M. Daniel Gremillet. Non, quelque 16 % !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Cependant, je tiens à vous le dire : je parviens à de tels accords en négociant !

Si le Gouvernement a négocié un tel accord, c’est parce que, à la demande de la Fédération nationale des producteurs de lait, la FNPL, il visait de manière spécifique tous les produits sous marque de distributeur, ou MDD, notamment les crèmes fraîches, les yaourts nature et le lait de consommation. Il s’agissait aussi de déterminer si les industriels possédant de grandes marques – je ne les citerai pas – devaient relever leurs prix, une mesure qui, par définition, n’allait vraiment pas de soi pour eux.

Monsieur Gremillet, j’ai étudié les chiffres depuis le début de l’année : certaines grandes entreprises et grandes laiteries ont réalisé des bénéfices ! En réalité, ceux qui n’en font pas, aujourd’hui, ce sont les producteurs.

Certes, notre discussion n’a porté que sur 30 % de la collecte. Néanmoins, contrairement à ce que vous affirmez, c’est parce que nous le souhaitions ! Je vous renvoie aux discussions qui ont eu lieu avec les professionnels du secteur. Pour ma part, je n’invente pas ces stratégies, je les construis et les négocie.

Lorsque nous avons abordé l’autre partie de la discussion, en particulier la question de ce qui est collecté et porte sur des marques, il y a bien eu négociation. C’est à cette occasion que, le 1er octobre dernier, j’ai indiqué aux industriels qu’ils devaient faire un effort en direction des producteurs, car on ne peut pas tout demander à la grande distribution.

Si l’on veut surmonter la crise actuelle, il faut que tout le monde s’y mette. C’est vrai, par exemple, pour l’application des allégements de charge, notamment pendant l’année blanche, puisque les banques doivent faire un effort à ce titre. En effet, c’est la capacité des banques à pérenniser les activités des éleveurs et à assurer le futur remboursement d’un certain nombre de prêts qu’elles ont pu consentir qui est en jeu. Chacun doit donc faire des efforts ! Sur la question laitière, les négociations ont donc bien eu lieu avec les professionnels.

Monsieur Gremillet, vous avez également évoqué les organisations de producteurs, les OP, et la logique contractuelle que la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, la LMAP, a mis en place.

Il est vrai que, aux termes de la LMAP, la sortie des quotas devait aboutir à un système de contractualisation. Toutefois, lors des débats sur la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt – c’est ce texte qui a soutenu et conforté les organisations de producteurs –, il a bien été question de contrats, mais pas au niveau des OP.

Dans cette loi d’avenir, que certains d’entre vous – pas tous – ont voté, figurait la possibilité pour les organisations de producteurs de saisir un tribunal si les prix ou les modalités de la collecte n’étaient pas respectés. Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez conscients que cette disposition a des incidences : auparavant, rien de tout cela n’existait ! Je salue donc tous ceux qui ont voté en faveur de cette loi.

Nous avons renforcé le rôle des OP, et ce n’est pas fini. Vous avez raison de dire qu’il va falloir franchir une étape en matière de contractualisation laitière, monsieur le sénateur. On le fera parce qu’on aura proposé de nouvelles formes de contractualisation pour les filières porcine et bovine.

Vous me dites également de faire attention à la grande distribution, que j’ai en effet souhaité faire entrer dans la négociation menée dans le cadre de contrats tripartites. J’en profite pour le dire au passage : c’est la loi de modernisation de l’économie, la LME, que vous avez votée, qui le permet ! C’est une loi sur laquelle on pourrait revenir, et j’attends d’ailleurs vos propositions, monsieur le président du Sénat, sur ce sujet.

Cette loi permet d’intégrer les critères de rémunération du producteur dans une négociation entre un grand distributeur et un industriel. Aussi, pourquoi s’en priver ? Serait-ce une bonne chose ? Non, trois fois non !

