compte rendu intégral

Présidence de M. Thierry Foucaud

vice-président

Secrétaires :

M. François Fortassin,

Mme Colette Mélot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à onze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet.

M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, le 10 mars dernier, lors du scrutin n° 176 portant sur l’amendement n° 120 rectifié, présenté par le Gouvernement à l'article 3 quater de la proposition de loi pour l'économie bleue, M. Albéric de Montgolfier a été inscrit comme ayant voté contre, alors qu’il souhaitait voter pour.

M. Pierre-Yves Collombat. On avait bien remarqué que ce n’était pas normal… (Sourires.)

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, monsieur Buffet. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

3

Article 1er (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de protection de la Nation
Article 1er

Protection de la Nation

Suite de la discussion d’un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, de protection de la Nation (projet n° 395, rapport n° 447).

Dans la discussion des articles, nous poursuivons l’examen de l’article 1er, dont je rappelle les termes.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de protection de la Nation
Article additionnel après l'article 1er

Article 1er (suite)

Après l’article 36 de la Constitution, il est inséré un article 36-1 ainsi rédigé :

« Art. 36-1. – L’état d’urgence est décrété en Conseil des ministres, sur tout ou partie du territoire de la République, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.

« La loi fixe les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre pour prévenir ce péril ou faire face à ces événements.

« Pendant toute la durée de l’état d’urgence, le Parlement se réunit de plein droit.

« L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence. Ils peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures. Les règlements des assemblées prévoient les conditions dans lesquelles le Parlement contrôle la mise en œuvre de l’état d’urgence.

« La prorogation de l’état d’urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi. Celle-ci en fixe la durée, qui ne peut excéder quatre mois. Cette prorogation peut être renouvelée dans les mêmes conditions. »

M. le président. L'amendement n° 10, présenté par M. Bas, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Rédiger ainsi cet alinéa :

« L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai par le Gouvernement des mesures prises au titre de l’état d’urgence. À leur demande, le Gouvernement leur transmet toute information complémentaire relative à ces mesures.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. L’amendement n° 10 présente cette différence par rapport au texte adopté par l’Assemblée nationale qu’il ne renvoie pas aux règlements des deux assemblées.

En effet, il a semblé à la commission des lois qu’un tel renvoi n’était pas utile et ne présentait pas de valeur ajoutée par rapport à la rédaction que nous proposons à travers cet amendement : que les deux assemblées « [soient informées] sans délai par le Gouvernement des mesures prises au titre de l’état d’urgence ». À cet égard, je veux rendre hommage au souci permanent du Gouvernement depuis l’entrée en vigueur de l’état d’urgence d’informer les deux assemblées.

Il s’agit en outre de préciser que, à la demande de ces dernières, le Gouvernement transmet au Parlement toute information complémentaire relative à ces mesures ; cela suffit, nous n’avons pas besoin en outre d’un renvoi aux règlements des assemblées.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement a eu plusieurs fois l’occasion de préciser qu’il était extrêmement favorable au contrôle parlementaire et donc à son introduction dans la Constitution. Il a d’ailleurs montré depuis le début du présent état d’urgence, Philippe Bas vient de l’indiquer, combien il était vigilant sur l’information régulière du Parlement. En effet, tant le ministre de l’intérieur que le Premier ministre reçoivent les présidents de groupe et les présidents des deux chambres pour les tenir informés des différentes évolutions de la situation.

Par ailleurs, j’ai dit hier, à propos de l’un des derniers amendements que vous ayez examinés, que le Gouvernement était réservé sur l’introduction dans la Constitution d’éléments relevant de la procédure parlementaire. C’est dire s’il est donc favorable à l’amendement présenté par Philippe Bas, qui permet de revenir à la quintessence de la précision.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. Je veux simplement préciser que notre groupe s’abstiendra sur cet amendement.

En effet, d’un côté, il vise à mentionner à l’alinéa 5 que l’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai par le Gouvernement des mesures prises au titre de l’état d’urgence et que, à leur demande, le Gouvernement leur transmet toute information complémentaire relative à ces mesures.

