M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Ces deux amendements sont inspirés par une même philosophie et ont tous deux reçus un avis défavorable de la commission, et ce pour plusieurs raisons.

En premier lieu, mes chers collègues, je souhaiterais vous le rappeler, même si cela n’a pas tout à fait la même portée, dans le projet de loi pour une République numérique, le Sénat et l’Assemblée nationale se sont accordés pour rendre obligatoire la publication, certes anonymisée, de toutes les décisions judiciaires, même non définitives, dans le cadre de l’open data.

Deuxièmement, l’homologation de la transaction se fera en audience publique. Croyez-vous que les journalistes intéressés par les transactions en question manqueront d’assister à ces audiences ? À l’évidence, leur publicité sera également ainsi assurée.

Enfin, une fois de plus, laissons le juge apprécier chaque situation ! Toutes les transactions ne seront pas de même nature, de même portée ou de même gravité. Par conséquent, le juge aura la possibilité de prévoir ou non leur publication dans tel ou tel média, que ce soit Le Monde, Le Figaro, ou même un site internet.

Outre ce pouvoir du juge, la publicité de l’audience constituera bien le premier gage de la publicité de la transaction. Le tribunal aura les portes ouvertes, l’homologation ne se fera pas en catimini et sa publication sur requête gracieuse ; la publicité existera !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Je comprends tout à fait l’esprit positif qui préside à l’amendement n° 598 sinon à l’ensemble de la présentation qui en a été faite. Cela dit, je m’en remets sur cet amendement aux explications qui ont été apportées à l’instant par M. le rapporteur : selon moi, le dispositif prévu dans la rédaction actuelle est plus efficace pour mettre en œuvre votre volonté, monsieur Gattolin. Par conséquent, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

L’amendement n° 448 reprend quant à lui une disposition qui avait été souhaitée par le Gouvernement. Même si sa présentation ne m’a pas semblé, pour ainsi dire, être tout à fait en phase avec les arguments que j’ai pu avancer, je me concentre pour ma part sur le dispositif prévu, qui me paraît bon. Par conséquent, le Gouvernement est favorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 598.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 448.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme Éliane Assassi. C’est bien dommage !

M. le président. L’amendement n° 42 rectifié bis, présenté par M. Frassa, Mmes Deromedi et Giudicelli et MM. Commeinhes, Milon, Lefèvre, Houel, Doligé, Guerriau et Mandelli, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 16

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Si le président du tribunal ne valide pas la proposition de transaction ou si la personne morale n’accepte pas la proposition de transaction validée par le président du tribunal, le procureur de la République ne peut faire état devant la juridiction d’instruction ou de jugement des déclarations faites ou des documents remis par la personne morale au cours de la procédure prévue au présent article. »

La parole est à M. Éric Doligé.

M. Éric Doligé. En vertu du principe de loyauté de la preuve et du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, il est souhaitable de préciser dans la loi que, en cas d’échec de l’homologation de la transaction judiciaire, les documents transmis durant la négociation resteront confidentiels et ne pourront en aucun cas être transmis à la juridiction d’instruction ou de jugement.

En effet, si seul un risque de sanctions pénales sévères est de nature à inciter les entreprises à prendre la décision de ne plus commettre des actes de corruption, seule une véritable protection des droits de la défense et la garantie du secret de la négociation de l’accord les conduiront à jouer le jeu et à transiger avec le procureur de la République.

Un système de garanties similaires existe pour la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, ou CRPC ; il pourrait servir de modèle à la transaction judiciaire.

La circulaire du 2 septembre 2004 portant application de la CRPC précise ainsi que les pièces qui ne doivent pas être transmises sont celles qui font apparaître les déclarations de la personne et la proposition de peine du parquet, c’est-à-dire les procès-verbaux de comparution et, le cas échéant, les documents qui y sont annexés, notamment la lettre recommandée demandant de recourir à une CRPC.

