Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Franck Montaugé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le contexte difficile résultant des crises économiques, sanitaires et environnementales que vivent la plupart des filières d’élevage, la tenue de ce débat est bienvenue.

Mon propos, forcément réducteur compte tenu du peu de temps qui m’est imparti, sera centré sur la présentation de propositions de nature à contribuer à la sauvegarde de la filière bovine dans les territoires défavorisés : il y va de l’avenir de cette filière, bien entendu, mais également de celui des territoires ruraux et hyper-ruraux concernés.

Je partirai de l’exemple de mon département, le Gers. Des pans entiers de son territoire sont en grande difficulté. Le déclin démographique et économique – c’est bien de cela qu’il s’agit ! – est étroitement lié à l’évolution des filières d’élevage et à ce type d’agriculture particulière que l’on appelle la polyculture-élevage.

Ce type d’agriculture est adapté aux terroirs de coteaux à faible potentiel agronomique, à faible capacité naturelle hydrologique et à la pluviométrie aléatoire. Elle s’est développée au fil des siècles dans un cadre familial et a su évoluer sous différentes formes d’organisation.

Répondre aux difficultés de ces filières d’élevage, c’est aussi dessiner un avenir pour ces territoires. Le sentiment d’abandon que traduit la progression scrutin après scrutin du vote pour l’extrême droite nous en dit toute l’urgence.

Après la grande crise de la grippe aviaire, qui a touché de plein fouet tous les acteurs de la filière des palmipèdes gras et qui a été surmontée, je tiens à le souligner, avec un grand sens collectif des responsabilités, c’est l’avenir de la filière bovine, rien de moins, qui est en jeu.

Dans le Gers, en quelques années, la chute des cours du lait a fait disparaître les uns après les autres tous les cheptels allaitants. Aujourd’hui, les études les plus sérieuses mettent en lumière la situation critique des éleveurs bovins viande, dont atteste également la chronique de leurs revenus : entre 2013 et 2015, le revenu annuel moyen dégagé par ces éleveurs n’a jamais excédé 4 000 euros ; il a même été négatif en 2013.

La PAC en vigueur devait permettre un rééquilibrage entre les zones défavorisées simples, dont fait partie le Gers, et les zones plus favorables, qui bénéficient notamment – on ne peut que s’en réjouir – des aides de montagne. Il n’en a, hélas ! rien été pour le Gers, qui se retrouve désormais contributeur net à hauteur de 15 millions d’euros.

Sur le fondement de cette situation qui est également, j’en suis sûr, celle d’autres départements comparables, je soumets au débat les propositions suivantes.

La révision des critères de 1970, dans sa dimension européenne actuelle comme dans sa dimension nationale et dans la perspective de la PAC post-2020, doit aboutir au maintien des zones défavorisées simples actuelles. Il est nécessaire de créer une aide complémentaire, dite « zone handicap », ciblée sur la production de bovins en zones vulnérables et éligibles à l’ICHN, d’un montant permettant d’atteindre, cumulé à celui des aides allouées aux zones défavorisées simples, le niveau de l’aide montagne.

M. Franck Montaugé. Je me réjouis des effets extrêmement positifs de la loi montagne et de la révision prochaine de celle-ci, mais il y va ici de l’équité à l’égard de tous les territoires de la nation et de leur population. Nous avons là la possibilité de donner un sens concret à la notion d’égalité des territoires, de plus en plus souvent invoquée dans nos débats publics.

Enfin, par cohérence avec le grand enjeu planétaire, qui nous rassemble, de la lutte contre le réchauffement climatique, il serait opportun et bienvenu de créer un tarif spécifique de rachat de l’électricité d’origine photovoltaïque produite par les installations réalisées sur les toits des bâtiments des élevages bovins. Fondé sur le même critère que celui qui a été retenu pour l’aide conjoncturelle de 2015, un tel tarif permettrait d’apporter une solution économique structurelle à ces zones.

M. Franck Montaugé. Cette mesure viendrait renforcer les territoires à énergie positive pour la croissance verte promus et labellisés, comme dans le Gers, par le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Parallèlement à la mise en œuvre de ces mesures urgentes, les producteurs continueront à se structurer et à moderniser l’outil de travail. Ils devront être aidés pour cela, notamment par le biais des coopératives et de démarches originales : à l’abattoir d’Auch, par exemple, un montage réunissant collectivités locales, éleveurs et exploitant a permis de sauver l’outil en le modernisant et de développer son activité au service des circuits courts, de la promotion de la viande de qualité et, bien entendu, des éleveurs eux-mêmes.

