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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

Mme la présidente. Mes chers collègues, je suis particulièrement heureuse de saluer en votre nom la présence dans notre tribune d’honneur d’une délégation du Conseil national de Monaco, conduite par son président, M. Laurent Nouvion. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre, se lèvent.)

La délégation est accueillie par notre collègue, M. Christophe-André Frassa, président du groupe d’amitié France-Monaco, et nos collègues membres de ce groupe.

Cette visite s’inscrit dans le cadre des échanges réguliers entre le Sénat et la Principauté de Monaco, dont les liens avec la France sont si étroits, en particulier pour nos concitoyens du département des Alpes-Maritimes qui y travaillent quotidiennement.

Outre les nombreux sujets intéressant directement les relations franco-monégasques, cette session de travail interparlementaire est l’occasion d’aborder les relations de Monaco avec l’Europe.

La délégation rencontrera le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, M. le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, ainsi que le président de la commission des affaires européennes, M. Jean Bizet.

Le programme sera dense, puisque la délégation sera également reçue demain matin par M. Gérard Larcher, président du Sénat.

Nous souhaitons à nos amis monégasques de fructueux travaux et la plus cordiale bienvenue au Sénat français ! (Vifs applaudissements.)

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation
Discussion générale (suite)

Ancrage territorial de l'alimentation

Suite de la discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation
Article additionnel avant l'article 1er

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au lendemain du Salon international de l’agriculture, force est de constater que les indicateurs sont au rouge, que les prochains mois seront autant sinon plus difficiles que les derniers mois pour nos agriculteurs, et que notre responsabilité de parlementaire se pose avec acuité.

Oui, il nous faut prendre des décisions fortes pour redonner de la compétitivité à nos exploitations et à nos agriculteurs, pour offrir des perspectives aux hommes et aux femmes qui se trouvent sur nos territoires et pour assurer des débouchés à nos producteurs. Cela passera notamment par la remise en cause d’un certain nombre de normes et l’adoption de mesures structurelles déterminantes. C’est le sens des travaux que nous menons actuellement dans le cadre de l’étude de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire.

En ce sens, je partage l’objectif d’un ancrage territorial de l’alimentation et l’esprit de la présente proposition de loi que nous examinons. Toutefois, mes chers collègues, n’oublions pas que ce texte ne constitue qu’une réponse partielle, sinon symbolique. Je voudrais d’ailleurs discuter de la pertinence de plusieurs de ses dispositions.

Première interrogation : j’ai été profondément choqué de voir figurer le mot « durable » dans chaque article de la proposition de loi. Quel message entendons-nous adresser à nos agriculteurs en conservant une telle rédaction ?

L’agriculture française, reflet de nos terroirs dans toute sa diversité, est d’une très grande qualité et évolue en fonction d’un savoir qui progresse avec la recherche. C’est pourquoi la définition de la notion d’« alimentation durable » qui figure dans le texte soulève de sérieux problèmes : elle ne repose sur aucune assise juridique et exclut arbitrairement une grande partie de notre agriculture. Ce n’est pas acceptable ! À cette notion, je propose donc de substituer une nouvelle rédaction de l’alinéa 2 de l’article 1er qui – je l’espère – pourra faire l’objet d’un examen attentif.

La rédaction actuelle de cet alinéa me paraît beaucoup trop réductrice et contribue à opposer les modes d’agriculture les uns aux autres. Aujourd’hui, nous ne cessons de développer à tort cette opposition, alors que les différentes filières de la production doivent être appréhendées dans leur complémentarité.

En outre, il me paraît primordial de mettre en avant les appellations d’origine contrôlée, les AOC, les appellations d'origine protégée, les AOP, les indications géographiques protégées, les IGP, ou encore l’appellation « produits fermiers » dans le cadre de ces dispositions. Quoi de mieux que ces appellations pour obtenir un ancrage territorial de notre alimentation ? Rappelons-le : toutes ces qualifications visent à distinguer des produits et des modes de production qui relèvent d’un savoir-faire particulier et propre aux territoires, et qui répondent donc parfaitement à l’objectif d’ancrage territorial de l’alimentation. C’est le sens de l’amendement que j’ai déposé sur l’article 1er.

