M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce que je constatais avant le déjeuner reste valable, même si les rangs de notre assemblée sont un peu moins clairsemés !

Pourtant le rôle de contrôle du Parlement sur les politiques de l’État mérite toute notre attention. Nous pourrions d’ailleurs à cette occasion tordre le cou à quelques mauvais canards !

M. François Fortassin. Les élus, quels qu’ils soient, seraient une espèce très rare, de celle qui ne ferait jamais du bon travail et dépenserait toujours plus d’argent !

Aujourd’hui, nous avons la chance d’examiner les crédits d’une mission qui devrait être votée à l’unanimité.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Oui, on peut le penser !

M. François Fortassin. C’est assez rare ! Et il serait tout à fait normal de le mettre en exergue, de le faire savoir à nos populations, dans nos villes ou dans nos campagnes : les élus, quelle que soit leur sensibilité, font un excellent travail, en particulier dans l’exercice de leur mission de contrôle.

Non sans avoir salué la qualité du travail fourni par les rapporteurs, le groupe du RDSE votera, à l’unanimité, les crédits de la mission. Il vous revient, monsieur le secrétaire d’État, de faire mieux connaître le rôle des élus au plus profond de nos campagnes ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.  M. André Gattolin applaudit.)

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais ajouter quelques mots sur cette mission, même si beaucoup de choses ont déjà été dites.

Je tiens d’abord à saluer l’excellent travail des deux rapporteurs et, pour éviter les répétitions, je centrerai mon propos sur un thème précis : la justice administrative.

Si je résume les rapports qui nous ont été présentés, la justice administrative se caractérise aujourd’hui par un double mouvement de réduction : elle réussit à réduire tout à la fois ses dépenses, ce qui est excellent, et ses délais de jugement, ce qui était tout à fait indispensable.

En ce qui concerne les délais de jugement, chacun sait que la qualité du travail de la justice administrative est remarquable, mais la longueur des délais constitue un handicap, qu’elle partage – parfois – avec le juge judiciaire.

J’entends dire qu’en 2000 il fallait attendre deux ans pour qu’un tribunal administratif rende son jugement. Je dirais plutôt qu’il fallait au moins deux ans ! Il faut y ajouter ensuite deux ou trois années pour que la cour administrative d’appel valide ou non ce jugement. Puis c’est la grande aventure du Conseil d’État, où les procédures se perdent parfois dans des méandres. Certaines procédures peuvent ainsi durer jusqu’à dix ans !

Cela constitue un véritable scandale républicain, surtout en comparaison d’autres pays. Dans ceux où existent des juridictions administratives, les procédures sont plus rapides que les nôtres. Affaire de moyens, bien évidemment !

Il existe, en outre, un risque très important d’aggravation, puisque l’on sollicite de plus en plus le juge administratif. Il y avait 20 000 recours en 1970 ; il y en a 200 000 aujourd’hui ! En quarante ans, ils ont été multipliés par dix, sans que le nombre de magistrats ait suivi la même évolution… Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, souligne lui-même ce qu’il faut considérer comme un risque. Les recours devant le tribunal administratif augmentent, chaque année, de 6 %, les appels de 10 %.

Nous sommes dans une impasse et courons à la catastrophe.

Des efforts pour contrarier ces perspectives ont été faits. On affiche, pour la solution d’un litige, un délai de dix mois devant le tribunal administratif et de onze mois devant la cour administrative d’appel, si je m’en réfère aux rapports budgétaires.

Je crois qu’il s’agit d’une illusion !

En effet, et Michel Delebarre le souligne lui-même dans son rapport pour avis, on arrive à ces résultats remarquables pour une raison simple : on a supprimé l’indicateur spécifique ! Dorénavant, l’indicateur est uniquement global et inclut tous les types de procédures. Si l’on regarde uniquement les affaires dites « ordinaires », celles qui concernent le plus grand nombre, on n’aboutit certainement pas à ces délais. La pratique et ce qui remonte du terrain laissent penser que nous sommes toujours à plus d’un an devant le tribunal administratif, et plus encore devant la cour administrative d’appel. Néanmoins, je ne nie pas les progrès réalisés.

