M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je souhaiterais tout d’abord donner une précision à Mme Gatel : la restauration scolaire est obligatoire dans les collèges et les lycées. La loi du 13 août 2004 dispose que « la région assure l’accueil, la restauration, l’hébergement ainsi que l’entretien général et technique… ». Il en va de même des départements pour les collèges.

Ce n’est que pour les seules écoles primaires qu’une telle obligation n’existe pas. Sans doute pour des raisons culturelles : pendant longtemps, les enfants pouvaient être accueillis chez eux, par leurs grands-parents, par exemple. Ce n’est qu’au moment de quitter l’école primaire pour aller dans un collège ou un lycée plus éloigné que la restauration scolaire devenait indispensable.

Nous souhaitons simplement faire en sorte que l’ensemble des enfants, quels que soient leur école, leur niveau et leur âge, puissent avoir ce repas.

J’en viens à l’amendement. Je partage l’avis du rapporteur sur le plafonnement du prix. En revanche, une difficulté se pose sur le décret de 2000 qui aurait été abrogé en 2006.

Je ne comprends pas le fait générateur d’une telle décision. Il s’agissait justement de « bloquer » les tarifs, en fonction de l’évolution des salaires et des prix de l’énergie et des produits alimentaires.

Sur cet amendement, je m’en remets donc à la sagesse de la Haute Assemblée, en attendant que ce décret soit effectivement revu. Son abrogation me fait l’impression d’un accident de l’histoire, que nous pourrons dépasser, et non d’une décision volontaire de ne plus encadrer le prix des cantines, ce qui serait terrifiant.

Aussi, je m’en remets à la sagesse du Parlement, rien n’empêchant ce dernier de remplacer une disposition réglementaire par une disposition législative.

M. le président. Acceptez-vous de lever le gage, madame la ministre ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Comme je ne peux pas lever le gage, parce que je n’en ai pas l’autorisation, je suis contrainte de demander le retrait de cet amendement, dont je comprends le bien-fondé. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

En revanche, je prends ici l’engagement d’examiner de nouveau les raisons de la disparition du décret de 2000, qui me semble dommageable.

M. le président. L’amendement n° 1 est-il maintenu, monsieur Kaltenbach ?

M. Philippe Kaltenbach. Je le retire, monsieur le président.

Je suis très satisfait de la réponse apportée par Mme la ministre. La situation ne présente aucune difficulté lorsque les maires sont raisonnables et augmentent chaque année les tarifs en fonction de l’inflation. Mais ceux qui opèrent des augmentations brutales de 40 % mettent de nombreuses familles en difficulté.

Si le Gouvernement pouvait revenir à un système de plafonnement des tarifs et des augmentations annuelles, ce serait une bonne chose.

M. le président. L’amendement n° 1 est retiré.

La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. À ce stade du débat, je souhaite intervenir brièvement, ayant écouté avec beaucoup d’attention l’ensemble de mes collègues.

Mme Blandin l’avait dit en commission, ce texte fait battre les cœurs, dans la mesure où il concerne les enfants. Il est normal que nous soyons dans l’émotion quand nous constatons des cas avérés de discrimination. Toutefois, l’émotion ne doit pas empêcher la raison et, surtout, le raisonnement.

Monsieur Manable, je n’ai pas bien compris vos propos. Vous affirmez en effet que le rejet de cette proposition de loi reviendrait à abandonner un principe constitutionnel. Je ne suis pas une grande juriste, mais je croyais que ce qui était inscrit dans la Constitution était gravé dans le marbre.

Par ailleurs, madame la ministre, la jurisprudence ne s’exerce pas hors sol, sans référence à l’état de droit, cela a été excellemment rappelé par les deux rapporteurs Jean-Claude Carle et Françoise Laborde. Il existe en la matière une jurisprudence constante et claire, qui est appliquée et qui correspond à cet état de droit.

Bien sûr, les familles ne sont pas assez informées de leurs possibilités de recours. Les préfets doivent être avertis par des circulaires – M. le rapporteur l’a dit – des moyens dont ils disposent pour faire appliquer le principe d’égalité devant un service public, rappelons-le, facultatif.