Deuxième interrogation : si notre responsabilité de parlementaire nous impose de prendre des décisions fortes, elle nous commande également de veiller à l’utilité de chaque nouvelle mesure. Les collectivités locales ont conduit des expérimentations avant même que nous n’examinions cette proposition de loi. C’est ce que nous avons appris en écoutant différents témoignages lors de nos auditions. Où est donc l’urgence à légiférer ?

De surcroît, ce texte pourrait avoir des conséquences inattendues : après les hôpitaux et les établissements scolaires, c’est au tour des exploitations biologiques de se massifier pour répondre à la demande tout en limitant les coûts ! Autrement dit, comment fournir 20 000 à 50 000 cuisses de poulet simultanément sans revenir au point de départ ?

À l’inverse, on demande aux agriculteurs des efforts d’investissement toujours plus importants pour respecter les normes sanitaires et proposer des produits de qualité, ce qui nécessite bien sûr que leurs exploitations atteignent une certaine taille critique.

J’en viens ainsi à ma troisième interrogation : compte tenu de la place occupée actuellement en France par les produits sous appellation et l’agriculture biologique, imposer un pourcentage de ces produits me paraît extrêmement périlleux. Dans un bon nombre de territoires, il sera difficile de respecter ces objectifs, faute d’une production locale suffisante.

Si je prends l’exemple de ma région, la production laitière biologique ne représente que 7 % de la production totale. Par ailleurs, la quasi-totalité de cette production est transformée en Mayenne, parce qu’il n’existe aucun outil de transformation localement.

Faute de pouvoir s’appuyer sur une manne locale suffisante, les collectivités locales seront alors contraintes d’importer. Le risque est grand en la matière, et nos agriculteurs seraient, une fois de plus, les grands perdants !

Quatrième interrogation : comment la notion de proximité est-elle définie ? Je regrette que le texte initial n’ait pas inclus les produits transformés localement, ainsi que ceux qui sont issus d’un approvisionnement de proximité dans le champ des produits visés. Le code des marchés publics et Bruxelles nous contraignent dans ce domaine. Il me paraît néanmoins important d’engager une réflexion sur le sujet.

Il est nécessaire de pouvoir valoriser les produits transformés localement ainsi que les entreprises y contribuant. C’est le cas notamment des coopératives qui répondent au principe de territorialité. Mes chers collègues, il n’y a pas mieux qu’une coopérative pour s’ancrer dans un territoire !

Dernière critique : je déplore l’absence d’étude d’impact sur ce texte. A-t-on pris le temps d’analyser les capacités locales de l’agriculture biologique et des appellations ? Quelles seront les conséquences financières de ces dispositions pour les collectivités territoriales et pour les ménages ?

Ne nous racontons pas d’histoire : il y a vingt-cinq ou trente ans, plus de 35 % des revenus d’un ménage étaient consacrés à l’alimentation contre moins de 20 % aujourd’hui selon les chiffres de l’INSEE.

M. Jean Desessard. Et alors ? Il faut l’augmenter, ce chiffre !

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Mais on donne l’exemple ! (Sourires.)

M. Daniel Gremillet. Le prix des repas n’est pas un élément qui doit être négligé, nous le savons bien en tant qu’élus. L’inscription de repas équilibrés au menu des cantines doit également passer par une meilleure éducation de nos enfants. Une pomme aura beau être bio, elle n’en sera pas pour autant consommée si nous ne revoyons pas nos pratiques de consommation actuelles, notamment parce que celles-ci jettent le discrédit sur les fruits et légumes disgracieux. Cela correspond d’ailleurs aux discussions que nous avons eues voilà peu de temps sur la proposition de loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire.

En conclusion, le groupe Les Républicains soutient les amendements que j’ai déposés. Comme l’a rappelé notamment Jean-Claude Lenoir, ils sont de nature à rendre plus réalistes les dispositions contenues dans cette proposition de loi. Dans sa majorité, mon groupe conditionnera donc son vote à l’adoption de ces mesures ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Je tiens tout d’abord à remercier notre collègue députée Brigitte Allain, auteur de la proposition de loi, et notre rapporteur, Joël Labbé.

La loi Grenelle fixait un objectif de 20 % de produits bio dans les cantines pour 2012. Mes chers collègues, au cas où vous n’auriez pas bien entendu, je vous rappelle l’échéance retenue : 2012 ! Nous en sommes aujourd’hui bien loin !