Voilà les propositions que je souhaitais verser au débat, en insistant sur le soutien permanent apporté par l’État et le ministre de l’agriculture aux filières d’élevage. Les budgets de ces dernières années en attestent, tout comme le projet de loi de finances pour 2017, que la majorité sénatoriale refuse d’examiner en séance publique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, je tiens à dire à M. Mézard que je souscris à son propos lorsqu’il parle de « drame silencieux » à propos de la disparition des éleveurs. Comme je le dis souvent, tant qu’il y a des manifestations, c’est qu’il y a de la vie ! Or, dans le monde paysan, on meurt en silence, et il n’y a rien de plus terrible. Les éleveurs sont de ceux qui souffrent au quotidien et qui, aujourd'hui, se posent de nombreuses questions.

La dimension territoriale de ce débat prend tout son sens au Sénat. Nous avons évoqué il y a peu de la désertification médicale des campagnes ; demain, quand il n’y aura plus suffisamment d’éleveurs pour faire vivre certains services dans les secteurs ruraux, nous risquons de devoir évoquer la disparition des cabinets de vétérinaire…

En matière d’accompagnement des investissements, je suis tenté de vous dire, monsieur le ministre, à propos du projet de loi de finances pour 2017 : bien, mais peut mieux faire !

Dans le secteur de l’élevage, les investissements sont très lourds, comme l’a souligné M. Mézard. Aujourd'hui, on constate une stagnation, voire une légère diminution, de l’accompagnement des investissements, alors que, dans d’autres pays de l’Union européenne, notamment en Allemagne, les soutiens sont bien plus offensifs en la matière.

Je voudrais maintenant évoquer l’application de la loi NOTRe portant nouvelle organisation territoriale de la République.

Le plan « bâtiments », souvent accompagné par les régions, mais aussi par les départements, a connu un succès formidable sur nos territoires. (M. le ministre le confirme.) Désormais, les départements ne peuvent plus intervenir, puisqu’ils ont perdu la compétence économique. Aujourd'hui, on n’a pas la certitude que ce désengagement forcé des départements sera compensé par les régions. C’est un véritable motif d’interrogation.

Les prêts bonifiés présentent beaucoup moins d’intérêt en période de taux d’intérêt bas, comme récemment. C’était donc un moment opportun pour repenser notre politique d’installation, notamment en matière d’élevage, activité qui s’inscrit dans le temps long. Nous aurions dû, comme nos concurrents au sein de l’Union européenne, mettre en œuvre une politique d’accompagnement des investissements sur vingt-cinq ou trente ans. Cela aurait permis non seulement de donner une plus grande souplesse en matière d’installation, mais surtout de dégager une capacité d’investissement complémentaire. Profiter de cette période de taux bas n’aurait pas coûté plus cher aux finances publiques, mais aurait ouvert des perspectives au secteur de l’élevage et lui aurait donné des moyens supplémentaires de réussir.

Le dossier des zones défavorisées est important. Monsieur le ministre, vous souhaitez y intégrer les zones d’élevage, mais quid des éleveurs isolés, dont la situation pourrait devenir absolument dramatique ? Le temps de parole qui m’est imparti ne me permet pas de développer plus longuement cette question, mais nous devons y être très attentifs.

Disposer d’une capacité de régulation des marchés est une nécessité. Mes chers collègues, l’élevage est souvent le dernier rempart avant la désertification. L’Europe, l’État, les régions, qui détiennent la compétence économique, devront adopter une position claire sur cette question. On parle souvent de la fracture numérique ; si on ne donne pas envie à des éleveurs de s’installer, la fracture territoriale s’aggravera encore. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Botrel, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Yannick Botrel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur l’avenir de la filière élevage intervient à un moment où celle-ci se trouve particulièrement malmenée, à l’instar de plusieurs autres secteurs de la production agricole, par une crise que, par commodité, on qualifie de « crise de l’agriculture ».

En réalité, des raisons diverses ont amené à cette situation : certaines sont d’ordre politique – nous avons tous évoqué l’embargo sur les exportations de viandes de porc vers la Russie –, d’autres d’ordre sanitaire – je pense à la fièvre catarrhale ovine, qui a bloqué ou ralenti nos exportations de viande bovine vers plusieurs pays –, d’autres encore d’ordre économique, à l’instar de la surproduction de lait.

Il faut aussi évoquer les habitudes nouvelles de consommation : ainsi, 50 % de la viande bovine se consomme désormais sous forme de viande hachée, au détriment de la valorisation des viandes de grande qualité que produisent nos éleveurs.

