Mme la présidente. Veuillez conclure !

M. Christian Favier. Nous continuerons d’agir sans angélisme contre cette vision rabougrie, frileuse de la République. Dans sa rédaction actuelle, nous ne pouvons accepter le texte issu de la commission des lois ni cautionner un tel recul de notre société. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

M. Philippe Kaltenbach. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis ce soir pour examiner le projet de loi relatif « au droit des étrangers », ou plutôt désormais « à la maîtrise de l’immigration ». Ce changement d’intitulé, voulu par la droite en commission, en dit long sur l’état d’esprit dans lequel elle aborde nos travaux.

Grâce à vous, monsieur le ministre, nous avions un projet de loi équilibré et pragmatique, articulé autour de trois priorités : l’accueil, l’attractivité et la lutte contre l’immigration irrégulière. Malheureusement, la commission des lois l’a détricoté et dénaturé avec un seul objectif : faire de l’affichage politique. Il est vrai que l’heure n’est pas forcément à la mesure lorsque l’on évoque les questions liées à l’immigration.

Je lisais hier une tribune de MM. Retailleau et Buffet dans L’Opinion, qui affirment qu’avec ce texte « François Hollande ouvre en grand les vannes de l’immigration ». Excusez du peu !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est scandaleux !

M. Philippe Kaltenbach. C’est pour le moins excessif et sûrement scandaleux.

Le reste de la tribune est à l’avenant : un discours qui utilise les amalgames, les caricatures et qui joue sur les peurs. Tout cela pour quoi ? Pour aboutir à une France recroquevillée sur elle-même, alors que nous sommes en pleine mondialisation et que ce phénomène va s’accélérer. Est-ce cela que nous voulons ?

Vous allez me dire que nous sommes en période électorale et que, c’est vrai, certains cherchent à courir toujours plus vite derrière l’extrême droite. Mais nous l’avons vu avec l’intervention de M. Ravier, il va être très difficile de la rattraper ! C’est pourquoi nous considérons que notre rôle en tant que responsables politiques doit être de dépassionner ce débat sur l’immigration. Pour le faire, il faut rappeler quelques chiffres, ce que, d'ailleurs, le ministre a également fait.

Environ 3,8 millions d’étrangers séjournent actuellement en France. Je rappelle que 2,5 millions de Français vivent à l’étranger. Le pourcentage d’étrangers dans la population est stable, environ 6 %. Il a même diminué depuis les années quatre-vingt.

M. Roger Karoutchi. Cela ne veut rien dire !

M. Philippe Kaltenbach. Si, cela veut dire qu’il n’y a pas d’envahissement de la France par des personnes étrangères, monsieur Karoutchi !

Environ 200 000 titres de séjour sont délivrés chaque année : 65 000 pour des étudiants, 65 000 pour des conjoints de Français, 25 000 au titre du regroupement familial, hors conjoints de Français, 20 000 pour des motifs humanitaires et moins de 20 000 pour des motifs d’ordre économique.

Comme on le constate au travers de ces chiffres, la marge de manœuvre est très étroite, sauf peut-être à interdire aux Français de se marier avec un étranger ou à nier le droit à une vie familiale digne ou encore à fermer nos universités aux étudiants étrangers. Mais je crois que, sur l’ensemble de ces travées, à l’exception des élus du Front national, ce n’est pas ce que nous voulons.

Alors, oui, la France, comme toute grande démocratie, est tenue d’offrir des conditions d’accueil dignes et respectueuses aux étrangers à qui elle autorise le séjour. C’est la volonté qui nous anime en instaurant notamment un titre de séjour pluriannuel, qui est une grande avancée et qui, à lui tout seul, légitimerait le fait que nous légiférions aujourd'hui. En effet, cela permettra de réduire le nombre des passages en préfecture et cela facilitera grandement la vie et l’intégration des étrangers en France.

Même si, depuis 2012, il y a eu des améliorations dans l’accueil des étrangers, je peux témoigner que, dans mon département des Hauts-de-Seine, les files d’attente qui se forment à la sous-préfecture d’Antony obligent les étrangers à venir parfois dès trois heures du matin, sans avoir la certitude de pouvoir être accueillis.

Nous devons garder à l’esprit que la qualité de l’accueil que nous offrons aux personnes étrangères reste un facteur décisif d’intégration. Nous devons également garder à l’esprit qu’elle est indispensable pour garantir l’attractivité de notre pays et attirer de nouveaux talents, indispensables à notre économie et à la croissance.