M. André Gattolin. Qui a voté cette loi ? (Sourires.)

M. Jean Desessard. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons ce débat aujourd’hui.

J’entends les arguments de ceux qui prétendent que la filière bio serait trop peu développée pour répondre à la demande et qu’elle entraînerait des importations massives. Pourtant, c’est faux ! Moins de 400 000 hectares suffiraient à fournir 20 % de produits bio dans la restauration collective, soit 3 milliards de repas par an. (M. le rapporteur opine.)

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Jean Desessard. Pour rappel, l’agriculture biologique représentait 1,3 million d’hectares en France à la fin de l’année 2015. De plus, 220 000 hectares ont été convertis à ce mode de culture au cours de cette seule année. Monsieur le ministre, vous pourriez d’ailleurs nous parler de la difficulté que rencontrent certaines régions pour satisfaire la forte demande de conversion des exploitations agricoles à l’agriculture biologique.

Par ailleurs, la grande majorité des produits bio consommés en France, 76 % précisément, est déjà issue de nos territoires. Il faut aussi noter que la moitié de nos importations est constituée de produits exotiques et de spécialités gastronomiques que l’on ne peut pas produire dans notre pays.

Quoi qu’il en soit, les acteurs de terrain savent bien que c’est une question non pas de quantité, mais d’organisation de filières et d’adéquation entre offre et demande locales. C’est sur ce point que nous avons un rôle à jouer dans les départements, pour impulser la dynamique, mettre en mouvement, créer des synergies.

Des outils juridiques, nous en avons voté plusieurs : la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, dans laquelle ont été inscrits les projets alimentaires territoriaux, la loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire et, bientôt je l’espère, cette proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation.

Plus de vingt plateformes de producteurs bio existent ; elles couvrent plus de 70 % des départements et sont en attente de commandes plus qu’en déficit d’offre ! En effet, au lieu des 20 % promis par le Grenelle de l’environnement, les commandes bio atteignaient seulement 2,7 % des achats de la restauration collective en 2015. C’est ce pourcentage, trop faible, qu’il nous faut aujourd’hui augmenter.

Concernant la notion de circuits courts, la principale critique serait que ce type de circuit garantit seulement le faible nombre d’intermédiaires, mais pas la distance entre le producteur et le consommateur.

Certains ont affirmé en commission que cela aurait pour effet d’approvisionner la restauration collective avec des produits en provenance d’autres pays ou même d’autres continents, à condition de supprimer les intermédiaires. Soyons sérieux, mes chers collègues : cet argument ne tient pas la route ! En effet, si de telles pratiques peuvent s’avérer théoriquement possibles, elles concerneront toujours un volume extrêmement marginal de produits.

En réalité, cela va permettre la structuration des filières locales et « booster » les plateformes alternatives existantes qui peinent aujourd’hui à résister face à la grande distribution, alors même qu’elles rémunèrent mieux les agriculteurs, ce qui est appréciable en période de crise, comme c’est actuellement le cas.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Jean Desessard. Les circuits courts sont donc des outils au service d’une plus grande qualité, d’une plus grande proximité et d’un soutien accru à nos paysans, auxquels ils garantissent des marges décentes.

Enfin, nous soutiendrons un amendement visant à rétablir l’article 5 de la proposition de loi concernant le « fait maison ». Cette mention n’est possible aujourd’hui que dans la restauration commerciale ; il semble important qu’elle puisse figurer également dans la restauration collective, afin de valoriser le savoir-faire de nombreux cuisiniers et les efforts de nombreux établissements dont les pratiques doivent pouvoir être identifiées.

Cette mention valorise utilement l’un des piliers de notre savoir-faire national, notre gastronomie, et permet sa transmission auprès des usagers de ces restaurants, surtout dans le cas des cantines scolaires.

En conclusion, cette proposition de loi écologiste – je remercie une fois encore Brigitte Allain et notre collègue Joël Labbé – permet, au-delà des déclarations d’intention, de soutenir réellement une agriculture de qualité et de proximité. Les mesures concrètes qu’elle prévoit amorcent la transition nécessaire de notre agriculture d’un modèle productiviste à un modèle durable – terme que je reprends, mes chers collègues, parce qu’il a une signification –, plus respectueux des consommateurs et, je le dis, des producteurs. Voilà pourquoi je vous incite à voter en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain, et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation, texte dont l’objet ne peut qu’être salué.