Ce que l’on attend d’une assemblée comme la nôtre c’est de raisonner bien pour faire la loi. Cela ne signifie pas que nous sommes dépourvus d’émotions ! Il n’y a pas, d’un côté, les sans-cœur et, de l’autre, les généreux. Il y a simplement un législateur qui doit examiner les choses avec attention et de façon éclairée.

Je note à ce propos que nous ne disposons d’aucune étude d’impact sérieuse ni de statistiques avérées. Je regrette que cette proposition de loi ait été précipitamment inscrite dans une niche parlementaire.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. En effet, rappelons-le, elle a été déposée à l’Assemblée nationale par le député Roger-Gérard Schwartzenberg. Le groupe RDSE du Sénat, groupe miroir de celui auquel appartient M. Schwartzenberg, n’a pas jugé bon d’inscrire ce texte à l’ordre du jour du Sénat, une réflexion sérieuse étant nécessaire sur ce sujet, Mme Laborde a bien expliqué ce point.

Je tenais à rappeler l’ensemble de ces éléments, pour éclairer le débat. Si nous légiférons, il faut le faire bien, sans résumer la situation de façon manichéenne avec, d’un côté, les bons et, de l’autre, les méchants. (M. Jacques-Bernard Magner s’exclame.) Notre commission veille sur l’intérêt des enfants, tout en faisant confiance aux élus. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, pour explication de vote sur l’article.

M. Jacques-Bernard Magner. Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous reconnaissez – vous venez encore de le faire, madame la présidente de la commission – que nous sommes face à une discrimination inacceptable, qui plus est, sanctionnée par le juge. Toutefois, en rejetant notre proposition de loi, vous renvoyez les familles discriminées devant la justice pour faire valoir leurs droits, comme si elles allaient toutes engager une procédure.

Or ce sont précisément les familles dont la situation sociale et économique est fragile qui sont les moins armées pour ester en justice, alors qu’elles sont les premières victimes de ces discriminations, vous l’avez rappelé, madame la ministre. Les associations de parents d’élèves ne disent pas autre chose : elles ont du mal à convaincre les familles concernées d’engager les démarches nécessaires pour obtenir l’accès de leurs enfants à la restauration scolaire.

Mes chers collègues, vous ne pouvez pas juger notre texte superfétatoire et redouter, dans le même temps, la pseudo-création d’un nouveau droit. Notre proposition de loi ne crée aucune nouvelle contrainte pour les collectivités locales. Oui, nous rappelons le droit aux communes et aux intercommunalités, peu nombreuses, certes, à s’en affranchir en toute illégalité, vous avez eu raison de le rappeler.

De votre côté, vous leur renouvelez votre confiance, en dépit du non-respect de certaines lois de la République. Vous rendez-vous compte du message que vous leur adressez ainsi ?

La libre administration des communes, ce n’est assurément pas le choix de se placer au-dessus de la loi. Nul ne peut s’arroger le pouvoir de subordonner un principe constitutionnel à l’appréciation ou à la situation budgétaire de telle ou telle commune ou intercommunalité, d’autant que ce ne sont pas forcément les communes les plus pauvres ou les plus en difficulté qui organisent ces pratiques discriminatoires. Rappelons tout de même que nous parlons de moins de cent communes sur les 20 000 qui proposent un service de restauration scolaire. Toutefois, si ce texte n’était pas adopté, elles pourraient être plus nombreuses à l’avenir.

M. Jacques-Bernard Magner. Avec toute la fierté qui anime les vrais Républicains, le groupe socialiste votera cette proposition de loi, généreuse et bienveillante. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Madame la présidente de la commission, vous disiez tout à l’heure que vous n’étiez pas juriste, tout en ayant recours à une expression utilisée par les juristes.

Bien évidemment, la jurisprudence n’est pas hors sol ! Sinon, nous ne nous serions jamais intéressés au droit. Là n’est pas le sujet ! Le problème, c’est que beaucoup de familles n’iront pas ester en justice, même si elles en ont le droit.