Vous le savez, mon groupe fait une différence assez précise entre ce qui relève de l’information du Parlement et ce qui relève du contrôle qu’il exerce – nous sommes pour notre part favorables au renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement et non pas seulement de son information. Or j’ai participé, sur l’invitation du Premier ministre et du ministre de l’intérieur, aux réunions de suivi de l’état d’urgence et nous avons bien constaté, à cette occasion, que cela ne relevait pas d’une mission de contrôle, mais qu’il s’agissait simplement de nous informer de l’état d’avancement des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence.

En revanche, d’un autre côté, je partage l’idée de supprimer le renvoi aux règlements de l’Assemblée nationale et du Sénat, parce que ceux-ci sont différents.

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. Je partage aussi l’idée qu’il convient de ne pas renvoyer aux règlements de l’Assemblée nationale et du Sénat. Je voterai donc en faveur de cet amendement visant à introduire cet alinéa mais, cela étant, je veux tout de même souligner que cette rédaction relève du vœu pieu. Il s’agit de préciser que l’Assemblée nationale et le Sénat sont tenus informés par le Gouvernement mais dire cela ou ne rien dire, c’est la même chose.

En effet, le Gouvernement peut mal informer, estimer que cela n’est pas très important ou faire semblant de l’estimer. Dès lors, il n’y a pas d’information totale sur le sujet. Ainsi, cela est peut-être positif en théorie mais, si l’on a affaire à un Gouvernement faisant preuve d’une certaine mauvaise volonté, je ne suis pas persuadé que l’alinéa 5 ainsi rédigé ait une très grande portée.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 10.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de sept amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 52 rectifié, présenté par Mmes Benbassa, Aïchi, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé et Poher, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Rédiger ainsi cet alinéa :

« La prorogation de l’état d’urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi, votée dans les mêmes termes par les deux assemblées. Celle-ci en fixe la durée qui ne peut excéder trois mois. »

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Cet amendement vise à prévoir que les textes prorogeant l’état d’urgence devront être votés dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat. Considérant l’importance des pouvoirs exceptionnels prévus par l’état d’urgence et le champ étendu des conditions permettant son déclenchement, il est nécessaire que ces lois de prolongation soient soutenues par les deux chambres.

De surcroît, nous ne souhaitons pas que la durée de l’état d’urgence puisse excéder trois mois.

M. le président. L'amendement n° 40 rectifié, présenté par MM. Bonnecarrère et Kern, est ainsi libellé :

Alinéa 6, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

et dans la stricte mesure où la situation l’exige

La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.

M. Philippe Bonnecarrère. Avec cet alinéa 6 de l’article 1er, nous abordons la question de la prorogation de l’état d’urgence. Nous savons tous qu’il peut y avoir un risque, qui existait d’ailleurs déjà dans la loi du 3 avril 1955 – d’où l’intérêt de constitutionnaliser l’état d’urgence –, de se retrouver, de prorogation en prorogation, dans une situation d’état d’urgence permanent.

Comment éviter la réalisation de ce risque ? La première idée consisterait à essayer de quantifier la prorogation, mais on voit très vite qu’il n’y a pas plus de raison de limiter ce nombre à deux, trois ou quatre prorogations. Cette réponse n’est donc pas adaptée.

J’ai alors cherché un moyen de montrer que la prorogation devait être exceptionnelle, ce qui conduit assez vite aux questions de proportionnalité. Cette question a été traitée hier lors de nos débats pour ce qui concernait les mesures pouvant être ordonnées dans le cadre de l’état d’urgence. J’ai essayé de réintroduire cette idée dans le principe de la prorogation de l’état d’urgence cette fois-ci, dans une logique très claire de protection des libertés publiques.

Cela conduirait à une première phrase de l’alinéa 6 de l’article 1er ainsi complétée : « La prorogation de l'état d'urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi et dans la stricte mesure où la situation l’exige. » Il me semble que cette précaution est rédigée dans des termes qui, à la fois, ne prêtent pas à un débat juridique et garantissent efficacement la limitation du droit de prorogation, lequel reste bien sûr de l’appréciation souveraine du Parlement mais doit être limité par une forme de proportionnalité. D’où la formulation suggérée.