Il existe enfin des causes sociétales de la crise, telles les conséquences de certains épisodes médiatiques venant susciter la suspicion du consommateur quant à la qualité de ce qu’on lui propose.

Il s’agit là d’éléments contextuels dont on ne saura sans doute jamais s’abstraire tout à fait. Il convient en tout cas de tout faire pour qu’ils ne s’additionnent pas.

À cet égard, vous avez été confronté, monsieur le ministre, à une crise simultanée de la plupart des filières, et vous y avez répondu du mieux qu’il était possible selon moi. Je n’hésite pas à affirmer que, à travers votre action, l’État a été bien présent.

Cependant, il convient de parler d’avenir, et pour ma part j’évoquerai un aspect essentiel concernant particulièrement l’élevage : la résilience des exploitations agricoles face aux aléas économiques ou sanitaires et à l’évolution climatique.

Nous le constatons dans la période que nous traversons : toutes les exploitations ne sont pas économiquement affectées de la même manière, parce qu’elles n’ont pas toutes adopté le même modèle technico-économique.

Cela est vrai dans le domaine de l’élevage, où les coûts de production peuvent être très variables selon les choix opérés, qu’ils soient agronomiques ou de gestion économique de l’exploitation.

C’est sur ce point, je le crois, que doit porter la réflexion s’agissant de l’élevage. Comment accroître la capacité à affronter les crises ? En d’autres termes, comment renforcer la résilience ? En Bretagne, des groupes de travail réfléchissent sur l’autonomie alimentaire de l’exploitation, donc sur l’agronomie.

Le modèle le plus courant d’alimentation du bétail repose sur le couple maïs-soja, qui s’avère coûteux économiquement parce que le soja que nous importons massivement est cher depuis 2007 et que ce régime alimentaire a pour conséquence une longévité moindre des vaches laitières.

A contrario, promouvoir un assolement fondé sur le maïs et les légumineuses permettrait un recours moindre aux produits phytosanitaires, ainsi qu’aux engrais.

Certes, ce modèle, vertueux à deux égards, économique et environnemental, est plus complexe à gérer techniquement. L’enjeu est donc d’accompagner les agriculteurs dans le passage à de nouvelles méthodes de culture. L’agronomie est donc l’une des voies de la résilience, et nous devons prendre ses apports en considération.

Il existe d’autres voies, que le temps qui m’est imparti ne me permet que de citer.

La future PAC, en particulier, devra affirmer à travers ses options stratégiques la place qu’elle assigne à l’élevage. Il serait du plus grand intérêt que vous nous fassiez part, monsieur le ministre, de l’approche de la France sur cette question.

Quelle pourrait être la place d’un régime assurantiel ? La piste de paiements contracycliques a été évoquée à l’occasion d’une table ronde tenue lors du dernier salon de la production agricole SPACE, à Rennes, ainsi que le renforcement des aides au titre des mesures agroenvironnementales et climatiques.

Surtout, les observateurs insistent très fréquemment sur la nécessité de renforcer le pouvoir de négociation des producteurs ; cela paraît en effet une évidence. Comment se peut-il que ceux qui sont à la source de la production soient aussi peu pris en considération dans le partage des marges ?

L’avenir de l’élevage au plan national peut se construire sur la capacité des exploitations à résister aux turbulences économiques, sanitaires et, parfois, politiques. Sur le plan européen, il se construira au travers d’une PAC dont les outils seront adaptés au contexte volatil qui est désormais celui dans lequel évoluent nos éleveurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour le groupe Les Républicains.

M. Philippe Mouiller. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’élevage bovin français traverse depuis de nombreux mois une crise grave. Dans nos campagnes, beaucoup d’exploitants sont au bord de la faillite.

Si nous voulons sauvegarder notre spécificité agricole et nos savoir-faire, il y a urgence à agir et, dans ce domaine, l’intervention de l’État est essentielle à différents niveaux.

Vous venez d’annoncer, monsieur le ministre, le 18 novembre dernier, le versement d’aides ponctuelles destinées à limiter les quantités de viande bovine mises sur le marché, cela afin de faire remonter les cours. En effet, la crise laitière met sévèrement en danger la production de viande bovine de qualité, en raison de l’afflux de vaches laitières dans les abattoirs.

Mais ces mesures ne suffisent plus pour sauvegarder une filière, fleuron de notre économie, qui représente des milliers d’emplois directs et indirects. La réponse à cette crise, qui n’est pas nouvelle, mais qui s’accentue inexorablement, doit être structurelle.