Par ailleurs, oui, j’ai bien demandé que l’on intègre la grande distribution dans l’interprofession laitière. Parce que les deux négociations distinctes, entre les industriels et les producteurs d’une part, entre les industriels et la grande distribution d’autre part, avec des producteurs qui ne sont jamais au courant du contenu réel de la seconde négociation, cela ne peut plus durer !

Si l’on veut stabiliser notre marché, si l’on veut, en particulier, se donner les moyens de favoriser l’origine française des productions, évoquée tout à l’heure par le sénateur non inscrit, cela passe par des accords de valorisation de cette production.

Le label « Viande de France », je n’ai pas attendu des propos de tribune pour le mettre en œuvre ! Pour la première fois, depuis février 2014, nous avons mis en place, de manière volontaire, une traçabilité sur l’origine de la viande et même dans les produits transformés.

Aujourd’hui, en Bretagne, certains me demandent de prendre un décret pour rendre ce label obligatoire, les mêmes d’ailleurs qui, coopératives ou industriels, ne l’appliquent toujours pas de manière volontaire. C’est toujours facile de venir voir le ministre ! Mais encore faut-il que chacun assume sa part de responsabilité !

Vous prétendez, monsieur, qu’il n’y a plus besoin d’Europe, plus besoin de PAC !

M. Michel Raison. Pour notre part, nous n’avons pas dit cela !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Mais avant de faire cela, sachez tout de même que la France agricole et agroalimentaire est en tête sur les marchés mondiaux. Et si nous avons ainsi la première industrie mondiale, c’est parce que nous exportons !

Le jour où vous prétendrez que la fermeture des frontières permettra de redresser notre agriculture, vous verrez débarquer les mêmes que ceux qui sont venus me voir pour d’autres raisons… Et ils vous diront : Ne faites surtout pas cela, vous ne vous rendez pas compte que nous sommes aujourd’hui une puissance agricole parce que nous exportons !

D’ailleurs, la plupart de vos interventions disaient en substance : nous avons besoin d’exporter, mais nous devrions nous extraire des règles européennes afin de mettre en œuvre des stratégies différentes. Croyez-vous réellement que l’on puisse réussir de cette manière ?

Au moins, les propos de M. Bizet ont le mérite de la cohérence. Il a rappelé à M. Le Scouarnec que les quotas, c’était fini. Je suis obligé de faire le constat avec vous, monsieur Bizet. Mais ensuite, quelle conclusion en tirez-vous ?

J’ai en tête l’exemple d’un groupement d’intérêt économique et environnemental, ou GIEE, qui s’est mis en place dans le Gers, permettant de réunir trente-cinq exploitations, soit 5 000 hectares. Mais, derrière ce regroupement, il y a aussi trente-cinq agriculteurs. La stratégie collective ne remet pas en cause notre volonté de conserver des agriculteurs, des éleveurs et des exploitants, mais elle permet dans le même temps d’enclencher des dynamiques de groupe. Au fond, sur le point qui consiste à ne pas refuser de regroupements, nous n’avons pas de divergence, monsieur Bizet, au contraire ! Je vous invite toutefois à être objectif et à accomplir le saut culturel nécessaire. Les regroupements, ce ne sont pas seulement de grands bâtiments, ce sont aussi des dynamiques collectives. Si j’annonçais que des exploitations de 5 000 hectares allaient se créer en France, vous diriez que le ministre a perdu la tête. Mais je vous rassure, il sait très bien où il va !

D’ici à la fin de l’année, le rapport « Agriculture – innovation 2025 » sera remis. Nous devons être capables d’innover dans le domaine technique, scientifique, mais aussi social. Car la condition de l’acceptation et de l’appropriation de l’évolution technique et de l’innovation réside aussi dans la dimension sociale de l’organisation collective.

L’autonomie fourragère constitue l’un des enjeux de demain, car la compétitivité de la France passera aussi par sa capacité à avoir un coût des aliments plus bas qu’ailleurs. Réfléchissez, monsieur Bizet, et, surtout, ne vous bloquez pas culturellement !

