M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire. Non, pas démarché, contacté !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Entendu, monsieur le président de la commission : disons donc que vous avez été contacté. Toutefois, même parmi les salariés, certains espéraient un texte beaucoup plus rigide.

N’oublions pas que la question de nos rapports avec les corps intermédiaires est aussi celle de nos rapports avec les représentants des corps intermédiaires.

Si nous reconnaissons la légitimité de cette représentation, cela signifie que le Parlement n’a pas vocation à devenir une sorte de chambre d’appel ouverte aux doléances des mécontents de l’accord social majoritaire – une condition aussi peu enviable, pour le coup, que celle de chambre d’enregistrement. Cet accord, nous devons au contraire l’accompagner ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 22 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l’adoption 188
Contre 154

Le Sénat a adopté la proposition de loi tendant à consolider et clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire. Je remercie le Sénat, qui vient d’adopter ce texte, M. le rapporteur, qui a effectué un travail considérable et que je félicite de son premier rapport, M. le secrétaire d’État, de sa présence, mais surtout de sa patience, qui a d'ailleurs eu à s’exercer davantage envers sa propre famille politique qu’envers la majorité sénatoriale… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Jacques Filleul. Quelle vile attaque !

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire. Voici ce que je retiens de nos débats.

Premièrement – je suis très frappé par ce point, qui est encore apparu au moment des explications de vote –, une divergence de fond nous oppose sur la portée du dialogue social et sur le rôle du Parlement.

Un certain nombre de nos collègues considère que le Parlement – en l’occurrence, le Sénat – doit se contenter, purement et simplement, de ratifier les décisions issues du dialogue social.

La majorité sénatoriale considère au contraire que le Parlement n’a pas à cantonner son rôle à celui d’une chambre d’enregistrement du dialogue social, quelle que soit l’importance de ce dernier. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.) Les exemples pullulent, hélas – notamment dans le domaine des transports –, qui montrent que le dialogue social n’est pas toujours le garant de l’intérêt économique, ni même de l’intérêt général.

Deuxièmement, contrairement à ce qui a pu être dit, il n’y a eu, dans la position de la commission et du rapporteur, aucun dogmatisme. Nous nous sommes fixé un objectif qui n’est autre que celui qui avait été assigné à ce texte, à savoir régler le problème de la diversité des statuts des dockers. Le texte que nous venons d’adopter vient précisément régler ce problème, en réponse aux conflits sociaux évoqués.

En revanche, nous n’avons pas voulu profiter de ce texte pour remettre en cause l’équilibre construit au fil du temps par une succession de lois d’ailleurs votées par des majorités différentes, donc irréductibles aux clivages partisans, la loi Le Drian du 9 juin 1992 et la loi Bussereau du 4 juillet 2008.

Je déplore pour finir, monsieur le secrétaire d’État, que nous manquions cruellement d’études d’impact et que vous ne nous ayez pas répondu à ce sujet. Je me joins donc aux propos de M. le rapporteur : nous attendons un vrai texte, assorti d’une véritable étude d’impact. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Je remercie à mon tour M. le rapporteur, ainsi que les services du Sénat, du travail qui a été effectué. Celui-ci a témoigné de nos divergences. La procédure parlementaire va se poursuivre, mais il ne s’agit pas simplement que la majorité de l’Assemblée nationale finisse par l’emporter : il s’agirait également que la droite de l’Assemblée nationale et celle du Sénat se mettent d’accord…

En effet, à l’Assemblée, le discours de l’opposition a été plus ouvert, jusqu’à rejoindre nos vues, puisque les députés concernés se sont abstenus – nous savons tous très bien ce que cela signifie. Le discours entendu ici a été beaucoup plus radical – plus engagé, à tout le moins, dans la contestation de cet accord.

M. Jean-Claude Lenoir. C’est cela, le Sénat !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Permettez-moi également de dissiper un malaise : personne n’a parlé de « chambre d’enregistrement ».

Derrière la répétition de ce mantra selon lequel nous chercherions à vous cantonner dans le rôle d’une chambre d’enregistrement se cache en réalité une position politique. Cette position est respectable, mais elle marque une différence considérable entre nous.