Depuis le début de cette crise, le Sénat travaille à proposer des mesures de long terme. Je suis élu des Deux-Sèvres, département où l’élevage bovin représente une part importante de l’activité agricole. Je rencontre des agriculteurs fiers de leurs savoir-faire, de leur production, mais qui désespèrent, n’arrivant plus à vivre décemment de leur travail.

L’État doit avant tout réduire les charges pesant sur les entreprises agricoles, qu’elles soient sociales, fiscales ou normatives. Nos agriculteurs croulent sous les normes sanitaires, sociales et environnementales, bien plus exigeantes en France que dans les pays voisins, et ils ne peuvent lutter à armes égales avec leurs concurrents. D’une manière générale, nous avons le don de sur-transposer les directives européennes ; c’est plus vrai encore dans le domaine de l’agriculture. Cela entraîne des surcoûts financiers importants et une perte de compétitivité de nos entreprises agricoles, par rapport à celles de nos voisins européens principalement.

Le Sénat a inscrit dans la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire une disposition prévoyant que, pour chaque norme nouvellement créée dans le domaine agricole, soit abrogée une norme antérieure, un bilan devant être établi chaque année. Malheureusement, cette proposition de loi n’est toujours pas adoptée.

L’État doit également accompagner la filière bovine dans l’amélioration de la valorisation de la commercialisation de la viande sur le marché intérieur, en facilitant l’achat de viande française par les collectivités territoriales et tous les partenaires publics. En effet, la restauration hors distribution, la RHD, est un marché important à reconquérir : 70 % de la viande servie est à ce jour importée. Il s’agit là d’un enjeu économique et sociétal majeur. La viande servie en RHD est majoritairement une viande de qualité inférieure provenant de pays voisins.

À titre d’exemple, les représentants de la filière bovine ont demandé à être reçus au ministère de la défense pour évoquer le sujet des achats des armées ; cette demande est restée sans suite à ce jour.

Dans un esprit identique, le Sénat a adopté la proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation et imposant à l’État et aux collectivités d’intégrer, dans la composition des repas, 40 % de produits issus des circuits courts ou répondant à des critères de développement durable, notamment des produits biologiques. Nous attendons toujours que le Gouvernement prenne ses responsabilités.

La réponse structurelle à la crise passe aussi par une démarche offensive à l’export. Accompagner la filière à l’exportation doit être une des priorités de l’État.

Nos agriculteurs, nos savoir-faire, nos territoires n’ont pas à pâtir des politiques étrangères de la France. Ainsi, l’attitude française à l’égard de la Russie leur cause un tort considérable, tout comme les restrictions aux exportations de bovins vers la Turquie, qui relèvent davantage d’une question de géopolitique que d’une préoccupation sanitaire.

Il est urgent que l’État travaille avec les filières à la mise en place d’une stratégie de conquête des volumes à l’exportation. D’ailleurs, la filière de l’élevage attend la réunion du comité d’exportation, qui ne s’est plus tenue depuis l’automne 2015.

Nous comptons sur une réaction rapide du Gouvernement. Monsieur le ministre, vous devez adresser un signe fort aux agriculteurs, qui sont aujourd’hui à bout. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous connaissons tous parfaitement la situation des différentes filières agricoles. La filière porcine, qui a connu des difficultés l’an dernier, a vu les prix se redresser, mais sa situation impose la poursuite des réformes structurelles. La filière laitière connaît, elle aussi, un début de redressement des prix, après que ceux-ci se sont établis à des niveaux extrêmement bas durant deux années.

Nous faisons tous le même constat. Quand on débat de l’agriculture, il y a deux éléments qu’il toujours avoir présents à l’esprit : les aides publiques à l’agriculture, européennes, nationales et, maintenant, régionales, d’une part ; le marché et les prix, d’autre part.

Le jeu de l’économie de marché influe sur l’équilibre des prix agricoles dans toutes les filières. Par exemple, quand j’ai pris mes fonctions au ministère de l’agriculture, en 2012, le prix de la tonne de céréales dépassait 200 euros ; il est aujourd'hui de 120 ou 130 euros. Le ministre de l’agriculture ne décide pas des prix, ni personne d’autre d'ailleurs.