M. Jean Bizet. Je suis très ouvert !

M. Stéphane Le Foll, ministre. L’autonomie fourragère permettra d’assurer la compétitivité de l’élevage français de demain. Les Danois, les Néerlandais, et même les Allemands sont obligés d’importer des protéines végétales sur le marché mondial. J’attends le jour où les prix de ces protéines végétales vont augmenter. C’est d’ailleurs déjà le cas ! Nous avons donc un avantage compétitif, mais encore faut-il l’organiser.

Sur le problème de la taille, il s’agit simplement de savoir comment nous devons nous y prendre. Je veux garder des agriculteurs, mais que n’ai-je entendu quand nous avons fait le choix des groupements agricoles d’exploitation en commun, ou GAEC !

Monsieur Gremillet, nous nous accordons pour dire qu’il sera nécessaire, demain, de réaliser des investissements et d’avoir des exploitations agricoles fortement capitalisées. Mais comment fait-on pour renouveler ce capital s’il est tellement important que plus personne n’a les moyens d’investir, en particulier les jeunes agriculteurs ? La seule voie pour réussir à garder des agriculteurs tout en ayant des tailles d’exploitations économiquement viables à l’échelle de l’Europe et du monde, c’est de mettre en place des organisations collectives permettant de séparer la part du capital revenant à chacun tout en lui assurant un renouvellement régulier, avec l’installation de jeunes agriculteurs.

C’est exactement le sens de la ligne que j’ai choisie, au niveau européen comme dans la loi d’avenir. C’est en effet le cœur du sujet, mais ne dites pas que je n’y ai pas pensé avant. Au contraire, nous en avons débattu et c’est en train de voir le jour.

Je ne suis pas satisfait pour autant, car la crise, une crise de marché, est bien là. Elle a d’ailleurs été très bien décrite, en particulier pour le lait, avec un marché chinois qui n’a pas été à la hauteur des anticipations faites par les acteurs économiques.

Je voudrais également répondre à M. Bailly sur la question des aides versées en Espagne. Les éleveurs espagnols ont demandé que la ministre espagnole prenne les mêmes mesures que celles que nous avons prises en France, réclamant des avancées sur la revalorisation des prix et la négociation. Vous parlez de 300 euros par exploitation, pour des exploitations de 10 à 25 vaches en Galice. Faites le calcul ! Nous donnons bien plus, et heureusement, en soutien au plan d’élevage. Je n’ai jamais dit que baisser les charges posait un problème, et je n’ai jamais prétendu qu’il était impossible de verser des aides. Elles sont absolument nécessaires, et nous allons les verser. Pourquoi avons-nous toujours l’impression, en France, de ne pas mieux faire qu’ailleurs ? En l’occurrence, nous faisons mieux qu’ailleurs, et j’en veux pour preuve que nous avons été amplement copiés. Beaucoup de pays, dont l’Allemagne, sont d’ailleurs venus me voir pour me demander comment fonctionnait le système de la médiation. Je leur ai répondu que l’on en discuterait si l’on se mettait d’accord sur l’augmentation du prix d’intervention. Finalement, nous n’avons discuté ni du prix d’intervention ni de la médiation, mais cela viendra sans doute le jour où l’on aura surmonté cette crise.

Sur la question des normes, seul M. Dubois a été précis, lorsqu’il a évoqué notamment celles qui sont relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement, les ICPE, sur les veaux de boucherie et les vaches laitières. Nous avons vérifié : ces normes ont été adoptées en 2011, à la satisfaction d’ailleurs de la FNSEA s’agissant des vaches laitières. Nous appliquons donc des règles que vous avez vous-mêmes fixées, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité. (M. Yannick Botrel opine. – M. Jean-Yves Roux sourit.)

