M. Philippe Kaltenbach. Tirez-en les conclusions !

M. François-Noël Buffet, rapporteur. J’en viens à l’immigration irrégulière, à propos de laquelle une discussion sur l’éloignement est engagée, nous le savons tous.

Monsieur le ministre, je n’ai jamais dit à cette tribune – pas plus que n’importe où ailleurs ! – que le nombre d’éloignements avait diminué. J’ai simplement dit qu’il n’avait pas augmenté et qu’il était constant depuis plusieurs années. C’est la seule chose que j’ai dite !

Il faut savoir que le taux d’exécution de nos mesures d’éloignement est, en réalité, très faible. Il s’établit, en moyenne, à 15 % pour les ressortissants des pays tiers et à 50 % pour les pays de l’Union européenne.

Le tableau qui figure au rapport de la commission des lois prend sa source à la Direction centrale de la police aux frontières, la DCPAF, et à la Direction générale des étrangers en France, la DGEF. C’est un document tout à fait officiel, qui mentionne des chiffres eux-mêmes tout à fait officiels.

Ce qu’on y lit, ce n’est pas que vous avez fait moins bien que les autres. Simplement, on y lit que vous n’avez pas fait mieux (M. Bruno Retailleau s’exclame.) et que, depuis 2010 jusqu’à maintenant, le taux d’exécution des mesures d’éloignement prononcées est constant. En 2010, nous étions à 23,3 %, toutes mesures d’éloignement confondues ; en 2011, ce chiffre s’établissait à 24,4 % ; en 2012, il était de 29,5 % ; en 2013, il était de 23,4 % et en 2014, il était de 22,3 %.

Comment interpréter ce tableau ? Je pense, pour ma part, que l’on n’éloigne pas suffisamment. Car l’immigration irrégulière est, quant à elle, très importante. Nous savons qu’elle est de l’ordre de 400 000 à 450 000 personnes. Elle est évidemment assez difficile à chiffrer avec précision. Toutefois, force est de constater que, depuis 2010, le nombre d’éloignements n’évolue pas – en tout cas, le pourcentage est à peu près constant. C’est la raison pour laquelle je demanderai que l’on modifie le texte qui nous est proposé pour renforcer les mesures d’éloignement.

À peine ai-je terminé ces constats rapides que mon temps de parole est presque écoulé. Je ne pourrai donc pas répondre aux propos que vous avez développés il y a quelques instants à cette tribune, monsieur le ministre.

Je mentionnerai quand même que la commission a adopté 120 amendements. Elle a estimé nécessaire de prévoir la possibilité d’un débat annuel au Parlement sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration afin de disposer de la meilleure information sur cette question.

Les conditions d’accès à la carte de séjour pluriannuelle ont été, en outre, restreintes, en excluant en particulier de son bénéfice les salariés titulaires d’un contrat à durée déterminée et les étrangers faisant l’objet d’une admission exceptionnelle au séjour. La commission a également renforcé les conditions dans lesquelles l’administration peut exercer un contrôle afin de vérifier que les bénéficiaires remplissent toujours les conditions pour en bénéficier. En outre, elle a précisé les circonstances dans lesquelles le titre peut être refusé ou retiré. Par ailleurs, les conditions relatives à la durée de présence régulière sur le territoire national pour pouvoir bénéficier du regroupement familial ont été étendues de dix-huit à vingt-quatre mois. Le titre pluriannuel cesse d’être un principe pour devenir une exception. Le principe, c’est le titre annuel.

De plus, le pouvoir d’appréciation du préfet pour délivrer les titres de séjour a été rétabli. La commission des lois n’a pas souhaité que des titres soient obtenus de plein droit, elle a voulu préserver en la matière le pouvoir d’appréciation du préfet.

Enfin, la commission a maintenu le critère actuellement applicable pour délivrer une carte de séjour à un étranger malade, fondé sur l’existence des soins nécessaires dans le pays, et non sur l’accès effectif à ceux-ci par l’étranger concerné.