Le Gouvernement, soutenu ici même par un certain nombre de groupes et par la majorité de l’Assemblée nationale, reste déterminé à faire aboutir ce texte. Je suis d’un optimisme total et ne renonce pas à vous convaincre, car je crois à la force de nos arguments. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à consolider et clarifier l'organisation de la manutention dans les ports maritimes
 

15

Dépôt de rapports

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre :

- d’une part, le rapport du fonds d’intervention régional pour l’exercice 2014 ;

- d’autre part, le rapport relatif à l’accès gratuit et confidentiel à la contraception pour les mineurs.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

Ils ont été transmis à la commission des affaires sociales.

16

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées
Discussion générale (suite)

Lutte contre le système prostitutionnel

Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées (proposition n° 519 [2014-2015], texte de la commission spéciale n° 38, rapport n° 37).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission spéciale, madame la rapporteur, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est une lourde responsabilité que nous avons aujourd'hui. Nous devons en effet affirmer, ensemble, notre volonté de faire reculer la traite des êtres humains et les violences qui accompagnent la prostitution.

Le texte que nous examinons aujourd’hui est porteur de progrès importants, pour les personnes prostituées, pour notre société, pour les droits humains et pour l’égalité entre les femmes et les hommes.

De nombreux a priori pèsent sur ce sujet encore tabou et finalement peu connu. Toutefois, peu importe d’être spécialiste du sujet ; il suffit de regarder les faits, sans préjugé, avec le sérieux et la gravité qu’ils réclament.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui trouve son origine dans le travail mené de manière transpartisane par Danielle Bousquet, alors députée et aujourd’hui présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, et par Guy Geoffroy, président de la commission spéciale de l’Assemblée nationale.

À la suite de leurs travaux, au mois de décembre 2011, les députés ont voté à l’unanimité une résolution réaffirmant la position abolitionniste de notre pays. Une telle décision honore la France. Cette unanimité a été confirmée au mois de juin dernier, lors de la deuxième lecture de ce texte à l’Assemblée nationale.

Je veux prendre quelques instants pour saluer les pionniers et les pionnières, élus, associations, chercheurs, médecins et magistrats qui ont levé le voile sur cette violence et ont lancé les réflexions en France. Ces citoyennes et citoyens engagés ont réalisé un travail de pédagogie crucial et palpable dans notre société, pour que l’achat d’actes sexuels ne reste pas impuni, donc légitimé, et pour que les victimes cessent d’être stigmatisées et soient soutenues.

La première question que je me suis posée, lorsque je me suis emparée du sujet, est de savoir quelle réalité se cache derrière le mot « prostitution ».

La prostitution, ce sont des actes sexuels répétés et non désirés, imposés par la précarité et, aujourd’hui, majoritairement par la menace des mafias, qui maintiennent des femmes sous emprise.

Le Président de la République l’a exprimé très clairement à la tribune de l’ONU, le 27 septembre dernier : la France est mobilisée contre toutes les violences faites aux femmes. Et parmi ces violences, il y a les violences sexuelles ; il y a la prostitution.

Le quotidien des personnes prostituées, ce sont des violences inouïes, allant parfois jusqu’au meurtre. Le taux de mortalité des prostituées est six fois plus élevé que celui du reste de la population. Comme en témoignent les colonnes de votre presse quotidienne régionale, de nombreuses personnes prostituées sont assassinées, le plus souvent par leurs « clients ».

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Ce ne sont pas des faits divers ; ce sont des féminicides !

Mme Laurence Cohen. Absolument !

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Une enquête de l’Institut de veille sanitaire montre que 36 % des personnes prostituées ont subi un viol au cours de leur vie.

Au nom de quoi faudrait-il accepter de sacrifier les droits, les vies de femmes et d’hommes ? Pour assouvir le désir sexuel de quelques-uns ? Ce n’est pas la société que nous voulons ! Mais c’est cela, la réalité de la prostitution. Je me demande donc comment certains peuvent encore parler d’un métier, d’un choix.

Ceux qui mettent en avant la liberté de disposer de son corps se trompent de débat. Le système prostitutionnel induit au contraire la contrainte : la contrainte sexuelle, physique et financière. Ce qu’ils défendent, ce n’est pas la liberté des femmes ; c’est le droit de certains hommes à disposer du corps de ces dernières !

