniers jours, des dernières heures, des derniers instants de personnes en situation de souffrance extrême, qu’aucun traitement ne peut soulager. Peut-on légitimement refuser à des personnes qui ont clairement exprimé leur volonté le droit d’être endormies afin d’apaiser leurs souffrances lors de leurs derniers moments ?

Peut-on décemment laisser un médecin endosser seul la responsabilité d’un acte de sédation qu’il accepterait par humanité, sans que la loi ne le protège ? Car c’est bien ce qui est proposé dans le texte sur lequel nous votons aujourd’hui.

La politique a un devoir d’exigence de vérité. Eh oui, il faut ici dire encore qu’aujourd’hui des hommes meurent en souffrance, en angoisses et dans une grande solitude, abandonnés par une science devenue impuissante et livrés à la conscience et à l’humanité d’une équipe médicale que nul ne protège.

Derrière nos débats, derrière nos mots, il y a des hommes confrontés à l’ultime moment de leur vie et le désarroi de l’impuissance des familles.

Avec le président de la commission des affaires sociales, les rapporteurs ont accompli un travail de grande qualité, empreint de rigueur et d’humanité.

Ils ont pesé chaque mot, clarifié chaque principe, en prenant soin d’ôter de ce texte les scories qui pouvaient provoquer les consciences.

Ils ont clairement et strictement défini les conditions d’encadrement du droit à la sédation profonde et continue et de renforcement des directives anticipées. Ce texte était à la fois trop pour certains, pas assez pour d’autres.

Seulement, aujourd’hui, ce texte n’est rien ! Il est un oubli d’humanité et un défaut de fraternité. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)

Aussi, en mon âme et conscience, avec grand regret, et en saluant très sincèrement de nouveau le travail des rapporteurs et du président de la commission des affaires sociales, je voterai contre ce texte ; car ce n’est pas ainsi que les hommes doivent mourir ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain. – Mme Élisabeth Doineau ainsi que MM. Daniel Dubois et Gérard Roche se lèvent et applaudissent vivement.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour le groupe Les Républicains.

Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, débattre de la fin de vie est toujours très sensible. Nous devons légiférer et nous déterminer sur cette question délicate et douloureuse, alors qu’inévitablement nous y projetons de fait la mort de ceux que nous aimons et notre propre mort, mais aussi nos croyances et nos angoisses.

Depuis trois ans, plusieurs rapports ont été rendus : celui du professeur Sicard, celui de l’avis du Comité consultatif national d’éthique, et un colloque a été organisé dans nos murs en février dernier.

La proposition de loi de nos collègues députés, Leonetti et Claeys, s’inscrit dans la continuité des lois adoptées ces quinze dernières années : la loi de 1999 qui a garanti l’accès aux soins palliatifs ; la loi de 2002 qui a accordé au malade la possibilité de refuser un traitement lui paraissant trop insupportable ; et la loi de 2005 qui a offert au malade la possibilité de demander au médecin de suspendre ou de ne pas entreprendre des traitements jugés comme étant une obstination déraisonnable.

Sur l’initiative des rapporteurs Michel Amiel et Gérard Dériot, dont je tiens à saluer l’excellent travail, la commission des affaires sociales du Sénat avait souhaité clarifier ou modifier le texte issu de l’Assemblée nationale et limiter le caractère automatique des décisions concernant la fin de vie.

Ainsi, s’agissant du refus de l’obstination déraisonnable, la commission a défini les obligations minimales qui s’attachent à la mise en œuvre de la procédure collégiale. Pour ce qui est des conditions de mise en œuvre de la sédation profonde et continue jusqu’au décès, la commission a supprimé la mention de la prolongation « inutile » de la vie, jugée source d’ambiguïtés, et celle de l’hydratation et de l’alimentation artificielles afin de s’en tenir à la jurisprudence du Conseil d’État.

Elle a précisé que dans le cas où une personne souhaite arrêter tout traitement, engageant ainsi son pronostic vital à court terme, la sédation profonde et continue n’est mise en œuvre qu’en cas de souffrance réfractaire. Cette nouvelle rédaction visait à écarter toute dérive vers le suicide assisté.

Néanmoins, le texte de la commission a été largement remanié lors de son examen en séance publique.