Ce texte d’équilibre s’emploie également à lutter contre les filières clandestines et à éloigner les personnes en situation irrégulière. Sur ce point, le Gouvernement a déjà fait la démonstration depuis trois ans qu’il n’entendait pas faire preuve de laxisme, et les excellents résultats obtenus ont été rappelés par le ministre. Il y a plus aujourd'hui de personnes éloignées qu’en 2012.

Mais, là encore, une grande démocratie comme la France doit demeurer soucieuse d’agir en respectant toujours les droits des personnes concernées, en privilégiant les assignations à résidence sur la rétention et, s’il y a rétention, en permettant l’intervention du juge des libertés et de la détention dans un délai de quarante-huit heures. Cette avancée nous semble incontournable.

Les sénateurs socialistes étaient prêts pour un débat de fond sur les droits des étrangers et les moyens de lutter efficacement contre l’immigration irrégulière, parce que c’est cela qu’attendent nos concitoyens. Je crains, malheureusement, que la majorité sénatoriale ne refuse ce débat et ne s’obstine dans des postures et de l’affichage politicien. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

Mes chers collègues, il n’est pas trop tard pour avoir des échanges dépassionnés et constructifs. Ce matin, d'ailleurs, la commission des lois a rejeté les amendements du groupe Les Républicains portés par M. Karoutchi sur les quotas, la remise en cause du droit du sol ou du regroupement familial.

M. Roger Karoutchi. Non, pas sur les quotas, sur les plafonds !

M. Philippe Kaltenbach. La commission l’a fait parce que ces amendements sont contraires à la Constitution, à nos engagements européens, mais surtout à nos valeurs, et c’est très bien. Malheureusement, la commission a largement durci le texte sur de nombreux points, revenant bien souvent au texte de 2011, dont l’inefficacité a été démontrée.

Donc, sur tous ces points, il y a matière à débattre, à améliorer notre législation. Ce texte ne va certes pas révolutionner le droit des étrangers, mais il va permettre d’améliorer l’accueil des étrangers et de mieux lutter contre l’immigration clandestine.

Oui, les socialistes sont persuadés que la France est capable d’accueillir avec respect et humanité les étrangers en situation régulière ! Oui, nous sommes capables d’être fermes vis-à-vis de l’immigration irrégulière ! Pour cela, il faut dépasser les postures idéologiques et électoralistes à courte vue. C’est ce que souhaitent les sénateurs socialistes. C’est pourquoi nous vous proposerons au cours du débat de largement amender le texte de la commission, afin de revenir à un texte équilibré et pragmatique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi.

M. Roger Karoutchi. Je suis absolument sidéré d’entendre tout et son contraire. C’est tout juste si on ne reproche pas à la majorité sénatoriale de travailler en commission et de présenter des amendements sur un projet de loi qu’elle n’a pas demandé, ni même souhaité. D’ailleurs, pourquoi présenter un tel texte aujourd'hui, à deux mois des élections régionales, un texte préparé voilà dix-huit mois ou deux ans, c’est-à-dire à un moment où ce qui se produit actuellement en Europe n’avait aucune réalité ?

Le rôle du politique ne consiste-t-il pas avant tout à s’adapter à la situation, à prendre en compte les événements ? Comme nous sommes là pour représenter et protéger les Français, il nous appartient de dénoncer un projet de loi qui ne correspond plus aux besoins actuels. Le Gouvernement aurait dû le retirer et éventuellement en déposer un autre après les élections régionales, dans un contexte moins passionné et en tenant compte de la réalité européenne d’aujourd'hui. Dès lors, qu’on ne vienne pas nous reprocher de dire ce que nous pensons d’un texte inadapté et, comme l’a souligné notre collègue Michel Mercier, n’apportant pas de véritable changement sur le fond – c’est-à-dire en termes d’intention – alors même, j’y insiste, que la situation a évolué.

Monsieur le ministre, en matière de délinquance et de terrorisme, vous avez su, parce que les choses ont beaucoup changé en un an, prendre des mesures fortes et changer la politique – au sens noble du terme – de l’État. D’ailleurs, nous vous avons soutenu, parce qu’il est parfaitement normal de changer de politique quand la donne change. Autant vous avez respecté ce principe dans ces domaines, autant vous donnez l’impression de ne pas vouloir faire évoluer les textes et, ainsi, tenir compte des phénomènes migratoires auxquels l’Europe et la planète entière font actuellement face. Pourquoi ? On ne sait pas !