Malheureusement, vous prenez l’exemple d’une école d’une commune que je ne citerai pas. Alors qu’elle regroupe 620 élèves, l’association des parents d’élèves ne comporte que onze personnes ! Les gens en grande difficulté ne s’autorisent même plus, parfois, à participer à des associations. C’est un sujet important : aujourd'hui, en France, dans tous les milieux, mais plus particulièrement dans certaines communes, les gens ne s’installent pas définitivement. Ils attendent parfois un logement ailleurs. L’installation dans une commune, il faut le savoir, n’emporte plus identité et vie sociale. C’est une réalité qui nous éclate au visage, quand on regarde un certain nombre de choses.

Je fais confiance aux associations de parents d’élèves. Pourtant, j’ai entendu des propos terribles dans la bouche de certains d’entre eux, selon lesquels certaines associations, qui organisaient des fêtes ou faisaient en sorte que tous les élèves puissent participer aux classes de nature, se sont peu à peu transformées en associations destinées à promouvoir la réussite scolaire des enfants de leurs membres, la solidarité n’étant plus au rendez-vous.

Ceux qui paient la note de ces situations – nous en sommes tous responsables, quelle que soit notre appartenance politique –, ce sont les familles qui auront du mal à saisir le tribunal administratif. Les familles en grande difficulté ne connaissent pas leurs droits. Un peu plus de 40 % des personnes qui auraient droit au RSA, créé par une autre majorité que la nôtre – cela dure donc depuis plusieurs années – ne le demandent pas, faute de connaissance du droit. Il ne faut pas croire que nous sommes ici l’image des familles. Tel n’est malheureusement pas le cas. Nous sommes des privilégiés qui avons eu la chance de nous engager en politique.

Face à Roger-Gérard Schwartzenberg et aux différents groupes qui défendaient ce texte – je rappelle que l’opposition s’est abstenue à l’Assemblée nationale –, le Gouvernement a mis un certain temps à rendre son avis sur cette question. Si la jurisprudence n’avait pas été solide, il se serait agi d’un débat de juristes.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Or, vous le dites vous-même, elle est solide. Il s’agit donc d’un combat social. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er n'est pas adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir le droit d'accès à la restauration scolaire
Article 2 (fin)

Article 2

Les charges qui pourraient résulter pour les communes de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Les charges qui pourraient résulter pour les organismes sociaux de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la majoration des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

M. le président. Mes chers collègues, avant de mettre aux voix l’article 2, je vous rappelle que, par cohérence avec la suppression de l’article 1er, cet article ne devrait pas être adopté dans la mesure où il prévoit un gage.

S’il est supprimé, il n’y aura plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi et il n’y aura pas d’explications de vote sur l’ensemble.

Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix l'article 2.

J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe Les Républicains et, l'autre, du groupe socialiste et républicain.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 104 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l’adoption 140
Contre 202

Le Sénat n'a pas adopté.

Les deux articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi visant à garantir le droit d’accès à la restauration scolaire n’est pas adoptée.

Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures.)

M. le président. La séance est reprise.

Article 2 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir le droit d'accès à la restauration scolaire
 

7

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi pour une République numérique, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 9 décembre 2015.

8

Compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire

Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire, présentée par M. Jean-Claude Lenoir et plusieurs de ses collègues (proposition n° 86, texte de la commission n° 217, rapport n° 216).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Lenoir, auteur de la proposition de loi.

 
Dossier législatif : proposition de loi en faveur de la compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire
Articles additionnels avant l'article 1er

M. Jean-Claude Lenoir, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat, conscient de la gravité de la situation de ce secteur, suit avec beaucoup d’attention, depuis des mois, l’évolution de l’activité agricole, et notamment celle des filières d’élevage.

Dans ce contexte, un certain nombre d’initiatives ont été prises, avec les encouragements, ou, plus exactement, le soutien actif du président du Sénat, Gérard Larcher.

C’est ainsi qu’au mois de mai dernier, monsieur le ministre, je vous ai suggéré de venir devant la commission des affaires économiques faire le point sur le dossier de l’élevage. Vous êtes venu le 4 juin, et je crois que l’échange que nous avons eu alors a été utile.