M. Daniel Raoul. C’est le moins que l’on puisse dire !

Mme Catherine Deroche. À l’article 1er, en matière de soins palliatifs, il est désormais précisé que les soins palliatifs doivent être mis en œuvre sur « l’ensemble du territoire ». Ainsi, les professionnels de santé devront mettre en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à toute personne une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance.

Ces moyens consistent, en particulier, en des unités de soins palliatifs équitablement réparties sur le territoire national, dans le développement du nombre de lits dans les services hospitaliers et en des unités mobiles destinées à œuvrer dans le cas d’hospitalisation à domicile ou dans les établissements médico-sociaux. L’accent a été mis également sur la formation des professionnels de santé et des personnels des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, EHPAD.

L’inégalité territoriale des soins palliatifs est un constat partagé sur toutes les travées et, de ce fait, il n’est pas illogique que la Sénat s’en inquiète.

M. Hubert Falco. Absolument !

Mme Catherine Deroche. À l’article 2, la notion d’« inutilité » des traitements est remplacée par la notion d’« inefficacité ».

La commission des lois, et à cet égard je remercie notre collègue François Pillet pour l’ensemble des amendements qu’il a défendu, a proposé que le recours à la procédure collégiale soit limité aux seuls cas où le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté.

Enfin, il a été défini que l’hydratation artificielle est un soin, et non un traitement, qui peut être maintenu jusqu’en fin de vie.

M. Bruno Sido. Très bien !

Mme Catherine Deroche. Concernant la sédation profonde et continue, l’article 3, qui prévoyait sa mise en œuvre pour les patients dont le pronostic vital est engagé à court terme, a été modifié en séance publique.

Le caractère continu jusqu’au décès de la sédation a été supprimé pour ne conserver que la notion de sédation profonde. Cette sédation devant s’accompagner de l’arrêt de tous les traitements de maintien en vie, la commission des lois a précisé que cette décision d’arrêt des traitements devait revenir au patient.

La commission avait supprimé le bilan du développement des soins palliatifs : celui-ci a été réintroduit en séance publique.

Quant à l’opposabilité des directives anticipées prévue à l’article 8, plusieurs amendements ont été adoptés. Aux termes de ceux-ci, les directives anticipées ne doivent pas contrevenir à la liberté de prescription du médecin et ne lui sont plus opposables, elles peuvent être révisées et révoquées à tout moment et par tout moyen, en cas d’inscription des directives dans le registre national un rappel régulier de leur existence sera effectué à leur auteur, le médecin traitant pourra informer ses patients, à leur demande, des conditions de rédaction de directives anticipées, les personnes placées sous tutelle pourront rédiger des directives dans les conditions du droit commun.

Enfin, l’article 9 précise le statut du témoignage de la personne de confiance.

Le texte ainsi issu de nos débats est, comme l’a souligné notre collègue Françoise Gatel, différent du texte initial. Toutefois, cela prouve surtout que rouvrir la loi consensuelle Leonetti de 2005 – pour satisfaire un engagement du Président de la République, il faut le rappeler – a renvoyé chaque sénateur à ses convictions profondes sur la fin de vie.

Comment pouvait-il en être autrement ?

Celles et ceux qui sont partisans d’une euthanasie active et du suicide assisté sont peu nombreux dans notre groupe.

Plus nombreux sont les sénateurs qui préféraient sans aucun doute à un nouveau texte sur ce sujet difficile un vrai développement des soins palliatifs, assurant ainsi l’application effective de la loi de 2005.

En commission des affaires sociales comme en commission des lois, le travail soigné de nos rapporteurs pour améliorer le texte de l’Assemblée nationale n’a pas suffi à apaiser leurs craintes d’une dérive euthanasique.

Personne n’est à blâmer ! Il n’y a ni conservatisme d’un côté ni progrès de l’autre (Protestations sur les travées du groupe écologiste, du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.), d’autant que la notion de progrès en matière de loi sociétale est toujours très complexe, mais il existe des positions différentes méritant toutes respect mutuel et humilité.

Une deuxième lecture va intervenir ultérieurement. Je souhaite que l’Assemblée nationale ne se contente pas, comme c’est souvent la règle, de revenir à son propre texte…

M. Didier Guillaume. Il y a un accord entre la droite et la gauche a l’Assemblée nationale !

Mme Catherine Deroche. … en faisant fi des doutes émis par notre Haute Assemblée.