Je suis allée sur le terrain, en maraude ou dans des centres d’hébergement sécurisés. J’ai pu constater la douleur créée par ces parcours de contraintes. Si ce n’est pas clair pour tout le monde, la loi doit l’énoncer : les femmes ne sont pas des objets. Je refuse d’accepter que des hommes puissent continuer à violenter, à dominer, à humilier contre quelques euros !

Celles et ceux parmi vous qui sont allés aux côtés des travailleurs sociaux et des associations le savent : dès lors que l’on rencontre ces personnes victimes de la prostitution, leur situation effroyable suscite l’indignation et la volonté d’agir. C’est avant tout pour elles, pour apporter des solutions à leurs situations dramatiques, que je suis devant vous aujourd’hui.

Tel est l’objet de cette proposition de loi, qui se fonde sur quatre piliers : renforcer la lutte contre la traite et le proxénétisme, accompagner les personnes prostituées, sensibiliser toute la société et responsabiliser le client. Ces fondations construisent un édifice cohérent et solide. Si un pilier est retiré, l’ensemble est fragilisé.

Parmi ces piliers, la responsabilisation des clients fait débat au sein de la Haute Assemblée.

Pourtant, responsabiliser le client a plusieurs fonctions : indiquer qu’il participe à l’exploitation d’êtres humains ; refuser toute banalisation de cette violence ; réaffirmer que le corps des femmes n’est pas à vendre ; faire progresser le regard de la société et des jeunes sur les relations entre les femmes et les hommes.

Néanmoins, responsabiliser le client, c’est aussi empêcher l’enrichissement des réseaux et leur envoyer un message de fermeté : « La France n’est pas un pays d’accueil pour vos trafics ! » Comme l’explique une survivante courageuse que j’ai rencontrée et que je salue chaleureusement : « Donner le droit aux clients d’acheter des femmes, c’est donner le droit aux proxénètes de les vendre. »

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Les personnes qui achètent du sexe, et qu’on nomme par facilité les « clients », sont des acteurs du système prostitutionnel.

Mme Maryvonne Blondin. Tout à fait !

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Alors, pourquoi devrait-on fermer les yeux sur leur responsabilité ?

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. C’est parce qu’un client paye que les proxénètes prostituent les femmes. C’est parce qu’un client paye que les mafias en tous genres s’enrichissent. C’est parce qu’un client paye que la traite humaine est la deuxième forme de criminalité la plus lucrative après le trafic de drogue.

Mme Laurence Cohen. Tout à fait !

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Il faut donc désormais faire cesser l’hypocrisie qui bénéficie aux clients et leur dire qu’ils sont des acteurs du système prostitutionnel.

Pour toutes ces raisons, je veux vous dire, au nom du Gouvernement, que je regrette que la commission spéciale du Sénat ait décidé de supprimer la responsabilisation du client. (Nous aussi ! sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

En l’état, la loi serait inefficace, mais surtout dangereuse. Elle reviendrait à donner un signal positif aux réseaux. Il nous faut faire preuve de cohérence.

Tout d’abord, il faut supprimer le délit de racolage. Sans faire de polémique, nous pouvons nous accorder sur le manque d’efficacité de cette approche délictuelle. On ne peut pas justifier que les personnes prostituées soient considérées comme des délinquantes. Elles ne peuvent pas être tenues pour responsables d’être exploitées, vendues, achetées. C’est un non-sens.

Toutefois, il faut aussi donner aux forces de police et de gendarmerie les moyens de remonter les filières et de faire condamner les organisateurs des trafics. Les forces de l’ordre doivent pouvoir agir, mais en faisant peser la pression sur l’auteur de la violence prostitutionnelle, et non plus sur la victime.

Sans cette possibilité d’intervenir pour les forces de polices et de gendarmerie, il deviendrait plus facile et plus lucratif pour les réseaux d’exploiter la prostitution en France. Cela conduirait à une augmentation de la traite des êtres humains. Ce n’est pas le message que la France veut envoyer aux réseaux de traite.