Le président du Sénat a ensuite pris une initiative forte, qui a permis de réunir, le 16 juillet, l’ensemble des acteurs des filières porcine, bovine et laitière, de la production à la distribution en passant par la transformation.

Cette table ronde, à laquelle vous vous êtes joint, monsieur le ministre, a permis de dégager un certain nombre de pistes, et de souligner que le problème majeur de l’élevage et, d’une façon générale, de l’agriculture, était la compétitivité.

Par la suite, au cours de l’été, un certain nombre de manifestations se sont déroulées à travers le pays : les éleveurs ont crié leur détresse.

Le 3 septembre, ils se sont largement rassemblés à Paris. Du reste, dès potron-minet, le 3 septembre, nous avons accueilli, avec une délégation de la commission des affaires économiques, des représentants des organisations agricoles présentes sur la place parisienne.

La commission des affaires économiques s’est de nouveau réunie le 22 septembre. Le 6 octobre, nous avons eu ici même, dans cet hémicycle, un débat sur la situation et l’avenir de l’agriculture. Le 8 octobre, nous avons rencontré, avec la commission des affaires européennes, le commissaire européen à l’agriculture, Phil Hogan.

À l’issue de ces différentes initiatives, nous sommes nombreux, le 16 octobre, à avoir déposé la présente proposition de loi. J’en suis le premier signataire, mais je tiens à dire le rôle important joué par le président du Sénat dans la conduite des travaux qui nous ont permis de la rédiger.

Je veux souligner également la part active prise, dans cette affaire, par mon collègue Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, qui s’est beaucoup impliqué pendant l’été, à un moment où j’étais peut-être moins disponible : une bonne partie du travail a été effectuée sous son autorité et sous sa direction.

De nombreux collègues, formant une très large majorité des membres du Sénat, ont signé cette proposition de loi.

M. Charles Revet. Nous avons signé !

M. Jean-Claude Lenoir. Nous sommes donc, aujourd’hui 9 décembre 2015, en mesure de pouvoir l’examiner et, je l’espère, de l’adopter.

Je laisserai au rapporteur de cette proposition de loi, Daniel Gremillet, le soin de détailler son contenu. J’en profite pour dire combien nous avons apprécié, au sein de la commission des affaires économiques, le travail qu’il a mené.

Il a notamment rencontré un grand nombre de représentants du monde agricole, des filières d’élevage, et nous a proposé des amendements qui ont été examinés et adoptés par la commission des affaires économiques.

Je me contenterai de souligner les trois points sur lesquels nous nous sommes tout particulièrement attardés, tous tournant autour des notions de compétitivité et de prix.

Cette proposition de loi prévoit tout d’abord un ensemble de mesures au titre de la compétitivité-prix, consistant notamment en allégements des charges et en financements des investissements.

Un deuxième volet porte sur la compétitivité hors prix – qui a trait à la qualité des produits du secteur agricole et à la valorisation, c’est-à-dire à la promotion, de leur valeur ajoutée.

Un troisième volet concerne l’organisation de la filière agroalimentaire : des mesures sont proposées pour favoriser et faciliter la contractualisation.

Il n’est d’ailleurs pas inutile de souligner, monsieur le ministre, que vous disposez d’un rapport que vous avez vous-même commandé, dont j’ai eu connaissance très récemment, intitulé « Agriculture – Innovation 2025 ».

Ses auteurs recommandent la création en France d’un observatoire de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire. Il serait extrêmement intéressant, monsieur le ministre, que vous puissiez prendre l’initiative de suivre cette recommandation, qui émane de plumes hautement autorisées.

M. Jean Bizet. Nous attendons !

M. Jean-Claude Lenoir. Nous devons aujourd’hui la vérité aux agriculteurs et aux éleveurs. La vérité, nous la connaissons, et nous y sommes favorables : le prix n’est pas fixé par le Gouvernement, donc pas par le ministre. Le prix est celui du marché, et le marché est mondial.

Par ailleurs, l’essentiel de la politique agricole est décidé à Bruxelles, dans le cadre de la politique agricole commune.