La France est un grand pays producteur et exportateur de lait, sous forme de produits transformés, tel le fromage, ou peu transformés, telle la poudre de lait. Sur les 25 milliards à 26 milliards de litres de lait que nous produisons, de 7 milliards à 8 milliards sont exportés : j’invite ceux qui pensent qu’il suffirait de fermer notre marché aux importations pour le rééquilibrer à garder cette réalité à l’esprit. De ce fait, pour la poudre de lait en particulier, dont une grande partie est exportée en Asie – des industriels chinois investissent même en France dans des tours de séchage –, même une régulation européenne de la production ne nous prémunit pas totalement contre les déséquilibres de marché qui peuvent exister ailleurs dans le monde.

Il importe donc de considérer la situation d’ensemble des différents secteurs. Cela vaut aussi pour la viande porcine, qui est exportée en Chine. Le marché chinois, qui s’était contracté, s’est redressé, ce qui a entraîné un relèvement du prix de la viande de porc en France, en dépit de l’embargo sur les exportations vers la Russie.

La réforme de la politique agricole commune a été négociée en 2013. Tout le monde l’a oublié, mais il n’était pas évident d’obtenir que le budget de la PAC soit préservé. J’attends d’ailleurs de voir à quoi aboutiront les négociations qui se tiendront en 2020 !

Nous avons par exemple obtenu, pour la France, le doublement des fonds européens du deuxième pilier de la politique agricole commune. Notre discussion d’aujourd'hui serait sûrement tout autre si tel n’avait pas été le cas, ou si je ne m’étais pas battu pour obtenir le maintien des aides couplées à l’élevage, alors que la logique européenne était de découpler la totalité des aides. Ainsi, 680 millions d'euros ont été alloués à la prime à la vache allaitante, qui est absolument indispensable.

De même, l’indemnité compensatoire de handicap naturel, l’ICHN, va bénéficier du transfert de plus de 1 milliard d’euros. Le choix d’orienter une partie de ce montant vers l’élevage a fait débat au sein même de la profession agricole, certains se demandant s’il était opportun d’augmenter dans une telle proportion les aides à l’élevage dans la mesure où des opérateurs pouvaient anticiper cette augmentation en baissant les prix.

Aujourd'hui, les aides sont mieux réparties, ce qui aura une incidence sur l’ensemble du monde agricole. En 2019, au terme de la mise en application de l’ensemble de la nouvelle politique agricole commune – paiement redistributif, c'est-à-dire rehaussement des aides pour les cinquante-deux premiers hectares, compris –, 47 % des aides iront à 20 % des agriculteurs, contre 54 % en 2013 et 52 % en 2015. Cette répartition plus équilibrée des aides profite aussi aux éleveurs.

M. Didier Guillaume. Très belle réorientation !

M. Stéphane Le Foll, ministre. C’est un choix d’équilibre, que je revendique. La politique agricole commune a été réorientée en faveur de l’élevage.

Cela suffit-il ? Non, puisque les aides, aujourd'hui, ne permettent pas de compenser, pour les éleveurs, la perte de revenus liée à la baisse des prix. Les crises que nous connaissons en sont la preuve.

Il est donc absolument nécessaire de débattre des prix et des marchés. Après 2014 et la fin des quotas laitiers, le marché du lait s’est trouvé déséquilibré à l’échelle mondiale. La production mondiale, en particulier européenne, n’a cessé d’augmenter, ce qui a entraîné la catastrophe que l’on sait pour les prix.

Il fallait donc essayer d’enrayer l’emballement de la production. Pour faire en sorte que les États membres de l’Union et la Commission européenne s’engagent enfin à envoyer un signal de baisse de la production laitière, j’ai obtenu que soient activés les articles 221 et 222 du règlement sur l’organisation commune de marché. Je regrette qu’il ait fallu huit mois pour que cette décision soit arrêtée. La remontée des prix actuelle liée à l’instauration d’un nouvel équilibre sur le marché permet d’anticiper, pour 2017, des prix plus élevés, et partant plus rémunérateurs pour les producteurs. Cette évolution serait sans doute intervenue plus tôt si les mesures de maîtrise de la production avaient été mises en place plus vite. La difficulté est de trouver une majorité à l’échelle européenne, de convaincre la Commission européenne. C’est ce que j’ai fait à trois reprises, en septembre 2015, en février 2016 et en juin 2016, pour aboutir à la mise en œuvre du plan en septembre 2016, qui porte ses fruits aujourd'hui.

J’organiserai avec Michel Sapin une réunion du comité des relations commerciales afin de prévenir une résurgence de la guerre des prix au moment où seront renégociés les prix entre la grande distribution et les industriels du lait, alors que l’on sort d’une crise et que l’on sait que le prix du lait va remonter en 2017, comme l’indique clairement une publication récente de la Rabobank, qui finance beaucoup l’industrie agroalimentaire néerlandaise. Nous devons anticiper cette remontée, en essayant de la lisser, afin de redonner des marges à nos producteurs, qui en ont bien besoin compte tenu de ce qu’ils ont subi ces deux dernières années.