La difficulté réside dans le développement de contentieux de masse : sur le revenu de solidarité active, le contentieux a augmenté de 360 % en cinq ans ; sur le droit au logement opposable, de 100 % ; sur la fonction publique, notamment en ce qui concerne la fonction publique territoriale, le contentieux s’est également beaucoup développé, comme celui du droit des étrangers.

Face à cela, plusieurs solutions existent, que je qualifierai de « techniques » : dispenser le rapporteur public de conclusions, supprimer l’appel dans certains cas ou instaurer un juge unique.

Je m’arrête un instant sur ce dernier point. Quand j’étais plus jeune, on disait fréquemment, et cela valait pour toutes les juridictions, « juge unique, juge inique »… C’était sans doute arbitraire, caricatural, excessif, je veux bien l’admettre.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Ça l’était, en effet !

M. Alain Anziani. Aujourd’hui, pour résorber les stocks et faire face à l’inflation du nombre de procédures, on va recourir de plus en plus au juge unique. On le voit, par exemple, en matière de droit d’asile. La loi du 29 juillet 2015, excellente loi, réduit considérablement les délais, mais elle ouvre aussi une possibilité au requérant : soit il s’adresse, pour son recours, à une juridiction collégiale, et il attend cinq mois, soit il s’adresse à un juge unique, et il bénéficie alors d’un délai de cinq semaines. Le choix est vite fait !

Plus généralement, on constate une tendance au développement du recours au juge unique, puisque, en 2014, 55 % des affaires devant le tribunal administratif relevaient déjà de ce régime.

La question posée est alors celle de la qualité du travail effectué. Mme Taubira, garde des sceaux, s’est elle-même interrogée : cela n’entraîne-t-il pas une perte de qualité ? Le bon sens consiste à répondre par l’affirmative. Évidemment, un juge unique va plus vite, mais il fait sans doute moins bien…

Je suis très attaché à la juridiction administrative. Ce n’est pas qu’une particularité française, mais c’est tout de même une spécificité de notre pays, qui fait partie de notre culture. Un travail remarquable est effectué par tous les juges administratifs, qui doivent toutefois en avoir les moyens. Plusieurs solutions existent, mais, en fin de compte, cela exige une réponse budgétaire, que j’appelle de mes vœux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens, avant toute chose, à remercier l’ensemble des orateurs pour leurs interventions précises, riches et constructives.

Vous avez tous souligné la bonne gestion et la performance des quatre institutions dont les crédits relèvent de la mission « Conseil et contrôle de l’État ».

Ces institutions contribuent de manière significative au bon fonctionnement de l’État et de la démocratie. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Gouvernement a tenu à préserver leurs crédits, tout en renforçant, cette année encore, les moyens dévolus aux juridictions administratives, qui font face, comme vous l’avez souligné, à une pression contentieuse de plus en plus forte.

Ces conditions budgétaires positives ont été soulignées tant par votre rapporteur général, M. Albéric de Montgolfier, que par votre rapporteur pour avis, M. Michel Delebarre. Et je me réjouis qu’en conséquence les deux commissions compétentes aient émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission.

Toutefois, à l’écoute attentive de chacune de vos interventions, j’ai compris que des interrogations légitimes persistaient sur plusieurs sujets.

Les bonnes performances des institutions dont les crédits relèvent de la mission « Conseil et contrôle de l’État » et la préservation de leurs moyens budgétaires ne doivent pas nous exonérer d’une réflexion approfondie sur les tâches toujours plus nombreuses que le législateur leur confie. Je vais donc m’efforcer, dans le respect de l’indépendance des institutions concernées, d’apporter des réponses aussi claires que possible à vos interrogations.