On constate au moins – c’est déjà ça ! - une évolution du discours de certains élus de gauche, qui disent que le Gouvernement lutte contre l’immigration irrégulière. Pardon de le dire, mais cela n’a aucun sens ! La lutte contre l’immigration irrégulière ne peut consister à proférer des incantations. C’est une politique qui coûte cher et exige énormément de moyens, d’effectifs, ainsi que la mise en place de mesures lourdes à conduire. Or disposez-vous de l’appui de Bercy sur le dossier, monsieur le ministre ? Non !

Demain matin, je présenterai en commission des finances le bleu budgétaire, du moins les éléments dont nous disposons avant l’examen des amendements à venir. M. Valls a promis 279 millions d’euros, mais, en réalité, le budget des programmes 303 et 104, soit ceux qui concernent l’immigration et la lutte contre l’immigration irrégulière, n’évolue pratiquement pas. Lorsque vous annoncez une lutte contre l’immigration irrégulière, vous témoignez certainement d’une volonté du Gouvernement, mais les moyens étant limités ou inexistants, c’est en réalité une politique que l’on ne conduit pas, ou guère.

Dès qu’on parle d’immigration ou d’étrangers, c’est tout juste si l’on n’a pas dit des horreurs ! Le fait de poser le problème ferait pratiquement de nous des extrémistes… Mais le problème s’est toujours posé en France ! Michel Mercier observait que, entre 1945 et 1980, le nombre de textes de loi sur le sujet a été très faible. C’est exact ! C’était l’époque des Trente Glorieuses, et nous disposions d’une grande capacité – économique et sociale – d’intégration. Mais, auparavant, le sujet avait soulevé de très nombreux débats au sein du Parlement français ou dans l’opinion publique.

Les arrivées massives de Polonais, d’Italiens, de Portugais ont été constatées dans des périodes où nous connaissions un déficit démographique par rapport à l’Allemagne et où la volonté était de réarmer notre pays – ce qui n’a rien de déshonorant. À cette époque, on n’a pas considéré que ces personnes, parce qu’elles n’étaient pas françaises depuis douze générations, devaient se voir interdire l’entrée. Ce n’est pas cela le sujet ! Le sujet, c’est qu’un Gouvernement, un État, une communauté ayant le sens, à la fois, de l’histoire et de l’avenir doit s’interroger sur ses moyens d’actions collectives. Jusqu’où pouvons-nous intégrer ?

Loin de moi l’idée d’exclure qui que ce soit ! Je dis simplement ceci : la France de 2015 n’est pas la France de 1975, ni celle de 1930, et encore moins celle de 1890 ! Dès lors, il est évident qu’il nous revient de définir un certain nombre d’éléments.

Oui, mes chers collègues, je propose par voie d’amendement que le plafond des entrées possibles sur le territoire national soit déterminé dans le cadre d’un débat parlementaire. Mais c’est là une des composantes clés de la souveraineté ! L’État est en droit de savoir qui entre sur son territoire et à combien s’établit le nombre d’entrées ! En quoi est-ce scandaleux ou inadmissible ?

Notre rôle est de faire en sorte que les Français, pas de manière fermée, exclusive, rétrécie, sachent comment se construit l’avenir. C’est pourquoi, monsieur le ministre, je dénonce depuis des années au sein de la commission des finances – ses membres pourront en témoigner – l’insuffisance des moyens accordés à l’intégration. Disant cela, je ne fais pas de procès spécifique à la gauche : la situation était identique sous les gouvernements de droite !

Nous passons notre temps à donner des leçons à la terre entière, mais nos gouvernants, par exemple, octroient très peu de moyens à l’apprentissage du français. Comme cela a été souligné précédemment, les apprenants passent du niveau A1 au niveau A2 sans subir aucun examen. Il leur suffit d’avoir suivi les cours du niveau A2 pour qu’on leur dise : « C’est bon pour vous, au revoir et merci ! » Aucun examen final ne vient contrôler qu’ils ont réellement atteint ce niveau !

De la même manière, l’OFII ne dispose pas de moyens financiers pour améliorer les cours. Les moyens sont également réduits s’agissant de l’instruction civique, de l’éducation et de l’assimilation des valeurs républicaines.