Je me souviens du débat de 2011 et des propos qui ont été tenus. En tous les cas, je n’ai pas le sentiment d’être moins respectueux de la santé des étrangers malades en situation irrégulière. J’ai simplement souhaité – et nous avons souhaité – répondre à des circonstances en respectant les principes de droit de notre pays tout en prenant en compte la maladie des étrangers qui doivent être éloignés.

Soucieuse d’améliorer les mécanismes proposés dans le projet de loi pour renforcer l’effectivité des mesures d’éloignement, la commission des lois a précisé les dispositions relatives à l’assignation à résidence par l’harmonisation des sanctions pénales, mais aussi en demandant des garanties de représentation qui n’étaient pas prévues dans le texte d’origine, à savoir la validation du maire pour une attestation d’hébergement et la mise en place d’un cautionnement qui garantit la représentation.

Nous avons également modifié la réglementation sur les obligations de quitter le territoire français, OQTF, en abaissant le délai de départ volontaire de trente à sept jours et en allongeant la durée maximale des mesures d’interdiction de retour à cinq ans. Nous avons modifié la procédure d’obligation de quitter le territoire français pour les déboutés du droit d’asile afin de disposer d’une procédure efficace à l’endroit de ceux que l’on doit absolument éloigner après qu’ils ont été définitivement déboutés.

Il y a bien sûr d’autres procédures. Vous avez parlé de l’intervention du juge des libertés et de la détention à partir de quarante-huit heures. Nous souhaitons rester sur le dispositif de 2011, lequel prévoit l’intervention du juge au bout de cinq jours.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Nous avons spécialisé les fonctions des magistrats.

Nous avons rétabli le forfait de l’aide médicale d’État.

Je dirai, puisqu’il me faut conclure, que nous avons donné un peu de corps à ce texte, lui apportant quelque d’efficacité pour remplir des objectifs que je crois partagés : une immigration régulière parfaitement contenue, une immigration irrégulière parfaitement combattue, un éloignement plus efficace que ne le prévoyait le texte dans la rédaction qui nous est parvenue. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, François-Noël Buffet ayant quelque peu dépassé les dix minutes qui lui étaient imparties, je serai bref. Il a été brillamment exhaustif et la commission des lois, sous l’égide de son président M. Philippe Bas, nous propose un texte équilibré, très largement amélioré par rapport au texte issu de l’Assemblée nationale. (M. Philippe Kaltenbach s’exclame.) Permettez-moi de les remercier l’un et l’autre pour le remarquable travail qu’ils ont accompli.

Je m’exprimerai rapidement au nom de la commission de la culture. Deux points ont tout particulièrement retenu notre attention. Il s’agit de sujets de préoccupation constante de notre commission, et tout particulièrement de sa présidente Mme Catherine Morin-Desailly : d’une part, l’apprentissage de la langue française par les étrangers venant en France ; d’autre part, l’attractivité de notre pays pour les étudiants et les talents.

L’apprentissage de la langue française est, aux yeux de notre commission, fondamental dans le parcours d’intégration des étrangers. Notre langue est le vecteur de notre histoire, de notre culture, de nos valeurs. Monsieur le ministre, être laxiste sur l’apprentissage du français pour les étrangers, ce n’est rendre service à personne ! On ne rend pas service aux étrangers eux-mêmes, car comment s’intégrer dans un pays dont on ne parle ni ne comprend la langue ? Comment même espérer y décrocher un emploi et y vivre dignement ?

Ce n’est pas rendre service non plus à la société française dans son ensemble, car la méconnaissance de la langue du pays d’accueil favorise le repli sur soi, le communautarisme et, bien souvent, contribue à faire régresser la condition des femmes !

Toutefois, les exigences posées aujourd’hui aux étrangers en matière de connaissance de la langue française sont dérisoires. Le niveau qu’il est demandé d’atteindre à l’issue du contrat – je dis bien à l’issue du contrat ! – est ridiculement bas : il s’agit d’un niveau dit A1.1, qui n’existe même pas dans le cadre européen commun de référence pour les langues dont le niveau le plus bas est le A1. La France est le seul pays européen dont l’objectif de maîtrise de sa langue par les migrants est aussi faible !