Les réseaux, les mafias, les proxénètes, leurs violences et leurs trafics, nous n’en voulons pas ! Ce sont des femmes, leurs enfants et des familles entières qui vivent sous leur menace. Nous le savons, ces réseaux ont différents visages. Ils s’enrichissent sur la vente tant d’armes et de drogues, que d’enfants, de femmes et d’hommes. Ce sont les mêmes : ils partagent la recherche du profit et le mépris de l’humanité. Ils sont prêts à toutes les terreurs, à toutes les barbaries. Face à ces groupes mafieux, la réponse doit être ferme et coordonnée. Aucun levier ne doit être ignoré ou écarté.

Pour choisir, nous disposons d’exemples étrangers très éclairants. Tous attestent de l’efficacité du dispositif que nous souhaitons voir adopté. Les polémiques sur les différents rapports importent peu. Je fais confiance aux gouvernements européens et au sérieux de leurs évaluations.

Je voudrais évoquer la Suède. Un rapport d’évaluation portant sur l’interdiction de l’achat de services sexuels publié au mois de novembre 2010 démontre que le nombre de personnes prostituées a diminué.

Les écoutes téléphoniques menées dans le cadre d’enquêtes judiciaires mettent en évidence la décision des chefs de réseaux de quitter le territoire suédois. Les trafiquants estiment qu’il est devenu trop difficile d’exploiter des femmes en Suède et que le marché est désormais « inhospitalier ». (Mme la rapporteur de la commission spéciale acquiesce.)

En Norvège, en 2013, un rapport d’évaluation a conclu que la loi sanctionnant l’achat d’actes sexuels a suscité une réduction tangible de la traite. L’Islande, le Canada en 2014 et, voilà quelques mois, l’Irlande du Nord ont adopté une législation identique.

En revanche, les pays qui ont choisi d’organiser le système, au lieu de le dissuader, constatent une augmentation spectaculaire de la prostitution, des risques sanitaires et des violences qui l’accompagnent.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Un tiers des procureurs allemands indiquent que cette loi a compliqué les poursuites pour traite et proxénétisme.

Les choix des pays européens ont pu diverger voilà dix ans. Aujourd'hui, l’Europe regarde ces bilans nationaux, que je viens d’évoquer, et sa position est très claire. En 2014, le Parlement européen a adopté une résolution affirmant que la prostitution est contraire aux principes de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment à l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes.

Cette résolution considère que la demande peut être réduite en faisant peser la charge de l’infraction sur ceux qui achètent des actes sexuels. Elle indique que la réduction de la demande doit faire partie de la politique de lutte contre la traite dans les États membres, comme c’est le cas en Suède.

Toujours en 2014, c’est l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui adoptait la même position et appelait les États à envisager la sanction de l’achat de services sexuels.

J’ai rencontré en septembre dernier Mme Vassiliadou, coordinatrice de l’Union européenne pour la lutte contre la traite des êtres humains. De toute part, on nous le dit : la voix de la France est attendue. (Mme la rapporteur de la commission spéciale acquiesce.) Se contenter d’une loi sans ambition et sans efficacité serait indigne de notre République.

Dès 1949, la convention des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et l’exploitation de la prostitution d’autrui affirmait l’incompatibilité de la prostitution avec la dignité et la valeur de la personne humaine.

Aujourd’hui, les textes internationaux vont bien plus loin : ils dénoncent la pénalisation des personnes prostituées et incitent à sanctionner l’achat d’actes sexuels. En Europe comme en France, la prostitution a changé de visage. Les trafics s’organisent à l’échelle internationale.

Aujourd’hui, les personnes prostituées sont en grande majorité étrangères et victimes des réseaux de traite, qui les transportent là où il est le plus facile de les exploiter. La législation française n’est plus efficace ; un statu quo serait inacceptable. Il est donc urgent d’apporter des réponses adaptées à ces nouveaux défis. Nous avons besoin des dispositifs prévus par cette proposition de loi, rapidement, sur le terrain.

Ce texte lancera un signal fort. Il nomme les victimes et les auteurs. Il fournit des outils aux forces de police et de gendarmerie. Il permet aux associations de terrain de mieux protéger les personnes prostituées. Il renforce nos moyens de lutte contre les réseaux de traite humaine.

La commission spéciale a adopté l’article qui prévoit un dispositif de protection renforcée pour les personnes prostituées menacées par leurs réseaux. Je veux saluer cette décision, ainsi que le travail mené par votre président et votre rapporteur.