Pour ce qui concerne les juridictions administratives, plusieurs orateurs ont souligné que le rythme de croissance des contentieux de masse risquait, à terme, de provoquer une dégradation des délais de jugement.

Pour illustrer mon propos, je rappellerai que les contentieux sociaux, qui comprennent notamment le contentieux du droit au logement opposable, le DALO, ou celui du revenu de solidarité active, le RSA, représentent 16 % des affaires enregistrées par les tribunaux administratifs. Par ailleurs, leur volume a augmenté de plus de 20 % dans la seule année 2014. L’activité de la Cour nationale du droit d’asile augmente elle aussi chaque année, à hauteur de 7 %.

La progression de ces contentieux appelle des réponses sérieuses et ambitieuses de la part du Gouvernement.

En premier lieu, comme l’ont souligné M. le rapporteur général de la commission des finances et M. le rapporteur pour avis de la commission des lois, 35 postes nouveaux seront créés dans la justice administrative en 2016, comme en 2015. Ces créations d’emplois sont principalement destinées aux tribunaux administratifs et à la Cour nationale du droit d’asile. C’est la raison pour laquelle les crédits du programme « Conseil d’État et autres juridictions administratives » progresseront en 2016 de 1 % par rapport à 2015.

Certains orateurs ont fait part de leurs interrogations quant aux moyens octroyés à la CNDA pour respecter le nouveau délai de jugement, fixé à cinq mois par le législateur dans la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile.

L’augmentation des crédits de la CNDA, inscrite en PLF 2016, de près de 3,6 % pour le titre 2 et de 5,6 % pour les dépenses globales, s’inscrit dans une stratégie pluriannuelle : depuis 2009, 144 ETP supplémentaires sont venus renforcer la capacité de jugement de cette juridiction, ce qui a permis, dans le même temps, de diviser par deux le délai moyen de jugement, aujourd’hui de six mois.

Certes, nous savons que cette moyenne se dégradera en 2016, en raison du « déstockage » important de dossiers en instance de l’OFPRA. Cependant, cette dégradation sera conjoncturelle et ne saurait remettre en cause l’objectif de moyen terme que nous avons fixé ensemble à cinq mois.

En second lieu, le Gouvernement salue et encourage la mise en place de procédures allégées et plus rapides.

Le développement des procédures à juge unique, même s’il soulève un certain nombre d’interrogations, permet ainsi d’absorber une part de l’augmentation des recours, notamment en matière d’asile. En tout état de cause, je partage l’avis de M. Delebarre : ces procédures simplifiées doivent être réservées aux affaires dont l’issue est évidente. Je pense, par exemple, au contentieux du droit au logement opposable.

Je me réjouis que le juge administratif, en modernisant son office, soit parvenu à concilier deux droits du justiciable, à savoir le droit au procès équitable et le droit à un « délai raisonnable de jugement », affirmés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Toutefois, nous ne saurions nous affranchir d’une réflexion plus large sur l’état de notre droit. Nous devrons notamment réfléchir, de manière approfondie et sincère, au droit au logement opposable.

Enfin, plusieurs d’entre vous ont, en commission ou dans leurs interventions, déploré que le délai de traitement des affaires ordinaires ne soit plus mentionné dans les indicateurs de performance de la justice administrative.

L’indicateur correspondant a en effet été supprimé dans le PLF 2015 afin de répondre au souhait du Parlement de rationaliser les indicateurs de performance, foisonnants, trop nombreux. Cependant, permettez-moi de souligner que les réponses adressées par les juridictions aux questionnaires des commissions compétentes font état de la poursuite de l’effort de « rajeunissement du stock », ce qui implique naturellement une amélioration du délai de traitement des affaires ordinaires.