M. le président. L’amendement n° 11, présenté par M. Bas, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 6, deuxième phrase

Remplacer les mots :

quatre mois

par les mots :

trois mois

La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. Cet amendement est tout simple.

Deux fois, nous avons prorogé de trois mois l’état d’urgence. La représentation nationale estime que ce rythme ne doit pas être plus lent car si, comme l’a fait l’Assemblée nationale, on prévoit quatre mois, cela diminuera la périodicité du contrôle exercé par le Parlement sur l’état d’urgence. Or trois mois, nous y parvenons : nous l’avons fait ! Ce serait donc ajouter aux garanties que nous souhaitons prévoir dans la Constitution que de limiter la prorogation à une durée de trois mois.

M. le président. L’amendement n° 35 rectifié bis, présenté par M. Duran, Mme Bonnefoy, MM. Leconte et Cabanel, Mmes Khiari et Lienemann et M. Durain, est ainsi libellé :

Alinéa 6, dernière phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

Si les conditions de l’état d’urgence demeurent réunies, cette prorogation peut être renouvelée selon les mêmes modalités.

La parole est à M. Alain Duran.

M. Alain Duran. Le présent projet de loi constitutionnelle permet au législateur, cela a été dit, de proroger plusieurs fois l’état d’urgence, mais il ne conditionne pas cette prorogation à la persistance de circonstances exceptionnelles de niveaux d’urgence et de gravité comparables à ceux qui ont justifié son instauration. Il est pourtant nécessaire d’apporter cette condition, notre collègue l’a rappelé, afin d’écarter la possibilité que des prolongations successives de l’état d’urgence puissent intervenir et conduire à une installation durable de cet état d’urgence, avec les dérogations au droit commun qui vont de pair, alors que les circonstances ne le justifieraient plus.

Au moment où nous sommes appelés à réviser la Constitution, notre responsabilité est de ne pas céder à la tentation qui existe parfois au sein du couple exécutif-majorité parlementaire de prendre des mesures qui répondraient davantage à une opportunité politique qu’à la nécessité. La Constitution a précisément pour vocation de nous prémunir contre les décisions prises pour complaire à l’esprit du temps et qui entreraient en contradiction avec les droits et libertés fondamentaux que notre État de droit protège au long cours.

Dans son avis publié le 14 mars dernier, la Commission européenne pour la démocratie par le droit du Conseil de l’Europe, dite « Commission de Venise », tout en se félicitant de la constitutionnalisation de l’état d’urgence, a justement tenu à préconiser l’inscription dans la Constitution des limites formelles, matérielles et temporelles qui doivent le régir. Cet amendement vise donc à contribuer à répondre à cet impératif global.

J’ai bien pris note de l’accueil réservé sur le fond à cet amendement hier matin par la commission des lois, monsieur le président Bas, et j’ai procédé à sa rectification sur la forme pour répondre à vos préconisations, que je partage. Je propose par conséquent cette rédaction : « Si les conditions de l’état d’urgence demeurent réunies, cette prorogation peut être renouvelée selon les mêmes modalités. »

M. le président. L’amendement n° 42 rectifié, présenté par MM. Bonnecarrère et Kern, est ainsi libellé :

Alinéa 6, dernière phrase

Compléter cette phrase par les mots :

en prenant en compte les résultats du contrôle par le Parlement de la mise en œuvre de l’état d’urgence

La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.

M. Philippe Bonnecarrère. Cet amendement s’inscrit toujours dans la même logique, celle qui consiste à essayer de trouver des garanties en matière de libertés publiques pour que l’état d’urgence ne puisse en aucun cas devenir une situation de droit commun. J’indiquais précédemment que l’on ne pouvait pas quantifier arithmétiquement un nombre de prorogations et j’ai fait une première proposition à travers l’amendement n° 40 rectifié bis, qui, je l’espère, recueillera l’avis favorable de la commission des lois.