Nous pouvons néanmoins faire deux observations. D’une part, les agriculteurs, et surtout les éleveurs, peinent à considérer que les mesures d’urgence qui sont prises constituent une politique. Ces dispositions sont nécessaires, mais elles ne sont pas suffisantes : il faut les articuler, les structurer, leur donner du corps ! C’est précisément ce que nous vous proposons de faire : vous avez pris des mesures d’ordre conjoncturel ; nous vous proposons de prendre des mesures d’ordre structurel.

D’autre part, les éleveurs en ont assez de l’empilement des normes,…

M. Jean-Claude Lenoir. … notamment dans le domaine agroenvironnemental. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Vous avez porté l’an dernier, monsieur le ministre, un projet de loi d’avenir pour l’agriculture. Nous avons interrogé les représentants de ce secteur d’activité : ils ont surtout retenu de cette loi qu’elle permettait d’ajouter des normes à celles qui existaient déjà dans le domaine agroenvironnemental. Nous sommes sans doute passés à côté de la question de la compétitivité !

Aujourd’hui, monsieur le ministre, nous sommes décidés à « pousser les feux ». La situation n’est pas seulement grave : elle risque, dans les mois qui viennent, de devenir dramatique.

Tous les indicateurs dont nous disposons montrent que les premiers mois de l’année 2016 vont être très difficiles à supporter pour le monde de l’élevage. En raison de la baisse des prix, voire de leur effondrement, beaucoup d’éleveurs n’arriveront sans doute pas à équilibrer le budget de leurs exploitations.

La question de savoir quelle serait la position du Gouvernement vis-à-vis de nos propositions nous a préoccupés, compte tenu, monsieur le ministre, de votre discours – j’allais dire aussi de votre attitude, peut-être même de votre posture. On vous a dit irrité par les initiatives sénatoriales ; ici même, nous vous avons vu agacé.

Aujourd’hui, monsieur le ministre, vous avez devant vous une majorité de sénateurs qui n’ont qu’un souhait : soutenir l’activité agricole et soutenir le monde de l’élevage ! (Très bien ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

Nous représentons les territoires : nous sommes donc dans notre rôle lorsque nous rencontrons la plupart des acteurs de la filière agricole, de la production à la distribution en passant par la transformation, et lorsque nous faisons des propositions qui rencontrent leur assentiment.

Bien entendu, nous sommes conscients que nous ne pouvons pas tout faire – je le dis avec une modestie tout à fait sincère. Nous ne sommes pas le Gouvernement : nous avons proposé des mesures qui étaient à notre portée, et qui étaient recevables au regard des textes constitutionnels, et notamment des contraintes inhérentes à l’article 40.

Aujourd’hui, monsieur le ministre, notre satisfaction est très grande, et je dois remercier le Gouvernement. Je ne suis pas de ceux qui soutiennent avec un zèle excessif l’action que vous menez, mais je suis obligé de noter que vous avez repris, dans le projet de loi de finances rectificative pour 2015, un certain nombre des dispositions contenues dans notre proposition de loi.

M. Charles Revet. C’est parce que ce sont de bonnes propositions !

M. Jean-Claude Lenoir. Ce ne sont d’ailleurs pas les moins importantes ! Je pense notamment à nos propositions relatives au suramortissement des bâtiments d’élevage et de stockage des effluents, ou à la déduction pour aléas.

Vous nous disiez pourtant il y a encore quelques semaines, monsieur le ministre, que cette proposition de loi était inutile, que nous étions à côté du sujet, que de toute façon vous pourriez mieux faire.

Lorsque je vous disais ici même, en séance, qu’il fallait assouplir le dispositif de déduction pour aléas, tout dans votre réaction montrait que vous trouviez ces propos creux, sans aucune consistance.

Aujourd’hui, vous reprenez ma proposition ! Retenez, monsieur le ministre, que nous ne sommes pas vos adversaires : la crise est trop grave. Nous sommes ici pour vous aider, pour coopérer et pour pousser les feux ensemble.