Également, par principe, chacune des parties – procureur de la République, défense ou partie civile – doit s'abstenir de faire référence, devant la juridiction correctionnelle, au contenu de la procédure de CRPC qui a antérieurement échoué.

Ainsi, en cas d’échec de la CRPC, le prévenu pourra contester devant la juridiction d’instruction ou de jugement les faits qui lui sont reprochés et son avocat pourra plaider pour une peine moins sévère que celle qu’il avait précédemment acceptée.

Il est par conséquent proposé d’ajouter une disposition similaire dans le présent projet de loi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Compte tenu du caractère transactionnel de la procédure et du fait qu’elle se conclut sur une absence de reconnaissance de culpabilité, on peut effectivement envisager, pour les raisons très juridiques que vous avez développées, mon cher collègue, que les informations révélées par l’entreprise ne puissent pas être utilisées dans le cas de poursuites engagées ultérieurement à l’échec d’une telle transaction.

En revanche, cela ne serait évidemment pas envisageable en cas de mauvaise exécution de la transaction du fait de l’entreprise. D’ailleurs, dans la procédure de CRPC, lorsque celle-ci aboutit, ce mécanisme existe. Il faudrait que le dispositif que vous proposez ici concorde avec la procédure en vigueur pour la CRPC. Voilà pourquoi nous vous avions proposé de procéder à une modification rédactionnelle de votre amendement. Comme cette modification a été faite, la commission émet un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Sagesse.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Je souhaiterais simplement obtenir une explication. M. le ministre s’en est remis à notre sagesse sur cet amendement. Or nous avons adopté, il y a tout juste quelques minutes, un amendement tendant à préciser que l’homologation de la transaction par le président du tribunal de grande instance s’effectue en audience publique.

Je peine à percevoir une cohérence entre la nature publique des informations fournies à cette audience et l’impossibilité de les utiliser par la suite s’il n’y a pas eu validation de la transaction.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 42 rectifié bis.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 662, présenté par M. Pillet, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Alinéa 17, dernière phrase

Compléter cette phrase par les mots :

à des experts, personnes ou autorités qualifiés

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Pillet, rapporteur. Cet amendement vise à corriger une erreur matérielle.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 662.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 41 rectifié, présenté par M. Frassa, Mmes Deromedi et Giudicelli et MM. Commeinhes, Milon, Lefèvre, Houel, Doligé, Guerriau et Mandelli, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 17

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« L’ordonnance de validation est motivée par les constatations, d’une part, que la transaction judiciaire est dans l’intérêt de la justice et, d’autre part, que les termes négociés avec le procureur de la République sont raisonnables et proportionnés au regard des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur, notamment eu égard à la coopération de la personne morale et des mesures correctives mises en œuvre.

La parole est à M. Éric Doligé.

M. Éric Doligé. Après le succès que je viens d’obtenir sur l’amendement n° 42 rectifié bis, je me permets de présenter un deuxième amendement ; j’espère que M. le ministre voudra bien se montrer aussi bienveillant ! (Sourires.)

L’homologation de la transaction par un magistrat du siège garantit aujourd’hui la transparence de l’accord négocié et permet par là même de le légitimer. Aussi est-il est important de définir plusieurs critères de validation afin non seulement d’aider le juge dans sa tâche mais aussi d’assurer une homogénéisation de la procédure. Afin de définir de tels critères, il est possible de s’inspirer de systèmes similaires français et étranger.

Les auteurs de cet amendement recommandent en outre l’adoption par le garde des sceaux d’une circulaire à l’intention des procureurs de la République, complémentaire de celle qu’il a publiée le 2 juin 2016, visant à préciser les facteurs que les procureurs de la République seront encouragés à prendre en compte avant de s’engager dans la négociation d’une transaction. Parmi ces facteurs doit notamment figurer la pleine et entière coopération de l’entreprise : la défense non coopérative doit être lourdement sanctionnée. Cette nouvelle circulaire devrait également offrir des orientations sur la manière de conduire les négociations ou encore sur les modalités d’exécution de la transaction.