Ainsi, la part des affaires enregistrées depuis plus de deux ans représente, en 2015, 9,5 % du total des affaires en stock dans les tribunaux administratifs, contre 11,6 % en 2013. Le délai moyen évoqué par MM. Delebarre et Canevet continue de s’améliorer, pour s’établir à un an, neuf mois et quatre jours devant les tribunaux administratifs, et à un an, deux mois et un jour devant les cours d’appel.

J’en viens à présent aux juridictions financières, et plus particulièrement à la Cour des comptes, que le Sénat connaît bien, puisqu’à sa demande, et en application de l’article 58, 2°, de la LOLF, la Cour lui a remis cinq rapports en 2015, comme l’a rappelé M. Canevet.

Le budget des juridictions financières est, lui aussi, préservé. Je crois qu’il s’agit là d’une nécessité, compte tenu des nouvelles missions que le législateur a confiées ou entend confier aux juridictions financières, qu’il s’agisse de la certification des comptes des collectivités locales ou du contrôle des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux prévu dans le projet de loi de modernisation de notre système de santé.

Concernant la certification des comptes des collectivités locales, je voudrais répondre aux remarques de M. le rapporteur général de la commission des finances. L’expérimentation, prévue par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, débutera en fait en 2018. La Cour a déjà installé une équipe « projet » chargée d’élaborer un plan d’action pour les huit ans à venir, et un cahier des charges doit prochainement être rédigé à l’intention des collectivités, dont plusieurs sont déjà candidates à l’expérimentation.

Il n’est cependant pas possible de définir pour l’instant les moyens complémentaires qui seront nécessaires pour l’accomplissement de cette nouvelle mission. Ils dépendront en effet du périmètre de l’expérimentation et du nombre de collectivités concernées. Néanmoins, il ne fait aucun doute que la capacité d’innovation des juridictions financières permettra aussi de relever ces nouveaux défis.

J’en veux pour preuve la réforme de la carte des juridictions financières de 2011, qui a réduit le nombre de chambres régionales des comptes de 20 à 15. Si elle a suscité de nombreuses critiques lors de sa conception, cette réforme s’est finalement déroulée dans un esprit consensuel, et son coût est inférieur à ce qui était prévu.

La loi relative à a délimitation des régions prévoit une nouvelle réduction du nombre des chambres régionales des comptes, qui passeront de 15 à 13, pour l’adapter à la carte des régions. Le Gouvernement sera attentif à ce que le coût de cette réforme soit supportable pour les juridictions financières.

À terme, grâce aux gains de productivité et aux économies d’échelle réalisés, les CRC pourront non seulement se montrer plus efficaces dans l’exercice de leurs missions traditionnelles, mais aussi atteindre la taille critique nécessaire pour remplir de nouvelles missions.

Je voudrais également saluer la gestion du Conseil économique, social et environnemental opérée sous la présidence de M. Jean-Paul Delevoye. Hors titre 2, le montant des crédits de paiement affectés à cette institution diminuera en 2016 de 2,8 % par rapport à 2015, confirmant la tendance déjà observée en 2014. En 2016, 3 ETP seront supprimés. Je ne doute pas que le CESE poursuivra dans cette voie.

Vous aviez été nombreux à vous inquiéter, l’an dernier, de la situation de la caisse de retraite des anciens membres de cette institution. Sachez que le bureau du Conseil économique, social et environnemental a voté en 2015 une réforme importante visant à assurer la pérennité du régime en question au-delà de 2020, sans solliciter un concours supplémentaire de l’État.

Comme l’a souligné M. le rapporteur général de la commission des finances, le Conseil économique, social et environnemental s’est engagé dans un cycle vertueux, notamment en valorisant le Palais d’Iéna pour financer la rénovation des bétons d’Auguste Perret, qui figurent parmi ses très belles réalisations.

Je terminerai en disant quelques mots sur le Haut Conseil des finances publiques. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le rapporteur général, les faibles crédits du Haut Conseil ne lui donnent qu’une place marginale dans l’architecture de la mission. Un rattachement au programme des juridictions financières, envisagé en commission des finances, mériterait d’être mûrement réfléchi.