« C’est contraire à nos valeurs », dites-vous, monsieur Kaltenbach… Mais inculquons d’abord ces valeurs à ceux que nous accueillons de manière régulière, qui sont intégrés ou à qui nous accordons le statut de réfugié ! Ce n’est pas le cas aujourd'hui !

M. Philippe Kaltenbach. Le texte le prévoit !

M. Roger Karoutchi. Aucun moyen supplémentaire n’est envisagé !

Arrêtons ! La vérité, c’est que certains utilisent effectivement d’une manière politique le terme « immigration », mais que d’autres ont peur de l’employer, parce qu’on ne sait pas ce qu’il recouvre, jusqu’où on peut aller ou si l’on ne va pas en prendre plein la figure. Pourtant, ce devrait être un débat tout à fait classique - Quel plafond ? Dans quelles conditions laisser entrer ou mettre un terme aux entrées ? –, car, en réalité, les mesures prises sous le gouvernement Chirac comme celles qui avaient été arrêtées en 1945 et 1946 étaient liées à la situation économique, sociale et sociétale du pays.

Il est donc clair que la décision nous appartient. Je n’ai pas à juger que telle ou telle mesure est inacceptable. Dès lors qu’elle a été décidée par une majorité du Parlement français, elle est acceptable et s’applique !

Reconnaissons, monsieur le ministre - mais toutes vos interventions montrent que vous en êtes extrêmement conscient –, que notre société est très fragilisée. Je ne dis pas que la faute en revient au Gouvernement. Je vous invite simplement à regarder autour de vous, dans nos quartiers, dans nos zones rurales. Oui, la société française est très fragilisée ! Elle est en difficulté, sous tension ! Il faut accepter de le reconnaître et, sur cette base, définir ensemble quelles sont nos capacités à accueillir une immigration régulière, comment nous limitons cette dernière pour favoriser son intégration, quels moyens supplémentaires nous nous donnons pour garantir la réussite de cette intégration et éviter que des personnes soient régulièrement accueillies dans notre pays ou obtiennent le statut de réfugié, tout en se sentant exclues de la société française.

Je me suis rendu au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot vendredi. Vous observez que nous avons réduit les effectifs de police entre 2007 et 2012, monsieur le ministre. Mais les effectifs policiers de ce centre de rétention n’ont pas cessé de diminuer, chaque année, depuis 2012 !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Roger Karoutchi. Peut-être la situation n’est-elle pas la même partout… Dans ce centre, en tout cas, les effectifs ont bien été réduits et les personnels sont découragés, car ils ne sont plus en mesure de traiter les problèmes.

Je ne rejette la faute sur personne ! J’estime juste normal, et je le dis, que nous déterminions ensemble qui peut bénéficier d’un accueil régulier en France. Or nous ne sommes plus dans la même situation que durant les Trente Glorieuses ou au début du XXe siècle, lorsque la France a connu plusieurs années de baisse démographique, et le contexte ne permet plus de s’en tenir simplement aux incantations.

Le problème n’est pas de savoir si l’immigration est une chance, ou n’en est pas une, mais de déterminer dans quelles conditions nous pouvons garantir un accueil correct. En effet, nous accueillons beaucoup de personnes à l’heure actuelle – en situation irrégulière ou pas -, et cela fait naître de la tension au sein de la société. Alors, trouvons un moyen, au vu de la situation économique et sociale de la France, de limiter l’immigration régulière et de bien intégrer ceux qui obtiennent le droit d’asile.

Je ne veux pas pousser mon propos trop loin – j’aurai l’occasion de présenter des amendements dans les 48 heures à venir. Mais vous prétendiez précédemment que le nombre de personnes obtenant le droit d’asile n’évoluait pas énormément. Au premier semestre de 2015, nous en comptabilisons 14 800, soit autant que sur l’ensemble de l’année 2014 ! (M. le ministre proteste.)

Ce chiffre nous a été donné par le directeur de l’OFPRA. Si les personnes que nous consultons ne nous transmettent pas les bons chiffres, cela va devenir difficile… En tout cas, c’est un volume qu’il va bien falloir gérer !

Mes chers collègues, les tensions ne naissent pas de manière surnaturelle. Nous sommes ici pour veiller à ce que la société française ne subisse pas de tensions du fait de ce problème d’immigration, car nous l’aurons traité de manière si responsable que nous aurons évité les propos surréalistes, d’un côté, et les visions angéliques, de l’autre.