M. Claude Bérit-Débat. Il est important de le rappeler !

M. Stéphane Le Foll, ministre. De notre côté, nous avons fait en sorte d’assouplir les procédures d’enregistrement relatives aux IPCE sur le porc, et nous allons également le faire, comme je l’ai annoncé mais vous n’avez pas écouté, pour la volaille, puis nous poursuivons pour les vaches laitières, revenant ainsi sur ce que vous aviez décidé – je reconnais toutefois que les normes arrêtées en 2011 représentaient déjà une amélioration par rapport à la situation antérieure. Nous progressons donc, mais il est faux de prétendre que l’on aurait « surtransposé » depuis 2012.

La fièvre catarrhale ovine, ou FCO, vient ajouter une difficulté sanitaire au tableau. Pour les sérotypes auxquels nous sommes confrontés, les vaccins n’existaient presque plus. Nous en avons commandé plus de 3 millions et nous pouvons aujourd’hui vacciner quelque 900 000 bêtes – nous en exportons 600 000 à 700 000.

Ce n’est pas un problème de réactivité. Lorsque nous avons pris connaissance des cas, nous sommes, dès la semaine suivante, partis à la recherche des doses. Nous avons déjà passé un contrat afin de pouvoir les produire. En effet, pour ce genre de virus, chaque vaccin doit être produit, puisque personne ne réalise de stocks dans l’attente d’un éventuel problème. La relance des contrats de production prend du temps, et je n’ignore pas que c’est autant de temps perdu pour les éleveurs.

De plus, quand on a découvert ces cas de FCO, nous avons été obligés de renégocier les contrats sanitaires avec les pays qui importaient les animaux vivants. Cela se passe bien avec l’Espagne, mais l’accord est plus difficile à trouver avec l’Italie. Nous avons également rencontré l’ambassadeur de Turquie en France afin d’engager des négociations. Nos acheteurs doivent avoir confiance en nos productions et c’est pourquoi j’ai toujours recherché la transparence, sans nier les difficultés.

Pour le ministre qui accueillait, aux quatre jours du Mans, le concours national charolais, apprendre la veille qu’il y avait un cas de FCO, ce n’était pas agréable, croyez-moi ! Et j’ai vu la détresse dans les yeux des éleveurs, comme s’ils se disaient : « Décidément, cela ne va jamais s’arrêter ! » Pourtant, face à une difficulté de cet ordre, il faut apporter des réponses avec célérité et transparence. En effet, pour pouvoir continuer à exporter, les acheteurs doivent avoir confiance : il ne faut donc rien leur cacher et essayer de trouver des solutions.

Nous avons aussi engagé des discussions avec l’Europe pour obtenir que la réglementation sur la FCO, et d’autres maladies du même ordre, soit légèrement assouplie. La maladie est peu contagieuse et, même si l’on observe une mortalité, en particulier chez les ovins, la maladie n’a aucune conséquence sur la qualité de la viande pour le consommateur.

Je poursuivrai donc mes efforts pour tenter de dégager quelques marges supplémentaires à l’échelle européenne. Et, justement parce que nous avons joué la transparence, l’Europe est prête à discuter.

Sur le fond, on constate que le débat est souvent posé de la même manière : je ne reviendrai pas sur le problème de la compétitivité, mais je n’ai pas peur d’aborder cette question.

La semaine prochaine, nous présenterons le plan « Innovation 2025 ». Dans la foulée, nous organiserons un grand colloque sur l’innovation technique, scientifique, agro-écologique, génétique, économique, mais aussi dans le domaine du machinisme agricole. Nous avons besoin d’une stratégie globale, en effet. Nous rassemblerons les conclusions en neuf grands points, seize ou dix-sept grands objectifs et donnerons à lire ces pistes pour l’avenir de l’agriculture à l’ensemble des agriculteurs.