Par l’amendement n° 42 rectifié, j’ai tenté – de manière un peu malhabile, je le reconnais – de soutenir l’idée que c’était en fonction des résultats du contrôle du Parlement que l’on devait décider ou non de la prolongation de l’état d’urgence. Ce contrôle vient d’ailleurs d’être confirmé, complété, conforté par l’adoption de l’amendement n° 10 de la commission des lois.

Tel est le sens de l’amendement n° 42 rectifié, qui vise à compléter la dernière phrase de l’alinéa 6 de l’article 1er par les mots « en prenant en compte les résultats du contrôle par le Parlement de la mise en œuvre de l’état d’urgence ». J’indique immédiatement au président de la commission des lois, rapporteur, que je ne suis pas totalement fier de la rédaction un peu inaboutie de cet amendement et que je serai attentif à ses préconisations tout à l’heure.

M. Philippe Bas, rapporteur. Merci !

M. le président. L’amendement n° 53 rectifié bis, présenté par Mmes Benbassa, Aïchi, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé et Poher, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Il peut être mis fin à l’état d’urgence par la loi ou par décret délibéré en conseil des ministres.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. La constitutionnalisation de la prolongation de l’état d’urgence par la loi impose de préciser qu’il pourra y être mis fin à tout moment par décret en conseil des ministres. Cette possibilité, prévue par les lois de prolongation de 2005 et 2015, permettrait de conserver une certaine souplesse pour le Gouvernement.

Par ailleurs, après discussion en commission des lois, cet amendement a été rectifié pour prévoir que le pouvoir législatif puisse, par une nouvelle loi, revenir sur une durée de prorogation et mettre ainsi fin à l’état d’urgence.

M. le président. L’amendement n° 60, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Un projet de loi ou une proposition de loi adopté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat peut mettre fin à tout moment à l’état d’urgence.

La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. La question – fondamentale selon vous, mes chers collègues – que nous abordons à travers cet amendement n’a pas été évoquée de manière totalement explicite ou, en tout cas, pas suffisamment.

En effet, lors du débat sur cet article 1er a été annoncée plusieurs fois, et comme étant quasi acquise, la possibilité pour les parlementaires, par le biais du vote d’une proposition de loi, de mettre un terme à l’état d’urgence, et ce à tout moment. Le groupe communiste républicain et citoyen est assez surpris du caractère feutré du débat sur cette question, alors qu’il s’agit d’une question essentielle pour permettre au Parlement d’exister face à l’exécutif durant cette période d’état d’exception.

Il n’est pas inutile de rappeler, comme l’a fait M. le rapporteur Philippe Bas dans son rapport, que, avant 1960, c’est le Parlement qui déclarait par la loi l’état d’urgence, conformément à la version originale de la loi du 3 avril 1955. La question peut donc légitimement se poser, puisque le caractère présidentialiste de la Constitution de 1958 n’a peut-être pas vocation à perdurer de manière éternelle.

À la page 84 de votre rapport, monsieur Bas, vous affirmez qu’« Il apparaît […] que l’intérêt de cette réunion de plein droit du Parlement pendant la durée de l’état d’urgence consiste, au-delà de la mise en œuvre du contrôle parlementaire, en la possibilité qui serait donnée au Parlement d’examiner et d’adopter une proposition de loi qui mettrait fin à l’état d’urgence ». Pourriez-vous nous préciser, monsieur le rapporteur, sur quelle base constitutionnelle cette proposition de loi pourrait voir le jour puisque, dans la Constitution, sont seulement prévus le pouvoir pour le Gouvernement de décréter l’état d’urgence et le pouvoir pour le Parlement de voter sa prorogation ?

Nous approuvons cette évolution car, rappelez-le-vous, nous avons été bien seuls le 20 novembre dernier, lors du vote de prorogation du présent état d’urgence, à exiger un vrai contrôle parlementaire conférant au Parlement le pouvoir d’interrompre cet état d’urgence, en particulier face à des dérives manifestes. Nous proposons donc d’inscrire noir sur blanc ce pouvoir du Parlement dans la Constitution.