Ces efforts pour ajuster la production au marché et tenir les prix viennent en complément des aides : les uns et les autres sont liés. Bien entendu, on a davantage de prise sur les aides que sur la situation globale des marchés. Ainsi, la chute des prix des céréales est liée à la concomitance de récoltes exceptionnelles en Ukraine, en Russie, aux États-Unis et en Amérique latine : cela ne s’était jamais produit auparavant. L’offre agricole peut être supérieure à la demande. On disait volontiers que, avec 9 milliards de bouches à nourrir sur la planète, les prix agricoles allaient nécessairement flamber. On sait aujourd'hui que les choses sont plus compliquées : si toutes les grandes zones agricoles produisent au maximum de leur potentiel, la demande solvable ne suffira pas à absorber la production, d’où un risque de baisse des prix.

Devant cette réalité, au-delà du recours aux outils de la PAC, on pourrait envisager de mettre en place une politique agricole contracyclique, en mobilisant plus d’aides quand les prix sont bas et moins quand les prix sont hauts. L’idée est séduisante et logique, mais l’Union européenne n’est pas un État fédéral. Le cadre budgétaire est fixé pour cinq ou six ans, et les marges de manœuvre sont faibles. Si l’on prévoit de ne verser aucune aide l’année n, il est à peu près certain qu’il en ira de même l’année n+1 . La démarche contracyclique, en termes de compensation des fluctuations de prix, ne fonctionne donc pas aujourd’hui à l’échelle européenne, en raison d’un manque de flexibilité budgétaire. Le Parlement européen vote des dépenses, mais il n’a rien à dire sur les recettes, puisqu’elles résultent des contributions des États.

Par conséquent, il faut procéder autrement si l’on veut mettre en place une politique contracyclique. C'est pourquoi nous proposons qu’une partie des aides du premier pilier puisse être utilisée pour nourrir une épargne de précaution, disponible pour aider l’agriculteur à faire face aux aléas climatiques, sanitaires et économiques, et assortie bien sûr d’une fiscalité adaptée.

Nous aurons ce débat prochainement, lorsque le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux aura remis son rapport. Il s’agira de recenser les outils à notre disposition en vue de donner aux agriculteurs les moyens de mieux supporter les fluctuations de prix. Certes, l’idéal serait peut-être d’établir des prix planchers garantis et des aides indexées sur les prix, mais nous ne trouverons pas de majorité, à l’échelon européen, pour modifier la PAC dans ce sens. L’essentiel est de trouver un moyen de mobiliser des aides supplémentaires en cas de crise sur un marché, sachant qu’une politique publique qui attribue le même montant d’aides que le prix de la tonne de céréales soit de 220 euros ou qu’il soit de 120 euros pose légitimement question.

C’est seulement en trouvant une voie pour permettre aux agriculteurs de constituer une épargne de précaution, des provisions, que l’on pourra définir des mesures contracycliques, sauf à changer l’organisation de l’Union européenne de sorte que les budgets puissent être gérés sur une base annuelle : c’est un autre sujet, éminemment politique !

La compétitivité du secteur de l’élevage tient à deux éléments.

Le premier est le soutien à l’investissement, en particulier dans les bâtiments d’élevage et la structuration des exploitations, afin d’obtenir des gains de compétitivité.

Je rencontrerai ce soir l’Association des régions de France pour discuter du plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations, le PCAE. Le transfert de deux rubriques du premier pilier vers le deuxième pilier a déjà permis, en deux ans et demi, environ 600 millions d’euros d’investissements dans les bâtiments d’élevage. Cela prouve qu’il y a une demande de la part des agriculteurs ! L’État a porté sa contribution à 85 millions d’euros, mais le dispositif fonctionne tellement bien qu’on me suggère d’aller au-delà. La demande reste en effet importante, par exemple pour réaliser des investissements dans les dispositifs de biosécurité là où la grippe aviaire a frappé, dans le Sud-Ouest. Cela vaut également pour les autres zones d’élevage de volailles. On atteindra sans doute le milliard d’euros d’investissements en cinq ans, notamment pour assurer le respect des règles de bien-être animal dans l’élevage ou financer des bâtiments neufs pour réduire la consommation énergétique. Tout cela permettra aux éleveurs de disposer d’un outil de production plus performant, et donc d’être plus compétitifs.