Malgré la crise, malgré le doute qui peut s’installer, malgré les difficultés, la responsabilité du politique est de se projeter, pour essayer de donner un sens et un avenir à l’agriculture. Ce que je souhaite le plus ardemment, dans ce moment difficile, c’est que l’on puisse, comme l’a dit Didier Guillaume, trouver les voies et moyens de redresser la barre et d’offrir un avenir à notre agriculture. Elle est la première d’Europe et elle doit le rester ! C’est une fierté, ainsi qu’un enjeu économique, social et territorial, qui mérite que l’on se mobilise. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Michel Le Scouarnec et Joël Labbé applaudissent également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la situation et l’avenir de l’agriculture.

Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt et une heures cinquante, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.)

PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

7

Mise au point au sujet d’un vote

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, lors du scrutin n° 3 sur l’ensemble du projet de loi relatif à la santé, j’ai été inscrite comme ayant voté pour, alors que je souhaitais m’abstenir.

Mme la présidente. Acte est donné de votre mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

8

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour un rappel au règlement.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le ministre, le 16 septembre au soir, lors du débat en séance sur la question des réfugiés, après que j’avais évoqué le retard pris par l’exécutif pour faire face à cette crise humanitaire majeure, à court d’arguments, vous n’avez trouvé rien de mieux que de chercher à m’humilier publiquement.

Vous m’avez réduite à une marionnette télévisuelle, courant frénétiquement les plateaux, y débitant des inexactitudes, voire des mensonges, histoire de faire avancer mon petit plan de communication personnel. Vous m’avez reproché de théoriser dans la presse, à longueur de colonnes, sur ce « Waterloo moral » qui vous gêne tant, oubliant que la formule est de Cécile Duflot, et pas de moi.

Ce n’est pas tout. Avec une grossièreté que je ne vous connaissais pas, vous avez achevé par ces mots : « Du reste, je pense même que, le soir, certains qui ne passent pas à la télévision après avoir fait de telles déclarations parlent aux caméras de surveillance de leur parking pour être sûrs de figurer sur un écran. »

Dois-je vous rappeler les propos tenus récemment par le directeur des études politiques du parti socialiste, l’historien Alain Bergougnioux ? Il déclarait : « Les problèmes qui se posaient en Méditerranée étaient suffisamment graves pour agiter les consciences. On aurait peut-être dû être plus actifs. » Comptez-vous, monsieur le ministre, le ridiculiser lui aussi ? J’en doute.

Avec une petite sénatrice écologiste, on pourrait donc tout se permettre. Je ne suis pas prête, voyez-vous, à renoncer à mon droit de critique. Et j’ai, comme chaque personne assise sur ces travées, le respect de mon métier de parlementaire. J’aurais seulement aimé qu’un éminent représentant de notre exécutif l’ait aussi, ce respect. C’est le seul moyen d’assurer un débat nécessaire à la démocratie elle-même.

Monsieur le ministre, vous avez, ce 16 septembre, proféré des paroles peu dignes de votre fonction et peu respectueuses de notre Haute Assemblée. Je pense humblement que cela justifie des excuses.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, pendant des semaines, à ce banc, sur la question de l’immigration et sur d’autres, j’ai dû subir silencieusement des propos constamment réitérés qui étaient autant de contre-vérités. J’ai éprouvé, à un moment donné, le besoin de rétablir, après des semaines et des mois d’écoute de ces propos, une certaine forme de vérité.

Quand on est en politique, on peut en permanence mettre en cause l’action d’un gouvernement. Mais, puisque si souvent vous aviez proféré ces attaques avec des arguments que j’estimais ne pas être justes, j’ai considéré à un moment donné qu’il était de mon droit de vous répondre. Et si, quand on profère des attaques réitérées, un ministre à un moment donné éprouve le besoin de rétablir la vérité, c’est une insulte, alors il n’y a plus de place pour le débat démocratique.

Aussi longtemps que j’entendrai dans cet hémicycle des contre-vérités qui mettent gravement en cause et l’honneur et l’action du Gouvernement, j’estimerai qu’il est non seulement de mon droit, mais aussi de mon devoir d’y répondre.

Mme la présidente. Madame Benbassa, acte vous est donné de votre rappel au règlement.

