compte rendu intégral

Présidence de Mme Jacqueline Gourault

vice-présidente

Secrétaires :

M. Jean Desessard,

M. Claude Haut.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Saisine du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat qu’il a été saisi le 22 juillet 2015, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante députés, de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi relative au deuxième dividende numérique et à la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre
Discussion générale (suite)

Deuxième dividende numérique et modernisation de la télévision numérique terrestre

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative au deuxième dividende numérique et à la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre (proposition n° 544, texte de la commission n° 606, rapport n° 605, avis nos 598 et 626).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative au deuxième dividende numérique et à la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre
Demande de réserve

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord saluer le travail non seulement de Mme Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, et rapporteur sur ce texte, mais aussi de M. Sido, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, ainsi que de M. Chaize, rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Je voudrais aussi saluer le travail de conviction mené par M. David Assouline, qui est un membre très actif de la commission de modernisation de la diffusion audiovisuelle, la CMDA.

Les débats ont parfois été vifs lors de l’examen de la proposition de loi au sein de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Je crois néanmoins que l’ensemble des parlementaires partage l’ambition de donner aux Français le meilleur de ce que permettent les technologies actuelles.

Le présent texte, comme vous l’avez tous reconnu, vise à anticiper les futurs progrès technologiques plutôt qu’à s’en accommoder. Des craintes ont certes été soulevées, en particulier sur l’accompagnement des téléspectateurs. Le Gouvernement y a répondu : l’Assemblée nationale a donc adopté ce texte à l’unanimité, voilà un mois à peine. La même unanimité politique avait permis le passage de l’analogique au numérique lors du premier dividende numérique, en 2008.

Cela ne signifie pas, bien évidemment, qu’il ne faut pas avoir une discussion approfondie. Je l’ai déjà dit à l’Assemblée nationale, en commission comme en séance publique : je souhaite que le débat nous permette de dissiper les doutes qui pourraient subsister.

En amont des travaux de la commission saisie au fond, j’ai souhaité répondre par écrit, et de manière extrêmement précise, au courrier que m’avait adressé Mme Morin-Desailly. Je souhaite que le débat de ce jour soit l’occasion de poursuivre ce travail d’explication.

Au fond, ce texte, d’apparence très technique, est d’une grande portée politique. Nous poursuivons l’ambition déjà affichée avec succès par une autre majorité, voilà quelques années, avec le premier dividende numérique, à savoir hisser en permanence nos standards technologiques à la hauteur de la demande sociale, des évolutions des besoins, ainsi que des nouveaux usages.

Cette proposition de loi consacre et accompagne le développement spectaculaire des usages des technologies numériques.

D’une part, la révolution de l’internet mobile, notamment au profit de la large distribution des services audiovisuels, requiert que de nouvelles ressources en fréquences hertziennes soient mises à disposition des opérateurs mobiles. La cession de ces fréquences, qui ne sera effective qu’au mois de juin 2019 sur tout le territoire métropolitain, s’inscrit dans le cadre des recommandations de Pascal Lamy. Preuve qu’il n’y a pas d’exception française en la matière, le mouvement a déjà été enclenché ailleurs en Europe. Ainsi, en Allemagne, les enchères sur la bande de fréquences des 700 mégahertz, dite « bande 700 », se sont achevées le 19 juin dernier ; ces fréquences ont été attribuées à trois opérateurs pour un montant deux fois supérieur au prix de réserve.

D’autre part, nous entendons poursuivre la modernisation de la télévision numérique terrestre, ou TNT, dans l’objectif de généraliser la haute définition. Celle-ci est attendue par nos concitoyens ; elle s’inscrit dans le prolongement de l’évolution continue de la taille et de la résolution d’image des écrans dont ils s’équipent. Certains téléviseurs sont déjà en ultra haute définition : il suffit de se rendre dans un magasin de distribution spécialisée pour se convaincre que ce sont bien ces appareils qui sont mis en avant aujourd’hui. Nul doute que la perspective de l’Euro 2016 de football, qui se déroulera au mois de juin prochain, ne fera que confirmer cette tendance, déjà marquée, pour ce qui concerne le téléviseur familial.