Le second élément de compétitivité est l’allégement des charges. Le plan de soutien à l’élevage a permis de diminuer de sept points, soit de 765 millions d’euros, les cotisations sociales supportées par les exploitations agricoles. En ajoutant les « exonérations Fillon », on arrive à 1,1 milliard d’euros d’exonérations de cotisations sociales.

Mais, pour améliorer la compétitivité des élevages, il faut aussi agir sur les charges opérationnelles, qui ont beaucoup augmenté au cours des dernières années, notamment en raison de l’utilisation de produits, phytosanitaires et autres, coûteux.

Aujourd’hui, les systèmes agricoles les plus compétitifs sont ceux qui nécessitent le moins d’investissements en capital. Par exemple, dans le domaine de la production laitière, la Nouvelle-Zélande a misé sur l’optimisation de la gestion des pâturages. Sans faire la même chose, nous devons, nous aussi, mettre en œuvre des stratégies de baisse des charges opérationnelles.

Investir, diminuer les coûts de production, réduire le coût du capital pour les jeunes agriculteurs à travers la dotation jeune agriculteur, la DJA : tels sont nos axes d’action. Les prêts bonifiés étant moins utiles quand les taux d’intérêt sont voisins de 0,25 %, nous avons décidé de transférer les crédits destinés à leur financement vers la DJA, en ajoutant une clause d’investissement pour une part de celle-ci, ce qui répond à une demande des jeunes agriculteurs. Ces derniers estiment que cela permettra de financer les investissements de façon beaucoup plus simple et rapide qu’avec les prêts bonifiés, dont la mise en œuvre impliquait une relation avec les banques. Maintenant, avec la DJA, tout se passe entre l’État et les jeunes agriculteurs, sans intermédiaire.

En ce qui concerne le handicap que représente l’inflation des normes pour la compétitivité, je connais le sujet par cœur ! Je n’ai pas ajouté de normes. J’en ai plutôt supprimé, conjointement avec les ministres de l’environnement successifs, en particulier Philippe Martin. Qu’il s’agisse des installations classées pour la protection de l’environnement, les ICPE, ou de la procédure d’enregistrement, que nous avons mise en place pour la production porcine avant de l’étendre à l’aviculture et, bientôt, à la production de viande bovine, nous avons procédé à une simplification.

Lorsque je suis arrivé à la tête de ce ministère, la France était en contentieux avec l’Union européenne au sujet de la directive nitrates. Nous avons dû revoir les cartes des zones vulnérables. Le débat fut vif, à l’époque. Aujourd’hui, le problème est réglé, nos plans d’action ont été validés par l’Europe. Maintenant, c’est l’Allemagne qui est rattrapée par ce contentieux. Les Allemands ont tellement développé l’élevage intensif, en particulier dans l’est du pays, qu’ils ont à présent un gros problème de gestion des excédents de nitrates par rapport à la capacité d’absorption de leurs terres agricoles. L’ensemble du territoire allemand est aujourd’hui classé en zone vulnérable !

Cela étant, je suis d’accord, nous devons encore avancer dans la simplification. Lors de la réunion, à Chambord en septembre, d’une vingtaine de ministres de l’agriculture européens – cela constitue largement une majorité qualifiée du Conseil, malgré l’absence du ministre italien, pour cause de tremblement de terre, et de la ministre espagnole, pour cause de constitution du Gouvernement –, quatre points de consensus se sont dégagés.

Premièrement, nous voulons le maintien du budget de la PAC.

Deuxièmement, nous voulons que la PAC tienne compte des grands enjeux liés à la protection de l’environnement, à la citoyenneté, au bien-être animal et à la traçabilité, sujet dont nous allons traiter sans attendre à l’échelon national, par exemple en mettant en place, à titre expérimental, la mention obligatoire de l’origine de la viande intégrée dans les produits transformés. Les premières étiquettes seront apposées à la fin de cette année ou au début de la prochaine. Le logo « Viandes de France » a permis, selon l’interprofession nationale porcine, INAPORC, de réduire de 20 % environ les importations de viande porcine. Ce logo se rencontre aujourd’hui dans presque tous les linéaires des petits, moyens et grands distributeurs. C’est un bouleversement, qui contribue incontestablement à la sécurisation d’une partie du débouché national.

Troisièmement, nous voulons de la simplification.

Quatrièmement, les ministres qui étaient présents à Chambord sont d’accord pour la mise en place de systèmes de mutualisation et d’assurance à l’échelle européenne. Un ministre est même allé au-delà, en proposant la création d’un troisième pilier de la PAC, dédié à la gestion des aléas. Ce serait là une vraie avancée à mes yeux.