Apprendre le français lorsque l’on arrive en France, c’est un droit, certes, mais c’est aussi un devoir. Et si nous mettons les moyens pour permettre aux étrangers arrivant régulièrement sur notre territoire d’apprendre les bases du français, eux doivent aussi, en retour, prouver leur bonne volonté et passer, un à un, les niveaux de langue qui sont le gage de leur bonne intégration.

Le Gouvernement envisage, par voie réglementaire, de rehausser le niveau que l’étranger devra avoir atteint à l’issue – je dis bien à l’issue ! – de son contrat d’intégration : il devrait s’agir désormais du niveau A1 – le niveau « découverte » de la langue, le plus bas niveau. Quatre ans plus tard, pour obtenir la délivrance d’une première carte de résident, il devrait avoir atteint un niveau A2 – qui est un niveau de « conversation simple ».

Ces dispositions vont, certes, dans le bon sens, mais nous devons être beaucoup plus ambitieux encore ! Sans exiger pour autant l’agrégation de lettres – comme j’ai pu l’entendre dernièrement –, ne devrait-on pas exiger de l’étranger qu’il puisse mener une « conversation simple » pour accéder à une carte pluriannuelle de séjour ? Ne devrait-on pas exiger qu’il sache « exprimer ses idées » en français pour accéder à une carte de résident ?

Enfin, ne devrait-on pas exiger qu’il puisse être considéré comme un « interlocuteur indépendant » pour prétendre à une naturalisation ?

Ces exigences me semblent relever du simple bon sens, qui fait malheureusement défaut. Le parcours d’intégration d’un étranger en France doit être équilibré, dans ses droits, comme dans ses devoirs : il y va de sa bonne intégration dans notre pays.

Il me paraît indispensable que nous ayons tous à l’esprit l’adage suivant : « Quand on n’a pas les mots, on a la violence ».

Sur l’attractivité de la France, ensuite, à l’égard des étudiants étrangers, nous serons tous d’accord, je pense, pour soutenir cet objectif d’attractivité qui contribue au rayonnement économique, scientifique, culturel et même moral de notre pays. Les talents étrangers que nous accueillons en France seront ensuite nos meilleurs ambassadeurs à travers le monde.

Au-delà de la qualité de l’accueil que notre pays se doit de réserver aux étudiants étrangers, je veux plaider pour le développement d’une politique plus volontariste d’accueil des étudiants étrangers sur des filières d’avenir et des spécialités déficitaires. Car si la France est aujourd’hui le cinquième pays d’accueil en nombre d’étudiants étrangers, elle perd régulièrement du terrain – elle était troisième voilà encore quelques années – et les meilleurs étudiants mondiaux se détournent, hélas! de la destination France.

M. Philippe Kaltenbach. La faute de qui ?

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. Cette nouvelle ambition, que j’appelle de mes vœux, passe par une exigence renforcée à l’égard des étudiants étrangers entrants, car qui dit « exigence » dit « qualité » et même « excellence », et c’est ce que nous devons viser pour notre pays : exigence au moment de l’admission – exigence sur le niveau académique des étudiants, diversification des zones géographiques de provenance, priorisation sur certaines filières et spécialisations –, mais aussi exigence au cours des études – contrôle du « caractère réel et sérieux » des études et attention portée au taux de réussite et d’échec des étudiants étrangers.

Monsieur le ministre, la question du « juste niveau » des droits d’inscription dans nos établissements d’enseignement supérieur restera toujours en suspens. À cet égard, la « stratégie nationale de l’enseignement supérieur » que le Gouvernement va prochainement présenter au Parlement me semble singulièrement timide : on y préconise l’accueil d’étudiants étrangers, mais sans aucune logique de filière ; on y préconise, surtout, de ne pas toucher aux frais d’inscription !

Où est l’ambition, monsieur le ministre ? Où est tout simplement la « politique » ? Où est la hauteur de vues, que vous préconisez sans cesse ? Ayez le courage de sortir d’une logique de « guichet » pour bâtir une véritable politique volontariste de recrutement d’étudiants talentueux qui stimuleront à leur tour nos propres étudiants et notre système d’enseignement supérieur : nous avons tous et toutes à y gagner ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit des étrangers en France
Discussion générale (début)

Mme la présidente. Je suis saisie, par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 11.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au droit des étrangers en France (n° 717, 2014-2015).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen a souhaité déposer cette motion tendant à opposer la question préalable afin que soit rejeté l’ensemble de ce projet de loi relatif au droit des étrangers, revu par la majorité de droite de la commission des lois et désormais intitulé : « projet de loi portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’immigration ».