M. le président. Le sous-amendement n° 79, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Amendement n° 60, alinéa 3

Remplacer les mots :

Un projet de loi ou une proposition de loi adopté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat

par les mots :

La loi

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Ce sous-amendement est l’occasion, pour moi, de solliciter une explication.

En effet, depuis hier, nous avons examiné plusieurs amendements faisant référence, dans leur dispositif, à une loi « votée dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et par le Sénat ». Je n’avais jamais vu de dispositions de ce type.

Je ne comprends pas très bien : pour qu’une loi soit promulguée, il faut bien qu’elle soit adoptée dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat ! Dès lors, je me demande si cette expression ne constitue pas un pléonasme malvenu. C’est déjà suffisamment compliqué comme cela… N’en rajoutons pas !

En revanche, si cette précision est fondée, je suis curieux d’en connaître l’explication. Celle-ci améliorera ma connaissance des mécanismes juridiques et profitera à d’autres parlementaires, qui se posent probablement la même question que moi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Je réserve mon avis sur les amendements nos 52 rectifié et 60 ainsi que sur le sous-amendement n° 79 pour la fin de mon intervention.

Au travers de l’amendement n° 40 rectifié, Philippe Bonnecarrère souhaite préciser que la prorogation de l’état d’urgence n’est possible que dans la stricte mesure où la situation l’exige. Mon cher collègue, j’en conviens : cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant. (M. Philippe Bonnecarrère opine.) C’est la raison pour laquelle, même si la commission a délibéré en sens contraire, je prends sur moi d’émettre, à titre personnel, un avis favorable sur cet amendement, qui vise à garantir que l’état d’urgence ne sera pas renouvelé si la situation ne l’exige plus. Il appartiendra au Conseil constitutionnel, si celui-ci est saisi de la loi de prorogation, de s’assurer de ce point.

Nous avons avantage à ce que le texte de la Constitution soit clair, car nous n’y reviendrons pas avant longtemps – du moins faut-il le souhaiter. Par conséquent, au moment d’exercer notre rôle de pouvoir constituant, nous avons raison de vouloir prévoir un certain nombre de garanties.

La commission a émis un avis favorable sur l’amendement n° 35 rectifié bis.

Monsieur Bonnecarrère, je sollicite le retrait de votre amendement n° 42 rectifié – j’ai cru comprendre que vous vous y étiez préparé, compte tenu de l’avis exprimé par la commission sur votre amendement… (M. Philippe Bonnecarrère opine.) Le débat que nous avons ensemble depuis hier vous aura permis de vous assurer que, grâce aux différents apports de la commission des lois et de certains de nos collègues, le Parlement, au moment de la prorogation de l’état d’urgence, sera pleinement informé et tiendra naturellement compte de cette information pour prendre sa décision,…

M. Philippe Bas, rapporteur. … que vous avez souhaité encadrer davantage à travers l’amendement n° 40 rectifié.

M. Philippe Bonnecarrère. J’en conviens !

M. Philippe Bas, rapporteur. L’amendement n° 53 rectifié bis soulève une question très intéressante.

En vérité, l’état d’urgence est créé par décret ; le législateur se borne à le proroger. Si le Gouvernement veut mettre fin à l’état d’urgence, alors même que le Parlement a prorogé celui-ci, il a le droit de le faire, puisque c’est lui qui a déclenché sa mise en œuvre. Conformément au parallélisme des formes, le décret, qui permet de faire naître l’état d’urgence, est aussi l’instrument qui permet d’y mettre fin.

Cela dit, il ne me paraît pas inutile de préciser dans la Constitution que le Parlement peut lui aussi mettre fin à tout moment à l’état d’urgence. Il y aurait donc deux voies possibles pour mettre fin à l’état d’urgence : le décret – cela va de soi –, mais aussi la loi. Nos deux assemblées se verraient ainsi ouvrir la possibilité de débattre d’une proposition de loi mettant fin à l’état d’urgence si, sur la base des informations qui leur sont données et, d’ailleurs, de leurs propres investigations, elles estiment que les conditions de l’état d’urgence ne sont plus réunies, alors même qu’elles ont accepté de proroger celui-ci pendant un délai maximal de trois mois.