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Dossier législatif : projet de loi relatif au droit des étrangers en France
Discussion générale (suite)

Droit des étrangers en France

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au droit des étrangers en France (projet n° 655 [2014–2015], texte de la commission n° 717 [2014–2015], rapport n° 716 [2014–2015], avis n° 2).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit des étrangers en France
Question préalable

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous débattons ce soir d’un sujet qui a fait l’objet d’une discussion approfondie en commission des lois il y a quelques jours et qui vient consécutivement à un autre texte adopté par le Parlement, dont nous avons débattu en juillet dernier et qui était relatif à l’asile.

Le texte que nous examinons ce soir est relatif au droit des étrangers en France. Il s’agit, après que nous avons pris de nouvelles dispositions sur l’asile à propos desquelles je reviendrai dans quelques instants, de mettre en œuvre un ensemble de dispositions qui reposent sur trois principes simples : mieux accueillir ceux que nous avons vocation à accueillir en France et aussi mieux intégrer ces personnes ; accueillir davantage de talents, notamment dans nos universités et nos centres de recherche ; enfin, lutter résolument contre l’immigration irrégulière, car tout ce que nous faisons en matière d’amélioration de l’accueil et d’attractivité des talents n’est pas soutenable si nous ne procédons pas à la reconduite à la frontière de tous ceux qui n’ont pas vocation à rester sur le territoire national parce qu’ils relèvent de l’immigration économique irrégulière.

Avant d’aborder le contenu du texte et de faire quelques remarques sur les modifications qui y ont été apportées à l’occasion des débats en commission des lois, je voudrais profiter de notre échange de ce soir pour revenir sur un certain nombre de propos, d’excès, d’outrances, d’amalgames, qui circulent sur la question migratoire en France et qui contribuent à convoquer davantage les instincts que la raison,…

M. Michel Mercier. C’est vrai !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … sur un sujet qui mériterait qu’on convoque davantage la raison que les instincts. Ils consistent d’ailleurs à susciter des peurs qui ne se justifient pas, compte tenu de ce que sont les flux migratoires auxquels notre pays est confronté, et donnent parfois de l’action des pouvoirs publics, sur ces sujets compliqués qui appelleraient qu’on prenne le temps de l’analyse plutôt que de convoquer des idées simplificatrices, une image fausse.

Le premier point sur lequel je voudrais dire quelques mots, c’est sur la réalité des flux migratoires dans notre pays.

Est-ce que nous assistons, compte tenu de la crise migratoire à laquelle l’Union européenne est confrontée, à une augmentation sensible de la demande d’asile en France et à un déferlement sur le territoire français, y compris de ceux qui auraient vocation à y être accueillis et qui relèvent du statut de réfugié en France et en Europe ?

Lorsque je regarde l’évolution de la demande d’asile en 2014, je constate qu’elle a baissé de près de 2,34 %. Lorsque je regarde l’évolution de la demande d’asile depuis le début de l’année 2015, alors qu’il y a une pression très forte qui s’exerce sur un certain nombre de pays de l’Union européenne – je renvoie notamment à la situation en Allemagne et en Autriche –, je constate qu’il n’y a pas d’augmentation de la demande d’asile en France.

La raison ne tient pas à ce que la France n’est pas disposée à accueillir ceux qui pourraient bénéficier du statut de réfugié sur son sol. Elle tient tout simplement au fait que, pour des raisons liées à la géographie, parfois à la démographie et à l’économie, les flux conduisent les migrants qui arrivent sur le territoire de l’Union européenne après avoir franchi ses frontières extérieures soit en Grèce, soit en Italie, à se diriger vers l’Allemagne ou vers la Grande-Bretagne. Les réseaux de passeurs, qui sont de véritables réseaux de traite des êtres humains, incitent ces migrants à aller vers ces pays, non sans avoir préalablement prélevé sur eux, notamment sur les plus vulnérables d’entre eux, des sommes absolument considérables. Ces sommes considérables ne les conduisent pas nécessairement vers la Grande-Bretagne ou vers l’Allemagne, mais parfois aussi vers la mort, comme en témoignent les milliers de personnes qui ont perdu la vie en Méditerranée centrale ou orientale depuis le début de l’année 2015. En 2014, ils étaient 3 000 à avoir ainsi perdu la vie.