Vous avez repris, et même amélioré le parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle. Ces dispositions essentielles sont attendues. Des femmes et des hommes en ont besoin. Ils en sont aujourd’hui privés tant que la proposition de loi n’est pas définitivement adoptée.

Le Gouvernement est prêt à travailler à l’application concrète de cette loi. Les ministères de la justice et de l’intérieur, particulièrement impliqués et mobilisés dans le travail interministériel que j’ai mené, sont pleinement associés. La preuve la plus tangible de cet engagement collectif du Gouvernement est le doublement du budget alloué à la lutte contre la traite et la prostitution dans le projet de loi de finances pour 2016.

Je pourrais donc rapidement financer des actions de terrain au bénéfice des personnes prostituées. Toutefois, pour agir, nous avons besoin de cette loi que vous examinez ce soir, mesdames, messieurs les sénateurs.

Notre responsabilité aujourd’hui est d’être juste pour les victimes et efficace contre les réseaux. Cela implique de changer radicalement la vision que nous avons du système prostitutionnel, des personnes prostituées comme des clients.

Nous pouvons aujourd’hui, ici, ensemble, franchir un pas historique. La France a un rôle à jouer et elle est regardée dans le monde. Elle doit lutter contre ces criminalités. Elle doit promouvoir les droits humains et les droits des femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Michelle Meunier, rapporteur de la commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission spéciale, mes chers collègues, notre commission spéciale a commencé à travailler sur la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées il y a plus d’un an et demi. Sans revenir sur toutes les dispositions de ce texte, connues de toutes et de tous, je m’attacherai à vous présenter les dernières évolutions intervenues dans la proposition de loi, d’abord à l’Assemblée nationale en deuxième lecture, puis mercredi dernier et cet après-midi en commission spéciale du Sénat.

Le 30 mars dernier, notre assemblée s’était prononcée en faveur d’un texte amputé de deux de ses dispositions centrales : l’article 16, visant à punir l’achat d’un acte sexuel, avait d’abord été supprimé par notre commission spéciale en juillet 2014 ; puis, l’article 13, abrogeant le délit de racolage, avait été supprimé en séance publique. Ces deux changements modifiant profondément l’approche et le sens de la proposition de loi sont intervenus contre ma volonté ; j’ai toujours assumé cette position, sans ambiguïté.

Je considère, en effet, que si la présente proposition de loi représente un progrès décisif, c’est bien en reconnaissant que, quel que soit le contexte, l’achat d’un acte sexuel est une violence – une violence faite aux femmes, par des hommes, dans une très grande majorité des cas. S’il s’agit, finalement, de faire passer les personnes prostituées du statut de délinquantes à celui de victimes d’une violence, c’est bien grâce à ces deux mesures essentielles, à la fois symboliques et utiles, que sont la pénalisation du client, enfin reconnu comme responsable, et l’abrogation du délit de racolage.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Michelle Meunier, rapporteur. Pour autant, et contrairement à ce que l’on a parfois pu entendre, le texte transmis à l’Assemblée nationale comprenait indéniablement des améliorations très concrètes, qui ont d’ailleurs été conservées par nos collègues députés en deuxième lecture ou n’ont été modifiées qu’à la marge.

Ainsi, sur les vingt-trois articles qui restaient en navette à l’issue de la première lecture au Sénat, huit ont été adoptés dans les mêmes termes ou ont vu leur suppression confirmée par l’Assemblée nationale, et sept ne font l’objet que de divergences mineures entre les deux chambres.

S’agissant de l’accompagnement des personnes prostituées, le Sénat avait considérablement amélioré l’article 3 relatif à la protection des personnes victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite et créant un parcours de sortie de la prostitution. L’Assemblée nationale a retenu l’essentiel de ces changements et l’équilibre trouvé au Sénat demeure préservé.

La commission spéciale avait élargi le champ des recettes, qui viendront alimenter le fonds pour la prévention de la prostitution créé à l’article 4 et intégré à la liste des publics prioritaires pour l’attribution de logements sociaux les victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme. L’Assemblée nationale n’est pas revenue sur ces dispositions.

Notre commission spéciale a souhaité, en deuxième lecture, revenir, pour ce qui concerne l’article 3, à l’esprit du texte adopté au Sénat en première lecture, en prévoyant que l’ensemble des associations qui aident et accompagnent des personnes en difficulté puissent participer au parcours de sortie de la prostitution. Il nous paraît en effet essentiel de n’exclure aucune association de ce parcours et de garantir la continuité de la prise en charge des victimes.