M. Hubert Falco. Respectez les choix de chacun !

Mme Catherine Deroche. Les termes de continuité de la sédation jusqu’au décès et de droit opposable à la mort doivent être mieux redéfinis tant les mots ont du sens et doivent être posés. Le débat a montré par ailleurs que la perception des termes employés était très différente selon que l’on est ou non familier du monde médical et de l’environnement des personnes malades en fin de vie. Ne l’oublions pas en deuxième lecture.

Pour conclure, notre groupe avait laissé à chacun de ses membres une totale liberté de vote tout au long de l’examen du texte. Il en est bien évidemment de même pour le vote final. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Mes chers collègues, je voudrais, au nom de tous, souhaiter la plus cordiale bienvenue à notre nouvelle collègue, Mme Marie Mercier, devenue sénateur de Saône-et-Loire.

En ce moment, j’aurai une pensée amicale pour notre ami M. Jean-Patrick Courtois, qui a été vice-président de notre assemblée, ainsi que pour tous nos collègues qui ont dû abandonner leur mandat de sénateur par décision du Conseil constitutionnel le 11 juin dernier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur les travées du RDSE. – M. Jean-Vincent Placé applaudit également.)

Nous poursuivons les explications de vote sur l’ensemble.

La parole est à Georges Labazée, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Georges Labazée. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sur un texte d’une telle nature, la consigne de vote des groupes est bien souvent inexistante. Oui, mes chers collègues, comment peut-on demander à un groupe de voter comme un seul homme sur des dispositions qui font appel aux convictions les plus personnelles, les plus intimes ?

Sur la proposition de loi qui nous a été présentée, telle qu’adoptée par l’Assemblée nationale, il y avait, à côté de ceux qui étaient satisfaits par le texte en l’état, ceux qui voulaient aller plus loin. Il s’avérait donc difficile de trouver une position commune.

Malgré tout, un constat s’imposait : personne ne souhaitait revenir en arrière.

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Georges Labazée. C’était sans compter le sabotage de l’article 3 et de l’article 8, dispositifs clefs de ce texte.

Oui, mes chers collègues, en supprimant le droit à la sédation « continue jusqu’au décès », en vertu des termes de l’amendement retenu, puis en supprimant le droit pour chacun de voir ses directives anticipées reconnues et respectées, la droite sénatoriale, tout du moins une partie de celle-ci,…

M. Gérard Roche. Une partie !

M. Georges Labazée. Je pèse mes mots, monsieur Roche !

… a montré un visage de réaction (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.),…

Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et républicain. Mais oui !

M. Georges Labazée. … faisant ainsi preuve d’un terrible comportement.

Mme Annie David. C’est tout à fait exact !

M. Georges Labazée. Alors qu’une grande majorité de Français réclame des avancées sur ce sujet, elle a choisi de dégrader sensiblement le droit existant.

L’article 3 a donc été vidé de son sens au travers de l’amendement n° 59 rectifié bis de M. Dominique de Legge et de ses collègues qui a supprimé le caractère « continue jusqu’au décès » de la sédation.

J’ai écouté l’intervention de Mme Deroche et je trouve vraiment dommage que certains aient succombé au fantasme de la dérive euthanasique !

M. Bruno Sido. Ce n’est pas un fantasme !

M. Georges Labazée. En effet, tel n’était pas l’objet de cette disposition, et je tiens à saluer Mme la ministre, M. le président de la commission des affaires sociales ainsi que MM. les rapporteurs qui ont fait preuve de beaucoup de courage et apporté des explications et précisions à tous les instants de notre discussion sur cet article.

Il s’agissait non pas d’appliquer la sédation pour le décès, mais de l’appliquer jusqu’au décès ; sacrée différence, vous en conviendrez !

Cet article 3 créait l’obligation juridique de répondre à une personne qui souhaite que sa souffrance soit allégée. Je rappellerai à cet égard les propos de Michel Amiel au sujet d’une recommandation de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs : « La plupart des auteurs réservent la mise en œuvre d’une sédation profonde maintenue jusqu’au décès aux patients dont la mort est attendue dans un bref délai, généralement de quelques heures à quelques jours ».

La sédation profonde et continue est donc un acte thérapeutique qui fait partie de l’arsenal des soins palliatifs. Pas de rupture alors. Tout le monde s’était mis d’accord sur le fait que le patient a le droit, dans des conditions particulières, de demander à une équipe médicale de bénéficier d’une sédation jusqu’au moment de sa mort.