Est-ce que l’immigration légale, c’est-à-dire des migrants auxquels des titres de séjour sont octroyés chaque année, explose ?

Ce n’est pas le cas. Lorsque l’on regarde ce qu’est l’immigration en France, on se rend compte que depuis des années, voire des décennies, le nombre de ceux qui bénéficient de titres de séjour n’excède pas en moyenne 200 000. Ils se répartissent de la manière suivante : 45 % d’entre eux, soit 90 000, relèvent de la politique familiale, dont 20 000 procèdent du regroupement familial. Ces 20 000 personnes représentent seulement 10 % du nombre de ceux que nous accueillons et auxquels est attribué un titre de séjour. Donc, penser que le cantonnement du regroupement familial, qui, je le répète, représente 10 % de ceux auxquels on attribue un titre de séjour, est la solution pour procéder à la maîtrise des flux migratoires est, compte tenu des proportions que je viens d’indiquer, tout simplement illusoire.

Sur les 200 000 titres de séjour délivrés chaque année, 65 000 le sont à des étudiants. Nous avons souhaité que ceux-ci puissent être accueillis dans nos universités et centres de recherche en procédant à une modification de la circulaire Guéant de 2011, qui avait considérablement contingenté le nombre d’étudiants étrangers accueillis dans nos universités. En même temps, cette circulaire avait envoyé un signal quant à l’image que la France entendait donner d’elle-même dans le monde, qui n’était conforme ni aux intérêts économiques de notre pays ni à son image historique.

Par conséquent, nous accueillons dans nos universités 65 000 étudiants étrangers, ingénieurs, chercheurs ou sociologues. Pour avoir rencontré ces étudiants, avec la ministre de l’éducation nationale et le secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, j’ai pu constater qu’ils reconnaissaient la qualité de l’accueil qui leur est réservé. Ils sont une chance pour notre système éducatif et pour notre économie (M. Stéphane Ravier s’exclame.), parce que tous les pays accueillant des étudiants étrangers qui créent ensuite des entreprises et développent des capacités d’innovation sont parmi les plus dynamiques et connaissent des taux de croissance parmi les plus importants.

Enfin, parmi les 200 000 titres que nous attribuons, 20 000 personnes bénéficient d’un titre de séjour pour des raisons de santé.

Le nombre des titres de séjour délivrés reste assez constant : on ne constate donc pas d’explosion de l’immigration légale en France, qui représente 0,3 % de la population totale. Quant aux étrangers présents en France, ils représentent 6 % de la population totale : ce chiffre est exactement le même que celui qui était observé au début du XXe siècle et il est nettement inférieur au pourcentage de présence d’étrangers enregistré dans les autres pays de l’Union européenne.

Je souhaitais rappeler cette réalité statistique incontestable, car ces chiffres ne sont pas produits par un service du ministère de l’intérieur : ils sont élaborés par l’INSEE et communiqués annuellement en toute transparence. Ils infirment donc l’idée d’une vague de migrants arrivant sur le territoire français, contrairement à ce que certaines images convoquées, certains discours tenus ou certaines peurs suscitées pourraient laisser penser.

Ensuite, je tiens à insister sur le fait que la politique de la France s’est considérablement affermie à l’égard des migrants économiques en situation irrégulière qui ont décidé de s’installer sur notre territoire en pensant qu’ils pourraient y bénéficier d’une totale impunité et que rien ne leur imposerait de retourner dans leur pays en application du droit.

Je veux vous indiquer des chiffres extrêmement précis. En effet, si je ne conteste pas les chiffres figurant dans le rapport de votre commission, leur présentation me paraît biaisée et ne me semble pas de nature à rendre compte de la réalité.