Dans son article 2, la proposition de loi étend les missions de l’Observatoire de l’alimentation, créé par la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche de juillet 2010, à la fois aux circuits courts et aux circuits de proximité.

Je souhaite rappeler la définition des circuits courts et des circuits de proximité, notions que l’on confond trop souvent.

Pour ce qui concerne les circuits courts, il s’agit d’une question non pas de distance, mais du nombre d’intermédiaires entre le consommateur et le producteur. Si nous commandons sur internet une viande à un agriculteur normand – la meilleure, évidemment –, elle nous sera livrée sous vide. Là, il s’agit d’un circuit court.

En revanche, le circuit de proximité exprime, quant à lui, la proximité géographique et implique de trouver à proximité de chez soi un agriculteur qui fournira cette même viande.

Si je salue la démarche et l’objet de ce texte, je tiens néanmoins à exprimer quelques réserves.

D’abord, je m’interroge sur la difficile mise en œuvre de l’objectif de 40 % des produits issus de l’alimentation durable. À l’échelle nationale, nous sommes déjà très loin de l’objectif de 20 % fixé, je le rappelle, pour la fin de l’année 2012 par le Grenelle de l’environnement de 2007. Si les collectivités n’atteignent pas cet objectif, c’est pour des raisons de fond. Ce sont peut-être ces raisons qu’il faut traiter en priorité. Les élus locaux veulent évidemment permettre aux enfants de leurs écoles de manger local et d’avoir une meilleure alimentation que l’alimentation industrielle. Penchons-nous donc sur les raisons pour lesquelles les collectivités atteignent déjà difficilement les objectifs du Grenelle. Nous faisons de la surenchère en doublant un objectif qui n’est même pas encore atteint !

Le surcoût est souvent cité comme le frein principal au déploiement des produits issus de l’agriculture biologique dans la restauration collective, ce qui empêcherait ainsi d’atteindre les objectifs fixés par le Grenelle. Mais, au-delà du prix supplémentaire à payer pour manger du bio à la cantine, nombre de collectivités se sont fixé un objectif complémentaire de consommation de produits locaux.

Désormais, les cuisines centrales ne peuvent utiliser que des fruits et légumes transformés, c'est-à-dire préalablement nettoyés, épluchés et mis sous vide.

Mme Nicole Duranton. La raison ? Alors que les cuisines ne comptent plus assez de personnel pour éplucher les produits sur place, le stockage des épluchures et autres déchets de préparation pose problème pour des raisons d’hygiène. Dans ces conditions, la transformation doit s’effectuer au plus près du producteur. Or cela soulève des difficultés dans le cas du bio. Les exploitations sont souvent de petite taille et disséminées sur un territoire. Il leur est donc difficile de déployer des unités de transformation.

Voilà une contrainte, un frein concret au développement des produits bio dans les cantines scolaires ! Tel est le point sur lequel il faudrait réfléchir plutôt que de doubler un objectif qui n’est même pas encore atteint, je le répète !

Par ailleurs, nous avons tendance à beaucoup trop raisonner en termes de chiffres, j’en suis parfaitement d’accord. Néanmoins, l’introduction de produits bio dans le cadre de la restauration collective, par exemple, est un projet nécessitant d’actionner plusieurs leviers fondamentaux pour sa réussite. La démarche se doit d’être progressive, planifiée et organisée sur le long terme afin de favoriser, justement, la structuration de la filière locale, de permettre aux producteurs de s’organiser pour répondre à la demande et de prévoir leurs mises en culture sur le moyen et long terme.

C’est d’ailleurs en grande partie à ces conditions que les coûts pourront être maîtrisés et le projet être réussi. Là encore, nous devrions plutôt réfléchir à la manière d’accompagner les élus locaux, qui sont un élément essentiel de la réussite de ce type de démarche, dans l’élaboration d’un véritable projet planifié et organisé.

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Tout à fait !

Mme Nicole Duranton. Nous partageons évidemment les objectifs de cette proposition de loi, à savoir une meilleure alimentation et un ancrage territorial. Toutefois, on doit confronter le texte à la réalité, et la réalité nous indique clairement qu’il n’est pas nécessaire de légiférer une fois de plus et d’accumuler les contraintes.