Nous proposons donc cet amendement afin d’assurer une validation des transactions judiciaires dans l’intérêt public ainsi qu’une séparation effective des pouvoirs.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Cet amendement est à mes yeux satisfait. Vous voulez, mon cher collègue, que le juge motive sa décision. Or la rédaction à laquelle la commission est parvenue précise déjà l’ensemble des vérifications auxquelles doit procéder le juge chargé de valider la transaction. Il doit d’abord vérifier le bien-fondé du recours à cette procédure ; il doit également vérifier la régularité de son déroulement, la conformité du montant de l’amende aux limites prévues ainsi que la proportionnalité des mesures prévues à la gravité des faits. De fait, nous avons ainsi été jusqu’à dicter au juge le plan de sa motivation.

Je vous invite donc, mon cher collègue, à retirer cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis. À mes yeux, cet amendement est véritablement satisfait par la rédaction actuelle. Il me paraît donc possible pour son auteur de le retirer dans le respect même de ses motivations.

M. le président. Monsieur Doligé, l’amendement n° 41 rectifié est-il maintenu ?

M. Éric Doligé. M. Vasselle ne souhaitant pas intervenir (Sourires.), je retire cet amendement, monsieur le président, compte tenu des éléments que M. le rapporteur m’a donnés et qui ont été confirmés par M. le ministre.

M. le président. L’amendement n° 41 rectifié est retiré.

Je mets aux voix l’article 12 bis, modifié.

J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 419 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 333
Pour l’adoption 296
Contre 37

Le Sénat a adopté.

Article 12 bis
Dossier législatif : projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
Article additionnel après l'article 12 ter

Article 12 ter

Le chapitre II du titre XIII du livre IV du même code est ainsi modifié :

1° Le 1° de l’article 704 est ainsi rédigé :

« 1° Délits prévus par les articles 222-38, 223-15-2, 313-1 et 313-2, 313-6, 314-1 et 314-2, 321-6-1, 323-1 à 323-4-1, 324-1 et 324-2, 432-10 à 432-15, 433-1 et 433-2, 434-9, 434-9-1, 435-1 à 435-10, 442-1 à 442-8 et 445-1 à 445-2-1 du code pénal ; »

2° L’article 705–4 est complété par trois phrases ainsi rédigées :

« En cas de conflit positif ou négatif de compétence entre le procureur de la République financier et un autre procureur de la République, il lui appartient de mettre fin au conflit en concertation avec le procureur général concerné. En cas de désaccord, le procureur général près la cour d’appel de Paris désigne le procureur de la République compétent. Il est rendu compte des cas de conflits et de leur règlement dans le rapport annuel du parquet général de Paris. »

M. le président. L’amendement n° 37 rectifié bis, présenté par M. Frassa, Mmes Deromedi et Giudicelli et MM. Commeinhes, Milon, Lefèvre, Houel, Doligé, Guerriau et Mandelli, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le procureur de la République financier se voit reconnaître une compétence exclusive pour les délits de corruption d’agents publics étrangers prévus aux articles 435-1 à 435-10 du code pénal, compétence jusqu’à présent partagée avec les tribunaux de grande instance de droit commun.

La parole est à M. Éric Doligé.

M. Éric Doligé. Cet amendement est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Cet amendement de rédaction globale a pour objet de reconnaître une compétence exclusive au procureur de la République financier. Cela écrase la rédaction issue des travaux de la commission.