J’en viens maintenant aux articles sur lesquels se concentrent les désaccords entre nos deux chambres.

Les députés ont rétabli les deux dispositions centrales du texte qui avaient été supprimées par le Sénat : l’abrogation du délit de racolage public et la responsabilisation pénale des clients. Mercredi dernier, la commission spéciale n’a pas réintroduit le délit de racolage dans son texte. Toutefois, elle a donné cet après-midi un avis favorable au rétablissement du délit de racolage actif. (Mme Maryvonne Blondin s’exclame.) En outre, elle a exprimé de nouveau un avis défavorable à la contravention d’achat d’actes sexuels.

En ce qui concerne le délit de racolage, j’estime à titre personnel que la position adoptée par le Sénat en première lecture n’est pas satisfaisante. En effet, le délit de racolage n’est pas un moyen efficace pour recueillir des éléments sur les proxénètes et sur les criminels de la traite des êtres humains. Entre la peur du réseau et celle de la justice, la personne prostituée a vite choisi : elle ne parlera pas en garde à vue.

Je rappelle que le code de procédure pénale offre des instruments beaucoup plus efficaces aux enquêteurs et qui leur permettent de recueillir des informations à la source : écoutes, géolocalisation, utilisation d’une identité d’emprunt sur internet, etc. Ce sont ces outils qui permettent aujourd’hui à la police ou à la gendarmerie de démanteler des réseaux.

J’ai cependant entendu les inquiétudes de ceux qui pensent qu’il ne faudrait pas se priver des éléments connus des personnes prostituées. Toutefois, pour donner un instrument efficace à la police et à la justice, il fallait innover. Il fallait changer la règle du jeu, et surtout inverser les rôles aux yeux des personnes prostituées, dès lors que celles-ci manifestent le désir de s’en sortir. Il est important que, enfin, la police et la justice soient de leur côté et les protègent contre les criminels, alors que ces personnes considèrent aujourd’hui le réseau comme leur allié face à la police et à la justice.

C’est pourquoi la commission spéciale a adopté l’amendement que je lui ai proposé à l’article 1er ter. Cette disposition offrira enfin une protection aux victimes des réseaux, dès lors qu’elles auront apporté un témoignage utile à la manifestation de la vérité dans le cadre d’une enquête et dès lors qu’elles seront menacées par les réseaux criminels.

Cette protection prendra la forme d’une série de mesures décidées par la Commission nationale de réinsertion et de protection, pouvant aller d’une simple aide matérielle et de mesures de réinsertion à un changement de domicile, voire à l’adoption d’une identité d’emprunt.

Les services ministériels concernés, notamment ceux de l’intérieur et de la justice, que nous avons rencontrés avec le président de la commission spéciale, Jean-Pierre Vial, sont prêts à mettre en œuvre ce dispositif, complétant celui qui est déjà prévu par l’article 6 du texte, qui permettra la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour aux personnes prostituées portant plainte contre leur proxénète ou témoignant dans une enquête.

Si cette mesure a été unanimement saluée par les membres de notre commission spéciale, une inquiétude a pu être exprimée par certains de mes collègues. Il est absolument indispensable que les mesures de protection soient mises en place très rapidement, dès que la personne prostituée a clairement manifesté sa volonté d’échapper à son réseau et de témoigner contre lui. Tout délai pourrait, en effet, avoir des conséquences gravissimes dès lors que le réseau sera informé de la démarche engagée. Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, vous prononcer sur cet aspect de la question ?

En tout état de cause, je suis profondément convaincue que ce dispositif sera, pour lutter contre les réseaux de proxénétisme et de traite, infiniment plus efficace que ne l’est, actuellement, le délit de racolage.

J’en viens enfin à la responsabilisation des clients.

La commission spéciale a supprimé de nouveau cette disposition. On nous dit qu’une telle mesure risquerait d’augmenter la vulnérabilité des personnes prostituées. Je considère, au contraire, à titre personnel, qu’il est temps de faire comprendre aux clients qu’ils ont une lourde responsabilité en ce qui concerne la vulnérabilité et les souffrances subies par les personnes prostituées.