Une attitude responsable, des annonces suivies d’effets, pas d’incantations et des moyens financiers suffisants pour mener une véritable lutte contre l’immigration irrégulière et maîtriser l’intégration des immigrés en situation régulière, voilà ce qu’il faut ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, il est presque minuit. Je vous propose de prolonger notre séance, afin de terminer la discussion générale.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Natacha Bouchart.

Mme Natacha Bouchart. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Calais concentre toutes les problématiques les plus cruciales de l’immigration clandestine et fait régulièrement, sur ce sujet, la une de la presse. Vous pouvez vous en rendre compte pratiquement chaque jour.

Je ne vous cache pas ma déception à la lecture du texte issu des travaux de l’Assemblée nationale. À mes yeux, celui-ci ne ferait qu’aggraver le flux migratoire actuel, que nous ne maîtrisons déjà plus, les événements s’étant trop accélérés au cours des dernières semaines. Comment accepter un projet de loi qui donnerait lieu à un appel d’air pour ces milliers, voire ces millions de personnes attendant de passer en Europe depuis l’Afrique et le Moyen-Orient ? Ne vous y trompez pas, je connais la situation dramatique qui pousse ces personnes à fuir leur pays, mais je sais d’expérience que ce n’est pas en assouplissant les règles que l’on trouvera la juste solution.

Ce texte était un contresens ! Comment, en conscience, peut-on encourager l’attractivité de la France pour les migrants, alors que jamais nous n’avons été soumis à une telle pression ? Je le constate chaque jour dans ma ville, cette politique migratoire est un échec !

Monsieur le ministre, avec le projet de loi que le Gouvernement a déposé, vous sonneriez le glas d’une immigration choisie, au profit d’une immigration subie comme une fatalité, face à laquelle on baisse les bras, on se résigne.

J’entends déjà les cris d’orfraie de certains de nos collègues, préférant verser dans l’angélisme au lieu de « parler vrai ». Mais la réalité est qu’on ne peut pas accueillir tout le monde, et j’invite tous ceux qui pensent le contraire à venir à Calais pour comprendre ce que représente, pour un élu, la gestion quotidienne d’une immigration impossible à absorber.

Actuellement, ce sont 4 000 hommes, femmes, enfants – ils étaient près de 3 000 en juin dernier - qui stationnent à Calais, en attendant, pour 90 % d’entre eux, un hypothétique passage en Grande-Bretagne. Ces 4 000 personnes vivent dans des conditions sanitaires qui se sont améliorées, grâce à la mise à disposition d’un centre d’accueil de jour, donnant lieu à une contractualisation entre la ville de Calais et l’État, et financé par ce dernier. Cependant, et malheureusement, à côté, un camp improvisé est devenu un bidonville parce que le Gouvernement, il y a quatorze mois, a refusé son installation en campement provisoire.

Dans cette installation sauvage, nous ne sommes pas capables de dire qui sont ces migrants, d’où ils viennent, par où ils sont passés ni même comment les aider, parce qu’ils ne sont pas identifiés. De plus, pour beaucoup, ils génèrent de la violence et développent des trafics en tout genre, soutenus par des extrémistes No Borders que la justice, de nouveau, laisse faire.

Voilà pourquoi ma conviction et mes valeurs se résument en ceci : l’humanité ne peut pas aller sans la fermeté.

Oui, notre pays doit rester fidèle à sa tradition d’accueil et d’asile ; cela, nous en convenons tous. Mais cet accueil doit se faire au prix de règles que nous fixons et qui, seules, nous permettront d’accueillir des étrangers dans les meilleures conditions.

Parce que, oui, l’humanité c’est aussi être en mesure d’accueillir des immigrés dans des conditions décentes, de leur proposer un toit, un travail, des formations et de les assimiler un jour dans la communauté nationale. Qu’en serait-il avec le texte du Gouvernement, qui, s’il était mis en application, verrait fleurir des « jungles » non plus seulement à Calais, mais en de nombreux points de l’Hexagone ?

Que dire du nombre indécent de morts de migrants ayant pour cause des gestes désespérés, sur le port de Calais ou dans le tunnel sous la Manche ?

Que dire des conséquences sur l’économie locale, qui voit des entreprises fermer et se délocaliser à cause de ce problème ?

Que dire de la montée exponentielle des agressions mettant en cause les migrants ?