Il suffit d’écouter M. le rapporteur pour comprendre que cette nouvelle mouture aggrave la précarité de la situation des personnes en situation régulière et réoriente les dispositions sur la maîtrise de l’immigration irrégulière en renforçant les dispositifs de contrôle et en facilitant l’éloignement. Vous comprendrez bien que nous ne pouvons l’accepter.

Monsieur le ministre, dans la continuité des réformes passées sur le sujet, votre projet de loi maintien l’inversion de la logique de l’intégration, logique selon laquelle les personnes étrangères ont besoin de droits pour s’intégrer, et non de s’intégrer pour mériter des droits. L’immigration autorisée est ainsi maintenue dans une situation administrative précaire qui empêche celles et ceux qu’elle concerne de trouver leur place en France.

Après le projet de loi relatif au droit d’asile, débattu ici il y a quelques semaines, le texte qui nous occupe aujourd’hui permet un renforcement des contrôles et donc un affaiblissement des possibilités de recours, sous couvert de la multiplication supposée des demandes « abusives ».

Pourtant, le nombre de décisions de protection reste stable. En 2007, sur 35 500 demandeurs d’asile, 8 800 l’ont obtenu, 26 700 ont donc été déboutés. En 2013, sur 65 900 demandeurs, 11 400 seulement ont obtenu le titre de réfugié, contre 54 500 déboutés. Comment peut-on donc sérieusement penser que le nombre de demandes abusives a doublé d’une période à l’autre ?

Le droit d’asile, comme le droit des étrangers, ne se résume pas à des flux et des stocks d’étrangers à gérer. La crise des réfugiés actuelle en témoigne bien : il s’agit avant tout d’une question de géopolitique et de responsabilité internationale.

Les conflits internationaux et l’ordre économique établi font de notre monde un monde de réfugiés. On dénombrerait déjà 163 millions de personnes ayant dû quitter leur foyer à la suite de conflits, de catastrophes naturelles ou de grands projets de développement. Entre 2000 et 2050, ce sont au moins un milliard de personnes qui devraient migrer dans le monde, dont plus de la moitié pour s’adapter au réchauffement climatique ou en fuir les conséquences : inondations, sécheresses, pénuries d’eau et d’aliments, maladies émergentes.

Qu’allons-nous faire de ces personnes ? Les laisser à la dérive d’un monde dérégulé ? Les renvoyer chez eux, même en cas de guerre, comme le stipule agressivement Mme Le Pen ?

M. Stéphane Ravier. Bonne idée !

Mme Éliane Assassi. Les défenseurs de la « forteresse Europe » sont catégoriques : si l’Europe abolit le contrôle de l’immigration, elle sera envahie par les étrangers. Cela paraît relever d’une peur profondément ancrée. Pourtant, la plupart des gens n’ont aucune envie de quitter leur pays, et encore moins définitivement. Comme l’écrit le romancier et dramaturge Laurent Gaudé dans Eldorado : « Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes. »

Il ne s’agit pas ici de verser dans l’angélisme, mais de mettre en garde contre les idées toutes faites et les faux débats.

En effet, depuis plus de trente ans, l’immigration est presque exclusivement considérée comme une menace ; de nombreux discours martèlent que la fermeture des frontières et la répression sont la seule politique possible.

M. Stéphane Ravier. Absolument !

Mme Éliane Assassi. Faut-il le rappeler, ce ne sont pas les immigrés qui sont responsables de la crise économique et du fléau du chômage !

Évidemment, les solidarités ne peuvent se cantonner au niveau national et l’ouverture des frontières de notre pays ne répondra pas aux maux de notre planète. Un nouvel ordre économique mondial doit être repensé. Ni le gouvernement actuel, ni l’opposition, ni, a fortiori, le Front national n’apportent d’ailleurs leur contribution à cette réflexion pourtant essentielle. Pour notre part, nous souhaitons prendre le contre-pied des logiques étroites et des logiques de peur en essayant d’élever le débat.