Je rappellerai à votre assemblée qu’un programme ad hoc a été inscrit à l’article 22 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques par le vote d’un amendement de M. Philippe Marini : présidant à l’époque la commission des finances du Sénat, il avait ainsi souhaité donner au Haut Conseil « une dotation spécifique afin de souligner son indépendance matérielle et fonctionnelle. »

Ainsi se présentent, retracés à grands traits, mesdames, messieurs les sénateurs, les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l’État », que le Gouvernement vous invite à adopter.

M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Conseil et contrôle de l’État », figurant à l’état B.

ÉTAT B

(En euros)

Mission

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Conseil et contrôle de l’État

655 663 149

639 150 447

Conseil d’État et autres juridictions administratives

398 987 020

386 902 331

Dont titre II

323 070 394

323 070 394

Conseil économique, social et environnemental

39 339 079

38 089 079

Dont titre II

32 594 997

32 594 997

Cour des comptes et autres juridictions financières

216 814 208

213 636 195

Dont titre II

185 636 195

185 636 195

Haut Conseil des finances publiques

522 842

522 842

Dont titre II

372 842

372 842

M. le président. Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.

Je mets aux voix ces crédits.

(Ces crédits sont adoptés.)

Conseil et contrôle de l'État
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2016
Etat B

M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Conseil et contrôle de l’État », figurant à l’état B.

Politique des territoires

Compte d’affectation spéciale : Financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale

M. le président. Le Sénat va maintenant examiner les crédits de la mission « Politique des territoires » et du compte d’affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale ».

La parole est à M. Bernard Delcros, rapporteur spécial. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Bernard Delcros, rapporteur spécial de la commission des finances, pour l’impulsion et la coordination de la politique d’aménagement du territoire et pour les interventions territoriales de l’État. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nouvellement élu, j’ai eu la chance de travailler sur cette mission pour mon premier rapport. Plutôt que d’exposer le détail des programmes qui la composent, j’ai préféré vous faire part de mon point de vue de façon plus générale sur une politique publique qui m’inspire deux constats.

Premier constat, notre politique d’aménagement du territoire manque de lisibilité, et cela ne date pas d’aujourd’hui.

Certes, le Gouvernement a pris une série de mesures en faveur des territoires, notamment ruraux : la création de 1 000 maisons des services ; le programme de revitalisation des centres-bourgs ; l’affectation d’une somme de 200 millions d’euros à la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR.

Malheureusement, la politique d’aménagement du territoire est aujourd’hui éclatée en quatorze missions et trente programmes, cette fragmentation ne contribuant pas à la cohérence et à l’efficacité.

Comment expliquer, par exemple, la coexistence de la mission « Politique des territoires », d’un côté, et de la mission « Égalité des territoires et logement », de l’autre ?

M. Rémy Pointereau, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Tout à fait d’accord !

M. Bernard Delcros, rapporteur spécial. Comment parler de politique des territoires sans évoquer la question du logement, alors que, nous le savons, l’habitat doit être au cœur des politiques territoriales, lui qui joue un rôle majeur pour l’avenir de ces territoires ?

M. Daniel Raoul, rapporteur spécial de la commission des finances, pour la politique de la ville. Très bien !

M. Bernard Delcros, rapporteur spécial. Second constat : les crédits affectés à la mission « Politique des territoires » sont en constante diminution, et il en sera encore ainsi en 2016, puisque les autorisations d’engagement baisseront de 3 % et les crédits de paiement de près de 4 %.

De surcroît, certaines actions sont en voie d’extinction, des crédits de paiement étant inscrits seulement pour honorer des engagements pris antérieurement.

C’est par exemple le cas pour les maisons pluridisciplinaires de santé, qui ne sont plus éligibles au FNADT, le Fonds national d’aménagement et de développement du territoire, alors que, nous le savons, elles sont indispensables au maintien d’une offre de soins de proximité dans les territoires ruraux.