L’objet premier de ce texte est donc de permettre la réaffectation de la bande 700 aux services de haut débit mobile de quatrième génération, ou 4G, afin de répondre aux besoins de nos concitoyens. C’est aujourd’hui également un enjeu de diffusion pour la culture : en effet, c’est de plus en plus par le biais de ces technologies mobiles, par des terminaux connectés, que les Français lisent la presse, visionnent des programmes de télévision ou de cinéma, et écoutent des émissions de radio ou de la musique en ligne. Il est donc nécessaire d’accompagner ces usages et de créer un cadre dans lequel le monde de la culture et des médias pourra continuer à s’exprimer, à se développer et, évidemment, à innover. Il y va de l’avenir de notre création et de la vitalité de nos industries créatives.

Le Gouvernement, particulièrement soucieux d’enrayer la fracture numérique, a d’ailleurs apporté son soutien à un amendement présenté par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Grâce à l’adoption de cet amendement, les futurs déploiements des réseaux de télécommunications dans la bande 700 devront tenir compte en priorité des impératifs d’aménagement du territoire. Cette dimension territoriale est déterminante si l’on veut que corresponde à chaque nouveau saut technologique un meilleur aménagement numérique du territoire.

Le deuxième objet important de ce texte est de permettre la modernisation de la télévision numérique terrestre. Celle-ci, premier moyen d’accès des foyers français à la télévision, constitue une plateforme de référence qui demeure le socle du financement de la création audiovisuelle et cinématographique en France.

La TNT reste aujourd’hui plébiscitée par nos concitoyens. Je suis extrêmement attachée à ce que le rôle social essentiel de cette télévision pour tous soit conservé au gré des évolutions des usages et des technologies. La TNT doit donc continuer de proposer des services toujours plus innovants, afin de répondre aux attentes non seulement des acteurs économiques, mais aussi de l’ensemble des téléspectateurs, en particulier de nos concitoyens les plus fragiles.

Afin que la TNT poursuive ses innovations, et compte tenu de la rareté du spectre hertzien, les technologies de codage vidéo doivent être modernisées.

La présente proposition de loi permet ainsi le remplacement, pour toutes les chaînes, de la norme MPEG-2, technologie utilisée depuis le lancement de la TNT voilà dix ans, par la norme MPEG-4, plus récente et surtout beaucoup plus performante et économe en spectre. Cette nouvelle norme permettra à l’ensemble des téléspectateurs d’avoir accès à la totalité des chaînes gratuites en haute définition.

Cela étant, le calendrier est exigeant ; chacun le sait. Mais il est nécessaire pour que tous les Français puissent suivre les matchs de l’Euro de football de 2016, qui se déroulera en France, dans les meilleures conditions.

M. Jean-Claude Lenoir. Bonne nouvelle !

Mme Fleur Pellerin, ministre. L’atteinte de cet objectif mérite que toutes nos énergies soient mobilisées, afin que l’Euro 2016 soit une fête populaire qui rassemble tous les Français. C’est pourquoi j’ai proposé que la CMDA soit informée, avant la fin de l’année, de l’état d’avancement du projet d’extinction du MPEG-2.

Comme toute autre migration technologique, l’arrêt du MPEG-2 ne doit pas se faire au détriment du public. Nous devons donc veiller à accompagner cette transition, en particulier auprès des Français les plus fragiles. En effet, la télévision est l’un des ferments de notre lien social et joue un rôle primordial dans la vie de nos compatriotes.

Aussi, le Gouvernement a choisi de reconduire l’ensemble des dispositifs d’accompagnement des téléspectateurs mis en place lors du passage au tout-numérique, alors même que la migration que constitue l’arrêt du MPEG-2 sera d’une ampleur bien moindre que celle qu’entraîna l’arrêt de l’analogique. Effectivement, de nombreux foyers sont déjà équipés de téléviseurs en haute définition.

Cela dit, les grandes mutations technologiques peuvent susciter des inquiétudes chez certains. Je pense en particulier aux personnes isolées et aux personnes âgées, pour qui la télévision est parfois l’un des derniers remparts contre la solitude, un média qui permet d’appartenir à la société. Des aides financières importantes seront donc mobilisées pour permettre aux foyers les plus modestes, encore équipés de récepteurs compatibles avec la seule norme MPEG-2, de renouveler leur équipement. En outre, les personnes âgées et les personnes en situation de handicap bénéficieront d’une assistance gratuite à domicile pour le branchement et la configuration de leur récepteur.