La crise migratoire, mes chers collègues, met en évidence la nécessité de combattre l’anarchie libérale. La mondialisation financière, en fin de compte, n’est autre que la mise en concurrence des peuples et des individus, et in fine c’est la guerre.

Je vous rappelle cependant que l’accroissement des ressources au Nord s’est fait au détriment des pays du Sud. À cet égard, nous faisons nôtre le plaidoyer du juriste Robert Charvin pour « une vaste et solennelle négociation Nord-Sud dans le cadre de l’ONU, neutralisant les ingérences multiformes, sources de la plupart des conflits et interdisant les spoliations. Un nouvel esprit et de nouvelles règles doivent révolutionner le droit économique international et fonder un modèle de rapports égalitaires avec tous les peuples, faisant de l’étranger non un ennemi mais un partenaire. »

Il faut mettre un terme au jeu détestable des multinationales qui ont pris le pouvoir dans bien des régions du monde. Les sommes colossales qui alimentent les circuits financiers doivent aller au développement. Un ordre nouveau, avec une Organisation des Nations unies refondée, c’est la voie du progrès et de la coopération pacifique.

Le manque d’engagement et de perspectives transformatrices en la matière laisse donc le champ libre au Front national,…

M. Stéphane Ravier. Je le confirme !

Mme Éliane Assassi. … qui diffuse son discours de haine (M. Stéphane Ravier s’exclame.), joue avec les peurs et crée le doute dans les esprits de certains de nos concitoyens.

En prétendant que la France ne peut, faute de moyens, accueillir plus de réfugiés, ce parti joue aujourd’hui, comme hier, la concurrence entre démunis, entre réfugiés, migrants et citoyens français. Il use à cette fin de raccourcis biaisés, de propagande et d’intoxication, et il profère les inepties les plus éhontées pour tenter de tirer profit de cette situation.

Pourtant, dans un monde où les distances se franchissent facilement et où le fossé entre les pays riches et les pays pauvres est énorme, ne faut-il pas, tout en insistant sur les aspects positifs des migrations, les considérer comme une donnée inéluctable ?

Face à tous ces enjeux, je ne pense pas qu’il suffise de répondre avec une réforme visant à gérer le quotidien : trop ou pas assez d’immigrés ? Telle est la question... Et ce faisant, on fait prévaloir la suspicion et la répression sur le respect et l’effectivité des droits.

Ainsi, de nombreuses dispositions du présent projet de loi facilitent l’éloignement et réduisent les délais de recours ; le dispositif d’évaluation médicale est transféré des médecins des agences régionales de santé, ou ARS, à ceux de l’Office français de l'immigration et de l'intégration, ou OFII, qui relève du ministère de l’intérieur. À ce sujet, monsieur le ministre, que les choses soient claires : un médecin de l’OFII vaut un médecin de l’ARS et inversement. Ce qui nous gêne, c’est que ce dispositif alimente la confusion entre santé publique et contrôle de l’immigration. Encore maintenant, monsieur le ministre, j’avoue ne pas avoir été convaincue du contraire.

Toutes ces mesures ont bien évidemment été renforcées et durcies par la droite sénatoriale en commission.

MM. Michel Forissier et Roger Karoutchi. Oh là là !

Mme Éliane Assassi. J’ose dire que l’occasion était trop belle.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré lors de votre audition par la commission des lois du Sénat que des consignes très fortes et des moyens nouveaux étaient donnés aux services de lutte contre l’immigration irrégulière ; vous exprimiez ainsi la volonté du Gouvernement de renforcer cette lutte par la création, annoncée mi-septembre par M. le Premier ministre, de 900 postes supplémentaires dans les forces de l’ordre.

Cependant, monsieur le ministre, la responsabilité du patronat, qui, depuis des décennies, joue avec cette main-d’œuvre et met en concurrence les salariés, vous ne la pointez pas. Croyez bien que je le regrette !

Vous le savez, et à la veille des élections régionales il serait risqué de le nier, le problème n’est pas d’ordre migratoire, il est économique, et c’est bien l’incapacité à apporter des réponses concrètes aux préoccupations que sont le chômage et l’emploi qui alimente les discours de rejet de l’autre.