L’accord de plus de vingt pays européens sur ces quatre points va permettre d’envisager différemment l’avenir de la PAC.

S’agissant des retards dans le versement des aides, je rappelle que la France, rattrapée en 2013 par un apurement européen, a dû corriger entre 0,5 % et 0,8 % de ses surfaces éligibles aux aides européennes. Nous avons dû refaire l’orthophotographie de 26 millions d’hectares, soit un travail colossal qui, au moins, n’incombera pas à mon successeur. C’est la raison pour laquelle nous avons pris un an de retard dans les paiements ; ce retard va être rattrapé.

Certains ont souligné que le solde 2015 n’avait pas été versé. Avec la réforme de la PAC, nous sommes passés du droit au paiement unique, ou DPU, aux droits à paiement de base, ou DPB. Cela nécessite de se caler sur une référence historique pour le calcul du montant des aides à verser. Or, en cas de modification concomitante de parcelles, on ne peut plus se référer à la DPU. Nous avons donc parfois rencontré des problèmes de calcul liés à l’agrandissement de certaines exploitations, ce qui a entraîné des retards techniques de paiement, mais tout sera réglé d’ici à la fin de l’année. Il en ira de même pour les retards de versement des primes ovines.

Par ailleurs, les ICHN ont déjà été versées à concurrence de 89 %, mais il reste encore 4 800 dossiers à régler : ils le seront, eux aussi, d’ici à la fin du mois de décembre. Nous délivrons des attestations pour rassurer les agriculteurs sur les aides qu’ils recevront et nous allons apurer le plus vite possible les retards de paiement.

La question des zones défavorisées simples, les ZDS, a été soulevée à la suite d’une décision de la Cour de justice des communautés européennes de 2003 et d’une réforme décidée en 2010, qui doit entrer en vigueur en 2018. J’aurais pu laisser à mon successeur le soin de traiter le dossier, mais j’ai préféré agir. Nous avons élaboré une première carte, établie exclusivement sur la base des critères européens. Elle a suscité des débats, certaines communes se trouvant exclues. Nous avons, ce matin, mis la dernière main à une deuxième carte, qui prend en compte le critère des prairies permanentes, de l’herbe, avec des taux de chargement que nous avons fixés, après discussion, à 1,3 ou 1,4 unité gros bétail par hectare. Avec cette nouvelle carte, les surfaces classées progressent de 4 % par rapport à la première. Elle permet de régler un certain nombre de problèmes, en particulier dans l’Est, le Limousin et le Sud-Ouest.

Nous devons prendre en compte d’autres critères encore pour pouvoir aller plus loin. Tous les départements sont concernés. Nous avons eu ce matin une réunion avec les représentants du monde agricole, qui s’est plutôt bien passée. Nous allons travailler à la refonte de cette deuxième carte d’ici au 6 décembre. Mon objectif est de ne pénaliser personne et de faire en sorte que, partout où il y a de l’élevage, on puisse obtenir le classement en zone défavorisée et bénéficier ainsi de l’ICHN. Nous progressons vers cet objectif, par des discussions extrêmement sérieuses avec les responsables de la profession agricole.

En attendant l’élaboration de la troisième carte, la deuxième sera mise à disposition, ce qui permettra déjà de rassurer certains d’entre vous. Je le redis, la troisième carte permettra d’accroître encore les surfaces classées en ZDS : tenez-en compte quand vous examinerez la deuxième mouture. Nous avançons progressivement, à mesure de la prise en compte de nouveaux critères, sans oublier personne.

L’élevage tient une place très importante dans notre pays, sur le plan économique, bien sûr, mais aussi du point de vue environnemental. À cet égard, ceux qui, comme les vegans, voudraient que l’on ne mange plus de viande ont-ils conscience qu’il n’y aurait alors plus de prairies permanentes ? Il n’y aurait plus de Normandes, de Charolaises, de Salers, de Limousines, de Rouges des Prés, de Blondes d’Aquitaine, de Gasconnes, de Montbéliardes, de Brunes des Alpes, d’Aubrac, de Vosgiennes… (Sourires.)

La sauvegarde et la valorisation de l’élevage sont un enjeu économique, culturel et d’aménagement du territoire. Nous devons nous donner les moyens d’aider les éleveurs, en jouant et sur les aides, et sur les prix. Vous en êtes tous conscients, ici au Sénat, et depuis longtemps ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)