Par ailleurs, l’Agence nationale des fréquences est déjà en contact avec les distributeurs et les constructeurs, afin de s’assurer de la disponibilité des adaptateurs MPEG-4 dans les points de distribution en vue des fêtes de Noël. Ainsi, aucun foyer ne souffrira d’un écran noir à l’occasion de cette mutation. Aucun foyer ne perdra l’accès au signal hertzien sans qu’une solution rapide lui soit proposée pour garantir la continuité du service.

Une large campagne de communication, à la fois nationale et locale, sera lancée le plus tôt possible après la promulgation de la future loi, pour que chacun soit parfaitement informé des événements à venir et puisse s’assurer de son équipement.

Enfin, il ne faut pas oublier les professionnels, sans qui il n’y aurait aucune diffusion ni aucun programme à transmettre.

La disposition qui réserve les fréquences UHF situées en dessous de la bande 700 au profit du secteur audiovisuel au minimum jusqu’en 2030 constitue un signal fort à destination des éditeurs de services de télévision et du secteur audiovisuel. Elle leur apporte une visibilité suffisante pour sécuriser leur prochain cycle d’investissements et accompagner la modernisation de cette plateforme de référence.

Pour accompagner les éditeurs de services de télévision, il est également prévu que les coûts de réaménagement nécessaires à la libération des fréquences ne seront pas mis à leur charge : les premiers bénéficiaires de cette opération, à savoir les opérateurs mobiles qui se verront attribuer ces fréquences, devront s’en acquitter.

Les prestataires techniques de diffusion constituent un autre maillon indispensable de la chaîne de diffusion. Soyons très clairs : je partage entièrement votre souci, mesdames, messieurs les sénateurs, exprimé notamment par Mme Morin-Desailly. L’arrêt de la diffusion de deux multiplexes, indispensable pour libérer les fréquences de la bande 700, ne doit pas créer de préjudice à l’encontre de ces acteurs. C’est pourquoi, comme vous le savez, une mission d’expertise vient d’être lancée pour évaluer plus précisément l’incidence de ces opérations sur les acteurs de la diffusion. Les marchés concernés sont complexes : les liens contractuels entre les différents protagonistes – opérateurs de diffusion, opérateurs de multiplex, éditeurs de chaînes – sont naturellement couverts par le secret des affaires.

L’objectif de cette mission est de faire un point très précis et exhaustif sur les conséquences de la libération de la bande 700 sur ces marchés en prenant en compte tous les paramètres adéquats, tels que l’effet sur l’amortissement des investissements et sur les coûts de fonctionnement, ainsi que les perspectives de marché à moyen terme.

Là encore, je veux être très claire : à l’issue de cette mission, si cela est nécessaire, le Gouvernement prendra les mesures adaptées, y compris en introduisant une disposition dans le projet de loi de finances. Il faut que ce travail soit fait pour sécuriser la situation de ces opérateurs tout en veillant à la bonne gestion des deniers publics.

Enfin, les producteurs de spectacle vivant, d’émissions d’actualité ou d’événements sportifs sont des acteurs fondamentaux de la création et de la diffusion de la culture partout en France. Ils verront, eux aussi, leurs ressources spectrales diminuer et seront conduits à renouveler une part de leurs équipements du fait de la réallocation de la bande 700. Soucieux des conséquences qu’emportera la réaffectation de cette bande pour ces acteurs, le Gouvernement accompagnera cette transition pour les structures les plus fragiles, afin que l’organisation de ces événements, qui contribuent au vivre ensemble et à la solidarité entre nos concitoyens, ne soit pas affectée par ce transfert.

Le présent texte est donc indispensable à la réussite de la cession de la bande des 700 mégahertz. C’est, pour l’État, l’ambition de valoriser au mieux les intérêts patrimoniaux de l’ensemble des Français. C’est aussi – cette perspective doit autant nous réjouir que nous réunir – l’ambition d’offrir à tous les Français une meilleure offre numérique et télévisuelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi qu’au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, rapporteur. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est, à l’évidence, un texte technique, dont la lecture peut sembler complexe et dont les enjeux peuvent ne pas apparaître clairement pour les Français.

Pourtant, ce texte comporte des choix politiques majeurs, qui peuvent être discutables, et qui doivent, en tout cas, être discutés.