La compétence concurrente actuellement prévue par le code de procédure pénale présente plusieurs avantages, que l’adoption d’un amendement du Gouvernement devrait encore améliorer. Elle permet tout d’abord une centralisation du parquet national financier, qui doit être informé de toutes les infractions entrant dans sa compétence concurrente d’attribution. Elle permet ensuite de réserver l’intervention du parquet national financier aux seules affaires complexes, assurant ainsi une organisation souple qui n’entraîne pas de dessaisissement obligatoire. Surtout, elle permet de garantir la validité des actes d’instruction ou d’enquête effectués antérieurement – c’est un aspect important du point de vue de la procédure – à la saisine du procureur national financier.

En l’occurrence, le Gouvernement a la main : il peut, par ses circulaires, imposer aux procureurs d’avoir une meilleure coordination, voire une préférence.

Pour l’ensemble de ces raisons, l’avis de la commission sur cet amendement est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 37 rectifié bis.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 641, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéas 4 et 5

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Cet amendement vise à supprimer du texte la compétence du procureur général près la cour d’appel de Paris pour trancher les conflits de compétence entre le procureur de la République financier et un autre procureur de la République.

Ce mécanisme constituerait en effet une remise en cause importante de l’organisation judiciaire et du rôle respectif des procureurs de la République et des procureurs généraux.

D’une part, les conflits de compétence liés à l’existence d’une compétence concurrente existent depuis longtemps. Les critères de compétence des juridictions pénales sont en effet multiples ; ils peuvent dépendre du lieu de l’infraction, du domicile du mis en cause, etc.

D’autre part, l’hypothèse d’un conflit de compétence entre les parquets locaux et le procureur de la République financier avait été envisagée dès la création de ce dernier par la loi du 6 décembre 2013. C’est ainsi qu’un mécanisme de résolution des conflits a été prévu dans le cadre des circulaires de janvier et septembre 2014.

Dans l’hypothèse où les deux procureurs généraux chargés d’arbitrer entre le parquet financier et le parquet local sont en désaccord, il leur appartient de rendre compte de la difficulté à la direction des affaires criminelles et des grâces.

Il convient selon moi de préciser que cette architecture, qui a été expressément validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 4 décembre 2013, s’est avérée jusqu’à présent efficace, puisque seuls deux cas de conflits de compétence ont été soumis à l’appréciation de la Chancellerie.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. La commission des lois avait voulu résoudre en pratique les problèmes qui ont pu naître d’un dialogue, perfectible, entre le parquet national financier et les autres parquets.

Je comprends néanmoins les arguments avancés, qui, d’ailleurs, sont similaires à ceux qui avaient été développés lors de l’examen d’un amendement identique défendu dans le cadre de la discussion de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière en 2013. Mais là encore, à titre personnel, je pense qu’il est préférable de permettre une meilleure application des circulaires gouvernementales sur ce point.

En conséquence, j’émets un avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 641.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 12 ter, modifié.

(L'article 12 ter est adopté.)

Article 12 ter
Dossier législatif : projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
Article 12 quater

Article additionnel après l'article 12 ter

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 572 rectifié, présenté par MM. Collombat, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Guérini, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier, Vall et Hue, est ainsi libellé :

Après l’article 12 ter

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales est ainsi rédigé :

« Les plaintes tendant à l’application de sanctions pénales en matière d’impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d’affaires, de droits d’enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre sont déposées par le procureur de la République financier sur avis simple de la commission des infractions fiscales. »

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Je pense que je vais avoir beaucoup de succès… (Sourires.)

Cet amendement vise à modifier une réglementation en vigueur. Actuellement, s’agissant de la fraude fiscale, les poursuites judiciaires ne peuvent être déclenchées qu’avec l’accord du ministère du budget. Nous proposons tout simplement de transformer cet avis conforme en avis simple, donnant ainsi au parquet la possibilité de déclencher les poursuites s’il le désire.

M. le président. L'amendement n° 471 rectifié, présenté par M. Bocquet, Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article 12 ter

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le début du premier alinéa de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales est ainsi rédigé :

« À peine d’irrecevabilité, hors les cas de connexité avec d'autres infractions faisant l'objet d'une procédure judiciaire ou de découverte incidente dans le cadre d'une procédure pénale, les plaintes (le reste sans changement). »

La parole est à M. Patrick Abate.