Et je gage que notre débat va montrer que le Sénat et le Gouvernement, dans leur configuration politique respective, savent conduire une politique à la fois ambitieuse, réaliste et raisonnée en faveur du monde de l’élevage. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)

M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs mois, les filières d’élevage doivent faire face à une crise sévère et extrêmement violente, crise qui semble s’être installée de manière durable.

Dans le secteur du lait, alors que les prix avaient bien augmenté en 2013 et 2014, nous sommes retombés en quelques mois au niveau de 2012. Les perspectives restent d’ailleurs peu favorables : baisse de la demande mondiale avec le ralentissement économique des pays importateurs, comme la Chine, hausse de la production dans l’Europe laitière de l’après-quotas, mais aussi dans la plupart des grandes régions productrices de lait à travers le monde, fermeture du débouché russe depuis l’embargo… Tous ces facteurs se combinent au détriment de la filière laitière.

Dans le secteur porcin, la fermeture cet été du marché au cadran de Plérin a été le marqueur le plus puissant de la crise. La baisse des prix du porc n’a pas cessé depuis, avec un prix européen qui avoisine désormais 1 euro le kilo, ce qui constitue un prix indécent. Là encore, l’atonie de la consommation domestique et l’embargo russe ont restreint les débouchés, dans un contexte de concurrence accrue entre pays européens.

Dans le secteur de la viande bovine, les difficultés de la filière sont aggravées par les facteurs sanitaires. La fièvre catarrhale ovine perturbe effectivement le commerce des animaux vivants et s’ajoute à la dégradation de la situation des marchés.

J’ajoute que, dans le secteur avicole, le retour de la grippe aviaire risque d’avoir des effets dévastateurs.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. C’est dans ce contexte de crise que Jean-Claude Lenoir, Jean Bizet et plusieurs de leurs collègues ont déposé début octobre une proposition de loi orientée dans une direction essentielle : redonner de la compétitivité à notre agriculture et à notre secteur agroalimentaire.

Si la crise que nous traversons présente un mérite, c’est bien celui de faire prendre conscience à ceux qui ne voulaient pas le voir que notre filière agricole et alimentaire souffre de problèmes structurels de compétitivité.

Notre balance commerciale l’atteste : hors vins et spiritueux, nous perdons du terrain depuis quatre ans, en particulier dans les productions animales. Notre autosuffisance alimentaire est menacée à terme.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. Face à nous, des acteurs mondiaux de l’agroalimentaire se sont restructurés, ont investi : les Espagnols, par exemple, dans le secteur porcin ; dans le lait, ce sont les Allemands qui ont développé leurs outils de production. Les industries de transformation de la viande connaissent une forte pression concurrentielle. Or il ne faut pas perdre la bataille de l’industrie agroalimentaire, car le maillage industriel permet d’irriguer l’économie des territoires ruraux et de maintenir de la production agricole à proximité.

J’ai d’ores et déjà entendu plusieurs critiques de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Je voudrais brièvement y répondre par avance.

Première critique : la stratégie de compétitivité serait déjà mise en œuvre. Certes, l’agriculture et l’agroalimentaire peuvent bénéficier de mesures générales comme le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, ou la baisse des cotisations familiales. Les mesures d’allégement de charges pour les travailleurs occasionnels ont été maintenues. Toutefois, il faut aller plus loin et définir une vraie stratégie de compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires : encourager l’investissement, la montée en gamme ou encore l’allégement des normes et procédures.

Deuxième critique : les mesures proposées seraient inutiles ou de peu de portée : je ne partage pas cette attitude de dénigrement et je suis persuadé que nos débats permettront de mettre en évidence la nécessité des mesures contenues dans la proposition de loi.

Troisième critique : ce ne serait pas le moment, un an après l’adoption de la loi d’avenir pour l’agriculture, de voter une nouvelle loi agricole. J’estime que nous avons travaillé dans l’urgence, certes, mais pas dans la précipitation. J’ai pu mener en un mois pas moins de 26 auditions ; toutes m’ont renforcé dans l’idée qu’il y avait urgence à agir et que le pire serait d’attendre que la crise passe miraculeusement toute seule.