Que dire des activistes, qui instrumentalisent ces personnes dans le seul et unique but de nuire à l’ordre public ?

Que dire des réseaux de passeurs, qui se nourrissent de la misère humaine ?

Que dire enfin de l’impuissance des forces de l’ordre, qui ne sont plus en mesure de faire leur travail et chez qui des cas de dépression, voire de suicide ont été constatés ?

Est-ce cela l’humanité de la politique migratoire du Gouvernement ? En tout cas, ce n’est pas ma conception. Ce désastre moral, c’est la conséquence d’un État qui baisse la garde, espérant que les problèmes se résoudront d’eux-mêmes. C’est la conséquence d’une politique européenne construite il y a trente ans et qui est désormais largement dépassée.

Si le projet gouvernemental est finalement adopté, je peux vous l’annoncer, monsieur le ministre, la situation continuera à se dégrader, à Calais comme ailleurs.

Je vous parlais d’humanité, je vais vous parler de son pendant, la fermeté, en revenant sur les problèmes survenus ce week-end à Calais, ceux dont j’ai parlé cet après-midi.

Pourquoi le procureur de la République a-t-il fait savoir qu’il ne poursuivrait pas les vingt-trois personnes interpellées et placées en garde à vue dimanche ? Il justifie sa décision par le fait que ces vingt-trois hommes ne sont pas, à son sens, les instigateurs de cette action. Par ailleurs, le procureur estime qu’il ne serait pas juste de ne poursuivre qu’une partie des personnes coupables.

Je le disais cet après-midi, je le répète ce soir : la coupe est pleine, monsieur le ministre, et c’est à se demander si des instructions n’ont pas été données au parquet, qui se rend complice des manipulations des No Borders, lesquels sont évidemment derrière ces événements. Un tel laxisme est effarant ! Il ne s’agit, ni plus ni moins, que d’une incitation à continuer de tels actes. Allez-y, introduisez-vous illégalement, de toute façon la justice ferme les yeux !

Cette intrusion sur le site d’Eurotunnel a engendré des dégâts matériels importants. Au-delà de ce simple fait, nous parlons ici d’un site sensible pour l’économie franco-britannique. C’est pourquoi j’ai déposé un amendement visant à renforcer la gravité de certaines atteintes aux points d’importance vitale pour la défense nationale et aux sites sensibles pour l’économie du territoire.

Cette attitude du procureur dans l’affaire de l’attaque du site d’Eurotunnel est à mon sens le révélateur du problème auquel nous sommes confrontés : celui de l’abaissement de l’autorité de l’État, qui commence par le laxisme de la justice. Le grand malheur que représente le texte gouvernemental est d’en être la consécration. En effet, comme l’a pointé le rapport de notre collègue François-Noël Buffet, près de quatre clandestins sur cinq ne sont pas expulsés. De même que le procureur de la République renonce à poursuivre ces vingt-trois migrants pris en flagrant délit sur le site d’Eurotunnel, parce que les forces de l’ordre n’ont pu interpeller les quatre-vingt-dix autres coupables, la France renoncerait, suivant la volonté du Gouvernement, à une application réelle et efficace des procédures d’éloignement en oubliant la prééminence de la rétention administrative sur l’assignation à résidence. Les reconduites à la frontière doivent pourtant être non pas une option, mais appliquées de manière systématique.

La première étape pour régler le problème de l’immigration clandestine, c’est bien le rétablissement de l’autorité de l’État, et non pas son abaissement. C’est sur ce point, monsieur le ministre, que le Gouvernement et ma famille politique ont une divergence fondamentale.

Calais, encore une fois, est en l’occurrence un laboratoire pour observer les dysfonctionnements de l’État et comprendre les solutions qu’il faut d’urgence mettre en œuvre. C’est ainsi que nous obtiendrons de la justice et des services de l’État en général qu’ils ne puissent plus se défausser.

Rendre systématique, et non plus occasionnelle, la prise des empreintes digitales pour tous les clandestins, c’est la seule manière de pouvoir les prendre en charge, en ayant un suivi réel des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants économiques. J’ai d’ailleurs déposé un amendement à cette fin.

De même, il est indispensable de se donner les moyens de déterminer la minorité ou la majorité des personnes, y compris par les données radiologiques de maturité osseuse, pour éviter à des délinquants de se prévaloir des dispositions spécifiques liées à une prétendue minorité.