De plus, il est porteur d’évolutions capitales pour le développement tant d’internet que de l’audiovisuel, et il nous incombe de nous assurer que ces évolutions, que nous estimons tous indispensables, se feront dans le respect des différents acteurs, avec les précautions requises.

De quoi s’agit-il ?

La proposition de loi prévoit de moderniser la diffusion audiovisuelle, en organisant un changement de norme de compression vidéo, en passant du MPEG-2 au MPEG-4, qui constitue une condition de la généralisation de la haute définition. C’est une modification considérable si l’on garde à l’esprit que, pour ce qui concerne France Télévisions, seules les émissions de France 2 sont aujourd’hui diffusées en HD ; les programmes des autres chaînes du groupe ne le sont pas.

Par ailleurs, ce changement de norme de compression doit permettre de mieux utiliser les fréquences, en regroupant les chaînes sur un nombre plus réduit de multiplexes. Cela libérera la bande des 700 mégahertz, afin qu’elle soit attribuée aux opérateurs de télécommunications, qui pourront ainsi accompagner la hausse du trafic de données sur l’internet mobile dans les années à venir.

Cette évolution est donc positive et nécessaire, tant pour l’audiovisuel que pour le numérique ; une évolution générale est d’ailleurs engagée en Europe et dans le monde.

Toutefois, quelles sont les difficultés ? Quels sont les points de vigilance ?

J’évoquerai tout d’abord le calendrier.

Pascal Lamy, que la commission a auditionné, a proposé dans son rapport que le transfert de la bande des 700 mégahertz aux opérateurs de télécommunications intervienne autour de 2020 – entre 2018 et 2022 – lorsque les besoins se feront véritablement sentir. Dès lors, pourquoi avoir décidé d’anticiper ce transfert au mois d’avril 2016 en Île-de-France ? Aucun intérêt technique ne le justifie. Il est même établi que cette anticipation aura pour effet de rapporter moins d’argent à l’État que ne l’aurait permis une vente en 2017 ou en 2018, par exemple.

La véritable raison, nous la connaissons tous : elle est d’ordre budgétaire. On peut regretter que des actifs publics soient soldés pour boucler le financement de la loi de programmation militaire ou, en tout cas, pour alimenter le budget de l’État. On peut s’interroger sur ce choix de politique publique qui risque de fragiliser les investissements dans le numérique au cours des années à venir.

On l’a dit, les sommes que les opérateurs devront verser pour acheter aujourd’hui ces fréquences, dont ils n’ont pas actuellement besoin, ne pourront être investies dans les réseaux, ce qui entraînera le ralentissement du développement de la 4G et de l’émergence de la 5G en France.

Les questions que nous nous posons quant au choix stratégique du calendrier concernant le basculement de la bande 700 visent aussi des conséquences plus immédiates, qui peuvent déstabiliser la filière audiovisuelle.

Un besoin impérieux du produit de la vente des fréquences s’étant fait sentir, les enchères ont été prévues en décembre prochain. On ne s’embarrasse pas outre mesure du débat parlementaire, puisque les conclusions du travail législatif sont de fait anticipées ! Et la date du 5 avril 2016 a été retenue pour l’arrêt de la norme actuelle de compression et la généralisation de la nouvelle norme MPEG-4.

Or que se passe-t-il ?

Tous les acteurs de l’audiovisuel nous ont avertis que cette date n’était franchement pas réaliste : elle est globalement tendue et difficilement soutenable, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, elle se situe au milieu des vacances de printemps de la zone B : des millions de foyers risquent de retrouver un écran noir à leur retour de vacances.

Ensuite, tous les éditeurs de programmes estiment que la campagne d’information devrait commencer au mois de septembre prochain, alors que son début est prévu en novembre du fait même du calendrier arrêté par l’Agence nationale des fréquences, l’ANFR, dans le cadre de son appel d’offres. Pour justifier son calendrier, le Gouvernement invoque le fait qu’il doive inciter les foyers à renouveler leur matériel lors des fêtes de fin d’année. Mais le rôle du Gouvernement devrait être avant tout de s’assurer que des adaptateurs seront disponibles en nombre suffisant le moment venu. Or, là encore, le calendrier retenu ne peut que susciter des inquiétudes, en particulier pour ce qui concerne l’équipement des postes secondaires.

J’évoquerai un dernier problème spécifique concernant France Télévisions.