Je veux d’ailleurs profiter de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui pour rappeler ici avec force que les crédits consacrés aux territoires fragiles, en milieu urbain comme en milieu rural, constituent non pas une faveur, mais une mesure d’équité pour corriger des inégalités.

M. Daniel Raoul, rapporteur spécial. On est d’accord ! (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)

M. Bernard Delcros, rapporteur spécial. Ces constats m’amènent à faire trois propositions.

Première proposition, nous devons nous orienter vers une politique de l’aménagement du territoire plus globale. De ce point de vue, la démarche de rationalisation que le Gouvernement a engagée en 2015, avec la création du Commissariat général à l’égalité des territoires, lequel rassemble trois organismes, ou encore avec le rattachement de la politique de la ville à la mission « Politique des territoires », allait dans le bon sens.

Ce processus doit être poursuivi et une réflexion engagée pour faire évoluer la maquette financière de façon à rassembler plusieurs missions actuelles dans une grande mission « Aménagement du territoire ». Nous irions ainsi vers une politique de l’État plus lisible, plus cohérente, plus globale et, à mon sens, plus efficace.

Ma deuxième proposition concerne le mode d’intervention de l’État en faveur des territoires : nous devons le faire évoluer et passer d’une logique de guichet à une logique de projet. Il faut simplifier les procédures et accompagner les mutations des territoires ruraux en contractualisant avec eux, sur la base de schémas de développement menés de manière partenariale.

À cet égard, monsieur le ministre, je regrette que le Gouvernement n’ait pas donné un avis favorable à notre proposition de loi, d’ailleurs adoptée par le Sénat, qui visait à mettre en place des contrats territoriaux de développement rural répondant précisément à ce besoin. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

Troisième proposition, il serait logique de rattacher au programme 112, qui a porté la première génération de ce type d’opérations, les 300 millions d'euros prévus pour le programme de revitalisation des centres-bourgs et des petites villes. En effet, ces crédits ne sont pas inscrits au titre de la mission « Politique des territoires ».

Monsieur le ministre, seriez-vous favorable à ce rattachement au programme 112 et, dans le cas contraire, pourriez-vous nous dire pourquoi ?

Avant de conclure, je poserai encore deux questions.

La première concerne l’accès à la téléphonie mobile et à un service internet performant, qui est devenu une nécessité économique, un besoin social indispensable, comme l’ont été, en leur temps, d’autres services issus de progrès techniques.

Or, aujourd’hui, ce droit fondamental n’est pas assuré sur la totalité du territoire national et cette situation n’est plus tenable !

Monsieur le ministre, nous savons que le Gouvernement a prévu de remédier à cette situation, mais pouvez-vous nous dire à quelle échéance tous les citoyens de notre pays pourront accéder à ce service universel ? Voilà un vrai sujet d’aménagement du territoire !

Ma seconde question concerne les zones de revitalisation rurale, les ZRR.

Le projet de loi de finances rectificative, dans son article 18, prévoit de réformer les ZRR à partir de deux critères, qui sont, d’une part, la densité de population moyenne cette fois à l’échelle des intercommunalités, d’autre part, le revenu fiscal des ménages. Ainsi, 3 000 communes nouvelles entreraient dans le zonage, alors que 4 000 en sortiraient.

Monsieur le ministre, nous aimerions que vous nous indiquiez, d’abord, les conditions de mise en œuvre de ces deux critères, ensuite, le calendrier de mise en application de cette réforme, laquelle devra, bien sûr, tenir compte des nouveaux schémas de coopération intercommunale, enfin, le coût actuel du dispositif ZRR et les prévisions pour 2017 et les années suivantes.

En conclusion, et dans l’attente de réponses à nos questions, la commission des finances propose au Sénat de ne pas adopter les crédits pour 2016 de la mission « Politique des territoires ». (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul, rapporteur spécial.