Cette possibilité constitue une garantie supplémentaire, raison pour laquelle la commission des lois, après avoir demandé à Mme Benbassa d’en faire évoluer le dispositif – ce qu’elle a accepté, et je l’en remercie –, a émis un avis favorable sur cet amendement de clarté juridique, qui vise à bien poser les garanties.

La commission est défavorable aux amendements nos 52 rectifié et 60 ainsi qu’au sous-amendement n° 79. Nous avons travaillé sur les garanties à apporter afin que l’état d’urgence ne puisse être prorogé si les conditions ne sont pas réunies, sous le contrôle du juge constitutionnel. Il ne convient pas, en cette matière, de déroger à la procédure législative ordinaire, en prévoyant l’obligation d’une adoption des textes relatifs à l’état d’urgence dans les mêmes termes par les deux assemblées.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement considère que la proposition formulée par Mme Benbassa au travers de l’amendement n° 52 rectifié – un vote conforme des deux chambres pour proroger l’état d’urgence – ne paraît ni utile ni opérante. Comme nous avons pu le constater, en novembre 2015, les chambres se sont mises d’accord pour prolonger l’état d’urgence et même pour modifier son régime juridique, défini dans la loi de 1955. Elles se sont de nouveau mises d’accord, en février dernier, pour le proroger une nouvelle fois. Si cet accord ne devait pas intervenir, le Gouvernement ne voit pas l’intérêt de modifier l’équilibre institutionnel prévu par la Constitution.

Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée pour ce qui concerne l’amendement n° 40 rectifié, dans la mesure où la précision que M. Bonnecarrère souhaite ajouter lui semble d’ores et déjà figurer implicitement dans la rédaction actuelle du texte. Nous n’en voyons donc pas la plus-value. Cependant, si cette précision ne lui paraît pas indispensable, le Gouvernement ne serait pas marri si le Sénat décidait de le voter…

L’amendement n° 11 vise à substituer un délai de trois mois au délai de quatre mois proposé par l’Assemblée nationale. Sur le principe, le Gouvernement a indiqué qu’il souhaitait que le Parlement se prononce dans un délai raisonnable. Quatre mois, trois mois, ce sont des délais raisonnables ! Le Gouvernement s’en remet donc, sur ce point, à la sagesse du Sénat.

Le Gouvernement considère que les amendements nos 35 rectifié bis et 42 rectifié sont satisfaits. Il en sollicite donc le retrait, faute de quoi il émettra un avis défavorable. En effet, de notre point de vue, le Parlement exerce pleinement sa compétence. Il n’est donc pas nécessaire de préciser qu’il vérifie à chaque prorogation que les conditions de déclenchement de l’état d’urgence sont à nouveau réunies. Sur ce point, la rédaction actuelle de la loi nous paraît largement satisfaisante.

Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 53 rectifié bis, puisque, au-delà du progrès que représente la constitutionnalisation de l’état d’urgence pour la sécurisation du régime, mais aussi pour l’encadrement de l’action du Gouvernement lors de la mise en œuvre de ce dispositif, il lui semble préférable de laisser au législateur le choix de décider d’une telle délégation à l’occasion de chaque prorogation, plutôt que de prévoir une délégation systématique à l’exécutif.

Le Gouvernement estime que le sous-amendement n° 79 est satisfait, dans la mesure où il va de soi qu’une proposition de loi peut mettre fin à tout moment à l’état d’urgence, compte tenu des dispositions de l’article.

Pour ce qui concerne l’amendement n° 60, le Gouvernement ne souhaite pas qu’il puisse être mis un terme anticipé à l’état d’urgence selon une procédure différente de la procédure législative ordinaire, qui réserve le dernier mot à l’Assemblée nationale en cas de désaccord entre les deux chambres.