Voilà quelques jours, le président de ce groupe vous a saisie, madame la ministre, pour vous faire part de ses craintes quant au calendrier retenu eu égard aux délais propres à la commande publique et au nombre très important de sites de France 3 à équiper. Pourquoi ne pas accepter d’envisager la possibilité d’un report de quelques mois, par exemple, jusqu’à septembre 2016, en vue de rassurer les acteurs, comme le propose la commission ? Un peu de souplesse, avec ce délai supplémentaire, n’est pas de nature à remettre en cause le calendrier initial global et permettrait de répondre aux vives inquiétudes des acteurs, au premier rang desquels les opérateurs de diffusion.

Comme vous le savez, il existe trois opérateurs de diffusion dans notre pays. Or chacun d’entre eux est très inquiet des conséquences, d’une part, de l’arrêt de deux multiplexes et, d’autre part, de la réorganisation des multiplexes restants. Comment amortir les investissements réalisés ? Comment gérer une surcapacité en émetteurs qui pourrait provoquer une baisse des prix ?

Au moins deux opérateurs ont de sérieuses interrogations sur leur capacité à survivre à ces changements et attendent de l’État une indemnisation de leur préjudice. Cette indemnisation a été reconnue comme possible dans le rapport de Pascal Lamy. D’ailleurs, certains pays, tel le Royaume-Uni, ont déjà prévu des crédits à cette fin.

Aujourd’hui, je le déplore, le Gouvernement refuse d’inscrire dans la loi le principe de l’indemnisation de ce préjudice ainsi que ses modalités, au motif, notamment, qu’un rapport a été demandé à l’Inspection générale des finances, l’IGF, pour faire le point sur l’incidence du transfert de la bande des 700 mégahertz sur les différents acteurs. L’IGF devait rendre son rapport à la fin de ce mois. Or je crois savoir, madame la ministre, que les trois opérateurs de diffusion ont indiqué, dans un courrier qui vous a été adressé hier, qu’aucun d’entre eux n’avait été à ce jour contacté par les services de l’IGF. D’ailleurs, les conclusions devraient au final être rendues, nous dit-on, à la mi-septembre. Que doit-on comprendre ? Comment s’étonner alors que les opérateurs temporisent avant de s’engager dans ce processus ?

Notre dernière inquiétude concerne, vous le savez, les foyers qui reçoivent la TNT par satellite. À l’image de ceux qui reçoivent la télévision par voie hertzienne, ces derniers devront adapter leur matériel à la nouvelle norme de compression. Or ils recourent le plus souvent au satellite par contrainte technique, car ils sont situés dans un territoire reculé ou dans un territoire de montagne. Ils ont, par ailleurs, été incités par le Gouvernement à recourir au satellite. C’est pourquoi nous regrettons que vous refusiez, madame la ministre, d’étendre le dispositif d’aides à ces publics. Vous avez dit vouloir aider les plus fragiles. Mais ceux-ci se trouvent aussi dans les territoires isolés, et ils sont finalement condamnés à une double peine.

Enfin, dans le cadre du débat, j’aurai l’occasion de revenir sur plusieurs amendements, adoptés par la commission, visant à enrichir la proposition de loi pour ce qui concerne la couverture de la population par la TNT et la moralisation des ventes de chaînes de la TNT. Nous sommes, sachez-le, madame la ministre, prêts à améliorer le texte et à trouver un accord. Ainsi que vous l’avez indiqué dans votre propos liminaire, nous avons déjà commencé à clarifier et préciser certaines dispositions. Au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, je souhaite que le débat nous permette d’avancer dans cette voie.

Pour terminer, j’indique que, en application de l’article 44, alinéa 6, du règlement, la commission demande la réserve de l’article 6, pour que son examen soit abordé après la discussion de l’article 7. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Demande de réserve

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative au deuxième dividende numérique et à la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre
Discussion générale

Mme la présidente. Je suis saisie par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication d’une demande de réserve de l’article 6, afin qu’il soit examiné après l’article 7.

Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la réserve est de droit, sauf opposition du Gouvernement.

Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?

Mme Fleur Pellerin, ministre. Favorable.

Mme la présidente. La réserve est de droit.

Discussion générale (suite)

Demande de réserve
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Article 1er

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bruno Sido, rapporteur pour avis.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires économiques s’est saisie pour avis des articles 8, 9 et 10 ter de la présente proposition de loi.