Il faut, certes, soutenir l’agriculture bio, mais, surtout, il ne faut pas oublier l’agriculture raisonnée. Certaines villes, notamment dans mon département, l’Eure, ont des projets de ce type avec des produits nature, des produits frais pas forcément issus de l’agriculture biologique. Pourquoi imposer du bio alors que nous avons de nombreux d’agriculteurs en détresse qui produisent de la qualité ? Ne faudrait-il pas réfléchir aux leviers qui permettraient une relance de nos petites exploitations agricoles de qualité en favorisant les partenariats avec les restaurations collectives ?

La réalité est que, avec ce texte, nous favorisons un nouveau marché, celui du bio, alors même que notre marché agricole est à bout de souffle.

Mme la présidente. Il vous faut conclure, ma chère collègue !

Mme Nicole Duranton. Nous devons nous poser les bonnes questions… Cette proposition de loi convient-elle aux collectivités territoriales, qui seront une fois de plus sollicitées et contraintes de répondre à des objectifs coûteux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.

Mme Frédérique Espagnac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de rendre hommage à une femme qui, en ce moment même, est inhumée en Corrèze. C’était une de nos collègues députées, et certains d’entre vous l’ont connue : Sophie Dessus. (Applaudissements.) Elle était très attachée à l’ancrage territorial et à nos territoires ruraux.

Je veux rendre aussi hommage à un ami de cœur, peut-être moins connu de vous, sauf de mes collègues haut-savoyards : Jean Vachoux. (M. Loïc Hervé approuve.) Il était l’un des présidents des Fruitières d’Arbusigny, un grand défenseur de la cause des appellations d’origine ainsi que de la FNAOC, la Fédération nationale des appellations d’origine contrôlée, et un grand syndicaliste. (Nouveaux applaudissements.)

J’en viens maintenant à la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui qui vise à répondre concrètement aux attentes et aux exigences alimentaires de nos concitoyens sur les plans tant économique et sanitaire qu’environnemental.

Je tiens avant tout à saluer le travail mené par Mme Brigitte Allain, notre collègue députée, et par Joël Labbé.

Je veux aussi me féliciter, monsieur le ministre, des différentes mesures que vous avez prises dans ce domaine depuis plusieurs années. Je pense évidemment à la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014, ou encore aux multiples actions développées en faveur des circuits courts.

L’action publique menée en la matière est bel et bien engagée. Elle doit toutefois aller plus loin pour lever certains obstacles qui freinent encore le développement de l’approvisionnement local, dans nos cantines notamment.

C’est toute l’ambition de ce texte, et je ne pense pas me tromper en affirmant que chacun d’entre nous, mes chers collègues, est convaincu par ses intérêts, en faveur de notre grand pays agricole et de l’emploi.

Je ne peux que me réjouir de cette mesure phare qui conforte les circuits courts, améliore la qualité sanitaire et gustative des repas pour nos concitoyens, ou encore renforce l’emploi local dans ces filières.

Dans mon département, les Pyrénées-Atlantiques, nous avons d’un côté un territoire qui regorge de produits alimentaires sous signe de qualité ou d’origine – les labels rouge agneau de lait des Pyrénées et blonde d’Aquitaine, l’AOC fromage pur brebis Ossau-Iraty et j’en passe –, de l’autre, des collectivités et des acteurs privés qui s’engagent de plus en plus dans une restauration collective de qualité, accessible financièrement et adaptée à toutes les générations.

Cette réalité est un nouveau modèle de consommation durable qui s’installe en réponse à une demande sociétale de plus en plus forte. La proposition de loi vient conforter et garantir l’application de ce modèle sur l’ensemble du territoire national.

Permettez-moi de citer l’exemple de la cuisine communautaire de l’agglomération paloise, qui livre 8 000 repas par jour, dont 7 200 à destination des scolaires des quatorze communes du territoire. Elle offre une politique tarifaire pour faciliter l’accès de tous à des repas équilibrés, mais aussi bio. Elle remplit une mission d’éducation au goût, afin de sensibiliser nos plus jeunes et de leur faire découvrir les saveurs du terroir. L’UFC-Que Choisir lui attribue la note de 15,8 sur 20. Voilà pour moi un bel exemple qui pourra demain, grâce à ce texte, être généralisé sur l’ensemble de notre territoire.

En tant que conseillère régionale d’Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, je citerai aussi l’exemple d’un lycée situé au fin fond de la ruralité, le lycée de Navarre, à Saint-Jean-Pied-de Port, dans le Pays basque intérieur, qui depuis dix ans déjà introduit 40 % de produits locaux dans ses menus. Cela représente environ de 97 800 euros de denrées produites sur le territoire communautaire achetées annuellement par ce seul établissement.