M. Patrick Abate. Monsieur le ministre, vous le savez, nous avons quelques raisons de ne pas être totalement satisfaits – pour le moins ! – des politiques publiques menées depuis 2012.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous n’êtes pas les seuls !

M. Patrick Abate. Ni avant, d’ailleurs !

Nous notons tout de même que la constitution d’un parquet national financier, doté d’un certain nombre de prérogatives, a constitué une des avancées les plus significatives du droit sur ce sujet au cours de ces dernières années.

Instrument essentiel de la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance financière, dont les réseaux, dans leur complexité, peuvent aussi alimenter la corruption, le parquet national financier demeure confronté aux problèmes posés par l’article L. 228 du livre des procédures fiscales (Mme Nathalie Goulet s’exclame.), qui fait de la Commission des infractions fiscales, organisme placé sous l’autorité du ministère, « le juge d’instruction » des affaires de fraude pouvant justifier d’une transmission au pénal.

Il importe donc, nous semble-t-il, que cette exclusive à la nécessaire prolongation de l’investigation lancée dans le cadre d’autres contrôles ou enquêtes soit levée afin que les administrations ou les services qui, dans leurs activités courantes, auraient repéré une situation constitutive d’une fraude fiscale avérée puissent engager les poursuites nécessaires.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, cet amendement vise à mettre fin à ce que l’on appelle  le « verrou de Bercy » (Mme Nathalie Goulet applaudit.), un point dont nous avions déjà débattu lors de l’examen du projet de loi visant à renforcer la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement. (Mme Nathalie Goulet opine.)

Cet amendement, qui avait été défendu au nom du groupe CRC par mon collègue Éric Bocquet,…

M. Éric Bocquet. Brillamment !

M. Patrick Abate. … avait d’ailleurs retenu l’attention de la Haute Assemblée, recueillant un avis favorable de la commission, mais il a malheureusement été rejeté par la commission mixte paritaire. C’est pourquoi nous proposons ici de le réintroduire, afin que certaines infractions puissent être poursuivies dans la globalité de leurs implications, notamment quand la fraude fiscale et économique est associée à d’autres activités criminelles ou délictuelles.

Mme Évelyne Didier. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Qu’est-ce que le « verrou de Bercy » ? C’est la Commission des infractions fiscales, la CIF. Ce tamis oblige l’administration fiscale lorsqu’elle désire déposer plainte pour fraude fiscale, et non pas pour blanchiment de fraude fiscale, d’obtenir un avis favorable de cette instance, avant de transmettre le dossier au procureur de la République. (Mme Nathalie Goulet opine.) Mais si l’administration ne saisit pas la CIF, aucune procédure ne sera engagée.

Cela revient à dire que c’est non plus le procureur de la République, mais l’administration fiscale qui juge de l’opportunité des poursuites en cas de fraude fiscale. (Mme Nathalie Goulet opine de nouveau.) De nombreux praticiens ont dénoncé cette situation, qui n’est pas satisfaisante au regard de notre droit.

Personnellement, j’ai toujours combattu cette institution. Il m’est donc très agréable d’indiquer que la commission des lois suit mon avis, à l’instar de ce qu’a fait le Sénat à d’autres occasions sur ce sujet.

C’est pourquoi j’émets un avis favorable sur les amendements de nos collègues, ayant une préférence pour la rédaction de l’amendement n° 471 rectifié d’Éric Bocquet, qui me paraît plus ciselée. Mais il est vrai que notre collègue avait été rapporteur de la commission d’enquête sur l’évasion fiscale, dont les conclusions avaient été adoptées à l’unanimité par la Haute Assemblée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Le Gouvernement est évidemment défavorable à ces deux amendements. (Marques d’étonnement sur plusieurs travées.)