Je ne reviendrai pas sur le contexte général de ce texte, fort bien présenté par Mme la ministre – c’est pourquoi j’ai applaudi son intervention liminaire –, et par Mme la rapporteur Catherine Morin-Desailly, limitant mon propos aux aspects auxquels s’est intéressée la commission à laquelle j’appartiens.

Au stade de l’examen en commission, nous n’avons pas souhaité présenter d’amendements sur ces trois articles. Pour autant, nous avons fait état de préoccupations sur différents points, que j’ai approfondis par la suite et qui m’ont conduit à cosigner deux amendements de Philippe Leroy que j’évoquerai ensuite.

Permettez-moi, tout d’abord, de rappeler quelques éléments sur le « pourquoi » et le « comment » de ce texte, du point de vue des télécommunications bien entendu.

Le premier dividende numérique concernant la bande des 800 mégahertz avait été libéré par l’arrêt de la diffusion hertzienne analogique de la télévision, qui s’est achevé à la fin de l’année 2011. Bruno Retailleau, ici présent, avait alors présidé la commission saisie. Quel grand moment ! Or ce n’est pas fini.

Ces fréquences dites « en or » avaient déjà à l’époque été attribuées aux opérateurs de communications électroniques pour qu’ils déploient la 4G sur le territoire. La procédure d’enchères « à l’aveugle » avait permis à l’État de récupérer une somme rondelette de 3,6 milliards d’euros. Seul l’opérateur Free n’avait pas obtenu de fréquences.

Ce deuxième dividende numérique provient, lui, d’un changement des normes de compression et de diffusion de la TNT, ainsi que vous l’avez souligné, madame la ministre. Les fréquences libérées le seront au profit du secteur des télécommunications, ce qui est une très bonne chose.

Cela permettra tout d’abord une augmentation des débits, avec la 4G+, puis la 5G, à l’horizon de 2020. Le trafic mobile, nous le savons tous dans cette enceinte, ne cesse d’augmenter, bien davantage d’ailleurs pour les données, les fameuses « data », que pour la voix. En France, par exemple, le trafic 4G va être multiplié par 17 entre 2014 et 2019.

Par ailleurs, l’affectation de la bande des 700 mégahertz aux télécommunications permettra d’améliorer la couverture mobile et la qualité de service, puisque ces fréquences couvrent plus de territoire et pénètrent davantage dans les immeubles, des questions pratiques physiques sur lesquelles je ne reviendrai pas.

L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, aura la haute main sur la procédure, ainsi que sur la bande 700, alors que cette responsabilité relevait jusqu’à présent du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA. L’ARCEP a déjà préparé un cahier des charges pour la mise aux enchères des fréquences qui aura lieu cet automne. Ainsi, ce sont des recettes de l’ordre de 2,5 milliards d’euros – une somme un peu moins rondelette ! – qui sont attendues pour l’État, au terme d’enchères dont le dynamisme devrait être assuré par l’opérateur Free, qui n’avait pas bénéficié du premier dividende numérique.

J’en viens désormais aux difficultés posées par cette opération de transfert, pour ce qui concerne particulièrement le secteur des communications électroniques.

J’en conviens, madame la ministre, il s’agit d’un texte de loi très technique. Toutefois, on est bien obligé de mettre les mains dans le cambouis !

Le premier enjeu est celui de l’utilité immédiate de la bande 700 pour les opérateurs. Hormis pour Free, qui n’avait pas concouru à l’occasion du premier dividende numérique, celle-ci n’est pas évidente. En effet, les auditions ont fait ressortir une certaine contradiction à ce sujet.

D’un côté, les opérateurs affirment ne pas avoir besoin, dans l’immédiat, de cette bande de fréquences – je note d’ailleurs qu’elle ne sera pas complètement disponible avant 2019 –, parce qu’ils sont capables de faire face à l’augmentation du trafic grâce aux fréquences dont ils disposent depuis le premier dividende numérique.