Apporter des solutions concrètes, créer l’obligation juridique de répondre à la souffrance d’une personne qui va inéluctablement mourir, voilà ce qui nous anime ! Voilà ce que vous avez supprimé !

Mme Catherine Deroche. Ce n’est pas vrai !

M. Georges Labazée. Nous porterons une grande attention au compte rendu des auditions à venir à l’Assemblée nationale, lorsque les députés questionneront les médecins spécialistes et leur demanderont comment ils pourront appliquer la sédation profonde non continue à une personne qui souffre physiquement et moralement, sans porter atteinte à la déontologie médicale...

Comme si cela ne suffisait pas, l’article 8 a également fait l’objet de grandes modifications. L’amendement n° 67 rectifié bis de Dominique de Legge et d’autres sénateurs a supprimé le droit opposable des directives anticipées, précisant que le médecin « prend en compte les directives anticipées », mais que celles-ci ne s’imposent pas à lui.

M. Bruno Sido. Normal !

M. Georges Labazée. Comme M. de Legge l’a précisé lors de la présentation de son amendement, « cela renvoie une différence majeure entre nous sur la question de savoir si la proposition de loi doit, ou non, créer un droit opposable ».

Plusieurs critiques portant sur les textes de cette nature ont été émises à l’encontre de la présente proposition de loi : « Il s’agit d’un texte qui protège le médecin, pas le patient », « C’est une proposition de loi pour les médecins, pas pour les patients ».

Eh bien voilà, aujourd’hui, vous donnez désormais un crédit qui n’était pas nécessaire à ces allégations. L’article 8 étant ainsi vidé de sa substance, l’esprit de cette loi est définitivement contourné.

Je regrette d’ailleurs que l’amendement présenté par Dominique Gillot et signé par le groupe socialiste et républicain sur l’information des directives anticipées, lors de la Journée défense et citoyenneté, n’ait pas été adopté, malgré l’avis favorable du Gouvernement.

Triste constat qui est le nôtre en ce milieu d’après-midi : à l’article 8 vous nous demandez de voter des dispositions qui permettraient à toute personne majeure de rédiger des directives anticipées pour le cas où elle se trouverait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté, mais sans garantie pour cette personne que ces directives soient un jour appliquées par le médecin. En outre, c’est sans compter l’absence d’un dispositif qui permettrait une information réelle et complète de l’existence de ce droit et de la nécessité de rédiger de telles directives.

« Texte pour le moins bizarre », avez-vous dit dans vos interventions, monsieur Pillet.

Je suis surpris de cette version aujourd’hui soumise à notre approbation et qui ne tient en aucun cas compte des accords transpartisans qui ont été conclus à l’Assemblée nationale.

M. Bruno Sido. Ce n’est pas l’Assemblée nationale ici !

M. Georges Labazée. Je vous renvoie au texte tel qu’il avait été adopté très largement à l’Assemblée nationale.

Je suis attristé par l’adoption de ces dispositions, alors que les travaux de la commission des affaires sociales et de la commission des lois ont consisté, à chaque étape de la proposition de loi, à clarifier, lever les ambiguïtés, à avancer, même si nous n’avons pas été d’accord sur tout.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Georges Labazée. J’en termine, monsieur le président.

Je salue à cet égard les travaux des rapporteurs Michel Amiel et Gérard Dériot, et je salue le courage du président Milon.

Je tiens également à saluer les membres du groupe communiste républicain et citoyen, le groupe écologiste, le RDSE dans sa grande majorité, ainsi qu’une partie du groupe UDI-UC, et même quelques Républicains progressistes. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit.)

Étrange retour en arrière que ce texte aujourd’hui soumis à notre approbation !

M. le président. Mon cher collègue, il vous faut maintenant conclure… vers le progrès ! (Sourires.)

M. Georges Labazée. En vidant ce texte de sa substance, messieurs de l’ex-UMP, vous avez souhaité calquer le modèle américain, vous vous êtes inspirés du Tea Party (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.),…

M. Hubert Falco. Cela n’a rien à voir ! C’est déplacé !

M. Georges Labazée. … vous avez suivi les tenants de « la manif pour tous ». Je vous propose une nouvelle appellation, vous êtes désormais Les Conservateurs ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Quelques sénateurs et sénatrices du groupe CRC et M. Jean Desessard applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour le groupe écologiste.

Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues sénatrices et sénateurs, je voudrais dans un premier temps remercier les rapporteurs MM. Michel Amiel et Gérard Dériot, le rapporteur pour avis M. François Pillet, le président de la commission des affaires sociales M. Alain Milon, ainsi que tous les collègues de la commission des affaires sociales dont nous ne partagions pas tout à fait les vues mais dont nous souhaitons saluer le travail rigoureux, équilibré et, on le dira a posteriori, malheureusement visionnaire.

Comme cela a été dit lors des interventions précédentes, le premier scandale en France, c’est l’inégalité face à la mort. Les soins palliatifs sont trop peu nombreux et, à cet égard, l’échec ou la non-application de la loi Leonetti ont été dénoncés à diverses reprises.

Aussi, nous saluons les progrès, dans le nouveau texte, concernant les soins palliatifs et la mesure des inégalités sur le territoire, une préoccupation majeure.

Nous l’avons déjà dit lors de précédentes interventions, 79 sénatrices et sénateurs de toutes les familles politiques souhaitaient aller plus loin que le texte initial. Un débat de qualité a permis, dans la nuit de mardi à mercredi, de constater que nous étions encore trop peu nombreux, puisque 75 personnes ont voté en faveur des amendements tendant au respect de la volonté des personnes atteintes de maladies incurables et qui désiraient ne plus souffrir.

Nous aurions voulu aller plus loin, mais je vous l’avoue, mes chers collègues, pas un instant nous n’avions anticipé ce qui allait se produire mercredi, à savoir un détricotage, pas à pas, méticuleux, au début masqué, ensuite, moins, durant lequel on a réussi à inventer – c’est très difficile de l’expliquer en dehors de cette assemblée – la sédation profonde et intermittente, puisque nous avons décidé que la sédation profonde ne serait plus continue jusqu’à la mort.

Je ne suis pas certaine que tous nos collègues aient réalisé – c’est l’excuse que je leur trouve – la monstruosité de ce que nous avons voté.

M. Bruno Sido. Allons, allons ! Du calme !

Mme Corinne Bouchoux. Tous ceux qui ont accompagné des personnes en fin de vie vous le diront ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe écologiste et sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde et M. Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)

Concernant les directives anticipées, un deuxième tour de passe-passe a permis, en quelque sorte, de rendre celles-ci optionnelles face au pouvoir médical, ce qui représentait justement l’inverse de ce qu’avait défendu la commission des affaires sociales, comme l’avait rappelé Mme la ministre.

Nous avons donc abouti mercredi à un texte qui est vidé de deux de ses éléments essentiels. L’article 3 a été validé à l’aide d’un scrutin public – nous avons fait voter les absents – au cours duquel certains doivent amèrement regretter que l’on ait pu voter pour eux.

Ce texte est également devenu inepte : non seulement nous n’avons pas créé de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, mais nous avons réussi, mes chers collègues, à reculer par rapport à la loi Leonetti. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe écologiste, sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.),…

M. Didier Guillaume. C’est un drame, un recul sans précédent !

Mme Corinne Bouchoux. … et cela a sans doute été un peu masqué dans la presse.

M. Hubert Falco. C’est excessif et déplacé !

Mme Nicole Bricq. Le Sénat ne s’est pas grandi !

Mme Éliane Assassi. Continuez, madame Bouchoux ! Ne vous laissez pas intimider !

Mme Corinne Bouchoux. Ces deux modalités ont totalement dévitalisé ce texte de loi, en le privant de sa portée juridique.

M. Éric Doligé. Vous n’avez rien fait pendant trois ans !

Mme Corinne Bouchoux. Madame la ministre, je salue pleinement le travail que vous avez accompli et la loyauté dont vous avez fait preuve : certes, nous n’avons pas soutenu les mêmes positions, mais vous avez défendu, pas à pas, un équilibre politique qui avait tout son sens.

Or, par la volonté de quelques-uns – nous connaîtrons leur nombre exact dans quelques instants –, c’est non seulement la proposition de loi relative à la fin de vie qui a été malmenée, mais c’est l’image même du Sénat qui a été écornée (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe écologiste et sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.), alors qu’il y a peu encore, la Haute Assemblée apparaissait comme le défenseur des libertés individuelles et collectives.