Avant d’évoquer les dispositions de la proposition de loi et les modifications que nous avons apportées en commission, je souhaite vous dire quelques mots de l’état d’esprit qui m’a animé en tant que rapporteur.

Tout d’abord, j’ai voulu écouter tout le monde, pour recueillir le maximum de témoignages sur l’état des filières animales et le maximum d’avis sur le texte soumis à notre examen.

Ensuite, j’ai souhaité rester réaliste : cette proposition de loi ne va pas changer la politique agricole commune, qui structure tout de même l’intervention économique de la puissance publique dans le secteur agricole. Avec tous ses défauts et parfois ses quelques qualités, la PAC s’applique en France, et ce n’est pas au Parlement que nous en changerons les règles, même s’il faudra chercher à peser sur leur évolution future.

J’en viens maintenant au contenu de la proposition de loi, telle qu’elle résulte de son examen par la commission des affaires économiques la semaine dernière.

Le texte comporte en réalité six catégories de mesures, centrées sur les enjeux économiques. À l’inverse des lois agricoles, il n’y a pas de dispositions sur le foncier, sur les baux ruraux, sur les questions sanitaires ou encore sur la forêt.

La première série de mesures vise à améliorer les relations à l’intérieur des filières pour que ces filières ne soient pas minées de l’intérieur par des conflits de répartition épuisants et destructeurs.

L’article 1er améliore la contractualisation en demandant que l’évolution des coûts de production joue un rôle dans le calcul des formules de prix qui figurent dans les contrats agricoles. En commission, nous avons précisé qu’il faudrait faire référence à des indicateurs d’évolution des coûts de production comme l’indice des prix d'achat des moyens de production agricole, l’IPAMPA, et non à des coûts de production individuels, qui peuvent être très variables.

Nous avons aussi confirmé que les indices d’évolution des prix qui devront être pris en compte sont des indices publics, connus de tous, pour renforcer la confiance dans les mécanismes de contractualisation.

L’article 2 instaure un rendez-vous annuel au sein de chaque filière agricole et alimentaire. En commission, nous avons aussi revu la rédaction de l’article 2 pour en faire un rendez-vous annuel destiné à examiner la stratégie de filière à mettre en œuvre, mais pas à définir des prix, car le risque encouru serait alors de ne pas respecter les règles européennes qui interdisent les ententes sur les prix.

La deuxième série de mesures porte sur la valorisation des productions françaises par l’information du consommateur : à l’article 3, la proposition de loi permet de contourner le règlement européen sur l’information du consommateur qui interdit d’imposer au niveau national un étiquetage de l’origine, en dehors des cas prévus par la législation européenne. Du coup, nous créons un droit pour le consommateur à être informé de l’origine a posteriori lorsqu’il ne l’est pas a priori par l’étiquetage. La complexité du circuit de réponse aux consommateurs devrait inciter distributeurs et transformateurs à mettre en œuvre volontairement l’étiquetage de l’origine et, bien sûr, à faire évoluer l’Union européenne.

La troisième série de mesures tend à permettre à l’agriculture de mieux gérer les risques financiers et économiques.

L’article 4 permet de plein droit de reporter ses échéances lorsqu’on est en crise. En effet, des exploitations viables peuvent se retrouver étranglées de charges financières qui correspondent à des emprunts destinés au financement d’investissements. L’année blanche proposée cette année dans le cadre du plan de soutien à l’élevage ne constitue qu’une mesure ponctuelle et négociée en situation de faiblesse. L’article 4 crée un droit pour l’agriculteur, afin de lui offrir une bouffée d’oxygène en cas de situation de crise.

L’article 6 améliore aussi le dispositif de la déduction pour aléas, transformée en réserve spéciale d’exploitation agricole, dont l’utilisation est plus facile, et sans pénaliser financièrement la réintégration des sommes épargnées. Le plafond de cette réserve est augmenté pour tenir compte de la taille des exploitations.

J’ai fait adopter par la commission un article 6 bis qui oblige également les jeunes agriculteurs suivant le parcours d’installation à souscrire une assurance contre les risques climatiques, car ne pas s’assurer, c’est s’exposer de manière excessive au risque de couler en cas d’événement grave sur l’exploitation.