De l’autre, ces mêmes opérateurs – c’est ce qui est apparu assez curieux lors des auditions – se sont également alarmés du fait que l’article 2 du texte sanctuarise l’affectation de la bande des fréquences entre 470 et 694 mégahertz à la télévision numérique terrestre jusqu’en 2030 – je suis d’accord avec les propos qu’a tenus précédemment M. Assouline à ce sujet. En somme, ils n’ont pas besoin de la bande des 700 mégahertz, mais ils s’inquiètent de la « préemption » de la bande 470-694 mégahertz par la TNT – et, par extension, par la commission des affaires culturelles – jusqu’en 2030, avec une clause de revoyure en 2025 ! Il nous faudra donc travailler sur la question, car, on le constate, tout cela est assez compliqué.

Pour le coup, ces fréquences basses sont des fréquences en « or plaqué » : en effet, plus les fréquences sont basses, plus elles vont loin et pénètrent dans les bâtiments et, par conséquent, plus elles sont utiles aux opérateurs.

Aussi, nous nous sommes interrogés sur le bien-fondé de la décision de fixer dans la loi, dès maintenant, une échéance en 2030, sachant que des pays comme les États-Unis ou le Japon sont en passe de libérer leurs fréquences basses pour les télécommunications. N’est-ce pas se lier les mains pour l’avenir, madame la ministre ? Du reste, dans cette affaire, c’est la convergence entre fixe et mobile qui est en jeu...

Le deuxième enjeu concerne le coût du basculement. Tout d’abord, l’évaluation de celui-ci est incertaine. L’Agence nationale des fréquences estime ce coût à une trentaine de millions d’euros – ce qui n’est tout de même pas rien ! –, tandis qu’une étude, qui a été citée par l’un des opérateurs et qui fait référence à la Grande-Bretagne, considère qu’il s’établira entre 900 et 950 millions d’euros au total, soit environ trente fois plus !

Ces différences d’estimation sont importantes, dès lors que l’article 8 du présent texte prévoit qu’il revient aux seuls opérateurs de supporter ces coûts au travers d’un fonds de réaménagement du spectre qu’ils alimentent. Les opérateurs risquent donc de réviser à la baisse leurs enchères pour intégrer l’aléa lié à l’incertitude sur le coût réel du réaménagement.

Par ailleurs, les moyens de financement des opérateurs seront fortement sollicités par ces enchères, au moment où il leur est demandé d’investir dans les réseaux fixe et mobile à très haut débit, et alors même qu’ils ne disposeront de toute la bande des fréquences des 700 mégahertz qu’en 2019 ! Par conséquent, ces investissements risquent également d’être revus à la baisse, tout comme il est à craindre que les tarifs des abonnements ne soient révisés à la hausse, ce dont pâtiraient naturellement les consommateurs.

Or l’État lui-même est intéressé par la réaffectation des fréquences, puisqu’un quart de la bande 700 sera réservé au ministère de l’intérieur – à juste titre, d’ailleurs, je ne le critique pas ! – pour la mise en place de systèmes de communications sécurisés. Il faudra, en tout état de cause, que la commission compétente sur le fond vérifie si le ministère de l’intérieur a réellement besoin de cette fraction de la bande.

Cette situation explique que certains opérateurs demandent que l’État contribue à due proportion au financement de ce fonds de réaménagement. On notera que, en Grande-Bretagne, le coût du réaménagement est totalement imputé au budget de l’État, alors que l’article 40 de la Constitution nous en empêche en France. Nous avons déposé un amendement en ce sens, qui consiste à emprunter une voie rendue étroite par l’irrecevabilité financière.

Cette situation explique également la demande de plafonner cette contribution en fonction du montant de l’estimation la plus fiable à ce jour, de sorte que les opérateurs puissent enchérir en toute connaissance de cause. Or on nous annonce la remise d’un rapport au mois de septembre, ce qui crée un décalage, puisque nous discutons de cette proposition de loi au mois de juillet. Il aurait mieux valu que le phasage soit inverse et que nous puissions disposer du rapport avant d’examiner ce texte. Mais enfin, c’est ainsi !

Dans l’attente des éclaircissements du Gouvernement sur ces points, j’avais initialement renoncé à déposer en commission des amendements en ce sens. Néanmoins, les éléments qui m’ont été transmis ne m’ayant pas pleinement satisfait, j’ai cosigné avec mon collègue Philippe Leroy deux amendements.

Pour l’essentiel, je pense toutefois qu’il importe d’aller vite, même si cette proposition de loi ne sera vraisemblablement pas votée dans les mêmes termes qu’à l’Assemblée nationale, puisque quelques amendements – je l’espère ! – seront adoptés au Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)