Mme Nathalie Goulet. Évidemment !

M. Michel Sapin, ministre. Mais il ne suffit pas d’exprimer une opinion, encore faut-il la défendre !

Ce débat ne date pas d’aujourd'hui, les arguments sont connus, ils ont déjà été échangés ici il n’y a pas si longtemps, lors de l’examen du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, un texte que j’avais suivi de près et que je connais donc bien.

Lors de la réunion de la commission mixte paritaire, les deux assemblées se sont accordées à considérer que ce n’était peut-être pas dans un texte de cette nature qu’il convenait d’adopter une telle disposition ou que le moment n’était pas venu. J’ai tendance à penser que nous sommes aujourd'hui exactement dans la même situation.

Sans nier l’intérêt du débat, ni les arguments des uns et des autres, qui peuvent être pris en compte, il ne me semble pas aujourd'hui opportun de remettre en cause un dispositif qui a montré son efficacité.

Le nombre des poursuites pénales pour fraude fiscale n’a cessé d’augmenter. Évidemment, vous avez eu raison de le souligner, monsieur le rapporteur, lorsqu’il s’agit de blanchiment de fraude fiscale – cela paraît un peu abscons, mais chacun voit bien la différence ! –, les affaires relèvent du pur pénal, si je puis dire. Aujourd'hui, des procédures pour blanchiment de fraude fiscale ont été ouvertes par le parquet dans des conditions parfaitement légitimes.

Le nombre de transmission de dossiers par l’administration fiscale ne cesse croître. Comme vous le savez, il est tenu compte à la fois de l’ampleur de la fraude, de son caractère astucieux et de l’exemplarité des personnes visées – ai-je besoin de nommer les personnalités étant aujourd'hui poursuivies devant les tribunaux à la suite d’une saisine par la Commission des infractions fiscales, qui a elle-même transmis le dossier au parquet ? Je ne suis pas là pour les montrer du doigt, mais sont concernées des personnalités de toute nature, y compris, bien sûr, dans le monde politique.

En l’occurrence, le travail est fait, et je ne souhaite pas qu’on y touche.

La question de savoir si le dispositif avait un caractère constitutionnel s’est posée à un moment.

M. François Pillet, rapporteur. En effet !

M. Michel Sapin, ministre. Cette question a été posée dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité initiée par un ancien ministre du budget. Le Conseil constitutionnel a très précisément analysé l’ensemble du dispositif et a considéré, dans les conditions que je viens de décrire, que ce dispositif était parfaitement constitutionnel, et qu’il permettait de marier efficacité, au regard de la capacité de l’administration à recouvrer les sommes dues et les pénalités afférentes, et respect d’un certain nombre de principes relatifs au bon fonctionnement de notre société, en particulier des institutions administratives et judiciaires.

Le dispositif est donc constitutionnel : il a été validé comme tel voilà dix jours par le Conseil constitutionnel. Il n’y a donc plus aucune raison de le remettre en cause eu égard aux principes – cela pouvait être le cas ; ce débat n’était pas illégitime.

Le dispositif a montré son efficacité ; il ne cesse d’être utilisé et, chaque année, on y a de plus en plus recours.

Le dispositif fait partie de ceux qui contribuent à faire aujourd'hui en sorte que les recouvrements et les pénalités pour fraude fiscale ne cessent de croître : en l’espace de cinq ans, ce sont plus de 6 milliards d’euros qui ont été recouvrés, soit un peu plus de 1 milliard par an depuis quelques années. Le dispositif est donc efficace et respectueux des principes.

Je vous prie de m’excuser, monsieur le président, d’avoir été un peu long, mais chacun comprendra qu’il est légitime que le ministre des finances et, surtout, des comptes publics argumente sur ce sujet.

Je souhaite vraiment le maintien de ce dispositif, que le Conseil constitutionnel a estimé parfaitement conforme aux grands principes qui animent la France que nous aimons.