Il convient donc de le rappeler et d’affirmer qu’en dépit des fantasmes les immigrés ne menacent ni nos emplois, ni nos « identités », ni nos systèmes sociaux. Tous ne rêvent pas de s’installer dans les pays riches, loin de là,…

Mme Éliane Assassi. … à moins que l’on ne continue de les y obliger en renforçant nos politiques prédatrices et sécuritaires.

Nous ne nous faisons pas d’illusion sur le sort de notre motion tendant à opposer la question préalable : elle sera bien évidemment rejetée. Nous souhaitions toutefois attirer votre attention sur ces points. Nous participerons bien sûr au débat, en insistant particulièrement sur le caractère universel du principe constitutionnel d’égalité : quand il s’agit de la garantie des droits fondamentaux attachés à la personne humaine, aucune distinction ne saurait être tolérée entre ressortissants nationaux et ressortissants étrangers. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cette motion.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement a également émis un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour explication de vote.

M. Philippe Kaltenbach. Le groupe socialiste votera contre cette motion tendant à opposer la question préalable, qui a été brillamment défendue à la tribune par notre collègue Éliane Assassi.

Malgré ce beau discours général, nous demeurons convaincus que ce projet de loi, tel qu’il a été présenté par le Gouvernement, constitue une avancée considérable pour le droit des étrangers. Ainsi, le titre pluriannuel, qui pourra être obtenu pour une durée de quatre ans, facilitera la vie des étrangers. De nombreuses mesures visent également à améliorer la situation des étudiants étrangers et des personnes qui viennent en France pour se faire soigner. Enfin, en parallèle, ce texte permettra aussi de mieux lutter contre l’immigration clandestine.

Pour toutes ces raisons, nous pensons qu’il y a vraiment lieu de débattre de ce texte, qui permettra d’améliorer notre législation. Aussi, nous voterons contre cette motion.

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 11, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 4 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l’adoption 19
Contre 323

Le Sénat n'a pas adopté.

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit des étrangers en France
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi relatif au droit des étrangers visait à l’origine, d’une part, à améliorer l’accueil et l’intégration des ressortissants étrangers en sécurisant leur parcours et, d’autre part, à lutter plus efficacement contre l’immigration irrégulière. Il s’agissait donc d’assurer dans un même élan protection des libertés individuelles et efficacité des décisions administratives d’éloignement, dans le respect des directives européennes.

Des diverses initiatives heureuses, une mesure phare se distingue, la création d’une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans, à mi-chemin entre l’actuelle autorisation d’un an et la carte de résident de dix ans. Même si elle est encadrée par de nombreuses restrictions et élargit les pouvoirs des préfets, une telle disposition facilite le parcours de l’étranger en quête de son document de séjour.

En revanche, ce projet de loi instaure une préoccupante interdiction de circulation sur le territoire français aux Européens abusant de leur liberté de circuler ou constituant une menace à l’encontre d’un intérêt fondamental. Cette mesure cible en particulier les Roms, ainsi que le Défenseur des droits l’a plusieurs fois souligné.

Certes, il restait des marges de négociation pour améliorer ce texte et les députés s’y étaient déjà attelés. Hélas ! notre commission des lois n’a eu d’autre but que de le réécrire dans le pire des sens. Déjà à l’Assemblée nationale, le groupe Les Républicains avait ressorti les mesures que l’UMP, lorsqu’elle était au pouvoir, avait mises en œuvre sans résultat ou qu’elle avait renoncé à faire adopter parce qu’elles étaient incompatibles avec le droit international ou constitutionnel.

Nous voilà donc revenus en arrière. Regroupement familial, intégration dès le pays d’origine, prestations sociales, aide médicale d’État, etc. : tout cela a été remis sur le tapis, ramenant le débat à ce qu’il était il y a dix ans.

L’obsession de nombres de nos collègues du groupe Les Républicains est patente : ne pas abandonner à Marine Le Pen l’exclusivité d’un programme politique qui n’en est pas un, mais qui entretient un populisme régressif imprégnant chaque jour davantage notre société – il y aurait trop d’immigrés.