Vous le constatez, chaque collectivité, à son niveau, met en place les conditions nécessaires pour assurer un approvisionnement local.

En tant que parlementaires, nous agissons aussi tous, au-delà de notre travail législatif, pour faciliter l’introduction de produits locaux dans notre alimentation au quotidien. Pour ma part, je soutiens régulièrement des porteurs de projets, publics et privés, qui s’engagent dans les circuits courts. J’ai également réalisé des communications spécifiques auprès des maires du département, grâce à vous, monsieur le ministre. Je parle évidemment ici du guide Favoriser l’approvisionnement local et de qualité en restauration collective réalisé par le ministère. Je pense aussi au dispositif « Un fruit pour la récré » mis en place à la rentrée 2015 dans les écoles.

La plupart d’entre vous ont dû développer des initiatives similaires, je n’en doute pas. Mes chers collègues, en adoptant ce texte, nous saisissons une très belle occasion de soutenir une action concrète qui concerne et améliore pleinement le quotidien de tous nos concitoyens, quel que soit leur territoire, et qui sécurise et pérennise les emplois, ô combien précieux, dans les filières en cause. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen de la proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation vient à point nommé, au moment où le salon international de l’agriculture, qui a mis en lumière nos savoir-faire et nos produits d’exception, ferme ses portes, alors que notre agriculture est en crise et que les agriculteurs, toutes filières confondues, connaissent des situations de grande détresse. Cette catégorie sociale, je le rappelle, est la plus touchée par les suicides en France.

Voici donc, avec cette proposition de loi, une belle occasion de valoriser les productions locales, d’encourager la création et le développement des circuits courts, de favoriser l’approvisionnement local.

En effet, chacun d’entre nous connaît, sur son territoire, des éleveurs ayant une véritable passion pour leur troupeau, des producteurs de lait ou des maraîchers mettant un point d’honneur à offrir des produits de grande qualité ; l’actualité nous rappelle combien la traçabilité des produits est essentielle.

Créer un environnement juridique favorisant l’ancrage territorial de l’alimentation est un objectif ambitieux, qui répond aux attentes légitimes des consommateurs.

Il faut savoir que 3 milliards de repas sont servis chaque année dans les restaurants collectifs, publics ou privés, de notre pays. Il s’agit donc d’un marché non négligeable, avec des emplois à la clé et la possibilité de relocaliser des filières agricoles et alimentaires et, ainsi, de relancer une vitalité sociale et économique indispensable pour nos campagnes.

Comme vous le savez, mes chers collègues, le repas pris à la cantine est parfois le seul repas complet et équilibré. C’est pourquoi on ne peut que se féliciter de l’introduction de la notion de production locale dans la restauration collective, ce qui sous-entend qualité des produits et proximité de la production. C’est aussi, notamment pour les plus jeunes, une façon de découvrir des saveurs, d’éduquer un palais et, demain, d’être un consommateur responsable, soucieux de la qualité et de la provenance des produits.

Dans ce contexte, l’examen d’un tel texte est tout à fait intéressant. Même si de nombreuses initiatives locales vont dans le bon sens – je tiens à féliciter les maires et les présidents de conseil départemental déjà mobilisés sur le sujet –, nous devons désormais aller plus loin.

Il est de notre responsabilité d’agir sur différents leviers pour aider au changement de notre mode alimentaire, car, derrière cette démarche, nous savons toutes et tous qu’il y va de notre santé. Le « manger local » doit donc être soutenu et encouragé.

Pour autant, fixer des objectifs chiffrés à l’État, aux collectivités et aux établissements publics est-il le meilleur moyen d’y parvenir ?

La loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, au travers des projets alimentaires territoriaux, nous offre déjà des outils permettant de fédérer tous les acteurs pour développer les approvisionnements locaux et encourager une agriculture ancrée dans son territoire.

J’entends bien ce que me disent les maires et les présidents de communauté de communes : ils attendent des élus nationaux une simplification des procédures et un allégement des contraintes administratives. Or, au travers de ce texte, ce sont des contraintes supplémentaires qui sont imposées ! Je regrette que nous ne nous inscrivions pas davantage dans une démarche partenariale et je m’interroge sur l’opportunité de légiférer toujours plus sur de tels sujets.